La lettre juridique n°581 du 4 septembre 2014

La lettre juridique - Édition n°581

Éditorial

Egalité hommes-femmes : "la rose et le glaive"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 04 Septembre 2014


Les vacances estivales sont souvent l'occasion d'une pause salutaire des esprits en surchauffe -législative et réglementaire pour les juristes-, d'un retour aux sources, voire d'une régression pour ceux au bord du burn out, pas mécontents d'oublier leurs responsabilités au bureau. C'est le temps aussi de parfaire ses Humanités -comme qui disait-, de s'adonner à des lectures plus plaisantes que de sempiternelles lois, doctrines et autres avatars éditoriaux juridiques, comme une bonne vieille bande dessinée quelque peu défraîchie par les années, par exemple.

Me voilà donc affalé dans un canapé en vieux cuir de l'âge canonique de ces albums d'Astérix qui se présentaient devant moi. Après un éditorial sur les vessies, les lanternes, l'illusion et la manipulation documentaire, Le devin me paraissait des plus opportuns pour entamer ma quête de la quiétude. A priori, pas de raison d'être happé par l'actualité juridique estivale, souvent riche de la précipitation avec laquelle nos Parlementaires souhaitent clore nombre de débats, avides de faire un break, il est vrai de plus en plus raccourci par des sessions qui n'ont plus d'extraordinaires que le nom. Bref, tout se passe pour le mieux : je retrouve le trait réaliste d'Uderzo et les bons mots des bulles du conteur Goscinny, quand, "patatras" -le droit se nichant en tout et partout-, je vois pour la première fois, dans la série, les femmes boire de la fameuse potion magique qui rendait les hommes du village si "supérieurs". On est en 1972, juste après la libéralisation de mai 68, et 10 ans après ses premiers pas, l'égalité homme-femme faisait son entrée dans Astérix, au même titre que l'ensemble des autres libertés fondamentales qui jalonneront la série : d'aucuns n'estiment-ils pas que "La France des Lumières est tout entière dans Astérix" comme l'écrivit Nicolas Rouvière, Maître de conférences en littérature française et didactique de la littérature (PUF, 2006). Certes, les hommes, à l'image d'Ordralfabetix, s'offusquent d'une telle égalité, maugréant clairement être "contre l'égalité de la femme et de l'homme" ; mais Bonemine cloue aussitôt le bec du poissonnier en l'envoyant au tapis d'une seule baffe. La méthode est expéditive, mais le ton est trouvé et le message passe bien : désormais la place des femmes dans le village ira croissante jusqu'à l'apogée féministe dans La rose et le glaive, en 1991, album dans lequel les femmes prennent le savoir et le pouvoir, dans lequel les hommes quittent le village et les centuries romaines sont, elles-mêmes, des cohortes féminines. La fin de l'album apparaît, de prime abord, quelque peu misogyne puisqu'Astérix comprenant que les légionnaires sont des femmes, les détourne de leur mission première en les incitant à faire du... shopping ! Le cliché peut paraître ainsi grossier, alors qu'en fait il met en exergue une différence fondamentale du comportement et par induction du statut de la femme antique, entre Gauloises libérées et Romaines soumises.

La prédominance de la culture romaine, par l'intermédiaire de César lui-même et de sa Guerre des Gaules, a longtemps présenté les celtes au mieux comme un peuple rustre mais valeureux, le plus souvent comme des barbares. Même en rappelant que les Gaulois avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes, comme à Rome du reste, souhaitant ainsi relativiser le progrès social que pourrait traduire une prétendue égalité homme-femme en Gaule, l'Imperator est obligé de reconnaître que les Gauloises ont un vrai statut indépendant, une véritable reconnaissance sociale et politique, alors que les Romaines sont proprement inféodées à leurs pères puis maris. La Gauloise dispose ainsi d'une certaine indépendance financière et assume une part de son destin à la mort de son mari. Sa place n'est pas exclusivement domestique, mais aussi économique, dirigeant elles-mêmes des exploitations de centaines d'hectares et des dizaines d'ouvriers, quand elles ne prenaient tout simplement pas le pouvoir vacant au sein du clan. Les normes régissant les dots, "contre-dots", fruits et rapports étaient d'une complexité telle au service de l'égalité patrimoniale entre maris et femmes ; l'idée d'une captation éhontée par l'homme étant exclue. Et que dire de la liberté retrouvée de la Gauloise veuve, en capacité de se remarier... si elle le souhaite. Du côté transalpin ? Une dépendance morale et financière totale régissant les rapports hommes-femmes.

En relisant Astérix, sous le prisme de cette égalité, on perçoit, dès lors, toute la richesse des planches d'Uderzo et le talent mythologue de Goscinny. Que penser du couple d'Agecanonix, par exemple ? Un vieux monsieur marié à une fabuleuse jeune femme : cliché sexiste absolu, s'il en est ? Ou plus subtilement le choix réfléchi de cette femme, sans nom -comme pour se confondre avec l'identité de toute les femmes-, qui porte la culotte et qui clairement ne désire pas d'enfant ? Tout l'esprit avant-gardiste des Gaulois, et plus singulièrement la liberté des femmes à disposer de leurs corps ici, sont finement repris au sein de la série.

Alors pourquoi, 2 000 ans plus tard, la nécessité d'une nouvelle loi "égalité hommes-femmes", en date -et c'est tout un symbole- du 4 août 2014 ? Sans doute parce que l'humour et la bande dessinée ne suffisent malheureusement pas à changer les moeurs et que l'évolution des mentalités a besoin d'un nouveau coup de pouce législatif pour promouvoir une égalité plus réelle que de principe. On peut demeurer dubitatif sur l'efficience du partage commun du congé parental ; on peut regretter que le mécanisme de garantie contre les impayés de pensions alimentaires ne soit qu'une expérimentation ; on peut se féliciter, tout en trouvant navrant, de devoir améliorer encore la prise en charge des femmes victimes de violences ; on peut applaudir au renforcement de la parité aux élections législatives et à la généralisation de la parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives, encore que le problème soit d'abord d'ordre social ; on peut appeler de ses voeux la correction des discriminations indirectes dans les branches collectives et la simplification des différentes obligations de négocier en matière d'égalité professionnelle ; on restera prudent sur le renforcement des sanctions en cas de discrimination, le harcèlement moral devenant la "tarte à la crème" de l'annulation de toute procédure de rupture salariale. Les stéréotypes sexistes -encore qu'il ne soit pas certain qu'ils soient perçus comme tels par les principales intéressées, comme l'usage du nom marital par exemple- seront plus difficiles à combattre mais l'ensemble des dispositions va assurément dans le bon sens.

Mais plus fondamentalement, le combat mené depuis la Libération et le droit de vote des femmes il y 70 ans, c'est la déromanisation de la société française. Le mythe gallo-romain a fait croire à un syncrétisme des cultures romaines et celtes quand le droit romain et le droit germanique constituaient en fait le coeur de notre identité juridique. Or, ces deux cultures se méfiaient des femmes -méfiance sur laquelle le christianisme "surfera"- au point de leur dénier tout statut à part entière et encore moins une égalité sociale avec l'homme-. La raison profonde d'une telle prédominance de l'homme : la masculinité du dieu créateur et omnipuissant ; quand ce principe divin supérieur était, chez les Gaulois, féminin. La République, représentée par Marianne, mettra du temps pour détricoter les mailles romaines d'une prédominance masculine, mais le principe supérieur féminin, tout symbolique qu'il soit, désormais acquis, l'égalité hommes-femmes sera au coin de la rue.

Les aventures d'"Astérix, le Gaulois" doivent être lues et relues par nos petites têtes blondes et brunes, comme vecteur d'acculturation des droits fondamentaux pour que l'obscurantisme des camps de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum demeure bien à distance. Et, le ministre -je m'accroche tout de même au neutre latin de la fonction, il y a des combats perdus d'avance- des droits des femmes, ayant hérité du maroquin de l'Education nationale devrait prendre soin de ne pas railler la tant décriée formule éducative de la IIIème république, République archétype de l'ascension sociale : "Nos ancêtres les Gaulois". Car, dans la France multiculturelle et multicultuelle d'aujourd'hui, il serait heureux que ses habitants s'estiment plus volontiers héritiers de ces Gaulois qui, en matière de droits fondamentaux et politiques, et d'égalité hommes-femmes en particulier, avaient à en montrer aux chantres des Humanités gréco-romaines.

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Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Produits financiers perçus par les Caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats : un petit pas pour le régime fiscal des OSBL, mais un grand pas pour les CARPA (1)

Réf. : CE Contentieux, 4 juillet 2014, n° 361316, Publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3121MU7)

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par Gilles-Robert Lopez, Ancien Bâtonnier, Président de la CARPA Rhône-Alpes et Gilles Vidal, Avocat au barreau de Lyon, Droit fiscal - IACF

Le 04 Septembre 2014

Par une décision topique concernant la CARPA (2) Lyon-Ardèche (devenue Carpa Rhône-Alpes), le Conseil d'Etat a jugé (3), dans un syllogisme administrativiste exemplaire, qu'un OSBL (4) réalisant des opérations non lucratives et indissociables de l'accomplissement de ses buts statutaires est fondé à ne pas acquitter l'impôt sur les sociétés, ni au taux de l'impôt de droit commun des entreprises du secteur lucratif, ni au taux réduit spécialement applicable aux revenus patrimoniaux des OSBL. Cet arrêt règle, en faveur du contribuable, le principe d'un contentieux fiscal vieux de plus de sept années, qui a fait l'objet successivement de trois décisions contradictoires :
- une décision de rejet prononcée par l'Administration fiscale pour écarter la demande du contribuable ;
- un jugement du tribunal administratif de Lyon (5), infirmant la thèse de l'Administration ;
- un arrêt en sens contraire de la cour administrative d'appel de Lyon (6), faisant droit au pourvoi présenté par le ministre, contre la décision des premiers juges.
Mais l'intérêt de cet arrêt va bien au-delà du simple règlement d'un litige fiscal. Il réside notamment dans le fait que la décision a été rendue par quatre sous-sections spécialisées du Conseil d'Etat, réunies en Plénière du Contentieux fiscal et qu'elle peut être présentée comme l'aboutissement d'une jurisprudence relative à la définition de l'"indissociabilité" des opérations relevant d'un but non lucratif. Dans ce sens, cet arrêt peut être vu comme un petit pas pour le régime fiscal des OSBL et comme constituant un grand pas pour les CARPA. I - L'arrêt "CARPA Lyon-Ardèche" est un petit pas pour le régime fiscal des OSBL

A - L'état du droit positif antérieur à 1981

Comme chacun le sait, il n'a pas fallu attendre 2014 et l'arrêt de l'Assemblée plénière du Conseil d'Etat pour avoir une idée précise de la fiscalité applicable aux activités lucratives des OSBL, lorsque de telles activités sont exercées à la fois dans un but désintéressé et dans le cadre d'une activité indissociable des autres moyens mis en oeuvre par l'OSBL pour remplir son objet de caractère non-lucratif.

En effet, la doctrine administrative s'y est employée d'abord dans une instruction du 27 mai 1977 (Droit fiscal, 1977, n° 25, I, D. 5417), qui indiquait que peuvent échapper à l'impôt sur les sociétés, à taux plein, mais aussi à taux réduit de l'article 206-5 du CGI (N° Lexbase : L0111IKC), les OSBL qui, bien que ne poursuivant pas un but lucratif, effectuent des opérations lucratives lorsque cette activité est exercée de façon tout à fait désintéressée.

Cette analyse a été confirmée dans son principe en 1981, par voie de réponse ministérielle, au sujet d'un OSBL, qui gérait un centre d'aide par le travail, et utilisait une ferme prise en location pour rééduquer professionnellement des travailleurs handicapés dont elle avait la charge.

Le ministre (7) a, en effet, admis, d'une part, que l'exploitation directe d'un domaine agricole pouvait concourir directement à la réalisation même de l'objet désintéressé en vue desquels de tels organismes ont été constitués et être, de ce fait, indissociable des autres moyens qu'ils mettent en oeuvre pour remplir leur objet propre, et, considéré, d'autre part, que de tels centres pouvaient échapper à l'imposition à taux réduit, sous réserve que la situation de fait confirme cette analyse que l'exploitation agricole ne soit pas regardée comme distincte et que ses résultats ne soient pas considérés comme des produits de placement pour l'application de l'article 206-5 du CGI.

Cette doctrine administrative est conforme à la décision du Conseil d'Etat du 22 octobre 1980 (8) concernant précisément un OSBL gérant un centre d'aide par le travail.

La Haute juridiction a considéré, en effet, que l'exploitation agricole était indissociable des autres moyens mis en oeuvre par l'association pour remplir son objet de caractère non lucratif et que l'association ne pouvait être imposée à raison des résultats de cette exploitation agricole.

Les termes de cette solution plus que trentenaire, pour ne pas dire historique, valent d'être cités.

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'association requérante est un organisme à but non lucratif qui gère un centre d'aide par le travail ; qu'elle utilise la ferme qu'elle loue à N.... pour assurer la rééducation professionnelle de travailleurs handicapés dont elle a la charge ; que le prix de journée qu'elle reçoit du service de l'aide sociale tient compte des produits de cette ferme ; que, dans ces conditions, l'exploitation agricole, concourant directement à l'exécution même de l'activité à but non lucratif de l'association, est indissociable des autres moyens que l'association requérante met en oeuvre pour remplir son objet propre, de caractère non lucratif, et ne peut pas être regardée comme une exploitation agricole distincte, dont les résultats doivent être assujettis à l'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions précitées de l'article 206-5 ; que, par suite, l'association requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de ... a rejeté celles des conclusions de sa demande en décharge des impositions à l'impôt sur les sociétés établies au titre des années 1971 et 1972 [...]".

A l'époque, la portée de l'arrêt n'avait pas échappé au chroniqueur de la RJF qui la commentait dans les termes suivants.

"Dans l'espèce ci-dessus [...] l'exploitation agricole n'avait pas pour objet de fournir à l'association des revenus qu'elle aurait utilisés aux fins qui sont les siennes, mais de procurer aux personnes handicapées accueillies par l'association à l'occasion de participer à des travaux agricoles et d'acquérir ainsi la formation professionnelle, objet même poursuivi par l'association".

Assurément, le Conseil d'Etat n'a pas posé un critère conjoncturel, mais, au contraire, un critère organique.

Le critère organique de la réalisation de l'objet même de l'OSBL, au-delà de son mode de financement.

La doctrine administrative et la jurisprudence du Conseil d'Etat ne semblaient pas diverger et l'arrêt poser une véritable clef de voûte du système de la fiscalité des OSBL.

Reste à expliquer comment la jurisprudence postérieure et même la doctrine (9) sont venues perturber un dispositif qui paraissait solidement établi.

B - La jurisprudence postérieure à 1981 : de l'arrêt "Association Saint Anne" (10) à la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 24 mai 2012 (11) en passant par la jurisprudence relative aux Comités interprofessionnels du logement, dits CIL

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 24 mai 2012 a donné l'occasion à ceux qui s'y sont intéressés (12) de faire le point sur l'état de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Il n'est pas question ici de paraphraser les commentateurs, mais seulement de faire le rappel des solutions qui ont retenu leur attention, en procédant à un classement thématique.

1 - L'arrêt "Association Saint Anne" du 24 février 1986 : l'IS à taux réduit et les revenus fonciers

Cet arrêt revêt une importance particulière, moins par les solutions classiques qu'il contient, eu égard à la jurisprudence et à la doctrine administrative précitées, que par les qualités de clarté et de pédagogie des conclusions du Président Fouquet, alors Commissaire du Gouvernement.

  • Cet arrêt est rapporté comme suit à la RJF (citation)

"1° La location d'immeubles par une association dont l'objet est social et l'activité sans but lucratif, à d'autres associations dont l'objet, également social, et l'activité sans but lucratif complètent les siens, s'intègre à son activité désintéressée dès lors qu'en consentant des loyers d'un montant très inférieur à la valeur locative des immeubles, l'association bailleresse entend permettre aux associations locataires de poursuivre leur activité désintéressée. L'association n'est pas imposable à raison des loyers ainsi perçus.

2° La location par l'association d'un immeuble, moyennant un loyer normal, à une autre association, ne s'intègre pas, en revanche, à son activité désintéressée, alors même qu'elle a consenti un abandon partiel du loyer, dès lors que cet abandon n'était pas nécessaire pour permettre à l'association locataire de poursuivre son activité. L'association est imposable à l'impôt sur les sociétés au taux de 24 % sur le loyer stipulé même s'il n'a été que partiellement perçu".

  • Les conclusions du Président Fouquet opéraient la distinction suivante (citation)

"Votre jurisprudence distingue trois cas correspondant aux trois secteurs possibles d'activités d'un organisme à but non lucratif :

1. Le premier secteur comprend les activités lucratives exercées par l'organisme parallèlement à ses activités désintéressées. Leur produit est imposable à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, en application de l'article 206-1 du CGI qui vise "toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou des opérations de caractère lucratif" (CE 26 juillet 1982, n° 22206 (13), RJF 10/82 p. 450 ; CE 14 décembre 1984, n° 41139 N° Lexbase : A7832ALN, RJF, 2/85 p. 119).

2. Le deuxième secteur comporte les activités patrimoniales qui, sans constituer le moyen de réaliser l'objet désintéressé de l'organisme, lui procurent des ressources. Ces ressources lorsqu'elles proviennent de la location d'immeubles, de l'exploitation de propriétés agricoles ou forestières et de revenus de capitaux mobiliers, sont passibles de l'impôt sur les sociétés au taux de 24 %, en application des articles 206-5 et 219 bis du CGI.

3. Le troisième secteur correspond aux activités qui concourent à l'exécution de l'objet non lucratif de l'organisme, et leur produit n'est pas imposable. Vous avez ainsi jugé que n'était pas imposable le bénéfice agricole produit par une exploitation appartenant à une association qui l'utilisait pour procurer aux personnes handicapées qu'elle accueillait, l'occasion de participer à des travaux agricoles et d'acquérir ainsi la formation professionnelle, que l'association avait pour objet de dispenser : CE 22 octobre 1980, n° 4906 (14), RJF 12/80 p. 515.1.22".

2 - La jurisprudence concernant les CIL : les produits financiers sont exonérés de l'impôt sur les sociétés à taux réduit -ISTR dans la suite du texte- ou non selon qu'ils résultent d'un emploi de fonds fidèle à leur affectation ou non

Dans un souci de clarté et seulement pour les besoins des développements qui suivent ont distinguera entre les CIL selon que les CIL fonctionnement dans le strict respect des conditions pour lesquels ils ont été constitués ou non : ceux qui fonctionnent dans le strict respect de celles-ci seront dit "CIL purs".

a) Lorsque le CIL est "pur" il est exonéré de l'ISTR sur les produits financiers générés par les prêts liés à la construction de logement

Le Conseil d'Etat a en effet jugé en 1988 (15) (16) que, si un CIL fonctionne conformément à la réglementation en vigueur, il n'est pas imposable à l'impôt sur les sociétés à raison des intérêts des prêts qu'il a accordés ou de ses excédents de gestion.

De même, il été jugé en 1990 (17) que les intérêts des avances consenties par un comité de coordination des organismes d'aide au logement à divers comité interprofessionnels du logement ou a des organismes de construction, dans la mesure où les avances consenties s'inscrivent dans le cadre de l'activité même de l'OSBL.

Les produits financiers correspondants sont la conséquence spontanée, naturelle et directe de l'activité de l'OSBL. Ils bénéficient pleinement de l'exonération.

b) Le CIL est imposable à l'ISTR sur les produits financiers générés par les prêts qui ne sont pas liés à la construction de logement, mais simplement placés dans l'attente de leur emploi dans la destination prévue

Le Conseil d'Etat a été amené à jugé que, si un CIL ne fonctionne pas conformément à la réglementation en vigueur, pour ne pas avoir accordé des prêts dans les conditions prévues par celle-ci, il est imposable à l'Impôt sur les sociétés.

Il en a été ainsi en 1993 (18) pour les produits des sommes en attente d'emploi qui ont fait l'objet de placement dans un établissement financier.

A ce stade, il apparaît très clairement que :
- la frontière entre revenus imposables et revenus non imposables ne tient pas à la nature de l'activité ;
- la frontière tient à l'existence du lien entre les revenus et la mission principale de l'OSBL, telle qu'elle fixée par la loi ou ses statuts, et plus encore à la force de ce lien ;
- le critère organique dégagé plus haut est la clef du dispositif d'exonération de l'ISTR.

Ce constat est corroboré par l'analyse des décisions relative à des OSBL autres que les CIL.

c) Les OSBL qui se sont pris à tort pour des "CIL purs" ne sont pas exonérés de l'ISTR

Cette rubrique fournit les plus nombreux exemples. On retiendra les trois suivants en raison de la diversité des statuts juridiques et des buts poursuivis par les OSBL concernés.

  • L'arrêt "Groupement national interprofessionnel des semences et plants"

Le Conseil d'Etat a considéré, en 1989 (19), à propos de ce groupement, que la circonstance que pour remplir sa mission non lucrative il était tenu de constituer des réserves financières ne permettait pas de regarder les produits financiers, qu'il tirait du placement de ces réserves, comme indissociables du but lucratif poursuivi.

  • L'arrêt "Office franco-québécois pour la jeunesse"

La cour administrative d'appel de Paris a jugé 1990 (20) que les revenus constitués par le placement des subventions reçues d'avance doivent être considérés comme des produit de placements de sommes en attente d'emploi, que de tels produits ne sont pas indissociables du but désintéressé poursuivi par l'office franco-québécois pour la jeunesse et que par suite, ces revenus sont imposables à l'IS au taux réduit (CGI, art. 206-5).

  • L'arrêt "Association oeuvres hospitalières de nuit"

Le Conseil d'Etat a refusé en 1993 (21) le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 25 septembre 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a jugé qu'une association à but non lucratif était imposable à l'impôt sur les sociétés au taux de 24 %, en application de l'article 206-5 du CGI, sur les produits retirés du placement des subventions d'équipement reçues et en attente d'emploi, dès lors que ces recettes lui avaient été procurées par une activité dissociable du but non lucratif qu'elle poursuivait par ailleurs.

A ce stade, on peut conclure avec le Professeur Martial Chadefaux (22) à la cohérence de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Cette affirmation se trouve corroborée par l'examen des deux décisions évoquées ci-après : elles sont sensiblement postérieures à celles examinées ci-dessus et donnent un éclairage particulier sur la notion d'indissociabilité des produits financiers des OSBL.

3 - Les deux exceptions appelées au soutien de l'exonération de l'ISTR au nom de l'universalité du caractère indissociable

a) L'exception relative aux Chambres de commerce et d'industrie

Il a été jugé en 2009 (23) qu'une chambre de commerce et d'industrie qui exerçait, comme le lui permettait la loi, une mission de collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction, a constitué en 1953, dans le cadre de cette activité, une société anonyme immobilière, qui avait pour objet la construction et la location de logements à des étudiants et a alors acquis des actions de cette société. Après avoir décidé en 1980 de ne plus assurer la gestion de la collecte de cette participation qu'elle a confiée à un comité interprofessionnel du logement en transférant à cet organisme le montant de l'actif net des participations antérieurement collectées mais sans apporter ces actions qu'elle a conservées dans son patrimoine, elle a, après avoir ultérieurement accru sa participation par le rachat d'actions auprès de petits porteurs, cédé en 1990 sa participation majoritaire dans le capital de la société.

Dans ce contexte, la détention des actions de la société entre 1953 et 1980 était indissociable de l'activité de collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction et relevait donc d'une gestion désintéressée de la chambre de commerce et d'industrie. En revanche, à partir de 1980, les actions de la société constituaient un élément d'actif susceptible de générer des profits imposables pour leur détenteur.

Cette décision doit être rapprochée de celle de 20 avril 1988, citée ci-dessus concernant l'organisation d'un Comité du logement par une Chambre de commerce, qui a jugé que les produits financiers réalisés ne constituaient pas des revenus imposables à l'impôt sur les sociétés à taux réduit.

Dans ce sens, la décision de 2009 constitue une référence très efficiente en tant qu'elle fait une application stricte et différenciée du critère organique dégagé plus haut.

b - L'exception relative au régime fiscal des produits financiers des entreprises nouvelles du secteur de la grande distribution

S'agissant de l'application de l'article 44 sexies du CGI (N° Lexbase : L1678IZ8), relatif aux entreprises nouvelles (24), il a été considéré en 1998 (25) que les bénéfices provenant pour partie d'activités financières peuvent relever du régime d'exonération dans la mesure où le montant de ces produits financiers n'excède pas les besoins de la gestion de la trésorerie nécessaire à l'exercice de l'activité exonérée.

Dans sa note précitée à la revue Droit fiscal de mars 2013, le Professeur Martial Chadefaux (26) a fait observer que "la jurisprudence rendue en la matière, considère que la réalisation de placements financiers n'est pas de nature à empêcher l'application du régime d'exonération dans la mesure où elle constitue le complément indissociable de l'activité principale éligible".

Il continuait ainsi :

"Dès lors, pourquoi ne pas s'interroger sur une transposition éventuelle de la théorie du complément indissociable aux revenus de placements retirés des excédents de trésorerie de OSBL s'il peut être établi que le placement financier est le complément indissociable de l'activité désintéressé de l'association ?".

Cette exception ne nous paraît pas efficiente en tant qu'elle se rapporte à une entité autre qu'un OSBL, d'une part, et que, d'autre part, elle ne fait pas application du critère organique dégagé plus haut ; elle paraît plutôt se rattacher à un critère strictement conjoncturel, fondé sur les besoins de la gestion de la trésorerie nécessaire à l'exercice de l'activité exonérée.

Au terme de cette revue du droit applicable aux revenus du patrimoine des OSBL on comprend parfaitement le sens de la décision de non-imposition résultant de l'arrêt commenté, tel que rappelé ci-dessus en tête des développements.

Tout naturellement, cela conduit à revenir aux CARPA et à rappeler à la fois quel est leur régime juridique et fiscal, de sa genèse aux péripéties de leur existence, et comment le critère organique, dégagé ci-dessus, a été mis en oeuvre dans le dossier de la CARPA Lyon-Ardèche.

II - L'arrêt "CARPA Rhône-Ardèche" est un grand pas pour le régime fiscal des CARPA

A - Rappel du régime des CARPA

1 - Régime juridique

a) Genèse et évolution législative et règlementaire des CARPA

L'histoire de la création des CARPA a été faite par le Bâtonnier Claude Lussan et reprise sur le site de l'UNCA sous le titre "La Carpa - Une oeuvre collective du Barreau" (27).

Les premières CARPA ont été créées en 1956.

Aux termes de l'article 237 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), la forme juridique qui a été retenue par le législateur est celle de l'association sans but lucratif de la loi de 1901.

Aux termes du même article, les CARPA sont placées sous la responsabilité du ou des barreaux qui les ont instituées.

Ce sont néanmoins des organismes juridiquement distincts de barreaux, dotés d'une personnalité morale distincte.

Les CARPA ne sont pas des banques, ni des établissements financiers (28).

Les CARPA sont investies de missions légales, touchant au fonctionnement du service de la Justice, en application des dispositions légales et règlementaires qui les ont instaurées et qui en ont réglé les modalités de constitution et de fonctionnement.

Ces missions sont les suivantes.

1. Mission de dépositaire des fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients

Les fonds concernés sont notamment, mais non exclusivement ceux par les avocats dans le cadre des affaires dont ils ont la charge, tels que le produit de la cession d'un fonds de commerce ou de parts sociales, les dommages et intérêts alloués à une partie par décision de justice ou encore le montant d'un accord transactionnel.

Aux termes du 9° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), les avocats sont tenus à l'obligation de déposer ces fonds "dans une caisse créée obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux", c'est-à-dire la CARPA.

Aux termes de l'article 235-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié, les avocats ne peuvent procéder aux règlements pécuniaires concernés que par l'intermédiaire de la CARPA.

A ce titre, ledit décret précise l'étendue des obligations des avocats et la mission des CARPA.

- Article 235-2 : "Les avocats ne peuvent procéder aux règlements pécuniaires mentionnés au 9° de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 [...] que par l'intermédiaire de la caisse prévue au même article. Il [leur] est interdit [...] de recevoir une procuration ayant pour objet de leur permettre de disposer de fonds déposés sur un compte ouvert au nom de leur client ou d'un tiers, autre que l'un des sous-comptes mentionnés à l'article 240-1".

- Article 240 : "Les fonds, effets ou valeurs mentionnés à l'article 53-9° de la loi du 31 décembre 1971 précitée, reçus par les avocats, sont déposés à un compte ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dans les écritures d'une banque ou de la caisse des dépôts et consignations".

- Article 240-1 : "les écritures afférentes à l'activité de chaque avocat sont retracées dans un compte individuel ouvert à son nom ;

Chaque compte individuel est lui-même divisé en autant de sous-comptes qu'il y a d'affaires traitées par l'avocat ;

Tout mouvement de fonds entre sous-compte est interdit....

Aucun sous-compte ne doit présenter de solde débiteur".

- Article 241 : "Aucun retrait de fonds du compte mentionné à l'article 240-1 ne peut intervenir sans un contrôle préalable de la caisse [...] effectué selon des modalités définies par l'arrêté mentionné à l'article 241-1".

Il en résulte explicitement que la mission première des CARPA est donc de sécuriser et de contrôler l'usage et la manipulation par les avocats des fonds qu'ils reçoivent de leurs clients.

Pour assurer la sécurité juridique et financière de l'institution, il est également instauré :

- une obligation de représentation des fonds placés - Article 4 de l'arrêté du 5 juillet 1996 modifié, les placements devant "répondre aux exigences de liquidité suffisante au regard des flux constatés et des échéances prévisibles" ;
- un organisme de contrôle des CARPA - Article 241-3 du décret, une commission "chargée de veiller au respect par les CARPA de l'ensemble des règles et obligations prévues", laquelle est dotée de pouvoirs importants l'autorisant à suspendre le fonctionnement de la caisse et à en organiser l'administration provisoire (art. 241-6).

2. Missions d'emploi des produits financiers tirés du placement des sommes déposées auprès des CARPA

Ces missions sont définies à l'article 235-I du décret précité, qui instaure une double affection obligatoire des produits financiers des fonds, effets ou valeurs concernés par la réglementation.

Ainsi, les produits financiers doivent-ils être "affectés exclusivement :
- au financement d'une part, des services d'intérêts collectifs de la profession et notamment des actions de formation, d'information et de prévoyance, ainsi qu'aux oeuvres sociales des barreaux ;
- à la couverture des dépenses de fonctionnement du service de l'aide juridictionnelle et ;
- au financement de l'aide juridictionnelle et au financement de l'accès au droit".

3. Mission de lutte contre le blanchiment

Selon les dispositions de l'article 17-13° de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée par l'ordonnance du 30 janvier 2009 (N° Lexbase : L6934ICS) : les conseils de l'Ordre ont pour mission "de vérifier le respect par les avocats de leurs obligations prévues par le chapitre 1er du titre VI du livre V du Code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de se faire communiquer, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, les documents relatifs au respect de ces obligations".

L'article 8 de l'arrêté du 5 juillet 1996 impose aux CARPA de contrôler les opérations réalisées par les avocats, en ce qui concerne la provenance des fonds crédités, l'identité du bénéficiaire des règlements, notamment la justification du lien entre les règlements pécuniaires des avocats et les actes juridiques ou judiciaires accomplis par ceux-ci dans le cadre de leur activité professionnelle.

L'importance du dispositif existant a été renforcée en 2014 (29) par la création de la Commission nationale de régulation des Caisses des règlements pécuniaires des avocats et notamment par la modification des pouvoirs de la Commission nationale de contrôle, chargée de veiller au bon fonctionnement des CARPA.

b) Eclairage apportés par deux décisions spécifiques relatives aux CARPA

  • L'arrêt du 17 mai 1999 (30) concernant le régime juridique des produits financiers des CARPA

Saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret du 5 juillet 1996 modifiant le décret du 27 novembre 1991, le Conseil d'Etat a été amené à préciser le régime juridique des intérêts résultant des placements de fonds gérés par les CARPA.

Dans ses conclusions, le Commissaire du Gouvernement François Lamy a précisé que, d'un point de vue civiliste, les intérêts appartiennent aux CARPA, par application de la théorie du "dépôt irrégulier", et considéré que les intérêts générés par de tels intérêts de placements "sont le produit d'une activité d'intérêt général pour l'exercice de laquelle le législateur a confié aux CARPA un monopole".

Ni l'arrêt, ni les conclusions précitées n'ont considéré qu'il y aurait lieu de distinguer, dans les missions dévolues aux CARPA, entre des activités relevant précisément de l'accomplissement de leurs missions et des activités distinctes de placement des fonds reçus.

  • L'arrêt de la Chambre criminelle du 23 mai 2013 (31) définissant la sanction applicable aux avocats en cas de manquement aux obligations de dépôt en CARPA des fonds reçus

Cet arrêt est rapporté à la revue Lexbase dans les termes suivants.

"La Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu'entre dans les prévisions de l'article 314-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7136ALU), et est donc constitutif d'un abus de confiance le fait, pour un avocat, de déposer les fonds reçus pour le compte de ses clients sur un compte autre que celui ouvert au nom de la CARPA, en violation de l'article 240 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, peu important qu'un accord existe ou non sur ce point avec l'auteur de la remise.

La Cour précise que, pour déclarer l'avocat coupable d'abus de confiance au préjudice de la CARPA, l'arrêt énonçait, à juste titre, que la prévenue, qui n'était pas propriétaire des fonds, qui ne lui avaient été remis qu'à charge pour elle de les verser au compte ouvert auprès de ladite caisse, les a détournés au préjudice de cette dernière et qu'il importe peu qu'elle ne les ait pas utilisés à son profit dès lors que les sommes ont généré, au seul bénéfice de sa société civile professionnelle, des produits financiers, qui n'ont pas été affectés à l'usage auxquels ils sont destinés, en application du décret précité. Les juges ajoutent que ces agissements résultent d'une volonté consciente de la prévenue, avocate d'expérience, qui ne pouvait ignorer la nature et l'étendue de ses obligations en matière de maniement de fonds".

2 - Définition administrative du régime fiscal

Le législateur n'a pas défini le régime fiscal applicable aux CARPA, ni en 1971, ni en 1991, ni en 1996.

C'est l'Administration centrale qui a défini le régime qui lui paraissait être applicable, par la note fiscale du 3 juillet 1981.

A la lumière de la jurisprudence rapportée ci-dessus, il apparaît sans conteste que cette note n'était pas conforme aux principes applicables aux OSBL et qu'elle ne pouvait pas s'imposer au juge fiscal.

a) Une note fiscale contraire à la doctrine administrative

Les éléments de cette note de service ne peuvent manquer d'être rappelés.

"Les Caisses de règlements pécuniaires des avocats, associations à but non lucratif régies par la loi de 1901, ont en règle générale considéré qu'elles entraient dans le champ d'application des articles 206-5 et 219 bis du CGI et elles ont acquitté à ce titre des cotisations calculées au taux de 24 % sur les produits qu'elles tirent de placements financiers, sauf en ce qui concerne les intérêts de bons de caisse pour lesquels elles ne supportent que la retenue à la source.

Or, l'application de ce régime d'imposition a donné lieu à certaines hésitations, les services ayant parfois estimé que ces organismes relevaient de l'article 206-1 du Code et devaient dès lors être assujettis à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun.

Après examen par l'Administration centrale des conditions de fonctionnement des CARPA, le caractère non lucratif a été reconnu à leurs activités de formation professionnelle et d'information des justiciables, ainsi qu'à leur action en vue de l'octroi d'allocations de bourses d'études aux avocats stagiaires et de secours exceptionnels aux anciens avocats.

Quant aux activités d'intérêt collectif facilitant l'exercice des missions des avocats, il a paru possible de les considérer comme n'étant pas de nature à remettre en cause le caractère non lucratif de l'activité des CARPA, à la triple condition que les ressources de ces dernières demeurent constituées pour leur quasi-totalité par les produits des placements financiers qu'elles effectuent, qu'elles ne perçoivent pas de leurs membres de cotisations autres que symboliques et, enfin, qu'elles ne leur fournissent pas, sauf de manière accessoire et à tarif réduit, des services rémunérés que des entreprises à caractère lucratif seraient également susceptibles de rendre.

En conséquence, sous réserve que ces conditions soient respectées, il conviendra de considérer que les CARPA doivent être assujetties à l'impôt sur les sociétés en application des articles 206-5 et 219 bis du CGI".

On n'imagine sans peine que, forte d'une telle instruction de service, l'Administration fiscale ne pouvait pas envisager de ne pas soumettre les produits financiers générés par les CARPA à l'ISTR.

Pour autant, cette note commise par l'Administration fiscale centrale faisait fi à la fois de sa propre doctrine, exprimée en 1977 et 1981, telle que rappelée ci-dessus, et du critère organique dégagé et précisé par le Conseil d'Etat à compter de 1980.

b) Une note administrative de service qui ne liait pas le juge fiscal

Par son jugement précité du 25 janvier 2011, le tribunal administratif de Lyon a su s'affranchir de cette note de service, pour revenir aux principes, en recherchant les éléments du critère organique, dans une analyse du régime juridique gouvernant la constitution et le rôle des CARPA.

La référence au critère organique dégagé plus haut résulte du rappel des textes, et spécialement dans la référence à l'article 235-I du décret 27 novembre 1991, dont il ressort que :
- le dépôt des fonds en carpa est obligatoire pour tout avocat qui reçoit des fonds ;
- les CARPA qui gèrent ses fonds perçoivent des produits financiers ;
- les produits financiers perçus par les CARPA doivent être affectés à un usage défini par la loi.

Pour mesurer la portée de cette décision remarquable, on doit souligner qu'elle a été rendue dans un sens contraire aux conclusions du Rapporteur public (non publiées), et que lesdites conclusions ont pu être écartées parce qu'elles ne prenaient pas en compte la force du critère organique, comme cela résulte de la citation qui suit.

"Si la requérante tente de se placer dans la lignée de la jurisprudence du CIL, vous pourrez souligner que l'obligation faite à la CARPA d'utiliser les fonds exclusivement pour les missions d'intérêt général n'a pas pour effet de rendre indissociables les placements financiers qu'elle réalise du maniement et de la conservation des fonds collectifs provenant des séquestres amiables et judiciaires et des ventes immobilières, du contrôle de ces opérations, de l'organisation de tous les services destinés à faciliter l'exercice de la profession d'avocat ou de la gestion des besoins et intérêts généraux du public dans les domaines judiciaire et juridique.

Les produits financiers que la CARPA tire de ses placements procèdent certes d'une bonne gestion. Pour autant, comme le souligne à juste titre l'administration, la perception des revenus financiers n'a pas de lien direct et automatique avec l'organisation d'une caisse à la différence des revenus perçus à raison des prêts consentis par les CIL dont la réalisation découle directement de la réalisation de l'activité d'aide au financement du logement social assignée à ces organismes".

On peut également faire observer que le Rapporteur public devant la cour administrative d'appel de Lyon (conclusions publiées, références précitées) a conclu en 2012 dans le même sens que son collègue du tribunal administratif.

D'autre part, on doit faire observer que les premiers juges ont également mis en oeuvre, sans même l'évoquer, la décision spéciale précitée du Conseil d'Etat du 17 mai 1999 (32), décision qui valide rappelons-le, à la fois, l'attribution faite aux CARPA des produits financiers générés par elles, sur la base d'une analyse civiliste fondée sur le "dépôt irrégulier", et l'affectation obligatoire desdits fonds fixée par le pouvoir réglementaire.

Et ce, sans même connaître la décision précitée de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (33), qui condamne pour abus de confiance au détriment de la CARPA un avocat qui n'a pas cru devoir déposer en CARPA les fonds perçus par lui, pour le compte de ses clients, dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Dans ce contexte, on pourrait s'interroger, pour ne pas dire s'étonner, devant le constat que l'analyse des premiers juges n'ait pas été partagée par le ministre, qui a interjeté appel de la décision du tribunal administratif de Lyon, et par les juges du second degré qui ont fait droit à cet appel.

Une telle interrogation paraît aujourd'hui sans objet puisque la décision de la cour administrative d'appel a été cassée et annulée pour erreur de droit.

Dans ce sens, pour reprendre la formule du Bâtonnier Bernard Vatier, ancien président de l'UNCA, l'arrêt commenté doit être présenté, après les arrêts précités des 17 mai 1999 et celui du 23 mai 2013, comme le troisième pilier du système carpalien.

B - L'arrêt fondateur du régime fiscal des CARPA

1 - Considérations générales

Les éléments de la cause ont été déjà détaillés dans la présente publication, comme cela a été rappelé dans une note en renvoi (34).

Ils ne seront donc pas repris dans les développements qui suivent.

L'arrêt topique a été rendu en Plénière du contentieux fiscal, par quatre sous-sections spécialisées du Conseil d'Etat.

Il s'agit d'un fait assez rare pour être signalé et qui donne l'importance de la portée de l'arrêt.

L'arrêt procède d'un syllogisme administrativiste implacable qui vaut d'être rapporté intégralement.

  • Majeure : la loi fiscale

"Considérant qu'il résulte de ces dispositions que doivent être compris dans les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au taux réduit les revenus de capitaux mobiliers dont une association dispose, notamment les produits des placements en attente d'emploi, alors même que l'association n'en aurait la disposition qu'à titre de dépositaire ; que doivent, en revanche, être exceptées de ces bases celles des recettes de l'association qui lui ont été procurées par une activité indissociable du but non lucratif poursuivi par elle et dont la perception découle, non de la mise en valeur d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social"

  • Mineure : les faits

"Considérant qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que la création des CARPA a été rendue obligatoire avec pour objet de recevoir, de conserver et de manier les fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients avant qu'ils ne soient reversés à leurs bénéficiaires et, d'autre part, que le financement des missions d'intérêt collectif de la profession et des missions d'intérêt général prévues par l'article 235-1 du décret du 27 novembre 1991 entre dans l'objet assigné aux CARPA ; qu'en conséquence, les produits financiers qu'elles perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation de ces fonds ne procèdent pas d'une activité de gestion patrimoniale mais sont inhérents à la réalisation même de leur objet social, tel qu'il est défini par les textes qui les régissent".

  • Décision : erreur de droit

"Considérant qu'après avoir relevé que la CARPA Lyon-Ardèche pouvait procéder au placement des fonds qui lui étaient confiés par les avocats pour le compte de leurs clients, la cour a jugé que les produits ainsi obtenus rentraient, comme les produits de placement de fonds propres, dans le champ d'application du 5 de l'article 206 du Code général des impôts dès lors qu'ils découlaient d'une activité complémentaire de placement des fonds ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la perception de ces sommes découlait de la réalisation même de la mission désintéressée assignée à la CARPA par les dispositions mentionnées au point 5, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, la CARPA Rhône-Alpes est fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt qu'elle attaque".

2 - Premiers commentaires

Les premiers commentaires ont résumé et présenté l'arrêt dans les termes suivants (35) :

"En l'espèce, une CARPA a été imposée, sur les revenus qu'elle a déclarés, issus de placements de fonds, à l'impôt sur les sociétés au taux réduit de 10 % (CGI, art. 219 bis), ce qu'elle conteste. Le juge, se fondant sur les articles 206 et 219 bis du CGI, indique que doivent être compris dans les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au taux réduit les revenus de capitaux mobiliers dont une association dispose, notamment les produits des placements en attente d'emploi, alors même que l'association n'en aurait la disposition qu'à titre de dépositaire. En revanche, sont exclus de l'assiette du taux réduit, les revenus procurés à l'association par une activité indissociable du but non lucratif qu'elle poursuit et dont la perception découle de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social, et non de la mise en valeur d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles.

La Haute juridiction rappelle que la création des CARPA a été rendue obligatoire avec pour objet de recevoir, de conserver et de manier les fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients, avant qu'ils ne soient reversés à leurs bénéficiaires. Le financement des missions d'intérêt collectif de la profession et des missions d'intérêt général entre dans l'objet assigné aux CARPA. Le Haut Conseil en déduit que les produits financiers perçus par les CARPA, dans le cadre de leur mission de conservation des fonds, ne procèdent pas d'une activité de gestion patrimoniale, mais sont inhérents à la réalisation même de leur objet social. Dès lors, les produits financiers issus de la gestion des fonds déposés au sein de la CARPA ne sont pas imposables".

Il n'est pas question ici de voir sanctionner une quelconque prétendue rente (36). Bien au contraire, il s'agit plutôt de consolider un dispositif juridique et fiscal, légal ou jurisprudentiel, comme cela résulte des éléments apportés par l'étude de la jurisprudence antérieure et de la genèse du système carpalien.

3 - Considérations particulières

Parvenant au terme de cette note, on ne peut pas manquer de tenter de préciser les éléments qui paraissent de nature à avoir déterminé la Haute juridiction à annuler la décision d'appel.

1) Les CARPA ont été fondées pour assurer des missions légales dans un système non subventionné

Il en résulte que les CARPA doivent trouver, dans leur existence même et dans l'accomplissement de leur objet, les moyens des missions légales qui leur sont dévolues, comme cela a été rappelé ci-dessus.

Le législateur de 1996 a décidé de l'affectation obligatoire des produits financiers qu'elles peuvent générer par leurs placements et le juge de 1999 a acté qu'elles sont propriétaires des produits financiers résultant des fonds placés.

Le juge fiscal n'a pas confondu le caractère financier des revenus des placements avec des revenus imposables par nature.

2) Le placement des fonds des CARPA participe de leur gestion désintéressée

Les CARPA ont été constituées sous la forme d'association de la loi de 1901, le dépôt des fonds en CARPA est obligatoire, à peine de sanction pénale pour l'avocat qui n'entendrait pas s'y soumettre, et les cotisations des avocats doivent être symboliques, comme cela avait été précisé par la note fiscale de 1981.

Les principes mêmes qui doivent gouverner les placements des CARPA ont été fixés par le pouvoir règlementaire (arrêté du 5 juillet 1996, art. 4 précité).

L'obligation de réinvestissement des intérêts perçus est commandée par l'affectation légale obligatoire desdits produits et l'absence de distribution de tout excédent d'exploitation n'est pas discutée.

Plus encore, dans deux domaines spécifiques des missions légales des CARPA, le législateur a instauré des dispositifs spécifiques, qui ne sont ne sont pas exclusifs du placement des dotations reçues, ni des contributions propres des CARPA.

  • Produits financiers des dotations de l'aide juridictionnelle

Suivant l'article 11 de l'annexe au décret n° 96-887 du 10 octobre 1996 (37) modifié relatif au financement de l'Aide juridictionnelle "Les produits financiers perçus par la CARPA pour les fonds reçus au titre de l'aide juridictionnelle et des autres aides à l'intervention de l'avocat sont exclusivement utilisés pour couvrir en tout ou partie les charges de gestion du service de l'aide juridictionnelle et des aides à l'intervention de l'avocat exposées par la CARPA ou l'Ordre et, le cas échéant, les charges exposées au titre de l'organisation de la défense, conformément au protocole conclu en application des articles 91 et 132-6 du décret du 19 décembre 1991 susvisé" ;

  • Contributions des CARPA au financement de l'accès au droit

Suivant l'article 68 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 (38) relative à l'aide juridique "Le financement de l'aide à l'accès au droit est notamment assuré par :
- les participations de l'Etat, du département et des autres membres du groupement d'intérêt public prévues par la convention constitutive dans les conditions de l'article 55 ;
- les contributions des caisses des règlements pécuniaires des barreaux du ressort ;
[...]".

C'est dire combien le législateur, qui, rappelons-le, n'a pas défini spécifiquement les ressources des CARPA, avait parfaitement connaissance de l'origine que ces ressources pouvaient avoir et de la capacité des CARPA, et des barreaux dont elles sont l'émanation, à les gérer.

3) La corrélation institutionnelle entre les produits financiers des CARPA et leur affectation exclusive aux missions légales dont celles-ci sont investies procède du rattachement à l'objet social

Depuis 1980, la force du rattachement nécessaire à l'objet social procède du critère organique dégagé ci-dessus.

Celui-ci ne s'embarrasse pas de la nature financière ou non de l'activité. Au contraire, il la transcende.

C'est la constante même de l'examen de la jurisprudence depuis l'arrêt de 1980 relatif à un centre d'aide par le travail, qui définissait les produits tirés de l'exploitation d'une ferme, non pas comme des revenus agricoles ou patrimoniaux, mais comme ceux "d'une exploitation agricole, concourant directement à l'exécution même de l'activité à but non lucratif de l'association, indissociable des autres moyens que l'association requérante met en oeuvre pour remplir son objet propre, de caractère non lucratif, et ne pouvant être regardée comme une exploitation agricole distincte, dont les résultats doivent être assujettis à l'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions précitées de l'article 206-5".

La solution retenue en 2014 par le Conseil d'Etat pour la CARPA Lyon-Ardèche n'en diffère pas : "les produits financiers qu'elles perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation de ces fonds ne procèdent pas d'une activité des gestion patrimoniale mais sont inhérents à la réalisation même de leur objet social, tel que définie par les textes qui les régissent" sauf en ce qu'elle se rapporte à des produits financiers et qu'elle fait référence à un objet social défini par des dispositions légales et règlementaires.

Ainsi, l'arrêt commenté est bien fondateur du régime fiscal des Carpa, en ce qu'il pose (enfin pourrait-on dire) les principes du régime fiscal applicable aux produits financiers qu'elles perçoivent.

La portée exacte de cet arrêt devrait encore être précisée à la lumière de l'application des principes qu'il fixe.

Il n'entre pas dans l'objet du présent commentaire d'anticiper sur ce point, fût-ce même seulement au titre d'une analyse prospective.

Tout au plus peut on souligner que le système carpalien est complexe, qu'il a fait l'objet d'un rapport d'enquête de la Cour des comptes, déposés depuis lors (39) et que, dans une conjoncture où les dépenses des missions légales augmentent constamment, quand les produits de placement subissent une lourde baisse conjoncturelle, la fiscalité apparaît désormais comme une nouvelle donne de l'équilibre financier des CARPA et de leur pérennité.


(1) Formule inspirée de la phrase prononcée le 21 juillet 1969 par l'astronaute Neil Armstrong, chef de la mission Apollo XI, à l'occasion des premiers pas de l'Homme sur la lune.
(2) Caisse autonome de règlements pécuniaires des avocats soit en termes abrégés CARPA, abréviation qui sera utilisée dans la suite du texte.
(3) Lire Lexbase Hebdo n° 579 du 17 juillet 2014 - édition fiscale (N° Lexbase : N3207BUC), Droit fiscal, n° 29, 17 juillet 2014, commentaire 395 ; Editions Francis Lefebvre, Actualité, 16 juillet 2014.
(4) Organismes sans but lucratif, soit en termes abrégés OSBL, abréviation qui sera utilisée dans la suite du texte.
(5) TA Lyon, 22 février 2011, req. n° 0802466 (décision classée C+), non reproduite.
(6) CAA Lyon, 24 mai 2012, 5ème ch., n° 11LY01141 (décision classée C+) (N° Lexbase : A8185INH) ; Droit fiscal, 7 mars 2013, n° 10, commentaire 186, avec conclusions P. Monnier et note M. Chadefaux ; RJF, 02/2013, n° 137.
(7) Rép. min., n° 36485, JO, Ass. nat., 9 mars 1981, p. 973 ; Droit fiscal, 20 avril 1981, n° 17, commentaire 906.
(8) CE, 7° et 8° s-s-r., 22 octobre 1980 , n° 4906 (N° Lexbase : A8120AIL), Droit fiscal, 26 janvier 1981, n° 5 commentaire 204 ; RJF, 11/1980, n° 946.
(9) B. Thévenet, Assujettissement à l'IS des revenus mobiliers tirés du placement des sommes déposées dans les caisses des CARPA : la sanction de la rente, Lexbase Hebdo n° 491 du 28 juin 2012 - édition fiscale (N° Lexbase : N2635BTR).
(10) CE 7° et 8° s-s-r., 24 février 1986, n° 54683 (N° Lexbase : A3833AMW), Droit fiscal, 1986, n° 22, comm.1065 ; RJF, 4/1986, n° 354, concl. O. Fouquet, p.200.
(11) Préc..
(12) Préc..
(13) Cas d'une congrégation exploitant une clinique dans des conditions qui la rendent passible de l'impôt sur les sociétés à ce titre : la cession d'un immeuble inscrit à l'actif au bilan de la clinique (ou la reprise de cet immeuble dans le patrimoine civil de la congrégation) dégage des plus ou moins-values imposables selon les prévisions de l'article 39 duodecies du CGI (N° Lexbase : L5787I3Q).
(14) Décision citée ci-dessus avec conclusions O. Fouquet.
(15) CE Section, 12 février 1988, n° 50368 (N° Lexbase : A6585APL), avec conclusions Th. Le Roy : RJF, 4/88 n° 409.
(16) CE, 20 avril 1988, n° 58323 (N° Lexbase : A6692APK), RJF, 6/88 n° 716 .Une chambre de commerce qui a créé un service dénommé "comité du logement" pour collecter le "0,77 % construction" n'a pas enfreint la réglementation applicable en prélevant sur les prêts consentis une "participation pour frais de gestion" qui avait en fait le caractère d'un intérêt. Si les intérêts ainsi perçus, ajoutés aux autres prélèvements autorisés par le décret du 27 décembre 1975 ont permis au "comité du logement" de réaliser des excédents de gestion, le fait que ceux-ci n'ont pas été utilisés à des fins autres que celles qui sont prévues par la loi et que les dirigeants n'en ont pas retiré d'avantage matériel suffit à exclure que l'activité ainsi déployée ait revêtu un caractère lucratif. Les intérêts des prêts consentis pour financer les logements sont indissociables de la réalisation de l'objet social désintéressé d'un comité du logement créé par une Chambre de commerce et d'industrie et leur perception découle, non de la mise en oeuvre d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à l'objet social de l'établissement. Ils ne peuvent donc être assujettis à l'impôt sur les sociétés au taux réduit de 24 % prévu à l'article 206-5 du CGI.
(17) CE, 7° et 9° s-s-r., 26 janvier 1990, n° 91423 (N° Lexbase : A4894AQC) : RJF, 3/1990, n° 266.
(18) CE, 9° et 8° s-s-r., 1er octobre 1993, n° 9642 (N° Lexbase : A1026ANC) : Droit fiscal, 1994, n° 12, comm. 555 ; RFF, 11/1993, n° 1433.
(19) CE 9° et 8° s-s-r., 25 janvier 1989, n° 58877 (N° Lexbase : A0848AQH) : Droit fiscal, 1989, n° 43, comm. 1962 ; RFF, 3/1989, n° 282.
(20) CAA Paris, 3ème ch., 6 décembre 1990, n° 908, Office québécois pour la jeunesse : RJF, 2/1991, n° 154.
(21) CE CAPC, 6 octobre 1993, n° 131950, Association oeuvre hospitalière de nuit ; CAA Nantes, 25 septembre 1991 : RJF, 12/1993, n° 1530.
(22) Préc..
(23) CE, 9° et 10° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 294303 (N° Lexbase : A1233EKU) : RJF, 11/2009, n° 915.
(24) Pour les entreprises créées du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2013, le dispositif prévu à l'article 44 sexies du CGI, prorogé en dernier lieu par l'article 129 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 (N° Lexbase : L9901INZ), consiste en une exonération des bénéfices réalisés à compter de la date de création de l'entreprise jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de sa création et en un abattement de 75 %, 50 % ou 25 % de leur montant selon que les bénéfices sont réalisés respectivement au cours de la première, de la seconde ou de la troisième période de douze mois suivant la période d'exonération.
(25) CE 8° et 9° s-s-r., 8 juillet 1998, n° 186279 (N° Lexbase : A8024AYT) : Droit fiscal, 1998, n° 44, comm. 959, concl G. Bachelier ; RJF, 1998, n° 921. Voir aussi CE 8° et 3° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 230999 (N° Lexbase : A1945C9W) : RJF, 11/03 n° 1223, concl. G. Bachelier ; BDCF, 11/03 n° 134 ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 juillet 2006, n° 277456 (N° Lexbase : A3559DQU) ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 juillet 2006, n° 277455 (N° Lexbase : A3558DQT) : RJF, 10/06, n° 1162, concl. L. Olléon ; BDCF, 10/06, n° 114.
(26) Préc..
(27) Gaz. Pal., 19 au 21 janvier 1997.
(28) http://www.unca.fr/.
(29) Décret n° 2014-796 du 11 juillet 2014, relatif au contrôle des caisses des règlements pécuniaires des avocats (N° Lexbase : L7103I3H).
(30) Préc..
(31) Cass. crim., 23 mai 2013, n° 12-83.677, F-P+B (N° Lexbase : A1795KHX), Lexbas Hebdo n°153 du 11 juillet 2013 - édition professions (N° Lexbase : N8003BTL).
(32) CE ,17 mai 1999, préc. avec conclusion F. Lamy : Gaz. Pal., 16 mai 2001, p. 19.
(33) Cass. crim., 23 mai 2013, n° 12-83.677, F-P+B, préc..
(34) Voir les commentaires déjà cités.
(35) Voir les commentaires préc. ; voir aussi Droit fiscal, 2014, n° 29, comm. 395 et JCP éd. E, 24 juillet 2014, n° 30, act. 554.
(36) Voir les commentaires déjà cités.
(37) Décret n° 96-887 du 10 octobre 1996, portant règlement type relatif aux règles de gestion financière et comptable des fonds versés par l'Etat aux caisses des règlements pécuniaires des avocats pour les missions d'aide juridictionnelle et pour l'aide à l'intervention de l'avocat prévue par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L9431AXL).
(38) Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, art. 10 et 68 (N° Lexbase : L8607BBE).
(39) Le 9 octobre 2007, la Commission des finances du Sénat a décidé la publication du rapport d'information sur l'aide juridictionnelle ("réformer un système à bout de souffle") établi par le sénateur du Luart. Dans la foulée, à la demande de la commission et par courrier en date du 10 octobre 2007, le Président de la Commission des finances du Sénat a saisi le Premier président de la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les caisses de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) en application de l'article 58-2 de la loi du 1er août 2001. Celle-ci a été publiée en 2008 sous le titre La gestion et l'efficacité des CARPA.

newsid:443537

Bancaire

[Brèves] Modification des modalités de calcul du taux de l'intérêt légal

Réf. : Ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014, relative au taux de l'intérêt légal (N° Lexbase : L0764I43)

Lecture: 1 min

N3531BUC

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Le 17 Mars 2015

Une ordonnance, prise sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (N° Lexbase : L7681IY7) et publiée au Journal officiel du 23 août 2014, a pour objet de modifier l'article L. 313-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9235DYP), relatif aux modalités de calcul et d'application du taux d'intérêt légal (ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014, relative au taux de l'intérêt légal N° Lexbase : L0764I43). Sont en fait instaurés deux taux de l'intérêt légal, fondés sur le coût de refinancement de deux catégories :
- le premier est applicable aux créances des particuliers (personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels) ;
- le second est applicable à tous les autres cas, c'est-à-dire principalement aux entreprises, et calculé sur le taux de refinancement des sociétés non financières.
L'ordonnance renvoie le détail de la formule de calcul à un décret. Concernant la formule de calcul, le taux légal sera calculé comme un taux de référence (taux directeur de la Banque centrale) auquel sera ajouté l'écart moyen sur deux ans entre le taux du refinancement de la catégorie considérée et le taux de la Banque centrale. L'actualisation de ce taux se fera une fois par semestre, par arrêté du ministre chargé de l'Economie, sur la base du taux directeur de la Banque centrale européenne. Les taux applicables seront fondés sur les taux effectifs moyens des crédits les plus représentatifs du financement de chaque catégorie. L'article 2 prévoit une application du nouveau taux d'intérêt légal à compter du 1er janvier 2015 (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E3556ATU).

newsid:443531

Droit des étrangers

[Brèves] Publication d'un décret modifiant diverses dispositions relatives au droit au séjour et au travail des étrangers

Réf. : Décret n° 2014-921 du 18 août 2014, modifiant diverses dispositions relatives au droit au séjour et au travail des étrangers (N° Lexbase : L0654I4Y)

Lecture: 1 min

N3458BUM

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Le 04 Septembre 2014

Le décret n° 2014-921 du 18 août 2014, modifiant diverses dispositions relatives au droit au séjour et au travail des étrangers (N° Lexbase : L0654I4Y), a été publié au Journal officiel du 21 août 2014. Concernant les ressortissants étrangers demandant à séjourner en France plus de trois mois, il codifie le visa de long séjour temporaire portant la mention "vacances-travail" dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et dans le Code du travail. Pour rappel, ce visa permet un séjour d'une année avec autorisation de travail, pour des jeunes étrangers âgés de 18 à 30 ans, dans le cadre d'accords négociés entre la France et leur pays. Dorénavant, leurs titulaires sont intégrés à la liste des étrangers dispensés de souscrire une demande de titre de séjour par l'article R. 311-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9970I3N). Le décret supprime aussi la visite médicale, accomplie auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans le cadre d'une demande de carte de séjour, pour certaines catégories d'étrangers (artistes, chercheurs, salariés en mission, compétences et talents et leur famille). Enfin, le décret du 18 août 2014 insère dans la partie réglementaire du code précité les mesures de coordination rendues nécessaires par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (N° Lexbase : L4381IXK).

newsid:443458

Droit des personnes

[Brèves] Publication de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, et de sa circulaire d'application

Réf. : Loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N)

Lecture: 2 min

N3504BUC

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Le 10 Septembre 2014

A été publiée au Journal officiel du 5 août 2014, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N), après avoir été validée le 31 juillet 2014 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014 N° Lexbase : A7468MU7). Outre un volet entier relatif à l'égalité professionnelle (titre I ; sur ce point, lire N° Lexbase : N3440BUX), le titre II est consacré à la lutte contre la précarité ; dans cet objectif, il est notamment prévu d'expérimenter un mécanisme de renforcement des garanties contre les impayés de pensions alimentaires afin d'améliorer la situation des personnes qui élèvent seules leurs enfants à la suite d'une séparation ou d'un divorce. Un troisième titre est notamment dédié à la protection des personnes victimes de violences. A cet effet, la loi met en oeuvre la convention du Conseil de l'Europe, dite Convention d'Istanbul. Ratifiée par la France, la convention rentrera en vigueur au 1er octobre 2014. Le texte s'articule également avec le quatrième plan de lutte contre les violences faites aux femmes avec notamment le 3919, numéro accessible 7 jours sur 7 et gratuitement depuis les portables ; le texte va plus loin avec le déploiement des téléphones grand danger (cf. article 36 de la loi). Pour mieux protéger les femmes, la loi prévoit également l'accélération de la délivrance de l'ordonnance de protection, et l'allongement à six mois (au lieu de quatre) renouvelables de la durée pour laquelle les mesures d'une ordonnance de protection sont prises. Par ailleurs, le principe de l'éviction de l'auteur de violences du domicile et le maintien de la victime dans le logement est réaffirmé. Le titre III contient également des dispositions visant à lutter contre le mariage forcé. Il vise, enfin, à lutter contre les atteintes à la dignité et à l'image à raison du sexe dans le domaine de la communication ; la lutte contre la diffusion de stéréotypes sexistes et d'images dégradantes seront ainsi les deux nouvelles missions du CSA. Enfin, la loi a pour objectif d'assurer la parité en politique (titre V). A noter qu'une circulaire d'application de la loi, en date du 7 août 2014 (NOR : JUSC1419203C N° Lexbase : L1391I4B), vient préciser les dispositions relatives à l'ordonnance de protection, au paiement de la pension alimentaire par virement bancaire, et à la lutte contre les mariages.

newsid:443504

Égalité des chances

[Brèves] Publication au Journal officiel de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes : une réforme notamment sur l'égalité professionnelle

Réf. : Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N)

Lecture: 2 min

N3440BUX

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Le 04 Septembre 2014

Publiée au Journal officiel le 5 août 2014, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N), a notamment pour objet de renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes dans sa dimension professionnelle.
Ainsi, le titre I de la loi est consacré à la vie professionnelle à travers deux grands axes : d'une part, la mise en place de dispositifs de soutien à la parentalité de manière à favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales et la conciliation vie personnelle et professionnelle, et, d'autre part, assurer l'effectivité des règles en matière d'égalité professionnelle.
Pour permettre aux femmes de poursuivre leurs carrières professionnelles dans des conditions similaires à celle des hommes après la naissance d'un enfant ou simplement d'accéder à l'emploi, mais aussi pour favoriser un plus juste partage des tâches entre les membres du couple, la loi réforme le complément de libre choix d'activité (CLCA) afin d'instituer, pour les ménages bénéficiaires, à l'exception des familles monoparentales, un partage du CLCA entre les deux parents.
La réforme conduit à identifier, au sein des droits actuels, une période de partage qui constitue une incitation pour les pères à prendre leur congé. Une part du CLCA, définie en nombre de mois, ne pourra ainsi être prise que par le second parent. Pour les familles avec un seul enfant, il s'agira de six mois supplémentaires qui s'ajouteront aux actuels six mois déjà prévus par le Code de la Sécurité sociale. Pour les familles avec deux enfants et plus, qui choisissent une interruption d'activité de trois ans, six mois seront réservés au deuxième parent. Les familles monoparentales ne seront pas concernées par ce dispositif et leurs droits seront maintenus.
La loi modifie le régime du contrat de collaboration libérale créé en faveur des petites et moyennes entreprises afin d'introduire, pour les collaboratrices enceintes et les collaborateurs qui souhaitent prendre leur congé de paternité et d'accueil de l'enfant, une période de suspension du contrat et de protection contre les ruptures de contrat, sauf accord des parties ou manquement grave aux règles déontologiques ou propres à l'exercice professionnel.
Le contrat devra prévoir les modalités de la suspension afin de permettre au collaborateur de bénéficier des indemnisations prévues par la législation de la Sécurité sociale en matière de maladie et de parentalité.
Enfin, la loi met en place une expérimentation pendant deux ans afin de permettre aux salariés, en accord, avec leur employeur d'utiliser les droits affectés sur le compte épargne temps pour financer des prestations de service à la personne au moyen d'un chèque emploi service universel. Le dispositif repose sur l'existence d'un accord d'entreprise ou d'établissement préalable (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5350EXG).

newsid:443440

Entreprises en difficulté

[Doctrine] Questions prioritaires de constitutionnalité et droit des entreprises en difficulté

Lecture: 22 min

N3467BUX

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le 04 Septembre 2014

Apparaissant souvent, aux yeux des plaideurs, comme une machine infernale à broyer le droit commun, le droit des entreprises en difficulté est logiquement l'occasion de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité. Mais les règles de cette discipline, souvent dictées par un impératif supérieur d'intérêt général, autorisent le plus souvent les atteintes au droit commun et à certains principes essentiels, dès lors que l'atteinte n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif qu'elles s'assignent.
Aussi, le plus souvent, les questions prioritaires de constitutionnalité sont-elles rejetées pour absence de sérieux. Pour autant, ces rejets peuvent contribuer, parfois, à la consécration de solutions nouvelles, même s'il ne peut être parlé de droit nouveau. L'illustration de ces propos peut être trouvée avec la question du délai allongé pour présenter une demande de relevé de forclusion. On sait que, en droit commun, le créancier qui n'a pas déclaré sa créance dans les délais peut demander, dans les six mois de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture, à être relevé de la forclusion. La réforme issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT) a ajouté un second délai, qui est d'un an, pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité (1). L'expiration du délai de relevé de forclusion enlève, par principe, au juge-commissaire le pouvoir de se prononcer sur la demande (2). La Cour de cassation a cependant rejeté une question prioritaire de constitutionnalité, fondée sur l'atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, en considérant qu'un créancier placé dans l'impossibilité de connaître l'existence de sa créance au-delà d'un an de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture -délai maximal de l'action en relevé de forclusion- pouvait introduire sa demande de relevé de forclusion nonobstant le dépassement de ce délai (3). Il s'agit d'une application de la règle contra non valentem..., principe qui sous-tend l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM), depuis la loi du 17 juin 2008 ayant réformé la prescription (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I), qui interdit de faire courir un délai contre une personne placée dans l'impossibilité d'agir. En rejetant la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation s'est livrée à une interprétation toute particulière des textes, écartant la lettre de ceux-ci pour faire prévaloir un principe général du droit, dont la méconnaissance aurait constitué la violation du droit à un recours effectif à un juge. L'article 29 de l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH) a consacré la solution prétorienne dégagée par la Cour de cassation en posant à l'alinéa 3 de l'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L8103IZ7) la règle selon laquelle le délai de relevé de forclusion court à compter de la date à laquelle il est établi que le créancier, qui justifie avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois précité -délai classique de l'action en relevé de forclusion-, ne pouvait ignorer l'existence de sa créance. Ainsi, du rejet d'une question prioritaire de constitutionnalité, on aboutit à l'adoption d'un texte nouveau.

Parfois, au contraire, les questions prioritaires de constitutionnalité font mouche et conduisent à la suppression, dans l'arsenal juridique du livre VI du Code de commerce, de certaines normes jugées par trop attentatoires à nos normes constitutionnelles, et tout spécialement aux règles énoncées dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, déclaration qui fait corps avec notre Constitution.

Si l'on s'essaie à une classification des questions prioritaires de constitutionnalité intéressant le droit des entreprises en difficulté, on constate qu'elles ont pour objet de répondre soit à des atteintes aux règles du procès (I), soit à des atteintes à des règles substantielles (II).

I - Atteintes aux règles constitutionnelles régissant le procès

Le droit des entreprises en difficulté se caractérise, notamment, par la recherche de l'efficacité. Cette quête conduit le législateur à essayer d'accélérer les procédures et c'est ce qui explique, par exemple, une certaine fermeture des voies de recours, qui pourrait être analysée en une violation du droit à un recours juridictionnel effectif (A). Brutal dans son pragmatisme, le droit des entreprises en difficulté, pendant longtemps, ne s'est guère préoccupé des questions d'impartialité du juge et il n'est pas étonnant que des questions prioritaires de constitutionnalité aient pu porter sur la question de la violation du droit à un juge impartial (B).

A - Violation du droit à un recours juridictionnel effectif

La sécurité commande, en droit des entreprises en difficulté, que les décisions intéressant le sort de l'entreprise ne soient pas trop facilement remises en cause et c'est ce qui justifie que les voies de recours sur les décisions statuant sur la cession d'entreprise soient restrictivement ouvertes. Ainsi, les institutions représentatives du personnel -comité d'entreprise et délégués du personnel- ne peuvent relever appel du jugement arrêtant ou rejetant le plan de cession (4), pas plus que le représentant des salariés, investi, sur le terrain des voies de recours, des prorogatives ouvertes à ces institutions. L'appel nullité a cependant parfois été admis (5). Mais il faut alors caractériser un excès de pouvoir.

Dans une décision du 2 juillet 2013 (6), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à statuer sur la constitutionnalité de l'article L. 661-6, III, du Code de commerce (N° Lexbase : L3486IC4) qui dispose que "ne sont susceptibles que d'un appel de la part soit du débiteur, soit du ministère public, soit du cessionnaire ou du contractant mentionné à l'article L. 642-7 (N° Lexbase : L7333IZM) les jugements qui arrêtent ou rejettent le plan de cession de l'entreprise". La question prioritaire de constitutionnalité a été posée à propos de la fermeture de l'appel aux institutions représentatives du personnel. La question n'a pas été jugée sérieuse. La question reposait sur la violation alléguée des principes constitutionnels du droit à un recours effectif ainsi que sur celle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1363A9D).

La Cour de cassation va considérer comme non sérieuse la question prioritaire de constitutionnalité. Le droit effectif à un recours juridictionnel n'implique pas le double degré de juridiction, dès lors que la décision est prise par le tribunal qui statue après avoir convoqué et entendu le représentant du comité d'entreprise. La limitation du droit d'appel répond à des impératifs d'efficacité et de célérité de la procédure collective et ne porte pas une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi.

Ainsi, le respect du recours effectif à un juge est assuré dès lors que l'intéressé peut être entendu, sans qu'il soit nécessaire de lui ouvrir le double degré de juridiction. Mais la possibilité de supprimer le double degré de juridiction apparaît cantonnée aux questions qui doivent être traitées avec célérité, compte tenu de l'impératif d'efficacité. Il en est assurément ainsi du sort de l'entreprise, qui conditionne aussi celui de ses salariés. Et c'est pourquoi, la même réponse serait vraisemblablement donnée à la fermeture à tous, sauf au ministère public, du pourvoi en cassation sur les arrêts statuant sur la cession de l'entreprise.

Tel ne serait pas le cas s'il était question d'un litige s'inscrivant dans le cadre de la procédure collective sans qu'il soit nécessaire pour des impératifs d'efficacité de la traiter rapidement. On pense au contentieux des revendications ou encore des déclarations de créances.

Si le recours effectif à un juge n'a pas été sanctionné, en droit des entreprises en difficulté, il n'en a pas été de même de la violation du droit à un juge impartial.

B - Violation du droit à un juge impartial

Le droit des entreprises en difficulté ne s'est ouvert que récemment à la préoccupation de garantir au plaideur un juge impartial. Pour édifier le lecteur, on citera l'extrait du grand traité de droit de la faillite de 1935, le "Percerou et Desserteaux" (7). Les éminents auteurs se posaient la question suivante : le juge-commissaire peut-il connaître du recours formé devant le tribunal à l'encontre de l'une de ses ordonnances ? "Dans des cas de ce genre, où l'ordonnance du juge-commissaire est déférée au tribunal de commerce, ce juge peut-il prendre part au jugement ? Des auteurs lui refusent ce droit. L'opinion contraire est préférable. Parce qu'il a rendu une ordonnance sujette à recours, le juge-commissaire ne cesse pas de faire partie du tribunal". Etonnants propos, au travers desquels on perçoit que la question de l'impartialité n'effleure même pas l'esprit des grands auteurs. O tempora, o mores !

Il faut attendre la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) pour que la prise en compte de cette question de l'impartialité du juge commence à innerver la matière. L'ordonnance du 18 décembre 2008 va continuer sur le même chemin et l'ordonnance du 12 mars 2014 paraît être le parachèvement de ce travail.

Il n'est dès lors guère étonnant que les textes anciens aient pu être l'objet de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la violation du droit à un juge impartial. Au centre des débats, la question de la saisine d'office du tribunal.

Les premières séries de questions prioritaires de constitutionnalité ont intéressé la saisine aux fins d'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire.

Règles emblématiques du droit des entreprises en difficulté, la saisine d'office du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure collective témoigne de cet héritage historique de la recherche d'efficacité de la matière. L'intérêt général commande en effet de ne pas laisser dans le circuit économique des sujets porteurs de maladies économiques contagieuses, la défaillance de l'un, si elle n'est pas endiguée juridiquement, pouvant entraîner celles de plusieurs autres. On comprend bien l'intérêt général commandant la solution. Mais, dans les démocraties, l'intérêt général doit savoir céder le pas lorsque les libertés individuelles sont en danger. Or la protection de ces dernières passe notamment par la forme, c'est-à-dire la procédure civile, le respect de la forme constituant un rempart contre l'arbitraire. Ne reconnaît-on pas une dictature à l'imprécision des infractions figurant dans son code pénal et de ses règles de procédure ? De là à dire qu'on mesure une démocratie à la précision de ses règles procédurales, il n'y a qu'un pas que nous franchirons bien volontiers !

On comprend, dès lors, que le droit à un procès équitable fasse partie de nos règles à valeur constitutionnelle. Et c'est donc sans surprise que l'on a vu se développer des questions prioritaires de constitutionnalité mettant en jeu cette problématique du droit à un juge impartial. La saisine d'office en a été le théâtre privilégié.

La première question prioritaires de constitutionnalité intéressait l'article L. 631-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L3168IMB) prévoyant la possibilité pour le tribunal de s'auto-saisir aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire. La Cour de cassation a jugé sérieuse la question de la constitutionnalité de la saisine d'office par le tribunal de commerce en vue de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Elle estime que "la faculté pour une juridiction de se saisir elle-même en vue de l'ouverture d'une procédure collective peut apparaître contraire au droit du débiteur à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, dès lors que le juge, en prenant l'initiative de l'introduction de l'instance, peut être perçu comme une partie". La disposition invoquée, ajoute la Cour de cassation, "est susceptible de constituer une atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance, en ce qu'elle ne comporte pas, par elle-même, un mécanisme permettant d'assurer la pleine effectivité des droits du débiteur" (8).

Le Conseil constitutionnel a suivi cette position et a déclaré non conforme à la Constitution l'article L. 631-5 du Code de commerce, qui rend possible la saisine d'office du redressement judiciaire (9).

Le Conseil fonde son analyse sur le constat qu'aucune disposition ne fixe, en cas de saisine d'office aux fins d'ouverture du redressement judiciaire, les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position. Dès lors, les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne sont pas respectées, et spécialement le principe d'impartialité.

A compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel au Journal officiel, aucun jugement d'ouverture de redressement judiciaire ne pourra plus intervenir sur saisine d'office, en application de l'article L. 631-5 du Code de commerce, dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde. L'inconstitutionnalité n'est pas rétroactive et ne permet donc pas d'invalider des décisions d'ouverture intervenues avant cette publication (10).

Saisi d'une seconde question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a identiquement statué à propos des articles L. 621-2 (N° Lexbase : L6854AIP) et L. 622-1 (N° Lexbase : L6996AIX) du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), modifiée par celle du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), et applicable en Polynésie française (11).

Une autre question prioritaire de constitutionnalité intéressant cette fois l'article L. 640-5 (N° Lexbase : L3169IMC), applicable en métropole a été transmise par la Cour de cassation (12). Il s'agit de la saisine d'office aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire. Elle a fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel déclarant la disposition non-conforme à la Constitution (13).

Il importe de souligner que tout le mécanisme de la saisine d'office est concentré entre les mains du président du tribunal et l'on doit évidemment sourire lorsque la jurisprudence exige que la note annexée à la citation à comparaître soit impartiale. Comment cela serait-il possible si ce n'est par le jeu d'une mascarade consistant pour le président à utiliser, dans sa note, le mode conditionnel au lieu de l'indicatif, qui vaudrait par trop affirmation ?

Aucun garde-fou n'est prévu. En d'autres termes, aucune règle ne vient ici garantir au plaideur que le tribunal ne suivra pas l'opinion déjà forgée -sinon à quoi bon se saisir d'office- du président du tribunal, dont l'autorité sur ses juges est chose bien naturelle. Or, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 7 décembre 2012, vient préciser que la saisine d'office par une juridiction, hormis le cas des sanctions, n'est possible que sous deux conditions cumulatives : celle d'un motif d'intérêt général et celle de l'existence de "garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité".

Ce n'est donc pas le principe même de la saisine d'office qui est en cause, mais l'absence de garantie procédurale qui l'entoure, permettant d'assurer au plaideur un gage d'impartialité. Quoi qu'il en soit, l'ordonnance du 12 mars 2014 a préféré supprimer la saisine d'office aux fins d'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, pour la remplacer par une technique d'information du ministère public par le président du tribunal, lorsqu'il a été porté à sa connaissance des éléments faisant apparaître que le débiteur est en état de cessation des paiements. Le second lui fait parvenir une note exposant les faits de nature à motiver la saisine du tribunal. L'article R. 662-12-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6235I3C), dans la rédaction que lui donne l'article 122 du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014 (N° Lexbase : L5913I3E), précise que la note du président est communiquée au ministère public par le greffier du tribunal. Le cas échéant, elle est jointe à l'assignation délivrée par le ministère public.

Cette remarque permet d'expliquer pourquoi, dans d'autres domaines, la saisine d'office n'a pas été jugée contraire à la Constitution et au droit à un juge impartial. Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée à propos de la saisine d'office aux fins de conversion du redressement en liquidation judiciaire, en application de l'article L. 631-15, II du Code de commerce (14). Le Conseil constitutionnel a jugé (15) que le tribunal saisi du redressement judiciaire doit se prononcer au plus tard à l'issue de la période d'observation sur la possibilité d'un plan de redressement. En mettant un terme à la période d'observation pour ordonner la liquidation judiciaire lorsque le redressement est impossible, le tribunal ne se saisit pas d'une nouvelle instance. En outre, le Conseil a relevé que la faculté pour le juge d'exercer certains pouvoirs d'office dans le cadre de l'instance dont il est saisi ne méconnaît pas le principe d'impartialité, dès lors que cette faculté est justifiée par un motif d'intérêt général et exercée dans le respect du contradictoire. Dès lors, cette saisine d'office est conforme à la Constitution.

Une autre question prioritaire de constitutionnalité a été présentée à propos de l'article L. 611-2, II du Code de commerce (N° Lexbase : L8841INR, rédaction loi de sauvegarde des entreprises), texte qui prévoit que le président du tribunal de commerce ou de grande instance peut procéder directement, sans qu'une demande lui soit présentée en ce sens (16), à une injonction au dirigeant d'avoir à déposer ses comptes annuels au greffe, et cela sous astreinte. Cette QPC était fondée sur la violation du droit à un procès équitable, la violation des droits de la défense et des règles d'encadrement de l'auto-saisine. Elle a été jugée non sérieuse. Cette injonction répond à un double motif d'intérêt général de transparence économique et de détection des difficultés des entreprises. Le risque de pré-jugement est exclu s'agissant de déterminer si les comptes annuels ont été ou non déposés. En outre, la procédure garantit aux dirigeants sociaux un débat contradictoire au stade de la liquidation de l'astreinte et leur offre un recours en réformation ou en cassation, selon le montant de l'astreinte prononcée, à l'encontre de la décision de liquidation de celle-ci de nature à garantir les droits de la défense (17).

Si un certain nombre de questions prioritaires de constitutionnalité ont porté sur des atteintes aux règles du procès, plus nombreuses sont celles ayant eu pour objet des atteintes à des règles substantielles.

II - Atteintes aux règles constitutionnelles intéressant le droit substantiel

Trois séries d'atteintes à des droits constitutionnellement protégées ont été soulevées par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité. Il est question d'atteintes au droit de propriété (A) ou d'atteintes au principe d'égalité devant la loi (B).

Evacuons une autre atteinte invoquée, intéressant l'injonction du président du tribunal aux fins de dépôt des comptes sociaux sous astreinte (C. com., art. L. 611-2, II). Une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ce texte, invoquant les principes de liberté du commerce et de l'industrie, de libre concurrence et de liberté d'entreprendre a été jugée comme non sérieuse, les restrictions imposées par cette possibilité offerte au président du tribunal de délivrer une injonction de dépôt des comptes sous astreinte répondant à un motif d'intérêt général de transparence économique. Il en résulte que l'atteinte n'est pas disproportionnée (18).

A - Atteintes au droit de propriété

Trois questions prioritaires de constitutionnalité méritent ici d'être exposées, mettant en jeu la violation alléguée du droit de propriété.

Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée à propos de la combinaison des articles L. 642-3 (N° Lexbase : L8857IND) et L. 642-20 (N° Lexbase : L7336IZQ) du Code de commerce, textes qui interdisent à des proches du débiteur, au dirigeant social ou à des proches de celui-ci d'acquérir les biens de la personne placée sous procédure collective, que ce soit dans le cadre de la réalisation d'actifs isolés ou dans celui de la cession d'entreprise. Elle a été rejetée par la Cour de cassation (19). Les dispositions qui interdisent à des proches d'acquérir les biens du débiteur ont pour objet d'éviter les fraudes et de garantir une vente au meilleur prix. Le but ainsi recherché, d'intérêt général, conserve sa pertinence en présence de biens étrangers à l'activité professionnelle du débiteur. Ces dispositions n'affectent pas en elles-mêmes le droit de propriété du conjoint commun en biens et autorisent le tribunal ou le juge-commissaire à décider la levée de l'interdiction, sauf au profit des contrôleurs, de sorte qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du débiteur ou de son conjoint au regard de l'objectif poursuivi.

Une deuxième question prioritaire de constitutionnalité a été soumise à la Cour de cassation à propos de l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC), selon lequel la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture. L'absence d'équivalence entre l'inopposabilité du droit de propriété à la procédure et sa perte a conduit la Cour de cassation à rejeter la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été posée, à propos de la sanction du rejet d'une action en revendication, dans un redressement judiciaire. La Cour a jugé que "les dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, se bornent à unifier le point de départ du délai de l'action en revendication en le faisant courir, dans tous les cas, à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture sous peine de rendre inopposable à la procédure collective le droit de propriété du revendiquant ; que les restrictions aux conditions d'exercice du droit de propriété qui peuvent résulter de ce texte répondent à un motif d'intérêt général et n'ont ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation du droit de propriété ou d'en dénaturer la portée ; que la question posée ne présente donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent au principe de valeur constitutionnel invoqué" (20), à savoir l'atteinte au droit de propriété constitutive d'une violation de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1364A9E).

Dans une autre décision, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que la forclusion instituée par l'article L. 624-9 du Code de commerce répond à un motif d'intérêt général et ne constitue pas un atteinte disproportionnée au droit de propriété (21).

Si les deux premières questions prioritaires de constitutionnalité n'ont pas été transmises par la Cour de cassation, tel n'est pas le cas de la troisième.

Au centre de la question, l'article L. 624-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L3852HBB). Selon ce texte, "le mandataire judiciaire ou l'administrateur judiciaire peut, en prouvant par tous les moyens que les biens acquis par le conjoint du débiteur l'ont été avec des valeurs fournies par celui-ci, demander que les acquisitions ainsi faites soient réunies à l'actif". Il s'agit là d'une règle permettant d'écarter le jeu classique des règles des régimes matrimoniaux, classiquement dénommée action en rapport. Cette règle est la conséquence directe de la suppression de la présomption mucienne, laquelle permettait, jusqu'à la loi du 13 juillet 1967, de présumer que les biens acquis l'avaient été grâce aux revenus du commerce de l'époux en procédure collective.

Une question prioritaire de constitutionnalité a été jugée sérieuse et, en conséquence, transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, au sujet de l'article L. 624-6 du Code de commerce, qui prévoit l'action en rapport. La question posée est de savoir si la disposition en cause est contraire au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1366A9H), ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi, protégé par l'article 6 de cette même Déclaration (N° Lexbase : L1370A9M). La Cour de cassation, qui ne discute pas du fait que le but de la disposition est d'intérêt général, s'interroge sur le moyen utilisé, consistant non en un rapport à la procédure collective des valeurs fournies par le débiteur, mais en la reprise en nature du bien acquis grâce à elles, moyen qui peut apparaître disproportionné à l'objectif assigné par le texte, en privant le conjoint de tout droit réel sur le bien litigieux (22).

Le Conseil constitutionnel (23) a répondu que l'article L. 624-6 du Code de commerce a pour objet "de désigner comme le véritable propriétaire du bien, non pas celui que les règles du droit civil désignent comme tel, mais celui qui a fourni des valeurs permettant l'acquisition. Elles n'entraînent pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789". La disposition poursuit un but d'intérêt général, en permettant, selon le cas, la continuation de l'entreprise ou le désintéressement des créanciers. Toutefois, "les dispositions contestées permettent de réunir à l'actif en nature tous les biens acquis pendant la durée du mariage avec des valeurs fournies par le conjoint quelle que soit la cause de cet apport, son ancienneté, l'origine des valeurs ou encore l'activité exercée par le conjoint à la date de l'apport. En l'absence de toute disposition retenue par le législateur pour assurer un encadrement des conditions dans lesquelles la réunion à l'actif est possible, les dispositions de l'article L. 624-6 du Code de commerce permettent qu'il soit porté au droit de propriété du conjoint du débiteur une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi. Par suite, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution".

Ainsi, la disposition de l'article L. 624-6 du Code de commerce se trouve abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel (24), ce qui évidemment vaut pour les procédures en cours.

Le législateur aurait dû revoir sa copie, et encadrer les conditions de l'action, afin de supprimer le caractère disproportionné de l'atteinte par rapport au but poursuivi. Pour l'heure, cela n'a pas été fait, l'ordonnance du 12 mars 2014 ne s'étant pas préoccupée de la question.

Dans cette attente, la Cour de cassation a jugé que doit être cassé l'arrêt qui ordonne la réunion à l'actif de la liquidation judiciaire du débiteur de la totalité des parts sociales détenues par son conjoint dans le capital d'une société civile immobilière, alors que, selon la Cour de cassation, les parts sociales ne pouvaient être réunies à l'actif que proportionnellement au montant des valeurs fournies par le débiteur à son conjoint pour les acquérir (25). La cour d'appel de renvoi, dans le prolongement de la solution, juge que la réintégration à l'actif du débiteur sous procédure collective doit être limitée à la partie du bien réellement financée par l'époux en liquidation judiciaire (26).

B - Atteintes au principe d'égalité devant la loi

Le droit des entreprises en difficulté est une terre particulièrement accueillante pour soulever la violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi, compte tenu des arbitrages auxquels le législateur doit se livrer entre des intérêts antagonistes. Il n'est dès lors pas étonnant que la violation de ce principe soit au coeur de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité.

Il en a d'abord été ainsi de la question des remises des pénalités de retard par le seul effet du jugement d'ouverture d'une procédure collective.

En matière de cotisations sociales, la remise des pénalités, majorations et intérêts de retard est prévue, pour les agriculteurs, par l'article L. 725-5 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L1983HWD). L'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9707INT) pose la même règle pour les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé. Logiquement, la jurisprudence appelée à statuer sur la question a dû en tirer la conséquence qui s'imposait. Puisque, l'article 243-5 du Code de la Sécurité sociale ne vise que les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé, le texte ne concerne donc pas les personnes physiques exerçant une profession indépendante, autres que les commerçants et artisans. La solution a été posée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour un médecin (27) ou encore un masseur kinésithérapeute (28). La Chambre commerciale de la Cour de cassation, pour sa part, a identiquement statué à propos d'un infirmier libéral (29). La cour d'appel de Paris a posé la même règle pour un avocat (30) ou un orthophoniste (31).

Il y avait là, a priori, un oubli du législateur (32), car on ne comprenait pas pourquoi tous les professionnels libéraux n'auraient pas pu tirer de l'ouverture d'une procédure collective les mêmes avantages que tout professionnel indépendant. Le principe d'égalité des citoyens devant la loi semblait avoir été oublié par ces législations.

Sans surprise, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur ce point. Logiquement, le Conseil constitutionnel relève que "en étendant l'application des procédures collectives à l'ensemble des membres des professions libérales par la loi du 26 juillet 2005, le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d'un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières, par suite des dispositions précitées des premiers et sixième alinéas de l'article L. 243-5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprété comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale" (33). Le principe d'égalité des citoyens devant la loi est en effet garanti par l'article de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui avait transmis la question au Conseil constitutionnel, en tire les conséquences (34). Il est fait interdiction aux juridictions de traiter différemment les débiteurs, au regard de la question de la remise de plein droit des intérêts, pénalités et majorations de retard dû sur des cotisations sociales impayées, au jour du jugement d'ouverture. Tous ces débiteurs doivent bénéficier de la même règle, à savoir la remise de plein droit de ces pénalités, majorations et intérêts de retard, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, sauf le cas de fraude. La solution vaut même si le débiteur s'est vu délivrer des contraintes définitives (35).

Signalons que la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 (N° Lexbase : L2893IQ9) réécrit l'article L. 243-5 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L3150IQQ) pour le mettre en harmonie avec la décision du Conseil constitutionnel (36).

Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée, ayant également pour fondement, notamment, la violation du principe d'égalité. La compensation pour dettes connexes va permettre à un créancier, qui, le plus souvent, sera chirographaire, d'être payé, parce qu'il ne paie pas ce qu'il doit à la personne placée sous procédure collective. Elle apparaît ainsi violer ouvertement le principe d'égalité des créanciers, en ce que, d'une part, elle assure un meilleur traitement à un créancier chirographaire que celui réservé aux autres, qui ne repose que sur le seul élément de fait que l'intéressé a la chance d'être tout à la fois créancier et débiteur, et, d'autre part, assure également un traitement meilleur à un créancier chirographaire que celui réservé à bien des créanciers qualifiés par la loi de "privilégiés". Il n'est dès lors pas étonnant qu'une question prioritaire de constitutionnalité ait été posée, en soutenant que la compensation pour dettes connexes portait atteinte aux principes d'égalité et de sécurité juridique. La Cour de cassation ne l'a toutefois pas jugée sérieuse (37), ce qui peut être discutée (38), car il nous apparaît bien délicat de dire en quoi la dératisation au principe d'égalité est ici justifiée par un intérêt général ou par quelque autre règle que ce soit, si ce n'est la force de l'habitude.

Rappelons que nous avons fait déjà état d'une autre question prioritaire de constitutionnalité, qui invoquait, à propos de l'article L. 624-6 du Code de commerce, tout à la fois la violation du droit de propriété et celle du principe d'égalité devant la loi.

Une autre violation du principe d'égalité des citoyens figurait, il y a peu de temps encore, dans notre législation. Avant l'ordonnance du 12 mars 2014, des règles particulières étaient posées pour les agriculteurs. L'article L. 642-18, alinéa 6 (N° Lexbase : L5975HI7), dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, prévoit qu'en cas de liquidation judiciaire d'un agriculteur, "le tribunal peut, en considération de la situation personnelle et familiale du débiteur, lui accorder des délais de grâce, dont il détermine la durée pour quitter sa résidence principale". Cette solution, qui peut se comprendre sur un plan humanitaire, est en revanche difficile à justifier quant à son champ d'application (39). Elle n'intéresse en effet que les agriculteurs et il apparaît bien délicat de distinguer la situation malheureuse d'un artisan ou d'un commerçant qui habite sur les lieux de son exploitation, de celle d'un agriculteur. Depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, l'alinéa 6 de l'article L. 642-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L7335IZP), tel qu'il résulte de la rédaction que lui a donnée l'article 74 de cette ordonnance, dispose que tout débiteur personne physique pourra bénéficier de délais de grâce pour quitter l'immeuble qui constitue sa résidence principale, en fonction de sa situation personnelle et familiale.

Au final, les questions prioritaires de constitutionnalité en droit des entreprises en difficulté font assez rarement mouche. Mais, lorsque c'est le cas, ce sont parfois des règles ancestrales qui en font les frais, règles si ancrées dans la matière que personne, parmi les spécialistes, n'y réfléchissait vraiment. Il est vrai que l'habitude est un puissant anesthésiant de l'esprit et il faut bien reconnaître que les questions prioritaires de constitutionnalité jouent le rôle d'agitateurs publics d'opinions.

Qu'il est agréable de se faire ainsi bousculer avec fraîcheur !


(1) Amendement du Gouvernement, n° 380, déb. Sénat, JO 30 juin 2005, p. 4830.
(2) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 juin 2005, n° 04/19425 (N° Lexbase : A1186DK7).
(3) Cass. QPC, 5 septembre 2013, n° 13-40.034, FS-P+B (N° Lexbase : A5660KKT), Bull. civ. IV, n° 127 ; D., 2013, Actu. 2100, obs. A. Lienhard ; D., 2013, Chron. 2558, obs. J. Lecaroz ; Act. proc. coll., 2013/16, comm. 228, nos obs. ; Rev. sociétés, 2013, 726, note L.-C. Henry ; BJE, novembre 2013. 366, note L. Le Mesle ; JCP éd. E, 2014. chron. 1020, n° 7, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2013, 807, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., janvier 2014, comm. 18, note F. Legrand et M.-N. Legrand ; Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 27, nos obs. ; E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2013 (1er comm.) Lexbase Hebdo n° 355 du 17 octobre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8928BTT). Adde A. Hontebeyrie., L'adage Contra non valentem... a-t-il survécu à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ?, D., 2014, 244.
(4) CA Paris, 13 janvier 1987, Gaz. Pal., 1987, I, 199, note J.-P. Marchi ; CA Paris, 6 février 1987, D., 1987, IR 42 ; CA Amiens, 9 février 1989, D., 1990, somm. 3, obs. F. Derrida ; CA Paris, 22 février 1989, D., 1989, IR 91.
(5) CA Rennes, 7 juillet 1993, D., 1996, somm. 7, obs. F. Derrida.
(6) Cass. QPC, 2 juillet 2013, n° 13-40.020, F-D (N° Lexbase : A5602KIC), Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 37, note Ch. Gailhbaud.
(7) Percerou et Desserteaux, Des faillites et banqueroutes et des liquidations judiciaires, Rousseau et Cie Editeurs, 2ème éd., 1935, t. 2, n° 1119.
(8) Cass. QPC, 16 octobre 2012, n° 12-40.061, FS-D (N° Lexbase : A7201IUA), D., 2012, Actu. 2446, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2012, comm. 266, note N. Fricéro.
(9) Cons. const., décision n° 2012-286 QPC, 7 décembre 2012, (N° Lexbase : A4918IYS), D., 2012, Actu. 2886, obs. A. Lienhard ; D., 2013, 338, note J.-L. Vallens ; Gaz. Pal., 18 janvier 2013, n° 18, p. 25, note N. Fricéro ; RTDCiv., 2013, 889, note Ph. Théry ; Act. proc. coll., 2013/1, comm. 1, note N. Fricéro ; JCP éd. E, 2013, 1048, note N. Fricéro ; BJE, janvier 2013, comm. 5, note Th. Favario ; Gaz. Pal., 23 décembre 2012, p. 14, note Robert ; Rev. sociétés, 2013, 177, note L.-C Henry ; Dr. sociétés, 2013, comm. 35, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., janvier 2013, Etudes 2, note B. Saintourens ; Gaz. Pal., 8 mars 2013, n° 67, p. 29, note J. Théron ; LPA, 15 avril 2013, n° 75, p. 5, note Ph. Roussel Galle ; LPA, 7 mai 2013, n° 91, p. 11, note C. Tabourot-Hyest ; JCP éd. E 2013, chron. 1216, n° 1, obs. Ph. Pétel ; Dr. et patr., septembre 2013, p. 50, note M.-H. Monsèrié-Bon ; nos obs. La non-constitutionnalité de la saisine d'office, Lexbase Hebdo n° 321 du 20 décembre 2012 -édition affaires (N° Lexbase : N5001BTE). Adde F.-X. Lucas, Retour sur la navrante condamnation de la saisine d'office, BJE, 2013, éditorial 17 ; Ch. Lebel, 3 questions ouverture d'un redressement judiciaire : saisine d'office contraire à la Constitution, JCP éd. E, 2013, Echos de la pratique 48 ; B. Rolland, L' inconstitutionnalité de la saisine d'office, Procédures, 2013, Etude 3.
(10) CA Toulouse, ch. com., 2ème sect., 4 février 2014, n° 12/01084 (N° Lexbase : A5015MD4).
(11) Cons. const., décision n° 2013-352 QPC, 15 novembre 2013 (N° Lexbase : A3196KP3), D., 2013, Actu. 2640, obs. A. Lienhard ; LEDEN, janvier 2014, comm. 12, note Th. Favario.
(12) Cass. QPC, 10 décembre 2013, n° 13-17.438, F-D (N° Lexbase : A0457KRD), Dr. sociétés, 2014, n° 35, note J.-P. Legros.
(13) Cons. const., décision n° 2013-368 QPC, 7 mars 2014 (N° Lexbase : A3292MGZ), D., 2014, Actu. 604, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 11 avril 2014, n° 101, p. 11, note B. Fallon ; nos obs. in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Avril 2014 (2nd. comm.) Lexbase Hebdo n° 566 du 10 avril 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N1709BUT).
(14) Cass. QPC, 8 avril 2014, n° 14-40.011, F-D (N° Lexbase : A6874MIG) .
(15) Cons. const., décision n° 2014-399 QPC, 6 juin 2014, (N° Lexbase : A0199MQG).
(16) Rapport J.-J. Hyest, n° 335, p. 99.
(17) Cass. QPC, 3 septembre 2013, n° 13-40.033, F-D (N° Lexbase : A5664KKY), D., 2013, Actu 2396, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 13, note I. Rohart-Messager ; Rev. proc. coll., novembre 2013, comm. 153, note Ch. Delattre ; BJS, janvier 2014, p. 17, note M. Roussille.
(18) Cass. QPC, 15 janvier 2013, n° 12-40.086, F-D (N° Lexbase : A5072I3A), Rev. sociétés, 2013, 180, note Ph. Roussel Galle ; BJE, mars 2013, comm. 36, note N. Borga ; Dr. sociétés, avril 2013, comm. 69, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., mars 2013, comm. 26, note Ch. Delattre ; Rev. sociétés, 2013, 338, note A. Reygrobellet ; BJS, avril 2013, comm. 116, note I. Parackévova.
(19) Cass. QPC, 18 février 2014, n° 13-40.071, F-D (N° Lexbase : A7606MEG), D., 2014, 478.
(20) Cass. QPC, 15 mars 2011, n° 10-40.073, FS-P+B (N° Lexbase : A6681HDS), Bull. civ. IV, n° 44 ; D., 2011, Actu. 815, obs. A. Lienhard ; D., 2011. 2689, note F. Arbellot ; Rev. sociétés, 2011, 387, note Ph. Roussel Galle ; Gaz. Pal., 8 juillet 2011, n° 189, note E. Le Corre-Broly ; BJE, 2011, 194, note M. Laroche ; RTDCom., 2011, 642, n° 7, obs. A. Martin-Serf ; E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2011 (1er comm..), Lexbase Hebdo n° 247 du 14 avril 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N9647BRQ).
(21) Cass. QPC, 1er avril 2014, n° 13-13.574, FS-P+B (N° Lexbase : A6295MIY), D., 2014, 1015, n° 7, note Y. Guillou ; Act. proc. coll., 2014/8, comm. 159, note P. Cagnoli.
(22) Cass. QPC, 2 novembre 2011, n° 10-25.570, F-D (N° Lexbase : A5231HZR), Gaz. Pal., 21 janvier 2012, éd. sp. Dr. entre. en diff., n° 20, p. 44, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2011, n° 303, note J. Leprovaux ; JCP éd. E, 2011, chron. 1 000, n° 1, obs. Ph. Pétel ; BJE, 2012, 120, concl. R. Bonhomme, note S. Becqué-Ickowicz et S. Cabrillac ; Rev. sociétés, 2011, 730, note Ph. Roussel Galle ; RTDCom., 2012. 198, n° 8, obs. A. Martin-Serf.
(23) Cons. const., décision n° 2011-212 QPC, 20 janvier 2012 (N° Lexbase : A8706IAP), D., 2012, pan. 2198, note F.-X. Lucas ; Gaz. Pal., 28 avril 2012, n° 118, p. 41, note L. Antonini-Cochin ; Gaz. Pal., 16 mars 2012, p. 33, note J. Casey ; Act. proc. coll., 2012, n° 38, note Legrand ; JCP éd. E, 2012, n° 1194, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 2012, chron. 1227, n° 6, obs. Ph. Pétel ; LPA, 17 avril 2012, n° 77, p. 3, note D. Jacotot ; Dr. et proc., 2012, 96, note Fl. Reille ; Rev. sociétés, 2012, 192, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll., 2012, Etude 8 ; Dr. et patr., 2012, n° 217, note C. Saint-Alary Houin ; LPA, 6 février 2013, n° 27, p. 5, note G. Yildirim. Adde L.-C. Henry, L'article L. 624-6, une abrogation acquise, une réforme attendue, JCP éd. E, 2012, Etude 1255.
(24) En tirant la conséquence, Cass. com., 11 avril 2012, n° 10-25.570, FS-P+B (N° Lexbase : A5820IIE), Bull. civ. IV, n° 81 ; D., 2012, AJ 1122, obs. A. Lienhard ; D., 2012, pan., 2200, note F.-X. Lucas ; Act. proc., coll., 2012, n° 148, note J. Leprovaux ; BJE, juillet 2012, n° 114, note S. Becqué-Ickowicz ; Rev. proc. coll., mai 2013, comm. 94, note C. Lisanti.
(25) Cass. com. 11 avril 2012, n° 10-27.235, FS-P+B (N° Lexbase : A6018IIQ), Bull. civ. IV, n° 79 ; D., 2012, Actu. 1122, obs. A. Lienhard ; D., 2012, pan. 2200, note F.-X. Lucas ; Gaz. Pal., éd. sp. Dr. entr. en diff., 3 août 2012, n° 216, p. 35, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2012, n° 148, note J. Leprovaux ; Rev. sociétés, 2012, 397, note Ph. Roussel Galle ; BJE, 2012, n° 114, note S. Becqué-Ickowicz ; JCP éd. E, 2012, chron. 1508, n° 3, obs. Ph. Pétel ; BJS, juin 2012, n° 266, note I. Parachkévova ; LPA, 9 mars 2013, n° 46, p. 9, note C. Bourdaire-Mignot ; Rev. proc. coll., mai 2013, comm. 94, note C. Lisanti.
(26) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. C, 28 mars 2013, n° 13/00162 (N° Lexbase : A0032KC8), Rev. proc. coll., mai 2013, comm. 94, note C. Lisanti.
(27) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-13.459, FS-D (N° Lexbase : A1368EDZ), D., 2009, AJ 1085, obs. A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle, LEDEN, 2009/4, p. 1, note crit. F.-X. Lucas, sur pourvoi contre CA Bordeaux, 2ème ch., 6 février 2008, n° 07/01952 (N° Lexbase : A5080EC7), JCP éd. E, 2008, 2026 ; Cass. civ. 2, 17 décembre 2009, n° 08-22.081, F-D (N° Lexbase : A0853EQN) ; Cass. civ. 2, 4 février 2010, n° 09-11.602, F-D (N° Lexbase : A6152ERB) ; CA Paris, 7 avril 2009, n° 08/18741.
(28) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-10.470, FS-D (N° Lexbase : A1319ED9), Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle ; Cass. civ. 2, 14 janvier 2010, n° 09-65.485, F-P+B (N° Lexbase : A3151EQR).
(29) Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-70.173, F-D (N° Lexbase : A7231EPI), Gaz. Pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 32, note Ph. Roussel Galle.
(30) CA Paris, 1er octobre 2009, n° 08/20989.
(31) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 avril 2009, n° 08/19446 (N° Lexbase : A0399EHA).
(32) F.-X. Lucas préc., note sous Cass. civ. 2, 12 février 2009, no 08-13.459, FS-D préc..
(33) Cons. constit., décision n° 2010-101 QPC, 11 février 2011 (N° Lexbase : A9132GTE), D., 2011, AJ 513, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Dr. entr. en diff., 1er et 2 avril 2011, p. 11, note Ch. Lebel ; Gaz. Pal. 20 à 22 février 2011, p. 8, note G. Teboul ; BJE, mai/juin 2011, § 71, p. 128, note Rétif ; BJS, mars 2011, p. 165, obs. F.-X. Lucas ; LPA, 16 juin 2011, n° 119, p. 21, note J.-P. Sortais ; LPA, 20 septembre 2011, n° 187, p. 3, note F. Dekeuwer ; Rev. sociétés, mai 2011, note Ph. Roussel Galle ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 239 du 17 février 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N4844BRT).
(34) Cass. QPC, 17 février 2011, n° 10-40.060, F-D (N° Lexbase : A1761GXI), D., 2011, AJ 673, obs. A. Lienhard ; Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-14.398, F-D (N° Lexbase : A7523HTS), JCP éd. E, 2011, chron. 1596, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., novembre 2011, comm. 213, note Ch. Lebel.
(35) Cass. civ. 2, 12 juillet 2012, n° 11-19.861, F-P+B (N° Lexbase : A7999IQC), Bull. civ. II, n° 134, Rev. proc. coll., septembre 2012, comm. 161, note Ch. Lebel.
(36) J.-P. Sortais, La suite heureuse d'une QPC, LPA, 15 août 2011, n° 161, p. 6.
(37) Cass. QPC, 14 septembre 2010, n° 10-40.022, FS-D (N° Lexbase : A6845E9E), Act. proc. coll., 2010, comm. 226, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2011, chron. 1030, n° 3, obs. approb. Ph. Pétel ; RTDCom, 2011, 798, n° 6, obs. A. Martin-Serf.
(38) Ainsi, J.-E Kuntz et V. Nurit, Le paiement de dettes connexes et le principe d'égalité des créanciers : l'éternelle incompatibilité, BJE, mai/juin 2011, § 65, p. 160 et s., spéc. p. 162, n° 32 et s..
(39) J. Lemontey, Redressement et liquidation judiciaires des exploitations agricoles, RD rur., 1990, 210, spéc. 212.

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Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l'expropriation - Septembre 2014

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Septembre 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Elle traitera, tout d'abord, d'un arrêt rendu le 26 février 2014 par le Conseil d'Etat qui précise les conséquences de la résolution d'une convention d'aménagement sur un arrêté de cessibilité (CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2014, n° 360820, mentionné aux tables du recueil Lebon). Cette chronique se penchera ensuite sur une réponse ministérielle en date du 18 mars 2014, relative à la procédure en contestation des indemnités d'expropriation (Rép. min. n° 36017 : JOAN Q, 18 mars 2014, p. 2682). Enfin, sera présenté un arrêt du 13 mai 2014 par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation consacre le recul de la théorie de la voie de fait (Cass. civ. 1, 13 mai 2014, n° 12-28.248, F-P+B+I).
  • Conséquences de la résolution d'une convention d'aménagement sur un arrêté de cessibilité (CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2014, n° 360820, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1014MGN)

1 - L'arrêt du Conseil d'Etat n° 360820, 360903 et 360948 du 26 février 2014 apporte d'utiles précisions sur les conséquences sur l'arrêté de cessibilité d'une décision de résolution d'une convention conclue entre une commune et un aménageur intervenue à la suite de l'annulation de la délibération autorisant sa signature. Le 7 novembre 2006, une commune avait signé une convention de concession avec une SNC confiant à celle-ci l'aménagement d'une zone d'aménagement concerté. Le préfet de l'Essonne a ensuite déclaré d'utilité publique, par un arrêté du 28 juillet 2006, l'acquisition des terrains nécessaires à la réalisation de cette opération et les travaux d'aménagement correspondants. Le 19 novembre 2007, il a ensuite pris un arrêté rendant cessibles ces terrains au profit de la SNC.

Saisi d'un recours par un contribuable de la commune, le tribunal administratif de Versailles a, par un premier jugement du 17 décembre 2009, annulé la délibération du conseil municipal approuvant le projet de traité de concession et autorisant le maire à le signer, ainsi que la décision du 7 novembre 2006 par laquelle le maire a signé la convention de concession d'aménagement de la zone. Dans le même jugement, le tribunal a enjoint à la commune de prononcer, dans un délai de deux mois, la résolution de la concession ou, à défaut, de solliciter du juge du contrat cette résolution. C'est la première solution qui a été choisie par la commune qui a décidé de procéder à la résolution, par voie amiable, de la concession d'aménagement.

Par un second jugement également prononcé le 17 décembre 2009, le tribunal administratif de Versailles a ensuite annulé l'arrêté du préfet de l'Essonne du 19 novembre 2007, au motif que le commissaire enquêteur ne pouvait être regardé comme ayant rendu un avis personnel et circonstancié à l'issue de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. La cour administrative d'appel de Versailles a censuré ce motif, mais elle a, néanmoins, confirmé le jugement, considérant que l'annulation de la délibération du 24 octobre 2006 du conseil municipal, suivie de la résolution amiable de la concession, entachait d'illégalité l'arrêté de cessibilité tendant à l'acquisition par la SNC des parcelles de terrain nécessaires à la réalisation de la zone d'aménagement concerté. C'est cette solution qui est également retenue par le Conseil d'Etat.

2 - Pourtant, a priori, le principe d'indépendance des législations s'applique de manière très stricte en droit de l'expropriation, notamment au regard des actes relatifs à la création d'une zone d'aménagement concerté. Le Conseil d'Etat considère ainsi que, "l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale [...] les actes, déclarations d'utilité publique et arrêtés de cessibilité, tendant à l'acquisition par voie d'expropriation des terrains nécessaires à la réalisation d'une zone d'aménagement concerté ne sont pas des actes pris pour l'application de la convention par laquelle la commune a confié à une société l'aménagement de cette zone, laquelle ne constitue pas davantage leur base légale" (1).

Cette solution n'est pas directement remise en cause par le Conseil d'Etat dans la présente affaire, mais sa portée est néanmoins atténuée. Les juges considèrent, en effet, que l'annulation de la délibération du 24 octobre 2006 du conseil municipal autorisant la signature de la convention et la résolution amiable de la concession qui l'a suivie, ont entraîné l'illégalité de l'arrêté de cessibilité contesté. Même s'ils rappellent que l'annulation d'un acte détachable d'un contrat n'implique pas nécessairement que celui-ci doive être annulé, les juges estiment que, du fait de la résolution amiable de la convention après l'annulation par le juge administratif de la délibération autorisant sa signature, le cocontractant n'a jamais eu la qualité de concessionnaire pour l'aménagement de la zone.

Dans un arrêt du 30 mai 2013 (2), la cour administrative d'appel de Marseille avait déjà retenu une solution similaire en annulant un arrêté de cessibilité, au motif que la demande d'ouverture de l'enquête publique avait été faite par le concessionnaire d'aménagement, alors que la décision de signer le contrat avait été annulée et qu'il avait été enjoint aux parties de résoudre le contrat.

La solution retenue dans l'arrêt du 26 février 2014 ne constitue pas un abandon de la jurisprudence "Sodemel" (3) puisqu'elle ne constitue pas une application du mécanisme d'exception d'illégalité. En effet, l'illégalité des décisions relatives à la concession d'aménagement ne contamine pas l'arrêté de cessibilité qui serait pris sur son fondement et qui serait, de ce fait, illégal. Ce qui fonde la solution retenue par le Conseil d'Etat, c'est le fait que la concession étant illégale, et celle-ci ayant été résolue, il y a lieu de considérer que l'arrêté de cessibilité doit être annulé en raison de l'absence d'identification du concessionnaire chargé de l'aménagement et bénéficiaire des expropriations. En d'autres termes, ce n'est pas l'illégalité des actes relatifs à la conclusion de la concession d'aménagement qui est prise en compte, mais l'anéantissement de la concession d'aménagement consécutive à l'annulation des décisions approuvant le projet de traité de concession et autorisant le maire à le signer. C'est donc en raison d'un vice propre de l'arrêté de cessibilité contesté que celui-ci doit faire l'objet d'une annulation.

Le raisonnement est particulièrement subtil et il aboutit, en réalité, aux mêmes effets que si les juges avaient directement recouru à la technique d'exception d'illégalité. Le Conseil d'Etat a probablement voulu éviter de créer une exception au principe d'indépendance des législations dont la portée aurait nécessairement suscité de nombreuses interrogations. On peut penser, toutefois, que dès lors que cette exception aurait été admise, cela aurait conduit nécessairement à un abandon de la jurisprudence "Sodemel", voire à un abandon du principe d'indépendances des législations dans d'autres domaines. Ceci explique surement en partie la solution retenue par le Conseil d'Etat.

  • Précisions sur la procédure en contestation des indemnités d'expropriation (Rép. min. n° 36017 : JOAN Q, 18 mars 2014, p. 2682 [LXB=L1063I47])

L'article R. 13-21 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3130HLI) dispose qu'à défaut d'accord amiable, le juge de l'expropriation peut être saisi par la partie la plus diligente. Cependant, ce même texte ajoute que la demande doit être adressée "au secrétariat de la juridiction" du département dans lequel sont situés les biens à exproprier. La question qui se pose est alors de savoir si la saisine du juge de l'expropriation doit être adressée "au secrétariat de la juridiction de l'expropriation", ou si la saisine du juge de l'expropriation peut être adressée sans autre précision "au juge de l'expropriation".

Le ministère de la Justice considère que, conformément à la lettre des dispositions susvisées, la saisine du juge de l'expropriation doit être adressée au greffe de la juridiction de l'expropriation compétente. Il s'agit d'une déclinaison de la règle de droit commun visée par l'article 54 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1232H4E), qui prévoit que, "sous réserve des cas où l'instance est introduite par la présentation volontaire des parties devant le juge, la demande initiale est formée par assignation, par remise d'une requête conjointe au secrétariat de la juridiction ou par requête ou déclaration au secrétariat de la juridiction".

Toutefois, une éventuelle erreur commise sur le destinataire précis de la saisine ne devrait pas être sanctionnée. En effet, l'article 114 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1395H4G), qui est applicable devant le juge de l'expropriation, prévoit qu'"aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public". Sous réserve de l'appréciation souveraine des juridictions et de la démonstration par celui qui s'en prévaut d'un grief, la demande adressée sur le fondement de l'article R. 13-21 du Code de l'expropriation directement au juge de l'expropriation en lieu et place du greffe de la juridiction de l'expropriation, n'est pas une cause automatique de nullité de la saisine.

  • De la raréfaction des hypothèses de voie de fait (Cass. civ. 1, 13 mai 2014, n° 12-28.248, F-P+B+I N° Lexbase : A0459MLL)

L'arrêt n° 12-28.248 du 13 mai 2014 de la première chambre civile de la Cour de cassation constitue une bonne illustration du recul de la théorie de la voie de fait, consécutive à l'évolution récente de la jurisprudence du Tribunal des conflits (4). A l'occasion de travaux de rénovation d'une place publique, une commune avait modifié le cloutage au sol de telle sorte que la terrasse d'un immeuble appartenant à une personne privée se trouvait désormais incluse dans le domaine public. La commune avait également installé des éclairages en quatre points de la façade en lieu et place de l'unique lanterne qui s'y trouvait auparavant. Sur le fondement de la théorie de la voie de fait, la propriétaire a alors sollicité la condamnation de la commune à procéder, sous astreinte, à des travaux de remise en état, ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts. La cour d'appel de Limoges, après avoir reconnu sa compétence, avait condamné sous astreinte la commune à procéder à la remise en état des lieux dans leur forme initiale concernant l'éclairage sur la façade de l'immeuble et à procéder aux travaux de reprise des dégradations causées par la commune. La commune avait également été condamnée à verser la somme de 6 000 euros à la propriétaire au titre de dommages-intérêts en réparation des troubles et atteintes à sa propriété.

La Cour de cassation censure ce raisonnement, considérant qu'une voie de fait n'a pas été commise, conformément à la nouvelle définition de cette notion issue de l'arrêt du Tribunal des conflits "Bergoend" du 17 juin 2013 (5). Jusqu'à l'arrêt "Bergoend", la voie de fait, qui est une notion apparue à l'occasion de l'arrêt du Conseil d'Etat "Rousseau" du 21 septembre 1827 (6), devait être constituée par une atteinte grave à la propriété privée ou par une atteinte grave à une liberté fondamentale (7) manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative (8). On rappellera que la reconnaissance de la voie de fait aboutit à attribuer une plénitude de compétence au juge judiciaire. Ainsi, le juge judiciaire peut non seulement réparer les conséquences de la voie de fait, mais il peut également constater son existence et adresser à l'administration des injonctions pour y mettre fin.

Le recours à cette théorie était parfaitement justifié à l'époque où le juge administratif ne disposait pas de pouvoir d'injonction vis-à-vis de l'administration. En effet, seul le juge judiciaire pouvait ordonner à l'administration, éventuellement sous astreinte, de faire cesser de graves atteintes portée par celle-ci au droit de propriété ou au droit des libertés fondamentales.

Or, dans un période récente, il est apparu que l'utilité de la théorie de la voie de fait devait être relativisée. A l'origine du déclin de la voie de fait, il faut mentionner la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative aux référés devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), qui a créé une procédure de référé liberté. Selon l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT), "saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale". Ainsi, le juge du référé liberté a la possibilité d'adresser des injonctions à l'administration en cas d'atteinte aux libertés fondamentales, mais aussi au droit de propriété (9). En revanche, selon la lettre de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, dans les cas où l'administration "n'a pas agi dans l'exercice d'un de ses pouvoirs", c'est toujours le juge judiciaire qui est compétent dans le cadre de la voie de fait.

Cette restriction, qui résulte pourtant expressément des textes, n'a toutefois pas empêché le juge des référés du Conseil d'Etat de considérer que, "sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés [...] d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait" (10).

Il était évident, à partir de cette décision, que le justiciable bien informé avait tout intérêt, en cas d'atteinte grave et manifestement illégale portée par l'administration au droit de propriété, à saisir le juge du référé liberté plutôt que le juge judiciaire. Il avait ainsi l'assurance de ne pas se tromper de juge, puisque le juge des référés accepte désormais de se prononcer alors même qu'une voie de fait est constituée. Tout au plus risque-t-il de voir le juge du référé liberté considérer que la condition d'urgence propre à cette procédure n'est pas remplie, puisque "la mise en oeuvre des pouvoirs particuliers prévus à l'article L. 521-2 est subordonnée à l'existence d'une situation d'urgence impliquant [...] qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les 48 heures" (11). En revanche, s'il saisit le juge judiciaire, le requérant s'expose à une éventuelle décision d'incompétence ou au déclenchement d'une procédure de conflit positif, dans le cas où ce juge ou le préfet considérerait que l'administration a agi "dans le cadre de ses pouvoirs". Réduite ainsi dans son utilité pratique, la théorie de la voie de fait devait nécessairement disparaître, ou au moins voir son utilisation fortement réduite.

Ce mouvement a été accéléré par la jurisprudence "Bergoend", dont le considérant de principe est ici repris mot pour mot par la Cour de cassation : "il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative".

Ainsi, la voie de fait n'est désormais retenue qu'en cas "d'extinction du droit de propriété". Cette formule est extrêmement restrictive et elle n'est en tout cas pas assimilable à une simple privation, dépossession ou aliénation. Il semble qu'il y ait ici un décalage avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle le juge judiciaire doit être reconnu comme compétent plus largement pour indemniser les préjudices en cas de "dépossession" du droit de propriété (12). Ceci étant, dans son arrêt n° 3931 du 9 décembre 2013 (13), le Tribunal des conflits a assimilé "extinction" du droit de propriété et "dépossession définitive".

Quoi qu'il en soit, si l'on s'en tient à la lettre de l'arrêt "Bergoend", la compétence du juge judiciaire ne peut s'appliquer qu'à des hypothèses où le droit de propriété est totalement vidé de sa substance, particulièrement dans l'hypothèse de la destruction d'un bien. Ainsi, dans l'affaire "Bergoend", le Tribunal des conflits avait refusé de considérer qu'une atteinte aussi grave au droit de propriété que l'implantation, sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée est assimilable à l'extinction d'un droit de propriété.

Compte tenu de cette restriction du domaine de la voie de fait, il est tout à fait évident que ses conditions de reconnaissance n'étaient pas réunies dans la présente affaire, en dépit d'une atteinte avérée au droit de propriété. La cour d'appel de Limoges avait relevé deux éléments caractérisant selon elle une voie de fait : la mise en oeuvre de travaux réalisés par la commune, avec l'assentiment de la propriétaire, qui avaient conduit à supprimer les signes distinctifs de la limite entre sa terrasse et le domaine public, entraînant une occupation irrégulière de sa propriété privée par les automobilistes ; la réalisation de trois points d'ancrage permettant l'installation de lanternes sur la façade de l'immeuble, cette fois-ci sans l'accord de la propriétaire. Il est évident que ces éléments, caractérisant une atteinte illégale au droit de propriété, ne conduisent pas à "l'extinction" de ce droit au sens de la jurisprudence Bergoend, ni même à une "dépossession" au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il n'y a donc pas voie de fait et c'est la juridiction administrative qui devra être saisie en vue de faire droit aux demandes de la propriétaire.


(1) CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 320735 et n° 320854, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0245HWY), p. 346, AJDI, 2011, p. 806, note R. Hostiou, Constr.-Urb., 2011, comm. 123, note L. Santoni, Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 302, note P. Devillers, Etudes foncières, n° 153, sept.-oct. 2011, p. 47, chron. F. Lévy, JCP éd. A, 2011, 544, AJDA, 2011, p. 1406, BJCP, 2011, p. 387, concl. D. Hedary, obs. Ph. T., JCP éd. A, 2012, 2053, obs. C. Devès ; voir également CE 10° s-s., 26 décembre 2013, n° 351959, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9167KSC) et CAA Nantes, 2ème ch., 15 juin 2012, n° 10NT01779 (N° Lexbase : A0762IQB), Constr.-Urb., 2012, comm. 1247, note L. Santoni. Cette solution s'applique également dans l'hypothèse où la concession a été précédemment annulée, voir CE 2° et 7° s-s-r., 20 mars 2013, n° 351101, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8565KAH), AJDA, 2013. p. 662, AJCT, 2013, p. 308, JCP éd. A, 2013, act. 295, obs. L. Erstein, RDI, 2013, p. 282, obs. P. Soler-Couteaux.
(2) CAA Marseille, 5ème ch., 30 juillet 2013, n° 11MA00927 (N° Lexbase : A5756KKE), Constr.-urb., 2013, comm. 132, note L. Santoni.
(3) CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 320735 et n° 320854, publié au recueil Lebon, préc..
(4) T. confl., 17 juin 2013, n° 3911 (N° Lexbase : A2154KHA), AJDA, 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau, Dr. adm., 2013, 86, note S. Gilbert, JCP éd. A, 2013, 2301, note C.-A. Dubreuil, JCP éd. G, 2013, 1057, note S. Biagini-Girard, RFDA, 2013, p. 1041, note P. Delvolvé, RJEP, 2014, 19, note L. Lebon.
(5) Préc..
(6) Rec. p. 504.
(7) T. confl., 8 avril 1935, n° 00822 (N° Lexbase : A8174BD4), Rec., p. 1126, concl. P.-L. Josse, D., 1935, III, p. 25, concl. P.-L. Josse, note M. Waline, RDP, 1935, p. 309, concl. P.-L. Josse, note G. Jèze, S., 1935, III, p. 74, note. P.-L. Josse.
(8) CE, Ass., 18 novembre 1949, Carlier, Rec. p. 490, JCP, 1950, II, 5535, note G.V., RDP, 1950, p. 172, concl. F. Gazier, note M. Waline, S. 1050, III, p. 49, note R. Drago.
(9) CE, 23 mars 2001, n° 231559, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2635ATR), p.154, BJDU, 2001 p.111, note J.-C. Bonichot, Constr.-Urb., 2001, comm. 235, RD imm., 2000, p. 275, obs. P. Soler-Couteaux, RFDA, 2001, p.765.
(10) CE, 23 janvier 2013, n° 365262, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9100I3G), AJDA, 2013, p. 788, chron. X. Domino et A. Bretonneau, JCP éd. A, 2013, 2047, note H. Pauliat et 2048, note L. Le Bot, RFDA, 2013, p. 299, note P. Delvolvé.
(11) CE, 28 février 2003, n° 254411, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2327EDK), p. 68, JCP éd. A, 2003, 816, note P.-J. Quillien.
(12) Cons. const., 13 décembre 1985, décision n° 85-198 DC (N° Lexbase : A8117ACM), Rec. Cons. const. 1985, p. 78, JCP éd. G, 1986, I, 3237, note J. Dufau, AJDA, 1986, p. 171, note N. Boulouis, D., 1986, jurispr. p. 345, note F. Luchaire, Rev. adm., 1985, p. 572, note J.-L. Etien.
(13) T. confl., 9 décembre 2013, n° 3931 (N° Lexbase : A2513KTA), AJDA, 2014, p. 216, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, Dr. adm., 2014, 25, note S. Gilbert, RD imm., 2014, p. 261, note N. Foulquier, RFDA, 2014, p. 61.

newsid:443445

Fiscal général

[Brèves] Publication de la loi de finances rectificative pour 2014

Réf. : Loi n° 2014-891 du 8 août 2014, de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49)

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N3544BUS

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Le 05 Septembre 2014

La loi de finances rectificative pour 2014 (loi n° 2014-891 N° Lexbase : L0228I49) a été publiée au Journal officiel du 9 août 2014. Les mesures pour lesquelles la loi ne prévoit aucune date d'entrée en vigueur spécifique s'appliquent donc à compter du 10 août 2014. Une des mesures importante annoncée par le Gouvernement est la prorogation pour une année supplémentaire de la contribution exceptionnelle sur l'IS et donc le report de sa suppression qui passe du 31 décembre 2015 au 31 décembre 2016 pour les grandes entreprises (chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros), ceci dans le but de maximiser l'impact des mesures du Pacte de responsabilité (art. 15). La réforme de la taxe d'apprentissage constitue également une des principales dispositions à destination des entreprises. Cette réforme permet d'améliorer le financement de l'apprentissage et de favoriser son accès (art. 8). La loi prévoit pour les personnes physiques une réduction d'impôt sur le revenu de 350 euros pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 700 euros pour les couples, en faveur des contribuables dont le revenu fiscal de référence n'excède pas le montant imposable d'un salaire égal à 1,1 fois le SMIC. Cette baisse d'impôt en faveur des ménages modestes sera portée sur l'avis d'impôt 2013 (adressé en septembre 2014). Les bénéficiaires de cette réduction n'ont aucune démarche à engager. Le montant de la réduction sera indiqué sur l'avis d'impôt (art. 1). Le législateur n'a pas révisé les paramètres de calcul de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation de logement sociale pour l'année 2014. La loi de finances rectificative pour 2014 ne touche finalement pas à la taxe de séjour mais revoit l'allocation temporaire d'attente pour les demandeurs d'asile (art. 31). Enfin, quelques dispositions nouvelles ont été insérées, notamment en vue d'alourdir les amendes dues en cas de non-respect de certaines règles de présentation de la comptabilité (art. 22, 23, et 24).

newsid:443544

Fiscalité des entreprises

[Textes] Loi de finances rectificative pour 2014 - Prix de transfert : renforcement des prérogatives de l'administration concernant le contrôle des opérations avec les Etats et territoires non-coopératifs (ETNC)

Réf. : Loi de finances du 8 août 2014 n° 2014-891 rectificative pour 2014, art. 19 (N° Lexbase : L0228I49)

Lecture: 8 min

N3457BUL

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par David Chrétien, Avocat, Landwell

Le 04 Septembre 2014

Dans le contexte des travaux de l'OCDE sur les mesures "BEPS" (1) préconisé par cet organisme contre l'évasion fiscale internationale ("érosion" est un terme plus approprié) et contre la relocalisation des bénéfices, l'encadrement des pratiques en matière de prix de transfert reste au coeur des préoccupations des pouvoirs publics. Précisément, les prérogatives de l'administration viennent d'être renforcées quand celle-ci souhaite mettre en évidence qu'un contribuable a transféré indirectement des bénéfices à l'étranger en "jouant" sur ses prix de transfert. Cessions de biens corporels ou incorporels, prestations de services... tel est le domaine de la législation fiscale sur les prix de transfert quand ces opérations interviennent entre sociétés/entités résidentes d'Etats différents. Une suspicion fiscale apparaît dès lors que ces opérations sont effectuées dans des conditions anormales de rémunération (prix indument majoré/minoré par rapport à une situation "de pleine concurrence" ou situation d'absence injustifiée de rémunération) (2) pouvant laisser présager que l'opération vise à transférer indirectement des bénéfices ou des capitaux à l'étranger.

L'article 57 du CGI (N° Lexbase : L9738I33) autorise l'administration à sanctionner de tels transferts réalisés par une entreprise Française, mais à charge de prouver que cette entreprise est sous la dépendance -capitalistiquement, juridiquement ou économiquement (3)- d'une autre ou, alternativement qu'elle exerce le contrôle sur une autre entité.

La mise en évidence par un vérificateur d'une relation de dépendance ou de contrôle peut constituer une difficulté (4). L'administration est néanmoins déchargée de ce fardeau quand l'opération économique est effectuée avec une entité résident dans un "paradis fiscal" (5).

Elle est également dispendée de prouver la dépendance/le contrôle, depuis l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49), lorsque l'opération économique est effectuée avec une entreprise résident d'un "Etat ou territoire non coopératif" (ETNC), au sens fiscal.

Cette qualification "ETNC" est attribuée, après une évaluation par l'OCDE, à certains Etats, non-membres de l'Union européenne, n'ayant pas conclu de conventions d'assistance administrative avec la France ni, par ailleurs, avec un nombre significatif d'autres Etats.

En 2014, les ETNC sont les suivants (6):

- le Brunei Darussalam,
- les Iles Vierges britanniques,
- Montserrat,
- Niue,
- la République des Îles Marshall,
- la République du Botswana,
- la République du Guatemala,
- la République de Nauru.

Cette liste peut paraître "exotique". Signalons qu'elle est revue chaque année par le ministère de l'Economie et qu'elle est donc susceptible d'entrées et de sorties de pays. Mentionnons aussi que des pays tels les Philippines, Jersey, les Bermudes, Panama, le Costa Rica ont pu figurer sur cette liste avant d'effectuer certaines démarches pour améliorer leur degré de coopération dans la lutte contre l'évasion fiscale.

Notons également que les pays figurant sur cette liste ne se sont engagés envers la France ni en matière d'assistance administrative ni en matière d'élimination des doubles impositions (à l'exception de la République du Botswana qui a conclu avec la France une convention en matière d'impôt sur le revenu) (7).

Nous rappellerons le dispositif de contrôle des prix de transfert tel qu'il est réformé par la loi de finances rectificative pour 2014 (I) avant d'examiner les conséquences pratiques de cette réforme (II).

I - Le dispositif de contrôle des prix de transfert

A - Rappels sur l'article 57 du CGI

Comme indiqué, l'objet des dispositions de l'article 57 du CGI est de donner à l'administration la possibilité de redresser les résultats déclarés par les entreprises françaises à raison des bénéfices qu'elles leur auraient indirectement transférés en les faisant ainsi échapper à l'impôt français.

Si l'article 57 du CGI est applicable -on le comprend- avec les pays n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale sur les doubles-impositions, cette disposition conserve toute son efficacité en présence d'une telle convention fiscale internationale. En effet, l'un des objectifs de ces conventions est que le résultat imposable d'un établissement stable (succursale, bureau, chantier,...) et provenant de ses relations avec une entreprise associée soit comparable à celui qu'il obtiendrait s'il était une entreprise autonome et à part entière. Ce type de clause, parfaitement standard, est donc entièrement convergent avec l'article 57 du CGI.

Il s'applique à toutes les entreprises soumises à l'impôt français, impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse d'entreprises françaises ayant des exploitations directes ou indirectes hors de France ou d'entreprises étrangères ayant en France des exploitations de même nature soumises à l'impôt français, pour ce qui concerne l'imposition de ces dernières.

B - Les dispositions de l'article 57 CGI combinées avec le Livre des procédures fiscales

Sur le plan processuel, il est essentiel pour l'administration de réunir des renseignements et informations permettant de présumer qu'un transfert indirect de bénéfices a été opéré au sens de l'article 57 du CGI. En effet, lorsqu'une telle présomption est établie (8), le Livre des procédures fiscales l'autorise à exiger de l'entreprise vérifiée des justifications et éclairages en matière de prix de transfert, et ainsi dans une certaine mesure d'inverser la charge de la preuve. C'est ainsi l'article L. 13 B du LPF (N° Lexbase : L3346IGZ) qui crée l'obligation, à peine de sanction (9), de fournir à l'administration des informations et documents sur plusieurs points, comme suit :

- description et explications complémentaires aux éléments identifiés par l'administration sur les liens de dépendance ou de contrôle, existant entre l'entreprise vérifiée et l'entité établie à l'étranger ;
- méthode de détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale ou financière effectuées avec l'entreprise étrangère et les éléments qui la justifient ainsi que, le cas échéant, les contreparties consenties;
- descriptifs des activités exercées par l'entreprise étrangère ;
- traitement fiscal appliqué, à l'étranger, à ces opérations si l'entreprise étrangère est exploitée ou contrôlée, en capital ou en droits de vote, par l'entreprise française.

On notera que la procédure de l'article L. 13 B du LPF n'aura pas à être mise en oeuvre si l'entreprise accepte, sans devoir y être contrainte, de fournir spontanément au vérificateur tous éléments utiles à la compréhension de la situation existante et que l'administration n'est pas tenue d'y recourir, même elle établit que les conditions d'application de l'article 57 du CGI sont remplies.

Pas davantage, la procédure de l'article L. 13 B du LPF ne peut être appliquée aux entreprises qui ont l'obligation de maintenir, constamment à jour, une documentation de leur politique de prix de transfert (LPF. art. L. 13 AA (N° Lexbase : L1053IZZ). Rappelons que cette obligation concerne toute entité, établie en France, (i) dont le CAHT ou l'actif brut est de 400 millions d'euros ou plus (10) ou (ii) qui est détenue, directement ou indirectement, à plus de la moitié du capital ou des droits de vote, par une entité répondant à ce niveau de CAHT ou d'actif brut ou (iii) détenant directement ou indirectement plus de la moitié du capital ou des droits de vote d'une entité française ou étrangère répondant à ce niveau de CAHT ou d'actif brut ou (iv) membre d'un groupe d'intégration fiscale si ce groupe comprend au moins une entité répondant aux critères (i), (ii) ou (iii). Mentionnons également que, pour les entreprises concernées par cette obligation de maintien permanent d'une documentation de prix de transfert, les relations entretenues avec des entreprises résident d'ETNC leur vaudront de devoir compléter cette documentation avec des éléments spécifiques complémentaires : en effet, pour chaque entreprise étrangère d'un ETNC bénéficiaire des transferts, il s'agira de fournir un ensemble de documents comptables équivalents de ceux qui pourrait être exigés d'une entreprise française.

II - Les conséquences pratiques de cette réforme

A - Suppression de la condition de "dépendance et de contrôle" concernant les ETNC

Comme nous l'avons mentionné, la loi de finances rectificative pour 2014 a procédé à l'alignement des ETNC sur les pays à régime fiscal privilégié, en matière de vérification de la politique de prix de transfert d'une entreprise française et de détection d'un éventuel transfert indirect de bénéfices. Dans les paradis fiscaux autant, par définition, que dans les Etats et territoires non-coopératifs, la preuve de l'existence d'un lien de dépendance est très difficile, voire impossible à rapporter compte tenu du secret généralement maintenu sur les propriétaires réels des entreprises étrangères domiciliées dans ces régions du monde.

Le premier intérêt pour l'administration est d'élargir, au sein des ETNC, le champ des entreprises avec lesquelles la réalisation d'opération économique avec une entreprise française pourrait être contestée. En effet, pour paraphraser les commentaires administratifs pris sur ce point au sujet des relations avec les paradis fiscaux, "Les dispositions de l'article 57 du CGI trouvent à s'appliquer dès lors que l'opération commerciale susceptible de donner lieu à un transfert de bénéfice est réalisée avec une entreprise ou un établissement domicilié (11)" dans un ETNC, sans donc qu'une suspicion préalable naisse ou ne soit recherchée quant à la commune appartenance de l'entité française et de l'entité étrangère à un même groupe ou quant à des mécanismes de pouvoirs de l'une sur l'autre.

Le second intérêt, processuel celui-là, est de faciliter le recours de l'administration à l'article L13 B du LPF pour les vérifications qu'elle opère concernant les relations avec les ETNC. En effet, dans une situation où une entreprise française vérifiée avait jusqu'à présent la possibilité d'invoquer l'absence de liens de dépendance ou de contrôle avec une entité ETNC pour se dispenser de répondre aux questions ou demandes fondées sur cette dernière disposition, cette parade est désormais exclue (12).

En termes pratiques, il faut signaler, pour les vérifications de comptabilité en cours et impliquant des entreprises effectuant des opérations économiques avec des entités résident d'ETNC, que la réforme introduite par la loi de finances rectificative pour 2014, ne s'applique pas rétroactivement mais seulement aux exercices clos à compter du 10 août 2014. Pour les entreprises dont l'exercice coïncide avec l'année civile, c'est donc, au plus tôt à l'occasion des contrôles fiscaux engagés à partir de l'année prochaine que cette réforme deviendra sensible.

B - Suppression de la condition de "dépendance et de contrôle" concernant les ETNC

Pour les entreprises françaises entretenant des relations économiques avec toute entreprise domiciliée dans un ETNC, le temps pourra être mis à profit pour s'assurer que le paramétrage de ces relations est satisfaisant en matière de prix de transfert. Après la réforme introduite par la loi de finances rectificatives pour 2014, l'attention et la discussion se focaliseront uniquement sur l'existence, ou non, d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger.

Pour mémoire, voici les domaines ou les types de comportements économiques qui sont particulièrement sous vigilance au regard des prix de transfert :

- octroi de prêts sans intérêt ou à un taux réduit
- remises de dettes (renonciation aux intérêts stipulés par les contrats de prêt)
- attribution d'un avantage hors de proportion avec le service obtenu
- achats à prix majorés ou ventes à prix minorés
- versement de redevances excessives ou sans contrepartie
- commissions anormales
- prêts consentis à des conditions anormales
- abandon de créances
- prise en charge de frais
- participation forfaitaire aux frais d'exploitation d'une filiale à l'étranger
- caution donnée gratuitement à des entités étrangères
- ...

On note que si, s'agissant des ETNC, l'administration est déchargée d'établir un rapport de dépendance ou de contrôle avec l'entité étrangère, c'est toujours à elle qu'il incombe de prouver l'existence et de déterminer le montant des avantages consentis par l'entreprise française. La loi ne fixe aucune règle de preuve particulière. Aussi, appartient-il à l'administration de prouver, selon la procédure de droit commun, le caractère anormal de l'opération qu'elle entend redresser.

L'entreprise vérifiée a, bien entendu, la faculté d'apporter la preuve contraire en établissant que l'opération apparemment anormale est en réalité justifiée par les nécessités de l'exploitation.

Pour mémoire, signalons un autre écueil fiscal propre aux ETNC. Une charge supportée par une entreprise française envers une entité des ETNC en contrepartie d'un service rendu (13) n'est pas fiscalement déductible (CGI. art. 238 A al.3 N° Lexbase : L3230IGQ), sauf à l'entreprise française de prouver que la charge correspond à des opérations réelles, que les sommes versées ne présentent pas un caractère anormal et exagéré et que les opérations qu'elles rémunèrent ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un ETNC. Ainsi, devront être fournis tous éléments de nature à démontrer l'objet et l'effet principalement autre que fiscal des opérations effectuées.


(1) Base Erosion and Profits Shifting ; "Plan d'action concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices", OCDE, 19 Juillet 2013, ISBN : 9789264203242.
(2) Achat et vente de biens, de services, redevances, intérêts, garantie, honoraires, cession ou concession de biens incorporels (tels que les marques, brevets, savoir-faire), refacturation de coûts communs...
3) Insistons sur le fait que la "dépendance" et le "contrôle" au sens de l'article 57 du CGI sont autonomes, voir assez éloignés de la "dépendance" au sens de l'article 39-12 duCGI (N° Lexbase : L3894IAH) qui, lui, contient une référence capitalistique explicite et déterminée (i.e. majorité du capital social) et permet de déterminer le périmètre d'entreprises liées entre elles.
(4) Voir notamment CE, 9° et 8° s-s-r., 18 mars 2014, n° 68799 et n° 70814 (N° Lexbase : A2246B8P), RJF 5/94 n° 532.
(5) Rappelons que, d'un point de vue juridique, "paradis fiscal" se traduit par un "régime fiscal privilégié" lequel est caractérisé lorsqu'une entreprise supporte, dans son Etat de résidence, un impôt sur ses résultats "inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, si elles y avait été domiciliée ou établie" (CGI. art. 238 A).
(6) Arrêté du 17 janvier 2014 établissant la liste des Etats et territoires mentionnée au deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L3333IGK).
(7) Convention du 15 avril 1999 (N° Lexbase : L6832BHI).
(8) Une simple présomption étant requise, il n'est pas exigé que l'administration possède les informations qui feront l'objet de la procédure de coopération forcée de l'article L. 13 B du LPF ni qu'elle démontre préalablement le caractère anormal des opérations dont elle souhaite apprécier la normalité. L'administration ne doit pas davantage motiver sa demande auprès de l'entreprise quand elle souhaite utiliser la procédure de l'article L. 13 B du LPF.
(9) CGI, art.1735 (N° Lexbase : L1725HN9) : "II. Le défaut de réponse à la demande faite en application de l'article L. 13 B du LPF entraîne l'application d'une amende de 10 000 euros pour chaque exercice visé par cette demande".
(10) Il s'agit des entreprises relevant, pour l'accomplissement de leurs obligations fiscales, de la Direction des grandes entreprises.
(11) BOI-BIC-BASE-80-20 n° 80 et 90 (N° Lexbase : X5032ALX).
(12) BOI-CF-IOR-60-50 n° 360 (N° Lexbase : X8130ALP).
(13) Idem pour les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, à l'exception de ceux dus au titre d'emprunts conclus avant le 1er mars 2010 ou conclus à compter de cette date mais assimilables à ces derniers, ainsi que les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues.

newsid:443457

Fiscalité financière

[Brèves] Loi de finances rectificative pour 2014 - Dispositions relatives au régime de l'abattement de droit commun en matière de plus-values mobilières concernant les stock-options et BSPCE

Réf. : Loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49)

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N3497BU3

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Le 11 Septembre 2014

L'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49) est venu modifier les articles 150-0 D (N° Lexbase : L9703I3R) et 150-0 D ter du CGI (N° Lexbase : L9704I3S). Ces derniers disposent notamment que les plus-values sur valeurs mobilières sont taxées au barème progressif de l'impôt sur le revenu après application d'un abattement au-delà de deux ans de détention dans le cas général, un an dans certains cas particuliers. Egalement, les dirigeants de PME qui cèdent leur société à l'occasion de leur départ en retraite bénéficient en plus d'un abattement fixe de 500 000 euros. Cependant, ces abattements ne s'appliquent pas à l'occasion de la levée d'options (stock-options) attribuées avant le 20 juin 2007, ni au gain net correspondant à la cession de titres souscrits en exercice de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE). Précisément, le texte spécifie que l'abattement pour durée de détention (de 50% à 85% selon les situations) qui permet de diminuer la base imposable ne s'applique pas aux plus-values de cession consécutives à l'exercice de BSPCE. L'imposition de ces gains ne bénéficie donc pas d'avantage supplémentaire, sachant qu'elle jouit d'un régime dérogatoire déjà favorable, en particulier pour les contribuables situés dans les tranches supérieures du barème de l'impôt (41% et 45%). Ces gains sont taxable à un taux d'imposition forfaitaire (applicable à tous) de 30% si le bénéficiaire des BSPCE exerce son activité dans l'entreprise émettrice des bons depuis moins de 3 ans à la date de la vente, un taux qui tombe à 19% au-delà de cette période. Le cas des stock-options attribuées depuis le 20 juin 2007 était déjà réglé, les gains afférents étant imposés selon des "modalités spécifiques ne faisant aucune référence à un quelconque régime d'abattement", comme l'a rappelé le sénateur François Marc, rapporteur général socialiste de la commission des finances de la Haute assemblée, dans un rapport remis début juillet à l'occasion de l'examen de la loi.

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Licenciement

[Jurisprudence] Nouveaux cas d'indemnisation de préjudices subis par les salariés en matière de sécurité ou de licenciement pour motif économique

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2014, n° 13-15.470 FS-P+B (N° Lexbase : A4155MUG)

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N3481BUH

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 04 Septembre 2014

La construction du droit du travail, tout au long du XXème siècle, n'a jamais éludé l'application du droit civil et, en particulier, des règles de la responsabilité civile contractuelle ou extracontractuelle. Il est ainsi fréquent que des salariés demandent aux juridictions l'indemnisation de différents préjudices subis du fait du manquement à une obligation contractuelle. La décision rendue le 8 juillet 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (I) illustre parfaitement cette faculté et la Haute juridiction avalise, pour la première fois à notre connaissance, l'indemnisation du préjudice subi par le salarié du fait de l'absence de document unique d'évaluation des risques dans l'entreprise, considérant au passage que l'absence de preuve de l'existence d'un risque ne permettait pas à l'employeur d'être dispensé de l'obligation d'établir le document (III). La mobilisation des règles issues de la responsabilité délictuelle est plus rare, principalement en raison du principe de non-cumul des responsabilités et du fait que le salarié et l'employeur soient liés par contrat. Ce n'est qu'exceptionnellement, lorsqu'un tiers est impliqué dans la réalisation du dommage, que ces règles de responsabilité extracontractuelle peuvent être utilisée, comme c'est le cas en l'espèce, s'agissant des fautes commises par une société mère ayant concouru à la déconfiture de l'entreprise et, donc, aux pertes d'emplois, fautes qui permettent aux salariés d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis. La situation, parallèle à celle des co-employeurs, s'en distingue cependant et vient peut-être la compléter (II).
Résumé

Si l'adhésion des salariés à la convention passée entre l'employeur et l'Etat les prive, sauf fraude ou vice du consentement, de la possibilité de discuter la régularité, la légitimité ou la validité de leur licenciement en raison de leur classement dans la catégorie des salariés ne pouvant faire l'objet d'un reclassement et du versement d'une allocation spéciale jusqu'au jour de la retraite, elle ne rend pas irrecevable une action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre un tiers auquel sont imputées des fautes ayant concouru à la déconfiture de l'entreprise et, par là, à la perte des emplois dès lors que ces fautes se distinguent des manquements qui pourraient être reprochés à l'employeur en ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou de l'obligation de reclassement.

L'employeur est tenu d'évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique, à défaut de quoi il peut être condamné à l'indemnisation des salariés concernés.

Commentaire

I - L'espèce

Les demandes des salariés. Au cours de l'année 2005, une société de fabrication de sièges fait l'objet d'une restructuration accompagnée de la suppression de 166 emplois. Trois ans plus tard, les titres de la société sont cédés à une autre société comptant un unique associé, la société mère. La société de fabrication de sièges est placée en redressement judiciaire en 2009 à la suite de quoi les administrateurs de la procédure prononcent le licenciement des 166 salariés, licenciements accompagnés d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Les salariés de l'entreprise ont saisi le juge prud'homal sur le fondement de diverses demandes.

Ils contestaient, d'abord, la régularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise dans le cadre du licenciement, l'employeur ayant été accompagné lors des différentes réunions de personnes étrangères à l'entreprise. Ils reprochaient également à l'administrateur judiciaire d'avoir présidé les réunions en lieu et place de l'employeur. La cour d'appel de Pau avait débouté les salariés de leurs demandes, en relevant que la présence de personnes étrangères à l'entreprise avait été acceptée par les membres du comité d'entreprise et les salariés avaient formé pourvoi en cassation sur ce premier moyen.

Les salariés contestaient, ensuite, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi qui aurait été insuffisant s'agissant des propositions de reclassement interne. Egalement déboutés sur ce point par le juge d'appel, les salariés soulevèrent ce moyen devant la Chambre sociale de la Cour de cassation qui le jugea infondé, les juges d'appel ayant exactement apprécié le caractère concret et précis des mesures prises pour assurer le reclassement des salariés.

Pour ce qui constitue le sixième moyen de l'affaire, une vingtaine de salariés demandaient encore la condamnation de la société mère au versement de dommages et intérêts en raison de fautes qui auraient concouru à la "déconfiture" de l'entreprise. L'action en responsabilité extracontractuelle avait, en effet, été accueillie par la cour d'appel de Pau pour 143 salariés, mais rejetée pour une vingtaine d'autres, au motif que ceux-ci avaient bénéficié d'une convention d'allocations spéciales du fonds national pour l'emploi (ASFNE), ce qui leur interdisait de remettre en discussion la régularité ou la légitimité de la rupture de leur contrat de travail.

Enfin, les salariés demandaient l'indemnisation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation d'établir un document unique d'évaluation des risques, demande dont ils étaient également déboutés par les juges d'appel en raison de "l'absence d'indication et de précision et a fortiori à défaut de preuves sur les substances ou préparations chimiques utilisées au sein de l'entreprise" (1).

La décision. Par un arrêt rendu le 8 juillet 2014, la Chambre sociale répond point par point à l'ensemble des moyens soulevés par les salariés.

Le premier moyen est rejeté, la Chambre sociale considérant que "la présence de personnes étrangères à l'entreprise avait été acceptée par les membres du comité d'entreprise, qui les avaient d'ailleurs interrogées, et que cette présence n'avait pas porté atteinte à l'équilibre de la procédure consultative". Le second moyen relatif au contenu du plan de sauvegarde de l'emploi est également rejeté, les juges d'appel l'ayant convenablement apprécié.

Le sixième moyen, en revanche, donne lieu à cassation au visa des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil. Si l'adhésion des salariés à la convention ASFNE privait bien les salariés du droit de discuter la régularité et la légitimité de leur licenciement, "elle ne rend pas irrecevable une action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre un tiers auquel sont imputées des fautes ayant concouru à la déconfiture de l'entreprise et, par là, à la perte des emplois dès lors que ces fautes se distinguent des manquements qui pourraient être reprochés à l'employeur en ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou l'obligation de reclassement".

La cassation est également le sort que subit le septième moyen relatif au document unique d'évaluation des risques. La Chambre sociale casse la décision d'appel au visa des articles L. 4121-3 (N° Lexbase : L9296I3P) et R. 4121-1 (N° Lexbase : L9062IPC) du Code du travail et juge que "l'employeur est tenu d'évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique", quand bien même aucune indication, précision ou preuve relatives aux substances ou préparations chimiques ne serait apportées.

Seuls ces deux derniers moyens retiendront notre attention.

II - La responsabilité délictuelle de la société mère

Groupe de sociétés et licenciement pour motif économique. Depuis longtemps déjà, la notion de groupe de sociétés, au sens que lui donne le droit du travail, interfère avec le droit du licenciement pour motif économique.

On sait, ainsi, que les difficultés économiques ne doivent pas seulement être appréciées au niveau de l'entreprise, lorsqu'elle appartient à un groupe mais, plus largement, "au regard du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée" (2). Depuis la loi du 17 janvier 2002, l'employeur doit chercher à reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé dans l'entreprise et, si celle-ci appartient à un groupe, "parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel" (3). Dans le même ordre d'idée, l'article L. 1235-10, alinéa 2, du Code du travail dispose que "la validité du plan de sauvegarde pour l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou l'unité économique et sociale ou le groupe".

L'appartenance de l'entreprise à un groupe justifie parfois que la responsabilité de la société mère soit recherchée.

Responsabilité contractuelle de la société mère : la théorie du co-emploi. A ces règles désormais classiques se sont en effet ajoutées, depuis une dizaine d'années, d'autres dispositions issues de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation s'agissant d'hypothèses dans lesquelles une société mère a tant d'emprise sur sa filiale qu'elle est à l'origine de ses difficultés économiques (4). A de nombreuses occasions, la Chambre sociale a accepté d'appliquer la théorie des co-employeurs à la filiale et à la société mère, ce qui lui permettait de faire assumer à cette dernière des obligations que seule la première, en sa qualité d'employeur, aurait en principe dû assumer (5).

Conformément à la définition du co-emploi posée par la Chambre sociale, la preuve d'une confusion des intérêts, des activités et de la direction entre les sociétés devait être démontrée, sans qu'il ne soit plus nécessaire qu'un lien de subordination unisse le salarié et la société-mère (6).

C'est sur un autre type de relation entre le salarié et la société mère que la décision commentée s'appuie, une relation d'obligation fondée sur la responsabilité extracontractuelle.

Responsabilité extracontractuelle de la société mère. Avec un autre arrêt rendu, lui aussi, le 8 juillet 2014 (7), l'arrêt commenté accrédite une proposition soutenue par différents auteurs (8). La théorie des co-employeurs a parfois été instrumentalisée pour parvenir à responsabiliser la société mère, ce qui a pu alors donner le sentiment qu'il s'agissait d'un "fourre-tout". En définitive, cet outil était "victime [...] des abus de son utilisation" (9). Il semble donc parfaitement raisonnable d'envisager d'autres moyens que celui-ci pour engager la responsabilité de la société mère, pas seulement dans une idée de solidarité qui aurait pour objectif une meilleure indemnisation des salariés licenciés mais, aussi, dans une idée de sanction, en cas de faute commise par la mère dans les relations avec sa filiale.

La Chambre sociale semble faire très clairement la distinction entre théorie des co-employeurs et engagement de la responsabilité extracontractuelle. En effet, elle précise dans cette décision que les fautes de la société mère, qui permettent d'engager sa responsabilité, doivent être distinctes "des manquements qui pourraient être reprochés à l'employeur en ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou de l'obligation de reclassement". Les obligations relatives au plan de sauvegarde ou au reclassement sont, en effet, typiquement celles qui incombent à l'employeur et qui, lorsque les conditions en sont réunies, peuvent donc être mises à la charge de la société mère par le jeu de la théorie du co-emploi.

Ce n'est qu'en raison d'autres manquements, sans lien avec ces obligations contractuelles, que la responsabilité délictuelle peut être engagée. Le fait, comme c'était le cas en l'espèce, que les salariés aient souscrit une convention ASFNE qui les prive du droit de contester la régularité ou la légitimé du licenciement (10) était donc sans incidence sur l'engagement de cette responsabilité, ce qui n'aurait pas été le cas si la théorie des co-employeurs avait été invoquée et appliquée. Sous réserve d'évolutions parallèles de la théorie des co-employeurs (11), la responsabilité délictuelle vient donc compléter ce premier dispositif davantage qu'elle ne vient le remplacer.

Il reste tout de même une difficulté que la Chambre sociale esquive sans un mot : quel préjudice l'indemnisation a-t-elle vocation à réparer ? A lire la décision, c'est la perte d'emploi qui est présentée comme la conséquence des fautes de la société mère. Mais la perte d'emploi n'est-elle pas déjà réparée par l'allocation de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ? Sauf à considérer que cette dernière ne répare qu'imparfaitement le préjudice subi, ce qui justifierait une action contre un codébiteur, cette nouvelle indemnisation ne va-t-elle pas à l'encontre du principe de réparation intégrale applicable en responsabilité civile ?

La décision présente un autre intérêt compte tenu de la solution apportée par la Chambre sociale au septième moyen.

III - Document unique d'évaluation des risques

L'évaluation des risques professionnels dans l'entreprise. Dans le sillage de la Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9), le droit du travail français a fortement mis l'accent sur l'évaluation et la prévention des risques professionnels.

A côté de l'obligation générale de sécurité de résultat tirée de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ) figurent d'autres dispositifs, parmi lesquels l'obligation d'établir un document unique d'évaluation des risques, dispositif créé en 1991 (12). L'article L. 4121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9296I3P) impose, en effet, à l'employeur, d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, après quoi doivent être mises en oeuvre des actions de prévention et des méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection des salariés. La liste des risques évalués et des actions de prévention est dressée dans le document unique d'évaluation des risques prévu par les articles R. 4121-1 (N° Lexbase : L9062IPC) à R. 4121-4 (N° Lexbase : L9059IP9) du Code du travail.

Obligation d'évaluation et absence de risques. Ces textes ne semblent pas permettre à l'employeur de se dispenser de la rédaction du document lorsque l'évaluation des risques est négative, lorsqu'aucun risque n'a été identifié. C'est pourtant l'argument qu'avaient mobilisé les juges du fond pour refuser l'indemnisation des salariés. L'argumentation est repoussée par la Chambre sociale qui doit rappeler le caractère général de l'obligation : peu importe qu'aucune indication, précision ou preuve relatives aux substances chimiques utilisées dans l'entreprise n'ait été apportée.

Quoique la situation paraisse hypothétique, tant il est rare que le travail ne fasse courir aucun risque au salarié (13), on pourrait, au moins en théorie, imaginer un document unique vierge de toute mention mais qui devrait tout de même avoir été établi par l'entreprise.

Le maintien de l'obligation d'établir le document, même en l'absence de tout risque identifié, n'en est pas, pour autant, absurde. D'abord, parce que le document, même vierge, témoigne de la recherche effectuée, en amont, par les différents acteurs en vue d'identifier les risques éventuels. Ensuite, parce que la situation de l'entreprise peut évoluer et que les mises à jour périodiques viendront garnir un document unique qui, à l'origine, était demeuré vierge.

Le débat pourrait être différent si, au lieu d'une absence totale de document unique, c'est son caractère incomplet qui devait être invoqué. Si l'employeur établit bien un document mais oublie, de bonne ou de mauvaise foi, un ou plusieurs risques encourus par les salariés, faudra-t-il, dans ce cas, apporter la preuve de la toxicité des substances utilisées, de la nocivité de l'environnement de travail ? La question peut être plus redoutable si l'on inverse les propositions : faute de mention d'un risque, faudra-t-il faire la preuve (négative) de l'innocuité de l'environnement de travail ?

C'est, en partie, pour éviter que de tels types de preuves soient discutés devant nos juridictions que l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur a été pourvue d'une forte intensité. Appliqué au document unique incomplet, le raisonnement pourrait tout de même trouver ses limites sauf à exiger des employeurs de faire figurer sur le document unique des risques qui ne peuvent même pas être identifiés.

Conséquences de l'absence de mise en place du document unique. Le Code du travail n'envisage qu'une sanction en cas de manquement de l'employeur à l'obligation de mettre en place le document ou de le mettre à jour (14) : ce comportement constitue, en effet, l'élément matériel d'une contravention de cinquième classe et peut donc être puni d'une peine de 1 500 euros d'amende par unité de travail (15). Aucune sanction civile n'est prévue par les textes.

Compte tenu du lien étroit entre l'évaluation et la prévention des risques et l'obligation de sécurité de résultat dont l'employeur est débiteur, on pouvait imaginer que ce manquement serait sanctionné de la même manière qu'un manquement à l'obligation de sécurité.

C'est, d'ailleurs, dans cette voie que certaines juridictions du fond s'étaient engagées, l'absence de document unique constituant un indice supplémentaire du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et permettant, ainsi, la reconnaissance d'une faute inexcusable (16), le lien entre l'absence de document et l'atteinte à la santé du salarié devant tout de même être démontrée (17). Faute qu'aucune atteinte ne soit démontrée, des syndicats n'avaient jusqu'ici obtenu que la condamnation sous astreinte de l'entreprise à se mettre en conformité avec la réglementation, à établir le document unique (18).

C'est donc une étape supplémentaire qui est ici franchie par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui accepte la réparation du préjudice subi par les salariés sans qu'aucun préjudice physique ou psychologique ne soit démontré ou, à tout le moins, ne soit allégué par les salariés demandeurs au pourvoi.

On retrouve, d'ailleurs, une tendance déjà aperçue au sein de la Chambre sociale s'agissant de l'absence de visite médicale d'embauche. La Chambre sociale juge, à ce propos, que le retard de l'employeur dans la réalisation de l'examen médical d'embauche ne permet pas de caractériser un manquement d'une suffisante gravité pour justifier une prise d'acte lorsque le salarié n'a subi aucun dommage physique ou psychologique (19). L'une des sanctions les plus vigoureuses, applicables au manquement à l'obligation de sécurité de résultat, est donc écartée, ce qui n'empêche cependant pas le salarié d'obtenir réparation du préjudice qu'il a "nécessairement" subi, à défaut de toute visite médicale d'embauche (20).


(1) CA Pau, 7 février 2013, n° 457/13 (N° Lexbase : A5480I74).
(2) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690 (N° Lexbase : A4018AA3), arrêts "Vidéocolor" et "TRW REPA", Les grands arrêts du droit du travail, D., 2008, n° 114.
(3) C. trav., art. L. 1233-4, al. 1 (N° Lexbase : L3135IM3) ; Cass. soc., 7 avril 2004, n° 01-42.882, F-P+B (N° Lexbase : A8262DBM).
(4) G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, D., 28ème éd., p. 737.
(5) V. par ex. : Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2851GQN) et les obs. de G. Auzero, Co-employeurs : qualification et effets sur la validité des licenciements économiques, Lexbase Hebdo n° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3365BR3) ; RDT, 2011, p. 168, note F. Géa. D'une manière générale, sur cette question, v. N. Moizard, Les salariés de la filiale en difficulté et sa société-mère : la construction prétorienne du co-emploi, RLDA, octobre 2012, n° 75, pp. 72 et s..
(6) Ou du moins, sans qu'il soit nécessaire que son existence soit démontrée.
(7) Cass. soc., 8 juillet 2014, n° 13-15.573, FS-P+B (N° Lexbase : A4111MUS).
(8) Parmi d'autres, v. G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, préc., p. 523, qui comparent la faute de la société mère à celle que commet l'employeur qui engage un salarié lié par une clause de non-concurrence. V. également M. Kocher, La notion de groupe d'entreprises en droit du travail, LGDJ, Bibl. droit social, 2013 ; P. Lagesse, N. Laurent, Quelle responsabilité sociale pour les groupes de sociétés lors du dépôt de bilan de leurs filiales ?, JCP éd. G, 2009, I, 101.
(9) G. Loiseau, Le co-emploi est mort, vive la responsabilité délictuelle, JCP éd. S, 2014, 1311.
(10) La fraude de l'employeur ou l'existence d'un vice du consentement permet tout de même de revenir sur les conditions de la rupture, v. Cass. soc., 27 janvier 1994, n° 90-46.034 (N° Lexbase : A0469ABY) ; RJS, 1994, p. 132, rapp. Ph. Waquet ; Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-42.636, FS-P+B (N° Lexbase : A4890AZ7).
(11) V. la démonstration de G. Loiseau, préc..
(12) Loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 modifiant le Code du travail et le Code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels et portant transposition de directives européennes relatives à la santé et à la sécurité du travail (N° Lexbase : L8301AIB).
(13) Si certains risques sont très spécifiques à certaines industries, les risques psychosociaux peuvent, par exemple, frapper n'importe quel type d'entreprise.
(14) Sur la périodicité de la mise à jour, v. C. trav., art. R. 4121-2 (N° Lexbase : L9061IPB).
(15) C. trav., art. R. 4741-1 (N° Lexbase : L3068IAU).
(16) CA Dijon, ch. soc., 2 juillet 2009, n° 08/00767.
(17) CA Lyon, 14 mars 2014, n° 13/03179 (N° Lexbase : A8398MG7).
(18) CA Nancy, 3 janvier 2012, n° 11/01006 (N° Lexbase : A0441H99).
(19) Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-19.344, F-D (N° Lexbase : A4985KL9).
(20) Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B (N° Lexbase : A7441KSE) et nos obs., Requalification ou examens médicaux : de l'indemnisation de quelques préjudices subis par le salarié, Lexbase Hebdo n° 553 du 9 janvier 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N0070BU7) ; Cah. soc., 2014, n° 260. 100, obs. J. Icard.

Décision

Cass. soc., 8 juillet 2014, n° 13-15.470 FS-P+B (N° Lexbase : A4155MUG).

Cassation partielle (CA Pau, 7 février 2013, n° 457/13 N° Lexbase : A5480I74).

Textes visés : C. trav., art. L. 4121-3 (N° Lexbase : L9296I3P) et R. 4121-1 (N° Lexbase : L9062IPC) ; C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR).

Mots-clés : groupe de sociétés ; responsabilité civile ; licenciement pour motif économique ; document unique d'évaluation des risques ; sanction.

Liens base : (N° Lexbase : E2884ETY) ; (N° Lexbase : E3561ET3).

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Pénal

[Brèves] Publication de la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales

Réf. : Loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T)

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N3451BUD

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Le 04 Septembre 2014

La loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T), a été publiée au Journal officiel du 17 août 2014. Le Conseil constitutionnel, saisi, le 18 juillet 2014, d'un recours déposé par au moins soixante députés, avait, dans sa décision du 7 août 2014 (Cons. const., décision n° 2014-696 DC du 7 aout 2014 N° Lexbase : A8364MUC) jugé que l'article 49 était contraire à la Constitution. Ledit article instaurait une majoration de 10 % des amendes pénales, des amendes douanières et de certaines amendes prononcées par des autorités administratives. La loi vise, de manière générale, à réformer la politique de prévention de la récidive en diminuant le nombre de victimes tout en garantissant la réinsertion des personnes condamnées. Elle prévoit notamment la suppression des peines planchers, la création d'une nouvelle peine en milieu ouvert (la contrainte pénale), la mise en place d'un rendez-vous obligatoire aux deux tiers de la peine et le renforcement des droits des victimes (lire le point de vue des praticiens in Quelles perspectives pour le projet de réforme pénale ? Compte-rendu de la réunion du 19 mai 2014 de la Commission "Droits de l'Homme" du barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 578 du 10 juillet 2014 - édition privée N° Lexbase : N3051BUK). L'entrée en vigueur de la loi est prévue pour le 1er octobre 2014.

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Procédure civile

[Doctrine] Les nouveaux territoires du droit de la preuve

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N3464BUT

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

Le 06 Septembre 2014

Le droit de la preuve a longtemps été une discipline juridique annexe, en marge des branches du droit que forment le droit civil et la procédure civile. Ecartelées entre les deux codes qui constituent les fondements de la justice civile, les règles de preuve n'ont pas trouvé leur identité propre. Pourtant, depuis le début des années 2000, le droit de la preuve connaît un essor remarquable. De nouveaux principes émergent, contribuant à découvrir de nouveaux territoires et à dessiner progressivement les frontières d'une discipline juridique à part entière.

  • La marginalisation classique de la matière

Traditionnellement, les règles de preuve ne forment pas une discipline autonome, car elles ont été reléguées à une place secondaire dans le Code civil. Suivant la présentation de Pothier dans son traité des obligations (1), le Code civil a abordé la preuve civile comme si elle constituait une subdivision mineure du droit des obligations. La lecture du traité de Pothier montre que cet auteur est la source d'inspiration directe des rédacteurs du code. On y retrouve bien évidemment le principe relatif à la charge de la preuve des obligations, mais encore les articles du Code civil relatifs aux papiers domestiques (2) ou aux livres des marchands (3). Aujourd'hui encore, des règles de preuve, imaginées au 18ème siècle, et usées par le temps constituent la base du droit de la preuve civile. Les textes ont connu très peu d'évolution (4) durant les 19ème et 20ème siècles. Les auteurs se sont peu intéressés à la preuve, si ce n'est pour commenter les articles du Code civil. Le résultat de cette marginalisation est très visible aujourd'hui. Les manuels de droit de la preuve sont pratiquement absents des collections juridiques et les enseignements universitaires, consacrés à la preuve, sont sporadiques. Les conséquences sont assez regrettables. On enseigne ainsi traditionnellement que la preuve civile est légale, alors qu'elle est très largement dominée par le principe de liberté. L'enseignement se concentre également sur des modes de preuve secondaires, tel l'aveu et le serment, plutôt que les modes de preuve qui font désormais le quotidien des juridictions, comme l'expertise, le courriel, etc..

La doctrine est également touchée par ce phénomène. Si les thèses consacrées à la preuve sont de plus en plus nombreuses, il n'est pas possible de parler aujourd'hui d'une doctrine du droit de la preuve. Aucune théorie générale de la preuve ne fait consensus et des concepts aussi fondamentaux que l'intime conviction ne font pas l'objet de définitions standardisées. De surcroît, si l'on entre dans le vif de la matière, on constate qu'il est impossible de qualifier les règles de preuve comme appartenant au fond ou à la forme. Il n'est pas non plus possible d'expliquer rationnellement pourquoi et comment les règles de preuve se répartissent entre le Code civil et le Code de procédure civile. Enfin, pour parfaire ce tableau tout aussi flou qu'abstrait, on observe que les principes du droit de la preuve, qui paraissent les plus simples à comprendre, demeurent en pratique inapplicables et inappliqués. Il en est ainsi de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) qui semble poser une règle claire relative à la charge de la preuve. Dans la réalité, cette règle est obscure et son application jurisprudentielle a été très largement détournée, comme le reconnaît le rapport de la Cour de cassation consacré à cette question (5).

En définitive, la marginalisation du droit de la preuve tient, d'une part, au fait que le Code civil n'a connu aucune modernisation d'ampleur depuis les écrits de Pothier et, d'autre part, au fait que la communauté scientifique n'a pas apporté au droit de la preuve la considération qu'il devrait avoir, compte tenu, non seulement de son importance pratique, mais également de ses enjeux théoriques. Pourtant, ce désintérêt pour la preuve est un phénomène déclinant et on mesure en doctrine, comme en jurisprudence, un regain d'attention.

  • L'essor des grands principes

Le droit de la preuve commence à devenir une discipline juridique autonome, car il se structure progressivement autour de grands principes qui émergent de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ce sont ces principes qui font défaut dans les Codes civil et de procédure civile. Déjà, au cours du 19ème siècle, c'est la Haute juridiction qui a énoncé qu'en matière de faits juridiques, la preuve était libre. C'est encore elle qui a consacré le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même (6). Depuis le début des années 2000, ce mouvement jurisprudentiel s'est accentué autour de trois principes : la vie privée, la loyauté et le droit à la preuve. En apparence, ces trois principes n'entretiennent pas de liens. Mais en réalité, ils assurent un équilibre entre les deux impératifs fondamentaux du droit de la preuve : d'une part, la recherche de la vérité, et, d'autre part, le respect de la licéité.

Le droit au respect de la vie privée a fait une entrée progressive dans le domaine probatoire. Initialement conçue comme le support d'une action en responsabilité à travers l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), la vie privée n'avait pas vocation à s'immiscer dans la production des preuves en justice. Durant les années 1970/1980, on trouvait pourtant des traces du principe à travers le "motif légitime" qui permet à un tiers de s'opposer à la production forcée d'une pièce (7). Ces arrêts épars montraient que le respect de la vie privée était susceptible d'intéresser le droit de la preuve, mais la jurisprudence ne considérait pas que le respect de la vie privée pouvait faire obstacle, de façon générale, à la recevabilité des preuves en justice. Cette consécration vint d'abord du retentissant arrêt "Nikon" (8). Au triple visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D), la Cour de cassation a posé le principe selon lequel la preuve recueillie par l'employeur en violation du droit au respect de la vie privée du salarié était illicite, et donc irrecevable. On aurait pu imaginer que cette jurisprudence demeurerait cantonnée au contentieux du droit du travail, car il s'agissait, en l'espèce, de protéger la vie privée des salariés contre les intrusions des employeurs. Au contraire, l'usage de la vie privée dans le contentieux probatoire s'est généralisé en jurisprudence. Par exemple, la Chambre commerciale a reconnu, en 2007, que la production des pièces en justice était encadrée par le droit au respect de la vie privée (9) et la première chambre civile a confirmé cette analyse l'année suivante (10). La production en justice d'une vidéo concernant la vie privée d'un justiciable a également été débattue devant la CEDH. Celle-ci a jugé que l'utilisation de ces images, à titre de preuve, pouvait constituer une ingérence dans la vie privée, protégée par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, mais elle a également admis que la nécessité du débat judiciaire pouvait justifier cette ingérence (11). Ces arrêts sont riches d'enseignement, car ils visent conjointement le droit au respect de la vie privée (12) et la licéité des preuves (13). Les deux principes sont ainsi placés face à face, et à un même niveau. Il en est de même s'agissant de la loyauté de la preuve.

La loyauté de la preuve est un principe qui a connu une longue maturation doctrinale (14) avant d'être consacré par la jurisprudence civile durant les années 2000 à propos d'enregistrement de conversations téléphoniques (15). De façon générale, la Cour de cassation a retenu qu'une preuve produite dans une instance civile était déloyale lorsqu'elle avait été recueillie à l'insu de la personne contre laquelle la preuve était invoquée. Dans certains arrêts, la Cour de cassation a ajouté que la preuve déloyale était celle qui résultait d'un stratagème (16).

La jurisprudence de plus en plus volumineuse consacrée à la vie privée et à la loyauté dans le contentieux probatoire a donné une contenance et une force particulière au concept de licéité de la preuve. Suggéré par l'article 9 du Code de procédure civile, ce principe impose que toutes les preuves soient recherchées et produites conformément au droit. La licéité se distingue nettement de la légalité de la preuve (encore appelé système des preuves légales), qui limite l'admission des modes de preuve et s'applique uniquement aux actes juridiques. La licéité des preuves prend deux formes différentes. Lorsque le régime juridique d'une preuve est prévu expressément par un texte (17), le respect du texte constitue une première forme de licéité. Par ailleurs, lorsqu'une preuve est innomée, et qu'elle est produite en dehors des textes, le cadre juridique qui s'impose est celui des principes du droit de la preuve, parmi lesquels figure le respect de la vie privée et de la loyauté.

Face à cette montée en puissance de principes généraux limitant la production des preuves en justice, la Cour de cassation a opéré un rééquilibrage en consacrant le principe du droit à la preuve (18), qu'elle a déduit de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (19). Sans définir précisément ce principe, la Cour de cassation a reconnu aux plaideurs le droit de produire tout élément de preuve susceptible de soutenir leurs allégations. Exprimé ainsi, le droit à la preuve semble aller de soi, et l'on peut s'étonner que la Haute juridiction ne l'ait pas consacré plus tôt. Cette reconnaissance récente montre précisément que la preuve conquiert de nouveaux territoires du droit positif et que la jurisprudence redessine actuellement les frontières de cette discipline qu'est le droit de la preuve. Toutefois, l'enrichissement de cette matière par de nouveaux principes a créé des situations conflictuelles qui obligent la Cour de cassation à concilier ces normes contradictoires.

  • La conciliation des principes

La recherche et la production des preuves sont au coeur d'un conflit de normes qui doivent être conciliées. D'un côté, les parties disposent à la fois du droit à la preuve (20), mais encore de la liberté de prouver par tout moyen (21). D'un autre côté, les preuves produites par les parties (22) doivent répondre aux exigences de licéité. Cela signifie que les preuves doivent respecter la vie privée, ne pas être déloyales, mais également ne pas constituer la violation d'un secret protégé par la loi, ou encore ne pas violer les droits de la défense. La conciliation entre ces principes s'avère délicate et sans réelle cohérence. Par exemple, la Cour de cassation opère une conciliation entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée selon un critère de proportionnalité (23). Elle exige que les juridictions du fond motivent leurs décisions au regard des nécessités de la défense et de la protection des intérêts de la partie qui produit la preuve litigieuse. Elle examine encore la gravité de l'atteinte à la vie privée pour apprécier la recevabilité d'une preuve (24). Dans un arrêt très récent, la CEDH a tenu exactement le même raisonnement (25). Elle a admis la production en justice d'une vidéo qui représentait l'une des parties circulant en moto. Pour justifier sa décision, la Cour de Strasbourg a retenu que cette scène se déroulait sur la voie publique ; que les images étaient exclusivement destinées à des fins probatoires, et que l'agence de détectives privés qui avait réalisé la vidéo exerçait son activité en conformité avec les normes administratives liées à cette profession. Cette analyse met en avant la proportionnalité entre l'atteinte à la vie privée et la nécessité de prouver en justice afin d'assurer le caractère équitable du procès.

Cette analyse centrée autour de la proportionnalité semble assurer une conciliation raisonnable des principes antagonistes du droit de la preuve. Toutefois, la Cour de cassation en fait une application très partielle. Ainsi, à propos de la loyauté, la Cour de cassation n'a jamais recours à cette analyse. Par exemple, elle a affirmé en Assemblée plénière que "l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve" (26). Dans le même esprit, la Chambre sociale a jugé que "l'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème rendant illicite le moyen de preuve obtenu" (27). Dans ces deux décisions, la Cour de cassation déclare que certains comportements probatoires sont illicites de façon abstraite et quelles que soient les circonstances. Elle opère le même raisonnement à propos de certains secrets professionnels. Ainsi, elle énonce "que le droit à la preuve découlant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de sauvegarde des droits l'Homme ne peut faire échec à l'intangibilité du secret professionnel du notaire" (28). Le terme d'intangibilité choisi dans cet arrêt montre que la Haute juridiction n'entend opérer aucune conciliation entre le droit à la preuve et le secret professionnel du notaire. Le premier cède inéluctablement devant le second.

En définitive, la jurisprudence qui opère une conciliation entre les principes antagonistes du droit de la preuve est en pleine effervescence. Toutefois, ce bouillonnement ne crée pas les conditions favorables à la construction d'une ligne d'arbitrage claire. Les juges ne semblent pas maîtriser les principes qu'ils ont créés et l'on ne perçoit pas quelle est la doctrine de la Cour de cassation à propos de ce problème épineux. On a ainsi le sentiment que les nouveaux territoires du droit de la preuve sont encore largement inexplorés et qu'ils forment des sortes de no man's land juridique. Pour sortir de cette situation faite d'aléas et d'incertitudes, nous proposons quelques pistes de réflexion.

  • Perspective : quelques pistes pour réformer le droit de la preuve

La première piste consisterait à codifier les principes du droit de la preuve. Puisqu'ils constituent les fondements de la théorie générale de la preuve en droit privé, ces principes mériteraient de figurer dans le Code civil. Le code pourrait ainsi énoncer de façon générale que chacun dispose du droit d'établir la preuve des faits nécessaires au succès de son action en justice, mais également la liberté de prouver par tout moyen. Le système des preuves légales ne serait pas supprimé, mais il serait cantonné au domaine des actes juridiques, comme cela est prévu aujourd'hui en jurisprudence.

Pour établir un équilibre, le code devrait également prévoir que sont irrecevables en justice, les preuves qui violent le droit au respect de la vie privée, la loyauté, ou un secret juridiquement protégé. La consécration législative pourrait ici jouer un rôle essentiel si chaque principe bénéficiait d'une définition précise. En effet, une difficulté réside dans la distinction entre la loyauté et le respect de la vie privée. Très différents en apparence, ces deux principes tendent parfois à se confondre. Par exemple, la jurisprudence sur l'enregistrement de conversations téléphoniques ou sur les SMS (29) s'est développée sur le terrain de la loyauté alors que la production en justice des courriels des salariés a été examinée sous l'angle de l'atteinte à la vie privée. Autre exemple, la filature d'un justiciable par un huissier a été admise, car elle ne portait pas atteinte à la vie privée (30), alors même qu'il s'agissait d'une preuve qui avait été recueillie à l'insu de la personne surveillée, ce qui aurait dû en faire un moyen de preuve déloyal.

Ces différents exemples montrent que la ligne de démarcation entre les preuves licites et illicites n'est pas encore claire. Le critère de la preuve recueillie à l'insu de l'adversaire est insuffisant pour caractériser un comportement déloyal, car il condamne de très nombreux procédés probatoires, qui sont pourtant admis par la Cour de cassation et par la CEDH. Ainsi, les filatures, photos et vidéos réalisées à l'insu de la personne observée sont admises en justice. Cela montre que le fait de recueillir une preuve de façon dissimulée ne constitue pas un critère suffisant pour définir un comportement déloyal. En revanche, on pourrait considérer que le critère qui caractérise la preuve déloyale est celui du stratagème. Il a déjà été utilisé par la Cour de cassation à plusieurs reprises. Par exemple, la Chambre sociale a retenu cette qualification à propos de manoeuvres d'un huissier destinées à établir la preuve de vols par des employés d'un magasin (31) ou encore à propos des lettres piégées destinées à prouver qu'un employé de la poste ouvrait le courrier qu'il était supposé délivrer (32). Le principe de loyauté de la preuve mérite ainsi une définition plus claire, qui le distinguerait nettement de la vie privée.

Une fois chaque principe défini dans le Code civil, la réforme du droit de la preuve devrait encore établir une méthode de conciliation entre les principes antagonistes. A cet égard, le critère de la proportionnalité utilisé par la Cour de cassation pour arbitrer le conflit entre le droit à la preuve et le respect de la vie privée mériterait d'être étendu aux autres conflits du même type. Qu'il s'agisse de la loyauté de la preuve ou des secrets juridiquement protégés, le juge devrait apprécier au cas par cas la balance des intérêts en présence. En effet, on comprend mal pourquoi la Cour de cassation considère que le secret professionnel du notaire est intangible (33) alors que le respect du secret lié à la vie privée est relatif. Face à l'objectif de recherche de la vérité qui sous-tend le droit à la preuve, de telles différences de traitement sont difficilement justifiables. Il n'est pas certain que ces divergences résistent à l'emprise croissante de la jurisprudence européenne sur le droit de la preuve.

Ainsi, depuis le début des années 2000, le droit de la preuve est parti à la conquête de nouveaux territoires. Certains principes de droit substantiels ont été transposés dans le contentieux probatoire et la Cour de cassation a développé une jurisprudence très innovante en créant tout à la fois le principe du droit à la preuve et en développant de nouveaux principes liés à la licéité des preuves. Toutefois, cet élan jurisprudentiel présente encore des lacunes et des imperfections. C'est pour cette raison qu'une réforme d'ampleur du Code civil s'impose aujourd'hui en matière probatoire. Les conditions semblent réunies pour tracer les nouvelles frontières du droit de la preuve et en définir le contenu avec plus de précision. L'esprit d'une telle réforme devrait être dominé par l'équilibre entre la recherche de la vérité (droit à la preuve et liberté de la preuve) et le respect des droits des parties (loyauté, vie privée, secret).


(1) R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764.
(2) C. civ., art. 1331 (N° Lexbase : L1441ABY).
(3) C. civ., art. 1330 (N° Lexbase : L1440ABX).
(4) Deux réformes en 1980 et en 2000 ont eu pour objectif d'adapter la preuve écrite aux évolutions techniques (photocopie en 1980 et preuve numérique en 2000).
(5) Cour de cassation, Rapport annuel, 2012, p. 170 : "L'attribution de la charge ou du risque de la preuve ne peut se réduire aux seules règles posées par l'article 1315 du Code civil, relatif à la preuve des obligations [...] L'attribution du fardeau de la preuve est l'objet de multiples règles de fond, complétées par le travail jurisprudentiel, pour déterminer la partie à laquelle imputer l'insuffisance des preuves produites".
(6) Cass. soc., 23 novembre 1972, n° 71-12.032 (N° Lexbase : A7494CIE), Bull. civ. V, n° 651.
(7) Cass. civ. 1, 6 février 1979, n° 77-13.463 (N° Lexbase : A2848CGL) ; Cass. civ. 1, 21 juillet 1987, n° 85-16.436 (N° Lexbase : A7695AG4).
(8) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942 (N° Lexbase : A1200AWD).
(9) Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10.606, F-P+B (N° Lexbase : A2532DWP).
(10) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-15.778, FS-P+B (N° Lexbase : A8028EAL).
(11) CEDH, 22 novembre 2011, Req. 10764/09 (N° Lexbase : A8681MU3).
(12) A travers l'article 8 de la CESDH ou l'article 9 du Code civil.
(13) Qui s'exprime soit directement à travers l'article 9 du Code de procédure civile, soit indirectement à travers l'article 6 de la CESDH.
(14) P. Bouzat, La loyauté dans la recherche de la preuve, Mélanges Hugueney, Sirey, Paris, 1964, p. 155.
(15) Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-12.653, FS-P+B (N° Lexbase : A5730DDL).
(16) Par ex., Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M). Voir également, un arrêt utilisant les deux critères, Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG).
(17) Par exemple, l'expertise, le témoignage, l'audition des parties, etc..
(18) Cass. civ. 1, 5 avril 2012 n° 11-14.177, F-P+B+I (N° Lexbase : A1166IIZ), lire nos observations in Chronique de procédure civile - Novembre 2012, Lexbase Hebdo n° 506 du 22 novembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4534BT4).
(19)Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 12-21.244, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6787MP3).
(20) Au sens du droit de produire une preuve que l'on détient.
(21) Hors du domaine des actes juridiques à caractère civil. La liberté recouvre donc la grande masse du contentieux probatoire.
(22) Ou recherchées avec l'aide du juge.
(23) Cf. Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-17.476, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3196IWB) à propos de la filature d'une des parties par un huissier ; ou encore, Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10.606, F-P+B (N° Lexbase : A2532DWP), Bull. civ. IV, n° 130.
(24) Selon que l'atteinte s'est déroulée dans un lieu public ou privé par exemple.
(25) CEDH, 27 novembre 2011, précité.
(26) Ass. Plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A7431GNK).
(27) Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG).
(28) Cass. civ. 1, 4 juin 2014, précité.
(29) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ).
(30) Cass. civ., 31 octobre 2012, précité.
(31) Cass. soc.,18 mars 2008, n° 06-40.852, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M).
(32) Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG).
(33) Cass. civ. 1, 4 juin 2014, précité.

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Responsabilité administrative

[Brèves] Reconnaissance de la portée des principes généraux du droit de l'Union européenne dans la mise en oeuvre de la responsabilité du fait des lois

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 354365, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7254MU9)

Lecture: 1 min

N3541BUP

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Le 11 Septembre 2014

Dans un arrêt rendu le 23 juillet 2014, le Conseil d'Etat reconnaît explicitement la portée des principes généraux du droit de l'Union européenne dans la mise en oeuvre de la responsabilité du fait des lois (CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 354365, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7254MU9). La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France, au nombre desquels figure le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime reconnus par le droit de l'Union européenne (voir jurisprudence "Gardedieu" CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2006DUT). En l'espèce, le requérant cherche à engager la responsabilité de l'Etat du fait d'une loi intervenue en méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime reconnus par le droit de l'UE. S'il fait valoir, à ce titre, qu'il n'a pas été en mesure d'anticiper l'interprétation donnée des dispositions législatives en cause par la Cour de cassation, il critique ainsi, non pas la loi elle-même, mais la portée qui lui a été ultérieurement conférée par la jurisprudence. Il n'est, par suite, pas fondé à mettre en cause la responsabilité de l'Etat au motif que la loi aurait été adoptée en méconnaissance des principes dont il se prévaut (cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E3768EU4).

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Sécurité sociale

[Brèves] Publication de la loi de finances rectificative de la Sécurité sociale pour 2014

Réf. : Loi n° 2014-892 du 8 août 2014, de finances rectificative de la Sécurité sociale pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49)

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Le 04 Septembre 2014

La loi n° 2014-892 du 8 août 2014, de finances rectificative de la Sécurité sociale pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49) a été publiée au Journal officiel du 9 août 2014, confirmée par une décision n° 2014-698 DC du Conseil constitutionnel (N° Lexbase : A8365MUD). A ce titre, cette loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (LFRSS) pour 2014, prévoit une nouvelle baisse du coût du travail ciblée sur les bas salaires jusqu'à 1,6 SMIC, qui complète le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et représentera 4,5 milliards d'euros en 2015. Les taux d'allégements seront harmonisés entre les entreprises de moins de 20 et celles de plus de 20 salariés. Cette baisse permettra d'atteindre le "zéro charge URSSAF" au niveau du SMIC, dès le paiement des cotisations au titre des salaires de janvier 2015. Les cotisations personnelles des travailleurs indépendants et des exploitants agricoles seront, quant à elles, réduites de 3,1 points pour les cotisants dont les revenus sont inférieurs à 41 000 euros, la réduction étant prolongée de façon dégressive jusqu'à environ 52 000 euros. L'exonération concerne 90 % des artisans, 90 % des commerçants, 65 % des professionnels libéraux et environ 50 % des entrepreneurs relevant du régime micro-social. Elle bénéficie également à plus de 95 % des non salariés agricoles.
La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), payée par les entreprises à proportion de leur chiffre d'affaires, et qui concerne notamment le secteur industriel, entamera sa baisse dès 2015, avec une suppression prévue pour toutes les entreprises à horizon 2017. Un abattement permettra aux deux tiers des 300 000 redevables, c'est-à-dire à la totalité des très petites entreprises (TPE) et à près de la moitié des petites et moyennes entreprises (PME), dès lors qu'elles ont un chiffre d'affaires inférieur à 3 250 000 euros, d'être totalement exonérées à partir de 2015.
Les cotisations salariales diminueront dès le 1er janvier 2015 pour les salariés percevant jusqu'à 1,3 SMIC. Cette mesure permettra une hausse de revenus d'environ 500 euros par an au niveau du SMIC, visible sur la feuille de paye. Elle fera l'objet d'une déclinaison particulière dans la fonction publique. Enfin, La LFRSS pour 2014 prévoit de ne pas revaloriser pour une année, à titre exceptionnel, au 1er octobre prochain, les aides au logement et les retraites de base, à l'exception de celles touchées par des retraités dont le montant total des pensions est inférieur à 1 200 euros (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E2853BKU).

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Sociétés

[Brèves] Publication de l'ordonnance relative au droit des sociétés

Réf. : Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L1321I4P)

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Le 05 Septembre 2014

L'ordonnance relative au droit des sociétés a été publiée au Journal officiel du 2 août 2014 (ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés N° Lexbase : L1321I4P). Ce texte modifie, tout d'abord, les règles d'opposabilité aux tiers des cessions de parts de SNC et de SARL : désormais, le dépôt des statuts modifiés rend, à lui seul, la cession opposable aux tiers. Ce dépôt pourra être accompli par voie électronique. Par ailleurs, le principe d'interdiction des chaînes d'EURL est abrogé. L'ordonnance réintroduit, en outre, la possibilité pour les gérants de SARL de demander la prolongation du délai de tenue de l'assemblée générale ordinaire, en précisant, à l'article L. 223-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L8875I34), que le délai de tenue de l'assemblée générale dans les SARL peut être prolongé par décision de justice. Concernant les conventions réglementées, sont désormais exclues de leur périmètre les conventions conclues entre une société et une autre société dont elle détient ou qui détient, directement ou indirectement au moment de la conclusion de la convention, 100 % ou une fraction équivalente de son capital. En outre, au sein des SA, l'ordonnance instaure une obligation pour les conseils d'administration et de surveillance de motiver leurs décisions autorisant la conclusion de telles conventions. Il est également instauré, d'une part, l'obligation pour les conseils d'administration et de surveillance de procéder au réexamen annuel des conventions réglementées et, d'autre part, leur communication au commissaire aux comptes pour les besoins de l'établissement du rapport spécial réalisé à destination de l'assemblée des actionnaires. Il est créé une obligation d'information des actionnaires portant sur les conventions conclues entre, d'une part, une société détenue directement ou indirectement et, d'autre part, selon le cas, l'un des membres du directoire ou du conseil de surveillance, le directeur général de cette dernière, l'un de ses directeurs généraux délégués, ou l'un de ses administrateurs, ou l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % de la société qui possède plus de la moitié de son capital. Autre point important, l'ordonnance modifie l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34) : d'une part, ce texte est cantonné à son rôle d'origine qui était de prévoir une règle de procédure de désignation d'un expert en cas de contestation du prix de cession ou de rachat de droits sociaux, et, d'autre part, est imposé à l'expert d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties. L'ordonnance contient par ailleurs un certains nombres de dispositions relatives aux opérations sur titres et aux droits de souscription, au rachat des actions de préférence, aux "titres de créance innomés" et au régime des valeurs mobilières complexes.

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