La lettre juridique n°585 du 2 octobre 2014

La lettre juridique - Édition n°585

Éditorial

La pudeur, la technologie médicale et le clair-obscur juridique...

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N3862BUL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 02 Octobre 2014


La pudeur est la "disposition à éprouver de la gêne devant ce qui peut blesser la décence, devant l'évocation de choses très personnelles et, en particulier, l'évocation de choses sexuelles", selon son acceptation la plus courante (dictionnaire Larousse). "Gêne", "décence", "choses très personnelles" : à l'évocation d'idiomes si subjectifs, de concepts aux contours si sujets à interprétation, on comprend que la loi ait du mal à partir pour réglementer la pudeur, outre le vernaculaire "attentat" éponyme repris aux articles 227-25 et suivants du Code pénal, qui laissent entrevoir fort bien ce que constitue un "attentat", mais assez mal ce qui relève de la pudeur elle-même, rattachant son objet au seul périmètre de l'agression sexuelle.

Etrangement si, depuis l'arbre de la connaissance du jardin d'Eden, la pudeur est un concept qui se retrouve quasiment dans toutes les sociétés, et pas seulement dans celles où officient les trois monothéismes, elle n'est pas pour autant universelle, c'est-à-dire la même en tout lieu et en tout temps. Attention toutefois aux idées reçues : mêmes les sociétés tribales les plus reculées, vivant entièrement nues, connaissent la pudeur ; celle-ci n'aura, dès lors, aucun rapport avec la vue des organes génitaux, mais sera plus intérieure, relative à l'expression des sentiments. Aussi, la pudeur n'est-elle pas appréhendée de la même manière par tous.

Alors, en envisageant la réglementation de la pudeur, avec la disparition progressive du concept de "bonnes moeurs" associé désormais à la "probité", uniquement sous le prisme pénal de l'agression sexuelle, ne l'envisageant explicitement que pour interdire, en milieu carcéral, d'imposer à la vue d'autrui des actes obscènes ou susceptibles d'offenser la pudeur (C. proc. pén., art. R. 57-7-2), ou pour s'assurer de l'honorabilité des exploitants de débits de boissons (C. santé pub., art. L. 3336-2 et L. 3813-40), la loi n'est assurément que de peu de secours dans le cadre d'une consultation médicale. Quand la proximité et le toucher sont essentiels à la guérison en Afrique noire, la pudeur est associée à la "timidité rougissante" et la honte en Chine (xiu xhi) obligeant, par là, les patientes à garder leurs chaussettes, tant le pied est considéré comme une partie intime du corps. Et, bien évidemment, les religions du Livre condamnent la vue du corps -essentiellement féminin- comme objet de désir, de vanité et de concupiscence.

Le Code de déontologie médicale tourne certes autour du pot : "le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s'imposer après la mort" indique l'article 2 repris par l'article R. 4127-2 du Code de la santé publique ; "le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine" impose l'article 3 repris à l'article R. 4127-3 du même code. "Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée" précise l'article 7 (C. santé pub., article R. 4127-7). Enfin, l'article 36 du Code de déontologie (C. santé pub., art. R. 4127-36) dispose que le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas : là est la pierre angulaire de l'appréhension de la pudeur en matière médicale.

Depuis Hippocrate, et la régression de la médecine mystique, on sait que la consultation médicale comporte un interrogatoire et un examen physique. C'est l'essor de la médecine contemplative, faite d'hypothèses diagnostiques et de l'observation du corps humain et des symptômes, comme le rappelle savamment Gaëlle Guillaume Betan, dans sa thèse Place de la pudeur physique lors de l'examen clinique en médecine générale. Etude qualitative soutenue en 2012. L'examen est "ce qui est possible de voir, de toucher, d'entendre ; ce qui est saisissable par l'intermédiaire de la vue, et du toucher, et de l'ouïe, et du nez, et de la langue, et de la pensée ; ce que l'on peut parvenir à connaître par tous les moyens qui sont à notre disposition" enseigne le "Père de la médecine" -ce dernier recommandant toutefois d'éviter autant que possible la nudité-. On comprend, dès lors, la contrariété exposée par une telle pratique intrusive de la médecine avec la pudeur même, notamment physique -encore que le concept se trouve également mis à mal dans le cadre d'une analyse psychologique ou d'un traitement psychiatrique-. C'est pourquoi, pendant 1 000 ans, la médecine, sous l'emprise théologique, est devenue empirique et spéculative devant l'interdiction de toucher le corps humain, même de le voir dans son plus simple appareil.

Mais, attention, l'histoire du "couple" pudeur et médecine est l'histoire indissociable d'un ménage mal assorti qui ne se limite absolument pas à la seule problématique religieuse. Tout le monde sait les difficultés rencontrées par les praticiens en milieu hospitalier quant à l'examen des femmes, notamment musulmanes, par des hommes de l'art. Autant la difficulté à gérer un tel refus, dans un cadre laïc, égalitaire homme-femme et, surtout, pragmatique eu égard à la sous-dotation de la médecine publique française, est réelle ; autant le sentiment d'agression intime de ces femmes pour lesquelles la pudeur est une branche de l'Islam codifiée par le Coran et la Sunna est également fondamental et réel. Il est affaire de santé et de conscience et l'on sait bien, ici comme dans d'autres domaines médicaux -l'euthanasie notamment-, que la conscience confronte le colosse médical à ses pieds d'argile.

Finalement, le réveil de la médecine d'Hippocrate s'est fait par le truchement de l'anatomie, désacralisant le corps et sa vision ; et par l'invention d'instruments médicaux, comme le stéthoscope en 1819, qui permettent de séparer les corps, celui du patient de celui du médecin ; et bien entendu la découverte des rayons X en 1895. Le problème de l'appréhension de la pudeur face à la nécessité de pratiquer un examen médical de plus en plus poussé au regard des exigences d'information, de responsabilité et de guérison des sociétés contemporaines est désormais contourné par l'emploi d'instrument médicaux ou de machines d'observation technologiques au point que l'on se demande, aujourd'hui, dans les facultés de médecine, si "avec le développement de la vidéo-chirurgie, des télé-manipulateurs, les savoirs tactiles vont régresser, le toucher s'éclipsant une nouvelle fois au bénéfice de la vue [...]. Les rebouteux, les chiropracteurs, les magnétiseurs [...] ces savoirs tactiles jouent désormais un rôle de recours quand les techniques sérieuses' ont échoué'" professe Christian Bromberger. Bref, au nom de la pudeur, "on refuse de se faire tripoter alors qu'il suffit de passer dans la machine'" indiquait déjà Darmon, il y a un siècle !

Pour autant, la technologie médicale, dont on reconnaît chaque jour les prouesses et l'indispensabilité, qui devait justement permettre de réconcilier examen médical et pudeur, pose également problème, tant la complexité du matériel de haute technologie est telle que le médecin est bien en peine de l'utiliser sans l'assistance d'un tiers, n'appartenant pas nécessairement au corps médical. Telle est la mésaventure arrivée à une patiente dans une affaire jugée le 19 septembre 2014 par le Conseil d'Etat. Ce dernier reconnaît la responsabilité d'un médecin qui, en dépit des observations faites auparavant par la patiente, a permis la présence d'un tiers lors d'un examen intime sans qu'elle ait pu s'y opposer avant le début de l'examen, manquant ainsi à son devoir d'information du patient. La Haute juridiction administrative souligne le caractère intime de l'examen que devait subir la patiente. Il en résulte que, du premier refus qu'elle avait opposé à la présence du technicien, l'information tardive délivrée par le médecin ne peut être regardée comme loyale et appropriée, alors que l'examen s'est déroulé en présence du technicien et alors que la patiente était déjà déshabillée. Pour les mêmes raisons, et alors même que l'intéressée s'est finalement mise en position d'examen, le médecin ne peut être regardé comme ayant recueilli de sa part un consentement éclairé. Par suite, la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins a pu estimer que le médecin avait manqué à ses obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-35 et R. 4127-36 du Code de la santé publique.

Ainsi, l'on voit bien que la technologie ne remplace pas les moeurs médicales. Si la gynécologie, par exemple, date de l'Egypte Antique (cf. le papyrus gynécologique Kahun), l'échographie date tout de même de 1979. Et, alors que dans certains pays, la plupart des examens médicaux même intimes se font cachés du médecin, par l'emploi d'un drap, d'une blouse, la pratique d'une position dite "à l'anglaise" et autre moyen de dissimuler l'intimité sans empêcher la consultation et l'examen du corps, la toute puissance de Monsieur Purgon oblige les Françaises au plus simple appareil exposant leur nudité pour une simple mammographie. "Naturalia non turpia" : il n'y a pas de honte à ce qui est naturel. Mais, la technique, c'est-à-dire la maîtrise du naturel par l'Homme selon Descartes, n'apparaît finalement pas plus armée face au risque d'outrage, en l'absence de bonnes pratiques.

"La pudeur est née avec l'invention du vêtement" selon la célèbre formule de Mark Twain, in En suivant l'équateur. Il se pourrait bien que rayons X et télé-manipulateurs n'empêchent pas la pudeur d'être outragée. La médecine est d'abord et nécessairement l'affaire du consentement éclairé du patient ; et cela commence dès les premiers stades de la consultation et l'expression idiomatique : "déshabillez-vous, s'il vous plait" !

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Cahier des conditions de vente-type : disposition dont la violation peut donner ouverture à cassation (non)

Réf. : Cass. civ. 2, 25 septembre 2014, n° 13-15.597, F-P+B (N° Lexbase : A3360MXQ)

Lecture: 2 min

N3972BUN

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Le 04 Octobre 2014

La décision du CNB instituant un cahier des conditions de vente-type, qui n'a pas été publiée au Journal officiel, en méconnaissance de la prescription de l'article 38-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), ne constitue pas une disposition dont la violation peut donner ouverture à cassation. Ayant rappelé qu'en application de l'article R. 333-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2507ITZ), le juge établit l'état des répartitions et statue sur les frais de distribution, et justement retenu que pour la liquidation des frais de justice, qui obéit aux principes généraux ressortant des articles 695 (N° Lexbase : L9796IRA) et suivants du Code de procédure civile, le juge procède d'office à tous redressements nécessaires de leur compte pour le rendre conforme à la loi, la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 1er février 2013, deux arrêts, n° 11/8032 N° Lexbase : A5725I4S et 15 mars 2013, n° 13/02554 N° Lexbase : A9177I9R) a exactement décidé d'écarter la production afférente aux honoraires de l'avocat du créancier poursuivant ayant élaboré le projet de distribution du prix comme ne ressortant pas des frais visés à l'article R. 331-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2493ITI). Tel est le rappel opéré par la deuxième chambre de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 septembre 2014 (Cass. civ. 2, 25 septembre 2014, n° 13-15.597, F-P+B N° Lexbase : A3360MXQ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E7483ETC). Dans cette affaire, se fondant sur un acte notarié du 5 juillet 1990, par lequel elle avait, conjointement avec d'autres parties, consenti un prêt à une SCI, Mme X a engagé contre celle-ci des poursuites aux fins de saisie immobilière, ayant débouché sur une adjudication. Faute de parvenir à la distribution amiable du prix de l'adjudication, Mme X a saisi le juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance d'une demande tendant à la distribution judiciaire. La SCI et ses associés ont formé un appel contre le jugement ayant arrêté la répartition des sommes à distribuer entre les créanciers titulaires d'une sûreté sur l'immeuble adjugé et Mme X a formé un appel incident. La cour estima, notamment, que les honoraires ou la rémunération de l'avocat poursuivant la distribution ne peuvent pas être prélevés par priorité sur le prix de vente, et en conséquence de débouter Mme X, prise en sa qualité de créancier poursuivant, de sa demande tendant à voir inclure dans l'état de répartition et à titre privilégié les honoraires de l'avocat poursuivant, alors même que les conditions de vente-type pour les procédures de saisie immobilière, publiées par le CNB, prévoient qu'en cas de vente forcée, la rétribution de l'avocat du créancier saisissant chargé de la distribution du prix de vente de l'immeuble sera prélevée sur les fonds à répartir. Le cahier des conditions de vente-type du CNB n'est pas une norme dont la violation puisse entraîner la cassation.

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Avocats/Procédure

[Brèves] Appel d'une ordonnance de non-lieu : irrecevabilité de l'appel interjeté par un avocat substituant le correspondant local désigné par les parties, sans information de la juridiction d'instruction

Réf. : Cass. crim., 16 septembre 2014, n° 13-82.758, F-B+P+I (N° Lexbase : A5592MWZ)

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N3750BUG

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Le 02 Octobre 2014

Aux termes d'un arrêt rendu le 16 septembre 2014, la Cour de cassation rappelle que si l'avocat qui fait une déclaration d'appel n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial, il ne peut exercer ce recours, au stade de l'information, qu'à la condition que la partie concernée ait préalablement fait choix de cet avocat et en ait informé la juridiction d'instruction (Cass. crim., 16 septembre 2014, n° 13-82.758, F-B+P+I N° Lexbase : A5592MWZ ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4431EUN ; déjà en ce sens, Cass. crim., 27 novembre 2012, n° 11-85.130, F-P+B N° Lexbase : A7008IZL). En l'espèce les sociétés P. et S. ont porté plainte et se sont constituées parties civiles, contre personnes non dénommées, du chef d'abus de biens sociaux et, à l'issue de l'information, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont les parties civiles ont, chacune, interjeté appel par le biais de Me Z, avocat, déclarant substituer Me A. qui avait été désigné correspondant de Me X et Y, avocats des parties. Pour déclarer irrecevables ces appels, la cour d'appel retient qu'ils ont été formés par un avocat non désigné par les parties civiles. Un pourvoi a été formé soutenant, entre autres, d'une part, que la déclaration du choix de l'avocat par une partie résulte suffisamment de l'ordonnance de non-lieu qui mentionne celui ci et de la transmission par le juge d'instruction des réquisitions du ministère public à cet avocat en cette qualité, et, d'autre part, que la pratique de la substitution d'un avocat par un autre ne peut être assimilée à la désignation d'un nouveau conseil. En vain. En effet, en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une exacte application des dispositions combinées des articles 115 (N° Lexbase : L0931DY7) et 502 (N° Lexbase : L2819IP4) du Code de procédure pénale, lesquels ne sont pas contraires à l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

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Avocats/Publicité

[Doctrine] La publicité personnelle, instrument au service de tous les avocats ?

Lecture: 8 min

N3911BUE

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 02 Octobre 2014

L'approche de la question de la publicité personnelle de l'avocat ne peut plus être simplement dogmatique, elle doit être pragmatique. Ce qui n'exclut pas cependant une réflexion éthique et la nécessaire référence aux principes essentiels de la profession. Longtemps, l'avocat a construit sa notoriété -à défaut de célébrité- sur une pratique professionnelle aisément identifiable par un public de proximité. Même généraliste, l'avocat se voyait reconnaître, voire attribuer, une ou des "spécialités" par une clientèle apparemment très bien informée de ses compétences. Une clientèle informée de quelle manière ? Par le bouche à oreille, par la publicité des audiences, par la presse locale, par les ancêtres des "réseaux sociaux" -clubs et centres en tous genres dans lesquels l'avocat se devait de paraître-. Le nombre peu important des avocats d'un même barreau, comme la postulation, assuraient tout à la fois un maillage territorial du barreau et garantissaient aux avocats l'acquisition rapide d'une notoriété locale. Elle leur assurait aussi une relative prospérité, gage d'une réussite perçue comme la confirmation de leur compétence. Même le jeune avocat tout juste diplômé, alors stagiaire, à défaut de connaître d'emblée la réussite dans le cénacle des anciens, pouvait légitimement, et à raison, espérer y prendre sa place assez rapidement. Dans un tel contexte historique où l'avocat était un notable, la publicité n'avait pas sa place. L'explication en était économique, mais éthique également. Les règles et usages de la profession, la déontologie, n'empêchaient pas l'avocat d'avoir une haute conception de son rôle d'auxiliaire de justice. La publicité était affaire de commerçants. Et l'avocat n'était pas un commerçant. Insolent (parfois), conventionnel (souvent), indépendant (toujours), ce libéral était à ce point détaché des contingences matérielles que la comptabilité lui apparaissait comme une contrainte vulgaire. La création des centres de gestion agréée, et singulièrement celle de l'ANAAFA, n'est pas si récente à l'échelle d'une vie professionnelle.

Et avec elle, l'irruption de la fiscalité directe qui a quelque peu érodé sa prospérité.

La TVA, certes récupérable -mais sur quoi ?- est apparue au début des années 1980 et a entraîné un renchérissement du coût des prestations de l'avocat. Neutre pour les entreprises commerciales clientes de l'avocat, elle ne l'était pas pour la grande masse des justiciables particuliers. Cette TVA était en pratique souvent impossible à répercuter dans la facturation de l'avocat, sauf à devenir économiquement insupportable.

Jusqu'alors, l'avocat pouvait intervenir gratuitement dans la défense des plus démunis. Et il le faisait effectivement, considérant d'ailleurs cela comme un honneur.

N'existait alors que l'ancienne aide juridique dont le champ d'application était très étroit, ce dont nous ne nous rappelons pas que l'avocat se serait plaint.

Le barreau de Paris, barreau de la capitale, par essence "extraordinaire" au sens littéral du terme, était incarné en la personne de son Bâtonnier. Le barreau de province l'était par le président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer.

L'Union nationale des jeunes avocats apportait sa contribution, plutôt consensuelle, à cette représentation bicéphale. D'ailleurs, l'UJA était plutôt ludique et festive au plan local, plus politique au plan national, sans que semble-t-il cette dichotomie ait jamais été réellement perçue.

D'autres syndicats jouaient un rôle mineur aux côtés de ces instances représentatives, non pas faute de talents ni d'idées, mais faute de membres en nombre suffisant.

Et puis est venu le temps de la fusion des anciennes professions d'avocat et de conseil juridique, celui de l'aide juridictionnelle et celui de l'essor des contrats d'assurance de protection juridique, celui aussi des mentions de spécialisations, sans oublier non plus celui du RPVA.

Est venu aussi le temps aussi d'une nouvelle gouvernance de la profession d'avocat.

Cette fusion des anciennes professions a-t-elle fait naître la grande profession du droit annoncée ?

Ce qui doit a minima être constaté objectivement, c'est qu'elle a introduit le salariat dans une ancienne profession d'avocat qui, non seulement, ne le connaissait pas, mais le vouait à tous les maux, incompatible qu'il était avec le sacro-saint caractère libéral de l'exercice de la défense.

Elle a introduit les sociétés de capitaux, dont les règles et modalités de fonctionnement restent en constante évolution, ainsi qu'en témoignent les dernières communications du CNB sur ce sujet.

Entre, d'une part, une aide juridictionnelle dont l'importance du champ d'application est inversement proportionnelle au montant des indemnisations qu'elle verse, et, d'autre part, une assurance de protection juridique qui tend à protéger les particuliers non admissibles à l'aide juridictionnelle, la clientèle de ces particuliers qui constituait le coeur de l'activité de l'avocat traditionnel s'est réduite comme peau de chagrin.

La clientèle des entreprises commerciales s'est tournée -comment s'en étonner ?- vers des structures regroupant des confrères aux spécialités reconnues et complémentaires.

L'avocat traditionnel a vécu.

Il n'a jamais vraiment recouru à la publicité personnelle.

La loi du 17 mars 2014 (loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX), dite loi "Hamon", est venue modifier la loi de 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) dans les termes suivants :

"L'article 3 bis de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

  • dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée.
  • toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires".

Notre propos ne sera pas ici de rappeler les dispositions de l'article 24 § 1er de la Directive 2006/123/CEE, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), qui doit être interprétée en ce qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d'une profession réglementée d'effectuer des actes de démarchage, ni de rappeler les termes de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 5 avril 2011 qui, au visa de la Directive, a ouvert la voie à une modification de notre législation nationale (CJUE, 5 avril 2001, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3).

La loi du 17 mars 2014 est devenue un élément de notre droit positif.

En l'absence de publication du décret, la loi nouvelle n'est pas applicable à ce jour. Que faut-il néanmoins retirer des dispositions de la loi nouvelle ?

En premier lieu, que l'avocat sera autorisé à recourir à la publicité, ce qui n'est pas nouveau puisque la publicité personnelle de l'avocat était déjà autorisée, notamment, par l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790 N° Lexbase : L6025IGA) et encadrée par les dispositions de l'article 10 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

En deuxième lieu, que l'avocat sera autorisé à recourir à la sollicitation personnalisée, ce qui va bien au-delà de la notion de démarchage, laquelle a un caractère beaucoup plus général.

En troisième lieu, que toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée devra faire l'objet d'une convention d'honoraires. Cette garantie n'en est pas une alors que la convention d'honoraires est de toute façon devenue une préconisation généralisée, voire obligatoire dans bien des domaines, alors que la liberté de l'honoraire est devenue l'exception.

C'est donc à partir des dispositions du décret à paraître, qui fixera les conditions du recours à la publicité et à la sollicitation personnalisée par l'avocat, que seront connues les règles nouvelles applicables en la matière.

Sans être devin, nous pouvons d'ores et déjà prévoir que ces règles nouvelles qui seront élaborées, espérons-le, en concertation par le CNB et la Chancellerie, renverront aux principes essentiels de la profession et, à défaut d'énumérer les formes de publicité et de sollicitations personnalisées autorisées à l'avocat, diront celles qui demeurent interdites.

Attendons, avec curiosité, de découvrir comment la sollicitation personnalisée se conciliera avec les principes de confraternité et de loyauté.

Devons-nous en être rassurés ?

Le propre de la règle de droit est d'être applicable à tous. Il ne fait aucun doute que la publicité et la sollicitation personnalisée seront donc ouvertes à tous les cabinets d'avocats, petits ou grands.

Le jeu d'une libre concurrence sera donc permis, au moins en théorie.

Mais en pratique ?

Personne ne peut douter que la profession d'avocat doit évoluer pour être en adéquation avec la société de 2014, et celle de demain. Il est cependant frappant de constater que tous les thèmes de réflexion sur la nécessaire évolution de la profession sont cloisonnés et ne s'inscrivent pas, du moins c'est l'apparence qui nous est suggérée, dans un projet d'ensemble.

Sans doute serait-il salutaire de nous livrer à cette réflexion d'ensemble qui ne nous est pas proposée par la nouvelle gouvernance de la profession.

La suppression des avoués était la partie émergée de l'iceberg. En réalité, elle a porté un coup décisif contre la postulation. La suppression de la territorialité devant les TGI est évoquée par les pouvoirs publics, sans qu'il soit clairement établi que ce projet n'aurait pas été inspiré aux pouvoirs publics. Notre représentation nationale proteste contre cette suppression. Cette protestation portera-t-elle ses fruits ?

Le RPVA est incontestablement l'outil technique qui permettra à tout avocat, quel que soit son barreau de rattachement, de pallier la suppression de la postulation et d'exercer son activité professionnelle sur l'ensemble du territoire français, sans avoir à recourir au concours d'un correspondant local. L'idée, n'en doutons pas, est de favoriser l'accès du justiciable à toutes les juridictions en réduisant les coûts. Ainsi, le RPVA va permettre à un avocat appartenant à un très petit barreau situé aux confins de l'Hexagone de développer son activité à Paris, comme dans les grandes métropoles régionales.

L'ouverture prévisible des cabinets d'avocats à des capitaux extérieurs, alliée au développement du salariat dans des structures à forme capitalistique, va favoriser la création de cabinets de dimension nationale ou régionale.

Le projet de création d'un statut de l'avocat en entreprise, bien que rejeté très majoritairement par les avocats, est sans cesse remis à l'ordre du jour.

L'aide juridictionnelle, décriée pour des motifs tellement connus de tous qu'il est inutile de les rappeler ici, pourrait être confiée à l'avenir à des avocats dont l'activité serait dédiée au secteur assisté. Des expériences sont menées, dans la plus grande discrétion, dans des barreaux dits pilotes. Il est vrai que la rémunération forfaitaire d'un groupe limité d'avocats dans un barreau déterminé pourrait s'avérer moins onéreuse que l'émiettement des indemnisations, affaire par affaire entre tous les membres de ce barreau. La solution aurait en outre le mérite de libérer une large voie à des structures d'exercice inter-barreaux pour lesquelles l'aide juridictionnelle, dans sa forme actuelle, constitue un frein à leur expansion.

Le barreau de Paris, exceptionnel par son histoire, par son influence et par le nombre de ses avocats, l'est également par son poids économique. La majeure partie des centres décisionnels des entreprises françaises sont concentrés à Paris.

Si l'avocat n'est pas un commerçant, l'addition des activités judiciaires et juridiques des barreaux français constitue bien un marché qui se chiffre en milliards d'euros.

Est-il déraisonnable de craindre une centralisation des contentieux sur tout le territoire par le biais d'accords commerciaux entre entreprises et structures d'avocats de dimension nationale ?

Heureusement, la profession d'avocat demeure une profession libérale et indépendante ainsi que le proclame l'article 1er de notre RIN.

Pourtant, les avocats de province, mais sans doute aussi la grande majorité des avocats parisiens, connaissent aujourd'hui une crise économique sans précédent.

L'école des avocats du barreau de Paris délivre chaque année des diplômes d'avocat dans un nombre, que certains disent déraisonnables, qui conférera à brève échéance une majorité arithmétique au barreau parisien par rapport aux barreaux de province. Cette majorité ne restera-t-elle qu'arithmétique ou signera-t-elle, de fait ou de droit, la disparition du CNB ?

Et la publicité dans tout cela ?

Il faut, nous dit-on, que chaque avocat se fasse connaître et fasse connaître ce qu'il fait.

Il faut, nous dit-on, nous protéger des "braconniers du droit" sans cesse plus nombreux et plus agressifs.

Il faut, nous dit-on, nous protéger des avocats étrangers qui ont recourent déjà à la publicité personnelle et dont nous voyons chaque jour les "hordes" déferler dans nos villes et nos villages.

Il faut, nous dit-on, admettre comme anormal que l'Etat ou des sociétés multinationales doivent avoir recours à des cabinets avocats étrangers pour pallier la carence des cabinets français, même parisiens, qui seraient incapables de lutter contre cette concurrence.

Mais faudra-t-il demain nous protéger contre la concurrence de grands cabinets français, disposant de moyens financiers incomparables, renforcés par l'apport de capitaux extérieurs, recourant massivement au salariat, affranchis de toute contrainte de postulation, libérés de l'aide juridictionnelle ?

La publicité personnelle de l'avocat et la sollicitation personnalisée seront-elles un moyen de défense des avocats les plus fragiles économiquement, ou une arme redoutable pour la conquête de nouveaux marchés ?

A chacun de se faire une opinion.

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Divorce

[Brèves] Prestation compensatoire : appréciation de la disparité, créée par la rupture, dans les conditions de vie respectives des époux séparés depuis longtemps avant le divorce

Réf. : Cass. civ. 1, 24 septembre 2014, n° 13-20.695, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0811MXC)

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N3841BUS

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Le 03 Octobre 2014

L'un des époux ne peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire que si la disparité dans leurs conditions de vie respectives est créée par la rupture du mariage. Selon la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt rendu le 24 septembre 2014, il peut être déduit des choix de vie effectués en commun par les époux durant l'union que la disparité constatée ne résulte pas de la rupture (Cass. civ. 1, 24 septembre 2014, n° 13-20.695, FS-P+B+I N° Lexbase : A0811MXC). Selon la requérante, en retenant, pour la débouter de sa demande, que les époux avaient changé de régime matrimonial après vingt-cinq ans de mariage, substituant au régime de la communauté légale celui de la séparation de biens, qu'ils vivaient séparés depuis près de vingt ans et que la disparité effective de revenus et de patrimoines existant entre les époux ne résultait pas de la rupture du mariage mais de l'état de fait préexistant, lié aux choix opérés depuis plus de vingt ans par les époux, que ce soit en changeant de régime matrimonial et en partageant la communauté ayant existé entre eux, ou dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles, la cour d'appel de Rennes, qui s'était fondée sur des circonstances antérieures au prononcé du divorce impropres à écarter le principe d'une prestation compensatoire, n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 270 (N° Lexbase : L2837DZ4) et 271 (N° Lexbase : L3212INB) du Code civil ; de même, en retenant qu'elle n'avait jamais sollicité de fixation judiciaire de la contribution de son mari aux charges du mariage, pas plus qu'elle n'avait réclamé de pension alimentaire au titre du devoir de secours, la cour d'appel avait statué par des motifs inopérants et violé de ce chef les articles précités. Les arguments sont écartés par la Cour suprême qui, après avoir énoncé la solution précitée, estime que c'est en se plaçant au jour où elle statuait que la cour d'appel, après avoir constaté que les époux étaient séparés de fait depuis vingt ans, qu'ils avaient changé de régime matrimonial pour adopter celui de la séparation de biens, liquidé la communauté ayant existé entre eux et poursuivi chacun de leur côté une activité de promotion immobilière, sans que l'épouse n'ait demandé de contribution aux charges du mariage depuis la séparation ni de pension alimentaire au titre du devoir de secours lors de l'audience de conciliation, avait souverainement estimé que la disparité dans les conditions de vie respectives des parties ne résultait pas de la rupture du mariage (à rapprocher de Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-26.541, F-P+B N° Lexbase : A7345KST ; cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7553ETW).

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives : une ordonnance complémentaire publiée au JO

Réf. : Ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014 (N° Lexbase : L2958I4C)

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N3853BUA

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Le 02 Octobre 2014

Une nouvelle ordonnance, publiée au Journal officiel du 27 septembre 2014 (ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014 N° Lexbase : L2958I4C), vient compléter l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives (N° Lexbase : L7194IZH). Est notamment supprimée la faculté pour le tribunal de se saisir d'office prévue par l'article L. 621-12 (N° Lexbase : L7284IZS) dans une hypothèse de conversion d'une procédure de sauvegarde en redressement judiciaire qui se rapproche d'une saisine ab initio. L'article 9 supprime quant à lui la saisine d'office du tribunal en cas de reprise d'une procédure de liquidation judiciaire après clôture. Le 2° de l'article 7 dispose que les mandataires de justice et les personnes désignées pour réaliser l'inventaire en procédure de liquidation judiciaire devront faire connaître au tribunal tout risque de conflit d'intérêts. L'article 8 modifie l'article L. 641-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7327IZE) afin de tirer les conséquences de la survivance de la personnalité morale d'une société jusqu'à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs au regard des obligations en matière d'arrêté et d'approbation des comptes annuels résultant du livre II du Code de commerce. La nouvelle rédaction précise que les obligations en la matière incombent aux dirigeants de la personne morale débitrice et prévoit la désignation d'un mandataire ad hoc à la demande du liquidateur pour pallier l'inaction des dirigeants. L'article 11 prévoit que le Trésor public peut devoir prendre en charge certains coûts de la procédure de rétablissement professionnel autres que l'indemnité due au mandataire de justice qui assiste le juge commis chargé de l'enquête mise en oeuvre dans le cadre de cette procédure. L'avance de ces frais par le Trésor génère à l'égard du débiteur une créance qui ne peut faire l'objet de l'effacement des dettes prévu par le nouvel article L. 645-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L7258IZT). L'article 3 clarifie l'article L. 628-1 (N° Lexbase : L7312IZT), en précisant que les seuils d'éligibilité à la procédure de sauvegarde accélérée fixés par décret sont chacun alternatif. Enfin, les articles 4 et 10 visent à corriger des erreurs rédactionnelles de l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée et l'article 6 rectifie une erreur de référence. Il est prévu l'application de l'ordonnance aux procédures en cours. Toutefois, les dispositions ne concernant que les procédures instituées par l'ordonnance du 12 mars 2014 ne s'appliqueront qu'à compter du 1er juillet 2014, tandis que les dispositions relatives à l'avance de frais par le Trésor public ne s'appliqueront qu'aux procédures ouvertes à compter de la publication de l'ordonnance.

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Filiation

[Jurisprudence] Le recours à la PMA à l'étranger n'est pas un obstacle à l'adoption d'un enfant par la concubine de sa mère

Réf. : Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 (N° Lexbase : A9175MWQ) et n° 15011 (N° Lexbase : A9174MWP)

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N3933BU9

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 02 Octobre 2014

Inquiétudes. Le refus récent de deux tribunaux de grande instance de prononcer l'adoption d'un enfant par l'épouse de sa mère au motif que l'enfant avait été conçu à l'étranger par procréation médicalement assistée avec tiers donneur (1), avait jeté le doute sur une question qui paraissait pourtant résolue depuis la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 (N° Lexbase : L7926IWH). En effet, selon la note de la Direction des affaires civiles et du sceau du 17 juillet 2014, la plupart des requêtes en adoption de l'enfant de la conjointe au sein des couple de même sexe avaient été jusqu'alors satisfaites par les tribunaux. Seules neuf décisions refusant le prononcé de l'adoption ont été comptabilisées, parmi lesquelles trois décisions du TGI de Versailles et une décision du TGI d'Aix-en-Provence qui se fondaient sur la fraude à la loi que constituerait le recours à la PMA à l'étranger.

Demande d'avis. Quoique minoritaires, ces refus ont logiquement conduit certains juges du fond, et particulièrement le TGI de Poitiers ainsi que le TGI d'Avignon, à saisir la Cour de cassation d'une demande d'avis (2) pour déterminer si "le recours à la procréation médicalement assistée, sous forme d'un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l'étranger par un couple de femmes, dans la mesure où cette assistance ne leur est pas ouverte en France, conformément à l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7144IQN), est de nature à constituer une fraude à la loi empêchant que soit prononcée une adoption de l'enfant né de cette procréation par l'épouse de la mère ?" La demande formulée par le TGI de Poitiers contenait par ailleurs une question complémentaire pour savoir si "l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent [...] au contraire de faire droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant ?".

Clarification du débat. La Cour de cassation ne se dérobe pas et tranche clairement le débat dans les deux avis du 22 septembre 2014 en affirmant que "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant". Ce faisant, elle répond aux questions posées par les TGI de Poitiers et d'Avignon, affirmant d'abord que les conditions de la conception de l'enfant ne doivent pas être prises en compte dans le cadre de son adoption (I) mais en rappelant également que cette adoption n'est pas un droit de l'épouse de la mère et qu'elle doit être conforme à l'intérêt de l'enfant (B).

I - L'indifférence des conditions de conception de l'enfant

Motifs du refus de l'adoption. Selon les juridictions du fond qui ont refusé de prononcer l'adoption de l'enfant par la femme de sa mère, le fait pour un couple de femmes de recourir à une insémination artificielle légale à l'étranger pour concevoir un enfant, et de recourir ensuite en France à une adoption intraconjugale, constitue une fraude qu'il appartient au juge d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer. Le tribunal d'Aix-en-Provence s'est fondé sur la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe (3), aux termes de laquelle "l'éventualité d'un détournement de la loi lors de son application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité, et qu'il appartient aux juridictions compétentes d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant de réprimer de telles pratiques". Le tribunal de grande instance de Versailles affirme en outre qu'"établir une distinction entre les couples homosexuels hommes, pour lesquels le recours à la gestation pour autrui est pénalement répréhensible, et les couples homosexuels femmes qui ont physiologiquement la possibilité de mener à bien un grossesse, serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité devant la loi".

Absence de motivation. L'avis de la Cour de cassation ne contient aucune motivation et ne répond donc à aucun des arguments soulevés tant par les partisans d'une admission de l'adoption de l'enfant né par PMA que par les partisans de son refus. Il convient, quoiqu'avec une certaine prudence, de rechercher ses motivations dans le rapport de Mme Le Cotty -dont les conclusions ne sont cependant pas publiques- et dans l'avis de M. Sarcelet, avocat général -dont les préconisations ne sont pas totalement suivies par la Cour de cassation-, qui accompagnent l'avis de la Cour et dont il est probable qu'elle s'est inspirée.

Rejet implicite de la fraude. La formule selon laquelle "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère", peut soit signifier qu'il n'y a pas de fraude, soit signifier, comme semble le considérer l'avocat général, que cette fraude "caractérisée par le recours à assistance médicale à la procréation dans des conditions où elle n'est pas ouverte en France", ne doit pas empêcher que soit prononcée l'adoption par le conjoint de l'enfant ainsi conçu. En effet, si l'article 16-7 du Code civil (N° Lexbase : L1695ABE) prohibe toute convention portant sur la gestation pour autrui, aucune disposition relative au respect du corps humain n'interdit l'assistance médicale à la procréation. La solution rappelle celle de l'arrêt du 8 juillet 2010 dans lequel la Cour de cassation avait affirmé que "le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant" (4). Certaines dispositions du droit français n'ont pas une importance telle que leur contournement par des dispositions étrangères favorables constitue une atteinte à l'ordre public. L'avis du 22 septembre 2014 permet de penser qu'il en va ainsi des conditions de l'accès à la PMA prescrites par l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique, contrairement à ce que la Cour de cassation a décidé pour les enfants nés de convention de gestation pour autrui à l'étranger (5). Comme le souligne le rapport de Madame Le Cotty, le principe est que l'illicéité originaire des conditions de conception est indifférente pour l'établissement ultérieur d'une filiation adoptive. Seules deux exceptions donnent lieu à un contrôle des conditions des conditions de conception des enfants : "la gestation pour autrui, car elle fait intervenir le corps d'une autre femme que la mère d'intention, et l'inceste absolu car l'article 310-2 du Code civil interdit expressément tout lien de filiation".

Ouverture de l'adoption aux couples homosexuels mariés. L'avocat général souligne dans son avis que "les débats parlementaires ont montré combien l'assistance médicale à la procréation ne pouvait pas demeurer étrangère à la reconnaissance du mariage des couples de même sexe". Lors du vote de la loi du 17 mai 2013, il apparaissait évident, même aux détracteurs du mariage pour tous, que l'ouverture de celui-ci aux couples de même sexe allait permettre la création par la voie de l'adoption de familles composées de deux parents de même sexe, en particulier par le recours à la PMA.

Sécurité juridique. En affirmant clairement que les conditions de la conception de l'enfant qui fait l'objet d'une demande d'adoption par la femme de sa mère doivent être indifférentes, la Cour de cassation évite aux couples de femmes qui ont conçu ensemble un projet parental qui passe par le recours à le mariage, la PMA et l'adoption de l'enfant par le conjoint, de se retrouver dans une situation d'insécurité juridique. Le rattachement de l'enfant, objet de ce projet de couple, à la femme qui ne l'a pas mis au monde, ne pourra donc pas être refusé par un juge au motif que les conditions de sa conception sont contraires au droit français. L'avis de la Cour de cassation, s'il ne s'impose pas, en droit, aux juges du fond, est en effet pourvu d'une autorité de fait qui rend peu probable une résistance des juges du fond qui prendraient alors le risque de voir leur décision cassée. Il n'en demeure pas moins qu'une évolution de la législation française dans le sens d'un accès à la PMA pour les couples de femmes serait plus logique (6).

II - L'exigence de la conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant

Seconde question. Alors que l'avocat général avait proposé à la Cour de cassation de "dire qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la seconde question" portant sur l'intérêt de l'enfant, et de se contenter d'affirmer l'indifférence des conditions de conception de l'enfant pour admettre son adoption, la Haute juridiction a tenu à préciser dans son avis que l'adoption de l'enfant par l'épouse de sa mère doit satisfaire les conditions légales de l'adoption et être conforme à l'intérêt de l'enfant. Par cette précision, la Cour de cassation répond par la négative à la question posée par le tribunal de grande instance de Poitiers consistant à déterminer si "l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent-ils au contraire de faire droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant ? , et impose au juge de procéder à une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant, objet de la demande d'adoption.

Rejet d'une présomption de conformité de l'adoption du conjoint à l'intérêt de l'enfant. En précisant que l'adoption de l'enfant par l'épouse de sa mère doit être conforme à son intérêt, la Cour de cassation semble rejeter l'idée qu'il existerait une présomption selon laquelle cette adoption serait conforme à l'intérêt de l'enfant. Ni l'intérêt supérieur de l'enfant, ni le droit à la vie privée et familiale ne peuvent, de manière abstraite, imposer qu'il soit fait droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant. Si l'adoption de l'enfant du conjoint est sans nul doute favorisée par le droit français qui lui accorde un régime dérogatoire, la rendant plus accessible, elle ne saurait être considérée comme un droit pour le conjoint. Ce dernier, comme tout adoptant, doit démontrer que l'adoption envisagée est bien conforme à l'intérêt de l'enfant. L'avis de la Cour de cassation fait, sur ce point, écho à la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 qui érige au rang constitutionnel l'exigence de la conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant en se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (7).

Appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant. En refusant de poser une présomption de conformité de l'adoption par le conjoint à l'intérêt de l'enfant, la Cour de cassation impose au juge de procéder à une appréciation concrète et spéciale de l'intérêt de l'enfant dans le cadre de son adoption par la conjointe de sa mère. Il est évident que cette appréciation tiendra compte des circonstances particulières tenant à l'existence d'un projet parental commun, et du fait que les deux femmes élèvent l'enfant ensemble. Il n'en reste pas moins que le rappel de la Cour de cassation relatif à l'intérêt de l'enfant permet d'écarter toute idée d'un droit à l'enfant qui ne saurait être admis dans la famille homosexuelle, pas plus que dans la famille hétérosexuelle.


(1) TGI Versailles, 29 avril 2014, n° 13/00168 (N° Lexbase : A9405MKK) ; TGI Aix-en-Provence, 23 juin 2014 n° 14/01472.
(2) Sur le fondement de l'article 1031-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6935IA4).
(3) Cons. const., décision n° 2013-669 DC, du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4431KDH).
(4) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I), et nos obs., Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance..., Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6436BP3).
(5) Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 (N° Lexbase : A5705HMA), n° 10-19.053 (N° Lexbase : A5707HMC) et n° 09-17.130 (N° Lexbase : A5704HM9), FP-P+B+R+I ; nos obs., Convention de gestation pour autrui à l'étranger : l'intérêt de l'enfant sacrifié sur l'autel de l'ordre public, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N9639BRG), D., 2012, p. 22, obs. F. Granet-Lambrechts ; Dr. fam., 2012, n° 5, p. 19, obs. C. Neirinck. Cass. civ. 1, 13 septembre 2013, 2 arrêts, n° 12-18.315 (N° Lexbase : A1669KLE), et n° 12-30.138 (N° Lexbase : A1633KL3), FP-P+B+I+R ; nos obs., La fraude plus forte que l'intérêt supérieur de l'enfant !, Lexbase Hebdo n° 542 du 3 octobre 2013 - édition privée (N° Lexbase : N8755BTG) ; RJPF, 2013, n° 11, p. 6, obs. M.-C. Le Boursicot, D., 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 13-50.005, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0784MHI), RJPF, 2014, n° 5, obs. I. Corpart ; D., 2014, p. 905, obs. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon.
(6) En ce sens le Rapport d'I. Théry et A.-M. Leroyer, Filiation, origines, parentalité, AJfam., 2014, p. 293.
(7) Cons. const., décision n° 2013-669 DC, du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4431KDH).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'article 209 B confronté à la liberté d'établissement après l'arrêt du Conseil d'Etat du 4 juillet 2014

Réf. : CE, 4 juillet 2014, n° 357264, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3105MUK)

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par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine et Nicolas Dragutini, Master 2 Fiscalité de l'entreprise, Université Paris-Dauphine

Le 02 Octobre 2014

Sauf à s'appliquer à un montage purement artificiel, l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9422IT7), dans sa rédaction antérieure à 2006, n'est pas compatible avec la liberté d'établissement. Si cette décision du Conseil d'Etat du 4 juillet 2014 (1) (CE, 4 juillet 2014, n° 357264, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3105MUK) nous éclaire sur l'ancien système, elle entretient un flou artistique sur la validité de l'article 209 B dans sa version actuelle. L'article 209 B du CGI permet l'imposition en France des résultats d'entreprises étrangères détenues par des sociétés françaises et localisées dans des Etats dans lesquels elles bénéficient d'un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI (N° Lexbase : L3230IGQ), c'est-à-dire qu'elles ne sont pas imposables dans cet Etat ou soumises à un impôt inférieur de plus de la moitié à celui qu'elles auraient dû acquitter si elles avaient été établies en France (2). Directement issu des recommandations internationales visant à lutter contre les régimes fiscalement dommageables (3) et à encadrer les sociétés étrangères contrôlées, ce régime constitue une exception au principe de territorialité de l'impôt et permet ainsi de taxer en France des bénéfices étrangers qui normalement n'y seraient pas taxables (4).

Par une intégration européenne grandissante, la Cour de justice de l'Union européenne connaît régulièrement des affaires mettant en jeu la contradiction entre les libertés fondamentales européennes et la volonté des Etats de lutter contre les pratiques d'évasion fiscale. La Cour européenne a ainsi développé une jurisprudence fixe selon laquelle les Etats ne peuvent pas contrevenir à la liberté européenne d'établissement par leurs outils anti-abus sauf à viser spécifiquement les montages purement artificiels destinés à éviter la législation nationale.

C'est dans ce cadre que s'insère la décision n° 357264 du Conseil d'Etat, statuant en 3ème, 8ème, 9ème, et 10ème sous-sections réunies, intervenue le 4 juillet 2014. En tranchant le litige opposant une grande société française à l'administration fiscale, la Haute juridiction a poursuivi la remise en cause de l'article 209 B avant sa modification de 2006 (5) et relayé les réflexions portant sur son régime actuel.

En l'espèce, cette société absorba une autre société le 7 décembre 1998, avec effet rétroactif au 1er janvier de la même année. L'opération fut placée sous le régime fiscal de faveur énoncé par l'article 210 A du CGI (N° Lexbase : L9521ITS). Par cette fusion, elle acquit des participations respectives de 25,72 %, 16,90 % et 15,32 % dans trois sociétés étrangères, les deux premières étant établies au Luxembourg et la dernière étant domiciliée à Guernesey.

A la suite de l'opération, l'administration fiscale rectifia à deux reprises le résultat de la société, réintégrant les résultats des trois sociétés au titre des exercices 2000 et 2001 une première fois, et les résultats des deux sociétés luxembourgeoises au titre des exercices 2003, 2004 et 2005, par une seconde rectification.

Entendant faire valoir ses droits, la société introduisit alors deux actions en décharge des rehaussements d'impôts et pénalités rattachées auprès des tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et Montreuil qui, le 1er décembre 2009 et le 20 janvier 2011 (TA Montreuil, du 20 janvier 2011, n° 0906981 N° Lexbase : A9025IKH), rejetèrent ses demandes respectives. La société interjeta alors appel devant la cour administrative d'appel de Versailles qui, le 13 décembre 2011 (CAA Versailles, 3ème ch., 13 décembre 2011, n° 10VE00230 N° Lexbase : A3445MXU) et le 3 avril 2012 (CAA Versailles, 3ème ch., 3 avril 2012, n° 11VE01056 N° Lexbase : A4451IK3), rejeta une nouvelle fois ses requêtes.

Par un pourvoi en cassation de 2012, la société demanda au Conseil d'Etat d'annuler les arrêts attaqués et de faire droit à ses demandes de décharges, évoquant à la fois la non-applicabilité du régime posé par l'article 209 B du CGI aux fusions placées sous le régime fiscal de faveur et l'incompatibilité du régime posé par l'article 209 B du CGI avec le principe européen de liberté d'établissement.

Se posaient alors deux questions au Conseil d'Etat, chacune remettant en cause le bien-fondé de l'application par l'administration de l'article 209 B. Si la première question fut au coeur de la décision de cassation du Conseil d'Etat, c'est véritablement la seconde qui paraît être la plus riche de portée (6).

Le premier moyen questionna la Haute juridiction sur l'articulation du régime de faveur des fusions pour l'application de l'article 209 B du CGI en vigueur lors des années d'imposition en litige : il s'agissait de déterminer si la fusion placée sous le régime de faveur s'entend comme une "acquisition" mentionnée au IV de l'article 209 B, ou si, au contraire, celle-ci doit être regardée différemment. Au-delà du cas d'espèce impliquant le régime de l'article 209 B du CGI, la question soulevée était celle de la distinction des fusions placées sous le régime de faveur de celles du droit commun au vu du principe de neutralité fiscale du régime de faveur.

A cette question, le Conseil d'Etat répond par la négative puisqu'il casse les arrêts attaqués pour erreur de droit, disposant que, dans l'espèce, le régime fiscal de faveur des fusions-acquisitions "fait obstacle"(7) à l'application de l'article 209 B.

Pour justifier sa position, le Conseil d'Etat reprend sa jurisprudence développée dans un arrêt du 11 février 2013 (8) qui consacre le principe de neutralité fiscale, déjà évoqué antérieurement par plusieurs précédents (9). En interprétant l'esprit de la Directive "fusion" du 23 juillet 1990 (10) selon laquelle, le législateur ayant entendu assurer la neutralité fiscale des fusions placées sous le régime de faveur, ces opérations doivent être considérées comme des opérations intercalaires, le Conseil d'Etat avait, en effet, conclu que, sauf disposition expresse contraire, les actifs transmis par l'opération doivent être "regardés comme figurant dans le patrimoine de la société absorbante depuis la date de leur acquisition ou de leur création par la société absorbée"(11).

Si la position du Conseil d'Etat n'est pas nouvelle, elle est néanmoins importante en ce qu'elle constitue un "prolongement"(12) du principe de neutralité fiscale énoncé par le précédent arrêt du 11 février 2013, en consacrant l'implication directe du caractère intercalaire au-delà du cas particulier de l'imposition des plus-values.

La seconde question soulevée par l'espèce paraît plus délicate en ce qu'elle entremêle les libertés fondamentales européennes et la souveraineté des Etats. En effet, le second moyen évoqué par le demandeur questionnait sur la compatibilité du régime posé par l'article 209 B avec la liberté européenne d'établissement avant sa modification de 2006 ; a fortiori, le cas semble être une nouvelle occasion de s'interroger sur le régime actuel.

En s'appuyant sur l'esprit des précédents communautaires et nationaux consacrés à la conformité des outils anti-abus aux libertés fondamentales communautaires, le Conseil d'Etat reconnaît explicitement la non-conformité de l'article 209 B du CGI à la liberté d'établissement dans sa rédaction antérieure à la modification de 2006 (I). Constituant une des premières applications pratiques de la jurisprudence communautaire (13), sa décision nourrit de nouvelles réflexions sur le contenu actuel de l'article et sur le régime rattaché de la preuve (II).

I - L'incompatibilité du régime de l'article 209 B dans sa rédaction d'avant 2006

La question de la compatibilité du régime 209 B d'avant 2006 (14) avec la liberté d'établissement n'était pas nouvelle, mais le Conseil d'Etat prend résolument parti pour l'incompatibilité de cette disposition, tout en reconnaissant que la lutte contre les montages artificiels, dont le but consiste à contourner la législation française, justifie une telle entrave (A). Ce faisant, la jurisprudence française s'inscrit dans les conditions posées par la jurisprudence communautaire (B).

A - L'incompatibilité partielle de l'ancien régime 209 B avec la liberté d'établissement

Notre affaire a la vertu première de consacrer et d'expliciter le jugement rendu dans une autre affaire par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en ce qu'elle prononce officiellement l'incompatibilité partielle du régime 209 B avec la liberté fondamentale européenne dans sa rédaction antérieure à 2006.

Dans le cas de ce dernier arrêt, l'administration avait redressé la requérante française sur le fondement de l'article 209 B avant 2006 au regard de sa filiale irlandaise. Le tribunal avait dû connaître de la conformité du système avant 2006 avec la liberté d'établissement, mais sans directement conclure sur cette compatibilité, celui-ci s'était limité à en rappeler les conditions. L'analyse de son jugement à la lumière des conclusions du rapporteur public, T. Paris (16), semblait pourtant permettre de statuer sur cette incompatibilité, de sorte qu'il avait été retenu du jugement le verdict (non explicité par le tribunal lui-même) selon lequel le régime 209 B, avant 2006, était incompatible avec la liberté d'établissement, sauf à s'appliquer à un montage purement artificiel dont le but serait de contourner la loi fiscale.

Pour éclairer les raisons de cette incompatibilité, le rapporteur public relevait que "si l'objectif de ces dispositions (de l'article 209 B avant sa modification de 2006) correspond, de manière globale, à un but de freiner l'évasion fiscale, force est de constater qu'elles visent de manière parfaitement indifférenciée tant les entreprises exerçant une activité économique réelle, que celles constituées dans le seul but de mettre en oeuvre un montage purement fiscal" (17). Sa lecture donnait donc à penser que l'article était non conforme, même si le tribunal ne s'était pas prononcé sur la question.

En concluant que le régime 209 B d'avant 2006 "peut avoir pour effet d'inclure dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés les résultats bénéficiaires de sociétés ou de groupements, alors qu'ils ont une implantation réelle et exercent une activité économique effective", tout en tempérant que ce système peut "légalement être appliqué sans méconnaître cette liberté, à des sociétés ou groupements qui ont le caractère de montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt normalement dû en France", le Conseil d'Etat reprend et étaye ici les conclusions de T. Paris. L'article 209 B était par conséquent inconciliable avec la liberté d'établissement en tant seulement qu'il visait les résultats localisés à des fins principalement fiscales dans des sociétés étrangères bénéficiant d'un régime fiscal privilégié sans que ces dernières soient privées de toute substance. Mais, dans le même temps, ce même article est jugé compatible avec la liberté d'établissement dans la mesure où il vise les coquilles vides (18), à savoir les entités étrangères dépourvues d'implantation réelle dans l'Etat d'accueil et n'y exerçant pas d'activité économique effective.

Le texte est donc invalidé partiellement, mais officiellement, et cela constituera une solide base jurisprudentielle pour les cas futurs concernés par les circonstances de l'affaire.

B - La convergence des jurisprudences communautaire et française sur la prééminence de la substance sur la forme

Pour fonder sa réflexion selon laquelle le régime d'avant 2006 n'est pas compatible avec la liberté d'établissement, le Conseil d'Etat s'appuie expressément sur la jurisprudence communautaire du 12 septembre 2006 (19), qui déclare que les mesures nationales anti-évasion ne sont pas conformes à la liberté d'établissement, mais que, par exception, sont admises les dispositions qui visent uniquement les montages purement artificiels destinés à se jouer des impositions nationales. Sur ce principe, ce dernier arrêt n'était pas inédit (le principe fut annoncé par un autre arrêt de la CJCE (20) et repris depuis (21)) et la position du Conseil d'Etat, qui maintient la jurisprudence européenne, ne l'est pas non plus.

L'avancée entreprise par le Conseil d'Etat est celle d'inscrire pour la première fois dans la jurisprudence nationale les conditions édictées par la CJUE qui délimitent les pourtours du montage purement artificiel destiné à éluder l'impôt. En effet, celle-ci avait précisé que, ne pouvait être considérée comme un montage artificiel dépourvu de réalité économique destiné à éluder l'impôt dû dans le premier Etat membre la société qui, "nonobstant l'existence de motivations de nature fiscale, [...] y est réellement implantée et y exerce des activités économiques effectives". Cette inscription est d'autant plus considérable qu'elle s'accorde avec l'instruction de l'administration (22) par laquelle celle-ci avait, dès 2012, retenu ces conditions pour délimiter la notion.

L'enregistrement des contours du "montage artificiel" effectué par le Conseil d'Etat a également l'intérêt notable de constater, une nouvelle fois (23), l'accord des hautes juridictions sur le principe de prééminence de la substance économique sur la forme. En effet, alors que le présent arrêt, qui reprend la décision européenne, conclut qu'il n'y a pas montage artificiel dès qu'il y a activité économique réelle, P. Collin concluait dans l'affaire française du 18 mai 2005 précitée : "ce que l'abus de droit par fraude à la loi sanctionne, c'est le montage par une pure fiction économique" (24). Force est de constater que l'espèce est un nouvel exemple d'alignement sur le principe de prééminence de la substance sur la forme.

Dès lors, plus que de s'inscrire comme une jurisprudence substantielle venant tout à la fois déclarer l'incompatibilité partielle de l'ancien système français et "enregistrer" la délimitation pratique de la notion de "montage artificiel", cet arrêt vient s'ajouter à un autre arrêt de la Cour de justice (25) pour pousser la convergence des notions d'abus de droit pour fraude à la loi en droit communautaire et droit français.

Toutefois, en s'accommodant des faits propres à l'espèce, l'arrêt commenté adopte des positions qui peuvent donner lieu à réflexions sur le contenu actuel de l'article et sur le régime rattaché de la preuve.

II - De nouvelles interrogations quant au régime 209 B dans sa version actuelle

En appliquant la jurisprudence communautaire, le Conseil d'Etat soulève de nouvelles interrogations sur l'interprétation à donner à la notion d'activité économique effective (A) et au régime de la preuve (B).

A - "Activité économique effective" : faut-il rajouter le critère d'utilité à celui de réalité ?

En délimitant la notion de montage purement artificiel, le Conseil d'Etat reprend les notions d'implantation réelle et d'activité économique effective tout en rappelant que celles-ci doivent être établies sur la base d'éléments objectifs et vérifiables. Si l'on comprend l'idée sous-jacente de substance économique, les limites pratiques de la notion d'activité économique effective restent plus délicates à appréhender et la décision du Conseil d'Etat contribue à s'interroger sur le sens à donner à la notion.

Dans l'espèce, pour fonder le moyen selon lequel le régime ne lui était pas applicable, la société indique que ses sociétés luxembourgeoises ont une activité économique effective et invoque au soutien de son moyen les circonstances selon lesquelles ces sociétés sont "cotées en bourse au Luxembourg, disposent d'un actionnariat diversifié, perçoivent des dividendes de sources étrangères et supportent des frais de structures substantiels". Le Conseil d'Etat écarte son moyen au motif que ces circonstances ne justifient pas une activité économique effective.

Au-delà même du cas particulier des holdings (dont les activités financières auraient a priori (26) également le droit de jouir de la liberté d'établissement), nous pourrions alors nous interroger sur la notion d'activité économique effective dans son application pratique, le Conseil d'Etat se contentant ici d'écarter un cas ne correspondant pas à la notion et ne donnant pas de définition précise.

Dans sa décision du 12 septembre 2006, la CJCE précisait qu'une activité économique effective doit s'apprécier à partir "d'éléments objectifs et vérifiables par des tiers, relatifs, notamment, au degré d'existence physique de la SEC (27) en termes de locaux, de personnel et d'équipements". Ne reprenant pas cette définition de la Cour pourtant admise par l'administration (28), le Conseil d'Etat déclare "qu'en l'absence de toute indication précise sur la consistance et la nature de l'activité économique alléguée", le moyen selon lequel il y aurait une activité économique effective doit donc être rejeté.

Si elles ne se contredisent pas, ces deux décisions nous forcent à nous interroger sur le sens de l'activé économique effective. En effet, pour être établie, suffit-il que l'activité soit "effective" au sens de matérialisée dans la réalité comme l'entend la CJUE, ou, est-il nécessaire qu'elle soit à la fois effective et utile à la société mère française ?

Dans ses conclusions, P. Léger proposait d'ajouter, au-delà des critères de réalité de l'implantation et d'effectivité de l'activité, un troisième critère de "valeur économique" des prestations rendues par la filiale au sens de pourvues "d'intérêt économique au regard de l'activité de ladite société (la société mère résidente)" (29). Derrière ce raisonnement apparaissait l'idée que la lutte contre l'évasion fiscale vise avant tout à éviter que les sociétés s'implantent dans un pays à fiscalité privilégiée dans le seul but de percevoir des dividendes exonérés ou peu imposés dans le pays de la source et exonérés au niveau de la société bénéficiaire en raison du régime des sociétés mères. Une société ne devrait ainsi pas s'implanter à l'étranger pour simplement gérer un portefeuille de titres, mais pour développer et étendre sa propre activité économique.

Force est cependant d'admettre que cette argumentation n'a pas été retenue par la CJUE, et que le Conseil d'Etat ne s'est pas explicitement orienté dans cette voie dans cette présente décision. Reste que l'on est surpris par la position stricte du Conseil d'Etat sur la notion d'activité effective et que l'on peut légitimement se demander si, implicitement, la Haute juridiction n'a pas adopté la position de P. Léger. Les prochaines décisions seront certainement précieuses pour éclaircir cette question.

B - Un renversement officiel de la charge de la preuve ?

Depuis l'arrêt de la CJCE du 12 septembre 2006, le régime de la preuve au regard du régime 209 B reste confus pour les entreprises européennes et la décision du Conseil d'Etat contribue à entretenir cette nébuleuse, laissant supposer l'attribution de la charge de la preuve à l'entreprise.

Avant sa modification de 2006, l'article 209 B attribuait la charge de la preuve aux entreprises, disposant qu'il leur revenait "d'établir" (30) que les opérations n'avaient pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans le pays à fiscalité privilégiée.

Animé par la prudence européenne (31) qui avait pour constance de considérer que le seul fait de créer une entité dans un autre Etat membre ne saurait inscrire une présomption générale de fraude fiscale, le législateur a ensuite opéré une refonte du système, transférant la charge de la preuve de l'entreprise à l'administration. Aussi la loi dispose-t-elle depuis 2006 que le régime posé par l'article 209 B n'est pas applicable aux entreprises européennes si "l'opération ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel" dont le but serait de contourner la loi. Si cette disposition pouvait semblait évasive, elle était néanmoins assurée par la doctrine (32) et la jurisprudence n'avait jusqu'alors pas eu à connaître de la question.

Par le cas d'espèce, le Conseil d'Etat semble reconnaître la charge de la preuve à la société, statuant "qu'en l'absence de toute indication précise sur la consistance et la nature de l'activité économique alléguée, que n'atteste aucun document social, les éléments produits par la requérante ne permettent pas de caractériser l'exercice d'une activité économique effective" ; cela semble d'autant plus manifeste que par l'arrêt du 12 septembre 2006, la CJUE statuait que "la société résidente, qui est la mieux placée à cet effet, doit être mise en mesure de produire des éléments concernant la réalité de l'implantation de la SEC et le caractère effectif des activités de celle-ci". Notons par ailleurs que dans ses conclusions, M.-A. Nicolazo de Barmon reconnaît sans ambages la charge de la preuve à la société (33).

Cette contradiction entre la loi et l'élan de la jurisprudence nous amène alors à nous interroger sur le régime de la preuve : à qui appartient la charge de la preuve dans le régime 209 B pour les sociétés européennes ?

S'il ne s'agissait que de savoir à qui incombe "l'obligation d'engager le débat" (34) et que l'administration doive ensuite "participer au débat" (35) pour "convaincre" (36) à son tour le juge que la preuve apportée par le contribuable est insuffisante, la portée de cette question semblerait à relativiser. A contrario, si cette question était subsumée dans celle de savoir s'il agit d'une présomption simple ou "quasiment irréfragable de fraude" (37) par laquelle l'administration s'arrogerait un rôle d'observateur passif ne partageant pas le débat, sa portée serait alors fondamentale en ce qu'elle toucherait à la sécurité juridique des entreprises. En s'alignant ou en s'écartant de la décision d'espèce, la jurisprudence future aura pour mission de répondre à cette question au-delà de celle en apparence première de savoir qui doit assumer la charge de la preuve.


(1) CE, 4 juillet 2014, n° 357264 (N° Lexbase : A3105MUK) : RJF, 10/14, n° 880, conclusions M.-A. Nicolazo ; BDCF, 10/14 n° 92 ; Dr. fisc., 2014, n° 38, comm. 536, conclusions M.-A. Nicolazo de Barmon, note J. Ardouin.
(2) P. Oudenot, La prise en compte des bénéfices réalisés dans un pays à fiscalité privilégiée : état des lieux de l'article 209 B, Dr. fisc., 2014, n° 38, p. 528.
(3) Selon le rapport OCDE "Concurrence fiscale dommageable, un problème mondial" de 1998.
(4) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, 38ème édition, LexisNexis, 2014-2015, p. 492, n° 1143 et s..
(5) On rappellera que l'article 209 B a été entièrement réécrit dans le cadre de la loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005 N° Lexbase : L5203GUA).
(6) Les conclusions de M.-A. Nicolazo de Barmon vont d'ailleurs dans ce sens, soulignant l'importance du second moyen : "La question de la base légale des impositions étant (enfin) résolue, vous pourrez en venir au moyen qui a justifié l'inscription de ces affaires devant votre formation de jugement".
(7) Selon les termes du Conseil d'Etat.
(8) CE, 11 février 2013, n° 356519 (N° Lexbase : A7120I7T) : RJF, 05/13, n° 474.
(9) CE, 19 avril 1989, n°58897 (N° Lexbase : A0723AQT) : RJF, 6/89, n° 667, 1er considérant ;
CE, 20 mars 1996, n° 153322 (N° Lexbase : A8240ANI) : RJF, 5/96, n° 562, 3ème considérant ;
CE, 20 mars 1996, n° 153319 (N° Lexbase : A8239ANH) : RJF, 5/96, n° 562, 3ème considérant.
(10) Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents (N° Lexbase : L7670AUM).
(11) CE, 11 février 2013, n° 356519, préc..
(12) Pour reprendre l'expression utilisée par M.-A. Nicolazo de Barmon dans ses conclusions.
(13) CJCE, 12 septembre 2006, C-196/04 (N° Lexbase : A9641DQ7) : RJF, 12/06, n°1644.
(14) La notion de "209 B d'avant 2006" utilisée le long du présent commentaire fait référence à l'article 209 B avant sa modification par la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005, préc..
(15) TA Cergy-Pontoise, 5ème ch., 25 octobre 2007, n° 03-2725 : RJF, 4/08, n° 525 ; BCDF, 4/08, n° 55.
(16) Ibid..
(17) Ibid..
(18) Pour reprendre l'expression utilisée par P. Collin dans ses conclusions (cf. CE, 18 mai 2005, n° 267087 N° Lexbase : A3517DI4 : RJF, 8-9/05, n° 910, conclusions P. Collin, BDCF, 8-9/05, n° 110).
(19) CJCE, gde ch., 12 septembre 2006, aff. C-196/04, préc : Rec. CJCE 2006, I, p. 7995 ; Dr. fisc. 2006, n° 39, act. 176 ; RJF, 12/2006, n° 1644 ; BDCF, 12/2006, n° 146, concl. P. Léger.
(20) CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96 (N° Lexbase : A0410AW4) : RJF, 11/98 n°1382, point 26.
(21) Notamment : CE, 18 mai 2005, n° 267087 préc. : RJF, 8/9 /2005, n° 910, 6ème considérant), TA Cergy-Pontoise 5ème ch., 25 octobre 2007, préc., et CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 (N° Lexbase : A5001DBT) : RJF, 5/04, n°558, point 50.
(22) BOI-IS-BASE-60-10-40-20120912 publié le 12 septembre 2012 au BOFIP (N° Lexbase : X4963ALE).
(23) A l'instar des arrêts du Conseil d'Etat du 18 mai 2005 et de la CJCE du 21 février 2006 qui, comme le constate O. Fouquet, opèrent une convergence en matière d'abus de droit (cf. "Interprétation française et interprétation européenne de l'abus de droit", RJF, 2006, Etude, p.383).
(24) CE, 18 mai 2005, n° 267087, préc. : RJF, 8-9/05, n° 910, conclusions P. Collin.
(25) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02 (N° Lexbase : A0045DNY) : RJF, 5/06, n° 648.
(26) Pour reprendre l'idée soutenue par M.-A. Nicolazo de Barmon : "toute holding ne constitue pas un montage purement artificiel au sens de la jurisprudence de la Cour de justice. Les activités financières ne sont pas exclues a priori du bénéfice de la liberté d'établissement, comme en témoigne l'arrêt CJCE du 12 septembre 2006".
(27) Société étrangère contrôlée (SEC).
(28) Dans son BOFIP sur le 209 B, l'administration reprend la conclusion de l'arrêt du 12 septembre 2006 (cf. BOI-IS-BASE-60-10-40-20120912 du 12 septembre 2012, préc.).
(29) CJCE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04, préc. : RJF, 12/06, n°1644, conclusions P. Léger, BDCF, 12/06, n° 146.
(30) Selon l'article 209 B avant sa modification de 2006.
(31) CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00 (N° Lexbase : A0406A78), Rec. p. 1-10829, point 62 ; CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98 (N° Lexbase : A0249AW7), Rec. p. I-7587, point 45 ; CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, préc., point 51.
(32) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, préc., n° 1155, p. 494 : "l'administration n'est autorisée à invoquer les dispositions de l'article 209 B que lorsqu'elle démontre que l'implantation [...] est un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française". On notera également que les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative 2012, en présentant le système applicable depuis 2006 aux implantations européennes, admettent ouvertement le renversement de la charge de la preuve opéré en 2006 : "La preuve du caractère artificiel d'un montage doit être apportée par l'administration fiscale" (cf. "Rapport n° 689 du 23 juillet 2012", p.172).
(33) "La société résidente doit seulement être mise en mesure de démontrer la réalité de l'implantation de sa filiale et le caractère effectif de ses activités" (cf. CE, 4 juillet 2014, n° 357264, préc.)
(34) Pour reprendre le raisonnement et les termes employés par T. Pons dans son étude (cf. "Les mesures contre l'évasion fiscale internationale et la Constitution", BF, 01/12).
(35) Ibid..
(36) Ibid..
(37) Pour reprendre le développement et les termes employés par T. Pons : "L'optimisation fiscale internationale doit-elle faire l'objet d'une présomption quasiment irréfragable de fraude et être combattue avec des mécanismes plus exorbitants que la fraude à la française' ?" (cf. "L'article 209 B : règle de territorialité élargie ou mesure anti-évasion ?", BF, 4/11)

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Régime des sociétés mères : le prêt de titres à sa propre société mère vaut rupture de l'engagement de conservation des titres pour une durée de deux ans

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 363555, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2949MXI)

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N3875BU3

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Le 03 Octobre 2014

Aux termes d'une décision rendue le 26 septembre 2014, le Conseil d'Etat a précisé que le fait, pour une société, de ne pas respecter l'une des conditions du régime fiscal des sociétés mères, comme en l'espèce l'engagement de conservation des titres pendant au moins deux ans, suffit à remettre en cause l'application de ce régime fiscal, sans qu'il puisse être utilement soutenu que la rupture de l'engagement de conservation des titres n'a pas eu d'effet sur le contrôle de la société qui a émis ces titres. Le prêt de titres valait rupture de l'engagement de conservation des titres, même si cette opération avait, par elle-même, emporté le transfert du contrôle de la filiale dont les titres avaient été prêtés (CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 363555, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2949MXI). Dans cette affaire, une société filiale détenait un peu plus de 5 % du capital d'une autre société. Faisant application du régime fiscal des sociétés mères, elle a, après déduction de la quote-part pour frais et charges, retranché les dividendes versés par cette autre société les 14 juin 2001 et 7 juin 2002 de son bénéfice net au titre des exercices 2001 et 2002. Toutefois, par une convention conclue le 24 septembre 2002 et régie par les dispositions du chapitre V, relatif aux prêts de titres, de la loi du 17 juin 1987 sur l'épargne (loi n° 87-416 N° Lexbase : L2052A4R), la société filiale a prêté à sa société mère des actions de l'autre société jusqu'au 18 décembre 2002. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2001 et 2002, l'administration fiscale a remis en cause l'application par la société filiale du régime fiscal des sociétés mères et réduit en conséquence le montant de ses déficits reportables, au motif que la condition tenant à la conservation de titres pendant un délai de deux ans figurant à l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L9522ITT) n'avait pas été respectée. Le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur de l'administration fiscale et des juges du fond qui ont maintenu la non-application du régime des sociétés mères. En prêtant des titres, la société filiale a transféré la propriété de ces titres, et ainsi, le prêt des titres valait, alors même que ces titres ne faisaient pas l'objet du détachement d'un droit à dividende pendant la période d'exécution de la convention de prêt, rupture de l'engagement de conservation des titres prévu par l'article 145 du CGI .

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Gain retiré par un dirigeant d'une holding d'une cession d'actions : imposition dans la catégorie traitements et salaires

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365573, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2956MXR)

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N3877BU7

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Le 07 Octobre 2014

Le gain retiré par un cédant lors de la cession des actions d'une société holding, dont il était à la fois l'actionnaire et le dirigeant, avait le caractère, non d'un revenu en capital, mais d'un avantage en argent, et ceci à raison des caractéristiques de la convention d'option d'achat d'actions qui lui avait été consentie. Ce gain était donc imposable dans la catégorie des traitements et salaires, alors même que la cession des actions de la société holding au cessionnaire était assortie d'une clause de garantie de passif. Telle est la portée de la décision du Conseil d'Etat rendue le 26 septembre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365573, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2956MXR). En l'espèce, une personne, conjointement avec d'autres personnes physiques, s'est associé à un groupe pour constituer une holding et prendre le contrôle d'un autre groupe. Par une convention du 3 septembre 1999, les actionnaires de la société holding, ont consenti au requérant, sous certaines conditions et moyennant une indemnité d'immobilisation, une option d'achat de 7,62 euros par action. En 2004, une société a présenté une offre de rachat de la société holding au prix de 65,778 euros par action. Le requérant a levé l'option d'achat et acquis 35 719 actions de la société holding, puis a cédé ces actions à la société cessionnaire. L'administration fiscale a remis en cause l'imposition du revenu retiré de la vente des actions dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières et l'a imposé dans la catégorie des traitements et salaires. Pour le Conseil d'Etat, qui opte pour le point de vue de l'administration fiscale, en l'absence de toute allégation selon laquelle la valeur réelle des actions de la holding aurait évolué entre le 9 décembre 2004, date de la levée de l'option, et le 10 décembre 2004, date de la cession des actions par le cédant, l'écart entre le prix de cession des actions et le prix fixé dans la convention correspondait, dans sa totalité, à un revenu qui trouvait sa source dans les conditions dans lesquelles l'option d'achat des actions avait été consentie et qui avait le caractère d'un avantage en argent, imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 (N° Lexbase : L1669IPI) et 82 (N° Lexbase : L1172ITL) du CGI .

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Fonction publique

[Brèves] Condition de fond nécessaire à la caractérisation d'un abandon de poste

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365918, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2958MXT)

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N3930BU4

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Le 04 Octobre 2014

L'obligation pour l'administration, dans la mise en demeure qu'elle doit préalablement adresser à l'agent, de lui impartir un délai approprié pour reprendre son poste ou rejoindre son service, constitue une condition nécessaire pour que soit caractérisée une situation d'abandon de poste, et non une simple condition de procédure de la décision de radiation des cadres pour abandon de poste, énonce le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 26 septembre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365918, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2958MXT). Dès lors, une juridiction, saisie de conclusions indemnitaires par un agent ayant obtenu l'annulation pour excès de pouvoir de sa radiation des cadres au motif qu'il ne s'était pas vu impartir un délai approprié pour reprendre son poste, commet une erreur de droit en recherchant si la mesure de radiation des cadres était justifiée au fond (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E9768EPH).

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Fonction publique

[Chronique] Chronique de droit de la fonction publique - Octobre 2014

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N3840BUR

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour

Le 02 Octobre 2014

En juillet 2014, le Conseil d'Etat a rendu trois décisions méritant d'être signalées. Dans un arrêt du 16 juillet, il assouplit les conditions dans lesquelles un suicide ou une tentative de suicide d'un agent peut être reconnu imputable au service (CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 361820, publié au recueil Lebon). Le même jour, une décision considère que le recours à un détective privé n'est pas déloyal lorsqu'il s'agit de rapporter la preuve d'une faute disciplinaire (CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 355201, publié au recueil Lebon). Enfin, le 23 juillet 2014, le Conseil a rejeté le recours formé par plusieurs syndicats de fonctionnaires à l'encontre du décret n° 82-447 du 16 février 2012 (N° Lexbase : L0991G89), modifiant les règles d'exercice du droit syndical (CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 358349, publié au recueil Lebon).
  • Le suicide (ou la tentative) intervenu sur le lieu et dans le temps du service doit être déclaré imputable à ce celui-ci (CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 361820, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4411MUW)

La problématique du suicide (ou de sa tentative) des agents publics est complexe (1). Elle s'inscrit dans le contexte de prévention et de lutte contre les risques psychosociaux au travail, qui constituent une priorité du Gouvernement et ont donné lieu à la signature d'un accord transversal le 22 octobre 2013 (2). Au plan juridique, les employeurs publics sont tenus de respecter l'obligation, issue de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ), de prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs". Lorsque le risque se réalise, la question de l'imputabilité d'un suicide au service s'avère importante puisque le statut général des fonctionnaires instaure un régime de protection sociale et de retraite particulier pour les victimes d'accidents de service ou leurs ayants-droits (3).

La jurisprudence du Conseil d'Etat se montrait, jusqu'à l'arrêt du 16 juillet 2014, assez prudente sur le reconnaissance de l'imputabilité des suicides au service. De manière générale, un accident est rattaché au service lorsqu'il "est survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou au cours d'une activité qui constitue le prolongement du service" (4). En présence d'un suicide ou d'une tentative, le Conseil d'Etat estimait, traditionnellement, que le caractère volontaire de cet acte excluait qu'il put être rattaché au service, sauf circonstance particulière. C'était le cas dès lors que l'autolyse a eu "pour cause déterminante un état maladif se rattachant au service" (5) ou résultait d'un surmenage intensif auquel l'agent avait été soumis en raison des modifications importantes apportées dans le service (6). Il en allait de même lorsque l'administration a créé une situation matérielle et psychologique favorable à l'accomplissement d'un acte suicidaire (7), parfois dans des conditions proches du harcèlement moral (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 6 quinquies N° Lexbase : L6938AG3) (8). En revanche, la circonstance qu'une maladie dépressive aurait pu se trouver aggravée par la surcharge de travail à laquelle l'agent estimait être confronté et par la perspective de mutations qu'il n'aurait pas souhaitées est insuffisante pour faire regarder son suicide comme ayant une origine dans le service (9).

L'arrêt rapporté marque un assouplissement de cette position. Désormais, le juge administratif applique au suicide les critères généraux de qualification des accidents de service. Ainsi, l'évènement sera reconnu imputable dès lors qu'il sera survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice, ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions, ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal. Lorsque ces conditions seront réunies, l'administration, pour s'opposer à une demande d'imputabilité, devra rapporter la preuve d'une faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service.

Ainsi, lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service, il doit être déclaré imputable au service. En l'espèce, une fonctionnaire territorial, a tenté de se suicider le 28 avril 2009 sur son lieu de travail et pendant ses horaires de service. En dépit de l'avis favorable de la commission de réforme, qui avait conclu à l'existence d'un lien unique, direct et incontestable entre l'évènement du 28 avril 2009, et le service, le maire de la commune avait refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cet événement.

La présomption d'imputabilité au service du suicide intervenu sur le lieu et dans le temps de service constitue un rapprochement avec la position adoptée par la Cour de cassation dans le domaine des accidents du travail, qui a jugé que le suicide survenu au temps et au lieu de travail implique une présomption d'imputabilité posée par les dispositions de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5211ADD) (10).

Si l'agent s'est suicidé (ou a tenté de le faire) en dehors de ses lieu et temps de travail (ou du prolongement normal de ceux-ci), il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, de déterminer si le suicide ou la tentative de suicide présentent un lien direct avec le service, c'est-à-dire que l'agent (ou ses ayants-droits) devront rapporter la preuve du caractère déterminant du service dans le passage à l'acte.

On notera également que l'arrêt commenté prend soin de préciser que, quelle que soit l'hypothèse, il appartient toujours au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.

  • La preuve des manquements disciplinaires par l'administration : entre liberté et déloyauté (CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 355201, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4410MUU)

L'article 19 du Titre I du Statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, précitée) pose le principe suivant lequel "le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination". Au plan procédural, le statut général consacre le caractère contradictoire de l'instance disciplinaire, notamment grâce à la communication du dossier à l'agent visé, l'assistance d'un défenseur et l'intervention, pour les sanctions les plus importantes, de l'avis du conseil de discipline. Dans le cas général, cette instance débute avec la transmission, par l'autorité disciplinaire, du rapport rédigé à l'intention du conseil de discipline. Ce document présente une importance considérable dans la mesure où cet "acte de poursuite" doit comporter un exposé détaillé des faits reprochés à l'agent et les circonstances dans lesquelles ils se sont produits. De plus, l'agent pourra prendre connaissance de ce rapport, dans le cadre de la consultation de son dossier, et il pourra formuler des observations et produire des pièces (ou faire citer des témoins) pour en contester la teneur.

L'administration a donc tout intérêt à disposer, dès ce stade, d'éléments de preuve suffisamment formalisés. Cette exigence apparaît d'autant plus grande qu'en matière disciplinaire, la charge de la preuve des fautes incombe à l'administration (11). En effet, le conseil de discipline n'est pas tenu de recourir aux pouvoirs d'instruction qui lui sont conférés par le statut général (12), notamment son pouvoir d'enquête, et il n'est pas exclu qu'il rende un avis de "non-sanction" en présence d'un dossier administratif insuffisamment étayé.

Les conditions dans lesquelles l'administration peut satisfaire à cette exigence probatoire ne sont pas régies par le statut général des fonctionnaires. La jurisprudence a eu l'occasion de préciser qu'il est possible de confier à un agent du service le soin de collecter les pièces nécessaires à l'instruction du dossier et à la rédaction du rapport destiné au conseil de discipline (13). Jusqu'à présent, le Conseil d'Etat n'avait eu à censurer que l'absence de partialité de la personne chargée de l'enquête. L'arrêt rendu le 16 juillet 2014 l'a conduit à étendre son contrôle, tout en maintenant la marge de manoeuvre des personnes publiques.

Dans cette affaire, un fonctionnaire territorial critiquait les conditions dans lesquelles le maire d'une commune avait prononcé sa révocation, confirmant en cela un avis du conseil de discipline de recours, après avoir constaté qu'il exerçait sans autorisation une activité lucrative privée par l'intermédiaire de deux sociétés (14). L'agent reprochait à la commune d'avoir fait appel à une agence de détectives privés, cette dernière ayant réalisé des investigations et rédigé un rapport reposant sur des constatations matérielles du comportement de l'agent public à l'occasion de son activité et dans des lieux ouverts au public. C'est sur la base de ce rapport que l'administration avait saisi le conseil de discipline d'une demande de sanction.

Selon l'agent sanctionné, ce mode d'administration de la preuve était déloyal, dans la mesure où il avait été suivi et observé à son insu. Le Conseil d'Etat rejette -comme l'avait fait le juge d'appel (15)- le moyen après avoir indiqué, dans un considérant de principe, "qu'en l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen ; que toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté ; qu'il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie ; qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public, d'en apprécier la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir".

Ainsi, l'administration de la preuve a des limites. En l'espèce, le Conseil d'Etat estime que les constats réalisés par le détective privé ne traduisent pas un manquement de la commune à son obligation de loyauté vis-à-vis de son agent et qu'ils peuvent donc légalement constituer le fondement de la sanction disciplinaire litigieuse. Si, comme cela est souvent le cas, la consécration d'un "principe" (même s'il ne s'agit pas ici d'un principe général du droit) s'accompagne du rejet de la requête, la liberté d'action des employeurs s'en trouve limitée.

La solution dégagée par le Conseil d'Etat doit être rapprochée de la position des juridictions judiciaires. Depuis un arrêt d'Assemblée plénière du 7 janvier 2011 (16), la Cour de Cassation a consacré un principe de loyauté dans l'administration de la preuve, duquel il ressort que les procédés clandestins ne peuvent servir à constituer une preuve contre un tiers (17). S'agissant des filatures, leur admission varie selon le type de contentieux. La première chambre civile de la Cour suprême (18) estime que, si la filature organisée par l'assureur pour s'assurer de la réalité du préjudice est une atteinte à la vie privée de l'assuré, cette atteinte est proportionnée dès lors qu'elle est organisée sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s'y rendre. De son côté, la chambre sociale considère illicite les filatures clandestines de salarié, même en dehors des locaux de l'entreprise (19). Elle a néanmoins admis qu'une cour d'appel retienne comme mode de preuve licite un constat dressé par un huissier qui s'est borné à effectuer dans des conditions régulières, à la demande de l'employeur, des constatations purement matérielles dans un lieu ouvert au public et à procéder à une audition à seule fin d'éclairer ses constatations matérielles (20). Le contentieux de la fonction publique se veut donc plutôt libéral pour les employeurs puisqu'il ressort de l'arrêt commenté qu'une "simple" filature, sans provocation, constitue un mode de preuve loyal que le juge ne peut rejeter en tant que tel.

  • Modalités de la répartition des facilités reconnues aux syndicats de fonctionnaires de l'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 358349, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7256MUB)

Les accords de Bercy du 2 juin 2008 sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique ont eu, notamment, pour incidence de modifier en profondeur les conditions de représentativité des syndicats de fonctionnaires. Ces accords ont été transposés dans le statut général par la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010, relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L6618IM3). Jusqu'à présent, l'article 9 bis du Titre I du Statut général, issu de la loi du 16 décembre 1996, relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire (N° Lexbase : L1809ASS), posait le principe de la représentativité de certains syndicats à l'aune de leurs résultats aux élections professionnelles. Ainsi, étaient "regardés comme représentatifs de l'ensemble des personnels soumis aux dispositions de la présente loi les syndicats ou unions de syndicats de fonctionnaires qui : 1° disposent d'un siège au moins dans chacun des conseils supérieurs de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ; 2° ou recueillent au moins 10 % de l'ensemble des suffrages exprimés lors des élections organisées pour la désignation des représentants des personnels soumis aux dispositions de la présente loi aux commissions administratives paritaires et au moins 2 % des suffrages exprimés lors de ces mêmes élections dans chaque fonction publique. Cette audience est appréciée à la date du dernier renouvellement de chacun des conseils supérieurs précités. Pour l'application des dispositions de l'alinéa précédent, ne sont prises en compte en qualité d'unions de syndicats de fonctionnaires que les unions de syndicats dont les statuts déterminent le titre, prévoient l'existence d'organes dirigeants propres désignés directement ou indirectement par une instance délibérante et de moyens permanents constitués notamment par le versement de cotisations par les membres".

A la suite de la réforme, la notion de représentativité (21) disparaît au profit de conditions légales objectives. Ces conditions sont, d'une part, le dépôt légal des statuts depuis au moins deux ans et, d'autre part, le respect des valeurs républicaines et d'indépendance. Sont également recevables à présenter des candidats aux élections professionnelles les organisations syndicales de fonctionnaires affiliées à une union de syndicats de fonctionnaires qui remplit les conditions précitées. La loi de 2010 prévoit, toutefois, que seules certaines organisations syndicales pourront participer aux négociations professionnelles (article 8 bis du Titre I du Statut général). Ces organisations sont celles disposant d'au moins un siège dans les organismes consultatifs au sein desquels s'exerce la participation des fonctionnaires et qui sont déterminées en fonction de l'objet et du niveau de la négociation.

Afin de tenir de compte de cette évolution, le Gouvernement a modifié, par décret, certaines dispositions du décret n° 82-447 du 28 mai 1982, relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique (22). Plusieurs syndicats de fonctionnaires ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir diverses dispositions du décret n° 2012-224 du 16 février 2012 (N° Lexbase : L1856ISK), notamment en ce qu'il détermine les conditions dans lesquels les syndicats peuvent bénéficier d'avantages matériels. Le Conseil d'Etat rejette la requête après avoir précisé les pouvoirs conférés au Gouvernement pour organiser, dans l'intérêt du service, l'exercice de la liberté syndicale.

Le syndicat requérant soutenait, en premier lieu, que le pouvoir réglementaire avait excédé sa compétence en réservant la mise à disposition d'un local syndical et la faculté de tenir des réunions mensuelles d'information durant les heures de service aux organisations syndicales disposant d'au moins un siège au sein du comité technique (au niveau du service ou du groupe de service concerné) ou d'au moins un siège au sein du comité technique ministériel ou du comité d'établissement public de rattachement. De même, il reprochait au décret de prévoir que le contingent global de crédit de temps syndical est réparti, pour une moitié, entre les organisations syndicales représentées au comité technique ministériel, en fonction du nombre de sièges qu'elles détiennent, et, pour l'autre moitié, entre toutes les organisations syndicales ayant présenté leur candidature à l'élection du comité technique ministériel, proportionnellement au nombre de voix qu'elles ont obtenues.

Il était fait grief au Gouvernement d'avoir empiété sur le domaine de la loi (23), tel qu'il résulte de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0860AHC). Il ressort, en effet, de ce texte que le législateur est compétent pour fixer les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat et déterminer les principes fondamentaux du droit syndical. Pour rejeter la requête sur ce point, le Conseil d'Etat souligne que le Législateur est intervenu, par l'intermédiaire de la loi du 5 juillet 2010 (art. 8 bis du Titre I du Statut général), pour poser un critère de représentativité syndicale au titre de la mise en oeuvre du principe de participation des travailleurs, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective des conditions de travail (point n° 4) (24). Bien que ce critère soit attaché à une modalité particulière du droit syndical (la négociation d'accords professionnels), le juge administratif considère qu'elle autorise le pouvoir réglementaire à prendre les mesures d'organisation du droit syndical dans les services en se référant au critère légal de représentativité. Le décret attaqué ne substitue pas un nouveau critère à celui de l'article 8 bis. Il se borne à faire usage de ce critère pour attribuer des facilités syndicales (locaux, droit de réunion d'information mensuelles et crédit-temps), compte tenu soit des nécessités du service, soit de l'objet même de ces facilités (25). Ainsi, la rénovation du dialogue social ne se traduit pas par l'accès illimité et strictement égal de l'ensemble des organisations syndicales à ces facilités.

Le Conseil d'Etat rejette également le moyen tiré de l'atteinte à des principes de valeur constitutionnelle : la liberté syndicale et le principe de non-discrimination entre organisations syndicales. Sur ce point, on rappellera que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pose le principe suivant lequel "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix". La jurisprudence n'hésite pas à se référer explicitement à ce texte (26). Dans son point n° 6, l'arrêt commenté justifie également la protection de la liberté syndicale par deux instruments internationaux : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme du 4 novembre 1950 (articles 11 et 14) ainsi que, ce qui, à notre connaissance est nouveau, l'article 5 de la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 (27). Cela implique que le juge n'exclut pas, si nécessaire, d'écarter une disposition législative dans le cadre de son contrôle de conventionnalité. Pour autant, en l'espèce, il rejette l'argument avancé par les requérants. Il considère, en effet, que le pouvoir règlementaire a agi en fonction de l'intérêt du service en réservant à certaines organisations la mise à disposition de locaux et la possibilité d'organisation des réunions d'informations d'information pendant les heures de service. En revanche, l'arrêt (point n° 7) relève que décret attaqué maintient le droit, au profit de toute organisation syndicale, à l'intérieur des bâtiments administratifs, de tenir des réunions statutaires ou d'information en dehors des heures de service, d'afficher et de distribuer des documents d'origine syndicale et de collecter les cotisations syndicales. Quant au crédit d'heures syndicales, dont la répartition est liée pour partie au résultat aux élections, il n'apparaît pas non plus discriminatoire dès lors que les organisations reconnues représentatives par la loi disposent de responsabilités particulières dans la conduite des négociations professionnelles.


(1) Faisant le point sur la jurisprudence antérieure à l'arrêt du 16 juillet 2014, v. A. Slimani, Le suicide entre acte volontaire et responsabilité de l'administration, AJFP, 2014. 164.
(2) Cf. circulaire du Premier ministre du 20 mars 2014, fixant les conditions de mise en oeuvre du plan national d'action pour la prévention des risques psychosociaux dans les trois versants de la fonction publique (N° Lexbase : L9647IZC).
(3) Voir Titre I du Statut général, art. 57-2 et C. pens. retr., art. L. 28 (N° Lexbase : L2643IZW).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2014, n° 368898, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6439MIC).
(5) CE 2° et 4° s-s-r., 26 février 1971, n° 76967, publié au Lebon (N° Lexbase : A7702B8R).
(6) TA Marseille, 18 janvier 1974 : publié au Lebon.
(7) CAA Lyon, 2ème ch., n° 93LY01298, publié au Lebon (N° Lexbase : A3935BGT) ; CE, Sect., 28 juillet 1993, n° 121702, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0302ANI), AJDA, 1993. 746 , obs. J. Moreau, RFDA, 1994. 575, note P. Bon.
(8) CAA Marseille, 2ème ch., 3 juillet 2007, n° 04MA01271 (N° Lexbase : A6755DXH), AJDA, 2007, p. 1950 : conditions de travail de nature à alimenter objectivement le sentiment d'exclusion ressenti par l'intéressé.
(9) CE 7° s-s., 25 avril 1997, n° 163213, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9439ADX).
(10) Cass. civ. 2, 14 mars 2007, n° 05-21.090, F-D (N° Lexbase : A7058DUX) ; Cass. civ. 2, 12 juillet 2012, n° 11-22.134, F-D (N° Lexbase : A8026IQC).
(11) CE, 8 juin 1966, Banse, publié au recueil Lebon, p. 1011.
(12) Décret n° 84-961 du 25 octobre 1984, relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L1001G8L) ; décret n° 89-677 du 18 septembre 1989, relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux (N° Lexbase : L3750G8E) ; décret n° 89-822 du 7 novembre 1989, relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L5776G9S).
(13) CE, 10 juillet 1963, Hôpital-hospice Georges-Renon, RDP, 1964, p. 427.
(14) L'article 25 du Titre I du Statut général pose le principe de l'interdiction, sauf dérogation autorisée par l'administration, de l'exercice d'une activité accessoire lucrative.
(15) CAA Versailles, 6ème ch., 20 octobre 2011, n° 10VE01892 (N° Lexbase : A0431IRE), AJDA, 2012. 1412, note S. Guérard.
(16) Ass. plén., 7 janvier 2011, P+B+R+I, n° 09-14.316 et 09-14.667 (N° Lexbase : A7431GNK), Bull. Ass. plén., n° 1, D., 2011. 562, obs. Chevrier.
(17) Voir par exemple Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG), Bull. civ. V, n° 208, Procédures, 2012, comm. n° 286, obs. Bugada, D., 2012. 2826, obs. Delebecque (enregistrement par dictaphone).
(18) Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-17.476, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3196IWB), Dalloz, 2013, p. 227, note Dupont.
(19) Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-42.401, publié (N° Lexbase : A0745A4D), Dr. soc., 2003. 225, D., 2003. 1305, note Ravanas, D., 2003. 1858, note Bruguière.
(20) Cass. soc., 6 décembre 2007, n° 06-43.392, F-D (N° Lexbase : A0451D34). Voir également Cass. soc., 3 décembre 2008, n° 07-43.301, F-D (N° Lexbase : A5300EBW).
(21) Qui subordonne le droit de présenter des candidats aux élections professionnelles.
(22) Bien qu'antérieur au statut général actuel, ce décret constitue toujours le socle juridique de l'exercice du droit syndical dans la fonction publique de l'Etat (cf. décret n° 84-954 du 25 octobre 1984, relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L2760I4Y).
(23) CE 17 décembre 1997, n° 181611 (N° Lexbase : A5850ASH), AJDA, 1998.362, concl. Combrexelle, note Nouel, D. 1998.591, note Jorion : "il appartient au pouvoir réglementaire de fixer les modalités d'organisation d'un service public de l'Etat, sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte aux matières ou principes réservés au législateur".
(24) Au point n° 8, l'arrêt précise, en revanche, que l'article 9 bis du Titre I du Statut général ne définit pas les critères de la représentativité des organisations syndicales, mais se borne à fixer les conditions requises pour qu'une organisation puisse se présenter aux élections professionnelles.
(25) CE 3° et 8° s-s-r., 29 janvier 2003, n° 238069, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0464A7C).
(26) CE, Ass., 16 décembre 2005, n° 259584, publié au Lebon (N° Lexbase : A0979DM9) ; CE 1° et 6° s-s-r., 3 juin 2013, n° 344595, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3357KGG).
(27) En revanche, l'arrêt déclare inopérant le moyen tiré de la violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le décret attaqué n'étant pas pris pour la mise en oeuvre du droit européen. Quant au non-respect de la loi Convention 87 de l'OIT, elle n'est assortie d'aucune précision.

newsid:443840

Licenciement

[Jurisprudence] Retour sur la faute lourde du salarié

Réf. : Cass. soc., 17 septembre 2014, n° 13-19.499, F-D (N° Lexbase : A8399MWY)

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N3849BU4

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de l'encyclopédie "Droit du travail" et de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 02 Octobre 2014

La faute lourde est, dans l'échelle des fautes professionnelles, incontestablement sur la plus haute marche et traduit l'intention de nuire du salarié à son employeur ou à son entreprise. En dépit d'une définition vieille de près d'un quart de siècle, la Cour de cassation doit régulièrement intervenir pour rappeler à l'ordre des juges du fond qui, au plus près de la réalité, souhaitent stigmatiser les comportements des salariés les plus contestables (I). Cette nouvelle affaire ne fait pas exception, et il n'est pas inutile de s'interroger sur le sens profond de ce hiatus entre le juge du droit et les juges du fond (II).
Résumé

La faute lourde est celle qui traduit l'intention du salarié de nuire à l'employeur ou à l'entreprise. Ni les propos injurieux adressés sans publicité au dirigeant de l'entreprise, ni la mise en cause de la société cliente dans le procès prud'homal, en l'absence d'abus, ni la déclaration de main courante déposée au commissariat de police dans laquelle le salarié dénonçait seulement ses conditions de travail, ne caractérisent son intention de nuire.

Commentaire

I - La confirmation des composantes de la faute lourde

Cadre juridique. La faute lourde apparaît, dans l'échelle des fautes du Code du travail, comme la plus grave des fautes et se caractérise à la fois objectivement, par l'extrême gravité des faits, et subjectivement par l'intention de nuire qui doit animer le salarié (1). On sait que depuis la loi du 11 février 1950 elle est exigée du gréviste pour justifier son licenciement (2), et qu'elle a été assimilée à la faute intentionnelle en 1990 (3).

Cette faute est également lourde... de conséquences puisque le salarié perd non seulement le bénéfice du droit au préavis et à l'indemnité de licenciement, mais il est également privé de l'indemnité compensatrice du droit aux congés payés (4), et du DIF (5).

On comprendra pourquoi, dans ces conditions, la Cour de cassation se montre aussi exigeante lorsqu'il est question de faute lourde. Elle contrôle en effet cette qualification, alors qu'elle ne contrôle pas en principe la cause réelle et sérieuse de licenciement (6), et n'hésite pas à casser toute décision qui retiendrait la qualification de faute lourde sans avoir caractérisé concrètement en quoi le salarié avait eu l'intention de nuire à l'employeur, ou à l'entreprise.

L'appréciation de l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise. L'intention doit être dirigée contre l'employeur, ou l'entreprise, la solution valant tant pour ce qui concerne le licenciement que la mise en cause de la responsabilité "pécuniaire" du salarié (7). Si l'intention est dirigée contre des collègues de travail, alors elle ne caractérise pas une faute lourde (8). La jurisprudence n'admet d'exception qu'en matière de grève où elle considère que des violences exercées contre d'autres salariés peuvent être qualifiées de faute lourde, se contentant parfois même de faire référence à la gravité du comportement sans même viser l'intention de nuire (9). L'intention de nuire peut être éventuellement excusée par l'état de santé du salarié ; il appartient toutefois à ce dernier de le prouver, et de l'évoquer devant les juges du fond (10).

Le contrôle qu'exerce la Cour de cassation sur les juridictions d'appel est entier, et elle censure invariablement tous les arrêts qui croient pouvoir déduire l'intention de nuire de la nature des fautes, et de leur gravité, sans indiquer quels éléments, dans le comportement du salarié, permettent d'affirmer qu'il avait l'intention de nuire à son employeur, ou à son entreprise. C'est ainsi que, dernièrement, la Cour a affirmé que constituaient des motifs impropres "à caractériser l'intention de nuire à l'employeur [...]" : "la seule atteinte à l'image ou aux biens de l'entreprise" (11) ; le fait de commencer à travailler pour le compte d'une société concurrente que le salarié venait de créer avec d'autres salariés alors qu'il était toujours sous contrat avec son employeur (12) ; "le seul refus de la salariée de donner le mot de passe informatique, sauf de manière sécurisée" (13) ; le fait de procéder à deux reprises à "des encaissements erronés pour des montants respectifs de 59,56 euros et 32,65 euros en prétextant un mauvais fonctionnement de l'appareil lecteur de cartes bancaires" ; le fait que les "manoeuvres étaient de nature à nuire non seulement aux intérêts financiers de la société obligée d'indemniser les clients lésés mais aussi à son image de marque" n'étant pas suffisant (14) dans la mesure où elle ne permettait pas de déterminer s'il s'agissait de simples erreurs ou qu'elles avaient bien pour but de nuire à l'employeur (15).

Lorsque le salarié a été condamné pénalement en raison de malversations commises au détriment de son employeur, ce qui sera le cas en présence d'un abus de confiance (16) ou de détournements de fonds (17), l'intention sera établie. Il en ira de même lorsque sera rapportée la preuve de manoeuvres de concurrence déloyale qui constituent, par leur nature même, des actes destinées à nuire aux intérêts de l'entreprise (18).

C'est dans ce contexte que s'inscrit cette nouvelle décision.

II - Les limites de la faute lourde

L'affaire. Un agent de sécurité avait été licencié pour faute lourde.

La cour d'appel avait confirmé cette qualification, après avoir relevé que "les faits énoncés dans la lettre de licenciement, tels la tenue sur le site de la société cliente de propos déplacés devant des visiteurs, des accusations diffamantes contre le responsable logistique du client, la mise en cause de ce client, des accusations contre le président de la société, sont établis et que ces faits, d'une extrême gravité, démontrent l'intention de nuire du salarié impliquant le client de l'entreprise et portant des accusations diffamantes inacceptables contre son employeur".

Cet arrêt est cassé, au visa de l'article L. 3141-26 du Code du travail (N° Lexbase : L0576H99). Après avoir indiqué que "la faute lourde est celle qui traduit l'intention du salarié de nuire à l'employeur ou à l'entreprise", la Haute juridiction considère que "ni les propos injurieux adressés sans publicité au dirigeant de l'entreprise ni la mise en cause de la société cliente dans le procès prud'homal, en l'absence d'abus, ni la déclaration de main courante déposée au commissariat de police dans laquelle le salarié dénonçait seulement ses conditions de travail, ne caractérisent son intention de nuire".

Les limites de la qualification. L'exemple fourni par cette décision montre les limites de la méthode mise en oeuvre par la Cour de cassation qui impose aux juridictions du fond de rapporter la preuve positive de l'intention de nuire par des éléments tangibles présents dans le dossier, mais qui considère volontiers que certaines fautes seraient, par nature, des fautes lourdes/intentionnelles, comme la concurrence déloyale ou des malversations financières.

Or, à bien y réfléchir, on peut trouver d'autres explications à des actes de concurrence déloyale ou à des malversations financières, et qui n'ont rien à voir avec l'intention de nuire à l'employeur, ou à l'entreprise : il pourra s'agit, très simplement, de la volonté égoïste de s'enrichir, sans nécessairement vouloir causer du tort à son employeur, surtout lorsque les sommes en jeu sont minimes au regard des profits générés par son entreprise. On peut alors considérer que si ces actes sont sanctionnés, c'est parce qu'ils portent objectivement atteinte aux intérêts de l'entreprise, en eux-mêmes, l'intention de nuire du salarié étant, en quelque sorte, révélée par l'acte, sans qu'il soit nécessaire de l'établir autrement.

On se demande alors pourquoi un même raisonnement ne vaudrait pas non plus pour le constat d'"injures" adressés à son employeur, ou à ses représentants, sous prétexte qu'elles ne seraient pas publiques ? Faut-il le rappeler, l'injure consiste à proférer "toute expression outrageante", tout "terme de mépris ou invective sans l'imputation d'aucun fait" (19). L'injure n'est-elle pas porteuse, en elle-même, de l'intention de nuire à son destinataire, autant que des actes de concurrence déloyale ?

Plus généralement, on observera que l'incompréhension règne aujourd'hui entre les juridictions du fond, qui caractérisent assez facilement la faute lourde, déduisant l'intention de nuire des circonstances, et la Cour de cassation qui contrôle sévèrement cette qualification pour ne l'admettre que très rarement.

On pourrait même s'interroger, à terme, sur l'opportunité de maintenir une partie du rôle que joue la faute lourde, singulièrement dans le droit du licenciement. Est-il en effet rationnel et justifié de faire perdre au salarié le bénéfice de son indemnité compensatrice de congés payés, et son droit au DIF, parce qu'il a commis une faute lourde ? N'ya-t-il pas dans cette règle quelque archaïsme, comme la volonté de le sanctionner pécuniairement, et ce alors même que ce type de sanctions sont interdites en droit du travail depuis 1978 ?


(1) Sur cette faute, lire B. Bossu, La faute lourde du salarié, responsabilité contractuelle ou responsabilité disciplinaire, Dr. soc., 1995, p. 26.
(2) C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N).
(3) Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 88-41.375 (N° Lexbase : A1518AAH), Dr. soc., 1991, p. 60, rapport P. Waquet, note J.-E. Ray.
(4) C. trav., art. L. 3141-26 et L. 3141-27 (N° Lexbase : L0577H9A). Sur laquelle lire dernièrement A. Martinon, Le clair-obscur de la faute lourde du salarié gréviste, JCP éd. E, 2013, p. 51.
(5) C. trav., art. L. 6323-17 (N° Lexbase : L9632IEH) et L. 6323-18 (N° Lexbase : L9616IEU).
(6) Cass. soc., 10 décembre 1985, n° 82-43.820 (N° Lexbase : A5895AAL), Dr. soc., 1986, p. 210.
(7) Dernièrement Cass. soc., 7 mai 2014, n° 13-16.421, F-D (N° Lexbase : A9303MKR).
(8) Jugé à propos du harcèlement moral : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-14.813, F-D (N° Lexbase : A4277MUX).
(9) Dernièrement, à propos de la séquestration d'un cadre : Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-12.562, FS-P+B (N° Lexbase : A2661MTQ), nos obs. La grève ne justifie pas la séquestration d'un cadre, Lexbase Hebdo n° 584 du 25 septembre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N3767BU3). Contra Cass. soc., 8 février 2012, n° 10-14.083, FS-P+B (N° Lexbase : A3502ICP) : "ayant relevé, d'une part, que la société ne prouvait pas qu'elle aurait pu remettre les véhicules des grévistes à d'autres personnes présentes dans l'entreprise et qu'ainsi aucun élément du dossier ne démontrait que les grévistes, dont le salarié, avaient porté atteinte à la liberté du travail des autres salariés de leur société et, d'autre part, qu'il n'est pas établi que le salarié avait agi avec intention de nuire, la cour d'appel a pu en déduire que la faute lourde n'était pas caractérisée".
(10) Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-14.042, F-D (N° Lexbase : A6861MKC) : "il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que le salarié ait soutenu devant la cour d'appel subir une altération de son état de santé résultant du conflit l'opposant à son employeur et de nature à exclure l'existence d'une volonté claire et délibérée de lui nuire".
(11) Cass. soc., 9 avril 2014, n° 13-10.175, F-D (N° Lexbase : A0931MKP).
(12) Cass. soc., 19 février 2014, n° 12-21.690, F-D (N° Lexbase : A7739MED).
(13) Cass. soc., 19 février 2014, n° 12-27.611, F-D (N° Lexbase : A7695MEQ).
(14) Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-22.028, F-D (N° Lexbase : A4980IXQ).
(15) Cass. soc., 24 octobre 2012, n° 11-17.536, F-D (N° Lexbase : A0488IWY).
(16) Cass. soc., 22 janvier 2014, n° 12-28.984, F-D (N° Lexbase : A9839MCE) : "ayant relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve, que le salarié avait été condamné pour des faits d'abus de confiance commis entre octobre 1999 et janvier 2000 au préjudice de l'employeur et qu'il avait, en outre, fait établir par un client un chèque à son ordre en février 2000 en règlement d'honoraires dus à la société, utilisé le titre de conseil fiscal sur un papier à en-tête à son nom comportant l'adresse de son domicile et celle du siège social de la société, créant volontairement une confusion entre son activité salariée de chef de bureau et de conseil indépendant et continué à faire des opérations personnelles sur le compte bancaire de la société, plusieurs années après le décès de son épouse qui en avait été la gérante, en profitant de la procuration donnée de son vivant, la cour d'appel, a pu en déduire que ces agissements procédaient d'une intention de nuire caractérisant une faute lourde".
(17) Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-15.143, FS-D (N° Lexbase : A3373KMU) : "la salariée avait détourné des sommes par encaissement de chèques établis par des clients ou des compagnies d'assurances en procédant à l'attribution d'avoirs et à de faux enregistrements comptables qui masquaient les opérations frauduleuses".
(18) Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-45.066, inédit (N° Lexbase : A6656C9E) : "le salarié avait délibérément fait signer à plusieurs reprises à des clients de son employeur des ordres de remplacement au profit d'un cabinet concurrent dont il avait prévu de reprendre la direction peu après, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'intention du salarié de nuire à l'entreprise" ; Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 09-67.510, FS-P+B (N° Lexbase : A1317HYG) ; Cass. soc., 27 novembre 2012, n° 11-22.810, F-D (N° Lexbase : A8618IXH) ; Cass. soc., 27 février 2013, n° 11-28.481, F-D (N° Lexbase : A8863I8R) : "la baisse d'activité commerciale ayant justifié le licenciement du salarié s'expliquait par le travail effectué, au cours de l'exécution de son contrat, pour le compte d'une société concurrente, consistant à détourner la clientèle de son employeur".
(19) P. Mbongo, Injure, Diffamation, Offense, dans Dictionnaire de la culture juridique, PUF Quadrige, 2003, p. 830.

Décision

Cass. soc., 17 septembre 2014, n° 13-19.499, F-D (N° Lexbase : A8399MWY)

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 19 juin 2012 N° Lexbase : A1867IPT)

Texte visé : C. trav., art. L. 3141-26 (N° Lexbase : L0576H99)

Mots clef : licenciement ; faute lourde ; intention de nuire

Liens base : (N° Lexbase : E9192ESA)

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Retraite

[Brèves] Conditions d'octroi d'une pension militaire d'invalidité : preuve de l'imputabilité au service de troubles psychiques en l'absence de présomption légale

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 22 septembre 2014, n° 366628, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2961MXX)

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N3873BUY

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Le 08 Octobre 2014

Le Conseil d'Etat précise les conditions d'octroi d'une pension militaire d'invalidité via la preuve de l'imputabilité au service de troubles psychiques en l'absence de présomption légale dans un arrêt rendu le 22 septembre 2014 (CE 1° et 6° s-s-r., 22 septembre 2014, n° 366628, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2961MXX). Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 (N° Lexbase : L1050G9R) et L. 3 (N° Lexbase : L1051G9S) du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il incombe à ce dernier d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service (voir, pour les affections à évolution lente liées à l'exposition de substances toxiques, CE 2° et 7° s-s-r., 29 avril 2013, n° 344749, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8832KC4). Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension, mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité.

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Procédure civile

[Brèves] Publication d'un décret d'application relatif à l'action de groupe en matière de consommation

Réf. : Décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, relatif à l'action de groupe en matière de consommation (N° Lexbase : L2782I4S)

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N3844BUW

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Le 02 Octobre 2014

A été publié, au Journal officiel du 26 septembre 2014, le décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, relatif à l'action de groupe en matière de consommation (N° Lexbase : L2782I4S). Il a été pris pour l'application des articles L. 423-1 (N° Lexbase : L7589IZ4) et suivants du Code de la consommation, créés par l'article 1er de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Il renvoie au Code de procédure civile à défaut de disposition contraire et précise que s'appliquent, en première instance, la procédure ordinaire et, en appel, la procédure à bref délai. Il prévoit également une règle de compétence territoriale spécifique pour éviter un éclatement des contentieux. Par ailleurs, il précise les modalités d'information des consommateurs, en action de groupe ordinaire ou simplifiée, ainsi que les conséquences de leur adhésion au groupe, notamment sur le mandat qui les liera à l'association ou aux associations de défense des consommateurs qui les représenteront pour la suite de la procédure, jusqu'aux procédures civiles d'exécution. Aussi, prévoit-il les modalités de fonctionnement des comptes de dépôt ouverts à la Caisse des dépôts et consignations par les associations en vue de l'indemnisation des consommateurs lésés. Enfin, il fixe la liste des professions réglementées dont les membres pourront assister l'association, sur autorisation du juge, dans la phase d'exécution du jugement sur la responsabilité (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3127E4L).

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Sociétés

[Brèves] Nullité de la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d'un associé contraire à l'intérêt social, même si elle entre dans son objet statutaire

Réf. : Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-17.347, FS-P+B (N° Lexbase : A3067MXU)

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N3924BUU

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Le 04 Octobre 2014

N'est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d'un associé dès lors qu'étant de nature à compromettre l'existence même de la société, elle est contraire à l'intérêt social ; il en est ainsi même dans le cas où un tel acte entre dans son objet statutaire. Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 septembre 2014 (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-17.347, FS-P+B N° Lexbase : A3067MXU ; cf., déjà sur la nullité de la garantie hypothécaire donnée par une SCI contraire à l'intérêt social, Cass. civ. 3, 12 septembre 2012, n° 11-17.948, FS-P+B N° Lexbase : A7475ISN). En l'espèce, une SCI a pour associé le gérant de celle-ci ainsi que sa soeur et sa mère. Une banque a consenti un prêt au gérant pour les besoins de l'activité commerciale qu'il exerçait à titre personnel. Par le même acte, la SCI a affecté hypothécairement, en garantie du remboursement de ce prêt, le bien immobilier lui appartenant. Deux mois avant, les associés avaient décidé, à l'unanimité, de modifier l'objet social afin d'y inclure la faculté pour la SCI de se porter caution solidaire en faveur d'un associé et de conférer toutes garanties sur les immeubles sociaux. Le gérant de la SCI ayant fait l'objet d'une procédure collective pour son activité personnelle, la banque a fait délivrer à la SCI un commandement de payer valant saisie immobilière. La cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant déclaré nulle la sûreté souscrite par la SCI (CA Aix-en-Provence, 7 décembre 2012, n° 12/09006 N° Lexbase : A5058IYY), la banque a formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation, énonçant le principe précité et relevant que la cour d'appel a constaté que l'immeuble donné en garantie du prêt consenti constituait le seul bien de la SCI, de sorte que cette dernière, qui ne tirait aucun avantage de son engagement, mettait en jeu son existence même, rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9187CDM).

newsid:443924

Temps de travail

[Brèves] Affaire "Sephora" : absence de justification du recours au travail de nuit

Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2014 n° 13-24.851, FS-P+B (N° Lexbase : A3412MXN)

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N3952BUW

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Le 09 Octobre 2014

Ne justifie pas le recours au travail de nuit la société, qui exerce dans un secteur, le commerce de parfumerie, où le travail de nuit n'est pas inhérent à l'activité, ne démontre pas qu'il était impossible d'envisager d'autre possibilité d'aménagement du temps de travail, non plus que son activité économique suppose le recours au travail de nuit, dès lors que les difficultés de livraison alléguées ne nécessitent pas pour autant que le magasin soit ouvert à la clientèle la nuit et que l'attractivité commerciale liée à l'ouverture de nuit du magasin des Champs-Elysées ne permet pas de caractériser la nécessité d'assurer la continuité de l'activité. Telle est la solution retenue par un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 24 septembre 2014 (Cass. soc., 24 septembre 2014 n° 13-24.851, FP-P+B N° Lexbase : A3412MXN). Dans cette affaire, les différents syndicats avaient saisi un tribunal de grande instance, statuant en référé, pour qu'il soit interdit, sous astreinte, à la société S. d'employer des salariés, d'une part, de 21 heures à 6 heures du matin dans son magasin des Champs-Elysées à Paris et, d'autre part, le dimanche dans son magasin situé Cour Saint-Emilion à Paris. La cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 1ère ch., 23 septembre 2013, n° 12/23124 N° Lexbase : A5341KLE) lui ayant ordonné de cesser d'employer des salariés entre 21 heures et 6 heures dans son établissement situé avenue des Champs-Elysées à Paris sous astreinte, la société a formé un pourvoi. En vain. En effet, la Haute juridiction rappelle que selon l'article L. 3122-32 du Code du travail (N° Lexbase : L0388H9A) interprété à la lumière de la Directive 93/104 du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8) concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, le recours au travail de nuit est exceptionnel. Et le fait pour un employeur de recourir au travail de nuit en violation des dispositions légales susvisées constitue un trouble manifestement illicite. Dès lors, la cour d'appel, en ayant relevé que la société, qui exerce dans un secteur, le commerce de parfumerie, où le travail de nuit n'est pas inhérent à l'activité, ne démontrait pas qu'il était impossible d'envisager d'autre possibilité d'aménagement du temps de travail, non plus que son activité économique supposait le recours au travail de nuit, puisque les difficultés de livraison alléguées ne nécessitaient pas pour autant que le magasin fût ouvert à la clientèle, la cour d'appel en a exactement déduit l'existence d'un trouble manifestement illicite (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0575ETH).

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Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Octobre 2014

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N3910BUD

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

Le 02 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce mois-ci l'auteur a, tout d'abord, sélectionné un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 19 mars 2014 et publié au Bulletin, qui rappelle les principes gouvernant l'indemnisation des passagers, à la suite de l'annulation de leur vol en raison d'une panne (Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 12-20.917 F-P+B). La Professeur Paulin revient également sur la faute inexcusable du transporteur maritime de passagers à la faveur d'un arrêt rendu par la même formation le 18 juin 2014 (Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-11.898, FS-P+B+I). Cette chronique traite, enfin, deux arrêts rendu par la Chambre commerciale : le premier rendu le 8 juillet 2014, est l'occasion d'aborder la question de la responsabilité du dépositaire dans le cadre d'une opération de transport (Cass. com., 8 juillet 2014, n° 12-28.764, F-D) ; le second semble signer l'épilogue de la célèbre affaire "Frigo7/Locatex contre Gefco" (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 12-27.387, FS-P+B)... A voir !
  • En raison d'un problème technique de l'aéronef... (Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 12-20.917 F-P+B N° Lexbase : A7443MH7 ; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité N° Lexbase : E0498EXQ)

Le Règlement européen n° 261/2004 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L0330DYU), établissant diverses règles d'indemnisation et d'assistance des passagers, institue à leur profit un droit à réparation en cas d'annulation d'un vol, sauf si le transporteur "est en mesure de prouver que l'annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises" (art. 5). C'est ainsi que, à la suite de l'annulation de leur vol en raison d'une panne, des passagers avaient réclamé indemnisation à la compagnie aérienne. Ils avaient été déboutés par la juridiction de proximité pour laquelle, le transporteur ayant respecté les règles d'entretien de l'aéronef, la panne constituait une circonstance extraordinaire l'exonérant de sa responsabilité.

La Cour de Justice, dans l'arrêt "Wallentin-Hermann", avait pourtant précisé qu'un problème technique ne constitue pas une circonstance extraordinaire, même si le transporteur a respecté les règles d'entretien (CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-549/07 N° Lexbase : A9984EBE). Comme elle l'affirme expressément, cette conception est fondée sur l'idée que des circonstances extraordinaires ne peuvent résider dans ce qui relève de l'exercice normal de l'activité de transporteur aérien. En d'autres termes, ce n'est pas aux passagers de subir le risque des inconvénients normaux d'exploitation... vis à vis desquels le Règlement vise précisément à protéger les voyageurs.

On rappellera alors que les décisions de la Cour de Justice interprétant un acte européen s'imposent aux juridictions de tous les Etats membres. Le juge de proximité ayant méconnu cette interprétation, la Cour de cassation ne pouvait que le sanctionner, faute d'avoir "vérifié que le problème technique en cause découlait d'événements qui, par leur nature ou leur origine, n'étaient pas inhérents à l'exercice normal de l'activité de transporteur aérien, cette constatation étant nécessaire pour caractériser l'existence de circonstances extraordinaires".

En outre, la Cour relève que le juge du fond n'a pas non plus rechercher si cet opérateur avait pris toutes les mesures raisonnables pour éviter que ces prétendues circonstances extraordinaires ne conduisent à l'annulation du vol, en s'efforçant de procéder à un réacheminement rapide des passagers sur un vol de substitution, qu'il soit réalisé par la même compagnie ou par une autre, le respect des règles minimales d'entretien d'un aéronef par un transporteur aérien ne suffisant pas à établir l'adoption par ce dernier de toutes les mesures raisonnables en ce sens, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale.

  • Faute inexcusable du transporteur maritime de passagers (Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-11.898, FS-P+B+I N° Lexbase : A3533MRB; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E0475EXU)

Récemment réformé par un Règlement européen n° 392/2009 du 23 avril 2009, relatif à la responsabilité des transporteurs de passagers par mer en cas d'accident (N° Lexbase : L2926IE4), le régime de réparation des victimes d'accidents maritimes demeure, aujourd'hui comme hier, insuffisant. C'est en effet une responsabilité fortement atténuée qui pèse sur le transporteur, dont est exigé une faute, présumée ou prouvée selon la nature de l'événement et qui bénéficie d'une limitation d'indemnisation, si cette faute ne présente pas un caractère inexcusable.

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2014, un passager avait été victime d'une chute sur le pont d'un navire, en raison d'une forte houle, lors du passage d'une zone protégée à la mer libre. L'accident constituait sans doute un sinistre majeur, visé à l'article L. 5421-4 du Code des transports (N° Lexbase : L6860INE), pour lequel la responsabilité du transporteur est présumée. Le montant de l'indemnisation n'en était pas moins limité, conformément à l'article 7 de la Convention du 19 novembre 1976, sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (cf. décret n° 86-1371 du 23 décembre 1986, portant publication de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, faite à Londres le 19 novembre 1976 N° Lexbase : L3088I47).

Le transporteur est toutefois déchu de la limitation d'indemnisation lorsque le dommage est consécutif à une faute inexcusable, soit un fait ou une omission du transporteur ou de son préposé, commis témérairement et avec conscience que le dommage en résulterait probablement. En l'espèce, cette faute était recherchée dans l'absence totale de précautions ou d'alerte de la part des préposés lors de la transition du navire.

La faute inexcusable comprenant un élément moral, la témérité du transporteur, se pose la question de l'appréciation de celui-ci : ira-t-on rechercher la conscience de la probabilité du dommage de manière concrète chez le préposé à l'origine du dommage, ou se contentera-t-on d'une appréciation abstraite, estimant que cette conscience existe chez le préposé dès lors qu'elle existerait chez toute personne normalement avisée ?

La conception abstraite, ou objective, avait déjà été retenue en transport aérien (Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 07-21.636, FS-P+B N° Lexbase : A4104EIT), en dépit des critiques qui l'accusaient d'annihiler de facto le plafond de réparation établi par le législateur. Cette critique est pareillement ignorée ici où la première chambre civile de la Cour de cassation retient la même conception pour un transport maritime, puisqu'elle énonce que le transporteur ayant manqué à son obligation de sécurité en n'alertant pas les passagers sur les conditions difficiles de la traversée, en ne demandant pas à ceux-ci de rester assis et, surtout, en n'interdisant pas l'accès au pont, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'un tel manquement, qui impliquait objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire, revêtait un caractère inexcusable.

  • Responsabilité du dépositaire et opération de transport (Cass. com., 8 juillet 2014, n° 12-28.764, F-D N° Lexbase : A4265MUI)

Les contrats de transport et de dépôt peuvent a priori difficilement être confondus, leurs objets étant précisément antinomiques. Le contrat de transport implique une prestation dynamique, de déplacement, tandis que le dépôt est, à l'inverse, statique. Il est vrai, en revanche, que les prestations peuvent se cumuler au sein d'une même convention. Il faut bien déplacer les marchandises destinées à être entreposées, comme les entreposer dans l'attente de leur déplacement.

Le plus souvent, se conjuguent un transport à titre principal et un dépôt accessoire. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 8 juillet 2014, un arrêt dont l'intérêt est de présenter l'hypothèse inverse, celle d'un transport accessoire à un dépôt.

Dans cette affaire, un galeriste remet une oeuvre artistique en dépôt à la ville de Nice. Lors de sa restitution, l'oeuvre, remise par la commune à un transporteur, est endommagée durant le transport. Assignée en réparation par le galeriste, la ville invoquait l'existence d'un contrat de transport et l'application de la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4810H9Z).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi dirigé contre l'arrêt d'appel condamnant la ville de Nice (CA Aix-en-Provence, 8 octobre 2012, n° 11/17568 N° Lexbase : A5539IUP). Les juges, ayant exactement considéré que le déplacement de l'oeuvre n'était que l'accessoire de son dépôt en ont justement déduit que l'article L. 133-6 du Code de commerce n'était pas applicable.

La qualification d'accessoire de l'opération de transport est assez naturelle : manifestement, le transport visait à l'exécution du dépôt, non l'inverse. La ville de Nice faisait cependant valoir que le dommage était survenu durant le transport et donc, après la fin du dépôt, de sorte que l'action ne pouvait être fondée que sur un contrat de transport. Les juges d'appel, eux, retenaient que, conformément à une clause du contrat, la commune avait souscrit une obligation contractuelle spécifique.

La présence d'une telle clause n'a pas d'incidence sur la qualification du contrat, qui n'était nullement en cause ici. Même si le dépositaire s'est engagé à prendre en charge le retour du bien, il demeure que l'objet du contrat est bien le dépôt de celui-ci et non son déplacement. En revanche, la clause influe certainement sur la responsabilité du dépositaire. Il n'encourt, effectivement, la responsabilité du dommage survenu au cours du transport qu'autant que le contrat de dépôt n'est pas achevé et donc que l'obligation de restitution dont il est débiteur n'a pas été exécutée. En l'absence de clause mettant le transport de la marchandise à la charge du dépositaire, celui-ci n'en est pas responsable : l'article 1943 du Code civil (N° Lexbase : L2167ABU) précise, en effet, que la restitution a lieu sur le lieu même du dépôt, de sorte que l'enlèvement de la marchandise par le transporteur libère le dépositaire de son obligation et de sa responsabilité. En l'espèce, la clause mettait le transport de l'oeuvre à la charge du dépositaire, son obligation de restitution n'étant exécutée qu'à l'issue de celui-ci. Il demeurait donc responsable des dommages subis au cours du transport, non évidemment selon le régime du contrat de transport, inexistant, mais selon celui du contrat de dépôt, auquel se rattache l'obligation inexécutée.

L'affaire "Frigo7/Locatex contre Gefco" n'en finit pas... Ceux qui s'intéressent au transport la connaissent bien : sous-traitant de Gefco, le transporteur routier Locatex lui demandait un beau jour le paiement de l'indexation gazole mise en place par le législateur. A la suite de la rupture des relations commerciales par Gefco, le transporteur lui obtenait plusieurs millions d'euros de dommages et intérêt (près de 9 millions : cf. CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 6 mai 2010, n° 09/05024 N° Lexbase : A5929E84), en se fondant sur la prohibition de la rupture brutale des relations commerciales établie par l'article L. 442-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L7923IZH). La Cour de cassation devait cependant censurer brutalement la générosité des juges du fond. Elle se fondait alors sur une disposition spécifique de la réglementation de la sous-traitance dans les transports routiers, le contrat-type dit sous-traitance. La responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales, de nature délictuelle, ne s'applique pas aux relations de sous-traitance dans le transport, régies par le contrat type (Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.240, FS-P+B N° Lexbase : A5964HYK, nos obs. Chronique de droit des transports - Novembre 2011, Lexbase Hebdo n° 274 du 24 novembre 2011 - édition affaires N° Lexbase : N8888BSY). Frigo 7 ayant pareillement échoué dans l'obtention du paiement de la "clause gazole" (Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-27.352, FS-P+B N° Lexbase : A9097KDB, nos obs. Chronique de droit des transports - Juin 2013, Lexbase Hebdo n° 344 du 27 juin 2013 - édition affaires N° Lexbase : N7695BT8), on aurait pu croire que l'affaire en resterait là, la société étant du reste en liquidation judiciaire.

C'était compter sans la pugnacité des liquidateurs qui réclamaient alors qu'une question préjudicielle sur la validité de l'article 12.2 du décret du 26 décembre 2003, relatif au préavis de rupture (décret n° 2003-1295 (N° Lexbase : L7909H3C), au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce soit soumise au Conseil d'Etat. Les juges d'appel ayant rejeté cette demande (CA Versailles, 13 septembre 2012, n° 11/09374 N° Lexbase : A6559ISQ), un pourvoi était formé. Il soulignait qu'un contrat type ne doit pas contrevenir aux dispositions prises en matière de contrat, ce qui est bien le cas de l'article L. 442-6, même s'il établit une responsabilité délictuelle. Il reprochait également au texte de placer les transporteurs dans une situation d'inégalité par rapport aux autres opérateurs économiques qui, eux, bénéficient de la protection du code de commerce.

Le juge civil n'ayant pas qualité pour apprécier la légalité d'un acte administratif, il doit surseoir à statuer et saisir le juge administratif lorsque la question de la validité de l'acte est nécessaire à la solution du litige et sérieuse.

En l'espèce, la légalité de la disposition du contrat type qui, instituant un délai de préavis de trois mois, ferait obstacle à la prohibition légale de la rupture brutale des relations commerciales détermine certainement la solution du litige. Gefco avait, en effet, respecté le délai fixé par le texte, mais qui pouvait paraître bien insuffisant au regard de la durée des relations. Dès lors, si le contrat type venait à être écarté en raison de son illégalité, le transporteur aurait certainement droit à une indemnité.

La Chambre commerciale estime, en revanche, que la critique n'est pas sérieuse. Il n'existerait pas de rupture d'égalité entre les professionnels, de même qu'il n'existerait pas de contrariété entre l'article du Code de commerce et les dispositions réglementaires.

Il est permis de ne pas partager cette position. En établissant un délai de préavis réduit, indépendant de la durée de la relation commerciale, le contrat type sous-traitance paraît bien contrevenir à l'article prohibant la rupture brutale des relations commerciales, qui, hors le cas d'usage professionnels établis, laisse un large pouvoir d'appréciation au juge. Néanmoins, les magistrats qui n'avaient pu auparavant priver les parties au contrat de transport de la prévisibilité que le contrat type leur apporte, peuvent difficilement, aujourd'hui, tolérer la contestation de ses dispositions.

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