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N4119BU4
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 16 Octobre 2014
Si l'effort de justice pouvait être éclairé sous le seul prisme de l'investissement pécuniaire, force est de constater que son budget est en augmentation (+ 4,6 % en 2013 ; + 1,7 % en 2014 ; et + 2,3 % en 2015). La belle affaire, lorsque l'on sait que la France lui consacre 1,9 % de ses ressources ; et que 50 % d'entre elles sont affectées à l'administration pénitentiaire. Toujours, dans une approche symbolique, mais macro-économique, un Français verse 61,2 euros par an pour la justice, un Allemand 114,3 euros. Au final, rapporté au PIB par habitant, le budget de la justice française se classe au 37ème rang (sur 45), derrière la Géorgie et la Turquie !
On comprend, dès lors, le malaise qui crispe aujourd'hui l'oeuvre de justice ; qui décontenance l'ensemble des professionnels judiciaires ; et qui atteint les justiciables, eux-mêmes, de plus en plus méfiants quant à la justice de leur pays.
Et, ce n'est pas faire oeuvre de pessimisme que de traduire finalement les chiffres de ce rapport dans le cadre d'une approche sociétale ; la trophallaxie est nécessaire, pour ne pas rendre la profusion de chiffres indigeste et insipide. Ce rapport, outre qu'il doit susciter une prise de conscience des Français et de leurs représentants, de l'incongruité d'une si faible considération -si tant est que celle-ci se mesure à la part de l'investissement budgétaire national qui lui est consacrée-, de la France pour la justice, devrait surtout obliger à se poser la question de la nature de la justice que la France veut promouvoir.
La justice est, d'abord et avant tout, une des quatre vertus cardinales de l'Humanité ; à ceci près, qu'elle est la plus absolue, qu'elle se suffit à elle-même, qu'elle est intrinsèquement une vertu. En effet, la prudence, la tempérance et le courage sont certes des vertus cardinales, mais elles s'appréhendent de manière relative : trop de prudence, de tempérance ou de courage peuvent apporter plus de désagréments que de félicité. En revanche, il n'y a jamais trop de justice ; la justice est bonne en soi. Partant, lorsque la France consacre ainsi 1,9 % de son budget à la justice, pour une moyenne de 2,2 % dans le reste de l'Europe, on peut aisément comprendre qu'elle méprise, comme le reste des démocraties du reste, compte tenu de l'universelle faible part budgétaire qui lui est consacrée, le principe le plus important qui soit aux yeux de l'Humanité ; l'indispensable vertu qui régit les rapports entre les individus dans toute société. "La justice n'existe point ; la justice appartient à l'ordre des choses qu'il faut faire justement parce qu'elles ne sont point" écrivait Alain, dans Les passions et les sagesses. Aussi, si la France, comme d'autres pays sous-dotant sa justice, espère que son oeuvre et son développement se feront ex nihilo, sans moyens complémentaires, parce qu'au mépris du contrat social, le Français deviendrait naturellement bon : c'est tout de même un pari risqué, une utopie dangereuse pour la Nation.
"La justice sera si on la fait. Voilà le problème humain", poursuivait l'auteur de Propos politiques. La justice est donc bien, avant tout, l'affaire des Hommes : il faut des gens de justice pour la faire, car, clairement, elle ne se fera pas toute seule. Or, nous apprend le rapport 2014, il y a 10,7 juges (qui jugent -donc ne sont pas compris ici les procureurs-) en France pour 100 000 habitants, contre 24,7 en Allemagne et une moyenne de 21 pour l'ensemble de l'Europe : et la justice échevine et consulaire n'explique pas tout ! On pourrait, dès lors, penser que les procureurs viennent palier le sous-effectif des magistrats Français qui jugent ; mais la France comptait 1 901 procureurs en France en 2012 (soit 2,9 pour 100 000 habitants), emportant avec l'Italie, le record... de pénurie -encore que l'Italie emploie en plus 2 000 procureurs non professionnels-. Et l'on constate également que les procureurs français sont aussi de loin les plus chargés.
Outre, l'évident problème de sous effectif au regard de la nécessité de rendre la justice, on rappellera que cette dernière repose sur deux socles fondamentaux : la légalité et l'égalité. Il n'y a pas de justice sans conformité à la loi, mais la loi n'étant que l'expression souveraine, elle ne suffit pas à l'idée de justice sans l'égalité pour tempérer ses méfaits. Dans le même sens, une société qui serait purement égalitaire ne serait pas juste, car il n'est pas juste de donner à quelqu'un plus qu'il n'a droit ou qu'il ne lui en faut ; et la loi, expression de l'intérêt général, tempère dès lors les exactions de l'égalité. Le juste sera celui qui ne viole ni la loi, ni les intérêts légitimes d'autrui, ni le droit (en général), ni les droits (des particuliers), explique Aristote dans Ethique à Nicomaque. L'égalité devant loi étant légalement prescrite, on pourrait naïvement penser que la légalité suffise à la justice. Mais contrairement à Pascal, auctoritas, non veritas, facit legem : c'est l'autorité et non la vérité qui fait la loi. Or, la légalité de la loi important plus que sa légitimité, il heureux que le principe d'égalité compense les faiblesses d'une loi, toujours mal établie selon la moitié de la population française ! Ainsi, la France comptait, en 2012, 85,7 avocats pour 100 000 habitants -dont la moitié à Paris-, pour une moyenne européenne est de 139,5 -l'Allemagne en comptant 200,5, la Norvège 140,9, la Grèce 300,7 !-. Or, si les procureurs sont en charge de la légalité -et, on a vu leur faible nombre-, les avocats sont en charge, eux, de cette égalité : égalité des armes, postulat de toute égalité sociale.
Leur nombre est notoirement insuffisant -ce qui fait sourire lorsque l'on parle de numerus clausus- ; en revanche on apprend, étrangement, que la France ne manque pas de notaires : 14,5 pour 100 000 habitants, quand la moyenne européenne est de 7,5. Mais, officiers ministériels, ces derniers sont plus en charge de la légalité que de l'égalité dans l'oeuvre collective de justice.
A cela, s'ajoute le problème de l'accès à la justice, autre correcteur de la légalité. L'accès à la justice, c'est avant tout l'accès à un avocat, qui rééquilibrera l'échange entre le justiciable et le magistrat, pour que toutes les chances d'une justice légale et égalitaire soient rendues. Or, là encore, sans parler d'une inégalité d'accès géographique, dans le cadre d'une réforme à pas forcé de la carte judiciaire, communément entreprise partout en Europe du reste, l'étude de l'aide juridictionnelle montre une situation européenne fort contrastée : certains pays donnent beaucoup à peu de justiciables, quand d'autres donnent peu à beaucoup de demandeurs. La France accorde l'aide juridictionnelle à 1 396 personnes pour 100 000 habitants, à peu près comme l'Irlande (1 319) quand l'Italie en délivre à 320 ou la Lituanie 1 654. Mais, si la France verse 337 euros par justiciable, l'Irlande en accorde 1 373 euros. Le système repose clairement sur le pro bono des avocats dont l'ultime espoir est cette lettre du Premier ministre au Garde des Sceaux réclamant qu'une "concertation" soit engagée avec les avocats pour réformer le financement de l'aide juridictionnelle, actuellement "à bout de souffle", sur la base des propositions du rapport "Le Bouillonnec". Une hausse de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique, du droit fixe de procédure pénale et de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers de justice, serait au programme ; mais rien n'est acté.
Alors, si seulement la justice française était efficace ; tout cela n'aurait que peu d'effet ? Et, étrangement, à lire le rapport de la Cepej, la France semble faire beaucoup avec peu de moyens et d'Hommes. 2 575 nouvelles affaires civiles pour 100 000 habitants se présentent tous les ans et 2 555 sont jugées : le stock est donc plutôt stable. Et la justice allemande, pourtant notablement mieux dotée, ne fait guère mieux, pour moins d'affaires à traiter -mais là est sans doute tout l'enjeu du rôle de l'avocat et des modes alternatifs de règlement des conflits très important outre-Rhin-.
Mais, l'efficacité s'appréhende-t-elle au regard du nombre d'affaires traité ? Et, d'ailleurs, de manière axiomatique, la justice doit-elle et peut-elle être efficace ? S'il fallait torturer un enfant pour sauver l'Humanité, faudrait-il s'y résigner ? Questionne Dostoïevski. L'utilitarisme de la justice présente intrinsèquement des limites inacceptables. La justice peut être considérée comme un contrat d'utilité, comme le soutient Epicure, une maximalisation du bien-être collectif selon Bentham et Mill : il pourrait être juste de sacrifier quelques uns, sans défense, pour le bonheur de presque tous... Mais est-ce là l'idée de justice ? La justice vaut mieux que toute idée de bien-être et d'efficacité comptable, comme le soulignaient avec force Kant comme Rawls.
La justice est une "vertu complète", écrivait encore Aristote ; non qu'elle tienne lieu de bonheur, mais il n'y a aucun bonheur sans elle. A l'heure, enquête après enquête, où les Français sont dit le peuple le plus pessimiste du monde, un peu plus de justice ne ferait pas de mal à son bonheur, en attendant l'abondance absolue, l'amour universel, la misère ou la violence extrême et généralisée, la confrontation à des êtres doués de raison mais trop faibles pour se défendre, ou la séparation totale des individus, bref l'une des cinq hypothèses de Hume au terme desquels la nécessité de justice disparaît.
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N4106BUM
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
Le 16 Octobre 2014
Le présent arrêt n'appelle qu'un rapide commentaire tant la solution qu'il consacre est désormais connue. Nous nous sommes largement fait l'écho, dans cette chronique, de la position de la Chambre mixte de la Cour de cassation en matière de déclaration des risques (1). L'assureur ne peut se prévaloir des déclarations mensongères de l'assuré sans produire les questions précises auxquelles elles répondent.
En l'espèce, les juges du fond prononcent la nullité du contrat d'assurance en soulignant à quel point la déclaration de santé figurant dans le bulletin d'adhésion était claire et compréhensible. Leur motivation soignée s'en fait l'écho : "en apposant sa signature au bas du bulletin d'adhésion, sans formuler la moindre restriction, Joël X a entériné ces deux propositions ; que leur formulation était établie en termes simples, clairs et parfaitement compréhensibles pour tout un chacun ; que la déclaration qui résulte de leur approbation est dénuée de toute ambiguïté et n'a pu être le fruit d'aucune confusion dans l'esprit de l'adhérent, qui en a nécessairement compris le sens ; que Joël X a ainsi entendu déclarer qu'il ne se trouvait ni sous surveillance médicale ni sous l'effet d'un traitement médical régulier ; qu'il est établi qu'au moment de son adhésion, Joël X suivait, de manière régulière et depuis de nombreuses années, un traitement médical, lequel l'amenait à consulter, non moins régulièrement, son médecin traitant pour le renouvellement de ses médicaments et la surveillance de ses constantes biologiques, dont l'expert note qu'elles sont mentionnées comme étant parfaites depuis l'opération ; qu'en déclarant ne pas suivre un traitement médical régulier et ne pas être sous surveillance médicale, Joël X a fait une déclaration mensongère, dont le caractère intentionnel est caractérisé par la volonté de dissimuler l'existence du traitement et de la surveillance dont il faisait alors l'objet ; que la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré a modifié la perception du risque par l'assureur".
Cela ne convient toujours pas, la décision est censurée. Le seul soin que l'assureur doit apporter c'est manifestement à la rédaction des questions qu'il pose à l'assuré et qu'il doit produire s'il veut avoir une chance d'obtenir la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.
II - Etendue de la garantie
Une entreprise acquiert la totalité du capital d'une société spécialisée dans la production, l'élevage et le négoce du vin. Quelques mois avant cette acquisition, elle souscrit un contrat d'assurance de responsabilité couvrant les dirigeants de l'entreprise et ses filiales existantes ou à venir. Les dirigeants de la nouvelle filiale restent en place quelques temps. Après leur départ, les nouveaux dirigeants s'aperçoivent qu'ils procédaient depuis plusieurs années à des coupages avec des vins d'autres régions. Ils sont condamnés pour ces faits allant d'une période antérieure à la souscription jusqu'à une période postérieure. Leur responsabilité est recherchée du fait de la perte financière résultant de la dévaluation des stocks. Ils reconnaissent, dans un protocole transactionnel, "ne pas contester qu'ils avaient connaissance des pratiques incriminées". L'assureur refuse d'accorder sa garantie.
Bien que le contrat soit antérieur à la réforme du 2 août 2003, les dispositions de l'article L. 124-5 du Code des assurances (N° Lexbase : L0959G9E) s'appliquent certainement à l'espèce par le jeu des dispositions transitoires de la loi (2). L'application de cet article justifie d'ailleurs qu'il soit traité de cet arrêt sous une rubrique "étendue de la garantie" et non "validité du contrat". En effet, l'enjeu de la détermination du caractère aléatoire des faits en cause n'est pas la validité même du contrat mais la place de ces faits au regard du champ temporel de la garantie. Autrement-dit, la question est simplement de savoir si l'assureur doit ou non assumer les conséquences de la responsabilité des assurés en l'espèce. De ce point de vue, la sanction du défaut d'aléa paraît mesurée et en accord avec la lettre de l'article L. 121-15 qui ne prévoit, somme toute, la nullité que dans la mesure où la chose ne peut plus être exposée au risque. S'agissant d'une assurance de responsabilité, il est évident que la reconnaissance de la responsabilité de l'assuré pour des faits donnés n'empêche pas a priori que cette responsabilité puisse encore être engagée si l'activité assurée se poursuit. La garantie conserve toute son utilité !
L'article L. 124-5 du Code des assurances consacre donc cette sanction du défaut d'aléa qui consiste simplement à placer hors du champ temporel de la garantie les faits considérés. Ce n'est d'ailleurs pas la seule consécration qu'il opère. Dans le système du déclenchement de la garantie par la réclamation organisé par l'alinéa 4 de l'article L. 124-5 du Code des assurances, l'assureur doit sa garantie "dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres". Le système mis en place consacre une reprise de passé inconnu. Pour les faits dommageables antérieurs à la souscription du contrat, le texte prévoit que la couverture n'est pas due si l'assureur démontre que l'assuré en avait connaissance.
Il n'est pas difficile, en l'espèce, d'établir que les faits étaient connus lors de la souscription du contrat en raison de la reconnaissance dont ils font l'objet dans un protocole transactionnel. Les dirigeants dont la responsabilité est mise en cause tentent d'établir une distinction entre les faits délictueux, dont ils avaient parfaitement connaissance, et la perte financière résultant de la dévaluation des stocks qu'ils n'ont pas recherchée. Selon eux, cela suffit à démontrer que le contrat d'assurance de responsabilité comportait un aléa lors de la souscription. La discussion est vaine, le critère déterminant ici n'est pas la connaissance du dommage, c'est la connaissance que l'assuré a, lors de la souscription, d'un fait qui peut lui être imputé, susceptible de générer le dommage de la victime et la dette de responsabilité (3). S'agissant d'une pratique frauduleuse forcément connue de ses auteurs, elle constitue indéniablement un fait dommageable qui leur est imputable.
Au regard de la nature complexe du risque à assurer, la formule de la Cour de cassation, retenue en résumé de la décision commentée, paraît excessive. Connaissant le fait dommageable, l'assuré ne sait pas encore que le risque est réalisé. Quelques étapes, encore incertaines, sont nécessaires pour que cette réalisation soit complète. Pour autant, la solution est bonne. Cette connaissance du fait dommageable, au moment de la souscription, fausse le jeu de l'aléa dans le contrat d'assurance. Pour le rétablir, il suffit d'exclure la couverture du sinistre qui découle de ce fait connu. On remarquera qu'il importe peu, en l'espèce, que ce ne soit pas l'assuré qui ait souscrit le contrat (4).
La formule comporte une autre affirmation, elle aussi discutable, sur la nature aléatoire du contrat d'assurance. On peut affirmer que l'aléa joue un rôle essentiel dans le contrat d'assurance, de là à affirmer qu'il soit, par nature aléatoire (5)...
III - Prescription
Une entreprise souscrit pour ses mandataires "un contrat collectif de prévoyance couvrant notamment les risques décès, invalidité et incapacité de travail". L'un d'eux subit deux accidents vasculaires cérébraux. Il sollicite la garantie de l'assureur car il finit par se trouver dans l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle. Son action est considérée prescrite par les juges du fond.
L'arrêt rendu par la Cour de cassation permet de constater qu'en matière d'assurance collective le régime du contrat est spécifique alors que sur d'autres aspects il ne l'est pas.
Concernant les principes gouvernant la prescription, on peut affirmer que le contrat collectif de prévoyance est globalement traité comme tout contrat relevant de la même catégorie, qu'il soit collectif ou individuel. Il tire moins sa spécificité de son mode de conclusion que de la nature du risque couvert. Ce risque se construit par étapes et cela vient compliquer l'application des règles relatives au point de départ de la prescription en la matière (6).
Rappelons que, selon l'article L. 114-1, du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP), le délai de prescription de l'action court à compter de l'évènement qui lui donne naissance. Par exception, s'agissant d'un sinistre, l'alinéa 2 prévoit que le délai court à compter du jour où l'intéressé en a eu connaissance s'il prouve qu'il l'a ignoré jusque-là. En quelque sorte, le texte envisage différentes difficultés de détermination du point de départ notamment parce qu'il n'est pas évident de fixer le moment d'un sinistre constitué de différents éléments étalés dans le temps (7). Ce doute est, en l'espèce, largement entretenu par l'assureur qui considère que le sinistre est constitué par les accidents vasculaires à l'origine de l'invalidité. Les juges du fond suivent leur raisonnement et leur décision est cassée.
Il faut reconnaître que la position des juges du fond surprend un peu. Pratiquement, elle revient à considérer que l'action de l'assuré commence à se prescrire à une date antérieure au moment où il pourrait solliciter la garantie au titre de l'invalidité, car si celle-ci peut être considérée comme une possibilité, elle n'est pas encore médicalement constatée. L'assureur serait d'ailleurs parfaitement en droit de refuser le versement des prestations à l'assuré tenu de démontrer son état pour pouvoir bénéficier de la garantie. La solution est contraire, de ce point de vue, à la lettre même de l'article L. 114-1 précité qui empêche le délai de courir tant que l'assuré est dans l'ignorance du sinistre. On peut d'ailleurs considérer que, du strict point de vue de la garantie invalidité, au moment de l'accident ou de la maladie, le risque spécifiquement couvert n'est pas encore réalisé (8). Il se réalisera plus tard, et, il ne pourra plus être ignoré, lorsqu'une décision, un avis, portés à la connaissance de l'assuré, l'aura reconnu. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de statuer sur cette question et a décidé de fixer ce moment où le sinistre ne peut plus être ignoré à la consolidation : "en matière d'assurance contre les accidents corporels, le sinistre, au sens du texte précité, est constitué par la survenue de l'état d'incapacité ou d'invalidité de l'assuré" (9). Dans notre espèce, les juges du fond, refusaient d'appliquer cette solution estimant qu'elle ne s'appliquait qu'aux assurances contre les accidents corporels. On ne voit pas ce qui justifierait cette spécificité et l'on peut considérer que la solution a vocation à s'appliquer largement. C'est le sens de l'arrêt rendu par la Cour de cassation qui indique clairement le point de départ du délai de prescription ( "le sinistre, [...], réside dans la survenance de l'état d'invalidité de l'assuré, et ne peut être constitué qu'au jour de la consolidation de cet état") et le champ d'application de la règle (elle s'applique aux assurances collectives de prévoyance). La solution avait déjà été appliquée à une assurance couvrant la maladie (10). La consolidation reste, en effet, le critère le plus objectif pour fixer le point de départ du délai de prescription. Certaines espèces montrent cependant qu'elle ne suffit pas toujours à permettre à l'assuré d'agir en temps utiles (11). Ce délai de prescription peut cependant être décalé à un autre moment et une espèce récente s'en fait l'écho.
Il se peut, en effet, que le contrat subordonne le versement des prestations, notamment invalidité, au classement de l'assuré par un organisme tiers ou à un autre événement. La jurisprudence y voit classiquement une condition reportant le point de départ du délai (12). Un arrêt récent consacre la même solution, en indiquant clairement qu'elle s'inscrit dans la logique du premier alinéa de l'article L. 114-1 : "toutes actions dérivant du contrat d'assurance se prescrivent par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance, qu'en matière d'assurance prévoyant le versement d'une rente en cas de classement de l'assuré dans une catégorie d'invalidité de la sécurité sociale, le point de départ de la prescription biennale est le jour où ce classement est notifié à l'assuré" (13). L'idée qui se dégage de l'ensemble est que, s'agissant de la garantie invalidité, le délai de prescription court en principe de la consolidation de l'état de l'assuré qui est ce moment où il a connaissance du sinistre. Si les prestations sont subordonnées à la survenance d'un autre événement, c'est lui qui constitue le point de départ du délai.
Le particularisme de l'assurance collective ressort du second moyen traité par l'arrêt. L'article 12 de la loi du 31 décembre 1989 prévoit, en effet, une obligation d'information à la charge du souscripteur du contrat : il est tenu de "remettre à l'adhérent une notice d'information détaillée qui définit notamment les garanties prévues par la convention ou le contrat et leurs modalités d'application". L'assuré, en l'espèce, faisait valoir que le défaut de remise d'information lui avait causé un préjudice pour lequel il demandait réparation. Le souscripteur, estimait, lui, que les différentes demandes et les courriers de l'assuré indiquaient suffisamment sa connaissance du contenu du contrat et de l'identité de l'assureur.
Ces arguments avaient manifestement convaincu les juges du fond qui considéraient que le souscripteur n'avait pas manqué à son devoir d'information. La Cour de cassation estime, au contraire, que les juges du fond ne pouvaient statuer ainsi sans vérifier la remise d'une notice. Autant dire : "point de notice, point de salut" (14). La présente solution de la Cour de cassation n'étonne pas dans la mesure où elle avait décidé la même chose dans une affaire où l'assuré avait participé aux négociations du contrat à propos duquel il affirmait ne pas avoir été suffisamment informé du fait de l'absence de notice (15) !
La solution peut se justifier par la lettre du texte qui prévoit la remise de cette notice. Elle a aussi l'avantage, comme le souligne Jean Bigot, d'éviter un contentieux infini sur le niveau d'information de l'adhérent même en l'absence de notice. Par ailleurs, on notera qu'il importe peu que l'assuré ait fini par avoir des informations sur le contrat qui le liait à l'assureur. Ce que la réglementation impose c'est qu'il ait, au moment de la souscription, ou après sa modification, un accès à un document complet lui permettant de prendre la mesure de son engagement et de faire valoir ses droits avec facilité.
A plus d'un égard, ce n'était pas le cas dans la présente espèce et on peut admettre que le défaut de remise de la notice soit à l'origine de difficultés qu'il convient de compenser.
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Réf. : Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-22.747, F-D (N° Lexbase : A7952MXS)
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Le 18 Octobre 2014
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Réf. : CE référé, 1er octobre 2014, n° 384871 (N° Lexbase : A2309MY8)
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Le 29 Octobre 2014
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 16 Octobre 2014
I - La multipostulation pour tous : une somme de bonnes raisons...
Il n'y a qu'à reprendre un article paru dans la Gazette du Palais, les 4 et 5 avril 2014, sous la plume conjointe d'Hubert Flichy et d'Antoine Genty, La multipostulation pour tous, pour s'en convaincre.
Sans revenir sur le régime de la territorialité de la postulation, il est utile de rappeler, d'abord, que les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires (loi n° 71-1130, art. 5 N° Lexbase : L6343AGZ). Ils exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend les activités antérieurement dévolues aux avoués. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les tribunaux de grande instance près desquels leur barreau est constitué.
Ainsi, le principe de territorialité de la postulation exige que l'avocat qui représente une partie à l'instance dans tous les cas où la représentation est obligatoire soit inscrit au barreau établi auprès du tribunal de grande instance saisi de l'affaire (CA Paris, 11ème ch., 29 juin 2005, n° 2004/07931 N° Lexbase : A6960DKY). Et, il appartient à tout avocat saisi par les débiteurs de se conformer aux règles de sa profession en orientant ses clients vers un avocat postulant s'il ne l'est pas lui-même (CA Lyon, 15 mars 2012, n° 11/06118 N° Lexbase : A8530IEN).
Bien entendu, tout principe subit ses exceptions ; et ce serait là le premier écueil de ce régime de la territorialité de la postulation : il romprait, de fait, avec le principe d'égalité entre tous les avocats.
L'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 prévoit, en effet, plusieurs dérogations au régime de postulation.
Ainsi, les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues aux avoués auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Et, les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne peuvent postuler devant chacune de ces juridictions.
Enfin, les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Nîmes et Alès peuvent postuler devant chacune de ces juridictions.
Cette multipostulation n'est cependant pas applicable aux procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation. Cette exception à la multipostulation s'applique à tous les actes de la procédure de saisie immobilière soumis à la représentation obligatoire (Cass. civ. 2, 5 mai 2011, n° 10-14.066, F-P+B N° Lexbase : A2641HQU).
Etrangement, si le principe de la territorialité de la postulation n'a pas fait l'objet d'une remise en cause par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ses dérogations, elles, n'ont pas connu le même égard, même si la QPC relative à la dérogation issue de l'éclatement du tribunal de la Seine n'a pas été transmise à la Cour de cassation (CA Versailles, 18 octobre 2012, n° 12/00028 N° Lexbase : A5215IUP), et si celle relative à la territorialité de la postulation en matière de saisie immobilière n'a pas été transmise au Conseil constitutionnel (Cass. QPC, 12 octobre 2011, n° 11-40.064, F-P+B N° Lexbase : A7577HYB).
Donc, premier argument : les avocats ne sont pas égaux devant le principe de la territorialité de la postulation et, par conséquent, l'exception de multipostulation devrait être la règle.
Deuxièmement, on notera non sans malice que le principe de la territorialité de la postulation est finalement l'exception dans le grand enchevêtrement de la justice française. D'abord, il n'est pas applicable aux juridictions administratives, tribunaux administratifs en têtes, ni devant les tribunaux de commerce, ni même devant les conseils de prud'hommes. Reste le sort des cours d'appel réglé depuis la disparition des avoués, profession fusionné à celle des avocats par la loi du 25 janvier 2011 (loi n° 2011-94 N° Lexbase : L2387IP4). Comme après la disparition des avoués en première instance, en 1971, le principe et ses exceptions prévalent également en appel à ceci près que le régime se complexifie quand un avocat parisien relève appel d'une décision du tribunal de Nanterre devant la cour d'appel de Versailles... Les auteurs de l'article précité appellent, d'ailleurs, de leurs voeux une intervention législative pour simplifier ce régime dérogatoire... de la multipostulation ; c'est le serpent qui se mord la queue : faire de l'exception la règle, puis devoir simplifier cette nouvelle règle car elle est plus byzantine que l'ancienne !
Troisième argument et non des moindres : les "temps modernes", les nouvelles technologies. Pour faire simple, le TGV est à portée de gare et l'avion prend le relais pour permettre la présence de l'avocat multipostulant aux quatre coins de l'hexagone... et de l'outre-mer !
Ensuite, courriels et RPVA permettent clairement de communiquer à distance les pièces d'un dossier ; le système fonctionne sur une même région, pourquoi ne pas le généraliser sur tout le territoire comme en matière administrative du reste ? L'espace et le temps sont distendus ; la territorialité de la postulation n'aurait plus de raison d'être à l'heure d'internet ?
Le coût de la postulation est le quatrième argument le plus souvent invoqué. Nécessairement, l'intervention d'un deuxième avocat, aux côtés du dominus litis représente un coût supplémentaire ; encore que, d'une part, le tarif de postulation soit réglementé et non véritablement réévalué depuis un décret de 1960 ; et la mise en état et le suivi de la procédure par le dominus litis représente un coût qui sera tout de même répercuté, sans la garanti de ce fameux tarif de postulation réglementé...
La responsabilité partagée, alors que le dominus litis maîtrise l'ensemble du dossier serait une hérésie au détriment du postulant... Mais, peut-on lui laisser le choix justement de prendre cette responsabilité, en conduisant promptement la procédure devant la juridiction en cause, ou bien de la laisser choir ?
Enfin, argument suprême : la Commission européenne pousserait la France à éliminer les restrictions "injustifiées" dans les secteurs et professions réglementés : où l'on voit poindre le régime de la libre concurrence dans les secteurs dits "privilégiés".
La solution à tous ces maux ? La multipostulation pour tous, laissant libre les avocats de faire appel à des correspondants, parce que, reconnaît-on tout de même : c'est tout même bien souvent mieux pour la conduite de l'affaire devant le tribunal -là encore, le serpent de la connaissance se mort aisément la queue-. Ainsi, certains cabinets se spécialiseraient dans la "correspondance locale" d'avocats multipostulants, tandis que les autres seraient priés de revoir la structure de leur activité et de leur clientèle... vers le service de l'aide juridictionnelle peut-être ?
Bien évidemment, il est un aspect de la profession d'avocats étrangement passé sous silence par la voix de la raison : l'avocat est auxiliaire de justice ; il participe de l'oeuvre de justice ; et cette justice n'est ni centralisée -malgré la dernière réforme de la carte judiciaire-, ni... écrite.
II - ... ne donne pas toujours raison : le maillage territorial assuré par le régime de la postulation, une obligation de l'avocat-auxiliaire de justice
"Il y a deux sortes de justice : vous avez l'avocat qui connaît bien la loi, et l'avocat qui connaît bien le juge". Dans son sketch, Le chômeur, Coluche se trompait quelque peu. Une bonne justice nécessite les deux !
D'abord et avant tout, la territorialité de la postulation présente intrinsèquement un avantage indéniable : la proximité avec les gens de justice, avec le juge et les procédures en oeuvre auprès du tribunal au sein duquel tous officient. Le facteur humain n'est pas accessoire dans l'oeuvre de justice et la procédure judiciaire ne saurait se passer, aujourd'hui, des nombreux contrats de procédure entre barreaux et juridictions.
Or, ces contrats de procédure et autres vade-mecum ou conventions juridiction /greffe/barreau sont le fruit d'un partenariat que seul la proximité permet, d'une part, et que la singularité, le pragmatisme local, légitime. Autrement dit, si l'ensemble de ces aides à la procédure s'appuie sur le Code de procédure civile, la mécanique du processus judiciaire n'est pas exactement la même partout ; et seul un avocat correspondant local est à même d'en connaître les rouages sans coup férir pour le client.
"Cette fiabilité est aussi un gage de qualité et de célérité de la justice à l'heure de la baisse du nombre des magistrats. Interlocuteur de proximité du juge dont il connaît la jurisprudence, l'avocat postulant est aussi le conseil de son confrère, le dominus litis, qu'il renseignera sur l'avancement du dossier, l'état de la procédure, les qualités des parties, et qu'il substituera dans ses démarches voire à l'audience", prenait soin de préciser Philippe Leconte, Directeur général de Lexavoué, Avocat au barreau de Bordeaux.
Et, si l'on veut bien tomber dans la métaphore de la commercialité de la profession d'avocat, "avoir une zone cible plus réduite n'est pas forcément négatif. La connaissance plus forte des populations (INSEE, Sirene) permet aux franchisés de mener des actions avec un meilleur impact. La zone visée est plus petite, mais son exploitation est bien meilleure que dans le passé. Les études confirment cette tendance. Un territoire dont le maillage (par un même réseau) est fort, augmente le chiffre d'affaires de chaque magasin :
1 - la notoriété de la marque est forte ;
2 - l'accès aux points de vente est plus simple ;
3 - les franchisés collaborent et s'aident" (Le Nouvel Economiste).
En clair, la territorialité de la postulation rend plus de services qu'elle ne génère de complexité ou de problème.
Ensuite, cette territorialité présente deux avantages extrinsèques : le maintien du service public de la Justice et de l'organisation de l'aide juridictionnelle par la présence continue et soutenue d'avocats sur tout le territoire ; et le maintien d'une assistance pour les locaux qui serait, dès lors, sans doute obligés de recourir à un avocat des "grandes villes", une fois le maillage territorial détricoté.
On sait que la généralisation de la multipostulation sonnera le glas de nombreux cabinets de province dont l'activité rassemble conseil, assistance, postulation et aide juridictionnelle. Le dernier volet étant responsable de la paupérisation d'une partie de la profession, du fait de la sous-dotation étatique, si l'on supprime la postulation, l'équilibre économique de nombre de cabinet serait en péril. Or, c'est cet équilibre qui leur permet de rester dans certaines villes où l'activité de conseil et la représentation "classique" ne sont pas légions et ne suffisent que rarement à la rentabilité du cabinet. L'avocat, auxiliaire de justice, doit répondre à un certain nombre d'obligations du fait de son statut, notamment au regard de sa déontologie (humanité, désintéressement, dévouement...) et de l'aide juridictionnelle. La préservation du maillage territorial de l'assistance devant les tribunaux est une obligation de l'Etat à leur égard, mais surtout à l'égard des justiciables.
Enfin, il est étonnant d'amorcer un mouvement de centralisation de la justice (carte judiciaire et généralisation de la multipostulation obligent) quand la décentralisation fut le maître mot de ces trente dernières années.
Plus fondamentalement encore, la suppression du régime de la territorialité de la postulation est lourde de signification sur les ambitions libérales, à n'en pas douter, d'abord et avant tout, de la Commission européenne.
III - Avocat : entre profession commerciale et fonctionnaire du ministère de la Justice ?
Est-il vraiment nécessaire de développer le processus de libéralisation de la profession d'avocat, par ailleurs certes profession libérale et indépendante, mais dépendant plus de la Chancellerie en principe que de Bercy ?
Les deux derniers verrous que la Commission européenne a fait sauter sont loin d'être symboliques : l'interprofessionnalité capitalistique et la publicité/sollicitation personnalisée.
Pour la première, on sait que, si le cadre est désormais fixé, l'indépendance de la profession, sa spécificité et son mode d'organisation vont avoir mal à partir avec l'entrée de tiers au capital des sociétés d'avocats. Sur le papier, cela permettra des investissements complémentaires, une meilleure compétitivité et rentabilité peut-être, mais la vie sociétale sans trouvera complexifiée ; d'autant que l'interprofessionnalité entre métiers du droit et du chiffre est loin d'être acquise.
En ce qui concerne la publicité/sollicitation personnalisée introduite par la loi "Hamon" (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation N° Lexbase : L7504IZX) et en attente d'un décret d'application pour sa mise en oeuvre dans le respect des règles déontologiques de la profession, certains, comme notre Directeur scientifique, Hervé Haxaire, ont relevé avec pertinence que cette libéralisation ne sera sans doute pas au bénéfice de tous les avocats. Elle risque, au contraire, d'opérer une fracture au sein de la profession entre grands cabinets, dont les services de communication et de marketing sont déjà rodés, et les plus petits dont l'intuitu personae et le réseau font offices de publicité jusqu'à présent.
Et, si l'on conjugue le tout avec le développement du "braconnage du droit", et surtout des officines à la lisière du conseil et de l'assistance juridique et judiciaire, la boucle est bouclée : la généralisation de la multipostulation est la pierre d'achoppement de la libre concurrence au sein de la profession d'avocat ; une libre concurrence envisagée et régulée comme si la profession était devenue d'essence commerciale.
In fine, l'on comprend bien que la profession que l'on disait scindée entre conseil et assistance, se retrouverait de facto fractionnée entre grands cabinets multipostulants hautement concurrentiels et petits cabinets exclusivement tournés vers le service public assisté de l'aide juridictionnelle, proche de la "fonctionnarisation"...
Tels sont les enjeux, à notre sens, de la généralisation de la multipostulation, vus par un oeil extérieur à la profession. A chacun, de prendre, dès lors, ses responsabilités quant au devenir de ce projet de réforme plus d'envergure qu'il n'y paraît.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 10 octobre 2014, n° 356722, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2243MYQ)
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N4123BUA
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Le 16 Octobre 2014
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Réf. : Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B (N° Lexbase : A2088MYY)
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Le 16 Octobre 2014
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 8 octobre 2014, n° 370644, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0011MY3)
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N4087BUW
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Le 16 Octobre 2014
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Réf. : Cons. const., 8 octobre 2014, n° 2014-418 QPC (N° Lexbase : A9167MXS)
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N4091BU3
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Le 17 Octobre 2014
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N4180BUD
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP
Le 16 Octobre 2014
L'ordonnance du 12 mars 2014 (N° Lexbase : L7194IZH), qui a modifié pour la deuxième fois la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), et qui est entrée en application le 1er juillet 2014, vient d'être retouchée par l'ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014.
Ce texte est intitulé "ordonnance complétant l'ordonnance n° 2014-326 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives". Le titre de l'ordonnance laisse entendre qu'il s'agit simplement de compléter l'ordonnance du 12 mars 2014 (I). Cela est exact, mais ne reflète pas l'intégralité du texte, qui contribue également à dissiper quelques incertitudes d'interprétation (II) et vient encore corriger quelques malfaçons (III).
Il conviendra enfin d'apporter des précisions sur l'application de l'ordonnance du 26 septembre 2014 dans le temps (IV).
I - Le complément de l'ordonnance du 12 mars 2014
La poursuite de la chasse aux saisines d'office constitue sans doute la préoccupation essentielle du texte.
Tout d'abord, l'article 2 supprime la possibilité de la saisine d'office aux fins de conversion d'une sauvegarde en redressement judiciaire pour apparition de l'état de cessation des paiements (C. com., art. L. 621-12, al. 2 N° Lexbase : L3097I4H). Cette suppression fait clairement écho à une décision de la cour d'appel de Douai (CA Douai 2ème ch., 2ème sect., 17 juillet 2014, n° 14/01469 N° Lexbase : A5331MUY) qui a transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point.
Ensuite, l'article 9 supprime la saisine d'office aux fins de reprise de la liquidation judiciaire clôturée prématurément pour insuffisance d'actif (C. com., art. L. 643-13, al. 2 N° Lexbase : L3104I4Q).
Enfin, l'article 5 de l'ordonnance répond à la préoccupation d'un débiteur qui, ayant déclaré son état de cessation des paiements, sollicite l'ouverture d'un redressement, sans subsidiairement demander l'ouverture d'une liquidation. Le tribunal, après avoir recueilli ses observations, pourra ouvrir une liquidation si manifestement il n'existe plus de chance de redressement (C. com., art. L. 631-7 N° Lexbase : L3100I4L). Réciproquement, l'article 7 permettra, dans les mêmes conditions, l'ouverture d'un redressement si subsistent des chances de redressement, alors que seule l'ouverture de la liquidation judiciaire avait été demandée (C. com., art. L. 641-1, I N° Lexbase : L3102I4N).
Le texte innove en prévoyant que le Trésor public fera l'avance de ce que l'on peut brevitatis causa appeler les frais de greffe, de signification et de publicité du jugement de clôture du rétablissement professionnel (C. com., art. L. 663-1, IV N° Lexbase : L3106I4S ; ordonnance n° 2014-1088, art. 11), précision indispensable compte tenu du caractère impécunieux par nature de cette procédure.
II - La dissipation de difficultés d'interprétation née de l'ordonnance du 12 mars 2014
L'ordonnance du 26 septembre 2014 dissipe deux séries de difficultés d'interprétation.
La première est née de la suppression de la dissolution des sociétés par l'effet de la liquidation judiciaire et, par conséquent, du maintien en fonction des dirigeants sociaux. Qui va devoir établir les comptes sociaux, les arrêter et les faire approuver par l'assemblée des associés ?
L'ordonnance (article 8) y apporte implicitement la réponse, en précisant que le liquidateur pourra demander au président du tribunal la désignation d'un mandataire ad hoc si ces derniers ne font pas le nécessaire (C. com., art. L. 641-3, al. 3 N° Lexbase : L3103I4P), ce qui revient à poser en règle que ce sont les organes sociaux qui doivent remplir cette mission, et non le liquidateur.
L'ordonnance du 26 septembre 2014 (article 3) supprime une autre difficulté d'interprétation, celle de savoir si les seuils pour l'ouverture d'une sauvegarde accélérée étaient partiellement cumulatifs ou totalement alternatifs. L'ordonnance tranche en faveur de la seconde interprétation. Il suffira que le débiteur soit emploie au moins 20 salariés, soit réalise au moins 3 000 000 d'euros de chiffre d'affaires hors taxes, soit enfin qu'il ait un total de bilan d'au moins 1 500 000 euros.
III - La suppression de malfaçons rédactionnelles contenues dans l'ordonnance du 12 mars 2014
Pour le surplus, l'ordonnance aux articles 4, 6 et 10 répare des petites malfaçons. Aux articles 4 et 10, il s'agit de l'utilisation de vocables inappropriés, tels ceux d'ordonnance à la place de jugement, dans la clôture du rétablissement professionnel ou l'adjectif anticipée à propos de la sauvegarde accélérée, vocable qui avait été malencontreusement utilisé dans le projet d'ordonnance et qui fort opportunément n'a pas été maintenu dans le texte définitif. A l'article 6, il s'agit de remplacer le visa du "livre" par celui du "titre" pour évoquer les règles du plan de cession.
IV - L'application de l'ordonnance du 26 septembre 2014 dans le temps
L'article 13 de l'ordonnance règle enfin les conditions d'application dans le temps de l'ordonnance.
Il commence par préciser que ses dispositions s appliquent par principe aux procédures en cours, ce qui est logique s'agissant de simples retouches à des dispositions antérieures à l'ordonnance du 12 mars 2014.
S'il est question de modifications de règles introduites par l'ordonnance du 12 mars 2014, laquelle n'est applicable qu'aux procédures ouvertes à compter du 1er juillet, il est logique de prévoir que l'ordonnance du 26 septembre 2014, qui les retouche, ne s'appliquera qu'aux procédures ouvertes à compter du 1er juillet 2014. C'est le cas des articles 3 et 4 qui intéressent la sauvegarde accélérée, de l'article 8 qui tire les conséquences de la suppression de la dissolution des sociétés placées en liquidation et de l'article 10 relatif au rétablissement professionnel.
Une seule exception est posée par le texte pour le rétablissement professionnel, celle de l'article 11, qui concerne l'avance des fonds par le Trésor public. La disposition ne s'appliquera qu'aux rétablissements professionnels ouverts à compter du 28 septembre 2014. Si l'on comprend "l'économie" de la disposition transitoire, elle n'en présente pas moins des inconvénients sérieux pour les quelques rétablissements professionnels qui auront été ouverts entre le 1er juillet et le 27 septembre 2014. Il faut sans doute comprendre qu'aujourd'hui, il n'y a plus de petites économies...
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
La revendication continue-t-elle à s'imposer lorsque, à l'intérieur du délai de l'action, l'organe compétent aura opté pour la continuation du contrat en cours ? Telle est la question clairement tranchée par la Chambre commerciale dans un arrêt du 16 septembre 2004. L'importance de la solution doit être soulignée et l'on s'étonnera que cette décision n'ait pas été élue à la publication au bulletin.
Le contexte factuel de cette espèce, régie par les dispositions de la loi de sauvegarde des entreprises dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), est aussi simple que banal. Une société débitrice, à laquelle une société bailleresse avait donné en location un véhicule, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire alors que le contrat de location était en cours. Quelques jours après l'ouverture de la procédure collective, et avant même la publication de l'avis au Bulletin des annonces civiles et commerciales, la société débitrice a notifié son désir de poursuivre le contrat en y annexant l'avis favorable du mandataire judiciaire. Le caractère régulier de la poursuite du contrat ne faisait donc aucun doute. Près de cinq mois après la publication du jugement d'ouverture au BODACC, la procédure fut convertie en liquidation judiciaire, ce qui avait alors conduit le propriétaire à revendiquer la propriété du véhicule donné en location. Les juges du fond (CA Agen, 16 mai 2013 n° 12/00754 N° Lexbase : A4838KDK) avaient estimé recevable la requête et ordonné la restitution du véhicule en retenant que le délai de revendication n'avait pas commencé à courir, dès lors, d'une part, que l'ouverture de la procédure collective n'avait pas entraîné la résiliation du contrat en cours et que, d'autre part, la débitrice avait notifié au bailleur la poursuite régulière du contrat.
Sur le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire, la Chambre commerciale censure l'arrêt d'appel en posant la solution selon laquelle "la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture, le bien revendiqué fît-il l'objet d'un contrat en cours".
Il s'agit là de la première fois, à notre connaissance, que la Chambre commerciale se prononce aussi clairement (1) sur cette épineuse question. Elle faisait l'objet d'un débat en doctrine, alimenté par les réformes successives. Il faut d'abord rappeler que, dans la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), dans sa rédaction initiale, le législateur n'avait pas songé à coordonner les règles de la continuation des contrats avec les dispositions relatives aux revendications. La tâche est alors revenue à la jurisprudence d'assurer cette coordination. La Chambre commerciale a alors considéré que l'action en revendication, prévue à l'article 115 de la loi du 25 janvier 1985 et enfermée dans le délai de trois mois (qui courait, à cette époque, à compter du jugement d'ouverture), n'avait pas à être exercée par le propriétaire dont le contrat avait été poursuivi à l'intérieur de ce délai (2).
Cette solution avait partiellement inspiré le législateur du 10 juin 1994 puisque cette loi de réforme de la loi du 25 janvier 1985 a coordonné les règles de la continuation des contrats et des revendications (cf. ancien article L. 621-115 du Code de commerce N° Lexbase : L6967AIU repris par C. com., art. L. 624-9, dans sa version issue de la "LSE" N° Lexbase : L3777HBI,). En effet, il résultait de l'ancien alinéa 2 de l'article L 624-9 issu de la loi de réforme de 1994 que, si le bien meuble faisait l'objet d'un contrat en cours, le délai de revendication ne commençait à courir qu'à compter de la résiliation ou de l'arrivée à terme du contrat. En revanche, si le contrat n'était plus en cours au jour du jugement d'ouverture, le délai de trois mois ouvert aux propriétaires pour revendiquer courait de la publication au Bodacc de l'avis d'ouverture de la procédure collective.
Le "cadeau" ainsi fait au propriétaire pouvait parfois s'avérer empoisonné au regard de la complexité des règles relatives à la détermination de la date de résiliation des contrats et de l'impérieuse nécessité dans laquelle se trouvait alors le propriétaire de suivre attentivement la "vie" de son contrat afin d'en repérer précisément la date de résiliation, point de départ du délai de revendication.
Les choses ont été simplifiées pour le propriétaire par l'ordonnance du 18 décembre 2008. Cette première réforme de la loi de sauvegarde a, en effet, purement et simplement supprimé l'alinéa 2 de l'article L. 624-9 qui prévoyait que lorsque le contrat était en cours, le délai de revendication courait de la résiliation ou de l'arrivée à terme du contrat. Ainsi, le délai de revendication court-il, depuis lors, systématiquement de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc. Puisque sous l'empire de la législation actuelle, comme sous celui de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction initiale, le cours du délai de revendication est unitaire (3), s'est donc posée avec évidence la question suivante : la solution, adoptée par la jurisprudence sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, selon laquelle la continuation du contrat dispensait les propriétaires de revendiquer, doit-elle être reconduite aujourd'hui ? Pour un éminent auteur (4), la réponse devait être affirmative, la revendication devenant à ses yeux inutile lorsqu'une option en faveur de la continuation du contrat aurait été formulée avant l'expiration du délai de revendication. Ce sentiment n'était pas partagé par un autre auteur (5) qui considérait que la revendication s'imposait, que le contrat soit continué ou non. La divergence doctrinale est aujourd'hui clairement tranchée par la Chambre commerciale qui juge dans l'arrêt rapporté que "la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture, le bien revendiqué fît-il l'objet d'un contrat en cours [nous soulignons]".
La solution posée par cet arrêt doit être totalement approuvée à la lecture de l'article L. 621-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC, disposition de la sauvegarde applicable au redressement et à la liquidation judiciaire par renvoi des articles L. 631-18 N° Lexbase : L3322ICZ et L. 641-14 N° Lexbase : L8104IZ8) qui prévoit, sans distinction aucune, que "la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure". Même si la position de la Chambre commerciale peut paraître sévère pour le propriétaire, elle respecte parfaitement la lettre du texte. Dura lex sed lex ! Un autre argument commandait une telle solution. Ainsi que l'avait relevé Pierre-Michel Le Corre (6), contrairement à la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction initiale, la loi de sauvegarde des entreprises modifiée par l'ordonnance du 18 décembre 2008 coordonne les règles de la continuation des contrats en cours et celles de l'action en revendication. En effet, l'ordonnance de 2008 a inséré dans le Code de commerce un article L. 624-10-1 (N° Lexbase : L3522ICG) prévoyant que lorsque le bien fait l'objet d'un contrat en cours, la restitution effective intervient au jour de la résiliation ou du terme du contrat. Est ainsi envisagée l'hypothèse dans laquelle le contrat est en cours pendant le délai de l'action en revendication. Au contraire, sous l'empire de la loi de 1985 dans sa rédaction initiale, le texte ne prévoyait pas que la restitution effective découlant du succès de l'action en revendication était différée jusqu'au terme du contrat. Cette absence de coordination avait conduit la jurisprudence de l'époque à dispenser le propriétaire d'avoir à revendiquer dès lors que le contrat avait été continué. Dans l'état actuel de la législation, il n'y a plus de "mutisme législatif", de sorte qu'il n'y a plus place à le faire "parler" (7). La coordination opérée sous l'empire de la législation actuelle entre la revendication et la continuation des contrats conduit donc très logiquement la jurisprudence à considérer aujourd'hui que la revendication s'impose que le contrat soit continué ou non.
Mais il y a plus encore. La revendication désigne l'action par laquelle le propriétaire d'un meuble entend rendre opposable son droit de propriété à la procédure collective. Cette définition fait clairement apparaître qu'il importe peu que le bien puisse ou non être restitué, la restitution n'étant que la conséquence seconde de la reconnaissance première du droit de propriété.
La solution posée par la Cour de cassation ne pouvait donc, sur le plan de l'orthodoxie juridique, que s'imposer.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) Dans le même sens, mais plus timidement : Cass. com. 12 mars 2013, n° 11-24.729, FS P+B (N° Lexbase : A9689I9Q), nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2013 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 335 du 18 avril 2013- édition affaires (N° Lexbase : N6669BT8), qui juge que la mise en demeure d'avoir à opter sur la poursuite du contrat n'invitant pas son destinataire à se prononcer sur le droit de propriété de la bailleresse ne valait pas demande en revendication.
(2) Cass. com., 20 octobre 1992, n° 90-19.100, publié (N° Lexbase : A4739AB7), Bull. civ. IV, n° 316 ; Dr. sociétés, 1994, n° 93, obs. Y. Chaput. Et plus nettement, Cass. com., 6 décembre 1994, n° 92-18.722, deux arrêts (N° Lexbase : A3941ACX), n° 92-16.931 (N° Lexbase : A7137ABX), Bull. civ. IV, n° 365 et 367, LPA, 23 janvier 1995, p. 10, note B. Soinne, Rev. huissiers, 1995, 449, note Courtier, JCP éd. E, 1995, I, 457, n° 14, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 1995, II, 698, note L. Leveneur ; Cass. com., 9 janvier 1996, n° 93-16.113, publié (N° Lexbase : A1207ABC), Bull. civ. IV, n° 11, D., 1996, Somm. 213, obs. F. Pérochon.
(3) Trois mois, à compter du jugement d'ouverture, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction initiale ; trois mois, à compter de la publication du jugement d'ouverture, sous l'empire de la législation actuelle.
(4) Ph. Pétel, Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II - commentaire de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, JCP éd. E, 2009, Etude 1049, n° 37.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2013/2014, n° 813.54.
(6) P.-M. Le Corre, préc..
(7) P.-M. Le Corre, préc..
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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 16 Octobre 2014
Depuis l'adoption de l'article 8 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985, de finances pour 1986, le changement d'objet social ou le changement réel de l'activité entraîne les conséquences liées à la cessation d'activité quand bien même la structure du capital social n'aurait pas été modifiée. Cette intervention législative est venue consacrer une interprétation jurisprudentielle de l'article 209 I du CGI (N° Lexbase : L1413IZD) dont les dispositions ont trait à l'imputation des déficits de l'exploitation de l'entreprise, considérés alors comme une charge de l'exercice suivant, sur les résultats ultérieurs de l'entreprise en présence de pertes, et sans limitation de durée depuis l'adoption de la loi de finances pour 2004 (1). L'innovation prétorienne s'est manifestée au début des années 70 (2) par l'adoption d'un principe subordonnant le droit au report des déficits à la condition que la personne de l'exploitant et l'objet de l'entreprise soient identiques (3). Elle imposait alors à l'époque un critère alternatif tenant en des transformations "dans sa composition ou dans son activité [...] telles que, tout en ayant conservé son identité juridique, elle n'est plus, en réalité, la même" (4). Cette jurisprudence a permis à l'administration fiscale de "faire l'économie du recours à la notion d'abus de droit" en cas de changement d'objet social ou d'activité (5) et a été conditionnée par le recours direct à la notion du réalisme du droit fiscal (6). Il est particulièrement intéressant de noter comment la doctrine de l'identité d'entreprise a été élaborée en évitant soigneusement d'invoquer la notion d'abus de droit : le résultat est équivalent, car il s'agit de remettre en cause les effets de la modification du pacte statutaire, mais il est en principe expurgé de toute sanction administrative et de toute garantie propre à la mise en oeuvre d'une procédure extraordinaire. La règle de l'identité d'entreprise, compréhensible lorsqu'il s'agit de lutter contre la fraude, ne pouvait que susciter la réserve dans les hypothèses, de loin les plus nombreuses dans les faits, de restructurations d'entreprises motivées par la survie économique. La pratique du juge de l'impôt a démontré qu'un changement profond d'activité devait être démontré par l'administration : c'est ainsi qu'une société (7) qui vendait des vêtements de sport sous l'enseigne "Sport 2000", après avoir commercialisé des vêtements sous la marque "Benetton", ne pouvait pas être regardée comme ayant changé d'activité, au sens de l'article 221-5 du CGI, malgré une période d'inactivité de trente-et-un mois et le renouvellement tant de la gérance de la SARL que du capital de la société. Il s'agissait bien de la vente de textile et il faut se féliciter que la jurisprudence n'ait pas poussé le raisonnement jusqu'à opérer de subtiles distinctions entre des marques de vêtement ou entre les différentes natures de vêtements considérés, pour en déduire que l'entreprise avait réellement changé d'activité.
Cette jurisprudence, qui peut être perçue comme étant pragmatique par certains et laxiste par d'autres, a entraîné une réforme, applicable pour les entreprises dont les exercices ont été clôturés à compter du 4 juillet 2012, afin de briser ce courant jurisprudentiel jugé trop proche des intérêts des contribuables (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 15) et qui vient d'être commentée par l'administration fiscale.
Dans le cadre de la présente chronique, et afin de ne pas décourager prématurément nos lecteurs, nous mentionnerons quelques éléments clefs de cette doctrine qui est un monument de la littérature administrative : la simplification fiscale, ce n'est visiblement pas pour maintenant.
Cette réforme entraîne les conséquences de la cessation d'entreprise notamment en cas de disparition des moyens de production nécessaires à la poursuite de l'exploitation pendant une durée de plus de douze mois, sauf en cas de force majeure, notion toujours entendue restrictivement, tant par la doctrine administrative que par la jurisprudence (v. pour des exemples : nos obs., Chronique de droit fiscal des entreprises - mai 2008, Lexbase Hebdo n° 303 du 7 mai 2008 - édition fiscale N° Lexbase : N8897BEA) étant précisé que la disparition de l'intégralité des moyens de production imputable à un événement climatique pourra être considérée comme un cas de force majeure de nature à ne pas entraîner les conséquences de la cessation d'entreprise. Cette dernière s'applique également lorsque la disparition des moyens de production est suivie d'une cession de la majorité des droits sociaux : l'interruption d'activité des sociétés est désormais proscrite et la jurisprudence favorable aux contribuables sur ce point est contrariée (CE 8° et 3° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc. ; CE 3° et 8° s-s-r., 25 février 2008, n° 287726, inédit au recueil Lebon, N° Lexbase : A3698D74 ; nos obs., Chronique de droit fiscal des entreprises-avril 2008, Lexbase Hebdo n° 299 du 2 avril 2008-édition fiscale, N° Lexbase : N6232BEK). Il en sera ainsi en cas de vente, échange, apport, partage, donation portant sur la propriété des droits sociaux (parts sociales, actions ordinaires, actions de préférence) composant le capital social au profit d'un ou de plusieurs cessionnaires. Dans l'hypothèse d'une vente fractionnée, l'administration retiendra la date de la cession du lot qui emporte le franchissement du seuil de 50 %. Les contribuables pourront toutefois solliciter un agrément lorsque la disparition temporaire des moyens de production pendant une durée de plus de douze mois est justifiée par des motivations principales autres que fiscales (condition régulièrement reprise dans les textes fiscaux depuis plusieurs années), ainsi que l'adjonction, l'abandon ou le transfert d'une ou de plusieurs activités, lorsque cela est indispensable à la poursuite de l'activité à l'origine des déficits et à la pérennité des emplois. L'administration a ainsi indiqué que d'une manière générale, la société qui s'adjoint l'activité qui lui permet de compléter l'activité existante à partir de moyens d'exploitation nouvellement mis en oeuvre, sera considérée comme ayant changé d'activité, ce qui est le cas, à titre d'exemples, notamment :
- à la suite de l'adjonction d'une activité de production par une entreprise de conception et de distribution de software ;
- à la suite de l'adjonction d'une activité d'achat/revente de biens par une entreprise qui procédait jusque-là à la vente de biens de même nature pour le compte de tiers ;
- lorsqu'une société de transport de marchandises fait l'acquisition d'une activité de transport de personnes.
En revanche, l'adjonction d'une activité strictement identique à celle exercée initialement par la société ne s'analyse pas comme une adjonction susceptible de caractériser un changement d'activité : il en est ainsi lorsqu'une société de vente de chaussures fait l'acquisition d'une autre activité de vente de chaussures.
Les critères permettant de caractériser le changement d'activité en cas d'adjonction, d'abandon ou de transfert d'une ou de plusieurs activités doivent entraîner une variation de plus de 50 % du chiffre d'affaires (8) tenant compte des éventuels rehaussements soit à l'issue d'un contrôle fiscal soit lors du dépôt d'une déclaration rectificative, ou de l'effectif moyen et du montant brut des éléments de l'actif immobilisé (9).
S'agissant de l'agrément, il n'y aura pas de délivrance en cas de disparition des moyens de production suivie de la cession de la majorité des droits sociaux. L'appréciation des faits propres à chaque espèce est donc essentielle sachant que les moyens de production concernent :
- en toutes hypothèses, le fonds de commerce ;
- pour une société dont l'activité principale consiste à donner en location ou mettre à disposition à titre principal des biens (les biens objets des contrats de location ou de mise à disposition) ;
- pour une société ayant une activité de fabrication de pièces mécaniques (les machines ainsi que le personnel nécessaire au fonctionnement des dites machines).
Au contraire, la disparition d'actifs immobilisés et circulants ou de moyens humains non affectés ou non nécessaires à l'entreprise dans le cadre de l'exercice de son exploitation n'est pas prise en considération pour caractériser ou non la cessation d'entreprise.
S'agissant plus spécifiquement des moyens humains, la disparition du personnel résultera notamment d'une procédure de licenciement, de la mise à disposition d'une autre entreprise du personnel ou du non-renouvellement de contrats à durée déterminée. En revanche, une mise au chômage partiel ne caractérisera pas une cessation d'entreprise sur le plan fiscal : c'est une vraie chance qu'une punition fiscale n'ait pas succédé à un drame humain pour l'entrepreneur en difficulté.
II - Agrément et transfert des déficits (CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 370522, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8601MWH)
Les opérations de restructuration et le sort des déficits nécessitent d'exposer préalablement le cadre juridique applicable (A) avant d'évoquer la jurisprudence la plus récente (B).
A - Le cadre juridique
Une opération de restructuration entraîne le régime de la cessation d'entreprise c'est-à-dire la taxation des plus-values latentes et du bénéfice non encore imposé, la reprise des provisions, l'application des droits d'enregistrement à raison de l'augmentation de capital de la personne morale absorbante. Afin de ne pas freiner la nécessaire restructuration des entreprises françaises (P. Bertoni, Les politiques fiscales sous la cinquième république - Discours et pratiques (1958 - 1991), L'Harmattan, collection logiques juridiques, 1995, p. 100), alors perçue comme ayant un caractère intercalaire, le législateur a prévu une option (10) (CGI art. 210 A, N° Lexbase : L9521ITS; loi de finances pour 2002 n° 2001-1275, 28 décembre 2001, art. 85, N° Lexbase : L0938AWN (11) ; BOI-IS-FUS-10-20, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X6132ALP) ne profitant qu'aux personnes morales ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 210 C, N° Lexbase : L3945HLP) récemment étendue aux associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR) par la doctrine administrative (BOI-IS-FUS-1020-20, 13 juin 2014, N° Lexbase : X6436ALX ; BOI-ENR-AVS-20-60-30-10, N° Lexbase : X5385ALZ). Cependant, les opérations de fusion pour lesquelles une société apporteuse ou bénéficiaire d'un apport a son siège dans un Etat ou un territoire n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales sont exclues de ce régime de faveur. Lors d'une opération de restructuration, il n'est pas rare de devoir s'interroger sur le sort des déficits des entreprises en présence : alors que l'entreprise absorbante devra observer les dispositions de l'article 221-5 du CGI applicables en cas de changement d'activité réelle (cf. première partie), l'entreprise absorbée pourra solliciter un agrément dans des conditions ayant été substantiellement modifiées : à compter du 1er janvier 2002, un régime d'agrément de droit (loi de finances pour 2002, n° 2001-1275, du 28 décembre 2001 N° Lexbase : L0938AWN, CGI, art. 209, N° Lexbase : L1156ITY) a été substitué au régime d'agrément discrétionnaire délivré jusqu'alors (12). Le régime d'agrément de droit est accordé lorsque l'opération est justifiée du point de vue économique et qu'elle obéit à des motivations principales autres que fiscales ; l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé doit être poursuivie par la ou les sociétés bénéficiaires des apports pendant un délai minimum de trois ans ; l'opération est effectuée sous le régime de l'article 210 A du CGI. Depuis le 1er janvier 2005, le montant des déficits transférés n'est plus plafonné (13) (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, art. 42 N° Lexbase : L5204GUB). La loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-958, 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, préc.) a apporté des modifications (CGI, art. 209 II N° Lexbase : L9518ITP) qui concernent également les personnes morales ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L5189IRM ; CGI, art. 223 I 6, N° Lexbase : L9516ITM) : les déficits et intérêts susceptibles d'être transférés ne doivent pas provenir ni de la gestion d'un patrimoine mobilier par des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières dans d'autres sociétés ou groupements assimilés, ni de la gestion d'un patrimoine immobilier.
Dans un élan de méfiance fantasmagorique à l'égard des entreprises, la loi de finances rectificative pour 2012 a drastiquement durci les conditions d'octroi de l'agrément pour les exercices ouverts après le 4 juillet 2012 : c'est ainsi que l'agrément est subordonné au fait que le transfert des déficits n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse, pendant la période au titre de laquelle ces déficits ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012). Puis, l'activité transférée doit être poursuivie, par les structures absorbantes ou en bénéficiant pendant trois ans sans changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité.
B - Octroi d'un agrément : tentative de lecture extensive des dispositions de l'article 209 du CGI
L'offensive législative a été doublée d'un certain nombre de contentieux visant à limiter ouvertement le bénéfice de l'agrément de droit pour les entreprises qui s'étaient engagées dans cette démarche. On notera que cet agrément, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2002, fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Les faits de l'espèce rapportent qu'une société commerciale détenant l'intégralité d'une société exploitant deux magasins d'optique a procédé, en mars 2010, à une dissolution confusion avec effet rétroactif, comptablement, au 1er août 2009. La société a sollicité un agrément aux fins de transmission des déficits figurant dans les comptes de la société à la date de clôture du dernier exercice avant la dissolution. Puis, en mars 2011, l'administration fiscale a refusé de délivrer l'agrément en l'absence d'indication quant à la fraction des déficits relevant du fonds de commerce d'un des magasins cédé en janvier 2010 avant l'opération de dissolution confusion. Saisie par la contribuable, la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 10ème ch., 21 mai 2013, n° 12PA03645, N° Lexbase : A0811MRH) annulera le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Paris dès lors que les dispositions de l'article 209 II du CGI n'autorisaient pas l'administration fiscale à prendre en considération les modifications quant aux moyens d'exploitation effectuées antérieurement à l'opération de dissolution confusion. Si en effet, le texte exige une poursuite de l'activité à l'origine des déficits de la société confondue par la société confondante, il n'y avait aucun argument textuel permettant à l'administration d'opérer une telle distinction, ce qui revenait in fine à ajouter des conditions qui n'avaient pas été formellement exigées par le législateur. Il en est de même quant à la détermination de l'établissement à l'origine des déficits en l'absence de volonté expresse du législateur. Cette décision, confirmée en cassation, est favorable à juste titre à la thèse soutenue par le contribuable et elle illustre parfaitement l'important pouvoir d'appréciation dont bénéficie l'administration en pratique : en exigeant une justification économique démontrée par le contribuable (et dont les contours restent bien nébuleux) ce dernier ne pourra jamais a priori avoir l'assurance raisonnable que son opération de restructuration sera perçue comme conforme à la représentation que se font les fonctionnaires de Bercy de la vie quotidienne des entreprises françaises.
(1) Loi n° 2003-1311, 30 décembre 2003, art. 89-I-C (N° Lexbase : L6348DM3), et Instruction BOI 4 H-5-04 du 7 décembre 2004 (N° Lexbase : X6123ACR) ; BoFip-Impôts, BOI-IS-DEF-10, 10 avril 2013 (N° Lexbase : X8691ALH).
(2) CE, 9° et 7° s-s-r., 26 novembre 1971, n° 79981, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8151B8E) ; CE, 29 novembre 1972, n° 81954, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7996AYS), Dr. fisc., 1973, comm. 1692, concl. J. Delmas-Marsalet. La rédaction de la revue publie, notamment, une réflexion tirée de la tradition populaire "du Couteau de Jeannot' dont on remplace successivement la lame et le manche... et qui pourtant, après cela, reste le même couteau... tout en étant un autre".
(3) Pour un exposé de ce réalisme fiscal : J. Turot, Report déficitaire : les sanctions fiscales des changements et transferts d'activité, RJF, mars 1991, p. 151 ; J.-C. Parrot, Report déficitaire et principe d'identité d'entreprise : les conditions du changement d'activité réelle, Dr. fisc., 2000, p. 1576.
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3450DIM), RJF, août/septembre 2005, n° 834, concl. P. Collin, BDCF, août/septembre 2005, n° 99, Dr. fisc., 2005, comm. 769.
(5) Concl. O. Fouquet sous CE, 18 novembre 1985, req. 43321, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3048AMT), Dr. fisc., 1986, comm. 447.
(6) "Dans ces conditions, et au seul plan du réalisme du droit fiscal, il est bien difficile de considérer que la société issue de la fusion comme un simple prolongement de la société de Z..., anciennement Ets X..., surtout si l'on ajoute que cette dernière avait, antérieurement à la fusion, cessé pour partie son activité initiale.", concl. J. Delmas-Marsalet préc..
(7) CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(8) Cf. ligne FL du tableau 2052 joint à la déclaration 2065 si la société relève du régime du bénéfice réel ; lignes 210 à 218 du tableau 2033-B joint à cette déclaration si la société relève du régime réel simplifié.
(9) Le montant à prendre en considération, lorsque l'entreprise relève du régime du bénéfice réel, figure à la ligne BJ et correspondant au total des lignes de la colonne brut de l'actif immobilisé du tableau 2050 joint à la déclaration de résultat 2065 ; si l'entreprise est placée sous le régime simplifié d'imposition, on retiendra le montant devant figurer ligne 044 du tableau 2033-A.
(10) Le régime optionnel profite également aux dissolutions sans liquidation (aussi appelées dissolution-confusion) visées par l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM) ; aux scissions et aux apports partiels d'actif : "1 Les dispositions de l'article 210 A s'appliquent à l'apport partiel d'actif d'une branche complète d'activité ou d'éléments assimilés lorsque la société apporteuse prend l'engagement dans l'acte d'apport : a De conserver pendant trois ans les titres remis en contrepartie de l'apport ; b De calculer ultérieurement les plus-values de cession afférentes à ces mêmes titres par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans ses propres écritures. Les dispositions de l'article 210 A (N° Lexbase : L9521ITS) s'appliquent à la scission de société comportant au moins deux branches complètes d'activités lorsque chacune des sociétés bénéficiaires des apports reçoit une ou plusieurs de ces branches et que les associés de la société scindée s'engagent, dans l'acte de scission, à conserver pendant trois ans les titres représentatifs de l'apport qui leur ont été répartis proportionnellement à leurs droits dans le capital. Toutefois, l'obligation de conservation des titres n'est exigée que des associés qui détiennent dans la société scindée, à la date d'approbation de la scission, 5 % au moins des droits de vote ou qui y exercent ou y ont exercé dans les six mois précédant cette date, directement ou par l'intermédiaire de leurs mandataires sociaux ou préposés, des fonctions de direction, d'administration ou de surveillance et détiennent au moins 0,1 % des droits de vote dans la société" : CGI, art. 210 B (N° Lexbase : L3941HLK).
(11) Le législateur a, notamment, introduit une définition fiscale des fusions (CGI, art. 210-0 A, N° Lexbase : L2491HNL) interprétée par l'administration fiscale comme un élargissement du champ d'application du régime optionnel aux dissolutions sans liquidation (BOI-IS-FUS-10-20-10, § 20, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X4133ALN).
(12) Lorsque l'agrément discrétionnaire était délivré, le déficit transféré ne dépassait pas 40 % de la valeur d'apport des actifs industriels apportés. La doctrine rapporte que "le transfert de déficit a été accordé aux secteurs non industriels à haute intensité capitalistiques tels que les transports et le BTP par exemple.", Dr. fisc., 2002 ét. 1, p. 15.
(13) Du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2004, le déficit de la société apporteuse pouvait être transféré (dans la limite la plus importante) soit de la valeur brute des éléments de l'actif immobilisé de la société apporteuse affectés à l'exploitation (hors immobilisations financières) ; soit la valeur d'apport de ces éléments.
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Réf. : Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-13.661, FS-P+B (N° Lexbase : A7965MXB)
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N4184BUI
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 16 Octobre 2014
Résumé
La dissimulation par le salarié d'un fait en rapport avec ses activités professionnelles et les obligations qui en résultent peut constituer un manquement à la loyauté à laquelle il est tenu envers son employeur, dès lors qu'il est de nature à avoir une incidence sur l'exercice des fonctions. |
Commentaire
I - La dissimulation déloyale de la mise en examen du salarié
Obligation de loyauté : faits tirés de la vie professionnelle. Depuis la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 1222-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0806H9Q) impose que le contrat de travail soit "exécuté de bonne foi" (1). Cette exigence pèse en réalité sur les parties au contrat de travail depuis bien plus longtemps, ce temps ayant progressivement permis de dessiner les contours du domaine de cette obligation de loyauté, en particulier lorsqu'elle est à la charge du salarié.
Sur le plan temporel, on sait d'abord que le domaine de l'obligation de loyauté s'apprécie largement. Active dès la phase de conclusion du contrat de travail (2), elle porte surtout ses effets sur la phase d'exécution de celui-ci. Constitutive d'une obligation accessoire à l'obligation de fournir une prestation de travail, le salarié continue d'y être astreint pendant les périodes de suspension de son contrat de travail (3).
Obligation de loyauté : typologie des manquements. Sur le plan matériel, divers comportements sont habituellement constitutifs d'un manquement du salarié à son obligation de loyauté.
Tel est le cas, d'abord, lorsque le salarié manque à l'obligation de ne pas faire concurrence à l'employeur durant l'exécution du contrat de travail (4) et à l'hypothèse proche du détournement de clientèle (5). A cette première catégorie peut être assimilée la situation dans laquelle un salarié, durant un congé maladie, travaille pour le compte d'autrui et que ce comportement cause un préjudice à l'entreprise (6).
Il est relativement fréquent, ensuite, que l'expression excessive du salarié puisse constituer une violation de l'obligation de loyauté : le salarié ne doit pas dénigrer l'entreprise ou son fonctionnement (7). Les injures, insultes (8) et menaces (9) peuvent elles aussi caractériser une manifestation abusive de la liberté d'expression parfois qualifiée de manquement à l'obligation de loyauté. Le salarié peut même, à l'occasion, se voir imposer un devoir de réserve ou de discrétion que l'on peut sans peine rapprocher de ce devoir de loyauté (10).
A ces deux grands axes s'ajoute une liste plus hétéroclite de comportements qui ont, à l'occasion, été également qualifiés de manquements à la bonne foi : le refus du salarié de communiquer des informations essentielles au fonctionnement de l'entreprise durant la suspension de son contrat de travail (11), la tentative du salarié d'obtenir de ses subordonnés des attestations destinées à permettre la révocation des dirigeants de l'entreprise (12), le refus de restituer des documents ou fichiers informatiques à l'entreprise (13), etc.
Quoiqu'il en soit, le manquement à l'obligation de loyauté du salarié est le plus souvent caractérisé par une action : le salarié fait concurrence ou s'exprime abusivement. Il est bien plus rare, en revanche, qu'une inaction de sa part soit constitutive d'un manquement à l'obligation de loyauté, ce qui est toutefois le cas en l'espèce.
L'affaire. Une salariée, médecin conseil à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, était soupçonnée de différentes fraudes et avait été mise en examen du chef d'escroquerie en bande organisée pour des faits intéressant le paiement de prestations de Sécurité sociale. La Caisse employeur, qui ne s'était pas constituée partie civile, n'avait été avertie de la mise en examen par le procureur de la République qu'un mois et demi après le prononcé de la mesure par le juge d'instruction. A la découverte des poursuites pénales, l'employeur engagea une procédure disciplinaire qui s'acheva par le licenciement de la salariée pour faute grave.
En cause d'appel, la cour de Bastia débouta la salariée de ses demandes en contestation du bien fondé du licenciement. Elle considéra que la mise en examen ne pouvait être assimilée à un fait tiré de la vie privée, compte tenu de la nature de l'infraction recherchée, et que le fait que la salariée n'ait pas informé son employeur de la procédure pénale engagée "avait une nécessaire incidence sur son activité professionnelle et notamment sur la perception que pouvaient en avoir les assurés et d'autres collaborateurs".
La salariée forma pourvoi en cassation sur le fondement de quatre moyens. Deux d'entre eux ne sont pas examinés par la Chambre sociale. Le quatrième, relatif à la remise tardive des documents de fin de contrat, donne lieu à cassation, les juges d'appel n'ayant pas condamné l'entreprise alors que le manquement de l'employeur dans cette situation cause "nécessairement" un préjudice au salarié (14). C'est, enfin, sur le deuxième moyen que la Chambre sociale s'arrête le plus longuement par cet arrêt rendu le 29 septembre 2014.
La salariée contestait, au nom du principe de présomption d'innocence, le fait que la mise en examen, même en rapport avec son activité professionnelle, ait pu être retenue comme constituant un comportement fautif. Elle ajoutait, subsidiairement, que les juges du fond n'avaient pas caractérisé en quoi la mise en examen avait eu une incidence sur son activité professionnelle.
La Chambre sociale rejette le pourvoi. Par un chapeau interne, elle pose la règle selon laquelle "la dissimulation par le salarié d'un fait en rapport avec ses activités professionnelles et les obligations qui en résultent peut constituer un manquement à la loyauté à laquelle il est tenu envers son employeur, dès lors qu'il est de nature à avoir une incidence sur l'exercice des fonctions".
Constatant que les juges d'appel n'ont pas fondé leur décision "sur la seule mise en examen de la salariée", la Chambre sociale les approuve d'avoir retenu "que ce fait avait été caché à l'employeur alors qu'il était en rapport avec les fonctions professionnelles de la salariée et de nature à en affecter le bon exercice, a ainsi caractérisé un manquement de l'intéressée à ses obligations professionnelles".
II - Les tensions entre le rattachement aux fonctions du salarié et le respect de la présomption d'innocence
Le rattachement de la mise en examen à la vie professionnelle. Il faut, à vrai dire, consacrer une attention particulière à la lecture de cette motivation pour bien la comprendre. On passera rapidement sur la qualification de "fait" conférée à la mise en examen, qui semble, pourtant, constituer un acte judiciaire, une décision prise par un magistrat instructeur.
Le fait constitutif d'un manquement à l'obligation de loyauté est donc la dissimulation par la salariée de sa mise en examen alors que celle-ci était en rapport avec son activité professionnelle. Le premier enseignement que l'on peut donc tirer de cette argumentation, c'est qu'aucun manquement à l'obligation de loyauté ne pourrait être reproché au salarié qui, mis en examen pour des faits purement privés, n'aurait pas informé l'employeur de l'existence de cette procédure.
On retrouve un raisonnement récurrent de la Chambre sociale consistant à rapprocher de la vie professionnelle des faits qui, tirés de la vie privée, peuvent toutefois être rattachés à la vie de l'entreprise. D'une certaine manière en effet, la logique adoptée rappelle celle qui permet au juge de considérer qu'un salarié peut se livrer à des faits de harcèlement sur une de ses collègues en dehors du temps et du lieu de travail et que ce comportement constitue toutefois une faute disciplinaire (15). En effet, la mise en examen, compte tenu du caractère personnel de la responsabilité pénale, constitue une situation qui relève sans aucun doute de la vie privée du salarié. Il est vrai, toutefois, que l'infraction dont la salariée est soupçonnée n'aurait pu être commise si elle avait travaillé dans une autre entreprise ou à d'autres fonctions.
La dissimulation de la mise en examen, manquement à l'obligation de loyauté. Par une interprétation a contrario, on peut donc imaginer que la salariée n'aurait pas manqué au devoir de bonne foi si elle avait révélé à son employeur qu'elle était inquiétée par une action publique. Il ne semble guère possible, pour contester cette forme d'obligation d'information de l'employeur de la procédure en cours, d'invoquer le droit au silence dont tend à bénéficier la personne mise en examen et qui n'étend pas ses effets au-delà du champ de la procédure pénale (16).
Cette interprétation demeure cependant malaisée, parce que la Chambre sociale utilise une argumentation conditionnelle : cette dissimulation "peut" constituer un manquement à l'obligation de loyauté. La précision immédiatement apportée ne satisfait pas totalement l'analyste : le manquement est caractérisé, "dès lors qu'il était en rapport avec les fonctions professionnelles de la salariée et de nature à en affecter le bon exercice" (17).
L'usage du pronom personnel sujet "il" laisse perplexe. Ce ne serait donc pas la dissimulation qui doit être en rapport avec les fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, mais le "fait" qui a été dissimulé. En l'occurrence, c'est donc bien la mise en examen qui sert, au moins en partie, de support à la qualification de manquement à l'obligation de loyauté, ce que d'ailleurs la Chambre sociale ne dément pas en jugeant que ce n'est pas la "seule" mise en examen qui a permis au juge d'appel de caractériser le manquement.
L'incertitude persiste lorsque l'on constate que le critère permettant de faire la distinction entre les dissimulations justifiées et celles qui caractérisent la déloyauté est assez hypothétique : le fait -ici donc la mise en examen- doit "être de nature à" affecter le bon exercice des fonctions. Si l'on comprend bien cette proposition, cela signifie donc qu'il n'est pas nécessaire de démontrer l'altération effective des fonctions du salarié mais, seulement, d'accepter l'éventualité que les fonctions soient altérées.
Le juge prud'homal et la Chambre sociale de la Cour de cassation sont certes habitués à apprécier les faits qui causent ou qui sont susceptibles de causer telle ou telle conséquence. À cet égard à nouveau, les règles relatives aux comportements de harcèlement, qui peuvent n'être que "susceptibles" de porter atteinte à la dignité, d'altérer la santé ou de compromettre l'avenir professionnel du salarié (18), permettent d'essayer de s'en convaincre. Pour autant, la marge de manoeuvre nous semble ici très grande et, pour tout dire, la part de subjectivité de l'appréciation un peu démesurée.
Le lien hypothétique entre mise en examen et altération des fonctions du salarié ou l'atteinte au principe de présomption d'innocence. La prise en compte des conséquences hypothétiques de la mise en examen sur les fonctions du salarié est donc en elle-même contestable. Elle l'est davantage encore si l'on tente de rechercher quel type d'altérations est "susceptible" de survenir.
Si l'on apprécie l'altération éventuelle en observant l'exercice des fonctions du côté de la salariée, il ne s'agit alors ni plus ni moins que d'un procès d'intention qui s'ajoute à la violation de la présomption d'innocence : il n'est pas sûr que vous soyez condamnée, il n'est pas sûr que vous soyez capable de gérer la situation dans laquelle vous êtes placée du fait de l'éventualité d'une condamnation, il y a donc un risque que l'exercice de vos fonctions s'en ressente...
Le droit du travail a parfois dû s'accommoder de la présomption d'innocence (19) qui, faut-il le rappeler, est garantie par de nombreux textes fondamentaux (20). La mise en examen du salarié n'empêche pas, par elle-même, d'engager une procédure disciplinaire. Sa légitimité semble dépendre de la nature du comportement reproché et de l'intensité de la procédure engagée. Ainsi, si les poursuites disciplinaires limitées au prononcé d'une mise à pied conservatoire est parfaitement acceptable lorsque les faits justifiant la mise en examen sont de nature professionnelle (21), elles ne semblent pas envisageables lorsque la mise en examen résulte d'un fait tiré de la vie privée, auquel cas seule le trouble à l'entreprise peut être invoqué au soutien d'un licenciement (22).
La Chambre sociale a même été jusqu'à considérer que le licenciement d'un assistant maternel à la suite du retrait de son agrément ne constituait pas une atteinte à la présomption d'innocence, le licenciement résultant du retrait n'ayant pas le caractère d'une punition mais, tout au plus, d'une "sanction civile". N'en va-t-il pas autrement lorsque le licenciement vient sanctionner, punir une faute, la sanction fût-elle privée ?
Il est encore possible, comme cela semblait d'ailleurs être le cas en l'espèce, d'apprécier l'altération éventuelle de l'exercice des fonctions au regard des conséquences que l'annonce d'une mise en examen peut avoir sur les collègues de la salariée ou sur les usagers de la Caisse nationale d'assurance maladie. Si l'argument est moins attentatoire à la présomption d'innocence, il a tout de même l'inconvénient de ne pouvoir que difficilement permettre la qualification de faute. Le comportement de la salariée, la dissimulation ou la mise en examen selon la manière dont on interprète la solution, cause un trouble objectif à l'entreprise. La notion de trouble objectif du fonctionnement de l'entreprise n'est cependant pas compatible avec celle de faute disciplinaire.
L'ombre de l'équité. Quoiqu'en dise la Chambre sociale, il semble donc bien difficile de chasser de l'esprit l'idée selon laquelle ce n'est pas tant la dissimulation de la mise en examen que la mise en examen elle-même qui a véritablement justifié le licenciement aux yeux de la Caisse. Et ce n'est que pour sauver un licenciement, qui paraît moralement juste, que la dissimulation est -maladroitement- utilisée pour détourner le regard du lecteur.
On ne peut alors que reprendre le propos de Ph. Le Tourneau, rappelé fort à propos par V. Guislain : "le juge n'ayant plus depuis la Révolution la licence de statuer en équité (...), il s'abrite derrière la bonne foi lorsqu'il estime, en conscience, dans telle ou telle cause, qu'il importe d'aménager les dispositions contractuelles afin de faire régner une plus grande justice" (24). Parce que la salariée risquait de continuer à détourner des prestations, parce les sommes éventuellement subtilisées pesaient sur la Caisse et, donc, en grande part sur les finances publiques, parce que la sanction de la violation de la présomption d'innocence aurait pu, au même titre que la violation d'autres droits de la défense (25), mener à l'annulation du licenciement, il fallait voir dans le silence gardé par l'accusée un manquement à l'obligation de loyauté...
(1) V. Guislain, La bonne foi, notion-cadre régulatrice des relations de travail, JSL, 2014, n° 358-1.
(2) La fourniture de renseignement inexacts par le salarié peut constituer un manquement à l'obligation de loyauté au stade de la formation du contrat de travail, à condition toutefois de recouvrir les caractéristiques du dol, v. Cass. soc., 30 mars 1999, n° 96-42.912, publié (N° Lexbase : A4609AGS).
(3) Cass. soc., 16 juin 1998 , n° 96-41.558 (N° Lexbase : A1965ABE), JCP éd. G, 1998, II, 10145, note D. Corrignan-Carsin ; Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370 (N° Lexbase : A6367AGW).
(4) Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-12.423, F-D (N° Lexbase : A4279MUZ) ; Cass. soc., 28 janvier 2014, n° 13-10.518, F-D (N° Lexbase : A4387MDT) ; le rattachement à la vie professionnelle est parfois délicat, v. Cass. soc., 17 septembre 2014, n° 13-18.850, F-D (N° Lexbase : A8508MWZ) et nos obs., De quelques interrogations relatives au licenciement pour manquement à l'obligation de loyauté, Lexbase Hebdo n° 585 du 2 octobre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N3847BUZ).
(5) Cass. soc., 25 novembre 1997, n° 94-45.437, inédit (N° Lexbase : A3281C3W).
(6) Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 10-16.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7586HYM) et nos obs., La déloyauté du salarié en congé maladie, Lexbase Hebdo n° 459 du 27 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8348BSY).
(7) Dernièrement, v. Cass. soc., 1er octobre 2014, n° 13-19.485, F-D (N° Lexbase : A7854MX8).
(8) Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-44.001, FS-P (N° Lexbase : A0068AZK).
(9) Que les menaces soient proférées contre l'employeur (Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-28.822, F-D N° Lexbase : A7606MH8) ou contre un client de l'entreprise (Cass. soc., 5 février 2014, n° 12-28.255, F-D N° Lexbase : A9160MDM).
(10) CA Toulouse, 15 avril 2011, n° 09/06474 (N° Lexbase : A0447HPA).
(11) Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, F-D (N° Lexbase : A5289A7Z).
(12) Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 12-28.051, F-D (N° Lexbase : A2626MTG).
(13) Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-24.879, F-D (N° Lexbase : A7885KT9).
(14) Sur cette question, v. De quelques interrogations relatives au licenciement pour manquement à l'obligation de loyauté, préc.. On remarquera que, dans cette affaire, la Chambre sociale prononce la cassation au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Si l'on peut donc en déduire que la remise de documents est jugée comme constituant une obligation de résultat à la charge de l'employeur, que la seule inexécution suffit à caractériser son manquement sans que la preuve d'un comportement fautif soit nécessaire, cela n'explique pas davantage en quoi la preuve de l'existence d'un préjudice serait superflue.
(15) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930, FS-P+B, sur le second moyen (N° Lexbase : A5262IA7) et les obs. de L. Casaux-Labrunée, Le harcèlement sexuel en dehors du temps et du lieu de travail constitue une faute grave, Lexbase Hebdo n° 470 du 26 janvier 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9830BSU).
(16) Ch. Lazerges, La présomption d'innocence in "Libertés et droits fondamentaux", R. Cabrillac (dir.), D., 19ème éd., pp. 601 et s..
(17) Nous soulignons.
(18) C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P).
(19) Sur cette question, v. notamment L. Flament, Actes répréhensibles du salarié, poursuites pénales et relation de travail, JCP éd. S, 2007, 1198.
(20) Sans exhaustivité, art. 8 (N° Lexbase : L1372A9P),9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 11 (N° Lexbase : L1358A98) de la DDHC ; art. 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (N° Lexbase : L6816BHW), art. 6 § 2 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, etc.
(21) Cass. soc., 4 décembre 2012, n° 11-27.508, FS-P+B (N° Lexbase : A5673IYR) et nos obs., Mise à pied conservatoire et procédure pénale : le provisoire qui dure..., Lexbase Hebdo n° 510 du 20 décembre 2012 -édition sociale (N° Lexbase : N4989BTX) ; CA Poitiers, 7 novembre 2012, n° 11/03979 (N° Lexbase : A6518IWC).
(22) Cass. soc., 21 mai 2002, n° 00-41.128, F-D (N° Lexbase : A7105AYS).
(23) V. Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel et les assistants maternels et familiaux, Lexbase Hebdo n° 437 du 28 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0628BS3).
(24) V. Guislain, préc..
(25) Nullité du licenciement en cas de violation du principe d'égalité des armes, v. Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-17.882, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6852KMQ) et les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement en raison de la violation par l'employeur du principe de l'égalité des armes, Lexbase Hebdo n° 545 du 24 octobre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9072BT8) ; nullité du licenciement en violation du droit de témoigner (Cass. soc., 29 octobre 2013, n° 12-22.447, FS-P+B N° Lexbase : A8165KNQ) et les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement prononcé en violation de la liberté fondamentale de témoigner en justice, Lexbase Hebdo n° 547 du 14 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9337BTY).
Décision
Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-13.661, FS-P+B (N° Lexbase : A7965MXB). Cassation partielle (CA Bastia, 19 décembre 2012, n° 11/00447 N° Lexbase : A2792IZG). Textes concernés : néant. Mots-clés : licenciement ; loyauté ; mise en examen ; présomption d'innocence. Liens base : (N° Lexbase : E9165ESA). |
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Réf. : Cons. const., décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ)
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Le 16 Octobre 2014
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Réf. : Cass. com., 7 octobre 2014, n° 12-16.844, FS-P+B (N° Lexbase : A2132MYM)
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Le 17 Octobre 2014
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Réf. : Cass. civ. 1, 8 octobre 2014, n° 13-21.879, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9209MXD)
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Le 16 Octobre 2014
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Réf. : Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 14-11.317, FS-P+B (N° Lexbase : A2204MYB)
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Le 18 Octobre 2014
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Réf. : Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-60.262, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2106MYN)
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Le 17 Octobre 2014
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N4029BUR
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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 16 Octobre 2014
La question du champ d'application dans le temps de l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA), dite loi "anti-Perruche", fait l'objet de nouvelles précisions apportées par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 31 mars 2014. Aujourd'hui codifiées à l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L), ces dispositions précisent que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance". Ainsi, contrairement à ce qu'avait jugé la Cour de cassation avant l'entrée en vigueur de cette loi dans son arrêt "Perruche" (1), l'invocation d'un préjudice de naissance par l'enfant né handicapé à la suite d'une erreur de diagnostic est désormais exclue. Cette solution, sur ce point précis, était, en revanche, conforme à celle retenue par le Conseil d'Etat (2). Toutefois, la loi constituait également un recul par rapport à la jurisprudence administrative puisqu'elle prévoyait que la compensation des "charges particulières" liées à la vie de l'handicapé relevait désormais de la seule "solidarité nationale". Il résultait nécessairement de l'application de ces nouvelles dispositions une limitation des droits à réparation des préjudices liés à la naissance, à la fois au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat et de celle de la Cour de cassation.
L'application des dispositions de la loi du 4 mars 2002 "aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation" a fait l'objet d'un contentieux devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans deux décisions du 6 octobre 2005 rendues en Grande chambre, la Cour avait estimé que cette application de la loi constituait une ingérence dans le droit au respect des biens contraire à l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9) (3). La Cour de cassation (4) et le Conseil d'Etat se sont ralliés à cette jurisprudence (5). Plus précisément, les juridictions suprêmes ont considéré qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer le dispositif "anti-Perruche" de manière rétroactive aux instances en cours avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.
Par la suite, la Cour de cassation est allée plus loin en considérant que la loi ne devait pas être appliquée aux demandes d'indemnisation concernant les enfants nés avant le 7 mars 2002, que l'action en justice soit introduite avant, ou après, l'entrée en vigueur de celle-ci (6). Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, dans une décision du 11 juin 2010, validé le dispositif légal "anti-Perruche", exception faite des dispositions transitoires qu'il a déclaré anticonstitutionnelles (7). La décision du Conseil constitutionnel n'était toutefois pas exempte d'ambiguïtés, puisqu'elle semblait opérer une distinction selon la date de l'introduction de l'instance, ce qui a donné lieu à une divergence d'interprétation entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Pour le Conseil d'Etat, qui statuait sur conclusions contraires du rapporteur public, la décision du Conseil constitutionnel devait être comprise comme déclarant inconstitutionnelle la loi en cela qu'elle s'applique aux instances en cours (8). Ainsi, les dispositions de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles devaient s'appliquer à la "réparation de dommages dont le fait générateur était antérieur à la date d'entrée en vigueur de cette loi mais qui, à cette date, n'avaient pas encore donné lieu à une action indemnitaire". Pour la Cour de cassation, la déclaration d'inconstitutionnalité concerne l'application de la loi nouvelle aux instances en cours le jour de son entrée en vigueur. Ainsi, selon cette juridiction, la loi ne s'applique pas, dans tous les cas de figure, aux naissances survenues avant son entrée en vigueur, alors même qu'une action en justice n'aurait été intentée qu'après l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 (9).
L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 mars 2014 s'inscrit dans le cadre de cette controverse et il donne l'occasion à la juridiction administrative suprême de confirmer son interprétation de la décision du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010. En l'espèce, un enfant était né le 30 décembre 2001, atteint d'un "syndrome de Vaterl" qui n'avait pas été décelé lors des examens prénataux. L'enfant a présenté, dès sa naissance et du fait de ce syndrome, de graves malformations. Le 22 janvier 2003, estimant qu'une erreur de diagnostic avait été commise, ses parents ont sollicité la désignation d'un expert, puis ils ont introduit une action à l'encontre du centre hospitalier devant le tribunal administratif.
Par une décision du 30 décembre 2008, le tribunal administratif a retenu la responsabilité de l'hôpital, tant à l'égard des parents que de l'enfant lui-même. Plus précisément, il a refusé d'appliquer à l'instance l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles sur le fondement de l'article 1er du 1er Protocole additionnel. Cette décision était intéressante, puisqu'elle ne constituait pas un retour à la jurisprudence "Quarez" (10), qui autorisait la réparation des seuls préjudices subis par les parents de l'enfant. En réalité, c'est la solution de l'arrêt "Perruche" qui était ainsi ressuscitée, puisque l'enfant voyait également ses préjudices réparés, en application d'une lecture pour le moins extensive de la jurisprudence "Draon" (11). En effet, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme était fondée sur le fait que les requérants bénéficiaient d'une créance, assimilable à un bien, en vertu de laquelle ils pouvaient légitiment espérer obtenir réparation du préjudice résultant des "charges particulières" découlant du handicap de leur enfant, possibilité supprimée par la loi du 4 mars 2002. Il n'y avait donc, en tout état de cause, pas lieu d'appliquer la jurisprudence "Perruche" au cas d'espèce, les requérants ne pouvant raisonnablement fonder l'espoir d'obtenir réparation sur ce fondement devant les juridictions administratives.
C'est certainement pour cette raison que la cour administrative d'appel de Douai, dans la même affaire, a refusé de reconnaître le préjudice propre de l'enfant (12). Toutefois, comme les premiers juges, la cour administrative d'appel avait également écarté l'application de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, en se fondant cette fois-ci sur la décision du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010. Pour la cour administrative d'appel, cette décision avait donc implicitement abrogé les dispositions transitoires de la loi du 4 mars 2002, ce qui avait pour effet de rendre applicable la jurisprudence "Quarez" au cas d'espèce.
Cette solution est censurée par le Conseil d'Etat qui maintient donc sa jurisprudence "Lazare" (13) en retenant que la décision du Conseil constitutionnel "n'emporte abrogation du 2 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où la disposition inconstitutionnelle rendait les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002". Les requérants n'entraient donc pas dans le champ des dispositions abrogées, dès lors qu'ils avaient intenté leur action après le 7 mars 2002, alors même que leur enfant était né avant cette date. Pour le Conseil d'Etat, ils "n'étaient pas titulaires à cette date d'un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d'un bien" au sens des stipulations de l'article 1 du Premier protocole additionnel à la Convention. En conséquence, les juges écartent le moyen "tiré de ce que l'application de l'article L. 114-5 aux instances engagées après le 7 mars 2002 à des situations nées avant cette date porterait une atteinte disproportionnée aux droits qui leur sont garantis par ces stipulations". Ils écartent également le moyen "tiré de ce qu'ils auraient été victimes, dans l'exercice de ces droits, d'une discrimination injustifiée au regard de l'article 14 de la même Convention (N° Lexbase : L4747AQU)".
Sur le fond les juges font application des dispositions de l'article L. 114-5 susvisé selon lesquelles "la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer". Or, l'erreur de diagnostic commise par le centre hospitalier n'a ni provoqué, ni aggravé, le handicap dont est atteint la victime, dont la réparation du préjudice est donc écartée.
S'agissant des préjudices subis par les parents, les juges font application des dispositions du même article selon lesquelles "lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice". Ils considèrent que, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de vérification de la conformité des quatre membres du foetus constitue une faute qui, par son intensité et sa gravité, est caractérisée au sens de ces dispositions.
Si les frais liés au handicap de leur fils ne sauraient être mis à la charge du centre hospitalier -la loi écartant la réparation des charges particulières découlant, tout au long de la vie du handicap de l'enfant- chaque époux se voit néanmoins attribuer la somme de 40 000 euros au titre des troubles importants dans leurs conditions d'existence, soit davantage que les 51 000 euros qui leur avaient été attribués par la cour administrative d'appel de Douai. Cette solution peut paraître surprenante puisqu'elle aboutit à majorer les indemnités dont bénéficient les requérants, alors que, du fait de l'application des dispositions transitoires de la loi du 4 mars 2002, l'indemnisation d'un chef de préjudice est écartée. Il reste désormais à savoir qu'elle serait la position de la Cour de Strasbourg sur une interprétation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui peut paraître en décalage par rapport à des jurisprudence "Draon" et "Maurice".
L'arrêt n° 350095 du 28 mai 2014 apporte d'utiles précisions sur la question de la prescription en droit de l'Union européenne au regard du principe de sécurité juridique. La société X avait été déclarée adjudicataire d'une aide communautaire, dite au "beurre pâtissier", pour la fabrication de 50 tonnes de crème destinée, après addition de traceurs, à être incorporée dans des produits de pâtisserie, glaces et autres produits alimentaires. Par un courrier du 13 juillet 2006, la société a été informée que l'analyse de prélèvements effectués le 12 avril 2002 avait fait apparaître une teneur en acide énanthique, traceur chimique qu'elle avait utilisé pour permettre le contrôle de l'incorporation de la crème dans les produits finaux, inférieure aux normes prescrites par le Règlement (CE) n° 2571/97 du 15 décembre 1997 (N° Lexbase : L4723AUH) (14). La société s'est alors vu demander, par deux décisions du 12 septembre 2006 le versement d'une somme correspondant au montant des garanties de transformation qu'elle avait constituées.
La société contestait ces décisions au motif que le délai de prescription de quatre années prévu par l'article 3 du Règlement (CE) 2988/95 du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (N° Lexbase : L5328AUU) (15), était expiré. Contrairement au tribunal administratif de Caen, saisi en première instance, la cour administrative d'appel de Nantes avait considéré que les décisions litigieuses étaient légales.
Le Conseil d'Etat censure cet arrêt pour erreur de droit, en se référant expressément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (16). La question était délicate à régler puisqu'elle n'est pas clairement tranchée par les dispositions susvisées. En effet, si le Règlement (CE) n° 2988/85 retient une prescription de quatre ans (17), il précise également que les "Etats conservent la faculté d'appliquer un délai plus long" (18).
Selon le juge de l'Union européenne, "le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription plus long au sens [...] du Règlement [...] puisse résulter d'un délai de prescription de droit commun réduit par la voie jurisprudentielle pour que ce dernier satisfasse dans son application au principe de proportionnalité, dès lors que, en tout état de cause, le délai de prescription de quatre années prévu à l'article 3 [...] du Règlement [...] a vocation à être appliqué dans de telles circonstances" (19). En conséquence, le Conseil d'Etat a considéré que le délai de prescription trentenaire de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L7209IAA) "même réduit par la voie jurisprudentielle", ne pouvait être appliqué. En outre, en l'absence de réglementation nationale spécifique prévoyant un délai de prescription plus long, seul le délai de prescription de quatre ans prévu par l'article 3 § I du Règlement (CE) n° 2988/95 était applicable. Dès lors, puisqu'un délai supérieur à quatre ans s'était écoulé entre le dernier acte de susceptible d'interrompre la prescription et le courrier du 13 juillet 2006 reprenant les poursuites, l'action en répétition de l'indu devait être considérée comme prescrite. Il faut noter que cette solution revient sur la jurisprudence "Lactalis" (20) à l'occasion de laquelle le Conseil d'Etat avait considéré qu'un délai de cinq ans pour exercer l'action en répétition de l'indu, en réduction du délai de prescription de l'article 2262 du Code civil n'était pas contraire aux principes communautaires de proportionnalité et de non-discrimination (21).
L'arrêt n° 3939 du 19 mai 2014 apporte des précisions nouvelles sur la mise en oeuvre du mécanisme de cumul des responsabilités. L'hypothèse visée, qui est inédite, est celle, où consécutivement à une procédure de conflit négatif, est caractérisée une faute personnelle détachable, mais non dépourvue de tout lien avec le service.
A la suite d'une procédure pénale engagée par un agent communal pour harcèlement contre son maire, celui-ci ci avait fait pression sur la directrice générale des services pour la dissuader de témoigner et avait conclu avec elle un "protocole transactionnel". Selon ce protocole, le maire s'engageait à ne pas décharger la directrice générale de ses fonctions jusqu'au 31 mars 2008, celle-ci s'engageant, en contrepartie, à préparer le budget communal en s'abstenant de presque tout contact avec le personnel communal, à n'avoir aucun contact avec les candidats à l'élection municipale et surtout à ne pas témoigner contre le maire.
Par un arrêt du 31 octobre 2011, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait condamné le maire à 3000 euros d'amende pour subornation de témoin, en application de l'article 434-15 du Code pénal (N° Lexbase : L7972ALT). Mais statuant sur l'action civile, la cour d'appel avait ensuite considéré que le délit sanctionné ne constituait pas une faute personnelle détachable des fonctions du maire. En conséquence, la cour d'appel s'était déclarée incompétente, ce qui avait conduit l'agent à saisir le tribunal administratif de Marseille qui s'est déclaré à son tour incompétent.
Saisi dans le cadre de la procédure de conflit négatif, le Tribunal des conflits devait donc se prononcer sur la juridiction compétente pour connaître d'une action en responsabilité qui trouvait son origine dans la faute d'un maire qui avait l'objet d'une condamnation pénale. Le Tribunal des conflits suit un raisonnement en trois temps : la faute à l'origine du dommage est une faute personnelle (I) ; cette faute personnelle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service (II) ; l'existence de deux jugements d'incompétence erronés doit conduire le Tribunal des conflits à renvoyer l'affaire à la fois au juge judiciaire et au juge administratif (III).
I - La faute à l'origine du dommage est une faute personnelle
De prime abord, on pourrait penser qu'à partir du moment où un agent a fait l'objet d'une condamnation pénale pour des faits en relation avec ses fonctions, la faute pénale ainsi sanctionnée est également une faute personnelle mettant en jeu sa responsabilité pécuniaire. Il n'en est rien cependant, puisqu'il résulte d'une jurisprudence constante que la faute personnelle ne se confond pas avec la faute pénale (22). Ainsi, conformément à la jurisprudence "Pelletier" (23), des faits qualifiés de faute pénale peuvent être constitutifs, également, soit d'une faute personnelle, soit d'une faute de service.
Ces solutions peuvent paraître contestables, mais elles se justifient par le fait que l'agent mis en cause pouvait penser agir dans l'intérêt du service. Il est évident, toutefois, dans l'hypothèse d'une faute pénale, que plus l'infraction commise est grave, plus la faute personnelle aura des chances d'être reconnue.
Ainsi, il est fréquent que ce soit la qualification de faute de service qui est retenue en cas d'infraction non-intentionnelle, par exemple lorsqu'un médecin ou un chirurgien hospitalier est condamné pour non-assistance à personne en péril (24). En revanche, les faits constitutifs d'un délit intentionnel, ce qui est le cas dans la présente affaire, sont, en principe, également constitutifs d'une faute personnelle. Certes, ce principe souffre d'un certain nombre d'exceptions. Tel est le cas lorsque la sanction pénale concerne des faits qui ne sont pas constitutifs d'une volonté de nuire caractérisée et qu'ils se rattachent aux fonctions de l'agent. Dans cette hypothèse, les faits peuvent être qualifiés de faute de service. Tel est le cas, par exemple, lorsque l'agent mis en cause a fait preuve d'abus d'autorité (25), a commis des violences légères (26), ou encore lorsqu'il a tenu des propos diffamatoires dans le cadre de ses fonctions (27), dans la mesure, toutefois, où les excès dont il s'est rendu coupables demeurent dans une certaine limite.
Dans la présente affaire, il toutefois assez évident que les faits reprochés au maire sont liés exclusivement a son intérêt personnel, et plus précisément à la volonté d'échapper à une condamnation pénale. La faute personnelle était caractérisée et c'est donc à tort que la cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est déclarée incompétente.
II - La faute personnelle à l'origine du dommage n'est pas dépourvue de tout lien avec le service
Le mécanisme de cumul des responsabilités a été admis à l'occasion de l'arrêt "Epoux Lemonnier" du 26 juillet 1918 (28). Il conduit à considérer que lorsqu'une faute personnelle a été commise à l'occasion du service, la victime dispose d'une option : elle peut rechercher la responsabilité personnelle de l'agent devant la juridiction judiciaire, ou celle de l'administration devant la juridiction administrative. Le cumul des responsabilités constitue donc une sorte de garantie par l'administration des fautes personnelles subies par les victimes, l'administration pouvant ensuite se retourner contre son agent. Il évite aux victimes de se retrouver confrontées à l'insolvabilité de l'agent. Ce mécanisme a ensuite été étendu en cas de faute personnelle commise en dehors du service, mais avec les moyens du service à l'occasion de trois arrêts d'Assemblée du 18 novembre 1949, "Mimeur", "Defaux" et "Bethelsemer" (29). En conséquence, seules les fautes personnelles dépourvues de tout lien avec le service sont exclues du mécanisme de cumul des responsabilités.
Il est important de noter que la gravité de la faute commise n'a aucune incidence sur la mise en oeuvre de ce mécanisme. Il a ainsi été jugé, par exemple, qu'une faute personnelle commise par un policier chargé de régler la circulation automobile qui a volontairement sorti son arme et fait feu sur un automobiliste sans motif légitime n'est pas dépourvue de tout lien avec le service (30). Dans une affaire plus proche de celle qui nous intéresse, une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service a été reconnue dans un cas où le maire d'une commune avait établi des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation de travaux dans un but d'enrichissement personnel (31).
Compte tenu de cette jurisprudence, il n'est pas surprenant que le Tribunal des conflits considère que les faits de subornation de témoin dont le maire s'est rendu coupable dans la présente affaire, s'ils sont constitutifs d'une faute personnelle, ne sont pas pour autant dépourvus de tout lien avec le service.
III - Les conséquences du cumul de responsabilité en cas de conflit négatif
Compte tenu de ces éléments, les deux jugements d'incompétence de la cour d'appel de Marseille et du tribunal administratif de la même ville sont donc erronés. Mais plutôt que de se contenter d'annuler le premier jugement, comme le demande la requérante, le Tribunal des conflits choisit d'annuler également le second.
Cette solution se justifie au moins pour trois raisons. C'est d'abord une conséquence logique du mécanisme du cumul des responsabilités. Ensuite, elle est conforme à la logique de la procédure de conflit négatif qui consiste, comme le précise l'article 17 de la loi du 26 octobre 1849 à faire "régler la compétence". Enfin, elle correspond aux intérêts des requérants. En effet, si le Tribunal des conflits s'était borné à annuler le jugement de la cour d'appel de Marseille, comme le demandait la requérante, celle-ci se serait vue privée de la possibilité de bénéficier du mécanisme de cumul de responsabilité, le jugement d'incompétence du tribunal administratif subsistant. Cependant, il ne s'agit pas de permettre à la victime d'obtenir une double indemnisation. Le Tribunal des conflits précise donc qu'il "appartiendra seulement à la juridiction judiciaire et à la juridiction administrative, si elles estiment devoir allouer une indemnité à la victime en réparation du préjudice dont elle se prévaut, de veiller à ce qu'elle n'obtienne pas une réparation supérieure à la valeur du préjudice subi du fait de la faute commise".
(1) Ass. Plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701 (N° Lexbase : A1704ATB), Bull. civ., 2000, n° 9, p. 319 et p. 389, D., 2001, p. 332, note Mazeaud et note Jourdain, D., 2001, somm. p. 2796, obs. Vasseur Lambry, JCP éd. G, 2000, II, 10438, rapp. Sargos., concl. Sainte-Rose, note Chabas, Gaz. Pal., 2001, 37, rapp. Sargos, concl. Sainte Rose, note Guigne, Dr. famille 2001, n° 11, note Murat, Contrats conc. consom., 2001, 39, note Leveneur, RTD civ. 2001, p. 103, obs. Hauser, ibid. p. 149, obs. Jourdain, ibid. p. 226, obs. Libchaber.
(2) CE, Sect., 14 février 1997, n° 133238, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8308AD3), p. 44, concl. Pécresse, AJDA, 1997, p. 430, chron. Chauvaux et Girardot, D., 1999, somm. comm., p. 60, obs. Bon et de Béchillon, Droit adm., 1997, 146, obs. Esper, JCP, 1997, I, 4025, obs. Viney, JCP 1997, 4072, obs. Petit, JCP, 1977, 22928, note Moreau, LPA, 1997, n° 64, note Alloiteau, Quot. Jur., 1997, n° 36, note Pellissier, RDP, 1997, p. 1139, note Auby et p. 1147, note Waline, RDSS, 1998, p. 94, note Mallol, RFDA, 1997, p. 374, concl. Pécresse, note Mathieu.
(3) CEDH, 6 octobre 2005, Req. 11810/03 (N° Lexbase : A6794DKT), Req. 1513/03 (N° Lexbase : A9579DPH), JCP éd. G, 2006, I, 109, chron. Sudre, JCP éd. G, 2006, II, 10061, note Zollinger, RTDH, 2006, n° 67, p. 667, obs. Bellivier.
(4) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-12.260, FS-P+B (N° Lexbase : A5687DML), Dr. famille, 2006, 104, JCP éd. G, 2006, II, 10062, note Gouttenoire et Porchy-Simon.
(5) CE 4° et 5° s-s-r., 24 février 2006, n° 250704, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3958DNW), JCP éd. A, 2006, 1074, concl. Olson, JCP éd. G, 2006, II, 10062, AJDA, 2006, p. 1272.
(6) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), RDSS, 2008, p. 975, obs. Hennion-Jacquet.
(7) Cons. const., décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8019EYN), AJDA, 2010, p. 1178, note Brondel, Rev. gén. droit médical, 2010, p. 291, note Zollinger.
(8) CE, Ass., 13 mai 2011, n° 329290, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8726HQA), RTDCiv., 2012, p. 71, note Deumier.
(9) Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-27.473, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2913H8E), JCP éd. G, 2012, 72, note Sargos, RTDCiv., 2012, p. 75, note Deumier.
(10) CE, Sect., 14 février 1997, n° 133238, publié au recueil Lebon, préc..
(11) CEDH, 6 octobre 2005, Req. 1513/03, préc..
(12) CAA Douai, 2ème ch., 16 novembre 2010, n° 09DA00402 (N° Lexbase : A6295GM4).
(13) CE, Ass., 13 mai 2011, n° 329290, publié au recueil Lebon, préc..
(14) JOCE, L 350, 20 décembre 1997.
(15) JOUE n° L 312, 23 décembre 1995.
(16) CJUE, 5 mai 2011, aff. C-201/10 et 202/10 (N° Lexbase : A7682HP9), Rec. CJUE, 2011, p. 3545, Europe, 2011, comm. 237, obs. Michel.
(17) art. 3, § 1.
(18) art. 3, § 3.
(19) CJUE, 5 mai 2011, aff. C-201/10 et C-202/10, préc..
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 292620, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1229EKQ), RJEP, 2010, comm. 4, concl. Glaser.
(21) T. confl., 14 janvier 1935, Thépaz, Rec., p. 1224, S., 1935, III, p. 17, note Alibert.
(22) T. confl., 30 juillet 1873, Rec. 1er supplt, concl. David, D., 1974, III, p. 5, concl. David.
(23) CE 5° et 7° s-s-r., 3 novembre 2003, n° 224300, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0883DAX), p. 990.
(24) T. confl., 15 novembre 2004, n° 3428.
(25) T. confl., 2 décembre 1991, n° 02682 (N° Lexbase : A8079BDL).
(26) T. confl., 12 février 2001, n° 03232 (N° Lexbase : A5537BQ7).
(27) Rec., p. 761, D., 1918, III, p. 9, concl. Blum, note Hauriou.
(28) Rec. p. 492, D., 1950, p. 667, note J.G., JCP, 1950, 5286, concl. Gazier, RDP, 1950, p.183, note Waline.
(29) T. confl., 21 juin 2004, n° 3389 (N° Lexbase : A1571DQA).
(30) CE 3° et 8° s-s-r., 2 mars 2007, n° 283257, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4281DU4).
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