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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 24 Juillet 2014
La Révolution documentaire est en marche ! Certes, mais est-elle irréversible ? Les forces conservatrices sont, notamment en France, puissantes ; dans le milieu des juristes, des professionnels du droit de tout poil, une seconde nature. Cela s'explique aisément, d'ailleurs, par la force de l'habitude et un absolu : un endoctrinement depuis les premiers pas hasardeux du jeune juriste à force de prosélytisme universitaire, et la recherche de la sécurité (juridique s'entend).
Et, la Révolution numérique, finalement, n'a que peu changé ce diptyque reptilien, profondément ancré dans les mentalités collectives du microcosme juridique. Croire que la Révolution documentaire est acquise, parce que la Révolution numérique est immuable est un leurre, car là n'est pas l'enjeu. Il ne faut tout simplement pas confondre le contenant et le contenu.
L'audace du média de publication de la doctrine et, plus généralement, de la documentation technique, c'est l'affaire de développeurs informatiques et, dans le meilleur des cas, d'ontologistes du droit, mais assez peu de juristes et d'universitaires -mais, c'est d'ailleurs une erreur criarde que de vouloir concevoir un outil de documentation juridique sans faire la synthèse préalable des besoins et de l'avis des premiers utilisateurs et contributeurs eux-mêmes ; cela oblige le plus souvent à un rétropédalage sans règle, voire à une bérézina commerciale-. Cette audace-là sous-tend, toutefois, un préalable drastique : l'abandon de l'édition papier. Et, là encore, l'on connaît les réticences rencontrées à l'heure actuelle, mais qui devraient s'estomper, trop lentement mais sûrement, avec les nouvelles générations plus familières avec l'écran qu'avec le livre.
L'audace de la documentation elle-même, voire de la doctrine qui en est le moteur et la substantifique moelle, ne réside donc pas dans l'initiative de telle ou telle fonctionnalité. Ce n'est pas que l'originalité fonctionnelle n'est pas de mise : elle correspond à une attente légitime des professionnels ; d'autant que cette originalité permet d'appréhender différemment le droit, d'en extraire certains ressorts, voire certains arguments, insoupçonnés, au-delà du simple gadget de présentation. C'est simplement que l'originalité, l'audace en matière de doctrine et de documentation juridiques requiert deux postulats : l'abandon du "prêt-à-trouver" et la renonciation au "réchauffé".
Le "prêt-à-trouver" en matière de documentation juridique n'est en rien axiomatique : il est non seulement démontrable, mais surtout démontable. Certes, l'outil de documentation doit être ergonomique, intuitif et permettre la lisibilité et l'intelligibilité du droit : il s'agit là d'un incontournable du genre, qu'il ne faut d'ailleurs pas confondre avec un "prêt-à-chercher" documentaire (index, thésaurus, option documentaire d'un logiciel de gestion "maison", etc.) aux écueils dangereux -certaines plateformes tendent à oublier cette règle de base de la publication online, gérant plutôt mal, de ce point de vue, leur pléthorique contenu agrégé en proposant des béquilles à leurs utilisateurs plutôt que de faire confiance à l'intuitivité de leur site-. Mais, cela force-t-il pour autant à ce que la solution documentaire soit celle que l'on attend ? Cela induit-il que l'on doive se référer sans cesse aux mêmes arguments d'autorité doctrinaux ?
Pendant des décades, on se satisfaisait grandement d'avoir accès à une jurisprudence sélectionnée, notamment celle des juridictions du fonds. Ainsi, l'on pouvait connaître la position, éventuellement contraire à celle de la Cour suprême de l'ordre juridictionnel en question, des cours d'appel, rarement des tribunaux. Puis, avec l'accès à des bases de jurisprudence plus complètes, on a pu constater que la sélection en cause pouvait être partisane : et la source jurisprudentielle, elle-même, dépassait son statut de support de doctrine pour devenir doctrine (des juges du fonds s'entend). La jurisprudence ainsi sélectionnée occultait l'existence d'une jurisprudence, toute aussi légitime, mais parfaitement contraire aux positions ainsi mises en exergue par l'éditeur ; et le champ des possibles pour le juriste chevronné s'en trouvait dès lors agréablement fortement élargi. Finalement, tout était organisé pour que l'on ait accès qu'à une seule vérité juridique, pour que l'on ne contemple qu'un seul visage du Janus documentaire. Il s'agissait là, avec les restrictions, parfois encore en usage, de citer tel ou tel autre éditeur dans les contenus éditoriaux, de l'exemple plus emblématique d'une volonté hégémonique en matière documentaire juridique. Tous les éditeurs ont désormais ouvert les vannes de l'accès à la jurisprudence nationale, selon un débit plus ou moins important. Mais, est-ce à croire, pour autant, que l'hégémonie de la solution documentaire ait disparu ?
Quant au contenu doctrinal, il ne permet plus nécessairement, lui, de faire la différence, pour justifier une hégémonie qui pourrait n'être que factuelle alors qu'elle est organisée. En dévotion totale devant l'archidiacre "Sécurité juridique", les juristes, même avertis, s'en remettent inlassablement à la parole évangélisatrice de telle ou telle paroisse éditoriale, sans démordre de leur conviction ; comme les anciens de démordaient pas de la philosophie aristotélicienne ou de la géométrie euclidienne, même devant la conviction et l'attrait de la philosophie ou de la mathématique moderne. Or, la doctrine ne se renouvelle pas auprès des mêmes auteurs, mais grâce à l'émergence de nouvelles pensées, de nouvelles analyses juridiques. Des auteurs qui reviennent sur leurs convictions passées, il y en a peu. Canossa n'est pas une villégiature universitaire et d'ailleurs il est heureux que les universitaires du moment n'aient plus à faire comme Galilée abjurant sa théorie héliocentrique : démonter ce qui a été démontré est l'apanage de nouveaux auteurs, au style parfois emprunté, mais à l'analyse aiguisée. L'audace en matière de doctrine juridique, c'est d'abord et avant tout la diversité de cette doctrine et, par là-même, des composantes éditoriales de cette même doctrine. Renoncer à l'altérité doctrinale pour cause d'hégémonie éditoriale, c'est prendre, là encore, le risque de l'inexhaustivité de l'analyse juridique, le risque de l'enlisement doctrinal, le risque du "réchauffé", au nom d'une sécurité juridique qui, de toute manière, demeure une chimère. Et, au regard des comités scientifiques des principales maisons d'édition juridique, quel risque réel court le professionnel du droit à se nourrir d'une analyse diverse, sans pour autant oublier les pères fondateurs de la doctrine moderne ? La chape de plomb doctrinale est telle qu'elle rejette pourtant tant d'auteurs de talent, d'analystes pertinents, pour une vérité doctrinale bien établie et rassurante qui ne souffre pas la contrariété. Il ne s'agit pas ici de faire le procès de la doctrine, qui n'aspire qu'à son renouvellement ; mais bien entendu des forces hégémoniques qui en musellent l'essor et la diversité, de facto. Mais encore celle-ci doit elle faire sa propre Révolution et ne pas être dupe de ce qui se trame d'abord à travers le combat juridique du droit continental face à la common law, ensuite à travers celui pour l'hégémonie éditoriale.
Voilà pour la partie émergée de l'iceberg ; mais la question de la sécurité juridique tant recherchée c'est celle, aussi, de la transparence des contenus, des mises à jour, de la réactivité de l'analyse et de l'information, au-delà de celle de la diversité doctrinale. Et là encore, Achille cache bien son talon... Les éditeurs juridiques aussi ; sauf lorsque cette transparence, cette réactivité, cette mise à jour permanente de leurs contenus, bien que de moindre volume, est finalement leur seul gage de légitimité quand il leur manque un nom séculaire. Tout écart de conduite en la matière leur est difficilement pardonné, quand on accepte l'inacceptable éditorial au nom de l'affection documentaire née de ses premiers émois d'apprenti juriste.
Aujourd'hui, face à l'audace documentaire, face à la Révolution doctrinale, la pratique commerciale, en dehors des phénénomènes de concentration industrielle mêmes, vient à la rescousse des forces conservatrices. Suivant les traces de la firme de Cupertino, certains éditeurs valorisent leur contenu non pas à l'orée de leur valeur intrinsèque ou concurrentielle, mais de l'image hégémonique qu'elles souhaitent se donner ; balayant du même coup toute velléité révolutionnaire en la matière. Non, décidemment non, la Révolution documentaire juridique n'est en rien acquise, une Restauration, même à l'ère numérique, est toujours un risque, d'abord pour les juristes, ensuite pour l'économie dont ils sont les gardiens de la légalité. L'audace doit être d'abord l'apanage des éditeurs juridiques, mais si la Révolution documentaire "vaut bien une messe", encore faut-il que les professionnels du droit se rebiffent, cessent la complaisance au nom de telle ou telle accointance, et se rallient au panache blanc (bleu et orange notamment) de l'audace !
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Réf. : Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière
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Le 24 Juillet 2014
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Réf. : CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 30 mai 2014, n° 13/03545 (N° Lexbase : A5925MP7)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 24 Juillet 2014
Résumé
L'avocat ou l'avocat stagiaire bénéficie d'une allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à la condition de justifier qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité et qu'il a exercé la profession pendant douze mois au moins. Cette allocation n'est acquise que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau. L'avocate atteinte d'une maladie diagnostiquée avant son inscription au barreau mais présentant déjà des manifestations invalidantes majeures (même si l'aggravation de sa rétinite pigmentaire ayant entraîné pour elle la perte quasi-totale de sa vision est intervenue après son inscription au tableau) n'a pas droit au versement de allocation d'incapacité versée par la CNBF. |
I - Régime de l'allocation temporaire d'incapacité
L'avocat (ou l'avocat stagiaire) doit déclarer son arrêt de travail auprès du barreau où il est inscrit et formuler une demande de prise en charge à la CNBF. Elle doit être accompagnée d'un certificat médical destiné au médecin conseil précisant la date exacte de l'arrêt, sa cause et sa durée prévisible ; de l'avis d'arrêt de travail ou du bulletin d'hospitalisation. La décision de prise en charge pour une période donnée est arrêtée par le conseil d'administration sur avis de la commission d'invalidité et du médecin conseil de la CNBF.
A - Bénéficiaires
L'avocat (ou l'avocat stagiaire) bénéficie de l'allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité à la condition de justifier qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).
Les conjoints collaborateurs d'avocats non salariés sont affiliés à titre obligatoire au régime d'invalidité-décès géré par la CNBF depuis le 1er juillet 2011 seulement (décret n° 2011-698 du 20 juin 2011 N° Lexbase : L5267IQ7). Le conjoint collaborateur bénéficie de l'allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer son activité, à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité à la condition de justifier du statut de conjoint collaborateur lors de cette cessation d'activité depuis douze mois au moins (CSS, art. R. 723-54).
1- Cessation d'activité
La cessation de l'activité est constatée dans les conditions fixées par les statuts de la Caisse. Elle doit être totale, ce qui exclut toute postulation, plaidoirie, réception de clientèle et consultation (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).
2 - Perte de sa qualité d'avocat
En, 1993, la Cour de cassation déduisait de l'article 38-5, alinéa 2, des statuts de la CNBF (devenu l'article R. 723-52 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4987IR7), que l'allocation d'invalidité temporaire n'est acquise que si la cessation d'activité de l'avocat a pour cause la maladie ou un accident survenu après inscription de l'intéressé au tableau de l'Ordre des avocats : cette inscription constitue une condition d'octroi de l'allocation d'incapacité (Cass. soc., 3 juin 1993, n° 91-11.452, non publié au bulletin N° Lexbase : A9655ATR). En l'espèce, à compter du 21 février 1983 (date de sa radiation), l'assuré a cessé d'appartenir au barreau. La cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'il ne pouvait pas percevoir l'allocation d'incapacité au-delà de la date précitée.
En 2000, la Cour de cassation a confirmé la solution.
Selon l'article 54-3 des statuts de la CNBF et le Code de la sécurité sociale (CSS, art. R. 723-54), la perte de la qualité d'avocat emporte celle du bénéfice de l'allocation d'invalidité temporaire. La cour d'appel de Paris en avait déduit par arrêt du 20 mai 1996, la radiation de l'intéressé avait été prononcée, ce qui entraînait la perte de sa qualité d'avocat. Les juges du fond en ont exactement déduit que l'allocation ne pouvait être servie après cette date. Le pourvoi avait été rejeté (Cass. soc., 6 juillet 2000, n° 98-21.103 N° Lexbase : A9161AGE).
3 - Reprise
Le service de l'allocation d'incapacité cesse lorsque l'intéressé est redevenu apte à exercer sa profession (ou sa collaboration) ou qu'il a reçu l'allocation pendant trois ans. Dans le cas d'interruption suivie de reprise de travail, il est ouvert un nouveau délai de trois ans, dès l'instant où la reprise a été d'au moins un an. Lorsque la reprise de travail dure moins d'un an, le total des périodes successives pendant lesquelles l'allocation d'incapacité est servie, comptées de date à date, ne peut excéder une durée de trois ans (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).
B - Versement de l'allocation
L'allocation d'invalidité temporaire est financée par la profession. Les avocats versent une cotisation forfaitaire annuelle obligatoire, graduée suivant l'âge lors de la prestation de serment et l'ancienneté d'exercice depuis la prestation de serment. La CNBF peut percevoir une cotisation distincte, destinée au financement d'un régime d'assurance décès et invalidité, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (CSS, art. L. 723-6 N° Lexbase : L1307IGI). De la première à quatrième année, la cotisation s'élève à 55 euros ; à partir de la cinquième année et au-delà de 65 ans, 137 euros.
Selon le CNBF (2), les prestations journalières, versées à compter du quatre-vingt-dixième jour d'arrêt de travail, représentent l'essentiel des prestations, les pensions versées après trois années de versement des IJ, en cas d'incapacité permanente médicalement constatée, empêchant l'exercice de la profession, ne représentant que 15,7 % des prestations versées.
1- Montant
Le montant de l'allocation temporaire est fixé par l'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration de la Caisse (CSS, art. R. 723-55 ; statuts de la CNBF, art. 54-4). Les dispositions des articles L. 723-8 (N° Lexbase : L5630ADU) et R. 723-35 (N° Lexbase : L9171IEE) sont applicables à cette délibération. En 2014, l'indemnité journalière a été fixée à 61 euros (seulement) par jour.
2 - Calcul et paiement
L'allocation temporaire est calculée par jour d'invalidité. Elle est payable à mois échu (statuts de la CNBF, art. 54-5).
L'allocation d'invalidité temporaire est versée par la CNBF à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité de l'avocat (ou de l'avocat stagiaire), à condition que la demande ait été formulée dans les douze mois suivant l'arrêt de travail. Pendant les quatre-vingt-dix premiers jours de l'arrêt de travail, l'intéressé demander une prise en charge à "LPA" ("La prévoyance des avocats"), organisme en charge du régime complémentaire de prévoyance facultatif des avocats.
II - Conditions au bénéfice de l'allocation temporaire
Les textes conditionnent le bénéfice de l'allocation temporaire à deux éléments, les uns relatifs à l'exercice de la profession et les autres, à l'état pathologique de l'avocat. En outre, le service de l'allocation d'invalidité cesse lorsque l'intéressé obtient de la Caisse le service d'une retraite, entière ou proportionnelle. Le capital décès et l'allocation d'invalidité ne sont pas dus si le décès ou l'invalidité trouvent leur origine à l'occasion de faits de guerre ou de compétitions sportives (statuts de la CNBF, art. 60).
A - Conditions relatives à l'exercice de la profession
En application de l'article R. 723-52 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7708G7M), l'avocat (ou l'avocat stagiaire) bénéficie de l'allocation temporaire s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à la condition de justifier :
- qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité ;
- qu'il a exercé la profession pendant douze mois au moins.
B - Conditions relatives à l'état pathologique de l'avocat
La CNBF (3) a diffusé des données précieuses sur la dimension médicale et pathologique de l'invalidité des avocats. Les principales pathologies recensées par le médecin-conseil de la CNBF dans les demandes de prestations pour invalidité correspondent pour 32,5 % à des grossesses pathologiques, pour 23,4 % à des affections psychiatriques, pour 12,4 % à des affections cancéreuses. Les pathologies ayant donné lieu à la liquidation de pensions de retraite anticipées pour raisons médicales correspondent pour 41,2 % à des affections psychiatriques, 23,5 % à des affections cardio-vasculaires, 14,7 % à des affections neurologiques, 8,8 % à des affections cancéreuses.
Juridiquement, l'allocation temporaire n'est acquise que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau (CSS, art. R. 723-52, al. 2). En l'espèce, l'avocate était atteinte d'une maladie, diagnostiquée avant son inscription au barreau mais présentant déjà des manifestations invalidantes majeures. Mais il importe peu de constater, pour les juges du fond, que l'aggravation de sa rétinite pigmentaire ayant entraîné pour elle la perte quasi-totale de sa vision est intervenue après son inscription au tableau. La cour d'appel en tire la conclusion que l'intéressé n'a donc pas droit au versement de l'allocation temporaire versée par la CNBF.
L'avocate avait demandé à la cour d'appel de Paris de considérer que les restrictions de l'alinéa 2 de l'article R. 723-52 n'auraient pas à s'appliquer : l'affection diagnostiquée en 1988 ne comportait pas de manifestations invalidantes ; son évolution vers la cécité quasi-totale, intervenue après son inscription au barreau, était rare et non systématique. Mais, pour les juges du fond, la maladie à l'origine de la cessation d'activité avait été contractée avant son inscription au barreau, ce qui exclut que lui soit servie l'allocation d'incapacité.
Enfin, l'avocate ne peut se fonder sur les dispositions de l'article R. 723-54 modifié par le décret du 20 juin 2011 retenant que l'allocation est acquise lorsque la cessation d'activité a pour cause "une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau", dans la mesure où ces dispositions ne peuvent avoir d'effet rétroactif.
La solution peut paraître sévère, mais elle est conforme aux textes. L'article R. 723-54 du Code de la Sécurité sociale précise bien que l'allocation n'est ouverte que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie ou un accident dont les effets invalidants interdisant l'exercice de la profession surviennent après l'inscription de l'intéressé à la CNBF.
Cette exigence n'est pas exceptionnelle ni déplacée. On la retrouve dans le régime des artisans. La date de la constatation médicale de l'invalidité doit se situer à un moment où l'intéressé était affilié (à titre obligatoire, ou à titre volontaire), aux régimes d'assurance vieillesse et au régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales du régime social des indépendants (Règlement du régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales, art. 6 et art. 7 ; Circ. CANCAVA n° 94-27, 14 décembre 1994).
(1) Des régimes d'assurance invalidité-décès ont été créés pour les médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les vétérinaires, les experts-comptables et comptables agréés, les officiers ministériels et officiers publics, les auxiliaires médicaux, les architectes, agréés en architecture, les ingénieurs, techniciens et experts, les géomètres et experts agricoles et fonciers, les sages-femmes et les agents généraux d'assurances... et les avocats, géré par la CNBF.
(2) CNBF, Rapport d'activité 2012, 2012, § 43, "Les prestations du régime invalidité-décès - évolution 2007-2012".
(3) CNBF, Rapport d'activité 2012, 2012, § 91, "Activités sociales : Invalidité, décès et aide sociale".
Décision
CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 30 mai 2014, n° 13/03545 (N° Lexbase : A5925MP7) Lien base : (N° Lexbase : E1884ALD) |
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Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-11.906, FS-P+B (N° Lexbase : A4377MUN)
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Le 30 Juillet 2014
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par Lauréline Fontaine, Professeure de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III
Le 24 Juillet 2014
Les "enjeux" de l'obligation de tenue d'un débat d'orientation budgétaire ne se résument donc pas à des questions formelles : ils sont véritablement politiques et traduisent une philosophie de l'action publique et de ses modalités. A sa manière, le juge administratif a traduit ces enjeux en explicitant à la fois le contenu de cette obligation, ses modalités et ses conséquences. Toutefois, si l'organisation d'un débat d'orientation budgétaire préalable est bien une règle, il ne semble pas encore que l'on puisse dire qu'il soit devenu un élément traditionnel de la procédure budgétaire locale. Dans bien des cas, non soumis à contentieux, ce débat est quasi inexistant. Dans d'autres cas, ce débat, s'il existe, s'avère cependant, au regard des ambitions portées par son institutionnalisation, très insuffisant. Les textes d'ailleurs ne permettent pas vraiment d'obliger les collectivités à en faire beaucoup plus. De manière périodique, les chambres régionales des comptes relèvent les insuffisances des débats d'orientation budgétaires locaux, sans pour autant qu'un recours contentieux en annulation puisse être exercé sur ce fondement. Les chambres peuvent ainsi souligner l'absence de projection budgétaire pluriannuelle, l'absence de mention d'objectifs relatifs à l'épargne de gestion, l'absence d'actualisation de prévisions budgétaires ou l'absence d'un plan de financement. Elles peuvent aussi, très simplement, souligner le caractère succinct du débat, sans que, pour l'heure, cela n'ait d'incidence sur la légalité de la procédure. Pourtant, la tenue d'un débat d'orientation budgétaire préalable au vote du budget constitue une formalité substantielle dont le non respect entache le vote définitif du budget d'irrégularité (I). Bien que le Conseil d'Etat n'ait pas encore rendu de décision importante sur cette question, on peut, sur la base des décisions rendues par des juridictions inférieures, constater que, pour être considéré avoir été tenu, un véritable débat doit avoir été au moins permis, c'est-à-dire que les éléments sur la base desquels les membres de l'assemblée délibérante discutent doivent avoir été véritablement de nature à produire une discussion féconde (II).
I - Le débat d'orientation budgétaire : une obligation substantielle pour une formalisation faible
En premier lieu, le débat d'orientation budgétaire se tient dans les conditions applicables à toute séance de l'assemblée délibérante (CGCT, art. L. 2121-20 N° Lexbase : L8569AAM et L. 2121-21 N° Lexbase : L3128IQW pour les communes, art. L. 3121-14 N° Lexbase : L2264IYI et L. 3121-15 N° Lexbase : L2171IY3 pour les départements, art. L. 4132-13 N° Lexbase : L0557IGQ et L. 4132-14 N° Lexbase : L3130IQY pour les régions). En second lieu, pour les communes, il se tient par ailleurs dans les conditions fixées par leur règlement intérieur (CGCT, art. L. 2312-1). Mais, en dehors de ce cadre général et non spécial, l'organisation du débat d'orientation budgétaire ne répond que peu à des conditions particulières que le législateur aurait fixées, et, de fait, n'est, la plupart du temps, que très peu formalisé. Sont, ainsi, rarement prévues des conditions de durée du débat, peu souvent posées des conditions quant à son objet et son contenu, hormis celles dégagées par la jurisprudence pour établir que les élus ont effectivement disposé des éléments suffisants et adéquats pour permettre une discussion sur les orientations générales du budget, les engagements annuels et pluriannuels ainsi que la situation d'endettement de la collectivité, conformément aux prescriptions du Code général des collectivités territoriales. Il s'avère que, bien que formalité substantielle, les obligations découlant de l'organisation d'un débat d'orientation budgétaire tiennent plus à ses conditions d'organisation qu'à son déroulement même. Il arrive, en outre, que, bien que légalement prescrit, certaines circonstances permettent qu'il ne soit pas organisé.
Les modalités substantielles de l'obligation de tenue d'un débat d'orientation budgétaire portent plus sur ses conditions que sur son déroulement. L'organisation des collectivités territoriales en conseil et exécutif implique que ce dernier prépare et exécute la plupart des décisions. Pour permettre aux membres de l'assemblée délibérante d'adopter les décisions proposées de manière "éclairée", il existe une obligation générale d'information des élus, dans la continuité de laquelle le débat d'orientation budgétaire s'inscrit, en ne s'y substituant pas, mais en s'y ajoutant. C'est bien l'obligation d'information, dans le cadre de l'idée d'un renforcement de la démocratie locale, qui reste le fondement de l'institutionnalisation du débat d'orientation budgétaire, ce qui signifie que son statut reste informatif et préparatoire, et non décisoire.
Obligation générale d'information des élus et débat d'orientation budgétaire. L'obligation prend la forme concrète d'une note explicative de synthèse -ou tout document équivalent- comprenant les éléments indispensables à la délibération envoyée avec la convocation (1) précédant la délibération. Le fait que les élus aient, par ailleurs, la possibilité de consulter les documents relatifs aux questions inscrites à l'ordre du jour de la séance est indifférent à la satisfaction de l'obligation d'information (2). Avant l'institution de l'obligation de tenue d'un débat d'orientation budgétaire, le vote du budget obéissait aussi à cette obligation d'information des élus, qui oblige l'exécutif à fournir, avec la convocation à la séance au cours de laquelle le vote doit avoir lieu, les informations nécessaires. Cette obligation est maintenue. Mais, l'obligation, depuis 1992, de tenir un débat sur les orientations générales du budget, dans un délai de deux mois -ou dix semaines- précédant l'examen de celui-ci, ne se substitue pas à l'information nécessaire des élus. Non seulement l'obligation subsiste pour le vote du budget lui-même, mais s'applique aussi au débat sur les orientations budgétaires. Comme pour toute autre convocation à une séance de l'assemblée délibérante, sur la prescription de principe de l'article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8561AAC), "une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal" (il s'agit d'un "rapport" pour les départements et les régions, comme énoncé aux articles L. 3121-19 N° Lexbase : L1859IYI et L. 4132-18 N° Lexbase : L7930IMN du même code).
Le débat d'orientation budgétaire doit donc lui-même être précédé de la communication des éléments nécessaires à sa tenue régulière (3), ce qui signifie que la convocation des membres du conseil à la séance au cours de laquelle le débat doit se tenir sur les orientations générales du budget doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse relative à ces orientations générales. Un simple "rapport" comportant quelques indications générales sur les nouvelles charges imposées aux communes par des mesures gouvernementales et sur la volonté de la commune de ne pas augmenter la pression fiscale est insuffisant à satisfaire l'obligation d'information (4). Ces conditions, formelles, sont censées entraîner la tenue d'un débat dont le contenu sera en adéquation avec l'objectif du débat, à savoir permettre une meilleure association des élus, y compris de l'opposition, à l'élaboration du budget. Pour autant, le contenu du débat, on le verra, ne fait pas l'objet d'un contrôle, mais seulement son existence. Et pour cause, la délibération qui le sanctionne n'a pas un caractère décisoire mais constitue seulement une formalité substantielle préalable au vote du budget.
Le caractère non décisoire du débat d'orientation budgétaire. Si une délibération spécifique doit être prise pour sanctionner la tenue du débat, et que les termes du débat doivent être rapportés dans le compte-rendu de la séance au cours de laquelle est voté le budget (5), en revanche, la délibération n'a pas de caractère décisoire en elle-même et ne constitue qu'un acte préparatoire, quand bien même il est impératif. La délibération se bornant ainsi à constater l'existence d'un débat (6), le recours en annulation n'est possible que contre la délibération finale sur le budget lui-même (7). On peut considérer que cet état du droit ne permet pas de donner au débat d'orientation budgétaire sa véritable portée, dans la mesure où il s'agit de pallier ce fait que, pour l'essentiel, c'est l'exécutif qui élabore le budget. Et c'est bien le budget tel qu'il est préparé et proposé qui est finalement voté : les membres élus du conseil n'ont la plupart du temps pas d'influence réelle et technique sur ces questions. L'implication attendue des élus par l'organisation du débat d'orientation budgétaire préalablement à la discussion et au vote du budget doit donc, dans l'esprit des textes, pallier ce constat de l'inefficacité de la discussion budgétaire elle-même. Mais, pour cela, il faudrait permettre que les collectivités territoriales n'assimilent pas l'organisation du débat d'orientation budgétaire à une simple formalité administrative. Hélas, à l'absence de portée du débat, il faut même ajouter le cas où, parfois, il est possible à une collectivité tenue de l'organiser... de ne pas l'organiser.
L'exception à l'obligation de tenue d'un débat d'orientation budgétaire préalable : sa liaison avec le règlement intérieur de l'assemblée municipale. Pour les communes de plus de 3 500 habitants, l'article L. 2312-1 du Code général des collectivités territoriales indique que le débat a lieu "dans les conditions fixées par le règlement intérieur" de l'assemblée délibérante. Le fait d'adopter un règlement intérieur est précisément obligatoire pour les communes de 3 500 habitants et plus. Si chaque commune concernée adopte librement son propre règlement intérieur, la loi et la jurisprudence sont venus fixer certains éléments de contenu, qui sont obligatoires et conditionnent donc la légalité du règlement intérieur. D'abord, le règlement intérieur ne porte que sur que sur le fonctionnement du conseil municipal (8). Ensuite, la loi du 6 février 1992 impose qu'y soient inscrites les conditions de consultation des projets de contrats ou de marchés prévues à l'article prévus à l'article L. 2121-12, les règles de présentation, d'examen et de fréquence des questions orales, et enfin les conditions d'organisation du débat d'orientation budgétaire. La tenue régulière du débat d'orientation budgétaire est donc conditionnée par ce qui est inscrit dans le règlement intérieur de la collectivité. Mais la question pouvait se poser de savoir si le débat d'orientation budgétaire est lui-même lié à l'existence du règlement intérieur.
Autrement dit, en l'absence de règlement intérieur, le débat d'orientation budgétaire doit-il obligatoirement être organisé ? Sur le modèle de la célèbre jurisprudence "Dehaene" du Conseil d'Etat (9), on aurait pu penser qu'en dépit de l'absence de règlement intérieur, il incombait quand même aux autorités locales d'organiser le débat d'orientation budgétaire. C'est pourtant une autre solution qui a été retenue par le Conseil d'Etat, dans l'hypothèse où une collectivité se trouve précisément dans la période où elle peut ne pas avoir adopté de règlement intérieur. En effet, en vertu de l'article L. 2121-8, la commune dispose d'un délai de six mois suivant son installation pour adopter son règlement intérieur. S'il se trouve que c'est dans cette période qu'un débat d'orientation budgétaire doit être tenu, le Conseil d'Etat considère, en l'absence d'obligation d'avoir adopté un règlement intérieur, que la collectivité n'est pas tenue d'organiser en son sein un débat sur les orientations générales du budget (10). A fortiori, cette jurisprudence s'applique aux communes de moins de 3 500 habitants qui n'ont pas l'obligation d'adopter un règlement intérieur, ni celle de tenir un débat d'orientation budgétaire.
II - Les conséquences réelles de l'organisation du débat d'orientation budgétaire : un faible contentieux et une "petite" réforme envisagée
Il faut d'emblée noter que, si l'absence de tenue d'un débat d'orientation budgétaire est de nature à entraîner l'illégalité de la délibération approuvant le budget, le juge administratif n'exerce son contrôle que sur l'existence du débat, et non sur son contenu à proprement parler (11). Il suffit donc que le débat ait eu lieu et qu'il se soit tenu régulièrement, quel que soit son contenu et les membres qui y ont effectivement participé (sous réserve du respect des règles de quorum). En revanche, le débat doit être suffisamment préparé, en ce sens que les membres de l'assemblée délibérante aient bénéficié de toutes les informations nécessaires à la discussion. Si les règles actuelles permettent déjà, en cas de contentieux, de sanctionner une préparation insuffisante du débat d'orientation budgétaire, ou sa tenue dans des conditions irrégulières, une réforme actuellement soumise au Parlement propose quelques améliorations, dans le sens d'une meilleure formalisation du débat, sans que l'on puisse toutefois dire que de vraies améliorations s'ensuivront.
La conséquence du non-respect de l'obligation de la tenue d'un débat d'orientation budgétaire préalable et véritable : l'annulation possible du vote du budget primitif. Plusieurs éléments sont susceptibles de produire le non respect de l'obligation : de l'absence pure et simple de débat (12) au non-respect du délai, des conditions d'organisation du débat prévues dans le règlement intérieur de la commune, ou de l'obligation de mettre les éléments "adéquats" à la disposition des élus. Dans tous les cas, il est nécessaire que l'irrégularité affecte de manière substantielle le vote du budget. Cela signifie que, lorsque le respect des règles qui sont posées a pour conséquence de permettre que se réalise l'ambition première de leur raison d'être -la démocratie financière locale-, leur non-respect implique au contraire l'absence de réalisation de cette ambition, et justifie donc une annulation du vote final.
La question du délai. Il en va d'abord de la condition de délai posée pour la tenue du débat : celui-ci doit intervenir pendant la phase préparatoire du budget. Le délai de "deux mois précédant l'examen" du budget (pour les communes et les départements), ou de dix semaines (pour les régions), dans lequel le débat d'orientation budgétaire doit se tenir, est un délai substantiel dont le non-respect entraîne l'irrégularité du vote du budget (13). Toutefois, le délai légal doit n'être considéré que comme un délai maximum, mais pas, hélas, comme un délai minimum. Dans une décision du 16 mars 2001 (14), le tribunal administratif de Versailles a, certes, considéré que la tenue du débat le soir même du vote du budget n'était pas conforme au principe du caractère préalable de la tenue du débat d'orientation budgétaire. Mais au-delà de ce constat, il est bien difficile de considérer qu'un débat ne se serait pas régulièrement tenu au motif qu'il serait intervenu de manière trop rapprochée par rapport au débat sur le vote du budget. Peut-on ainsi considérer qu'un débat d'orientation budgétaire organisé une semaine avant la séance de vote du budget se tiendrait ainsi irrégulièrement ? La phase préparatoire du budget, comprenant le débat d'orientation, est destinée à éclairer le vote des élus, ce qui explique qu'elle soit, dans ses éléments qui y contribuent, une formalité substantielle.
On doit sans doute considérer que l'éclairage des élus passe par une phase d'assimilation d'un certain nombre d'informations qui ne peuvent conduire à formuler un vote "immédiat" certes, mais qu'au surplus, les élus devraient pouvoir être en mesure de formuler eux-mêmes des orientations pertinentes, destinées à être prises en compte pour l'élaboration du budget par le maire. Le débat doit ainsi avoir lieu "en temps utile eu égard à l'importance de ce dernier et à sa consistance", les informations nécessaires mettant les élus "à même d'exercer leur pouvoir décisionnel au moment du vote" du budget (15). Il était indiqué dans une réponse ministérielle de 1999 que le débat d'orientation budgétaire "doit se situer dans des délais tels que le maire, ou le président du conseil général ou régional, puisse tenir compte de ces orientations lors de l'élaboration du budget, mais suffisamment rapprochés du vote du budget pour que ces orientations ne se trouvent pas remises en cause par des événements ou évolutions récentes, apparues à l'approche du vote du budget" (16). Pour autant, rien n'indique qu'un débat sur les orientations budgétaires organisé quelques jours seulement avant le vote du budget, et alors donc que celui-ci a, dans sa très large part, déjà été préparé par l'exécutif, se tiendrait irrégulièrement. L'absence de délai minimum conduit donc la plupart des collectivités à ignorer la portée véritable que devrait avoir le débat d'orientation budgétaire.
L'envoi régulier d'une note suffisamment détaillée. Dans la même logique, il en va également du non-respect de l'obligation de mettre les éléments "adéquats" à la disposition des élus. Cela signifie d'abord que les éléments d'information relatifs au projet de budget adressés aux membres de l'assemblée délibérante avec la convocation pour la séance consacrée, notamment, au vote du budget primitif, ne suffisent pas à pallier l'absence de communication à ces membres des données essentielles sur lesquelles doit porter le débat d'orientation budgétaire (17). L'objet du débat d'orientation budgétaire doit être considéré comme distinct de l'objet du débat sur le vote du budget primitif, même si celui-là précède celui-ci. Ce sont donc des éléments distincts qui doivent être envoyés aux élus avec la convocation à la séance de l'assemblée délibérante. La note explicative de synthèse qui doit être envoyée aux élus avec la convocation à la séance au cours de laquelle se déroule le débat d'orientation budgétaire doit comprendre les éléments nécessaires à la tenue du débat : ce défaut d'informations nécessaires et adéquates, qui implique aussi que la note explicative doit être suffisamment détaillée, entraîne l'irrégularité de la délibération procédant au vote du budget primitif (18). La note de synthèse ne doit donc pas se limiter à des considérations générales sur la conjoncture et la politique économique de la collectivité (19).
Si, par exemple, le document envoyé comprend uniquement "quelques considérations générales sur les nouvelles charges imposées aux communes par des mesures gouvernementales et sur la volonté de la commune de ne pas augmenter la pression fiscale", le juge considère alors que "n'ont pas été communiquées aux conseillers municipaux les données essentielles sur lesquelles devait porter le débat sur les orientations budgétaires, et que cette circonstance constitue une irrégularité formelle de nature à entacher d'irrégularité la procédure" (20). La note explicative de synthèse doit ainsi comporter des éléments d'analyse prospective (formellement et légalement, le débat ne porte que sur les engagements futurs et pas sur les engagements passés -on rappelle qu'il n'y a pas de régime de responsabilité de l'exécutif devant l'assemblée délibérante au niveau local-), des indications sur la masse globale et la répartition en fonctionnement et en investissement (avec indication des principaux postes), des informations sur les principaux investissements projetés (dépenses et affectations des dépenses d'investissement), sur le niveau d'endettement et la progression envisagée (par exemple des informations sur l'éventuel recours à un nouvel emprunt) et sur les propositions d'imposition des taxes locales (indication des taux, notamment).
En dépit de ces éléments, le débat d'orientation budgétaire apparaît cependant encore trop souvent négligé, par les élus eux-mêmes, qui considèrent facilement qu'il ne s'agit que d'une obligation formelle n'ayant aucune incidence sur leur rôle réelle dans la maîtrise des finances locales. Alors que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes soulignent régulièrement les insuffisances des débats d'orientations budgétaires locaux, une "petite" réforme est envisagée, dont les effets s'annoncent certainement assez faibles.
Les perspectives de réforme du débat d'orientation budgétaire : formaliser pour améliorer ?
Un rapport de la Cour des comptes sur les finances locales rendu public en octobre 2013 soulignait les insuffisances du débat d'orientation budgétaire local, notamment l'absence de prospective et l'insincérité budgétaire qui pouvait s'ensuivre, tandis qu'un projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, longtemps resté dans les cartons et renommé, a été déposé devant le bureau du Sénat le 18 juin 2014 et envoyé à la commission des lois. Dans l'exposé des motifs, le projet de loi indique qu'il est proposé que le débat d'orientation budgétaire s'appuie désormais, "dans les plus grandes collectivités (régions, départements et communes de 3 500 habitants et plus), sur un rapport d'orientation budgétaire, reprenant de manière synthétique certaines informations contenues dans les documents comptables et budgétaires afin de faire apparaître les orientations majeures en ce domaine". Il est notamment précisé que, "dans le contexte de l'utilisation par certaines collectivités territoriales de produits financiers sophistiqués, il apparait nécessaire que ce rapport porte également sur la gestion de l'endettement et la structure de la dette. Ce rapport contribuera ainsi à améliorer l'information des organes délibérants et des citoyens sur la nature et la portée des engagements pris en matière d'endettement. Enfin, dans les communes de plus de 10 000 habitants, les départements et les régions, il portera également sur la structure et l'évolution des effectifs et des principaux postes de dépenses".
Ainsi, dans le titre IV du dispositif du projet de loi, consacré à la transparence et aux responsabilités financières des collectivités territoriales, un article 30 modifie le Code général des collectivités territoriales en mentionnant désormais le rapport "sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés ainsi que la gestion de la dette" qui doit être transmis au conseil dans le délai de deux mois (ou dix semaines pour les régions) précédant l'examen du budget. Il est ajouté aussi que "dans les communes de plus de 10 000 habitants, le rapport [...] comporte en outre une présentation de la structure et de l'évolution des dépenses et des effectifs. Ce rapport précise notamment l'évolution prévisionnelle et l'exécution des dépenses de personnel, des rémunérations, des avantages en nature et du temps de travail. Il est transmis au représentant de l'Etat dans le département et fait l'objet d'une publication. Le contenu du rapport et les modalités de sa publication sont fixés par décret". Ces dispositions, qui affectent les dispositions relatives aux communes, sont prévues de manière analogue s'agissant des départements et des régions.
La réforme envisagée impose donc des obligations fermes de contenu quant à l'information qui doit être envoyée aux élus, mais ne considère pas les deux lacunes majeures de l'actuelle obligation : l'absence de délai minimum entre la tenue du débat d'orientation budgétaire et le vote du budget, d'une part, l'absence d'obligations concrètes quant au déroulement et au contenu du débat, d'autre part.
Pourtant, l'obligation de la tenue d'un débat d'orientation budgétaire participe de la volonté d'assainissement des finances locales, par l'obligation d'impliquer l'ensemble des élus et celle pour l'exécutif de "rendre compte", en quelque sorte par avance, des choix opérés en matière budgétaire. De la même manière, cette volonté, au moins sur le plan de l'affichage, s'est aussi récemment traduite par la mise en place en 2010 (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN), dans les communes et EPCI de plus de 50 000 habitants, les départements et les régions, d'une obligation pour l'exécutif, "préalablement aux débats sur le projet de budget", de présenter "un rapport sur la situation en matière de développement durable intéressant le fonctionnement de la collectivité, les politiques qu'elle mène sur son territoire et les orientations et programmes de nature à améliorer cette situation" (CGCT, art. L. 2311-1-1 N° Lexbase : L7582IMR, L. 3311-2 N° Lexbase : L2189IYQ et L. 4310-1 N° Lexbase : L7580IMP). Comme s'agissant du débat d'orientation budgétaire, le rapport sur la situation en matière de développement durable constitue une formalité substantielle susceptible d'entraîner, en son absence, l'annulation de la délibération d'adoption du budget primitif. Mais là encore, son statut et les conditions de son organisation ne permettent pas encore de conclure à la mise en place d'un système efficace qui ferait véritablement évoluer la pratique de la démocratie locale, principalement en matière financière.
(1) Ou en même temps que la convocation, voir CAA Bordeaux, 2ème ch., 27 avril 2004, n° 00BX01715 (N° Lexbase : A2523DCG).
(2) CE 3° et 5° s-s-r., 30 avril 1997, n° 158730, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9386ADY).
(3) Une décision contra cependant, voir CAA Marseille, 5ème ch., 22 mars 2012, n° 10MA03053 (N° Lexbase : A3612ILD).
(4) TA Nice, 10 novembre 2006, n° 0202069 (N° Lexbase : A0398DWN).
(5) TA Montpellier, 11 octobre 1995, Bard c/ Commune de Bédarieux.
(6) TA Paris, 12 juin 1998, Deprez.
(7) TA Nice, 19 janvier 2007, Lang c/ Commune de Mouans Sartoux.
(8) CE 3° s-s., 28 janvier 1987, n° 83097, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4252AP8).
(9) CE, Ass., 7 juillet 1950, n° 016945, publié au recueil Lebon ([LXB=A5106B7A)]).
(10) CE 8° et 9° s-s-r., 12 juillet 1995, n° 157092, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5202ANY).
(11) TA Nice, 10 novembre 2006, n° 0202069, préc..
(12) TA Nice, 10 novembre 2006, n° 0202069, préc..
(13) TA Montpellier, 5 novembre 1997, Syndicat de gestion du collège de Florensac.
(14) TA Versailles, 16 mars 2001, n° 003183 (N° Lexbase : A1318BTY).
(15) CAA Marseille, 5ème ch., 22 mars 2012, n° 10MA03053, préc..
(16) Réponse ministérielle n° 05825, JO Sénat, 2 septembre 1999, p. 2939.
(17) TA Lyon, 9 décembre 2004, Nardone.
(18) TA Nice, 10 novembre 2006, n° 0202069, préc.; TA Nice, 19 janvier 2007, Lang c/ Commune de Mouans Sartoux.
(19) CAA Douai, 2ème ch., 14 juin 2005, n° 02DA00016 (N° Lexbase : A2329DKH).
(20) TA Nice, 10 novembre 2006, n° 0202069, préc..
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 juin 2014, n° 360708, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7727MRM)
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par Raphaël Bagdassarian, Avocat, Landwell & Associés
Le 24 Juillet 2014
I - La réaffirmation du caractère abusif des montages "coquillards"
A - La reconnaissance d'un montage "coquillard" caractérisé
Les faits de la présente espèce étaient très proches de ceux de l'arrêt "Garnier Choiseul Holding", et en tout point caractéristique d'un montage dit "coquillard".
Une société A avait acquis, en 2002, 100 % des titres d'une société B (prix d'acquisition : 365 000 euros) puis, l'année suivante, 51 % des titres d'une société C (prix d'acquisition : 3 315 000 euros). Ces deux dernières sociétés avaient pour particularité de n'avoir plus aucune activité et d'avoir un actif essentiellement constitué d'obligations d'une société luxembourgeoise de participations financières.
La société A s'était engagée à conserver ces titres pendant une durée de deux ans et les avait inscrits en comptabilité à son actif en tant que valeurs mobilières de placement.
La société A avait ensuite (i) fait procéder à son bénéfice à des distributions de dividendes par les deux sociétés (200 000 euros de la société B en 2002 et 3 695 272 euros de la société C en 2003 et 2004), lesquelles avaient bénéficié de l'exonération d'imposition prévu par le régime des sociétés mères (CGI, art. 145 N° Lexbase : L9522ITT et 216 N° Lexbase : L0666IPD) tandis que, parallèlement (ii), elle déduisait de ses résultats imposables au titre des exercices 2002, 2003 et 2004 des provisions pour dépréciation des titres litigieux en application du deuxième alinéa du a ter du I de l'article 219 du même code (dans sa rédaction alors applicable ; N° Lexbase : L2822HZK), pour des montants proches de la valeur des dividendes perçus.
Il s'agissait donc d'un montage "coquillard" classique, consistant pour la société A (le "coquillard") à :
- acquérir 5 % au moins des titres de sociétés sans activité mais disposant de liquidités ("la coquille") et s'engager à conserver les titres pendant deux ans pour bénéficier du régime des "sociétés mères" prévu à l'article 145 du CGI, précité, puis
- faire réaliser par les coquilles des distributions de dividendes à son profit afin de les "vider" de leurs liquidités, avec une exonération d'impôt sur les sociétés, à hauteur de 95 %, en vertu de l'article 216 du CGI, précité, et parallèlement
- doter des provisions pour dépréciation de titres qui sont, elles-mêmes, déductibles en application de l'article 219, I, a, ter du CGI, précité (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ).
Deux particularités des faits de l'espèce rendaient, toutefois, le montage moins "pur" que dans l'arrêt "Garnier Choiseul Holding" :
- d'une part, l'une des deux coquilles (société B) n'avait pas été vidée intégralement de ses actifs, puisqu'elle n'avait distribué que 200 000 euros pour un actif total de 365 000 euros ;
- d'autre part, il n'y avait pas de corrélation entre le montant des dividendes distribués par la société C et celui de la provision pour dépréciation des titres de ces sociétés, le montant des dividendes versés excédant la provision comptabilisée d'environ 400 000 euros.
Ce décalage avait deux conséquences : la reconnaissance d'un "gain financier" qui, selon la société, démontrait bien que la motivation de l'opération n'était pas exclusivement fiscale, et l'absence de double déduction fiscale (exonération du dividendes/déduction de la provision) à hauteur du montant des dividendes n'ayant pas fait l'objet d'une provision.
La cour administrative d'appel de Paris avait donné gain de cause à la société A (CAA Paris, 7ème ch., 27 avril 2012, n° 11PA02237, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1197IRR) et écarté la reconnaissance d'un abus de droit, aux motifs que :
- les sociétés filles "existaient antérieurement aux opérations de distribution des dividendes, sans que le bénéfice de l'avantage fiscal ait été permis par l'interposition d'une société spécialement créée à cet effet" ; et ensuite que
- "dans les circonstances dans lesquelles elle a été réalisée, l'exonération des dividendes n'a pas méconnu les objectifs des auteurs de l'article 216 du CGI", dès lors notamment "que l'absence d'option pour le régime des sociétés mères aurait conduit à une seconde imposition des sommes distribuées".
B - La réaffirmation de l'implication nécessaire des sociétés mères dans le développement de leur(s) fille(s)
Dans ce cadre, le Conseil d'Etat devait se prononcer sur l'existence d'un abus de droit.
La procédure de l'abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF permet à l'administration d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, afin de leur restituer le véritable caractère.
Sont visés par cette procédure, non seulement les actes ayant un caractère fictif ("abus de droit par simulation"), mais également les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être poursuivis que dans un but exclusivement fiscal, entendu de celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
L'abus de droit "par fraude à la loi" nécessite que ces deux branches (i.e. application littérale des textes et but exclusivement fiscal) soient réunies. Rappelons que la théorie de 'abus de droit par fraude à la loi a été dégagée par le Conseil d'Etat dans la jurisprudence "Persicot" du 28 février 2007 (CE 9° et 10° s-s-r., n° 284565, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4284DU9), avant d'être intégrée dans la nouvelle rédaction de l'article L. 64 du LPF issue de la loi de finances rectificative pour 2008 (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, art. 35 N° Lexbase : L3784IC7).
Au stade de la cassation, le Conseil d'Etat adopte le même raisonnement que celui retenu dans sa décision "Garnier Choiseul Holding" et censure l'arrêt de la cour administrative d'appel.
Le Conseil d'Etat juge que l'opération en cause va à l'encontre de l'objectif du régime mère-fille poursuivi par le législateur, lequel n'est pas d'empêcher une situation de double imposition économique des revenus distribués, comme a pu le juger la cour administrative d'appel, mais de "favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française".
Pour ce faire, le Conseil d'Etat se fonde sur l'ensemble des travaux préparatoires du régime mère-fille, depuis sa création par la loi du 31 juillet 1920, et sur la circonstance que le bénéfice du régime mère-fille a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale.
Il en déduit que "le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif".
Le Conseil d'Etat censure en conséquence l'arrêt pour avoir méconnu les objectifs du régime précité et avoir commis une erreur de droit.
Le Conseil d'Etat apporte ensuite, au stade du règlement de l'affaire au fond, des précisions intéressantes quant à sa grille d'analyse de l'abus de droit appliqué au montage "coquillard".
II - Les précisions apportées par le Conseil d'Etat
La Haute juridiction semble renforcer l'importance donnée au comportement de l'actionnaire dans son analyse de l'abus de droit.
A - Les apports de la décision
Ces apports sont au nombre de trois.
Le Conseil d'Etat considère en effet "que si la société [B] a conservé pour sa part une partie de ses actifs, il n'est pas contesté que ceux-ci se composaient essentiellement d'obligations de la même société luxembourgeoise [...] et qu'ils ne donnaient lieu à aucun mouvement de titres susceptible de caractériser une activité de gestion de portefeuille".
Le Conseil d'Etat souligne ici que l'abus de droit ne peut pas être écarté du seul fait que la coquille maintienne des actifs, dès lors que celle-ci n'exerce plus aucune activité.
Le Conseil d'Etat refuse ainsi de se contenter de l'apparence donnée par le maintien d'éléments d'actifs au bilan de la coquille pour écarter l'abus de droit et vérifie que l'intention de la société mère n'a pas été de vider la coquille en plusieurs fois au lieu qu'en une seule et unique fois.
Ce critère du maintien d'une activité avait déjà été retenu par le Comité consultatif pour la répression des abus de droit (avis 2008-18), dans l'un des rares avis favorable au contribuable où l'abus de droit avait été écarté notamment parce que la coquille, qui n'avait pas été entièrement vidée, avait continué pendant sa détention par le coquillard "à exercer une activité conformément à son objet social".
Comme le souligne Emilie Bokdam (1), il convient de distinguer lorsque la coquille n'est pas vidée de l'ensemble de ses liquidités "selon que la filiale continue à vivre en exerçant par exemple une activité effective de gestion financière ou selon qu'elle est en réalité mise à mort en plusieurs fois", le coquillard ne lui paraissant pas, dans cette seconde hypothèse, "manifester davantage d'instinct maternel, au seul motif qu'il choisit de dépecer sa fille à plus petit feu".
En outre, comme le relève M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public, dans ses conclusions sous l'arrêt, adopter une position différente équivaudrait à "fixer un seuil de remontées au-delà duquel, seulement, il y aurait abus de droit", ce qui aurait pour effet d'encourager "les coquillards à procéder à des remontées partielles ou progressives de dividendes, sans changer la nature de ces distributions".
Soulignons ici que, si l'intention est louable, la preuve demandée par le Conseil d'Etat d'une "activité de gestion de portefeuille" est particulièrement difficile à apporter, dans la mesure où l'activité exercée par la coquille, consistant à détenir un portefeuille d'obligations, est le plus souvent passive, ce portefeuille ne devant pas nécessairement évoluer. En outre, une telle activité ne nécessite ni moyens matériels ou humains particuliers.
A cet égard, le Conseil d'Etat semble confirmer l'approche retenue par la cour administrative d'appel de Versailles du 6 novembre 2012 (CAA Versailles, 3ème ch., n° 10VE03020, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5853IYG), laquelle avait remis en cause le régime des sociétés mères sur le terrain de l'abus de droit, le défaut de substance de la filiale découlant de son activité passive de détention d'un portefeuille d'obligations.
Dans l'arrêt "Garnier Choiseul Holding", comme dans la présente espèce, les "coquillards" soutenaient l'existence d'une motivation économique (et donc non exclusivement fiscale), dès lors que l'opération avait conduit à la constatation d'un "gain financier".
Ce gain financier correspond peu ou prou à la décote que les "coquillards" ont obtenu des cessionnaires des "coquilles" pour le prix de leur service. Comme le soulignait le Conseil d'Etat, dans sa décision "Hamet" (CE 3° et 8° s-s-r., 4 mai 2013, n° 338501, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1815ILS) : "la diminution du prix de vente des titres de [celle-ci], [...] révélait un service rendu par la société [...] spécialisée dans le désinvestissement, en permettant de donner à l'appréhension des liquidités [...] l'apparence d'une cession de titres".
Dans l'arrêt "Garnier Choiseul Holding", le Conseil d'Etat avait reconnu l'existence d'une motivation exclusivement fiscale en dépit d'un gain de trésorerie tiré de l'opération par le coquillard dès lors que ce gain était "négligeable et sans commune mesure avec l'avantage fiscal retiré de ces opérations". Le Conseil d'Etat comparait ainsi l'avantage économique et l'avantage fiscal retirés de l'opération et semblait avoir considéré que la société avait été inspirée par un motif exclusivement fiscal, dès lors que l'avantage économique était minime comparé à l'avantage fiscal.
Cette condition était confortée, comme le souligne le rapporteur public, par le commentaire aux cahiers de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 (Cons. const., n° 2013-685 DC N° Lexbase : A9152KSR, RJF, 2014) qui paraissait avoir approuvé la solution de l'arrêt "Garnier Choiseul Holding" (en indiquant que la CJUE a la "même orientation en matière de fraude à la loi"), après avoir souligné que cet arrêt relevait que "l'avantage de trésorerie (réel) invoqué par l'intéressé était minime, de sorte que celui-ci était réputé avoir seulement poursuivi un but fiscal".
Or, au cas d'espèce, la société avait mis en avant l'existence d'un gain financier non négligeable, étant précisé qu'elle avait déterminé ce gain non pas par différence entre le prix d'acquisition des coquilles et le montant des dividendes distribués, mais par différence entre le montant desdits dividendes et le montant provisionné. Le Conseil d'Etat indique à cet effet que : "la société fait état d'un gain financier' d'environ 400 000 euros, égal à la différence entre les dividendes qu'elle a reçus de la société [C] et le montant de la provision qu'elle a constituée, pour tenir compte de la perte de valeur consécutive à cette distribution".
Le Conseil d'Etat reconnaît néanmoins ici encore l'inspiration exclusivement fiscale de l'opération, au motif qu'"une telle différence comptable ne peut être regardée comme de nature à justifier le montage litigieux, dès lors qu'en l'absence de tout autre effet de l'opération, elle ne peut résulter que d'un partage de l'avantage fiscal entre le cédant et le cessionnaire de la société [C]".
Le Conseil d'Etat souligne ici que la constatation d'un gain financier ne relève pas du but poursuivi par la société "coquillard", mais bien de l'effet. Comme le souligne le rapporteur public sous l'arrêt : "la décote n'existe, du reste, [en tant qu'effet de l'opération] que parce que les coquillards estimaient pouvoir faire remonter les dividendes sans payer d'impôt grâce au régime des sociétés-mères [en tant que motivation de l'opération]".
L'existence d'un gain financier, même significatif, n'est dès lors pas de nature à empêcher l'abus de droit, dès lors que ce gain n'est que la conséquence d'un montage visant avant tout à bénéficier de l'avantage procuré par le régime des sociétés mères.
En effet, le Conseil d'Etat reconnaît au cas d'espèce un abus de droit dans une situation où le montant de la provision déduite diverge du montant des dividendes ayant bénéficié d'une exonération d'impôt.
Il semble ainsi considérer qu'il n'y a pas de nécessaire corrélation entre la déduction d'une provision pour dépréciation des titres et la reconnaissance d'un abus de droit et que le bénéfice de l'avantage fiscal découlant de l'application du régime mère-fille pourrait suffire à lui seul à la reconnaissance d'une motivation exclusivement fiscale, indépendamment de l'existence d'une provision déductible.
Il est vrai que cette condition de double déduction fiscale ne ressort d'ailleurs pas expressément de la lecture de la décision "Garnier Choiseul Holding".
A suivre ce raisonnement, la déduction d'une provision n'aurait pour effet que d'accroître l'avantage fiscal découlant de l'application du régime mère-fille en créant des déficits fiscaux, sans pour autant que cette déduction soit déterminante dans la reconnaissance d'une situation d'abus de droit.
Cette position, qui est retenue par l'administration fiscale dans des contentieux en cours, devra utilement être précisée par le Conseil d'Etat.
B - Le comportement de l'actionnaire au centre de l'analyse abus de droit
Il nous semble que ces trois apports peuvent se rattacher à une seule et même volonté du juge de vouloir placer le comportement de l'actionnaire au coeur de son analyse de l'abus de droit
C'est bien le comportement de l'actionnaire que le Conseil d'Etat analyse lorsqu'il entend s'assurer que :
- le maintien d'éléments d'actifs au bilan de la coquille ne dissimule pas uniquement une intention de vider celle-ci par des remontées partielles ou progressives de dividendes au lieu de procéder à une unique distribution, et que
- le gain financier dont se prévaut la société ne cache pas en réalité un simple partage de l'avantage fiscal entre le cédant et le cessionnaire découlant de l'application du régime des sociétés mères.
Et c'est encore le comportement de l'actionnaire que le Conseil d'Etat place au centre de son analyse lorsqu'il semble admettre que le seul bénéfice du régime mère-fille est susceptible de caractériser une motivation exclusivement fiscale car, en pareille hypothèse, seul son comportement d'actionnaire protège le contribuable de l'abus de droit. Car encore faut-il alors que l'actionnaire n'ait jamais eu l'intention sincère de s'impliquer dans le développement de sa filiale.
Conférer une telle place au comportement de l'actionnaire suscite l'interrogation suivante : à quelle date la volonté de la société de mère de s'impliquer dans le développement de sa filiale doit-elle être appréciée : à la date de la prise de participation ou tout au long de la période de détention des titres ?
Il nous semble que c'est à la date de la prise de participation qu'il convient de se placer.
Trois séries d'éléments militent, à notre sens, pour cette position :
- cette solution permettrait de sanctionner les hypothèses où la prise de participation est en elle-même artificielle, la société mère n'ayant jamais eu l'intention de tisser des liens avec sa fille (comme c'est le cas des montages "coquillards") ;
- cette solution permettrait d'échapper aux difficultés qui résulterait de la nécessité d'avoir à analyser le rôle de l'actionnaire postérieurement à la prise de contrôle dans des hypothèses où, par exemple, le projet dans lequel devait s'inscrire l'acquisition de la filiale n'aboutit pas, la société mère est une société holding pure sans activité opérationnelle, ou encore où la filiale n'a plus d'activité (indépendamment de tout schéma coquillard, bien entendu), ou une activité patrimoniale passive.
Comme nous l'avons souligné, la preuve demandée par le Conseil d'Etat de démontrer l'existence d'une activité de gestion de portefeuille est particulièrement difficile à apporter lorsque celle-ci est passive et qu'elle ne nécessite dès lors pas de moyens matériels ou humains particuliers. Cet arrêt, comme l'arrêt de la cour administrative d'appel du 6 novembre 2012, précité, nous semble ainsi illustrer les difficultés d'une telle approche consistant à apprécier le rôle de l'actionnaire au cours de la période de détention des titres.
- enfin, apprécier le rôle de l'actionnaire tout au long de la période de détention des titres aboutirait à ajouter une condition à la loi pour bénéficier du régime mère fille, si le Conseil d'Etat devait confirmer que le seul bénéfice du régime des sociétés mères suffit à établir l'existence d'un but exclusivement fiscal.
(1) Emilie Bokdam-Tognetti, Coquilles et abus de droit : les délices de la conchyliologie, RJF, 2013,1064.
Décision CE 9° et 10° s-s-r., 23 juin 2014, n° 360708, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7727MRM) Censure CAA Paris, 7ème ch., 27 avril 2012, n° 11PA02237, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1197IRR) Lien base N° Lexbase : E8321AYT et N° Lexbase : E9683ASG |
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Réf. : CJUE, 17 juillet 2014, aff. C-48/13 (N° Lexbase : A4760MUT)
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Le 29 Juillet 2014
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Réf. : CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 361820, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4411MUW)
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Le 24 Juillet 2014
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Réf. : Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-21.074, FS-P+B (N° Lexbase : A1476MSH)
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N3307BUZ
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Université de Bordeaux, Membre de l'IRDAP
Le 24 Juillet 2014
I - Primauté de l'encadrement du consentement sur la qualité de la caution
Sous le prisme de la situation du dirigeant caution en cas de renégociation d'un crédit, la Chambre commerciale de la Cour de cassation conforte la portée générale des règles encadrant le consentement à ce type de sûreté personnelle. Les juges rappellent, en effet, les principes classiques posés à l'article 2292 du Code civil relatifs aux modalités de conclusion du contrat et à la détermination de l'étendue de l'engagement de la caution. Selon le dispositif législatif, le cautionnement suppose l'expression d'une volonté expresse et ne saurait être étendu au-delà des limites fixées dans le contrat. Cette règle protectrice de la caution, ayant pour but de s'assurer que la caution a bien conscience de la gravité de son engagement, soulève la question de la nature de cet acte juridique. Relevant de la catégorie des contrats unilatéraux, le cautionnement s'impose comme un contrat consensuel en dépit du refus du cautionnement implicite ou tacite. Si le consentement ne peut être déduit du comportement de son auteur, le Code civil ne va pas, pour autant, jusqu'à imposer le respect d'un formalisme spécifique. En dehors de textes particuliers, le consentement peut être exprimé librement.
La décision commentée s'inscrit dans l'idée que les règles relatives à l'expression du consentement ne dépendent pas de la qualité de la caution à savoir, si elle est profane ou avertie. Cette approche est également celle privilégiée par le législateur comme l'atteste l'application extensive retenue en matière de formalisme imposé par le droit de la consommation. En ce sens, la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC) a étendu les mentions manuscrites posées aux articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) et L. 313-8 (N° Lexbase : L1524HIB) à tous les cautionnements conclus par actes sous seing privé consentis à un créancier professionnel par une personne physique, que celle-ci soit profane ou non. Ainsi, alors que le dispositif réside dans le Code de la consommation, il est applicable à la caution dirigeant de société. La même démarche domine l'exigence de proportionnalité qui s'impose également quel que soit le degré de compétence de celui qui s'engage en tant que caution (1). Dans l'espèce étudiée, les juges semblent s'orienter en faveur de la généralité des mesures protectrices relatives à l'expression du consentement à partir du moment où la caution est une personne physique sans recourir à la sous distinction entre caution profane et caution avertie.
Si la généralisation des mesures d'encadrement de l'expression de consentement relève d'une logique aujourd'hui classique, le point technique à souligner dans l'arrêt rendu par les juges de la Chambre commerciale est qu'elle s'impose, également à l'occasion d'une modification du crédit alors même que le dirigeant, engagé en tant que caution, est intervenu dans cette renégociation. Cette solution s'inscrit, alors, dans une problématique plus générale relative au sort des sûretés en cas de renégociation du prêt initialement consenti. Ont-elles vocation à être maintenues ? La réponse à cette question dépend du type de procédé tiré du régime des obligations induit par la renégociation d'un crédit. Plus précisément, il s'agit de déterminer si la renégociation emporte novation et donc, substitution d'un nouveau crédit à l'ancien. Les enjeux sont décisifs au regard du sort réservé aux sûretés puisque, si est retenue la solution en faveur de la novation, les sûretés ne sont pas automatiquement maintenues alors qu'elles le sont dans le cas contraire. En application de l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT), la novation ne se présumant pas, les parties doivent donc la prévoir par voie d'avenant. Dans la suite logique de cette solution, toute sûreté devrait, en principe, survivre à la renégociation du contrat de crédit sauf en cas d'avenant prévoyant leur remise en cause. Cette approche doit, cependant, être adaptée lorsque la sûreté mise en jeu est un cautionnement comme le démontre l'arrêt étudié. En pratique, l'intervention de la caution s'impose quelles que soient les circonstances de la renégociation du crédit afin d'éviter que le garant tire argument des modifications afin de se décharger. Si aucun texte ne prévoit de règles particulières dédiées aux modalités de mise en oeuvre du crédit substitutif, la sécurité juridique impose que la caution soit destinataire de l'offre préalable du crédit modifié en calquant les mesures imposées dans le cadre du crédit initial.
Pour les juges de la Chambre commerciale, la qualité de caution avertie ne justifie donc pas l'exclusion des règles protectrices relatives au consentement à la modification de la dette principale. Il convient alors de mesurer les implications de l'absence de différenciation de traitement du dirigeant de société caution.
II - Implications de l'absence de traitement différencié du dirigeant caution
La solution retenue par la Chambre commerciale conforte le sentiment d'incertitudes qui domine le traitement des cautions averties dont la qualification même n'est pas toujours aisée. En effet, si le dirigeant ou le directeur commercial associé majoritaire sont présumés être une caution avertie (2), d'autres situations relèvent d'une appréciation in concreto comme celle, par exemple, de l'associé ou du conjoint du dirigeant (3). La justification de cette catégorisation réside dans le constat que certaines cautions se trouvent dans une situation avantageuse au vu de leur aptitude à cerner la portée de leur engagement et de leur accès privilégié aux informations sur la situation financière du débiteur principal. Cette situation favorable ne fait pas de doute dans l'affaire ici rapportée car la caution, en tant que dirigeant, avait pleinement connaissance des conditions de renégociation du crédit.
Au final, le statut moins protecteur appliqué à ce type de caution réside principalement, au regard de la formation du contrat, dans les restrictions apportées au bénéfice du devoir de mise en garde et dans l'appréciation du dol. Ainsi, elle n'est pas créancière du devoir de mise en garde qui pèse sur les établissements de crédit relatif à la capacité financière de la caution et aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts au débiteur principal, sauf à démontrer que l'établissement bancaire détenait des informations qu'elle ignorait (4). De même, elle pourra plus difficilement qu'une caution profane se prévaloir de la nullité du contrat pour dol.
Protectrice des cautions averties, la décision commentée laisse planer une incertitude sur sa portée. La rigueur de l'exigence du consentement explicite de la caution en cas de modification du crédit doit-elle s'imposer dans tous les cas de figure ? L'hypothèse qui est susceptible d'être discutée est celle où la renégociation du prêt aboutit à des conditions plus avantageuses pour le débiteur et donc à un allègement du risque pris par le garant. Tel sera le cas, par exemple, si le taux d'intérêt est renégocié à la baisse ou si la durée de l'endettement est réduite. Si on se réfère à l'esprit de l'article 2292 du Code civil, repris par les juges de la Chambre commerciale, une réponse négative devrait devoir s'imposer car l'hypothèse qui s' y trouve mise en avant est celle de l'extension du cautionnement au-delà de ses limites.
D'un point de vue pratique, on peut également s'interroger sur les modalités d'octroi du consentement au cautionnement du dirigeant, qui comme en l'espèce, avait par ailleurs connaissance des conditions de renégociation du crédit. Il est concevable d'imaginer qu'il puisse intervenir, à la fois, dans le même acte en tant que garant et en tant qu'emprunteur .Il est admis, en effet, qu'une personne puisse agir au titre de deux qualités différentes dans un même acte. Dans ce cas, la signature unique est valable mais à la condition que les deux qualités soient mentionnées. Cette solution a été retenue dans une hypothèse similaire de celle étudiée dans un acte notarié à l'occasion duquel un dirigeant de société intervenait en tant qu'emprunteur et en tant que caution (5).
Favorable à la protection des intérêts des dirigeants de société qui s'engagent en tant que caution des dettes de leur société en cas de renégociation de celles-ci, la solution rendue par la Chambre commerciale s'inscrit dans une démarche d'une différenciation de traitement raisonné entre les cautions averties et les cautions profanes.
(1) M.-H. De Laender, L'exigence de proportionnalité, RD Banc. Fin., 2003, 259 ; D. Houtcieff, Les dispositions applicables au cautionnement issue de la loi pour l'initiative économique, JCP éd. G, 2003, I, 161 ; P. Crocq, Sûretés et proportionnalité, Mélanges Ph. Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 291.
(2) Cass. com., 17 février 2009, n° 07-20.935, F-D (N° Lexbase : A2618EDC), Ph. Pétel, Le dirigeant garant, Rev. proc. coll, novembre, 2010, 82.
(3) G. Piette, V° Cautionnement commercial, Rép. Com., Dalloz, 2012, n° 68 et s..
(4) Par ex., Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.702, F-D (N° Lexbase : A7147EPE); Cass. com., 4 février 2003, n° 98-20.038, F-D (N° Lexbase : A8998A4Z).
(5) Par ex., Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.702, préc. et Cass. com.,4 février 2003, n° 98-20.038, préc..
Décision
Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-21.074, FS-P+B (N° Lexbase : A1476MSH). Cassation (CA Bordeaux, 5 juillet 2012). Lien base : (N° Lexbase : E0814A8N). |
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Réf. : Recommandation
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Le 26 Août 2014
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Réf. : CEDH, 17 juillet 2014, Req. 47848/08, C. c/ Roumanie (N° Lexbase : A4739MU3)
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N3303BUU
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Le 24 Juillet 2014
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Réf. : CEDH, 17 juillet 2014, Req. 47848/08, C. c/ Roumanie (N° Lexbase : A4739MU3)
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N3303BUU
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Le 24 Juillet 2014
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2014, n° 361570, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4740MU4)
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N3300BUR
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Le 23 Juillet 2014
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Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 11-21.609, FS-P+B (N° Lexbase : A3996MUK)
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N3343BUD
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Le 26 Juillet 2014
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Réf. : Loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires (N° Lexbase : L7013I37)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 21 Octobre 2014
La question du statut juridique des stages et des stagiaires s'est aussi posée en droit européen. En septembre 2007 la Commission européenne avait proposé une initiative relative à une "charte européenne de la qualité des stages" (2). Le Parlement européen a adopté, le 6 juillet 2010, une résolution demandant des stages plus nombreux et de meilleure qualité. Le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 10 mars 2014 (3), une recommandation relative à un cadre de qualité pour les stages, afin d'améliorer les conditions de travail et le contenu de l'apprentissage offerts aux stagiaires. Le Comité économique et social européen a adopté un avis le 27 février 2014, suggérant la mise en place d'une réglementation garantissant la qualité des stages (contenus des apprentissages) et des conditions de travail (horaires de travail, indemnité financière, Sécurité sociale).
La loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014 a apporté quelques innovations au régime du stage et au statut du stagiaire. Mais ces apports, somme toute assez modestes, n'ont pas suscité un grand enthousiasme, aussi bien des organismes représentant les étudiants (qui reprochent au texte sa modestie, précisément), que des organisations patronales (qui lui reprochent d'introduire de nouvelles contraintes, notamment au regard du régime des gratifications). La doctrine s'est peu exprimée, n'ayant pas encore identifié le stagiaire (pas plus le stage d'ailleurs) comme un enjeu théorique sensible ou précurseur, à tort.
I - Encadrement des stages
La ligne directrice générale est de favoriser les stages de qualité, et surtout de dissuader les employeurs qui valorisent les stages comme substitut à des emplois. Ces abus, relevés par les travaux législatifs (4), consistent à affecter des stagiaires, moins couteux que des salariés (436,05 euros) à de véritables postes de travail. Le stage est alors détourné de sa vocation (être un élément de la formation des étudiants) et se substitue à des emplois qui devraient être occupés par de jeunes diplômés.
Dans le même sens, la Commission européenne avait, le 4 décembre 2013 (5), rédigé une proposition de recommandation relative à un cadre de qualité pour les stages. Le ressort de l'action législative est simple : répondre aux difficultés générées par le recours aux stages, trop souvent dévoyés.
A - Objet du stage
1 - Objet
Pour lutter contre les recours abusifs aux stagiaires, une régulation de leur nombre, notamment par la mise en place d'un tuteur de stages, permettrait de limiter les risques tout en améliorant la qualité des stages.
- Définition
Le législateur et le pouvoir réglementaire avaient défini les stages comme la période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification (décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 modifié, art. 1 ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 26 ; C. éduc., art. L. 612-8, al. 3 à 5).
La loi du 10 juillet 2014 ne modifie pas la définition du stage mais rappelle les missions d'appui et d'accompagnement de l'établissement d'enseignement dans ce domaine (C. éduc., art. L. 124-2 N° Lexbase : L7730I3P) ; le législateur renforce la dimension pédagogique du stage prévue par la loi du 22 juillet 2013 en définissant, en lien avec l'organisme d'accueil et le stagiaire, les compétences à acquérir ou à développer pour favoriser son insertion professionnelle (C. éduc., art. L. 124-1 et L. 124-3 N° Lexbase : L7729I3N).
La définition retenue par la Commission européenne est beaucoup plus large (6) ; celle-ci entend également en effet par "stage" une période de travail d'une durée limitée que des jeunes venant de terminer leurs études suivent dans une entreprise (un organisme public ou une organisation sans but lucratif) en vue d'acquérir une expérience professionnelle. Pour la Commission européenne, un stagiaire peut être un étudiant ou un jeune diplômé, tandis qu'en droit français, le statut de stagiaire ne concerne que les étudiants en cours de formation.
- Suivi par un tuteur
Innovation de la loi du 10 juillet 2014, l'organisme d'accueil doit désigner un tuteur, garant du respect des stipulations pédagogiques de la convention de stage (C. éduc., art. L. 124-9 N° Lexbase : L4271IPU). A défaut, il s'expose à la même amende administrative qu'en cas de non-respect du quota de stagiaires (C. éduc., art. L. 124-17 N° Lexbase : L7747I3C). Les tâches confiées au tuteur, ainsi que les conditions de l'éventuelle valorisation de cette fonction peuvent être précisées par accord d'entreprise (C. éduc., art. L. 124-9).
- Mission de l'établissement d'enseignement
La loi du 10 juillet 2014 codifie les missions de l'établissement d'enseignement dans le Code de l'éducation (C. éduc., art. L. 124-2 N° Lexbase : L7730I3P) (7). L'établissement est chargé d'appuyer et accompagner l'élève ou l'étudiant dans sa recherche de période de formation en milieu professionnel ou de stage correspondant à son cursus et à ses aspirations et de favoriser un égal accès des élèves et des étudiants aux périodes de formation en milieu professionnel / aux stages (C. éduc., art. L. 611-5 N° Lexbase : L7779I3I) ; de définir dans la convention, en lien avec l'organisme d'accueil et le stagiaire, les compétences à acquérir /développer au cours de la période de formation en milieu professionnel ou du stage et la manière dont ce temps s'inscrit dans le cursus de formation ; de désigner un enseignant référent chargé du suivi du stage ; d'encourager la mobilité internationale des stagiaires.
2 - Exclusions
Le législateur avait déjà imposé que les stages ne puissent avoir pour objet d'exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise (de l'administration publique, de l'association ou de tout autre organisme d'accueil) ; de remplacer un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement ; de faire face à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; d'occuper un emploi saisonnier (décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 modifié, art. 6 ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 26). La loi du 10 juillet 2014 confirme ces exclusions.
B - Mise en oeuvre du stage
1- Conclusion d'une convention de stage
Le régime de la conclusion d'une convention de stage n'est pas modifié par la loi du 10 juillet 2014. L'entreprise d'accueil, le stagiaire et l'établissement d'enseignement doivent obligatoirement signer une convention de stage à laquelle est annexée la "Charte des stages étudiants en entreprise" du 26 avril 2006 (décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 modifié, art. 2 à 5 ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 26 ; C. éduc., art. L. 612-8, al. 2).
Les textes (loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 26 ; C. éduc., art. L. 612-8, al. 4) mentionnent à deux reprises l'obligation : les stages en milieu professionnel font l'objet d'une convention entre le stagiaire, l'organisme d'accueil et l'établissement d'enseignement ; tout étudiant souhaitant effectuer un stage se voit proposer une convention par l'établissement d'enseignement supérieur.
2 - Consultation du CE
La loi du 10 juillet 2014 ne modifie pas le régime antérieur, selon lequel l'entreprise d'accueil informe le comité d'entreprise du nombre et des conditions d'accueil des stagiaires : une fois par an (rapport sur la situation économique de l'entreprise), pour les entreprises de moins de 300 salariés ; chaque trimestre, pour les entreprises d'au moins 300 salariés (C. trav., art. L. 2323-38 N° Lexbase : L2826H9K, L. 2323-47 N° Lexbase : L2782IUL et L. 2323-51 N° Lexbase : L6295ISX).
L'employeur doit consulter le CE sur les conditions d'accueil et les conditions de mise en oeuvre de la formation reçue dans les entreprises par les élèves et étudiants pour les périodes obligatoires en entreprise prévues dans les programmes des diplômes de l'enseignement technologique et professionnel.
3 - Durée du stage
La durée maximale des stages reste limitée à six mois par année d'enseignement (C. éduc., art. L. 124-5). Mais le législateur (loi du 10 juillet 2014) a exclu toute dérogation possible à cette durée maximale : aucun stage (ni formation en milieu professionnel) ne peut ainsi dépasser la durée maximale de six mois (C. éduc., art. L. 124-5) (8).
4 - Quota de stagiaires
Autre outil destiné à lutter contre les abus, la définition par voie réglementaire d'une limitation du nombre de stagiaires rapportée à l'effectif global de l'organisme d'accueil. En application de la loi du 10 juillet 2014, le nombre de stagiaires qu'une entreprise peut accueillir est désormais limité (9). Le nombre de stagiaires dont la convention de stage est en cours sur une même semaine civile dans l'organisme d'accueil ne peut dépasser un nombre fixé par décret en Conseil d'Etat.
Par dérogation, l'autorité académique peut fixer (dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat), le nombre de stagiaires qui peuvent être accueillis dans un même organisme d'accueil pendant une même semaine civile au titre de la période de formation en milieu professionnel prévu par le règlement du diplôme qu'ils préparent (C. éduc., art. L. 124-8 N° Lexbase : L7738I3Y).
L'entreprise qui dépasse le nombre maximum de stagiaires s'expose à une amende administrative (prononcée par l'autorité administrative) d'au plus 2 000 euros par stagiaire concerné (4 000 euros, en cas de récidive dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende).
II - Statut des stagiaires
Le législateur a voulu protéger les droits des stagiaires et améliorer leur statut. Si le stage doit demeurer une période d'initiation et d'apprentissage de la vie professionnelle et ne doit pas constituer une possibilité de recruter une main-d'oeuvre bon marché pour se substituer à des emplois réguliers (CDI), temporaires (CDD, intérim) ou saisonniers, bref, si le stage n'est pas un emploi, son régime ne doit pas pour autant permettre à un employeur de se dispenser des règles visant à protéger les salariés. En d'autres termes (et c'est là tout l'ambiguïté et la difficulté de penser le statut du stagiaire), le stagiaire n'occupe pas d'emploi, il n'est pas salarié ; mais il doit pouvoir bénéficier d'un certain nombre de prérogatives, qui sont celles... du salarié. Le stagiaire serait salarié par certaines prérogatives mais pas par statut.
A - Droits des stagiaires
1- Pendant le stage
Le législateur n'a pas introduit de nouveautés, en la matière.
- Droits de la personne
La loi du 22 juillet 2013 (art. 26) avait reconnu aux stagiaires une prérogative jusque là réservée aux seuls salariés : l'employeur ne peut apporter aux droits des stagiaires et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
- Dignité
La loi du 22 juillet 2013 (art. 26) reconnaît aux stagiaires deux prérogatives :
- aucun stagiaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
- aucun stagiaire ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
2 - Après le stage
A l'issue du stage, l'entreprise d'accueil (et plus largement, administration publique, association ou de tout autre organisme d'accueil), peut embaucher le stagiaire (C. trav., art. L. 1221-24 N° Lexbase : L7785I3Q ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 25). En cas d'embauche dans les trois mois suivant l'issue du stage de dernière année d'études, la durée du stage est déduite de la durée de la période d'essai, sans pouvoir réduire celle-ci de plus de la moitié, sauf accord collectif plus favorable. En outre, la durée du stage est déduite intégralement de celle de la période d'essai si le stagiaire est embauché dans un emploi correspondant aux activités qui lui étaient confiées pendant son stage.
Enfin, lorsque le salarié est embauché par l'entreprise à l'issue d'un stage d'une durée supérieure à deux mois, la durée de ce stage est prise en compte pour l'ouverture et le calcul des droits liés à l'ancienneté. La loi du 10 juillet 2014 maintient donc le régime en vigueur.
3 - Hors entreprise
- Assurance vieillesse
La loi du 20 janvier 2014 (CSS, art. L. 173-7 N° Lexbase : L2676IZ7 et L. 351-17 N° Lexbase : L7780I3K) permet aux étudiants de verser des cotisations d'assurance vieillesse au titre de leurs stages en entreprise. Est ainsi prévue la possibilité pour les étudiants de demander la prise en compte, par le régime général et dans la limite de deux trimestres, des périodes de stages.
B - Statut du stagiaire
1 - Durée maximale d'un stage
Un même stagiaire ne peut effectuer dans la même entreprise un ou plusieurs stages dont la durée excède six mois par année d'enseignement. La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 (art. 26) avait étendu le nouveau régime du stage au secteur dit "non marchand" (administration publique, association ou de tout autre organisme d'accueil). Deux dérogations étaient toutefois admises : si le stagiaire interrompt momentanément sa formation pour exercer des activités visant exclusivement l'acquisition de compétences en lien avec cette formation ; si le stage est prévu dans le cadre d'un cursus pluriannuel de l'enseignement supérieur. La loi n° 2013-660 avait modifié le régime de ces dérogations, en prévoyant qu'un décret fixe les formations pour lesquelles il peut être dérogé à cette durée de stage compte tenu des spécificités des professions nécessitant une durée de pratique supérieure, auxquelles préparent ces formations. La loi du 10 juillet 2014 maintient le régime en vigueur.
2 - Gratification et rémunération
Selon le ministère de l'Enseignement supérieur, 28 % des étudiants ont effectué un stage en 2008-2009. Selon des travaux parlementaires, seulement 42 % des stages effectués sur cette période ont été rémunérés ; plus de deux tiers des stages ont eu une durée inférieure à un trimestre (10). Mais pour d'autres travaux (11), 60 % des stages ont été gratifiés pour un montant compris entre le seuil réglementaire et 600 euros. Le montant est supérieur à 600 euros pour 20 % des stages. Enfin, pour les derniers 20 %, le montant est inférieur au taux réglementaire : il s'agit de stages pour lesquels la gratification n'était pas obligatoire avant la loi du 22 juillet 2013.
Le régime de la gratification est connu : la somme est due aussi bien par une entreprise, en tant que structure d'accueil, que par une administration publique, association ou de tout autre organisme d'accueil (C. trav., art. L. 4154-2 N° Lexbase : L1890IEQ et L. 2323-83 N° Lexbase : L8836IQC ; lettre-circulaire ACOSS n° 2008-091 du 29 décembre 2008 N° Lexbase : L2042IGQ ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 27).
Désormais, la gratification est due au stagiaire à compter du premier jour du premier mois de la période de stage ou de formation en milieu professionnel (C. éduc., art. L. 124-6 N° Lexbase : L7753I3K). Le montant de la gratification peut varier selon les secteurs d'activité dans la mesure où une convention de branche ou accord professionnel étendu en fixerait le régime. A défaut de dispositions conventionnelles, le montant horaire de la gratification due au stagiaire doit être au moins égal à 12,5 % du plafond de la Sécurité sociale (soit, en 2014, 436,05 euros par mois pour un stage à temps plein de 151,67 heures).
Pour les conventions de stage signées à compter du 1er septembre 2015, le montant fixé par décret devra être égal au moins à 15 % du plafond horaire de la Sécurité sociale (soit 523,67 euros pour 151,67 heures), contre 12,5 % du plafond horaire de la Sécurité sociale (soit 436,05 euros pour 151,67 heures) actuellement (C. éduc., art. L. 124-6).
3 - Stagiaire en entreprise
L'entreprise d'accueil (plus largement, administration publique, association ou de tout autre organisme d'accueil) doit appliquer au stagiaire les règles relatives :
- à la durée maximale de travail et minimale de repos. L'article L. 124-14 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L7744I39) clarifie la réglementation de la durée de travail du stagiaire, qui jusqu'à présent relevait uniquement de la convention de stage ;
- en matière d'hygiène et de sécurité (C. trav., art. L. 2323-83 N° Lexbase : L8836IQC et L. 4154-2 N° Lexbase : L1890IEQ ; C. éduc., art. L. 612-9 et L. 612-12 ; loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, art. 25 et 26). Le stagiaire affecté à des postes présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité bénéficie d'une formation renforcée à la sécurité et d'un accueil et d'une formation adaptés dans l'entreprise ;
- au règlement intérieur, la convention de stage doit préciser les clauses de ce règlement qui sont applicables au stagiaire ;
- le stagiaire accède aux activités sociales et culturelles du comité d'entreprise dans les mêmes conditions que les salariés. A ce titre, le comité d'entreprise assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise au bénéfice non seulement des salariés et de leurs familles, mais également des stagiaires.
Désormais, en application de la loi du 10 juillet 2014, le stagiaire bénéficie de nouvelles prérogatives, alignées sur celles du salarié :
- en matière de durées maximales (quotidienne et hebdomadaire), présence de nuit ainsi que de repos (quotidien, hebdomadaire) et de jours fériés sont étendues aux stagiaires, l'organisme d'accueil devant établir un décompte des durées de présence de ces derniers (C. éduc., art. L. 124-14). A défaut, l'entreprise s'expose à la même amende administrative qu'en cas de non-respect du quota de stagiaires (C. éduc., art. L. 124-17 N° Lexbase : L7747I3C) ;
- le stagiaire bénéficie, en application de la loi du 10 juillet 2014 (12), des congés et autorisations d'absence liés à la maternité (C. trav., art. L. 1225-16 à L. 1225-28 N° Lexbase : L0882H9K), aux congés de paternité et d'accueil de l'enfant (C. trav., art. L. 1225-35 N° Lexbase : L7121IUB) et aux congés d'adoption (C. trav., art. L. 1225-37 N° Lexbase : L0924H94 et L. 1225-46 N° Lexbase : L0944H9T) pour une durée équivalente à celles des salariés (C. éduc., art. L. 124-13 N° Lexbase : L7743I38). Ces congés sont définis par le Code du travail, aux articles L. 1225-16 à L. 1225-28 (autorisations d'absence et congé de maternité), L. 1225-35 (congé de paternité et d'accueil de l'enfant), L. 1225-37 (congé d'adoption de 18 à 22 semaines) et L. 1225-46 (droit à congé de six semaines maximum en cas d'adoption internationale).
L'objectif poursuivi est d'étendre les droits sociaux du stagiaire en les rapprochant des principes fondamentaux du droit du travail en matière de parentalité (même si, dans les faits, la parentalité n'est pas une situation que l'on rencontre majoritairement chez les étudiants en stage).
- On relèvera, enfin, la mise en place d'une procédure particulière, lorsque un élève / un étudiant, à la suite d'un accident ou d'une maladie survenu par le fait ou à l'occasion d'une période de formation en milieu professionnel ou d'un stage, engage une action en responsabilité fondée sur la faute inexcusable de l'employeur contre l'établissement d'enseignement. En effet, le stagiaire n'est pas lié à l'employeur par un contrat de travail mais par une convention de stage : pourra alors être recherchée la faute inexcusable de l'établissement d'enseignement, responsable du stagiaire et considéré comme son employeur. Or, jusqu'à présent, l'établissement ne disposait pas d'action récursoire contre l'auteur de la faute inexcusable, c'est-à-dire l'employeur (organisme d'accueil), car elle n'est pas prévue par la loi (13).
La loi du 10 juillet 2014 (14) comble cette lacune, en prévoyant que l'établissement d'enseignement puisse appeler en la cause l'employeur (organisme d'accueil de la période de formation en milieu professionnel ou du stage) pour qu'il soit statué dans la même instance sur la demande du stagiaire et sur la garantie des conséquences financières d'une reconnaissance éventuelle de faute inexcusable.
(1) LSQ, n° 130 du 18 juillet 2014 ; LSQ, n° 16630 du 15 juillet 2014 ; SSL, n° 1638 du 7 juillet 2014 ; travaux parlementaires : Commission des affaires européennes (Assemblée nationale), P. Cordery (présentation), rapport d'information, n° 1784, 11 février 2014 ; C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, 12 février 2014 ; J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 458 (2013-2014), 16 avril 2014 ; J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 572 (2013-2014) ; C. Khirouni, rapport Assemblée nationale n° 1996.
(2) Promouvoir la pleine participation des jeunes à l'éducation, à l'emploi et à la société, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, COM (2007) 498 final du 5 septembre 2007.
(3) Liaisons sociales n° 16549 du 13 mars 2014 ; Une norme molle fixe un cadre mou pour les jeunes stagiaires, Liaisons Sociales Europe n° 349 du 20 mars 2014 ; voir pour une analyse en droit comparé, A.-C. Monkam et E. Némorin, Le stagiaire en Angleterre et en France : quelle régulation ?, SSL, n° 1621 du 10 mars 2014.
(4) C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, 12 février 2014, préc., p. 14 ; J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 458 (2013-2014), préc., p. 19, citant les secteurs de l'édition, la communication, la publicité, la culture ou encore l'humanitaire, structures / services fonctionnant principalement grâce à des stagiaires qui, souvent, ne bénéficient que du niveau minimal de gratification et qui occupent des postes permanents.
(5) C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, 12 février 2014, préc., p. 23.
(6) Commission des affaires européennes (Assemblée nationale)/ P. Cordery, rapport d'information, Assemblée nationale n° 1784, 11 février 2014, préc., p. 8.
(7) J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 458 (2013-2014), préc., p. 28.
(8) J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 458 (2013-2014), préc., p. 29.
(9) C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, 12 février 2014, préc., p. 46-47. La rapporteure a suggéré qu'un ratio soit déterminé en fonction de l'effectif global de l'organisme d'accueil. Ce ratio serait idéalement plus faible pour les organismes aux effectifs importants ; plus ouvert pour les plus petits d'entre eux. L'objectif serait de faire preuve de fermeté en luttant contre les abus manifestes tout en tenant compte de la grande diversité des situations pouvant se présenter et notamment pour des entreprises de moins de 20 salariés. Voir aussi préc., p. 30.
(10) Commission des affaires européennes (Assemblée nationale) ; P. Cordery, Rapport d'information, Assemblée nationale n° 1784, 11 février 2014, préc., p. 9.
(11) C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, préc., p. 10.
(12) C. Khirouni, rapport n° 1792, Assemblée nationale, préc., p. 46-48.
(13) Cass. civ. 2ème, 14 septembre 2011, n° 11-13.069 QPC (N° Lexbase : A7548HXT).
(14) J.-P. Godefroy, rapport Sénat n° 458 (2013-2014), préc., p. 47.
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Réf. : Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 12-28.615, F-P+B (N° Lexbase : A2611MTU)
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par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse I Capitole (EA 1919 IEJUCE)
Le 24 Juillet 2014
La cour d'appel de Nîmes, par un arrêt en date du 13 septembre 2012 (5), retint la responsabilité du notaire et le condamna à indemniser les époux -acquéreurs- de l'ensemble des préjudices liés à la résolution de la vente. Par ailleurs, les magistrats du fond condamnèrent également le notaire, in solidum avec la société, à payer aux acquéreurs la somme due au titre de la clause pénale contenue dans l'acte de vente ainsi que celle réparant le préjudice locatif. Enfin, la cour d'appel de Nîmes condamna le notaire, in solidum avec la société, à payer les intérêts et les frais de garantie afférents au prêt qui avaient été préalablement remboursés aux époux par la banque. Le notaire décida alors de former un pourvoi en cassation. Pour répondre à la condamnation d'indemnisation de l'ensemble des préjudices liés à la résolution de la vente, le notaire invoqua, en premier lieu, le moyen selon lequel l'acte d'octobre 2007 prévoyait bien une desserte, de sorte que les juges du fond auraient dénaturé l'acte de vente. En second lieu, l'officier ministériel considère que la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité, puisqu'elle aurait dû rechercher si, en l'absence du manquement au devoir de conseil allégué, le défaut d'information sur le recours dirigé contre le permis de construire, les acquéreurs auraient renoncé à la vente. Quant à la condamnation en paiement de la clause pénale et du préjudice locatif, le notaire argue du fait que, bien que s'il devait être admis que sans la faute imputée au notaire, les époux n'auraient pas réalisé cette opération de telle façon qu'ils n'auraient pas bénéficié, ni de la clause, ni des loyers.
Si la Cour de cassation balaye d'un revers de main l'argument visant la dénaturation de l'acte en raison du fait que celle-ci n'a pas été invoquée en appel, elle prend soin de rappeler que le notaire est tenu d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité ainsi que de l'efficacité des actes qu'il instrumente. Dès lors, d'une part, en omettant d'informer les époux -acquéreurs- de l'existence d'un recours contre le permis de construire -ayant donné lieu à la suspension des travaux par une ordonnance de référé de mars 2007-, et d'autre part, en n'indiquant pas dans l'acte d'octobre 2007 que la société ne disposait que de droits indivis sur la parcelle destinée à assurer la desserte de l'immeuble, les magistrats du Quai de l'Horloge estimèrent que le notaire avait bien commis des fautes exposant les époux au risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. Par conséquent, le lien de causalité entre ces manquements et les préjudices invoqués était bel et bien caractérisé, de sorte que les préjudices liés à la résolution de la vente devaient être réparés. Par ailleurs, la Cour de cassation estima que les manquements précités à l'encontre du notaire avaient bien directement contribué à l'absence d'efficacité de l'acte d'octobre 2007 et à la résolution de la vente, de telle manière que le paiement de la clause pénale et du préjudice locatif était acquis. En revanche, au bénéfice d'un moyen soulevé d'office, les magistrats du Quai de l'Horloge cassèrent partiellement l'arrêt d'appel en indiquant que les restitutions dues à la suite de l'anéantissement d'un contrat de prêt ne constituaient pas, en elles-mêmes, un préjudice réparable.
Cette cassation partielle est finalement l'occasion de préciser encore une fois le régime de la responsabilité civile professionnelle du notaire (6). Si ce dernier n'est pas n'importe quel responsable en ce qu'il est un officier public disposant du monopole de l'authentification et partant de la sécurité juridique des actes, il n'en demeure pas moins soumis au droit commun de la responsabilité délictuelle pour faute (7). Or, l'arrêt commenté invite à discuter la motivation de la Cour de cassation sous l'angle classique des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité issue de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). En effet, le triptyque impose tout d'abord une faute du notaire. En l'espèce, la qualification des fautes ne suscite guère de difficulté. Pourtant, l'étude de ces dernières permet de mieux comprendre encore le lien, bien souvent insécable, entre le devoir de conseil et l'authentification (I). Ensuite, il faut naturellement retenir l'existence d'un préjudice réparable qui, pour l'être, doit, selon une formule classique, être certain, direct et actuel. A cet égard, l'arrêt est précieux en ce qu'il permet de déterminer, eu égard aux caractères que doit revêtir le préjudice, ceux qui constituent ou non des préjudices réparables (II). Reste qu'enfin, on aurait pu choisir d'évoquer à part le lien de causalité devant être caractérisé entre les faits générateurs -les fautes du notaire- et les préjudices invoqués. Pourtant, nous ne procéderons pas ainsi dans la mesure où la causalité sera analysée au sein du préjudice ; le caractère direct du préjudice renvoyant, en réalité, au lien de causalité.
I - Les fautes du notaire révélatrices des obligations mises à sa charge
Il est acquis que c'est à partir du devoir de conseil que la jurisprudence met à la charge du notaire des obligations qui n'ont parfois qu'un lien ténu avec lui à l'image de l'efficacité technique ou pratique de l'acte instrumenté. Or, en l'espèce, c'est bien à l'occasion de manquements -qui fondent l'essentiel de l'établissement de la responsabilité du notaire- qu'il est question de l'efficacité de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement reçu en octobre 2007. En effet, le fait de ne pas avoir informé les acquéreurs, alors qu'il en avait connaissance (8), de l'existence d'un recours contre le permis de construire et le fait de ne pas avoir indiqué dans l'acte que la société venderesse, alors qu'il le savait également (9), ne détenait que des droits indivis sur la parcelle destinée à la desserte de l'immeuble dans lequel serait situé l'appartement remettent en cause l'efficacité de la vente. Pour autant, il ne faut pas se méprendre, car il est régulièrement rappelé que "la circonstance qu'un notaire ait manqué à son devoir d'assurer l'efficacité de l'acte instrumenté n'implique pas nécessairement qu'il en résulte un préjudice" (10). Autrement dit, il ne suffira pas de rapporter la preuve d'une faute du notaire, consistant le plus souvent en la violation d'une obligation préexistante, pour que sa responsabilité soit retenue ; il faudra rapporter la preuve que sa faute est la cause exclusive ou partielle ayant contribué à la réalisation d'un préjudice. Dès lors, en quoi l'existence d'un recours contre le permis de construire et l'omission dans l'acte des droits indivis de la société venderesse sont-elles constitutives de manquements à l'obligation d'assurer l'efficacité de l'acte instrumenté ?
Répondre à cette question suppose au préalable de préciser ce que l'on entend par efficacité de l'acte instrumenté. A cet égard, la doctrine considère généralement que l'efficacité doit s'entendre doublement. D'une part, il peut s'agir de l'efficacité technique consistant pour le notaire à ne pas commettre des erreurs de fait ou de droit. D'autre part, il peut s'agir de l'efficacité pratique obligeant le notaire à procéder à des recherches préalables à l'authentification. En l'espèce, c'est davantage l'efficacité technique qui est en cause, et plus précisément celle visant des erreurs de droit. En effet, en n'informant pas les acquéreurs de l'existence d'un recours contre le permis de construire, le notaire, qui le savait, ne pouvait ignorer que l'efficacité de l'acte était menacée -et déjà entamée en raison de la suspension des travaux prononcée par ordonnance de référé- puisqu'en cas d'annulation du permis de construire, la société venderesse n'aurait pas pu construire et, partant, les acquéreurs n'auraient jamais pu prendre possession de l'appartement. Cela étant, eu égard au permis de construire, ce n'était pas seulement l'efficacité de l'acte qui était en cause mais aussi, tout simplement, sa validité. Assurément, le notaire aurait dû prendre soin de vérifier que le permis de construire était purgé de tous recours. Dès lors, en n'y procédant pas et pire, en sachant qu'un recours avait été introduit, le notaire aurait même dû mettre en garde les acquéreurs du risque de l'achèvement de la construction hors-délai, voire même de sa remise en cause définitive. Quant aux droits indivis, là encore l'efficacité de l'acte était atteinte, dans la mesure où la société, en ne disposant que de droits indivis, n'était pas en mesure de transférer la pleine propriété de la parcelle servant de desserte à l'immeuble dans lequel devait se trouver l'appartement, objet de la vente. En outre, la parcelle litigieuse, faisant elle aussi l'objet d'une action en justice introduite par un coïndivisaire dénonçant les conditions de son usage, l'achèvement de la construction dans le délai prévu était compromis, de sorte que l'acte instrumenté perdait nécessairement son efficacité. Plus encore, c'est la consistance de l'objet de la vente qui était en cause, puisque les acquéreurs pensaient acquérir un appartement dont la desserte n'était pas grevée par des droits indivis.
En définitive, les manquements du notaire sont très clairement avérés et d'ailleurs ces points ne sont pas discutés. En réalité, ces deux manquements, comme le précise la Cour de cassation, ont conduit au non-respect des délais de livraison et partant ont exposé les acquéreurs au risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. A cet égard, un argument du notaire interpelle le signataire. En effet, le notaire reprochait d'avoir admis la possibilité, pour les acquéreurs, de demander la résolution de la vente alors que la mise en oeuvre de la garantie d'achèvement aurait pu permettre, selon lui, l'achèvement des travaux. Or, cet argument n'emporte évidemment pas l'adhésion pour la simple et bonne raison que ladite garantie était inopérante eu égard aux obstacles juridiques. Dès lors que la construction était remise en cause en raison de l'illégalité du permis de construire, la garantie d'achèvement ne se posait plus. En d'autres termes, on ne peut achever ce qui ne peut pas ou plus être construit !
II - L'appréciation des préjudices réparables
Les moyens annexés à l'arrêt commenté permettent de dresser les différents préjudices dont les acquéreurs et la banque prêteuse ont sollicité la réparation. Ainsi, on peut recenser les préjudices suivants : le prix d'acquisition de l'appartement déjà versé, le quantum de la clause pénale prévue dans l'acte de 2007, les frais notariés, les frais d'assurance afférents au bien immobilier, le préjudice locatif, le préjudice moral, les intérêts et frais de garantie relatifs au prêt. En réalité, il est possible de distinguer entre ceux qui ont fait ou non l'objet d'une réparation.
La Cour de cassation, à l'occasion d'un moyen soulevé d'office, refuse que le notaire et la SCP notariale indemnisent les intérêts et les frais de garantie afférents au prêt que la banque, en appel, a été condamnée à rembourser aux acquéreurs. En effet, elle considère que les restitutions consécutives à l'anéantissement du prêt ne constituent pas des préjudices réparables. La motivation des magistrats du Quai de l'Horloge doit être saluée pour deux raisons. D'une part, il est parfaitement logique que la résolution de la vente emporte l'annulation corrélative du prêt qui en assurait son financement, de telle façon que le remboursement par la banque des intérêts et des frais de garantie aux acquéreurs ne constitue qu'une application classique de l'effet rétroactif attaché à l'annulation d'un acte juridique. D'autre part, il est tout autant logique que le notaire et la SCP notariale n'aient pas à rembourser à la banque lesdits préjudices, dans la mesure où il n'y a pas de lien de causalité entre les manquements du notaire et les préjudices allégués par la banque. En effet, les manquements relevés à l'encontre du notaire ont eu seulement pour effet de conduire à la résolution de la vente. Par ailleurs, et en s'inscrivant dans le même raisonnement, il doit être précisé que le remboursement du prix d'acquisition de l'appartement déjà versé ne constitue pas en soi un préjudice réparable. En réalité, ce dernier n'est que la contrepartie du bien acquis. Dès lors, si la résolution de la vente est prononcée, il y a tout simplement lieu à restitution, mais il s'agit alors d'une obligation de restitution et non de réparation (11).
En revanche, les frais notariés, les frais d'assurance relatifs au bien immobilier ainsi que le préjudice moral constituent de véritables préjudices réparables. En effet, les acquéreurs ont notamment du engager des frais -frais notariés et frais d'assurance du bien immobilier- pour réaliser l'opération, c'est-à-dire acquérir en VEFA un appartement. Or, c'est bien parce que le notaire a manqué à deux obligations fondamentales -les informer de l'existence d'un recours contre le permis de construire et d'indiquer dans l'acte l'existence de droits seulement indivis sur la desserte- que le délai de livraison n'a pas été respecté et, partant, que le notaire a fait courir aux acquéreurs le risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. Par cette formulation, il n'est guère discutable que les préjudices invoqués sont directs en ce sens qu'ils sont bien la conséquence des deux manquements du notaire. En outre, ils sont certains et actuels dans la mesure où le risque d'annulation s'est réalisé et a ainsi caractérisé l'existence de dépenses inutiles à l'image des frais notariés (12) et des frais d'assurance du bien, objet de la vente annulée.
Reste enfin à examiner la condamnation du notaire au paiement de la clause pénale et au préjudice locatif. Quant à ce dernier, il convient d'observer là encore que tout est question d'espèce en ce sens qu'il n'y a de préjudice locatif que parce que les acquéreurs voulaient acheter l'appartement pour le louer, ce que s'est efforcée la cour d'appel à qualifier. En soi, le préjudice locatif n'appelle pas d'observation si ce n'est de préciser qu'il répond aux différents caractères que doit revêtir tout préjudice réparable. Le préjudice locatif est direct car il est bien la conséquence de l'annulation de la vente à la suite, notamment, des manquements du notaire ; il est certain et actuel dans la mesure où les acquéreurs n'auront pas pu louer le bien faute d'en devenir un jour propriétaires. En revanche, le paiement de la clause pénale par le notaire interpelle parce qu'elle n'a de sens que pour sanctionner un manquement de l'une des parties au contrat. Or, le notaire n'est absolument pas partie au contrat. Toutefois, la solution s'explique au regard du fait que la Cour de cassation retient la responsabilité in solidum, non seulement du notaire et de la SCP notariale, mais aussi celle de la société venderesse. La solution s'éclaire aisément par les propos des magistrats du Quai de l'Horloge : "les manquements du notaire avaient directement contribué à l'absence d'efficacité de son acte et au prononcé de la résolution de la vente". Plus encore, il ne faudrait pas perdre de vue que le notaire en cause n'est pas n'importe quel notaire, puisqu'il est le notaire qui avait en charge l'ensemble du programme immobilier. Par conséquent, il se devait d'assurer la sécurité juridique de l'opération dans son ensemble et, a fortiori, celle de l'acte de vente finalement annulé...
Décision
Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 12-28.615, F-P+B (N° Lexbase : A2611MTU). Cassation partielle (CA Nîmes, 13 septembre 2012, n° 11/02112 N° Lexbase : A9667IST). |
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Réf. : CAA Nantes, 5ème ch., 21 juillet 2014, n° 12NT02416 (N° Lexbase : A5918MUQ)
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Réf. : CJUE, 10 juillet 2014, aff. C-358/13 (N° Lexbase : A1875MUY)
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