La lettre juridique n°584 du 25 septembre 2014

La lettre juridique - Édition n°584

Éditorial

Vie privée sur internet : "circulez, il y a tout à voir !"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 25 Septembre 2014


"La solitude effraie une âme de vingt ans" : voilà bien une parole prophétique du Grand Molière, dans Le misanthrope, à l'adresse des jeunes générations connectées.

Et, il est loin le concept de vie privée, ce "droit d'être laissé seul", décrit par les avocats américains Samuel Warren et Louis Brandeis dans la Harvard Law Review (The right to privacy), le 15 décembre 1890 ! La société numérique, c'est justement l'anti-solitude : de l'attention quotidienne portée par chacun au-dessus de l'écran de son smartphone, au versement, parfois sans freins, de sa vie privée, devenant ainsi publique, par crainte d'être laissé pour compte ou par nécessité d'exister, socialement, du moins numériquement.

2,4 milliards d'internautes dans le monde, 54 millions en France (+ 566 % depuis 2000) ; 68 % des Français sont inscrits sur un réseau social. Chacun passe quatre heures par jour devant son ordinateur, une heure sur son mobile. Chaque minute, dans le monde, deux millions de requêtes sont faites sur Google, 571 nouveaux sites, 2 000 nouvelles photos sont postées sur Tumblr, 204 millions d'e-mails sont envoyés ; 90 % de nos données numériques ont été créées ces deux dernières années. "Quand on a 400 amis sur Facebook et 10 000 followers, est-on dans la vie privée ?" s'interroge Loïc Rivière, délégué général de l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (AFDEL). "La vie publique de beaucoup sur internet consiste dans ce qu'ils exposent ou surexposent de leur vie privée", poursuit-il.

Est-il alors surprenant que la mémoire numérique fasse peur ; que la vie privée des anonymes soit, à l'image de celle des célébrités, en réel danger ; et que services internet communautaires (SIC) et protection des données personnelles fassent si mauvais ménage ; pour qu'un juge de la République doive intervenir pour une banale histoire de compte Facebook ? L'arrêt rendu le 2 septembre 2014, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, est intéressant à plus d'un titre : outre qu'il rappelle l'exercice conjoint de l'autorité parentale, même après un divorce, il légitime les craintes d'un père, pour finalement ordonner la clôture du compte Facebook ouvert au nom de sa fille mineure par la mère de cette dernière.

Selon la cour, quelles que soient les motivations de la mère, la demande du père tendant à la fermeture de ce compte était légitime ; et il convenait donc d'y faire droit. La formulation est elliptique ; l'enfant en question a huit ans ; le juge, sans autre explication -et c'est bien dommage- considère que le désaccord entre les deux parents sur l'implication de leur fille dans un réseau social ouvert, comme Facebook, oblige à la plus extrême prudence et conduit à la fermeture du compte donc. Comme si naissait un principe de précaution au regard de la société numérique qui conduirait à l'abstention de toute vie publique jusqu'à... plus ample capacité de discernement de la part de l'internaute.

Comme de coutume avec l'économie numérique, qui précède la société numérique elle -même, les premières réponses, visant à protéger la vie privée, droit fondamental constitutionnel et conventionnel européen, ont tardé. Dès 1999, Scott McNealy, Président de Sun Microsystems usait d'une formule choc mais annonciatrice : "Vous n'avez aucune vie privée. Tournez la page". En 2010, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, démontrait que la vie en public était la nouvelle norme ; et, en novembre 2013, Vint Cerf, "Père fondateur" d'internet, estimait que "La vie privée pourrait bien être une anomalie". On ne peut pas dire que les "papes" de la net économie aient avancé à visage masqué ! Au mieux, ils ne nient pas que la "vie privée" soit un droit fondamental ; mais ils estiment clairement que ce principe cède le pas devant le développement consenti par les populations numériques d'une vie publique ex-croissante et sans limite intrusive. Tel est en substance ce que révèle également Antonio Casilli, Maître de conférences en humanités numériques à Telecom ParisTech et chercheur au Centre Edgar-Morin de l'EHESS, lorsqu'il dit que "la vie privée n'a pas disparu, elle s'est transformée : elle n'est plus une sphère susceptible d'être pénétrée, mais un espace de négociation avec les autres acteurs", lors d'une journée d'étude organisée le 22 mai 2014 au Sénat, sur "le numérique, renseignement et vie privée".

"L'espace privé n'est pas compatible avec le modèle économique de ces réseaux. C'est un problème culturel", rappelait dès lors Maître Christiane Féral-Schul, ancien Bâtonnier du barreau de Paris, lors de cette même journée. L'avocate, spécialiste en droit des nouvelles technologies, précisait même sa pensée : "l'internaute est schizophrène, qui exige simultanément liberté de s'exprimer sans entrave et protection de son intimité". Et c'est bien, cette quadrature du cercle à laquelle, anonymes comme célébrités sont confrontés. "Nous défendons le respect de ce principe sans prêter attention à nos propres responsabilités. Ouvrir un compte sur Gmail, c'est accepter de voir ses informations livrées à l'administration américaine si elle en fait la demande. Les données ne se perdent pas, et les préjudices ne sont guère réparables. Renforçons l'autocontrôle, changeons de culture".

"L'enjeu est le consentement éclairé. Pour qu'il y ait contrôle des données, il faut que le consommateur soit informé. A défaut, pas de contrôle effectif de sa part" ajoute Alain Bazot, président de l'UFC-Que Choisir.

Et, c'est à ce premier voeu que répond la cour d'appel d'Aix-en-Provence en approuvant ce père dans sa volonté de clôturer le compte Facebook de sa fille de huit ans, incapable de discernement quant aux enjeux de l'étalement de sa vie privée ou de son intimité sur internet : l'autocontrôle est la première clé du rétablissement de l'équilibre entre SIC et vie privée. Il est heureux, pour l'heure, que cette conscientisation reste assez intuitive, comme le souligne Alain Bazot.

Alors, l'émergence sur le réseau des communautés privées découle tout naturellement de cette nouvelle méfiance. Rendre à nouveau privée sa vie partagée sur la toile ? Mais, le phishing, ou l'hameçonnage, qui consiste à dérober les données personnelles pour s'emparer de certains éléments de la vie privée d'un individu devient un véritable "sport" de hacker aux conséquences planétaires redoutables ; des starlettes imprudentes ont pu en faire les frais dernièrement encore. Benoît Tabaka, Directeur des politiques publiques de Google France, a beau essayer de rassurer en indiquant développer les outils pour protéger les internautes, par exemple en les avertissant des connexions suspectes : il n'est point de données personnelles à l'abri d'une publication et d'une utilisation mercantile lorsqu'elles pénètrent l'univers internet. Aucun cloud n'est sans nuage !

Faut-il dès lors désacraliser le concept de vie privée et instaurer un droit de propriété sur les données personnelles pour éviter leur captation par les entreprises ? Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ne le croit pas. "Ce serait une rupture avec la conception française selon laquelle les données sont une composante des droits fondamentaux et non un élément de patrimoine. De plus, même si les données sont détenues par des tiers, le particulier conserve des droits ; à l'inverse, dès que vous les aurez cédés, ces droits disparaîtront avec la perte liée au droit de propriété".

Non, décidément, pour "éviter de construire des abris anti-numériques et se garder de toute naïveté", comme le préconise Yves Le Mouël, Directeur général de la Fédération française des Télécoms, l'autocontrôle, l'éducation à cette nouvelle culture de la société numérique et à la bonne gestion de ses données personnelles demeurent les seules solutions objectives des internautes qui ne peuvent pas espérer tout de l'autorégulation des sociétés du net dont l'exploitation de ces données est précisément le coeur de business.

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Avocats/Institutions représentatives

[Textes] Réforme de la commission de contrôle des CARPA

Réf. : Décret n° 2014-796 du 11 juillet 2014, relatif au contrôle des caisses des règlements pécuniaires des avocats (N° Lexbase : L7103I3H)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 25 Septembre 2014

L'exercice de la profession d'avocat lui imposant de recevoir des fonds pour le compte de ses clients nécessitait le dépôt sur un compte particulier. En 1957, le conseil de l'Ordre de Paris créait la première caisse autonome de règlements pécuniaires des avocats et, progressivement, chaque barreau se dotait d'une CARPA, de sorte que, depuis 1986, les fonds maniés par les avocats pour le compte de tiers doivent être obligatoirement déposés auprès de ces CARPA. Puisqu'elles sont amenées à manier de nombreux fonds, les CARPA font l'objet de contrôle d'une part, par un commissaire aux comptes attaché à chacune d'elle, et, d'autre part, par une commission de contrôle. Et c'est ce dernier organisme qui vient d'être réformé par un décret en date du 11 juillet 2014 et qui entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2014. I - Le fonctionnement actuel de la Commission de contrôle

Aux termes de la loi n° 71-1130 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de son article 53, les avocats qui reçoivent des fonds, effets ou valeurs pour le compte de leurs clients, les déposent, sauf lorsqu'ils agissent en qualité de fiduciaire, dans une caisse créée obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux et en effectuent le règlement (loi n° 71-1130, art. 53 9°). Les articles 235-1 et suivants du décret n° 91-1197 (N° Lexbase : L8168AID) précisent que les produits financiers des fonds, effets ou valeurs doivent être affectés exclusivement au financement des services d'intérêt collectif de la profession, et notamment des actions de formation, d'information et de prévoyance, ainsi qu'aux oeuvres sociales des barreaux ; ou à la couverture des dépenses de fonctionnement du service de l'aide juridictionnelle et au financement de l'aide à l'accès au droit. Il fait expressément interdiction à l'avocat de recevoir une procuration ayant pour objet de leur permettre de disposer de fonds déposés sur un compte ouvert au nom de leur client ou d'un tiers, autre que l'un des sous-comptes prévus par le texte. En effet, les écritures afférentes à l'activité de chaque avocat sont retracées dans un compte individuel ouvert à son nom. Chaque compte individuel est lui-même divisé en autant de sous-comptes qu'il y a d'affaires traitées par l'avocat. Tout mouvement de fonds entre sous-comptes est interdit, sauf autorisation spéciale, préalable et motivée du président de la caisse. Aucun sous-compte ne doit présenter de solde débiteur.

Afin d'opérer le contrôle de ces fonds, le conseil de l'Ordre auprès duquel est instituée la CARPA doit désigner pour une durée de six ans un commissaire aux comptes chargé de veiller au respect par la caisse de l'ensemble des règles et obligations fixées par le décret n° 91-1197.

Néanmoins, à la suite de dérégulation dans le fonctionnement de certaines CARPA ayant entraîné des sinistres, il a été mis en place une commission de contrôle chargée de veiller, elle aussi, aux respects des règles édictées par les textes.

Cette commission est, à ce jour, composée du président du Conseil national des barreaux, du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, du président de la Conférence des Bâtonniers, du président de l'Union nationale des caisses d'avocats. Chacun d'eux désigne un suppléant choisi au sein de l'organisation qu'il représente.

Cette commission peut, à tout moment, au vu notamment des rapports établis par les commissaires aux comptes, émettre des avis ou recommandations à l'attention des caisses.

Elle peut également, à tout moment, soit d'office, soit sur demande du Bâtonnier ou du procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi le siège d'une caisse, procéder ou faire procéder, par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs avocats qu'elle désigne à cet effet, au contrôle des caisses.

Les avocats ainsi désignés ne peuvent être membres du ou des Ordres auprès desquels est instituée la caisse. A l'issue de leurs investigations, ils dressent un rapport.

Lorsque le rapport révèle des manquements aux règles et obligations imposées, la commission peut prendre l'une des mesures prévues à l'article 241-6 du décret n° 91-1197. A cet égard, elle peut émettre des avis et des recommandations, enjoindre aux CARPA de mettre fin aux manquements constatés, ou, encore, en cas de carence des organes de gestion de la caisse, de risque de non-représentation des fonds, effets et valeurs déposés ou de manquement aux règles d'affectation des produits financiers, désigner, pour une durée maximale d'un an renouvelable une fois, un avocat aux fins d'assister le président de la caisse. Enfin, si l'urgence le requiert, la commission de contrôle peut suspendre le fonctionnement de la caisse et en organiser l'administration provisoire.

II - Les réformes en vigueur à compter du 1er octobre 2014

Le décret du 11 juillet 2014 prévoit, d'une part, la création d'une commission de régulation des caisses des règlements pécuniaires des avocats ayant le pouvoir d'émettre des avis et recommandations aux CARPA relativement aux maniements de fonds et, d'autre part, la modification de la composition de la commission de contrôle des CARPA et l'augmentation de ses pouvoirs, notamment en matière de sanction des caisses.

  • La commission de régulation des CARPA

Cette commission sera chargée, dès le 1er octobre 2014, d'observer d'orienter et de contrôler CARPA et de définir le programme annuel de contrôle de ces caisses. La commission de régulation sera composée du président du Conseil national des barreaux, du président de la Conférence des Bâtonniers et du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, chacun d'eux désignant un suppléant choisi au sein de l'organisation qu'il représente. Au vu du rapport annuel établi par la commission de contrôle, la commission de régulation recevra compétence pour émettre des avis et recommandations applicables aux caisses dont elle assurera l'évaluation. En outre, le décret la charge de mettre en oeuvre une formation adaptée pour les contrôleurs de CARPA.

  • La commission de contrôle version 2014

La commission de contrôle sera composée de douze membres, avocats en exercice. Trois seront désignés par le président du Conseil national des barreaux, trois par le président de la Conférence des Bâtonniers, trois par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris et trois par le président de l'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats.

Il est précisé que les présidents de ces institutions ou associations ne pourront être désignés pour siéger à la commission de contrôle, ce qui est au demeurant logique puisqu'ils siègeront à la nouvelle commission de régulation.

Le mandat des membres de la commission de contrôle sera de trois ans, renouvelable une fois.

Le renouvellement des membres de la commission s'opérera par tiers. Chaque année, le président du Conseil national des barreaux, le président de la Conférence des Bâtonniers, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris et le président de l'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats désigneront un nouveau membre de la commission de contrôle. Le président de la commission de contrôle sera élu parmi les membres désignés par les instances précitées.

La nouvelle commission de contrôle travaillera conjointement avec la commission de régulation. L'article 13 du décret du 11 juillet 2014 (décret n° 91-1197, art. 241-4, modifié) prévoit, en effet, que ses contrôles seront mis en oeuvre chaque année, selon un programme élaboré par l'instance normative. Ils pourront, en outre, être diligentés à la demande de l'un des membres de la commission de régulation, du ou des Bâtonniers concernés ou du procureur général près la cour d'appel dans le ressort dans laquelle est établi le siège de la caisse visée.

Les modalités du contrôle vont également évoluer. En effet, aux termes de l'article 14 du décret (décret n° 91-1197, art. 241-5, modifié) sur proposition du président du CNB, du président de la Conférence des Bâtonniers, du Bâtonnier de Paris et du président de l'UNCA, la commission de contrôle pourra désigner un ou plusieurs contrôleurs, avocats en exercice ou avocats honoraires, pour une mission de trois ans renouvelable. Pour la mener à bien, les contrôleurs pourront solliciter l'UNCA aux fins d'obtenir tous les éléments d'information relatifs à la caisse qui fait l'objet de leur diligence. En outre, la commission désignera en son sein un ou plusieurs rapporteurs chargés de porter à sa connaissance les conclusions du ou des contrôleurs et de formuler, le cas échéant, une proposition de sanction.

Lorsqu'un manquement de la caisse visée par une mesure de contrôle sera constaté, la commission pourra désigner, pour une durée maximale d'un an renouvelable une fois, un avocat aux fins d'assister le président de la caisse. L'avocat désigné, qui ne sera pas membre du ou des Ordres auprès desquels est instituée la caisse, pourra donner au président de la caisse tous avis, conseils et mises en garde et tiendra régulièrement informé le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi le siège de la caisse ainsi que la commission de contrôle.

L'article 18 du décret du 11 juillet 2014 insère au décret n° 91-1197 un nouvel article 241-8 qui réforme les mesures que la commission de contrôle pouvait prendre jusqu'alors.

La commission de contrôle pourra désormais prononcer trois types de sanctions : l'injonction de faire, la suspension des organes d'administration de la caisse et, enfin, et c'est là la nouveauté essentielle, la mise en oeuvre de la délégation de gestion.

L'injonction de faire consiste à inviter la caisse à régulariser sa situation en lui impartissant un délai de régularisation qui est inférieur ou égal à six mois. A l'issue du délai qu'elle a fixé, la commission de contrôle doit vérifier si la difficulté a disparu.

La suspension des organes d'administration de la caisse et son administration provisoire peuvent être prononcées en cas d'urgence ou en cas de manquement caractérisé ou réitéré de la caisse à ses obligations. Elle peut également être prononcée si la régularisation de la situation de la caisse n'est pas intervenue dans le délai fixé lors du prononcé de l'injonction de faire. La commission de contrôle désigne alors, pour une durée maximum d'un an, un avocat pour exercer les fonctions d'administrateur de la caisse qui remplace les organes de direction de la caisse dans leurs fonctions relatives à l'administration de la caisse.

L'avocat ainsi désigné, qui peut être soit un avocat en exercice, soit un avocat honoraire, ne peut être membre du ou des ordres auprès desquels est instituée la caisse.

La suspension prend fin soit par le retour de la caisse à un fonctionnement normal, soit par la convocation d'une assemblée générale afin de désigner de nouveaux organes de direction de la caisse.

La délégation de gestion.En cas de manquement grave ou réitéré, ou de manquement se traduisant par une carence de gestion de la caisse ou de risques de non-représentation de fonds, effets ou valeurs, la commission de contrôle peut inviter le barreau qui assume la responsabilité de la caisse à mettre en oeuvre un regroupement dans le délai qu'elle détermine.

A défaut de mise en oeuvre par le barreau du regroupement dans le délai imparti, la commission de contrôle notifie à la caisse une convention de délégation de gestion des maniements de fonds, effets ou valeurs en désignant la caisse qui deviendra mandataire de la caisse défaillante.

La décision de la commission de contrôle s'imposera à la caisse et au(x) conseil(s) de l'Ordre de la caisse délégante auxquels elle est notifiée.

La commission de contrôle statuera après avoir entendu le président de la CARPA visée, éventuellement assisté d'un conseil de son choix et, le cas échéant, le ou les Bâtonniers, le procureur général et tout individu dont l'audition lui semble nécessaire. Ses décisions, exécutoires par provision, devront être motivées et notifiées au président de la caisse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et seront susceptibles d'être attaquées devant la cour d'appel de Paris dans un délai d'un mois à compter de leur notification.

Cette réforme de la commission de contrôle des CARPA, qui avait été demandée dès décembre 2010 en assemblée générale du Conseil national des barreaux, procède ainsi au renforcement des process et moyens de contrôle d'une institution maniant des fonds importants et pour laquelle la déclaration de soupçon n'était pas envisageable.

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Actes administratifs

[Brèves] Instruction de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger pour fixer les critères généraux d'attribution des bourses : acte n'ayant pas de caractère réglementaire

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 364385, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8596MWB)

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Le 26 Septembre 2014

L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ne dispose pas d'un pouvoir réglementaire pour fixer les conditions d'attribution des bourses, énonce le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 19 septembre 2014 (CE 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 364385, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8596MWB). L'article 3 du décret n° 91-833 du 30 août 1991, relatif aux bourses scolaires au bénéfice d'enfants français résidant avec leur famille à l'étranger (abrogé), en vertu duquel les bourses bénéficiant aux enfants français scolarisés à l'étranger sont attribués "dans le respect de critères généraux définis par des instructions spécifiques" prises par l'AEFE, n'a pas conféré à cet établissement public un pouvoir réglementaire pour fixer les conditions d'attribution des bourses. Il a seulement prévu que soient édictées des instructions fixant des lignes directrices auxquelles il appartient aux commissions locales de l'agence de se référer, tout en pouvant y déroger lors de l'examen individuel de chaque demande si des considérations d'intérêt général ou les circonstances propres à chaque situation particulière le justifient (voir, s'agissant du vocabulaire employé pour désigner ces actes, CE, Sect., 11 décembre 1970, n° 78880, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8286B7Z).

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Assurances

[Brèves] Délai de prescription des dommages immatériels : précision utile de la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 3, 17 septembre 2014, n° 13-21.747, FS-P+B (N° Lexbase : A8379MWA)

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Le 26 Septembre 2014

La reconnaissance par l'assureur du principe de sa garantie interrompt la prescription pour l'ensemble des dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres. Telle est la règle énoncée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt rendu le 17 septembre 2014 (Cass. civ. 3, 17 septembre 2014, n° 13-21.747, FS-P+B N° Lexbase : A8379MWA). En l'espèce, une SCI avait fait construire un bâtiment de liaison entre deux bâtiments préexistants ; les travaux de couverture, zinguerie et étanchéité avaient été réceptionnés sans réserve ; des infiltrations d'eau en provenance de la toiture du bâtiment de liaison étant apparues, la SCI avait, après expertise, assigné l'assureur dommages-ouvrage, en réparation de ses préjudices matériels et immatériels. Pour déclarer prescrite et irrecevable l'action engagée par la SCI au titre de son préjudice immatériel, la cour d'appel de Colmar avait retenu que les dommages immatériels n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration, ni d'aucun acte interruptif de la prescription antérieurement à l'assignation au fond du 6 avril 2006, que s'agissant d'une garantie annexe et facultative, il ne pouvait être considéré que les dommages immatériels étaient implicitement et nécessairement inclus dans les déclarations de sinistre ou dans l'assignation en référé visant les seuls dommages matériels et que l'action relative à ces dommages immatériels devait donc être déclarée prescrite et irrecevable. A tort, selon la Cour régulatrice qui censure la décision après avoir énoncé la règle précitée, au visa de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP).

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Avocats/Institutions représentatives

[Textes] Réforme de la commission de contrôle des CARPA

Réf. : Décret n° 2014-796 du 11 juillet 2014, relatif au contrôle des caisses des règlements pécuniaires des avocats (N° Lexbase : L7103I3H)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 25 Septembre 2014

L'exercice de la profession d'avocat lui imposant de recevoir des fonds pour le compte de ses clients nécessitait le dépôt sur un compte particulier. En 1957, le conseil de l'Ordre de Paris créait la première caisse autonome de règlements pécuniaires des avocats et, progressivement, chaque barreau se dotait d'une CARPA, de sorte que, depuis 1986, les fonds maniés par les avocats pour le compte de tiers doivent être obligatoirement déposés auprès de ces CARPA. Puisqu'elles sont amenées à manier de nombreux fonds, les CARPA font l'objet de contrôle d'une part, par un commissaire aux comptes attaché à chacune d'elle, et, d'autre part, par une commission de contrôle. Et c'est ce dernier organisme qui vient d'être réformé par un décret en date du 11 juillet 2014 et qui entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2014. I - Le fonctionnement actuel de la Commission de contrôle

Aux termes de la loi n° 71-1130 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de son article 53, les avocats qui reçoivent des fonds, effets ou valeurs pour le compte de leurs clients, les déposent, sauf lorsqu'ils agissent en qualité de fiduciaire, dans une caisse créée obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux et en effectuent le règlement (loi n° 71-1130, art. 53 9°). Les articles 235-1 et suivants du décret n° 91-1197 (N° Lexbase : L8168AID) précisent que les produits financiers des fonds, effets ou valeurs doivent être affectés exclusivement au financement des services d'intérêt collectif de la profession, et notamment des actions de formation, d'information et de prévoyance, ainsi qu'aux oeuvres sociales des barreaux ; ou à la couverture des dépenses de fonctionnement du service de l'aide juridictionnelle et au financement de l'aide à l'accès au droit. Il fait expressément interdiction à l'avocat de recevoir une procuration ayant pour objet de leur permettre de disposer de fonds déposés sur un compte ouvert au nom de leur client ou d'un tiers, autre que l'un des sous-comptes prévus par le texte. En effet, les écritures afférentes à l'activité de chaque avocat sont retracées dans un compte individuel ouvert à son nom. Chaque compte individuel est lui-même divisé en autant de sous-comptes qu'il y a d'affaires traitées par l'avocat. Tout mouvement de fonds entre sous-comptes est interdit, sauf autorisation spéciale, préalable et motivée du président de la caisse. Aucun sous-compte ne doit présenter de solde débiteur.

Afin d'opérer le contrôle de ces fonds, le conseil de l'Ordre auprès duquel est instituée la CARPA doit désigner pour une durée de six ans un commissaire aux comptes chargé de veiller au respect par la caisse de l'ensemble des règles et obligations fixées par le décret n° 91-1197.

Néanmoins, à la suite de dérégulation dans le fonctionnement de certaines CARPA ayant entraîné des sinistres, il a été mis en place une commission de contrôle chargée de veiller, elle aussi, aux respects des règles édictées par les textes.

Cette commission est, à ce jour, composée du président du Conseil national des barreaux, du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, du président de la Conférence des Bâtonniers, du président de l'Union nationale des caisses d'avocats. Chacun d'eux désigne un suppléant choisi au sein de l'organisation qu'il représente.

Cette commission peut, à tout moment, au vu notamment des rapports établis par les commissaires aux comptes, émettre des avis ou recommandations à l'attention des caisses.

Elle peut également, à tout moment, soit d'office, soit sur demande du Bâtonnier ou du procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi le siège d'une caisse, procéder ou faire procéder, par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs avocats qu'elle désigne à cet effet, au contrôle des caisses.

Les avocats ainsi désignés ne peuvent être membres du ou des Ordres auprès desquels est instituée la caisse. A l'issue de leurs investigations, ils dressent un rapport.

Lorsque le rapport révèle des manquements aux règles et obligations imposées, la commission peut prendre l'une des mesures prévues à l'article 241-6 du décret n° 91-1197. A cet égard, elle peut émettre des avis et des recommandations, enjoindre aux CARPA de mettre fin aux manquements constatés, ou, encore, en cas de carence des organes de gestion de la caisse, de risque de non-représentation des fonds, effets et valeurs déposés ou de manquement aux règles d'affectation des produits financiers, désigner, pour une durée maximale d'un an renouvelable une fois, un avocat aux fins d'assister le président de la caisse. Enfin, si l'urgence le requiert, la commission de contrôle peut suspendre le fonctionnement de la caisse et en organiser l'administration provisoire.

II - Les réformes en vigueur à compter du 1er octobre 2014

Le décret du 11 juillet 2014 prévoit, d'une part, la création d'une commission de régulation des caisses des règlements pécuniaires des avocats ayant le pouvoir d'émettre des avis et recommandations aux CARPA relativement aux maniements de fonds et, d'autre part, la modification de la composition de la commission de contrôle des CARPA et l'augmentation de ses pouvoirs, notamment en matière de sanction des caisses.

  • La commission de régulation des CARPA

Cette commission sera chargée, dès le 1er octobre 2014, d'observer d'orienter et de contrôler CARPA et de définir le programme annuel de contrôle de ces caisses. La commission de régulation sera composée du président du Conseil national des barreaux, du président de la Conférence des Bâtonniers et du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, chacun d'eux désignant un suppléant choisi au sein de l'organisation qu'il représente. Au vu du rapport annuel établi par la commission de contrôle, la commission de régulation recevra compétence pour émettre des avis et recommandations applicables aux caisses dont elle assurera l'évaluation. En outre, le décret la charge de mettre en oeuvre une formation adaptée pour les contrôleurs de CARPA.

  • La commission de contrôle version 2014

La commission de contrôle sera composée de douze membres, avocats en exercice. Trois seront désignés par le président du Conseil national des barreaux, trois par le président de la Conférence des Bâtonniers, trois par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris et trois par le président de l'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats.

Il est précisé que les présidents de ces institutions ou associations ne pourront être désignés pour siéger à la commission de contrôle, ce qui est au demeurant logique puisqu'ils siègeront à la nouvelle commission de régulation.

Le mandat des membres de la commission de contrôle sera de trois ans, renouvelable une fois.

Le renouvellement des membres de la commission s'opérera par tiers. Chaque année, le président du Conseil national des barreaux, le président de la Conférence des Bâtonniers, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris et le président de l'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats désigneront un nouveau membre de la commission de contrôle. Le président de la commission de contrôle sera élu parmi les membres désignés par les instances précitées.

La nouvelle commission de contrôle travaillera conjointement avec la commission de régulation. L'article 13 du décret du 11 juillet 2014 (décret n° 91-1197, art. 241-4, modifié) prévoit, en effet, que ses contrôles seront mis en oeuvre chaque année, selon un programme élaboré par l'instance normative. Ils pourront, en outre, être diligentés à la demande de l'un des membres de la commission de régulation, du ou des Bâtonniers concernés ou du procureur général près la cour d'appel dans le ressort dans laquelle est établi le siège de la caisse visée.

Les modalités du contrôle vont également évoluer. En effet, aux termes de l'article 14 du décret (décret n° 91-1197, art. 241-5, modifié) sur proposition du président du CNB, du président de la Conférence des Bâtonniers, du Bâtonnier de Paris et du président de l'UNCA, la commission de contrôle pourra désigner un ou plusieurs contrôleurs, avocats en exercice ou avocats honoraires, pour une mission de trois ans renouvelable. Pour la mener à bien, les contrôleurs pourront solliciter l'UNCA aux fins d'obtenir tous les éléments d'information relatifs à la caisse qui fait l'objet de leur diligence. En outre, la commission désignera en son sein un ou plusieurs rapporteurs chargés de porter à sa connaissance les conclusions du ou des contrôleurs et de formuler, le cas échéant, une proposition de sanction.

Lorsqu'un manquement de la caisse visée par une mesure de contrôle sera constaté, la commission pourra désigner, pour une durée maximale d'un an renouvelable une fois, un avocat aux fins d'assister le président de la caisse. L'avocat désigné, qui ne sera pas membre du ou des Ordres auprès desquels est instituée la caisse, pourra donner au président de la caisse tous avis, conseils et mises en garde et tiendra régulièrement informé le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle est établi le siège de la caisse ainsi que la commission de contrôle.

L'article 18 du décret du 11 juillet 2014 insère au décret n° 91-1197 un nouvel article 241-8 qui réforme les mesures que la commission de contrôle pouvait prendre jusqu'alors.

La commission de contrôle pourra désormais prononcer trois types de sanctions : l'injonction de faire, la suspension des organes d'administration de la caisse et, enfin, et c'est là la nouveauté essentielle, la mise en oeuvre de la délégation de gestion.

L'injonction de faire consiste à inviter la caisse à régulariser sa situation en lui impartissant un délai de régularisation qui est inférieur ou égal à six mois. A l'issue du délai qu'elle a fixé, la commission de contrôle doit vérifier si la difficulté a disparu.

La suspension des organes d'administration de la caisse et son administration provisoire peuvent être prononcées en cas d'urgence ou en cas de manquement caractérisé ou réitéré de la caisse à ses obligations. Elle peut également être prononcée si la régularisation de la situation de la caisse n'est pas intervenue dans le délai fixé lors du prononcé de l'injonction de faire. La commission de contrôle désigne alors, pour une durée maximum d'un an, un avocat pour exercer les fonctions d'administrateur de la caisse qui remplace les organes de direction de la caisse dans leurs fonctions relatives à l'administration de la caisse.

L'avocat ainsi désigné, qui peut être soit un avocat en exercice, soit un avocat honoraire, ne peut être membre du ou des ordres auprès desquels est instituée la caisse.

La suspension prend fin soit par le retour de la caisse à un fonctionnement normal, soit par la convocation d'une assemblée générale afin de désigner de nouveaux organes de direction de la caisse.

La délégation de gestion.En cas de manquement grave ou réitéré, ou de manquement se traduisant par une carence de gestion de la caisse ou de risques de non-représentation de fonds, effets ou valeurs, la commission de contrôle peut inviter le barreau qui assume la responsabilité de la caisse à mettre en oeuvre un regroupement dans le délai qu'elle détermine.

A défaut de mise en oeuvre par le barreau du regroupement dans le délai imparti, la commission de contrôle notifie à la caisse une convention de délégation de gestion des maniements de fonds, effets ou valeurs en désignant la caisse qui deviendra mandataire de la caisse défaillante.

La décision de la commission de contrôle s'imposera à la caisse et au(x) conseil(s) de l'Ordre de la caisse délégante auxquels elle est notifiée.

La commission de contrôle statuera après avoir entendu le président de la CARPA visée, éventuellement assisté d'un conseil de son choix et, le cas échéant, le ou les Bâtonniers, le procureur général et tout individu dont l'audition lui semble nécessaire. Ses décisions, exécutoires par provision, devront être motivées et notifiées au président de la caisse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et seront susceptibles d'être attaquées devant la cour d'appel de Paris dans un délai d'un mois à compter de leur notification.

Cette réforme de la commission de contrôle des CARPA, qui avait été demandée dès décembre 2010 en assemblée générale du Conseil national des barreaux, procède ainsi au renforcement des process et moyens de contrôle d'une institution maniant des fonds importants et pour laquelle la déclaration de soupçon n'était pas envisageable.

newsid:443641

Consommation

[Brèves] Obligations d'information précontractuelle et contractuelle des consommateurs et droit de rétractation : publication des dispositions réglementaires

Réf. : Décret n° 2014-1061 du 17 septembre 2014, relatif aux obligations d'information précontractuelle et contractuelle des consommateurs et au droit de rétractation (N° Lexbase : L2431I4S)

Lecture: 2 min

N3751BUH

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Le 25 Septembre 2014

Faisant suite à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX ; cf. numéro spécial de Lexbase Hebdo n° 378 du 17 mars 2014 - édition affaires), un décret, publié au Journal officiel du 19 septembre 2014 (décret n° 2014-1061 du 17 septembre 2014, relatif aux obligations d'information précontractuelle et contractuelle des consommateurs et au droit de rétractation N° Lexbase : L2431I4S), achève l'exercice de transposition en droit interne de la Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs (N° Lexbase : L2807IRE). Le décret détaille les informations générales que les professionnels, vendeurs de biens ou prestataires de services, doivent communiquer aux consommateurs sur les lieux de vente avant la conclusion d'un contrat ou un acte d'achat, mais aussi préalablement à la conclusion d'un contrat selon une technique de communication à distance ou en dehors d'un établissement commercial. Ces informations sont relatives à leur identité, à leurs activités, aux garanties légales et commerciales, aux fonctionnalités et à l'interopérabilité des contenus numériques et à certaines conditions contractuelles. Par ailleurs, à la suite de la recodification par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 des dispositions législatives relatives aux contrats portant sur les services financiers fournis à distance, le décret se livre au même exercice pour les dispositions réglementaires applicables à ce type de contrat, s'agissant tout particulièrement des obligations d'information précontractuelle, dans le Code de la consommation ainsi que dans le Code des assurances, le Code monétaire et financier et le Code de la Sécurité sociale. En outre, le décret propose un modèle de formulaire de rétractation, document obligatoire, que doivent contenir les contrats conclus à distance ou hors établissement commercial et un avis d'information type concernant l'exercice du droit de rétractation par le consommateur. Enfin, ce texte abroge les dispositions du Code de la consommation établissant un seuil à partir duquel le consommateur peut dénoncer le contrat qui le lie à un professionnel n'ayant pas respecté son obligation de livraison (C. consom., art. R. 114-1 N° Lexbase : L6825ABE) et celles fixant les exceptions au principe de prohibition des opérations de ventes avec primes et la liste des exceptions au principe de prohibition de telles opérations. L'ensemble de ces dispositions est entré en vigueur le 20 septembre 2014 (cf. l’Ouvrage "Droit des contrats spéciaux" N° Lexbase : E7906EX4).

newsid:443751

Divorce

[Jurisprudence] Divorce et contribution aux charges du mariage : précisions utiles

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n° 13-19.130, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0581MU3)

Lecture: 6 min

N3752BUI

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par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux

Le 25 Septembre 2014

La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 juillet 2014 est de celles qui raviront les praticiens car elle vient combler de fort belle manière un vide important, qui était la source de nombreuses hésitations dans les dossiers de divorce. Peut-on demander au juge du divorce de statuer aussi sur une éventuelle contribution aux charges du mariage défaillante, pour une période antérieure à l'ordonnance de non-conciliation ? La réponse apportée par l'arrêt est des plus claires : c'est non. Le motif ne laisse aucune place au doute : "hors le cas prévu par l'article 267, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase : L2834DZY), le juge aux affaires familiales ne peut, lorsqu'il prononce le divorce, statuer sur une demande de contribution aux charges du mariage portant sur la période antérieure à l'ordonnance de non-conciliation ; c'est donc à juste titre que la cour d'appel, qui n'était pas saisie sur le fondement des dispositions précitées, a retenu qu'il ne lui appartenait pas de statuer sur la demande présentée par Mme Y". Avant d'examiner les deux enseignements majeurs qui peuvent être tirés de la présente décision, on notera que le quatrième moyen du pourvoi alléguait une violation de l'article 258 du Code civil (N° Lexbase : L2823DZL), qui dispose, notamment, que "lorsqu'il rejette définitivement la demande en divorce, le juge peut statuer sur la contribution aux charges du mariage [...]". Pareil moyen était voué à l'échec, puisqu'au cas d'espèce, le juge du divorce a prononcé le divorce, et non rejeté la demande... Le cas était donc à l'opposé de l'hypothèse de ce texte. Pour accueillir la critique développée par le pourvoi, il eût donc fallu que la Cour de cassation acceptât d'interpréter l'article 258 a contrario, ce qu'elle n'a jamais fait à ce jour. Il faut donc bien se garder de relier la présente décision au domaine d'application de ce texte, contrairement au piège tendu par le pourvoi, et dans lequel la Cour de cassation a eu la sagesse de ne pas tomber. Ceci précisé, deux enseignements peuvent être tirés de la présente décision : d'une part, si le juge qui prononce le divorce n'a pas à statuer sur une demande de contribution aux charges ante ONC, rien n'interdit de former une demande distincte ne portant que sur l'article 214 (N° Lexbase : L2382ABT) (I) ; d'autre part, l'incidence de la liquidation doit être bien mesurée, car ce qui est interdit à titre de demande, peut être autorisé à titre de défense (II).

I - Une demande distincte

Tout d'abord, il apparaît nettement que si l'une des parties entend former une demande de contribution aux charges du mariage, cela doit se faire avant le prononcé du divorce, et par une instance séparée de l'instance en divorce. En effet, le motif de l'arrêt ne dit absolument pas qu'une telle demande est irrecevable. Il dit simplement, mais c'est déjà beaucoup, que c'est à juste titre que la cour d'appel a retenu qu'il n'appartenait pas au juge du divorce de statuer sur la demande qui lui était présentée. C'est logique : en tant que juge du divorce, le juge saisi n'est pas compétent pour trancher une demande relative à la contribution aux charges du mariage. Mais attention à ne pas dénaturer l'arrêt. Ce motif ne veut évidemment pas dire qu'il est impossible, avant le prononcé définitif du divorce, de saisir le juge aux affaires familiales d'une difficulté relative à la contribution aux charges du mariage pour la période antérieure à l'ONC. Il est, au contraire, parfaitement possible de le faire, mais il faudra pour cela saisir le JAF en qualité de juge de la contribution, et non en qualité de juge du divorce. Une instance totalement distincte de l'instance en divorce devra donc être introduite, avec un numéro de RG différent. La pratique révèle que certains JAF y sont hostiles, estimant que du fait de la requête en divorce il n'y a plus lieu de statuer sur la contribution aux charges. Cette position est inexacte car s'il est vrai que le devoir de secours, décidé lors de l'audience de conciliation, se substitue à la contribution aux charges pendant l'instance en divorce, cela laisse intact le problème de la contribution ante ordonnance de non-conciliation. De sorte que l'une des parties peut parfaitement saisir le juge d'une demande à ce titre, mais à la condition essentielle de le faire par une procédure totalement indépendante de celle en divorce (peu importe que le juge soit le même, il sera saisi par deux instances séparées). Bien entendu, plus l'on sera proche de la procédure au fond, et, pire encore, du jugement, plus la demande passera pour saugrenue. Mais si d'aventure un époux estimait que son conjoint, avant les mesures provisoires, n'avait pas assez contribué, il peut lui demander de le faire. En revanche, une fois le divorce devenu définitif, aucune demande de contribution aux charges ne sera plus recevable, la qualité d'époux ayant disparu. Le défaut d'intérêt et de qualité à agir sera alors flagrant.

La solution est opportune, car elle permet de préserver le juge du divorce, en n'alourdissant pas son instance, tout en ne sacrifiant pas le demandeur à la contribution aux charges. La Cour de cassation oblige donc ce dernier à prendre la responsabilité d'un contentieux séparé, qui est toujours plus impressionnant à décider que d'ajouter un chef de demande dans un jeu de conclusions au fond sur le divorce. Mais la solution est encore opportune pour d'autres raisons. En obligeant les plaideurs à former une demande distincte, la Cour de cassation préserve leurs droits. En effet, imaginons que le demandeur à la contribution décède en cours d'instance en divorce. Si la contribution aux charges était liée à la procédure en divorce, la demande disparaîtrait en même temps que la procédure de divorce, du fait du décès de l'un des époux. Au contraire, en obligeant à faire vivre ces deux instances séparément, la Cour permet, en cas de décès, que l'instance en contribution soit reprise par les héritiers du demandeur. Une autre raison peut être avancée : tant que le divorce n'est pas prononcé, les parties sont... mariées ! Décider que le dépôt d'une requête en divorce rendrait impossible une demande relative aux charges du mariage pour la période antérieure, reviendrait à considérer que la requête en divorce créerait une sorte d'immunité en cas d'inexécution de son obligation de contribuer par un époux.

Par conséquent, nous ne pouvons qu'approuver et applaudir une décision qui affirme le caractère séparé des deux procédures, et laissant donc intacte la possibilité de saisir le JAF d'une demande concurrente de contribution aux charges.

II - L'incidence de la liquidation

La Cour de cassation, après avoir affirmé le caractère distinct des deux procédures, émet une réserve qui tient au quatrième alinéa de l'article 267. Cet alinéa est le fameux texte qui permet le "tranchage" des désaccords persistants dans l'hypothèse où un notaire a été nommé sur le fondement de l'article 255, 10° (N° Lexbase : L2818DZE).

On comprend donc que, dans ce cas, une demande relative à la contribution aux charges du mariage serait de la compétence du juge du divorce. Mais là encore, gare aux erreurs d'interprétation. De toute évidence, il ne peut s'agir de demander d'abord au notaire, puis au juge, de condamner l'autre époux à régler une somme de X au titre de sa contribution défaillante ante ONC. Ce dont il sera alors question, ce sera d'opposer la contribution aux charges du mariage à une demande de remboursement présentée par l'époux défaillant mais se prétendant créancier. Le cas est fréquent en séparation de biens, où un époux s'estime créancier de son conjoint ou de l'indivision, tandis que l'autre lui répond que son paiement procédait de son obligation de contribuer aux charges du mariage et donc qu'aucune créance n'existe. Le cas se verra d'autant plus fréquemment qu'en 2013 la Cour de cassation a spectaculairement clarifié sa jurisprudence sur le financement du logement entre époux séparés de biens (1), et qu'en conséquence la contribution aux charges du mariage sera à l'avenir encore plus souvent invoquée. Mais chacun voit bien qu'en pareil cas cette notion est utilisée à des fins de défense, dans le but de s'opposer à une demande de remboursement. L'hypothèse est donc très différente de celle du présent arrêt, où le demandeur voulait obtenir une condamnation sonnante et trébuchante à l'encontre de son conjoint. Par conséquent, la réserve contenue dans le motif de l'arrêt et relative à l'existence d'un notaire "255, 10" constitue en réalité un cas à part, qui ne constitue donc en rien un démenti, ou une exception, au principe posé.

Enfin, il est à souligner que la position ici retenue par la Cour de cassation en présence d'un notaire "255, 10" est parfaitement cohérente avec la position retenue par une autre décision récente, relative au partage judiciaire (2), qui décide que le juge du partage doit faire masse de l'ensemble des créances que les époux se doivent éventuellement (contributions aux charges du mariage, pensions alimentaires, dommages-intérêts, prestation compensatoire (3)). Il ne saurait être question pour le juge du partage de condamner un époux à une contribution aux charges qui n'aurait pas encore été fixée ; mais si celle-ci a déjà été jugée, ou si l'article 214 est opposé en défense face à la revendication d'une créance, alors le juge du partage pourra statuer sur l'ensemble des demandes financières pour procéder à un règlement d'ensemble. Il est aisé de voir que c'est la même logique qui prévaut dans l'arrêt commenté, lorsqu'un notaire "255,10" a été désigné. Cette désignation crée une sorte d'avant-poste de la procédure de partage, et permet d'ailleurs de considérer que l'assignation en divorce vaut assignation en partage (4), rendant possible un règlement d'ensemble des créances dues entres les époux. Mais comme précédemment, il s'agit alors d'utiliser la contribution aux charges du mariage à titre de défense, certainement pas pour former une demande de condamnation.

Voici donc une décision qui est très utile au plan pratique, et très logique au plan des principes. Que demander de plus ?


(1) Sur l'ensemble et pour les références des arrêts, v., notre étude, Le sort du logement indivis entre époux séparés de biens, Gaz. Pal., 24 août 2013, n° 236, p. 19 et Gaz. Pal., 29 octobre 2013, n° 302, p. 19 ; v., également nos commentaires : Financement du logement indivis en séparation de biens : une jurisprudence désormais fixée, Lexbase Hebdo n° 543 du 10 octobre 2013 - édition privée (N° Lexbase : N8851BTY) ; et Le financement de la résidence secondaire entre dans le champ de l'article 214 du Code civil..., Lexbase Hebdo n° 561 du 6 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1061BUT).
(2) Cass. civ. 1, 14 mai 2014, n° 13-14.087, F-D (N° Lexbase : A5668MLI).
(3) Le motif de l'arrêt est particulièrement net : "Pour débouter Mme Y de ses demandes relatives aux pensions alimentaires, contributions aux charges du mariage, prestations compensatoires et dommages-intérêts, l'arrêt retient que les arriérés relatifs à ces créances ne relèvent pas des opérations de liquidation de la communauté ; en statuant ainsi, alors que, la liquidation à laquelle il devait être procédé englobant tous les rapports pécuniaires entre les parties et ayant été ordonnée par une décision passée en force de chose jugée, il appartenait à la cour d'appel de statuer sur les créances invoquées par Mme Y à l'encontre de M. X selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial lors de l'établissement des comptes s'y rapportant, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil, par refus d'application".
(4) V., les arrêts très controversés, Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, 3 arrêts, n° 12-17.394, FS-P+B+R+I, (N° Lexbase : A4319IWU), n° 11-10.449, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4311IWL), n° 11-17.377, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4313IWN).

newsid:443752

Droit des étrangers

[Brèves] Demande du titre de séjour "salarié" prévu par l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi : conditions d'applicabilité des dispositions règlementaires françaises

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 17 septembre 2014, n° 381256, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6128MWU)

Lecture: 1 min

N3794BU3

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Le 27 Septembre 2014

Dans un avis rendu le 17 septembre 2014, le Conseil d'Etat précise les conditions d'applicabilité des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la demande du titre de séjour "salarié" prévu par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 (CE 2° et 7° s-s-r., 17 septembre 2014, n° 381256, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6128MWU). L'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du Code du travail, pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va notamment, ainsi, pour le titre de séjour salarié mentionné à l'article 3 de l'accord délivré sur présentation d'un contrat de travail, des dispositions des articles R. 5221-17 (N° Lexbase : L1180IAX) et suivants du Code du travail, qui précisent les modalités selon lesquelles et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce, au vu, notamment, du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de travail (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5909EYI).

newsid:443794

Expropriation

[Doctrine] Le droit de l'expropriation à l'épreuve de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité

Lecture: 26 min

N3741BU4

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 25 Septembre 2014

Depuis une loi du 8 mars 1810, la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique présente pour principale caractéristique d'être scindée en deux phases, l'une administrative, au cours de laquelle est déclarée l'utilité publique de l'opération et la cessibilité des biens, l'autre judiciaire qui donne lieu, à défaut d'accord amiable, au transfert de propriété et à l'indemnisation des personnes évincées. Cette mixité procédurale se retrouve dans les différents textes qui ont régi cette procédure, qu'il s'agisse des décrets-lois du 8 août 1935, ou de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation d'utilité publique (N° Lexbase : L2987DYB), laquelle est à l'origine du Code de l'expropriation actuellement en vigueur. Au début du XIXème siècle, ce caractère dual de la procédure est directement lié au statut de la juridiction administrative et à l'importance du droit de propriété (1). Dans un système de justice retenue, il n'était pas concevable de faire du juge administratif le garant de ce droit, lequel est qualifié "d'inviolable et sacré" par l'article 17 de la DDHC (N° Lexbase : L1364A9E). Aujourd'hui, si cette défiance vis-à-vis de la juridiction administrative n'a plus lieu d'être, la compétence de la juridiction judiciaire n'en est pas moins garantie constitutionnellement. Dans sa décision "TGV nord" du 25 juillet 1989 (2), le Conseil constitutionnel a en effet dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu duquel l'autorité judiciaire est compétente pour garantir la protection de la propriété privée immobilière.

Ainsi, la principale caractéristique du droit de l'expropriation, à savoir le partage établi entre une phase administrative et une phase judiciaire, s'est-elle vue décerner un brevet de constitutionnalité en dépit des nombreuses difficultés pratiques que ce partage peut engendrer pour les justiciables. Tout au plus pourrait-on considérer que, dans la mesure où le Conseil constitutionnel attribue une compétence exclusive au juge judiciaire pour fixer le montant de l'indemnité d'expropriation, une loi pourrait transférer au juge administratif la compétence pour prononcer le transfert de propriété. En revanche, s'agissant d'actes caractéristiques de l'exercice de la puissance publique, il serait difficile d'envisager que le juge administratif perde sa compétence au profit du juge judiciaire pour connaître de la légalité des déclarations d'utilité publique et des arrêtés de cessibilité. Il s'agit en effet d'actes relevant de l'exercice de la puissance publique qui relèvent, en principe, de la compétence exclusive du juge administratif (3).

La décision du 25 juillet 1989 est la seule par laquelle le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions du Code de l'expropriation avant l'apparition de la procédure de QPC. Cette décision n'en présente pas moins un intérêt majeur. Comme on l'a vue, elle reconnaît la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de protection de la propriété privée immobilière. Elle admet également la conformité à l'article 17 de la Déclaration de 1789 des dispositions de l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L7735IMG), dans le cadre du contrôle d'une loi qui étendait le champ de la procédure d'expropriation d'extrême urgence aux travaux de construction de voies de chemins de fer. Mais surtout, cette décision définit quatre exigences tirées de l'article 17 de la Déclaration de 1789 :

- la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée ;
- la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ;
- pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ;
- en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnisation, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée.

Ces quatre exigences n'ont pas été remises en cause et elles sont rappelées dans la quasi-totalité des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en matière d'expropriation.

Si le Conseil constitutionnel, avant l'apparition de la procédure de QPC, n'a eu l'occasion de connaître que dans une affaire de la procédure d'expropriation, les questionnements relatifs à la conformité de cette procédure à la Convention européenne des droits de l'Homme ont été beaucoup plus fréquents. Le statut du commissaire du Gouvernement a ainsi été remis en cause, sur le fondement du principe d'égalité des armes, suite à la décision "Yvon c/ France" du 25 avril 2003 (4), condamnant l'accès privilégié au fichier immobilier dont bénéficiait le représentant des domaines. Cette condamnation a abouti à la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK) (5), qui modifie l'article L. 135 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9354IZH) en permettant un accès équitable aux différentes valeurs foncières. De même, si le dualisme juridictionnel ne constitue pas, en soi, une atteinte au procès équitable, la complexité qu'il engendre peut aboutir à des durées de procédure très longues et à une atteinte au délai raisonnable au sens de l'article 6 § I de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) (6). Cependant, en dehors de ces hypothèses, la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas eu à se prononcer fréquemment sur la conventionalité du Code de l'expropriation, cette question se posant principalement au regard de l'article 1 du protocole additionnel numéro 1 à la Convention (N° Lexbase : L1625AZ9) relatif à la protection de la propriété privée. Sur ce point, la Cour opère un contrôle assez lâche des réglementations nationales. Plus particulièrement, sur les questions d'indemnisation, si elle considère que celle-ci doit être "raisonnablement en rapport avec la valeur du bien" dont l'individu a été privé, la Cour précise que son contrôle "se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d'appréciation dont l'État jouit en la matière" (7). Si cette approche a conduit la Cour à considérer que le préjudice moral subi par l'exproprié doit être réparé, ce que ne prévoit pas l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB) qui vise exclusivement la réparation d'un préjudice matériel (8), elle l'a également amené à valider les règles relatives à l'indemnisation des terrains agricoles expropriés, qui sont pourtant très défavorables aux propriétaires évincés (9).

Si la question de la conventionalité du Code de l'expropriation est donc pratiquement épuisée, celle de la constitutionnalité de la partie législative de ce Code s'est posée avec une acuité nouvelle à partir de l'entrée en vigueur de la procédure de QPC. En effet, si cette partie du code comprend seulement 80 articles, Il est frappant de constater que pas moins de 11 de ces articles ont fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel dans le cadre de cette procédure entre 2010 et 2013.

Plusieurs traits saillants peuvent être dégagés. Tout d'abord, les dispositions constitutionnelles invoquées dans le cadre de ces recours sont limitées à deux textes. Il s'agit tout d'abord de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Il s'agit ensuite de l'article 16 du même texte (N° Lexbase : L1363A9D) relatif au droit au recours effectif, au droit à un procès équitable et au principe du contradictoire.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a très peu censuré le législateur. Seuls les articles L. 15-1 (N° Lexbase : L9123IWS) et L. 15-2 (N° Lexbase : L9122IWR) du Code de l'expropriation ont été déclaré inconstitutionnels en tant qu'ils permettaient une prise de possession des biens avec consignation de l'indemnité en cas d'appel contre le jugement fixant ces indemnités (10). Le Conseil constitutionnel a également émis une réserve d'interprétation concernant l'article L. 13-17 (N° Lexbase : L2942HLK) qui énonce la règle dite des "mutations récentes" qui s'applique en matière d'évaluation des biens expropriés (11).

Enfin, ces différents recours ne concernent pas directement la phase administrative de la procédure, ce qui est normal, puisque ce n'est pas à ce stade que les droits des propriétaires sont directement mis en cause. En effet, la déclaration d'utilité publique a pour seul objet de se prononcer sur l'utilité publique de l'opération projetée, alors que l'arrêté de cessibilité a vocation à identifier les parcelles concernées ainsi que leurs propriétaires. Le Conseil d'Etat a ainsi refusé de transmettre une QPC formée contre les articles L. 11-1 (N° Lexbase : L8041IMR), L. 11-2 (N° Lexbase : L2891HLN) et L. 11-8 (N° Lexbase : L2900HLY) du Code de l'expropriation relatifs à l'obligation de recourir à une déclaration d'utilité publique, à leurs auteurs et aux arrêtés de cessibilité (12). Pour le Conseil d'Etat, en effet la condition tenant à "l'utilité publique [...] préalablement et formellement constatée" correspond à l'exigence de "nécessité publique, légalement constatée", visée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme. Est donc exclusivement concernée, à ce jour, par la procédure de QPC, la phase judiciaire de la procédure, qu'il s'agisse du transfert de propriété (I) ou de l'indemnisation des personnes évincées (II).

I - La constitutionnalité des dispositions relatives au transfert de propriété des biens

S'agissant du transfert de propriété des biens, les difficultés se sont concentrées sur deux points : l'absence de caractère contradictoire de la procédure de transfert de propriété (A) et les effets de l'ordonnance d'expropriation (B).

A - L'absence de caractère contradictoire de la procédure de transfert de propriété

L'article L. 12-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2904HL7) prévoit que le transfert de propriété des biens est opéré soit par voie d'accord amiable, soit par voie d'ordonnance. Cette ordonnance est rendue "sur le vu des pièces constatant que les formalités prescrites par le chapitre Ier ont été accomplies", ce qui vise les dispositions du code relatives à la déclaration d'utilité publique et à l'arrêté de cessibilité (13).

Comme l'a rappelé la Cour de cassation, "le juge de l'expropriation qui, en matière de transfert de propriété, statue à la requête du préfet, rend son ordonnance au seul vu des pièces constatant que les formalités légales ont été accomplies, et sans que s'instaure devant lui un débat contradictoire" (14). Cette absence de débat contradictoire a suscité un certain nombre de questionnements de la part de la Cour de cassation. Toutefois, dans un premier temps, ces questions ont essentiellement été abordées du point de vue de la conformité de ces dispositions aux règles du procès équitable, telles qu'elles résultent de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans son rapport public pour l'année 2000, la Cour de cassation s'est ainsi demandé "si le caractère non contradictoire, à ce stade, de la procédure du transfert de propriété est conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme" (15). Elle suggérait, en conséquence, une modification de l'article R. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3081HLP), en vue d'organiser un débat contradictoire dès la saisine du juge de l'expropriation par le préfet.

Cette suggestion est toutefois demeurée lettre morte, et la question de la conformité à l'article 6 § I des règles relatives à la procédure de transfert de propriété ne s'est pas encore posée devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

En revanche, avant l'introduction de la procédure de QPC, la Cour de cassation a eu à plusieurs reprises l'occasion de se prononcer sur cette question, conjointement à celle de la conformité de cette procédure aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789. La Cour avait conclu à la conventionalité et à la constitutionnalité de cette procédure au motif que "le juge de l'expropriation, qui rend son ordonnance portant transfert de propriété d'immeubles ou de droits réels immobiliers désignés par un état parcellaire qu'il n'a pas le pouvoir de modifier, au visa d'une déclaration d'utilité publique ou d'un arrêté de cessibilité qui peuvent faire l'objet de recours contradictoires devant la juridiction administrative, se borne à constater, avant de prononcer l'expropriation, que le dossier que lui a transmis le préfet est constitué conformément aux prescriptions de l'article R. 12-1 du Code de l'expropriation et que la procédure devant ce juge fait l'objet d'un contrôle ultérieur de la Cour de cassation" (16).

Ces solutions se sont prolongées après l'entrée en vigueur du mécanisme de QPC, la Cour de cassation considérant, dans un premier temps, que les questions de savoir si les articles L. 12-1 et L. 12-2 étaient conformes aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789 ne présentaient pas un caractère sérieux (17). Par la suite, la Cour a nuancé sa position à l'occasion d'un arrêt "Manas c/ Société territoires" du 15 mars 2012 (18).

Certes, elle a persisté à considérer que la question relative à compatibilité des dispositions des articles L. 12-1 et L. 12-2 du Code de l'expropriation avec l'article 17 de la Déclaration de 1789 ne présente pas un caractère sérieux. Cette solution s'explique par le fait que le juge de l'expropriation ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété qu'au vu d'une déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité non susceptible de recours suspensif et donc après qu'une utilité publique ait été légalement constatée. Les juges relèvent également que la dépossession des biens expropriés ne peut être effective, en principe, que lorsque l'indemnité a été préalablement payée.

En revanche, les juges ont considéré que la question qui vise le caractère non contradictoire de la procédure suivie devant le juge de l'expropriation, qui pourrait être considéré comme une atteinte au principe des droits de la défense et du procès équitable en contradiction avec l'article 16 de la Déclaration de 1789 apparaît sérieuse. Cette question a donc été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 12 mai 2012, le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que les dispositions litigieuses ne méconnaissent pas les exigences d'une procédure juste et équitable découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Si la procédure de transfert de propriété n'est pas contradictoire, le Conseil relève que le juge se borne exclusivement à vérifier que le dossier que lui a transmis l'autorité expropriante est constitué conformément aux prescriptions du Code de l'expropriation. Par ailleurs, d'autres voies de recours existent, contre la déclaration d'utilité publique et l'arrêté de cessibilité, et contre l'ordonnance d'expropriation elle-même qui peut être attaquée par la voie du recours en cassation. Enfin, le jugement par lequel le juge de l'expropriation fixe les indemnités d'expropriation survient au terme d'une procédure qui est contradictoire et il peut faire l'objet de recours.

La procédure de transfert de propriété est donc conforme à la Constitution. Toutefois, comme on l'a mentionné, des incertitudes demeurent concernant sa conformité à l'article 6 § I de la Convention européenne des droits de l'Homme.

B - Les effets de l'ordonnance d'expropriation

La question des effets de l'ordonnance d'expropriation s'est posée à deux reprises devant le Conseil constitutionnel.

Le Conseil a dû se prononcer sur la conformité aux articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789 de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation en vertu duquel "l'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés" (19). Ces dispositions ont vocation notamment à s'appliquer, comme c'est le cas dans le litige qui a fait l'objet d'une QPC, sur le droit réel constitué par emphytéose.

A priori, ces dispositions créent une véritable difficulté du point de vue du respect du droit à un recours effectif. En effet, le droit à indemnisation du preneur dépend de la diligence du propriétaire, puisque en vertu l'alinéa 2 de l'article L. 13-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2918HLN), "le propriétaire et l'usufruitier sont tenus d'appeler et de faire connaître à l'expropriant les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes". La négligence du preneur peut donc priver l'emphytéote d'un droit à indemnisation auprès de l'expropriant, excepté dans l'hypothèse où il est démontré que celui avait connaissance de la situation du bien (20). Dans ce cas, les titulaires des droits non régulièrement dénoncés peuvent seulement intenter une action en dommages et intérêts contre le propriétaire négligent, ce qui n'est certainement pas satisfaisant du point de vue du droit à un recours effectif et du respect du principe du contradictoire. C'est justement dans cette situation que se trouvait la société requérante qui s'était vue privée de tout recours vis-à-vis de l'expropriant.

Toutefois, le Conseil constitutionnel refuse d'opérer un rapprochement entre les dispositions de l'article L. 13-2 du Code de l'expropriation et celles de l'article L. 12-2 qui lui sont soumises dans le cadre de la procédure du QPC. Dans un raisonnement pour le moins elliptique, qui d'ailleurs ne fait référence qu'à l'article 17 de la Déclaration de 1789, le Conseil relève que "les dispositions du premier alinéa de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique se bornent à définir la portée de l'ordonnance d'expropriation sur les droits réels ou personnels existant sur les biens expropriés". Les griefs soulevés par les sociétés requérantes concernent en réalité d'autres articles du même Code, et plus particulièrement l'article L. 13-2 dont le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi.

En d'autres termes, les requérants ont mal ciblé leur recours qui aurait dû se concentrer sur la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 13-2.

La même question se pose également au regard de l'article L. 12-5 du Code de l'expropriation dont il ressort que "l'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme". Si ce texte ne pose pas de difficultés a priori, il en va autrement de son interprétation par la Cour de cassation qui considère que ce recours n'est pas ouvert à l'emphytéote (21). Il n'est donc pas impossible que saisi dans le futur de QPC portant sur ces dispositions, le Conseil constitutionnel considère qu'elles sont contraires à la Constitution.

Une autre difficulté s'est présentée concernant la remise en cause du transfert de propriété, dans l'hypothèse où la personne expropriée veut utiliser le droit de rétrocession qui lui est reconnu. Selon l'article L. 12-6, alinéa 1, du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2915HLK), "si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique". Il s'agit donc de revenir sur le transfert de propriété en permettant à la personne expropriée de faire valoir ses droits et de récupérer la propriété de ses biens, dès lors qu'il est démontré qu'ils n'ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique.

Devant le Conseil constitutionnel, ce n'est pas le droit de rétrocession en tant que tel qui a été contesté, mais les conditions dans lesquelles sa mise en oeuvre peut être mise en échec. En effet, la simple "réquisition" d'une déclaration d'utilité publique suffit à paralyser le droit de rétrocession (22), sachant également qu'il en va de même en cas de prorogation de la déclaration d'utilité publique initiale (23). Il résulte également de la jurisprudence du Conseil d'Etat qu'il ne résulte pas des dispositions susvisées qu'une "nouvelle déclaration d'utilité publique doive être, à peine d'illégalité, prononcée pour le même objet et au profit de la même personne juridique que la déclaration initiale" (24). Ainsi, la déclaration d'utilité publique initiale peut être modifiée, et il est même possible de recourir plusieurs fois à une nouvelle réquisition de déclaration d'utilité publique en vue de paralyser pratiquement indéfiniment l'exercice du droit de rétrocession (25).

Devant le Conseil constitutionnel, c'est bien évidemment au regard de l'article 17 de la Déclaration de 1789 que se posait la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 12-6, alinéa 1, du Code de l'expropriation.

Dans sa décision du 15 février 2013 (26), le Conseil constitutionnel relève d'abord que les dispositions du Code de l'expropriation relatives à l'enquête publique et à la déclaration d'utilité publique constituent des garanties légales de nature à satisfaire les exigences visées par les dispositions constitutionnelles. Ensuite, de façon toujours très elliptique, il ajoute que ces garanties sont renforcées par l'exercice possible du droit de rétrocession.

Même si la décision du 15 février 2013 ne le mentionne pas, l'équilibre entre les droits de l'administration et ceux des propriétaires est partiellement garanti par la possibilité reconnue à ces derniers de faire sanctionner un détournement de pouvoir dans l'hypothèse où la nouvelle déclaration d'utilité publique a eu pour objet "de faire obstacle à l'exercice de leur droit de rétrocession par les anciens propriétaires des terrains non nécessaires à la nouvelle opération" (27). Toutefois, il est toujours difficile de démontrer l'existence d'un détournement de pouvoir, ce qui fait que les garanties des expropriés sont largement illusoires, dès lors que l'administration veut paralyser l'exercice du droit de rétrocession.

Comme dans les précédentes décisions citées, la solution rendue est donc largement favorable à l'administration, alors même qu'elle porte sur une limitation évidente des droits des personnes évincées. En matière d'indemnisation, en revanche, le juge constitutionnel s'est montré plus favorable à la protection de ces droits, en censurant une disposition du Code de l'expropriation et en émettant une réserve d'interprétation sur une autre.

II - La constitutionnalité des dispositions relatives à l'indemnisation des personnes expropriées

L'indemnisation des personnes expropriées a donné lieu à deux types de questions devant le juge constitutionnel, liées à l'interprétation de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Plus précisément, s'est posée, pour plusieurs dispositions du Code de l'expropriation, la question du caractère "juste" de l'indemnisation et celle de son caractère "préalable".

A - Le caractère juste de l'indemnisation

L'article L. 13-13 du Code de l'expropriation prévoit que "les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation". La difficulté posée par ce texte tient à limitation aux seuls préjudices "matériels" subis par l'exproprié, ce qui a donc pour effet d'écarter la réparation du préjudice moral.

Dans une décision "Lallement c/ France" du 11 avril 2002 (28), la Cour européenne des droits de l'Homme avait pourtant reconnu le principe de la réparation du préjudice moral, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 1 annexé à la Convention. Dans cette affaire, la Cour avait estimé que les indemnités versées conformément aux règles visées par l'article L. 13-13 susvisé n'avaient pas compensé la "perte spécifique de l'outil de travail de l'exploitant", lequel était devenu gravement dépressif suite à l'expropriation de 60 % de ses terres.

Toutefois, comme la rappelé ensuite la Cour de cassation, "le trouble dans les conditions de vie directement causé par l'expropriation est [seulement] indemnisable lorsqu'il constitue un dommage matériel" (29). Ce n'est donc pas le préjudice moral qui peut être directement réparé, mais seulement les conséquences concrètes de l'expropriation.

La Cour européenne des droits de l'Homme, dans l'affaire "Lallement", a pourtant considéré que l'expropriation du requérant est "sans aucun doute de nature à générer angoisse et tension" et qu'il est donc fondé à "se prévaloir d'un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité". Cependant, comme on l'a déjà mentionné, la Cour exerce un contrôle très lâche sur les modalités d'indemnisation des personnes expropriées en se bornant "à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d'appréciation dont l'Etat jouit en la matière" (30).

De son côté, le Conseil constitutionnel a dû également se prononcer sur la conformité de l'article L. 13-13 à la Constitution dans le cadre d'une QPC (31). Plus précisément, il s'agissait de déterminer si la limitation de l'indemnisation des personnes expropriées au préjudice matériel, à l'exclusion de tout préjudice moral, pouvait être considérée comme ne correspondant pas à la juste indemnité exigée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme.

Sur cette question, le Conseil constitutionnel va se borner à rappeler son interprétation traditionnellement restrictive de cet article (32), dont il résulte que, "pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation". Ainsi, le Conseil Constitutionnel interprète l'article 17 de la Déclaration de 1789 en définissant "l'indemnité juste" selon des critères identiques à ceux visés par l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation, la réparation du préjudice excluant donc implicitement la réparation du préjudice moral.

Certes, le Conseil constitutionnel rappelle que "le caractère intégral de la réparation matérielle implique que l'indemnisation prenne en compte non seulement la valeur vénale du bien exproprié mais aussi les conséquences matérielles dommageables qui sont en relation directe avec l'expropriation". Ainsi, par ricochet, certains préjudices d'agrément peuvent être réparés par l'allocation d'indemnités accessoires, dès lors qu'ils ont une incidence sur la valeur du bien exproprié ou sur la valeur de la partie du bien restant en leur possession. Dans ce sens, la Cour de cassation a notamment jugé que "l'implantation d'un axe ferroviaire à proximité d'un château présentant un intérêt architectural et historique entraînait une dépréciation de celui-ci", ce qui justifie l'indemnisation de son propriétaire (33). La solution est astucieuse mais on conçoit à quel point elle peut être artificielle, et pas nécessairement en phase avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Une autre difficulté concernant le caractère juste de l'indemnité concerne l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation, selon lequel le montant de l'indemnité principale, fixée par le juge de l'expropriation, "ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines ou celle résultant de l'avis émis par la commission des opérations immobilières, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales ou à une déclaration d'un montant inférieur à ladite estimation". L'objectif recherché par ces dispositions est de dissuader les propriétaires qui auraient sous-estimé leurs biens dans le cadre de leurs déclarations fiscales ou dans des actes de mutation, de les surestimer dans un second temps dans l'hypothèse où ils feraient l'objet d'une procédure d'expropriation.

Dans une décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, tout en formulant une réserve d'interprétation (34). Reprenant sa jurisprudence antérieure (35), le Conseil constitutionnel considère que le législateur a, par ces dispositions, "poursuivi un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle".

Toutefois, les juges estiment également que "les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, avoir pour effet de priver l'intéressé de faire la preuve que l'estimation de l'administration ne prend pas correctement en compte l'évolution du marché de l'immobilier". En d'autres termes, nonobstant les termes de l'article L. 13-17, lorsqu'il fixe l'indemnité principale d'expropriation, le juge de l'expropriation devra prendre en compte l'évolution du marché, dans les cas où il serait démontré que l'estimation du service des domaines serait sans rapport avec cette évolution. Ainsi, le Conseil constitutionnel veut éviter qu'un mécanisme imaginé pour lutter contre la fraude n'aboutisse à léser les personnes expropriées.

La solution retenue permet de rejeter implicitement le moyen soulevé par la requérante tenant à une violation des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. En effet, compte tenu de la réserve d'interprétation introduite par le Conseil constitutionnel, il n'existe désormais plus d'hypothèse où l'autorité expropriante est nécessairement tenue de ne pas dépasser l'évaluation faite par les services fiscaux. En conséquence, le juge de l'expropriation n'est pas privé de tout pouvoir d'appréciation. Il n'est donc pas amputé, du fait de l'application des textes, d'une partie de sa compétence, il ne saurait y avoir atteinte à la séparation des pouvoirs ni à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Le Conseil constitutionnel a dû également se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article L. 13-8 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2926HLX) qui fait obligation pour le juge de l'expropriation de statuer sur le montant de l'indemnité indépendamment des contestations, ce qui pose de nombreuses difficultés du point de vue de la répartition des compétences (36). Les juges valident pourtant ces dispositions, considérant qu'en cas de contestations ou de difficultés soulevées par les parties, le juge de l'expropriation "doit tenir compte de l'existence de celles-ci lorsqu'il fixe l'indemnité et au besoin prévoir plusieurs indemnités correspondant aux diverses hypothèses envisagées". Ils rappellent également que, "pour chacune de ces hypothèses, l'indemnité fixée doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que l'ordonnance par laquelle le juge de l'expropriation fixe les indemnités est prise au terme d'une procédure contradictoire et peut faire l'objet de recours". En outre, "les dispositions contestées ne font pas obstacle, si la décision rendue par le juge saisi de la contestation ou de la difficulté ne correspond pas à l'une des hypothèses prévues par le juge de l'expropriation, à ce que ce dernier soit à nouveau saisi par les parties". Ainsi, une fois encore, la complexité de la procédure et la difficulté de trouver son juge ne constitue pas un motif d'invalidation de la loi.

B - Le caractère préalable de l'indemnisation

L'article 17 de la Déclaration de 1789 exige que les propriétaires évincés reçoivent une indemnité préalablement à la prise de possession des biens.

S'agissant de la procédure de droit commun, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité à l'article 17 de la Déclaration de 1789 des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation (37). L'article L. 15-1 permet au bénéficiaire de l'expropriation de prendre possession des biens dans le délai d'un mois qui suit le paiement ou la consignation de l'indemnité. L'article L. 15-2 précise, quant à lui, que, lorsque le jugement fixant les indemnités est frappé d'appel, l'expropriant peut prendre possession des biens moyennant le versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de celle fixée par le juge. Il est donc possible, conformément à ces dispositions, de prendre possession des biens sans payer d'indemnité, dès lors que celle-ci est consignée.

Dans sa décision du 15 juillet 1989, "Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles" (38), le Conseil constitutionnel avait déjà eu l'occasion de juger que dans le cadre de la procédure d'extrême urgence visée par l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation, qui permet une prise de possession accélérée par l'expropriant "l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect [des exigences constitutionnelles] si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des intéressés", ce qui est le cas dans cette procédure. Le même raisonnement a ensuite été appliqué par la décision du 17 septembre 2010 qui concerne la procédure d'expropriation pour la résorption de l'habitat insalubre (39), laquelle prévoit également l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due.

Cependant, la procédure d'extrême urgence, comme celle visant à résorber le logement insalubre, n'ont vocation à s'appliquer que dans des cas exceptionnels. En revanche, s'agissant de la procédure de droit commun, le Conseil constitutionnel considère que, "si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession". Ainsi, ce n'est le mécanisme même de consignation de l'indemnité qui est inconstitutionnel mais le fait qu'en cas d'appel fixant les indemnités dans le cadre de la procédure de droit commun, l'administration puisse recourir sans restriction à cette possibilité.

Conformément à l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93), les juges décident, eu égard aux conséquences manifestement excessive qu'occasionnerait une abrogation immédiate des dispositions en cause, de reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation. La loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 (N° Lexbase : L8932IWQ) (40) est donc intervenue pour modifier les articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation, ce dernier article limitant les possibilités de prises de possession anticipée aux seuls cas où "il existe des indices sérieux laissant présumer qu'en cas d'infirmation, l'expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution".

Si ces dispositions sont conformes à la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012, elles présentent toutefois de nombreuses zones d'ombres. En particulier, la loi ne définit pas ce que sont les "indices sérieux" qui permettront à l'expropriant de consigner l'indemnité et elle n'organise aucune procédure devant être utilisée par celui-ci pour être autorisé à consigner.

Le Conseil constitutionnel a été amené également à statuer sur la conformité à la Constitution de la procédure d'expropriation d'urgence (41). Plus précisément, deux dispositions du Code de l'expropriation étaient en cause. L'article L. 15-4, tout d'abord, qui permet au juge judiciaire, "s'il ne s'estime pas suffisamment éclairé, [de] fixer le montant d'indemnités provisionnelles et [d'] autoriser l'expropriant à prendre possession moyennant le paiement ou, en cas d'obstacles au paiement, la consignation des indemnités fixées". L'article L. 15-5, ensuite, qui écarte la possibilité d'un appel contre la décision fixant les indemnités provisionnelles, dès lors que celle-ci "ne peut être attaquée que par la voie de recours en cassation".

Le Conseil constitutionnel considère que la possibilité de verser des indemnités provisionnelles n'est pas contraire à l'article 17 de la Déclaration de 1789. Pourtant, l'indemnité provisionnelle présente, par son principe même, un caractère incertain qui aurait pu conduire à considérer qu'elle ne présentait pas de caractère "juste et préalable".

Cette solution est toutefois conforme à celle qui avait été rendue à propos de la procédure d'extrême urgence, ainsi qu'à la récente décision du 6 avril 2012, et elle paraît dictée par le fait qu'il s'agit d'une procédure dérogatoire du droit commun. Comme on l'a vu, en effet, le Conseil constitutionnel a pu considérer que le versement d'indemnités provisionnelles se justifie "si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés" (42).

Si les années 2010 à 2013 ont donné lieu à une véritable floraison des questions prioritaires de constitutionnalité, il semble que la source de ce contentieux soit désormais pratiquement tarie. Comme on l'a observé, ce contentieux est focalisé exclusivement sur la phase judiciaire de la procédure. En outre, seules des règles ponctuelles relatives à l'indemnisation des personnes expropriées ont fait l'objet d'une censure (à propos de la prise de possession contre consignation en cas d'appel contre le jugement fixant les indemnités) et d'une réserve (à propos de la règle dite des "mutations récentes"). Dans un contexte favorable aux droits de l'administration, la balance opérée par les juges entre la prise en compte de la "nécessité publique", et l'indemnisation "juste" et "préalable" des personnes évincées, est donc favorable aux intérêts de la puissance publique. Il semble aujourd'hui que les quelques QPC qui pourraient franchir le seuil du Palais Royal concernent les effets de l'ordonnance d'expropriation. Plus précisément, une lecture en creux de la décision du 20 septembre 2013 paraît indiquer que deux dispositions pourraient être invalidées dans le futur par le Conseil constitutionnel. Il s'agit de l'article L. 13-2, alinéa 2, du Code de l'expropriation, dont il résulte que "le propriétaire et l'usufruitier sont tenus d'appeler et de faire connaître à l'expropriant les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes". Ces dispositions apparaissent insuffisamment protectrices des droits de l'emphytéote dont l'indemnisation dépend des diligences du propriétaire, ce qui pose certainement une difficulté au regard du droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Est ensuite concerné l'article L. 12-5 du Code de l'expropriation selon lequel "l'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme". Dans cette hypothèse, comme on l'a vu, c'est moins la rédaction de cet article qui pose problème que l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation qui considère que le recours en cassation n'est pas ouvert à l'emphytéote (43). Cette interprétation pose également des difficultés au regard du droit à un recours effectif, ce qui pourrait justifier au moins une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel. Ces questions seront certainement posées au Conseil constitutionnel dans un futur proche qui pourra, ainsi, poursuivre son travail se relecture du Code de l'expropriation.


(1) Sur ces aspects historiques, voir J.-L. Mestre, La construction du modèle napoléonien, JCP éd. A, 2011, comm. 2070, S. Gilbert, Permanence et évolution du modèle napoléonien, JCP éd. A, 2011, comm. 2078.
(2) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM), Rec. jurispr. const., 1989, I, p. 53, RFDA, 1989, p. 1009, note P. Bon, CJEG, 1990, p. 1, note B. Genevois.
(3) Cons. const., décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 (N° Lexbase : A8153ACX), AJDA, 1987, p. 345, note J. Chevallier, RFDA, 1987, p. 301, note L. Favoreu, RDP, 1987, p. 1341, note Y. Gaudemet.
(4) CEDH, 24 avril 2003, Req. 44962/98 (N° Lexbase : A9698BLR), Dr. adm., 2003, comm. 45, AJDA, 2003, p. 869, AJDI, 2003, p. 361, note D. Musso, D., 2003, p. 2456, note R. Hostiou.
(5) JO, 16 juillet 2006.
(6) CEDH, 21 février 1997, Req. 105/1995/611/699 (N° Lexbase : A8437AWE), Rec. CEDH, 1998-IV, vol. 89, p. 2544, AJDA, 1997, p. 399, note R. Hostiou, Gaz. Pal., 1999, 2, p. 487, note M. Puéchavy.
(7) CEDH, 21 février 1986, Req. 8793/79 (N° Lexbase : A5110AYW) ; CEDH, 2 mars 1999, n° 39186/98 (N° Lexbase : A6136MW8) ; CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99 (N° Lexbase : A4989AYG), RDP, 2002, p. 718, obs. H. Surrel, Europe, 2002, comm. 308, obs. V. Lechevallier ; CEDH, avril 2006, Req. 16022/02 (N° Lexbase : A1429DPM) ; CEDH, 4 novembre 2010, Req. 40975/07 (N° Lexbase : A3233GD4) ; CEDH, 26 juillet 2011, Req. 54932/08 (N° Lexbase : A4442I9E).
(8) CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99, préc..
(9) CEDH, 8 janvier 2013, n° 40961/07 (N° Lexbase : A2237KQW), Dr. rur., 2013, comm. 168, nos obs..
(10) Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 (N° Lexbase : A1495II9), JCP éd. A, 2012, comm. 2210, note H. Pauliat.
(11) Cons. const., décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012 (N° Lexbase : A1146IKN).
(12) CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 351890, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9090HZP), Dr. adm. 2012, comm. 7, concl. M. Vialettes.
(13) Les pièces versées dans le dossier transmis par le préfet au greffe de la juridiction de l'expropriation sont visées par l'article R. 12-1 du Code de l'expropriation.
(14) Cass. civ. 3, 11 mars 1971, n° 70-70.087 (N° Lexbase : A0147CHW), Bull. civ. III, 1971, n° 131.
(15) La documentation française, 2001, p. 126.
(16) Cass. civ. 3, 12 décembre 2001, n° 99-70.145 (N° Lexbase : A6233AX7), Bull. civ. III, 2001, n° 152, JCP éd. G, 2002, II, 10126, note A. Bernard, AJDI, 2002, p. 144, obs. R. Hostiou, D. 2002, inf. rap., p. 255, Gaz. Pal., 31 mai-1er juin 2002, p. 13, note S. Petit. ; Cass. civ. 3, 29 mai 2002, n° 01-70.175 (N° Lexbase : A7937AYM), Bull. civ. III, 2002, n° 117, AJDI, 2002, p. 702, note R. Hostiou, RD imm., 2002, p. 375, obs. C. Morel.
(17) Voir respectivement Cass. civ. 3, 26 mai 2011, n° 10-25.923, F-D (N° Lexbase : A5189HZ9), AJDA, 2011, p. 1504, note R. Hostiou ; Cass. civ. 3, 15 décembre 2011, n° 11-40.075, FS-P+B (N° Lexbase : A9045H8I).
(18) Cass. civ. 3, 15 mars 2012, n° 11-23.323 (N° Lexbase : A0375IGY), AJDA, 2012, p. 575, RD imm., 2012, p. 246.
(19) Cons. const., décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4338KLA).
(20) Cass. civ. 3, 1er juin 1977, n° 76-70.188 (N° Lexbase : A6613CEN), Bull. Civ. III, n° 233, p. 178.
(21) Cass. civ. 3, 20 janvier 2008, n° 06-19.731 (N° Lexbase : A6013D4H), Bull. civ. III, n° 19, AJDA, 2008. 660.
(22) Cass. civ. 3, 26 octobre 1983, n° 81-14.930 (N° Lexbase : A1191CKC), Bull. civ. III, 1983, n° 203 ; Cass. civ. 3, 10 avril 1996, n° 94-15.761, (N° Lexbase : A9888ABT), Bull. civ. III, 1996, n° 101, Administrer, juillet 1997, p. 46, obs. E.-E. Frank, AJPI, 1996, p. 900, obs. C.M., D., 1997, somm. p. 152, obs. P. Carrias, Dr. adm., 1996, comm. 371, RD imm., 1996, p. 352, chron. C. Morel. ; Cass. civ. 3, 30 mars 2005, n° 04-11.385, F-D (N° Lexbase : A4568DHN).
(23) CA Paris, 14 janvier 1999, Mazet c/ Sté Locosud, D. 1999, somm. p. 193, obs. P. Carrias.
(24) CE 5° et 10° s-s-r., 29 octobre 2006, n° 59083 (N° Lexbase : A6837AM8), Dr. adm., 1986, comm. 627.
(25) Cass. civ. 3, 10 avril 1996, n° 94-15.761, préc..
(26) Cons. const., décision n° 2012-292 QPC du 15 février 2003 (N° Lexbase : A9638I74), Dr. 2013, comm. 103, nos obs.
(27) CE, 8 novembre 2000, n° 176394, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9650AHU), Constr.-Urb., 2001, comm. 105, obs. D. Larralde, AJDI, 2001, p. 355, note R. Hostiou.
(28) CEDH, 11 avril 2002, Req. 46044/99, préc., AJDA, 2002, p. 686, note R. Hostiou.
(29) Cass. civ. 3, 16 mars 2011, n° 09-69.544, FS-P+B (N° Lexbase : A1589HD9), D., 2011, p. 948, obs. G. Forest.
(30) Voir notamment CEDH, 4 novembre 2010, Res. 40975/07, préc.
(31) Cons. const., décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (N° Lexbase : A1520GQD), Rec. Cons. const., 2011, p. 87, Dr. adm., 2011, comm. 32, note H. Hoepffner.
(32) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM).
(33) Cass. civ. 3, 2 février 1999, n° 98-70.011 (N° Lexbase : A1605CLZ).
(34) Cons. const., décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012, préc..
(35) Cons. const., décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : A8787ACG).
(36) Cons. const., décision n° 2012-275 QPC du 28 septembre 2012 (N° Lexbase : A5381ITH).
(37) Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012, préc..
(38) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, préc..
(39) Cons. const., décision n° 2010-26 QPC (N° Lexbase : A4758E94), Rec. Cons. const., 2010, p. 229, RD imm., 2010, p. 600, note R. Hostiou : logements insalubres.
(40) JO, 29 mai 2013.
(41) Cons. const., décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013 (N° Lexbase : A1466KLU), Dr. adm., 2013, alerte 86, obs. R. Noguellou.
(42) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, préc..
(43) Cass. civ. 3, 26 octobre 1983, n° 81-14.930, publié au bulletin, préc..

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Fiscalité internationale

[Le point sur...] Les conséquences de la chute du secret bancaire en matière fiscale

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par Damien Hautin, Avocat Associé, LightHouse LHLF Société d'avocats et Marwan Ben Chaabane, Master II Fiscalité de l'Entreprise, Université Paris-Dauphine

Le 25 Septembre 2014

La chute du secret bancaire en Europe révèle une distorsion dans la balance entre les pouvoirs de l'administration fiscale et les garanties données au contribuable (1). Toute civilisation porte en elle le germe de sa naissance, de sa croissance, de son apogée, de son déclin, et de sa chute. Si l'on compare le secret bancaire à une civilisation, il est certain que nous assistons aujourd'hui aux dernières heures de son règne. Le secret bancaire est l'obligation qu'ont les banques de ne pas divulguer d'informations sur leurs clients à des tiers. Avec les crises financières et économiques en toile de fond, ce secret professionnel s'est peu à peu détérioré au point de ne plus exister aujourd'hui en Europe. C'est pourtant la France qui a vu naître le secret bancaire par l'exil de protestants s'étant réfugiés à Genève suite à la révocation de l'Edit de Nantes en 1685. La monarchie française continua de se financer auprès de banquiers protestants. Il était cependant inenvisageable pour Louis XIV que la provenance de son financement soit divulguée. De ce besoin de discrétion est née la volonté de ne pas révéler l'identité des clients et de leurs avoirs de la part des banquiers suisses. Le secret bancaire est aujourd'hui inscrit à l'article 47 de la loi fédérale suisse sur les banques et les caisses d'épargne (2).

La chute du secret bancaire en Europe a trait à la fiscalité, mais revêt une dimension politique significative. Ce combat contre le secret bancaire a été mené en Europe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et les assauts contre celui-ci ont pris un tournant décisif lors du G20 le 13 mars 2009, la Suisse ayant supprimé la distinction entre fraude et évasion fiscale.

Divers éléments d'ordre international ont également annoncé la fin du secret bancaire. On peut notamment énoncer la "loi FATCA"(3) aux Etats-Unis qui a joué un rôle prépondérant dans la démarche qu'a adoptée l'Europe. L'influence de cette loi est un évènement clé de la compréhension du déroulement de la chute du secret bancaire.

Un autre élément permettant de situer le contexte est l'accord entre le Royaume-Uni et la Suisse, appelé accord "Rubik"(4), entré en vigueur le 1er janvier 2013. L'administration fiscale britannique se refusait à traquer ses résidents détenant des avoirs dans les banques helvétiques en contrepartie du versement d'un impôt libératoire par la Suisse. L'identité des clients des banques suisses étant toujours gardée secrète. Cet accord était censé rapporter entre 4 et 7 milliards de livres sterling au Trésor britannique, mais les statistiques de l'administration fiscale suisse font état de 796,7 millions d'euros (5). L'accord "Rubik" n'ayant pas eu l'effet escompté, sa généralisation en Europe n'a pas eu lieu et les gouvernements allemand et français s'y sont toujours opposés. Ces accords devaient permettre à la Suisse de conserver son secret bancaire, mais les pressions exercées par le G20 et l'OCDE ont eu raison de la détermination suisse. La liste "grise" des pays établie par l'OCDE a fait craindre à la Suisse un statut de persona non grata en matière d'entraide fiscale entre les administrations européennes.

D'aucuns diront que cette chute du secret bancaire a été réalisée dans le but de garantir une plus grande égalité des citoyens devant l'impôt. Cela se confirme par le combat mené à l'encontre de la fraude et l'évasion fiscale. Cette acception est certes vraie, mais il convient également de souligner que cela ne se fait pas sans un déséquilibre de la balance entre pouvoirs de l'administration fiscale française et garantie des droits des contribuables.

Derrière la chute du secret bancaire se cache la volonté des Etats d'élargir leur champ d'information afin d'avoir une base taxable toujours plus important. Cela est d'autant plus vrai que ces derniers sont poussés par l'obligation de résultat de recettes fiscales. L'information est un enjeu vital pour l'administration afin de rester opérationnelle dans un monde et une économie globalisés. Cependant, ces actions ne sont pas neutres quant à la protection des droits des contribuables. Le sujet porte un réel intérêt, car la chute du secret bancaire en Europe amène aujourd'hui une problématique sous-jacente qu'est la dimension du pouvoir conféré à l'administration fiscale face au contribuable.

Poussé par la volonté d'une obligation de transparence de la part des contribuables, les pouvoirs de l'administration fiscale se sont considérablement accrus (I) ce qui porte atteinte de façon sensible aux droits du contribuable (II).

I - L'élargissement des pouvoirs de l'administration fiscale française

Les conventions fiscales internationales prévoyant un échange de renseignement sur demande semblent ne pas être un outil assez performant pour permettre à l'administration fiscale de lever l'impôt (A). Face à cette difficulté et sous l'influence de règles établies au niveau international, l'échange automatique d'information a été instauré pour permettre une plus grande efficacité du fisc français (B)

A - L'intérêt limité des conventions fiscales internationales

Les conventions fiscales internationales conclues par la France sont élaborées sur le modèle des conventions OCDE (N° Lexbase : E8103ETB). L'article 26 de ces conventions énonce des dispositions relatives à la coopération entre les administrations fiscales des deux Etats contractants. Cet article prévoit que les autorités compétentes doivent échanger les renseignements "vraisemblablement pertinents". La question est alors de savoir quel est le seuil permettant d'apprécier la pertinence des informations communiquées ? A cette question n'existe aucune réponse (6).

Le paragraphe 2 de l'article 26 des conventions restreint la confidentialité des échanges entre les deux administrations des Etats signataires et fait donc perdre l'intelligence de la mise en place d'une collecte d'information. En effet, les renseignements ne seront communiqués qu'aux personnes et autorités concernées par l'établissement de l'impôt. Il n'est pas fait mention d'informer le contribuable.

Ces conventions permettent aux Etats d'obtenir des renseignements, mais elles restent un outil limité à la transmission des informations (7). Dès lors, les législations nationales peuvent constituer un frein à la mise en place de ce système conventionnel. Cette limitation se fait au bénéfice de l'Etat qui se voit adresser une demande de renseignement. Ainsi, lorsque cet Etat communique les renseignements à l'autre Etat contractant, il n'est pas tenu d'aller au-delà des limites imposées par sa propre législation et par sa pratique administrative.

De plus, la France s'est souvent trouvée confrontée à un refus de se voir fournir les informations demandées, car ces dernières relevaient du secret commercial et industriel. Bien qu'insuffisant, la France a alors posé un principe selon lequel les Etats contractants doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la disponibilité des renseignements et la capacité des administrations fiscales à y accéder et à les transmettre aux autres Etats.

Des exemples chiffrés permettent d'avoir une vision précise du phénomène. Sur les 1 051 demandes adressées par l'administration fiscale française à ses partenaires étrangers à compter du 1er janvier 2011, seules 477 ont obtenu une réponse au 31 décembre 2012. Cela représente moins de la moitié des demandes (8).

Les échanges de renseignements entre la France et les autres pays ayant conclu avec elle une convention fiscale concernent à la fois les renseignements que la France souhaite obtenir de la part d'un pays, mais aussi l'examen de la part de l'autre Etat des informations en possession de l'administration fiscale française. Dans la convention franco-suisse, l'article 28 dispose que seront échangés les "renseignements vraisemblablement pertinents" (9). Une nouvelle fois, les termes de la convention n'étant pas assez précis, cette dernière perd en efficacité.

Cette volonté de l'Etat français de se tourner vers un modèle plus efficient, vient également du fait que la Suisse s'est arrogée, dans le passé, le droit de transmettre à la France seulement les documents qui lui paraissaient pertinents. Cela est d'autant plus vrai que la Confédération helvétique contesta de façon importante les demandes de la part de l'administration fiscale française.

Ce qui est vraiment problématique pour l'administration fiscale française et ce qui a poussé l'Etat à élargir les pouvoirs de celle-ci est que l'administration se trouvait dans nombre de situations face à une problématique difficilement soluble. Pour reprendre l'exemple de la Suisse, lorsque le fisc français formulait une demande auprès de l'administration fiscale suisse, cette dernière exigeait que la demande soit précise et circonstanciée. Or cela était difficile pour le fisc français, car c'est par cette demande que l'administration souhaitait obtenir un élément de preuve. On comprend alors pourquoi les conventions fiscales présentent en ce point une limite certaine.

Tous ces éléments n'ont fait que conforter la volonté de l'Etat d'élargir autant que possible les pouvoirs de l'administration fiscale française et de mettre en place un échange automatique d'informations, en s'inspirant du modèle américain.

B - La mise en place d'un échange automatique d'information

Le législateur américain, par la "loi FATCA" adoptée en 2010 (10), a imposé aux établissements financiers d'identifier et de déclarer tous comptes détenus par des citoyens américains sous peine d'une retenue à la source de 30 %. Cette loi a considérablement élargie le champ d'action de l'administration fiscale américaine en jouant un rôle de catalyseur de la chute du secret bancaire en Europe. En effet, la "loi FATCA" vise également les institutions financières étrangères implantées sur le territoire américain. La non-conformité aux règles de cette loi par les établissements étrangers peut conduire jusqu'à l'interdiction d'exercer leur activité sur le sol américain. Cette force de frappe déployée par l'administration fiscale américaine (IRS) a poussé l'Europe à mettre en place un système d'échange d'information similaire. Cela s'explique par le genre nouveau proposé par la "loi FATCA" qui garantit une efficience maximale de sa sanction.

Le modèle américain qui est somme toute assez agressif a su séduire l'Europe afin d'accélérer la mise en oeuvre d'une politique commune en matière d'échange d'informations fiscales.

Il est alors intéressant de se demander comment cet échange automatique d'information se traduit en pratique ? Selon l'OCDE, "l'agent payeur", donc l'établissement financier, recueille les informations concernant le contribuable puis se charge de communiquer à l'administration fiscale les informations demandées sur l'identité des contribuables non résidents, ainsi que sur les paiements effectués en leur faveur.

Une fois ces informations reçues, l'administration fiscale locale effectue un travail de vérification et regroupe les informations en préparant des classifications par pays de destination. C'est alors que les informations sont envoyées à l'administration fiscale du pays de résidence du contribuable. Les données sont réceptionnées et décodées puis en fonction de leur pertinence, elles sont entrées dans un système de recoupement automatique ou manuel selon les pays. L'échange automatique d'information présente un réel effet dissuasif pour le contribuable qui ne souhaiterait pas divulguer toutes ses informations. Au-delà, de l'effet dissuasif, le pouvoir de l'administration en ressort grandit, car la pierre angulaire de ce mécanisme est que l'échange se fait de manière automatique.

On constate par ce mécanisme que le contrôle se fait à un double niveau. Au niveau local, par l'administration à qui sont demandés les renseignements puis au niveau de l'administration qui en a fait la demande.

L'Autriche et le Luxembourg, qui bloquaient depuis six ans l'adoption de la Directive 2003/48/CE (N° Lexbase : L9667G78) dans sa version modifiée, ont accepté de lever leur secret bancaire à partir du 1er janvier 2015. La transmission automatique des informations ne se fera qu'à partir de 2016 et portera sur les informations relatives à l'année 2015. Par une définition large de la notion d'intérêts inscrite dans la dernière version de la Directive "Epargne", le volume des informations sujettes à une transmission automatique est plus important. En effet, la Directive prévoit que l'échange automatique d'informations se fera sur les intérêts payés sur tous types de comptes bancaires, les coupons sur obligations, la différence entre la valeur d'émission et la valeur de remboursement d'une obligation, les dividendes distribués par des OPCVM investis pour plus de 15 % en créances ainsi que les plus-values réalisées sur des OPCVM investis pour plus de 25 % en créances.

Les pouvoir de l'administration fiscale sont doublement élargis. D'une part, les informations transmises se feront de manière automatique et non plus sur simple demande ou en cas de présomption de fraude. D'autre part, le champ d'application des informations est étendu de manière forte. A titre d'exemple, la Directive épargne prévoit que seront également soumises à un échange automatique d'information toutes les structures intermédiaires comme les trusts, les fondations et autres sociétés-écrans. Cet élargissement revêt un caractère nouveau dans le sens où les informations demandées concerneront des entités qui ne seront pas forcément localisées en France. Il apparaît alors clairement que sont visés les bénéficiaires effectifs qui seraient résidents fiscaux de France. La Directive énonce le terme de "bénéficiaire ultime et réel" (11). Cet exemple démontre bien la volonté de l'Etat de doter l'administration fiscale de pouvoirs conséquents en matière d'information.

L'administration fiscale française voit aujourd'hui son champ d'action élargie. L'information constituant une source de pouvoir sans commune mesure, il apparaît logique que les Etats intensifient leurs efforts en ce sens. Cependant, ces actions ne sont pas neutres quant à la protection des droits des contribuables (II).

II - L'équilibre avec les garanties du contribuable mis à mal

La volonté de l'Etat d'attribuer à son administration plus de pouvoir est louable, car les Etats doivent faire face à une concurrence fiscale toujours plus intense, mais celle-ci devient néfaste lorsque les droits des contribuables sont ébranlés (A). Ce climat se vérifie aujourd'hui par une législation interne qui ne facilite pas un juste équilibre entre les pouvoirs de l'administration et la protection des droits des contribuables (B).

A - Une atteinte aux libertés fondamentales

L'élément fort qui est avancé par les Etats afin de justifier cette prise de position en faveur d'un élargissement des pouvoirs de l'administration est la volonté de transparence. Cette transparence est devenue le fer de lance de la bataille qui a mené à la chute du secret bancaire. A l'origine, cette notion morale était utilisée par l'Etat qui devait "rendre des comptes" à ses citoyens en étant transparent. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui doivent prouver leur bonne conduite face à l'administration fiscale en étant transparents. Cette notion de transparence semble légitimer la distorsion croissante entre les pouvoirs de l'administration et la protection des droits du contribuable. Le secret bancaire est aujourd'hui perçu de manière négative en ce sens que le secret va à l'encontre de la transparence et est donc source de suspicion. Il convient de rappeler que le secret professionnel, qu'il s'agisse des banques, des médecins ou des avocats, doit être respecté, car il est fait pour protéger le contribuable. En effet, le secret professionnel permet d'établir une relation de confiance entre le professionnel et son client.

La protection du client n'est plus de mise puisqu'il doit être transparent. On constate dès lors que cette notion n'a plus la même acception qu'à son origine.

Les questions d'assiette et de recouvrement de l'impôt en France reposent sur un système déclaratif. C'est ce système déclaratif qui établit une relation de confiance entre l'administration et les contribuables. Le contribuable déclare de son propre chef et sous sa responsabilité ses revenus puis l'impôt est émis postérieurement par l'administration par voie de rôle. Le système déclaratif représente la contrepartie qui donne accès à l'administration à un certain nombre d'informations sensibles. Là réside toute la différence avec la possibilité d'avoir un droit de regard de manière automatique à des informations touchant la sphère privée, car cette contrepartie n'existe plus concernant l'échange automatique d'informations.

Les règles de procédure sont établies pour garantir les droits de chaque contribuable. Le législateur fixe les règles qui concernent les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Ces droits fondamentaux, supra-législatifs, sont reconnus à titre général aux personnes soumises à l'ordre juridique français. Ce nouveau mécanisme d'échange automatique d'information porte atteinte dans une certaine mesure aux droits du contribuable.

Fréquemment invoqué lors des saisines du Conseil constitutionnel, le principe d'égalité, au même titre que celui du consentement à l'impôt, se situe au coeur des droits et libertés consacrés par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui fait référence à plusieurs reprises à ce principe fondamental.

À cet égard, les autres éléments du "bloc de constitutionnalité" mentionnant aussi le principe d'égalité, le seul constat du nombre de références à l'égalité souligne l'importance que le constituant attache au respect de ce principe. Nonobstant cette importance, il semblerait que la volonté de donner un pouvoir grandissant à l'administration fiscale soit supérieure. Ces principes ne sont pas impactés par la modification du mode d'échange des informations en matière fiscale puisque l'échange automatique s'appliquera de la même façon pour tous les citoyens (12).

Le principe d'égalité connaît, dans le cadre de la jurisprudence fiscale du Conseil constitutionnel, plusieurs déclinaisons et vise non seulement le principe général d'égalité devant la loi (DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M), mais également le principe d'égalité devant l'impôt et le principe d'égalité devant les charges publiques (DDHC, art. 13 N° Lexbase : L1360A9A). C'est pourquoi le législateur a voulu accroître les pouvoirs de l'administration fiscale afin de rendre encore plus effectif le principe prévu à l'article 13 de la DDHC.

Ainsi, comme le note Bernard Castagnède, "le contrôle d'égalité en matière fiscale peut cependant justifier le recours à des critères plus spécifiques, appropriés à l'objet des lois d'impôt. L'égalité devant l'impôt, qu'il s'agit alors de vérifier, est souvent regardée comme l'exigence particulière d'une égale répartition' de la contribution commune" (13).

Néanmoins, au-delà des différentes formes que peut revêtir le principe d'égalité appliqué à la matière fiscale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'articule, comme le relève Bernard Castagnède, autour du "contrôle général d'égalité fiscale" et du contrôle de la répartition de la charge fiscale en fonction des facultés contributives.

Par suite, le principe d'égalité devant la loi tel que mis en oeuvre par le Conseil constitutionnel emporte que deux contribuables placés dans une situation identique doivent être traités de manière identique, alors que la loi peut, sous certaines conditions, traiter de manière différente deux contribuables, notamment s'ils sont dans une situation différente (14).

L'offensive menée contre le secret bancaire est donc expliquée par une volonté qui s'inscrit dans la continuité de la lutte contre l'évasion fiscale : l'égalité des citoyens devant l'impôt. Cependant, cela se fait en portant préjudice au droit fondamental du respect de la vie privée des citoyens.

L'un des éléments qui explique le refus du Luxembourg de voter pour la modification de la Directive 2003/48/CE est que ce pays souhaitait l'application d'une retenue à la source plutôt qu'un échange automatique d'informations afin d'offrir une plus grande stabilité entre protection de la vie privée et imposition des revenus de l'épargne (15).

Il peut être intéressant de se demander pourquoi l'Europe se lasse du secret bancaire ? Petit à petit, le secret bancaire s'est rétréci comme peau de chagrin au point de ne plus exister. Cela peut s'expliquer par une pression fiscale grandissante en Europe où les pays à forte taxation ont décidé de ne plus subir l'évolution de la fiscalité. Les pays européens à faible taxation comme le Luxembourg ont accepté de faire des concessions pour des raisons politiques et non fiscales. En effet, la "loi FATCA" a été plus qu'un catalyseur de l'échange automatique d'informations. Cette loi n'a pas vraiment laissé de choix au Luxembourg si ce pays européen voulait continuer à avoir des relations économiques et financière avec les Etats-Unis.

B - Une intensification de l'échange automatique d'information pour l'avenir

Quelle action va être mise en oeuvre pour permettre au plus grand nombre de pays d'adhérer à l'échange automatique d'information élaboré par l'OCDE ?

La France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie se sont réunies afin d'impulser au niveau européen l'échange automatique d'informations. Cet échange portera sur les avoirs non déclarés et détenus à l'étranger. C'est un nombre de 44 pays qui devrait avoir signé des conventions bilatérales permettant la mise en place d'un échange automatique conformément au standard élaboré par l'OCDE (16). La signature de ces conventions fiscales bilatérales devrait se tenir au Forum mondial sur la transparence prévu à Berlin les 28 et 29 octobre 2014 (17).

Les données qui seront transmises entre administrations fiscales ne concerneront que celles collectées à partir du 31 décembre 2015. L'objectif étant d'établir les échanges automatiques d'informations dès 2017. On constate, par les déclarations des différents ministres européens, une volonté de traquer les fraudeurs qui souhaiteraient se soustraire au paiement de l'impôt, George Osborne ayant déclaré : "le message à ceux qui essaient d'éviter l'impôt est nous allons vous attraper'" (18).

Cette évolution vers un échange automatique de l'information en m atière fiscale présente un réel intérêt pour l'administration qu'est le gain de temps tiré de ce nouveau système. Ce nouvel outil est particulièrement adapté à notre époque, à l'heure où un grand nombre de transactions sont dématérialisées.

Le modèle américain avec la "loi FATCA" et le modèle européen d'échange automatique d'informations sont très proches en de nombreux points de sorte que le modèle américain pourrait devenir la prochaine étape en Europe. Outre Atlantique, l'échange concerne les informations relatives au patrimoine des citoyens américains à travers le monde tandis qu'en Europe cet échange est plus mesuré.

De plus, la Directive 2011/16/UE prévoit une adéquation entre les normes internationales et les normes européennes en matière de transparence et d'échange d'information sur demande. Le champ d'application de cette directive est très large puisqu'il est étendu à tous les impôts et taxes à l'exception de la TVA, des droits de douane, des droits d'accises et des cotisations sociales obligatoires (19).

La Directive 2003/48/UE prévoit un échange automatique d'informations sur les revenus de l'épargne versés à des personnes physiques. Cependant, est-il envisageable d'élargir l'échange d'informations aux personnes morales ? Il semblerait que cette possibilité ne soit pas à exclure et que l'échange automatique d'informations pourrait également porter sur d'autres natures de revenus tels que les dividendes ou les plus-values.

Enfin, l'article 19 de la Directive 2011/16/UE prévoit la possibilité d'une coopération étendue en fonction de l'évolution de la situation internationale et plus particulièrement de l'application de la "loi FATCA". Cette clause de la nation la plus favorisée permettrait à tout Etat membre de l'Union européenne d'en assigner un autre à procéder à un échange automatique d'informations plus étendu que sur la base de la directive.

Il semblerait que, dans un futur plus ou moins lointain, l'échange automatique d'informations se transforme en un modèle américain plus agressif. Ces évolutions se construiront dans la durée avec l'appui de positions adoptées par plusieurs Etats européens, qui laissent présager une plus grande pression fiscale pour l'avenir. Ces problématiques fiscales étant complexifiées par la dimension politique qui leur est rattachée.


(1) Cet article reflète l'opinion personnelle de ses auteurs et ne saurait refléter l'opinion de la société qui les emploie.
(2) La longue histoire du secret bancaire, RFI, 13 mars 2009.
(3) Foreign Account Tax Compliance Act, IRS.
(4) Protocole portant modification de l'accord entre la Confédération suisse et le Royaume-Uni de Grande. Bretagne et d'Irlande du Nord concernant la coopération en matière de fiscalité.
(5) Office of Budget Responsibility : administration fédérale des contributions (Confédération suisse).
(6) Norme d'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, Rapport OCDE.
(7) Norme d'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, Rapport OCDE.
(8) Rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements, Annexe au Projet de Loi de Finance pour 2014.
(9) Version consolidée de la Convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 (N° Lexbase : L6752BHK).
(10) Foreign Account Tax Compliance Act, IRS
(11) Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (N° Lexbase : L9667G78).
(12) Les droits et libertés constitutionnels en matière fiscale, Etude par E. Meier, Revue de Droit Fiscal, 25 mars 2010.
(13) B. Castagnède, Le contrôle constitutionnel d'égalité fiscale, LPA, 1er mai 2001, n° 86, p. 4.
(14) Cons. const., 12 juillet 1979, n° 79-107 DC (N° Lexbase : A7992ACY).
(15) Directive 2003/48/CE, préc..
(16) Conventions modèle OCDE, art. 26 (N° Lexbase : E8505ET8).
(17) Les Echos, 29 avril 2014.
(18) G. Osborne, chancelier de l'Echiquier dans le cabinet formé par David Cameron.
(19) Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (N° Lexbase : L5101IPM).

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Impôts locaux

[Brèves] Conditions d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties en cas d'inexploitation d'un immeuble

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 361566, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8591MW4)

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N3765BUY

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Le 27 Septembre 2014

Lorsqu'un contribuable achète un immeuble dont l'exploitation, à des fins industrielles ou commerciales, est interrompue du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il peut prétendre à l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties s'il a acquis cet immeuble en vue de l'exploiter lui-même à des fins industrielles et commerciales. Telle est la portée de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 19 septembre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 361566, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8591MW4). Aux termes du I de l'article 1389 du CGI (N° Lexbase : L9892HLX), les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l'inexploitation a pris fin. Ce dégrèvement est subordonné à la triple condition que l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible d'exploitation séparée. Le respect de ces conditions exige, en principe, que le contribuable exploite lui-même l'établissement avant l'interruption de l'exploitation. Par conséquent, lorsqu'un contribuable achète un immeuble dont l'exploitation à des fins industrielles ou commerciales est interrompue du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il peut prétendre à l'exonération prévue par les dispositions précitées s'il résulte de l'instruction qu'il a acquis cet immeuble en vue de l'exploiter lui-même à des fins industrielles et commerciales. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 25 août 2005, le préfet du Loiret a procédé à la fermeture administrative de locaux à usage industriel, objet du litige, en vue de l'exécution de travaux permettant leur dépollution. Ceux-ci ont été confiés à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et étaient en cours au 1er janvier de l'année 2011. La société ayant acquis ces locaux le 9 juillet 2007, a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2008 à 2011. Toutefois, le Conseil d'Etat a décidé que la société pouvait bénéficier du dégrèvement qu'elle sollicitait car elle avait acquis les locaux en vue de les exploiter elle-même dès l'achèvement des travaux. Le seul fait qu'elle était devenue propriétaire des locaux sans les avoir elle-même exploités avant les travaux de dépollution ne suffit pas à éluder le dégrèvement prévu à l'article 1389 du CGI .

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Licenciement

[Brèves] Licenciement d'un salarié protégé : le délai applicable au recours administratif de l'article R. 2422-1 du Code du travail est un délai franc

Réf. : CE, 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 362568, mentionné au recueil Lebon (N° Lexbase : A8592MW7)

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N3776BUE

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Le 01 Octobre 2014

Le délai applicable au recours administratif de l'article R. 2422-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5130ICY) est un délai franc. Telle est la décision retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt mentionné rendu le 19 septembre 2014 (CE, 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 362568, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A8592MW7 ; voir aussi deux arrêts inédits CE, 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014 n° 362569 N° Lexbase : A8593MW8 et n° 362570, inédits N° Lexbase : A8594MW9). Dans cette affaire, le ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité avait autorisé le licenciement de M. B., salarié protégé. Ce dernier avait fait appel (CAA Marseille, 7ème ch., 10 juillet 2012, n° 11MA01186 N° Lexbase : A3997IRH) afin de demander l'annulation de la décision de son licenciement. Le Conseil d'Etat a estimé qu'aux termes de l'article R. 2422-1 du Code du travail, le ministre chargé du Travail pouvait annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Néanmoins, ce recours devait être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. En effet, les dispositions de l'article R. 2422-1 du Code du travail ont entendu se référer au délai de recours contentieux et à la règle générale du contentieux administratif selon laquelle un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative doit être exercé avant l'expiration du délai de recours contentieux pour interrompre ce délai. Le Conseil d'Etat autorise la demande de licenciement de M. B en ce qu'il considère que le délai applicable au recours administratif prévu à l'article R. 2422-1 du Code du travail est un délai de deux mois non franc auquel n'était pas applicable la règle rappelée à l'article 642 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6803H74) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3883ETY).

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Pénal

[Brèves] Inscription au fichier STIC et respect de la vie privée

Réf. : CEDH, 18 septembre 2014, Req. 21010/10, B. c/ France (N° Lexbase : A6129MWW)

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N3742BU7

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Le 25 Septembre 2014

L'Etat a outrepassé sa marge d'appréciation dès lors que le régime de conservation des fiches dans le STIC, tel qu'il a été appliqué au requérant, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Par conséquent, la conservation litigieuse s'analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. Telle est la substance de l'arrêt rendu par la CEDH, le 18 septembre 2014 (CEDH, 18 septembre 2014, Req. 21010/10, B. c/ France N° Lexbase : A6129MWW). En l'espèce, le 10 octobre 2008, le requérant et sa compagne eurent une altercation violente à leur domicile. Le lendemain, cette dernière déposa plainte auprès du procureur de la République. Le requérant fut placé en garde à vue. Il porta lui aussi plainte contre sa concubine pour violences. Le requérant et sa compagne furent convoqués pour médiation pénale le 24 novembre 2008. Entre-temps, la concubine retira sa plainte et l'affaire fut classée sans suite. Quant à la plainte du requérant, elle ne donna pas lieu à poursuites. Du fait de sa mise en cause dans cette affaire, le requérant fut inscrit dans le système de traitement des infractions constatées (STIC). Ce fichier de police répertorie les informations provenant des comptes rendus d'enquêtes effectuées après l'ouverture d'une procédure pénale. Par un courrier du 11 avril 2009, le requérant demanda au procureur de la République du tribunal de grande instance d'Evry son effacement du fichier, estimant que son enregistrement sur cette base de données était infondé du fait que sa concubine avait retiré sa plainte. Par une décision du 1er décembre 2009, le procureur de la République adjoint rejeta la demande du requérant visant à l'effacement du fichier au motif que "ladite procédure a fait l'objet d'une décision de classement sans suite fondée sur une autre cause que : absence d'infraction ou infraction insuffisamment caractérisée". Le requérant fut informé que cette décision n'était pas susceptible de recours. Il saisit donc la CEDH, invoquant en substance l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4797AQQ) et se plaignant, d'une part, des conséquences futures de son inscription dans le fichier STIC sur sa vie familiale et la garde de son enfant qui, selon lui, pourra difficilement lui être autorisée et, d'autre part, du caractère outrageant et diffamatoire de ladite inscription. La CEDH lui donne raison et retient la violation de l'article 8 de la Convention précitée.

newsid:443742

Propriété intellectuelle

[Brèves] Sur l'enregistrement des marques constituées exclusivement par une forme qui donne une valeur substantielle au produit ou qui est imposée par la nature même du produit

Réf. : CJUE, 18 septembre 2014, aff. C-205/13 (N° Lexbase : A6131MWY)

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N3813BUR

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Le 26 Septembre 2014

Le droit de l'Union (Directive 89/104 du 21 décembre 1988 N° Lexbase : L9827AUI) interdit, entre autres, l'enregistrement des marques constituées exclusivement par une forme qui donne une valeur substantielle au produit ou qui est imposée par la nature même du produit. Dans un arrêt du 18 septembre 2014, la CJUE est venue préciser cette limite (CJUE, 18 septembre 2014, aff. C-205/13 N° Lexbase : A6131MWY). Elle souligne, tout d'abord, que la notion de "forme imposée par la nature même du produit" implique que les formes dont les caractéristiques essentielles sont inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques du produit doivent, en principe, être refusées à l'enregistrement. Par ailleurs, il s'agit de caractéristiques essentielles que le consommateur pourra rechercher dans les produits concurrents, étant donné que ceux-ci visent à remplir une fonction identique ou similaire. S'agissant du motif de refus ou de nullité basé sur les "formes qui donnent une valeur substantielle au produit", la Cour observe que cette notion ne saurait se limiter à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, au risque de ne pas couvrir les produits qui ont, en sus d'un élément esthétique important, des caractéristiques fonctionnelles essentielles. Le fait de considérer que la forme donne une valeur substantielle au produit n'exclut pas que d'autres caractéristiques du produit puissent conférer également une valeur importante à celui-ci. Ainsi, l'objectif d'éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d'autres droits que le législateur de l'Union a voulu soumettre à des délais de péremption, exige que l'application de ce motif de refus ou de nullité ne soit pas automatiquement exclu lorsque, en dehors de sa fonction esthétique, le produit concerné assure également d'autres fonctions essentielles. Par ailleurs, la perception présumée du signe par le consommateur moyen n'est pas un élément décisif dans le cadre de l'application de ce motif de refus, mais peut, tout au plus, constituer un élément d'appréciation. Peuvent entrer en ligne de compte d'autres éléments d'appréciation tels que la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d'autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d'une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause. Enfin, la Cour relève que les motifs de refus d'enregistrement prévus par la Directive sont de nature autonome : si un seul des critères est rempli, le signe constitué exclusivement par la forme du produit voire par une représentation graphique de cette forme ne peut être enregistré en tant que marque.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La grève ne justifie pas la séquestration d'un cadre

Réf. : Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-12.562, FS-P+B (N° Lexbase : A2661MTQ)

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N3767BU3

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de l'encyclopédie "Droit du travail" et de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 25 Septembre 2014

La jurisprudence en matière de grève est d'une remarquable stabilité, la Cour de cassation assurant l'effectivité de ce droit constitutionnellement garanti depuis plusieurs décennies. Dans un nouvel arrêt en date du 2 juillet 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme cette tendance en qualifiant de grève un mouvement de solidarité né pour venir en aide à un salarié menacé de sanctions après un premier conflit (I), mais rappelle qu'il est interdit de séquestrer les cadres de l'entreprise, sous peine de licenciement pour faute lourde (II).
Résumé

Est licite le mouvement de grève initié pour soutenir des salariés menacés par des sanctions disciplinaires pour des faits commis lors d'un précédent mouvement de grève, dont la légitimité n'était pas contestée, ces menaces ayant pu être perçues au sein de l'entreprise comme susceptibles de porter atteinte au droit de grève, la mobilisation destinée à soutenir les salariés grévistes répondant à un intérêt collectif et professionnel.

Est constitutif d'une faute lourde le fait pour un salarié d'avoir personnellement participé à une action collective au cours de laquelle le directeur des ressources humaines avait été retenu dans son bureau pendant plus de trois heures, et dont il n'a pu sortir qu'après l'évacuation par les forces de l'ordre des personnes présentes.

Commentaire

I - Licéité sous conditions de la grève de solidarité

L'affaire. A la suite de l'échec d'une réunion relative à la négociation salariale, un mouvement de grève s'est déclenché qui s'est terminé par la signature d'un protocole de fin de conflit conclu le 1er mars 2010. Un salarié de l'entreprise depuis plus de vingt ans a été convoqué le 5 mars 2010 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour des faits commis pendant le mouvement de grève. Un second arrêt collectif du travail a eu lieu le 12 mars 2010 en soutien aux salariés de l'entreprise menacés de sanctions disciplinaires pour des faits commis pendant le premier mouvement de grève. Le même salarié a reçu une nouvelle convocation à un entretien préalable le 19 mars, avec mise à pied conservatoire, visant sa participation à la séquestration d'un membre de l'entreprise le 12 mars 2010. Ce salarié a été licencié pour faute lourde par lettre du 7 avril 2010, et a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à l'annulation de son licenciement et au paiement de diverses sommes. Il avait obtenu gain de cause en appel, ce que contestait son employeur dans le cadre de son pourvoi.

La qualification de grève retenue. Le pourvoi discutait tout d'abord la qualification même de grève du second mouvement organisé pour soutenir les salariés sanctionnés à l'occasion de la première phase du conflit. Il considérait, en effet, "qu'est illicite le mouvement de grève déclenché par solidarité avec un salarié sanctionné pour un motif strictement personnel", et observait que les faits pour lesquels il était poursuivi concernait des violences insusceptibles d'être rattachées à l'exercice du droit de grève.

Le moyen n'est pas accueilli. Pour la Haute juridiction, en effet, le syndicat CGT Finimétal avait appelé les salariés de l'entreprise à la grève le 12 mars 2010 de 11 heures à 14 heures pour soutenir les collègues menacés par des sanctions disciplinaires pour des faits commis lors du précédent mouvement de grève, dont la légitimité n'était pas contestée et qui s'était soldé par la conclusion d'un protocole d'accord de fin de conflit. Pour la Cour de cassation, ces menaces avaient pu être perçues au sein de l'entreprise comme susceptibles de porter atteinte au droit de grève, ce qui permettait d'affirmer que la mobilisation destinée à soutenir les salariés grévistes "répondait à un intérêt collectif et professionnel, de sorte que ce mouvement de grève était licite" (1).

Une confirmation attendue de la qualification large de grève. On sait que face à des comportements litigieux imputables à un salarié dans le cadre d'un conflit, deux moyens peuvent être employés pour justifier le licenciement : soit disqualifier le mouvement en le qualifiant d'illicite, ce qui élude l'application du régime applicable au licenciement des grévistes ; soit demeurer dans ce cadre juridique et admettre la faute lourde, ce qui place très haut le curseur en termes de gravité des comportements, mais entraîne pour le salarié des conséquences extrêmes, puisqu'il perd toutes ses indemnités.

On sait que la jurisprudence tend à retenir une conception large de la notion de grève (2), et ce pour ne pas priver d'effectivité le droit constitutionnel de grève.

Cette tendance, qui s'est vérifiée ces dernières années (3), se retrouve ici alors qu'était discutée la qualification d'une "grève de solidarité". On sait en effet que la jurisprudence considère en principe ces mouvements comme illicites, dès lors qu'ils visent seulement à contester l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire (4), mais qu'il retient la qualification de grève soit lorsque les salariés cessent le travail pour réagir à des comportements fautifs imputables à l'employeur (5), soit lorsque la solidarité à l'égard des grévistes menacés s'accompagne de revendications à caractère professionnel (6), ce qui est fréquemment le cas lorsque les grévistes prennent la précaution de bien formuler leurs nouvelles revendications (7).

La volonté de s'inscrire dans le contexte du droit de grève. C'est dans cette tendance large, d'aucuns diraient laxiste, que s'inscrit cette décision puisque le rattachement de la grève de solidarité au droit de grève résultait du caractère syndical du conflit et du ressenti des salariés qui avaient valablement pu croire que les sanctions dont les grévistes du premier conflit avaient été menacés, portaient atteinte au droit de grève, ce qui suffisait à établir l'intérêt "collectif et professionnel" des revendications, et donc le caractère licite de la grève. Ajoutons que le premier conflit s'était achevé sur la conclusion d'un accord de fin de conflit, ce qui a sans doute joué dans l'analyse de la situation puisque les salariés pouvaient alors croire le conflit terminé, ce que pouvait remettre en cause le maintien des poursuites disciplinaires.

Le moins que l'on puisse dire est que l'explication donnée par la Haute juridiction dénote un parti-pris très favorable au droit de grève, ce qui n'est pas une surprise compte tenu de la tendance lourde de la jurisprudence ces dernières années. Même si, dans le secteur privé, les salariés sont libres de se mettre en grève sans initiative syndicale préalable, les clauses conventionnelles de préavis ne leur étant d'ailleurs pas opposables (8), la présence dans le conflit d'un syndicat est de nature à laisser supposer que le différend présente un caractère "collectif et professionnel" et qu'il pourra donc être qualifié de grève. Comment ne pas d'ailleurs voir dans cette confiance accordée aux syndicats représentatifs l'un des effets de la réforme de la démocratie sociale, qui a vu la légitimité des acteurs renforcée ?

On observera par ailleurs que dans cette affaire, il n'est plus fait référence au caractère ou non "manifestement injustifié" des sanctions envisagées à l'égard des premiers grévistes, comme cela avait pu être le cas dans des décisions anciennes. Cela ne signifie pas que, si les sanctions sont manifestement illégales, la grève de soutien n'est pas licite. Cela signifie, selon nous, que l'a contrario n'est pas exact et que ce n'est pas parce que les sanctions ne sont pas illicites que la grève de solidarité n'en est pas une, dès lors que les salariés ont pu croire que l'employeur tentait de porter atteinte au droit de grève en sanctionnant certains grévistes.

Le message délivré par la Chambre sociale de la Cour de cassation aux employeurs est des plus clairs : ne cherchez pas à éluder le régime protecteur du droit de grève pour justifier des sanctions prononcées à l'encontre de salariés ayant participé à un conflit, encore moins lorsque ce conflit a été syndicalisé.

Mais la voie des sanctions n'est pas fermée et l'employeur conserve la possibilité d'établir la preuve de fautes lourdes commises par les grévistes, ce qui a été le cas ici.

II - La faute lourde établie en raison de la participation à la séquestration d'un cadre de l'entreprise

La qualification de faute lourde retenue. Le pourvoi discutait également le refus de retenir la qualification de faute lourde, au regard des circonstances de l'espèce.

La cour d'appel avait, en effet, annulé le licenciement et retenu qu'il ressortait d'un constat d'huissier que le 12 mars 2010 vers 11 heures 30, plusieurs salariés, dont celui qui avait été licencié, s'étaient rassemblés dans la cour de l'entreprise, qu'à 11 heures 45 ils avaient pénétré dans les locaux administratifs et étaient restés dans le couloir face au bureau du directeur des ressources humaines de l'entreprise. L'huissier avait relevé qu'"une personne extérieure à la société déclare qu'il y a séquestration du DRH et de la direction" et qu'une liste de quinze personnes se trouvant dans le couloir et séquestrant le DRH est établie, que le directeur d'établissement, a appelé les gendarmes pour signaler la séquestration du DRH dans son bureau, que vers 13 heures 30, le directeur de l'établissement a demandé à nouveau aux gendarmes présents de faire évacuer les personnes extérieures à la société, que les personnes présentes dans le couloir ont quitté les lieux vers 15 heures 30 et que le Directeur a pu alors sortir de son bureau. Le salarié licencié ne démentait pas avoir été sur place le 12 mars, mais contestait avoir pris part à la séquestration tout en revendiquant avoir participé à un mouvement de défense du droit de grève. La cour d'appel avait toutefois écarté la faute lourde après avoir considéré que l'employeur n'invoquait pas un comportement particulier imputable à l'intéressé, et indiquait au contraire que son niveau d'implication dans les faits du 12 mars 2010 était similaire à celui des autres salariés et que s'il a été licencié c'est en raison du comportement fautif qu'il a adopté par ailleurs. La cour relevait enfin que ni les propos tenus par le salarié licencié le 24 février 2010 lors du mouvement de grève initial, ni son attitude lors de l'entretien préalable au licenciement, ni sa participation à l'action collective du 12 mars suivant ne révélaient d'intention de nuire.

Sur ce second moyen du pourvoi, la décision est cassée pour violation de l'article L. 2511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0237H9N). Pour la Haute juridiction, en effet, "le salarié avait personnellement participé à l'action collective au cours de laquelle le directeur des ressources humaines avait été retenu de 11 heures 45 à 15 heures 30 dans son bureau, dont il n'avait pu sortir qu'après l'évacuation par les forces de l'ordre des personnes présentes, ce dont il résultait que le comportement du salarié était constitutif d'une faute lourde".

Une qualification de faute lourde admise plus facilement. Si la qualification de grève s'impose largement, la qualification de faute lourde semble admise, dans cette affaire, avec une certaine compréhension qui tranche avec la rigueur manifestée ces dernières décennies.

Classiquement, en effet, la preuve d'une participation personnelle du salarié licencié à des fautes détachables de l'exercice normal du droit de grève constituait pour le juge le plus sur moyen de protéger les salariés, singulièrement lorsque le conflit, par hypothèse "collectif", ne permettait pas de dégager nettement le rôle précis joué par le salarié licencié (9).

Or, c'est une toute autre impression qui se dégage de cette décision.

Dans cette affaire, en effet, et autant qu'on puisse en juger à la lecture de la décision, la participation personnelle du salarié aux faits litigieux, en l'occurrence la séquestration d'un cadre de l'entreprise, ne semblait pas évidente. L'intéressé avait bien admis avoir fait parti du groupe de grévistes présent ce jour là dans les locaux de la direction, mais il n'avait pas avoué avoir personnellement empêché ce dernier de quitter son bureau. Cette relative incertitude n'empêche pas ici la Haute juridiction de considérer que la faute lourde devait être établie, dès lors que la présence du salarié dans le groupe des grévistes impliqués dans ces événements n'était pas discutée, et que c'est bien ce groupe qui avait entravé la liberté d'aller et venir du cadre. La preuve d'une participation personnelle du salarié est donc largement facilitée par le jeu d'une sorte de présomption de participation personnelle établie à partir de deux éléments, la participation au groupe des grévistes et l'implication de ce groupe dans la séquestration (10).

Cette solution n'est pas sans rappeler la jurisprudence dégagée en matière de responsabilité civile qui considère qu'il est possible de condamner à réparer les conséquences de dommages causés par le membre indéterminé d'un groupe déterminé, celui qui a volontairement participé à ce groupe et qui n'ignorait pas le caractère illicite de l'activité de ce groupe (11).

Le recours à des présomptions graves, précises et concordantes pour imputer une faute lourde à un gréviste n'est pas en soi condamnable, tant le déroulement des conflits empêche toute certitude. Il reste à espérer que la Haute juridiction se montrera vigilante pour éviter des dérives dans le recours à de telles présomptions.


(1) Dans la même affaire, voir le second arrêt rendu le même jour : Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-12.561, FS-D (N° Lexbase : A2651MTD).
(2) La Cour de cassation a depuis 1993 clarifié sa position en termes de qualification, en rejetant l'expression de "grève illicite", et qualifie largement de "grève" des conflits collectifs, quitte à se montrer plus conciliante sur la qualification de faute lourde qui justifie le licenciement des grévistes fautifs : Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 91-41.024 (N° Lexbase : A6673ABR), Dr. soc., 1994, pp. 35-39, rapport P. Waquet, note J.-E. Ray.
(3) Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-16.114, FS-P (N° Lexbase : A3427DMU), Dr. soc., 2006, p. 470, obs. P.-Y. Verkindt.
(4) Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 91-41.024, préc. : "l'arrêt de travail était destiné à soutenir un ouvrier qui avait été licencié après avoir refusé d'exécuter un travail, au prétexte que le local, que son employeur lui demandait de nettoyer, n'était pas son lieu de travail ; que, dès lors que le licenciement n'impliquait rien d'autre que la faute personnelle du salarié sanctionné et qu'aucune revendication professionnelle n'était en cause, elle a décidé à bon droit que l'arrêt de travail ne constituait pas l'exercice du droit de grève" ; Cass. soc., 5 janvier 2011, n° 10-10.685, FS-P+B (N° Lexbase : A7516GNP).
(5) Cass. soc., 30 mai 1989, n° 86-16.765, publié (N° Lexbase : A2016AH7) (salarié mis à pied trois jours pour avoir projeté de la peinture sur un agent de maîtrise : pas manifestement abusif) ; Cass. soc., 16 novembre 1993, préc..
(6) Cass. soc., 5 janvier 2011, n° 10-10.685, FS-P+B, préc. : "l'action entreprise par les salariés pour soutenir un délégué syndical menacé de licenciement n'était pas étrangère à des revendications professionnelles qui intéressaient l'ensemble du personnel et était une grève licite".
(7) Ce qui était le cas dans l'arrêt du 5 janvier 2011, préc..
(8) Depuis 1995 : Cass. soc., 7 juin 1995, n° 93-46.448 (N° Lexbase : A2101AA3) : RJS, 1995, n° 933, chron. J. Déprez, pp. 564-565 ; Dr. soc., 1996, pp. 37 42 ; D., 1996, p. 75 ; Cass. soc., 12 mars 1996, n° 93-41.670 (N° Lexbase : A2055AAD), RJS, 1996, n° 439 ; Cass. soc., 17 juillet 1996, préc., RJS, 1996, n° 1079.
(9) Dernièrement Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-43.075, inédit (N° Lexbase : A2517GNK).
(10) Pour des condamnations en raison de faits de séquestrations : Cass. crim., 8 janvier 1980, n° 78-94.058, publié (N° Lexbase : A5583CGU), Jurispr. sociale UIMM, 1980, p. 434 ; Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.820 (N° Lexbase : A8811AGG), Gaz. Pal., 24 et 25 décembre 1997, Pan., p. 335 ; Cass. soc., 18 décembre 2002, n° 00-44.259, F-D (N° Lexbase : A4968A4R).
(11) A propos d'une expédition punitive : Cass. civ. 2, 2 avril 1997, n° 95-14.428 (N° Lexbase : A0466ACA), Bull. civ. II, n° 112 ; JCP éd. G, 1997, I, 4068, n° 11, obs. G. Viney.

Décision

Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-12.562, FS-P+B (N° Lexbase : A2661MTQ)
Cassation (CA Douai, ch. soc., 21 décembre 2012, n° 12/02055 N° Lexbase : A8704IZE)

Texte visé : C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N)

Mots clef : grève ; faute lourde ; séquestration

Lien base : (N° Lexbase : E2523ETM)

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Social général

[Brèves] Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles : publication du décret relatif au fonctionnement de cette instance

Réf. : Décret n° 2014-1055 du 16 septembre 2014, relatif aux missions, à la composition et au fonctionnement du comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (N° Lexbase : L2335I4A)

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N3743BU8

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Le 26 Septembre 2014

A été publié au Journal officiel du 18 septembre 2014 le décret n° 2014-1055 du 16 septembre 2014 relatif, aux missions, à la composition et au fonctionnement du comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (N° Lexbase : L2335I4A). La loi du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale (loi n° 2014-288 N° Lexbase : L6066IZP), a créé les comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP). Ces nouvelles instances permettent de rationaliser le nombre des lieux de concertation (par la fusion du conseil régional de l'emploi et du comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle), d'étendre leur champ de compétences aux problématiques connexes de l'orientation et de mettre ainsi en place les conditions d'une véritable gouvernance quadripartite, qui conditionne l'efficacité des politiques conduites dans les territoires, en réponse aux attentes de la société civile et des usagers des services publics de l'emploi, de la formation et de l'orientation. Le décret du 16 septembre a pour objet de préciser la composition, les missions et les conditions de fonctionnement de cette instance, en prévoyant des adaptations spécifiques en outre-mer (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4038ETQ).

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Sociétés

[Textes] La réforme des conventions réglementées dans les sociétés anonymes par l'ordonnance du 31 juillet 2014

Réf. : Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés, prise en application de l'article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (N° Lexbase : L1321I4P)

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N3780BUK

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 26 Septembre 2014

Usant des prérogatives conférées par la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 (N° Lexbase : L7681IY7) lui donnant habilitation, le Gouvernement vient de prendre par l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 une série de mesures touchant plusieurs secteurs du droit des sociétés. Parmi, ces dispositions présentées dans un rapport au Président de la République, certaines concernent les conventions réglementées, objet de la présente étude. I - Le préalable de la réforme

Le législateur subordonne à un contrôle de normalité les actes passés par les sociétés, en particulier les sociétés anonymes (1), avec certaines personnes entretenant des relations privilégiées avec ces dernières. Il s'agit des conventions conclues, d'une part, avec les dirigeants ou les actionnaires détenteurs d'une importante fraction des droits de vote, d'autre part, avec des sociétés ayant des dirigeants communs (sociétés membres d'un groupe). Ces conventions directement ou indirectement conclues dites réglementées, se distinguent des conventions courantes librement conclues à des conditions normales et des conventions interdites.

L'interdiction de conclure certaines conventions, telles que l'emprunt de sommes d'argent à la société ou le contrôle imposé aux conventions réglementées se justifie par la volonté du législateur de préserver l'intérêt social en le privilégiant sur celui des personnes qui les ont passées avec la société.

S'agissant précisément des conventions réglementées, le législateur est intervenu à maintes reprises afin d'en élargir le domaine d'application. Ainsi, la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, sur les nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ), dite loi "NRE", a étendu la procédure des conventions réglementées aux personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique. La loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB), a relevé de 5 % à 10 % le pourcentage des droits de vote des actionnaires dont les conventions conclues avec la société sont soumises à la procédure de contrôle. La loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (N° Lexbase : L2417HY8), a renforcé la procédure des conventions réglementées imposée par loi "Breton" n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L5001HGC), aux avantages souvent qualifiés de "parachutes dorés" offerts aux dirigeants de sociétés cotées.

A l'instar de l'intitulé du chapitre III de la loi "NRE", le régime instauré tend à prévenir les conflits (2). Pour autant, il suscite des insatisfactions et des critiques permanentes. Les uns considèrent que la procédure mise en place, de pure forme et inappropriée, ne sanctionne pas les conventions préjudiciables à la société (3). Les autres, estimant également que le système est inefficace, préconisent de l'alléger (4). D'une manière générale, on peut déplorer une absence d'uniformisation des procédures et le recours à des critères assez imprécis.

Ces insuffisances et incertitudes ont incité le groupe de travail de l'Autorité des marchés financiers (AMF) à publier un rapport le 7 février 2012, relatif aux assemblées générales d'actionnaires des sociétés cotées, en exprimant quinze propositions d'aménagement de la procédure des conventions réglementées présentées sous quatre rubriques :
- "Préciser la notion et le champ d'application des conventions réglementées" ;
- "Réaffirmer le rôle du conseil d'administration dans l'énonciation de l'intérêt qui s'attache à la convention" ;
- "Améliorer l'information fournie à l'occasion de l'assemblée générale" ;
- "Rappeler les modalités et procédures de vote en assemblée générale".

Auparavant, la commission juridique de l'Institut français des administrateurs (IFA) (6) a établi une note de synthèse à propos des conventions réglementées récapitulant les principaux points du dispositif et donnant des conseils pratiques aux administrateurs.

Par la suite est intervenue l'actuelle réforme qui a pris appui sur le rapport du groupe de travail "Poupart/Lafarge" que l'AMF avait sollicité pour régler certaines questions, en particulier celle relative aux conventions réglementées (6). Signalons qu'au cours des travaux parlementaires a été abandonnée l'idée de limiter le projet initial aux sociétés cotées, ce qui paradoxalement cantonnait l'allègement prévu aux sociétés qui, au contraire, sont censées connaître un important contrôle.

A propos de celles-ci, une partie de la doctrine avait préconisé de reconsidérer le mécanisme (7).

II - Les principaux traits de la réforme

Les généralités. C'est en pareil contexte que l'article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 a habilité le Gouvernement à simplifier et clarifier la réglementation actuelle, plus précisément à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (loi "SSVE") par voie d'ordonnance avant septembre 2014 (8). Ainsi, est née l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés (9), composée de neuf chapitres. Entrée en vigueur le 3 août 2014, elle modifie le périmètre de la procédure de contrôle et oblige notamment à motiver l'autorisation des conventions. Elles s'appliquent aux sociétés anonymes (SA) et, par renvoi, aux dispositions applicables à celles-ci, aux sociétés en commandite par actions (10). Elle contient un certain nombre de mesures éclairées par le rapport au Président de la République.

L'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (articles 5 à 11) relative au droit des sociétés a ainsi apporté de notables modifications dans le régime des conventions réglementées conclues au sein des sociétés anonymes.

Les nouvelles dispositions se situent dans le droit fil des précédentes, tout en les modifiant et les complétant utilement. Il s'agit d'accentuer la prévention des situations de conflits d'intérêts au sein des SA, aussi bien monistes que dualistes, sans compter le souci de simplifier çà et là la procédure. En toute hypothèse, la procédure d'autorisation et de contrôle vise à dissuader de commettre tout abus les mandataires sociaux, pas seulement des dirigeants puisque les membres du conseil de surveillance sont concernés, ou d'importants actionnaires, contractant avec leur société aux fins d'obtenir par la conclusion de conventions, des droits et avantages préjudiciables à la société.

L'inapplication de la procédure aux conventions conclues avec une filiale détenue à 100 %. En réalité, les dispositions législatives concernent bon nombre de conventions, quand bien même dans la plupart des cas il n'existerait pas véritablement de situation de conflits d'intérêts. C'est dire que la masse des conventions réglementées dépasse le strict cadre de celles effectivement sources de tels conflits.

Dès lors, il s'est avéré de peu d'intérêt de conserver l'information relative aux conventions réglementées intervenues entre une société et une autre dont elle détient ou qui détient 100 % ou une fraction équivalente de son capital. Aussi, les articles 6 et 9 de l'ordonnance du 31 juillet 2014 font le choix d'évincer ces conventions du domaine d'application des conventions réglementées (11). Le rapport explicatif présenté au Président de la République avait signalé la nécessité d'une pareille simplification, compte tenu du fait que les conventions visées, nombreuses en pratique, alourdissaient notablement la liste des conventions à déclarer, alors que dans la majeure partie des cas, elles ne révélaient aucun conflit d'intérêt justifiant un contrôle.

Le nouveau texte précise, qu'éventuellement, doit être déduit du capital le nombre minimal d'actions requis pour répondre aux exigences de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) ou des articles L. 225-1 (N° Lexbase : L5872AIC) et L. 226-1 (N° Lexbase : L6142AIC) du Code de commerce. Cette indication permet notamment à une SA de bénéficier de l'exclusion quand elle a passé une convention avec une autre SA dont elle détient 99 % du capital social et dont les six autres actionnaires disposent chacun d'une action afin de satisfaire au minimum légal de sept actionnaires.

Reste à savoir pourquoi l'ordonnance renvoie à l'article 1832 du Code civil qui est un texte du droit commun des sociétés, alors qu'elle vise les actions qui est une notion spécifique aux sociétés de capitaux. Convient-il d'en conclure que l'exclusion va concerner l'hypothèse d'une convention intervenue entre une SA et une société civile détenue à 100 % par la première et un coassocié détenteur d'une seule part sociale, afin de se conformer au minimal légal de deux associés ? A priori, il n'y a pas lieu de limiter le bannissement de la procédure d'exclusion aux seules situations où la filiale de la SA ou de la SCA est également une SA ou une SCA, les SAS n'étant pas visées dans la mesure où elles peuvent être unipersonnelles. En réalité, il faut s'en tenir strictement aux termes du texte, alors même que la référence à l'article 1832 du Code civil peut susciter des interrogations.

Signalons, par ailleurs, que lorsque la procédure tend à s'appliquer dans les deux sociétés (par exemple une SA détenue à 100 % par une autre SA dotée de dirigeants communs), elle est exclue aussi bien dans la société mère que dans la filiale.

L'obligation de motiver les conventions autorisées. Afin de renforcer la transparence au sein des SA, les articles 5 et 8 de ladite ordonnance imposent désormais aux conseils d'administration et de surveillance de motiver leurs décisions d'autorisation de conclure de telles conventions. La motivation consiste à expliquer l'intérêt qu'offre la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui s'y rattachent (12). Il s'agit, par cette motivation, de permettre aux membres de ces organes collectifs de se prononcer en pleine connaissance de cause de la portée des conventions concernées, en les approuvant ou non.

Si le rapport au Président de la République mentionne que cette obligation de motivation n'est pas contraire à l'objectif de simplification, de surcroît, cette mesure répond bien à l'objectif de sécurisation et à la transparence recherchée. Il s'avère effectivement fort utile que le conseil d'administration ou de surveillance autorisant une convention réglementée dans un contexte de conflits d'intérêts, expose les raisons qui justifient sa décision, laquelle pourrait lui être ultérieurement fait grief.

Avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, la nécessité de motiver la décision d'autorisation faisait seulement l'objet d'une recommandation de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé (13). Dorénavant, elle s'impose aux conventions autorisées à partir du 3 août 2014, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Pour autant, l'affirmation selon laquelle la convention est conforme à l'intérêt social ne saurait à elle seule constituer une motivation suffisante. Inversement, une motivation trop détaillée pourrait révéler des informations confidentielles susceptibles d'être reprises par le commissaire aux comptes dans son rapport spécial communiqué aux actionnaires. Cela implique de trouver un juste équilibre entre ces deux tendances : la simple affirmation et l'explication exhaustive.

Qu'en est-il en cas d'absence ou d'insuffisance de motivation ? Les actionnaires, conviés à s'exprimer en pleine connaissance de cause au regard de la motivation, peuvent refuser d'approuver la convention non motivée ou insuffisamment motivée. La nullité ne saurait être encourue puisqu'elle ne pourrait être envisagée qu'en l'absence d'autorisation préalable, sans exclure la condamnation, outre de l'intéressé, des membres du conseil d'administration ou du directoire à supporter les conséquences dommageables de la convention pour la société (14). Par ailleurs, une décision d'autorisation fautive pourrait engager la responsabilité des membres du conseil de surveillance.

Le réexamen annuel des conventions autorisées au cours d'exercices antérieurs. A la fois pour rendre meilleure l'information des actionnaires et attirer davantage l'attention des conseils d'administration et de surveillance sur la portée des conventions autorisées par eux durant les exercices antérieurs et dont l'exécution s'est poursuivie pendant le dernier exercice, l'ordonnance institue deux obligations : d'une part, elle oblige ces conseils à procéder annuellement au réexamen de ces conventions ; d'autre part, elle prévoit leur communication obligatoire au commissaire aux comptes en vue de l'établissement du rapport spécial à destination de l'assemblée des actionnaires (15). A ce propos, le commissaire aux comptes doit obtenir communication des conventions elles-mêmes, tandis que sous l'ancien régime il était seulement informé de la poursuite de ces conventions.

Conformément au rapport explicatif présenté au Président de la République, une semblable disposition tend particulièrement à "rappeler" à ces organes l'ampleur desdites conventions. Il n'y a donc pas lieu de les soumettre à une nouvelle procédure d'autorisation.

En outre, dans un souci de simplification, ces conventions font partie en toutes circonstances des conventions réglementées. Néanmoins, pour celles à durée déterminée ou faisant l'objet d'une reconduction tacite, ces dernières constituant un nouveau contrat (sauf cas de reconduction d'un bail commercial ou convention initiale des parties), elles doivent à leur échéance faire l'objet à une nouvelle autorisation du conseil d'administration ou de surveillance.

Le nouvel examen par ledit conseil n'implique pas l'octroi par celui-ci d'une nouvelle autorisation, mais la simple indication qu'il maintient ou non celle donnée auparavant, après s'être assuré que les conventions demeurent conformes aux critères précédents sur lesquels il s'était fondé pour donner son accord. De deux choses, l'une : soit cet organe considère que la convention ne mérite pas d'être maintenue, auquel cas, il va demander aux dirigeants sociaux d'y mettre un terme, encore faut-il que le coût entraîné par la résiliation n'excède pas les avantages entrevus ; soit le conseil estime ne pas devoir donner une autorisation formelle, auquel cas il n'est pas obligé de motiver à nouveau sa décision.

Le défaut d'examen ne se traduit pas par l'annulation de la convention, car seules s'exposent à la nullité les conventions non autorisées préalablement qui ont eu des conséquences préjudiciables à la société (16).

Le texte prévoit une disposition transitoire afin de permettre au conseil d'administration ou de surveillance de décider que les conventions qui ont été autorisées mais qui, après l'entrée en vigueur de l'ordonnance, n'ont plus à l'être, plus précisément les conventions avec les filiales à 100 %, ne donneront pas lieu à un réexamen annuel. En d'autres termes, lesdits conseils peuvent décider de ne pas appliquer les nouvelles dispositions aux conventions autorisées avant le 2 août 2014 entrant dans le domaine d'application de l'exclusion désormais applicables aux conventions passées avec une filiale détenue à 100 % (17).

L'obligation d'information des actionnaires à propos de certaines conventions. Le rapport de gestion du conseil d'administration ou du directoire doit à présent faire état de certaines conventions qui, bien que ne rentrant pas dans le domaine d'application des conventions réglementées, peuvent révéler des enjeux significatifs pour la société mère, la filiale concernée et leurs actionnaires. Ces conventions qui doivent y figurer sont celles intervenues directement ou par personne interposée, entre :
- d'une part, selon le cas, l'un des membres du directoire ou du conseil de surveillance, le directeur général, l'un des directeurs généraux délégués, l'un des administrateurs ou l'un des actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 %, d'une SA ;
- d'autre part, une société dont cette SA possède, directement ou indirectement, plus de la moitié de son capital.

Autrement dit, les conventions concernées sont celles passées entre certains mandataires sociaux ou actionnaires significatifs d'une SA et une filiale de celle-ci. Dans une perspective de simplification, elles ne répondent pas à l'obligation d'être inscrites dans le rapport de gestion, quand elles portent sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales (18), à l'instar des conventions "libres" conclues avec la société (19) ; d'où la transposition des solutions relatives à ces dernières.

Jusqu'à présent, les actionnaires concernés n'avaient pas connaissance de ces conventions et, par conséquent, ne disposaient d'aucune possibilité de les contrôler.

Le bilan provisoire et succinct de la réforme. Reste à savoir si les objectifs affichés de simplification et de sécurisation de la réforme sont atteints.

La simplification consiste, entre autres, à clarifier le régime des conventions réglementées qui se caractérise non seulement par sa complexité, mais encore par sa disparité. En effet, divers régimes coexistent au gré de la nature des structures sociétaires existantes. Il conviendrait donc d'unifier les règles existantes, quelle que fût la société considérée : SARL, SA ou SAS. A cet égard, la réforme a de toute évidence manqué sa "cible". Elle s'est contentée de corriger quelques travers, certes les plus importants, mais du seul régime des conventions réglementées dans les SA. Le mécanisme en vigueur dans les autres formes sociales a été passé sous silence.

S'agissant de la sécurisation, deuxième impératif poursuivi par la réforme relative aux conventions réglementées, elle suppose que les concepts utilisés soient clairs et explicites. Or des doutes peuvent provenir de l'imprécision de concepts tels que celui d'intérêt indirect à une convention ou de convention portant sur une opération courante, en particulier quand les irrégularités en la matière sont sanctionnées par la nullité (20). A ce sujet, l'objectif de sécurisation de l'ordonnance ne semble pas non plus pleinement atteint.


(1) C. com., art. L. 225-38 (N° Lexbase : L8876I37) à L. 225-43 et R. 225-30 (N° Lexbase : L0165HZ7) à R. 225-32, SA moniste avec directeur général et conseil d'administration ; C. com., art. L. 225-86 (N° Lexbase : L8878I39) à L. 225-91 et R. 225-57 (N° Lexbase : L0192HZ7) à R. 225-59 et R. 225-60-1 (N° Lexbase : L9253IEG), SA dualiste avec directoire et conseil de surveillance.
(2) A. Couret, La prévention des conflits d'intérêts : nouveau régime des conventions, RJDA, 4/2002, p. 290 ; D. Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004.
(3) D. Schmidt, op. cit., p. 224.
(4) Rapport commun AFPE, ANSA, MEDEF, Pour un droit moderne des sociétés, octobre 2003.
(5) Cf. site internet de l'IFA.
(6) Rapport final sur les assemblées générales d'actionnaires de sociétés cotées, AMF, 2 juillet 2012 ; D. Schmidt, Conventions réglementées : commentaire du rapport du groupe de travail de l'AMF sur les assemblées générales d'actionnaires de sociétés cotées, Rev. sociétés, 2012, p. 139.
(7) D. Schmidt, Des conventions réglementées à la publication des transactions entre parties liées in Liber amicorum Ph. Merle, p. 647, Dalloz, 2013 ; A. Couret, Much ado about nothing (or no much), Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 609 ; B. Dondero, Conflits d'intérêts : les réformes attendues en matière de conventions conclues dans le cadre d'un groupe, Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 843.
(8) Loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises art. 3, I, et 22, III, JO du 3 janvier 2014, p. 50 ; BRDA, 2/2014, n° 25.
(9) JO du 2 août 2014.
(10) C. com., art. L. 226-10, nouv. (N° Lexbase : L6151AIN).
(11) C. com., art. L. 225-39, nouv. (N° Lexbase : L8877I38) et L. 225-87, nouv. (N° Lexbase : L8879I3A).
(12) Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, art. 5 et 8 ; C. com., art. L. 225-38, nouv. (N° Lexbase : L8876I37) et L. 225-86, nouv. (N° Lexbase : L8878I39).
(13) AMF, recommandation 2012-05 du 2 juillet 2012, proposition n° 24 (N° Lexbase : L5704ITG).
(14) C. com., art. L. 225-41, al. 2 (N° Lexbase : L5912AIS), L. 225-42, al. 1er (N° Lexbase : L5913AIT), L. 225-89, al. 2 (N° Lexbase : L5960AIL) et L. 225-90, al. 1er (N° Lexbase : L5961AIM)
(15) Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, art. 7 et 10 ; C. com., art. L. 225-40-1, nouv. (N° Lexbase : L8863I3N) et L. 225-88-1, nouv (N° Lexbase : L8864I3P).
(16) C. com., art. L. 225-42, al. 1er (N° Lexbase : L5913AIT) et L. 225-90, al. 1er (N° Lexbase : L5961AIM).
(17) Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, art. 38, I et L. 225-90, al. 1er.
(18) Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, art. 11 ; C. com., art. L. 225-102-1, nouv (N° Lexbase : L8880I3B).
(19) C. com., art. L. 225-39 et L. 225-87.
(20) C. com., art. L. 225-42, al. 1er.

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Taxes diverses et taxes parafiscales

[Brèves] Censure de la taxe sur les boissons énergisantes par le Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-417 QPC, du 19 septembre 2014 (N° Lexbase : A6205MWQ)

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N3762BUU

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Le 30 Septembre 2014

Le Conseil constitutionnel a censuré la taxe sur les boissons énergisantes, jugeant qu'elle ne touchait que les boissons "dites énergisantes" et non d'autres boissons disposant d'un même taux de caféine (Cons. const., décision n° 2014-417 QPC, du 19 septembre 2014 N° Lexbase : A6205MWQ). Les boissons ayant une teneur en caféine supérieure à 220 milligrammes pour 1 000 millilitres, dès lors qu'elles n'étaient pas des boissons "dites énergisantes", étaient exclue du champ d'application de la contribution figurant à l'article 1613 bis A du CGI (N° Lexbase : L4015I34). Le Conseil a retenu que la différence ainsi instituée entre les boissons destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu'elles sont ou non qualifiées de boissons "dites énergisantes" entraîne une différence de traitement qui est sans rapport avec l'objet de l'imposition et contraire au principe d'égalité devant l'impôt. Les mots "dites énergisantes" de l'article 1613 bis A, doivent être déclarés contraires à la Constitution. Dans une décision du 13 décembre 2012 (Cons. const., décision n° 2012-659 DC N° Lexbase : A8300IY3), le Conseil constitutionnel avait déjà examiné les dispositions de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 (loi n° 2012-1404, du 17 décembre 2012 N° Lexbase : L6715IUA) qui, à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, créaient une contribution sur les boissons contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine ou de 300 milligrammes de taurine pour 1 000 millilitres conditionnées pour la vente au détail et destinées à la consommation humaine, au taux de 50 euros par hectolitre et dont sont redevables les fabricants de ces boissons établis en France ou leurs importateurs. Elle avait jugé qu'en taxant des boissons ne contenant pas d'alcool à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, le législateur avait établi une imposition qui n'était pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 (loi n° 2013-1203, du 23 décembre 2013 N° Lexbase : L6939IYN) a donc instauré une contribution de 100 euros par hectolitre portant sur les mêmes types de boissons, mais ceci dans un autre objectif, celui de prévenir les effets indésirables sur la santé de boissons ayant une teneur élevée en caféine. Cette fois-ci, le Conseil a décidé que la différence instituée entre les boissons selon leur teneur en caféine est en rapport direct avec l'objectif de protection de la santé publique poursuivi. Enfin, elle a également admit que ce niveau d'imposition (le double de celui prévu par la précédente loi de financement de la sécurité sociale) ne revêt pas un caractère confiscatoire .

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