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N2855BUB
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 26 Juin 2014
"Le boeuf mironton et le droit d'asile sont deux névroses typiquement françaises" cinglait Michel Audiard.
Bien entendu, le concept de l'asile n'est point gaulois. Pourtant, si l'on oublie l'asile hellénique conférant une protection sacrée des temples et des prêtres en cas de conquête ; si on met de côté l'asile romain regroupant et épargnant les criminels de tout poil sur le Capitole pour accélérer la colonisation ou le développement urbain ; et si on néglige l'asile chrétien accordant protection à quiconque franchit le seuil d'une église et se repent ; finalement... le droit d'asile, au sens politique du terme, est bien d'essence française. Il est difficile d'être plus clair que cet article 120 de la Constitution de 1793 : "Le peuple français donne l'asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans".
Depuis, l'idée à fait son chemin, surtout au XXème siècle, avec la nécessité de gérer les réfugiés russes, victimes de la Révolution d'Octobre, d'abord, puis celle d'accueillir les réfugiés juifs d'Allemagne, victimes des persécutions nazis dans les années 1930. Les premiers ont eu le privilège d'un "passeport Nansen" qui permettait aux réfugiés de retrouver une identité déchue par le régime bolchevique ; les seconds rencontreront assez rapidement les "mandarins" français chargés de limiter leur installation et de les refouler dans l'Allemagne hitlérienne par voie de circulaire dès le 4 décembre 1934.
On comprend, dès lors, qu'il y avait nécessité d'inscrire le droit d'asile sur le fronton des droits universels de la Déclaration éponyme de 1948 (art. 14) : "Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays" ; et de définir précisément le statut de réfugié, dans la Convention de Genève de 1951 : "le terme réfugié' s'appliquera à toute personne : [...] 2) Qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner".
Voilà pour les grands principes ("nécessaires à notre temps" comme l'édictait le Préambule de la Constitution de 1946).
60 ans plus tard, le droit d'asile est un casse tête et le droit de l'asile, c'est-à-dire l'encadrement législatif et réglementaire pour déterminer la qualité de réfugié, une "maison qui rend fou", tant les procédures sont complexes, les délais forts longs, l'appréciation quasi-souveraine, et les circulaires parfois contradictoires oscillant entre refoulement et régularisation. Obtenir le précieux sésame est presque aussi éprouvant que d'obtenir "le laissez-passer A-38" pour les intrépides gaulois dessinés !
La France est certes généreuse, mais pour limiter les abus et concentrer sa "générosité" sur la protection des "vrais" réfugiés politiques, et non économiques, elle n'a eu de cesse que de flirter avec, au mieux, l'inconventionnel, entendez par là le non-respect des prescriptions des Traités et normes notamment européennes, au pire, l'illégal, par le truchement de circulaires moins interprétatives que comminatoires... Et l'on ne s'étonnera pas que, comme dans l'oeuvre d'Uderzo et de Goscinny, il faille finalement contourner l'obstacle et demander un formulaire imaginaire (A-39) selon une circulaire (B-65) qui l'est tout autant, pour ébranler la technocratie française et obtenir gain de cause. En droit, c'est la Cour européenne qui a imposé le droit à un recours suspensif effectif à l'Etat Français, en 2007, quand le Conseil d'Etat, lui-même, ouvre, en 2013, un second guichet de demande d'asile lorsque le premier Etat sollicité n'accorde pas une protection suffisante aux réfugiés...
Mais, la nouvelle réforme du droit d'asile est, encore, l'expression de l'ambivalence française : souhaitant mieux accueillir les demandeurs d'asile en établissant un "schéma national" pour mieux gérer l'hébergement, déterminant avec plus de rigueur la liste des pays sûrs et réduisant les délais d'instruction -ce qui profitera assurément aux demandeurs admis au statut de réfugié-... la loi nouvelle entendrait garantir le refoulement des 80 % déboutés, via des "lieux d'aide et de préparation au retour" qui peineront à ne pas ressembler aux centres de rétentions, nouveaux "foyers Sonacotra" -désormais Adoma-.
De l'asile accueillant à l'asile ostracisant, de l'intégration des réfugiés à la mise à l'écart des contrevenants, la frontière reste ténue entre l'asile vertueux et l'asile honteux et il n'est pas certain que ce projet de loi donne un nouveau souffle à un système qui ne satisfait personne.
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newsid:442855
Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2014, n° 13-20.358, F-P+B (N° Lexbase : A2281MRW)
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N2813BUQ
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par Julien Bessermann, Avocat, Cabinet Granrut avocats
Le 26 Juin 2014
Rares sont les hypothèses dans lesquelles l'assureur est en droit de procéder au rachat total d'un contrat d'assurance vie à son profit, c'est pourquoi il importe de revenir brièvement sur les faits de l'espèce.
La souscriptrice d'un contrat d'assurance sur la vie a sollicité, dans le courant de l'année 2007, une avance sur son contrat qui lui a été accordée sous réserve du respect des conditions générales des avances.
Ce document précisait notamment que l'assureur se réservait le droit de procéder au rachat du contrat si le montant des avances en cours dépassait 90 % de la valeur de rachat dudit contrat (1).
Dès lors que le montant des avances en cours représentait 101 % de la valeur de rachat du contrat, l'assureur a adressé à la souscriptrice un courrier recommandé avec demande d'avis de réception l'informant de ce que le montant de son avance excédait le pourcentage de la valeur de rachat du contrat autorisé en application du règlement général des avances.
Par ce courrier, l'assureur a également mis en demeure la souscriptrice de régulariser sa situation dans un délai de quatorze jours en précisant, qu'à défaut, il procéderait "sans aucune formalité, au rachat total de [son] contrat d'assurance".
C'est dans ces conditions que, postérieurement à l'expiration de ce délai de quatorze jours, la souscriptrice a adressé une lettre de renonciation à son assureur en invoquant des manquements de ce dernier à son obligation précontractuelle de remise d'une note d'information.
Il s'avère que l'assureur a refusé de faire droit à cette demande en raison du rachat total du contrat, arguant que celui-ci faisait obstacle à la renonciation formulée par la souscriptrice.
2. Le refus d'assimiler le rachat total à un simple acte d'exécution du contrat
La Cour de cassation a déjà eu l'occasion d'indiquer que le rachat total d'un contrat d'assurance vie y met fin et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée antérieurement (2) ou postérieurement (3).
L'analyse de ces décisions semblait démontrer que la renonciation était impossible, qu'elle soit exercée antérieurement ou postérieurement au rachat total, du fait de la disparition du contrat.
Cependant, la souscriptrice n'a pas désarmé et a soutenu que le rachat total était un simple acte d'exécution du contrat et qu'il ne pouvait donc avoir aucun impact sur la faculté de renonciation qui lui était ouverte.
Elle se fondait ainsi sur la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle la faculté de renonciation est "indépendante de l'exécution du contrat" (4) mais également sur une série de décisions rendues à l'occasion de rachats partiels ou de versements complémentaires effectués postérieurement à l'exercice du droit de renonciation.
La Cour a en effet pu relever que de tels actes ne pouvaient faire obstacle à l'exercice du droit de renonciation qu'à la condition de manifester "une volonté tacite dépourvue de toute équivoque de renoncer aux dispositions de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances" (5).
Il apparaissait de manière sous-jacente que la souscriptrice estimait que dès lors que le rachat avait été effectué par l'assureur, il ne pouvait constituer un acte manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer aux dispositions des articles L. 132-5-1 (N° Lexbase : L9839HE7) et suivants.
Cet argument audacieux n'a pas ému la Cour de cassation qui a confirmé que le rachat total du contrat d'assurance vie faisait obstacle au droit de renonciation, non parce qu'il serait un acte d'exécution du contrat, mais bien parce qu'il y met fin de telle sorte qu'il est impossible de renoncer à un contrat qui n'existe plus.
3. L'indifférence de l'auteur du rachat total
Dès lors que la cour décidait que c'est la disparition du contrat du fait du rachat total qui faisait obstacle à la renonciation, la Cour Suprême ne pouvait que constater que "l'auteur" du rachat total était indifférent.
Dans la droite ligne de la décision précitée dans laquelle la Cour relève que le rachat total fait obstacle à la renonciation même s'il est exercé par la banque en qualité de créancier nanti (6), la Cour relève que "la demande de rachat total d'un contrat d'assurance sur la vie, qu'elle émane de l'assuré, ou de l'assureur l'ayant mis vainement en demeure de régulariser sous délai la situation de ce contrat au regard de ses conditions de fonctionnement, met fin à celui-ci et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée postérieurement à l'expiration de ce délai par l'assuré".
Cet attendu appelle quelques observations.
D'une part, il apparaît que la Cour a pris la précaution de relever qu'avant de procéder au rachat total du contrat, l'assureur a mis la souscriptrice en demeure de régulariser sa situation dans un certain délai et a également informé cette dernière qu'à défaut de régularisation, le contrat serait racheté.
On peut donc estimer qu'afin de protéger le souscripteur, la Cour de cassation veillera à ce que ces conditions soient réunies avant de s'opposer à une demande de renonciation.
D'autre part, la Cour indique expressément qu'est privée d'effet la renonciation exercée postérieurement à l'expiration du délai au terme duquel l'assureur a annoncé au souscripteur, dans son courrier de mise en demeure, que le rachat total serait acquis.
Ainsi, peu importe la date à laquelle le rachat est formellement notifié au souscripteur, seule compte la date à laquelle ledit rachat est effectivement acquis.
En outre, un doute subsiste s'agissant du sort de la renonciation exercée antérieurement au rachat total du contrat même s'il ne semble pas exister de raisons valables de ne pas étendre l'arrêt commenté à cette hypothèse.
En effet, l'exercice du droit de renonciation ne met pas fin au contrat d'assurance vie qui continue à être exécuté normalement, même après l'exercice du droit de renonciation par le souscripteur.
Ainsi, si le souscripteur ne respecte pas les dispositions contractuelles relatives aux l'avances l'assureur serait en droit d'en tirer toutes les conséquences (cette analyse semble d'ailleurs confirmée par l'arrêt du 19 février 2009 (6)6 puisqu'il n'est pas fait reproche à l'assureur d'avoir fait droit à la demande de rachat total formulée par le créancier nanti alors que le souscripteur avait déjà renoncé à son contrat).
4. Sur l'éventuelle mise en cause de la responsabilité civile de l'assureur sur le fondement du droit commun en dépit du rachat total du contrat
Si le rachat total fait obstacle à l'exercice du droit de renonciation par le souscripteur, il ne protège pas l'assureur contre une action mettant en cause sa responsabilité civile.
Ainsi, dans un arrêt en date du 23 mai 2013 (7), la Cour de cassation a relevé que "malgré le rachat total du contrat", les éventuels manquements de l'assureur à son obligation précontractuelle d'information "sont susceptibles d'engager sa responsabilité civile dans les conditions de droit commun".
Dans cette hypothèse, il appartient donc au souscripteur de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité, de sorte que l'issue de son action est nécessairement plus aléatoire que l'exercice du droit de renonciation entraînant la restitution de l'ensemble des primes versées assorties d'intérêts de retard au motif de simples manquements formels.
Pour autant, les sommes obtenues à titre de dommages et intérêts peuvent ne pas être négligeables dès lors que, dans l'arrêt précité, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appel qui avait évalué la perte de chance des souscripteurs à 70 % du montant de la moins-value apparue sur leurs contrats.
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N2728BUL
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
Le 26 Juin 2014
Maître Eric Raffin : Ce contrôle est un contrôle qui ne s'opère guère souvent.... Le dernier qui a eu lieu est assez ancien dans la profession. L'enquête porte sur ce que l'on appelle l'aspect précontractuel dans le cadre de la relation de prestataires à clients [consommateurs]. Il s'agit de vérifier si les avocats informent bien leurs clients des modalités et des montants des honoraires qu'ils vont solliciter d'eux ensuite, avant que le client s'engage chez un avocat. Voilà l'objet du contrôle. Cela vise notamment le fait de mettre les informations affichées dans la salle d'attente le cas échéant, à tout le moins la manière dont avant d'engager une consultation ou un procès le client aura été informé par son avocat de ces modalités et de ces montants : par un courrier, par une estimation, ou par un devis gratuit, selon les termes de la DGCCRF.
Lexbase : Face à cette information quelle a été la réaction de la Profession ?
Maître Eric Raffin : Le CNB et la Conférence des Bâtonniers ont édité un mémento pour expliquer que ce contrôle était légal et que, bien évidemment, il devait s'opérer dans le plus strict respect du secret professionnel. Puisque c'est cela qui est pour nous très important : nous ne pouvons pas donner à l'autorité administrative des indications ou des renseignements qui violeraient le secret professionnel.
Lexbase : Avez-vous été confronté d'ores et déjà à ces contrôles dans le Grand Est ?
Maître Eric Raffin : Cela a démarré en effet. Je crois que le premier barreau concerné est celui de Belfort. On nous avait dit que cela démarrerait à partir du 1er juin et dès notre réunion de la Conférence du 23 mai 2014, Madame le Bâtonnier de Belfort nous a indiqué que les contrôles avaient commencé. Je pense que cela va continuer au fur et à mesure dans tous les départements concernés, à savoir une quarantaine.
Lexbase : Selon vous, quelle est la finalité de cette enquête ?
Maître Eric Raffin : C'est ce qui peut apparaître le plus difficile à cerner. Le premier objectif affiché est de répondre à cette question : est-ce que le client qui va chez un avocat est normalement informé avant de s'engager ? Cela répond aux voeux de la loi : il est parfaitement normal qu'un client puisse savoir quels sont les honoraires qu'il devra verser à son avocat. Etant entendu au besoin que le client s'entende dire que l'avocat est incapable de savoir de ce que cela va coûter. A titre personnel, il m'arrive, en effet, de ne pas pouvoir chiffrer un dossier ; mais dans ces cas là je donne des "fourchettes" au client prenant en compte les différentes options que le dossier présente.
Voilà ce qu'il en est pour ce premier objectif. Ensuite nous ne savons pas si derrière cette enquête se cachent d'autres préoccupations. Il y a notamment une question qui est récurrente dans la Profession qui est celle d'un tarif de base, un tarif minimum obligatoire. L'Etat français nous sanctionne si nous mettons en place des tarifs indicatifs dans les barreaux mais à l'inverse pour les divorces, il voudrait rétablir un barème. C'est un peu curieux...
Enfin derrière cela il y a une autre question qui est plus politique. Les avocats sont en pleine offensive, en pleine discussion, sur le sujet de l'aide juridictionnel puisque cela fait quatorze ans notre profession attend que l'Etat tienne les promesses qu'il a données en 2000. Est-ce parce que nous mettons la pression de côté-là, que l'Etat met la pression en exerçant ce contrôle ? Là peut se poser la question...
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Réf. : Cass. civ. 3, 18 juin 2014, n° 13-14.715, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3532MRA)
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N2898BUU
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Le 27 Juin 2014
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Réf. : Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D)
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N2904BU4
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 04 Juillet 2014
A - Baux dérogatoires
1° - Allongement de la durée du ou des baux dérogatoires
L'ancien article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK) disposait que "les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans".
Le nouveau texte allonge le délai du ou des baux dérogatoires successifs à trois ans (C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5031I3Q).
L'allongement de cette durée a été justifiée par le fait que la durée initiale de deux années n'était "pas nécessairement suffisante pour tester la rentabilité d'une activité commerciale ou artisanale, tout particulièrement dans cette période d'incertitude pour le commerce" (projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, étude d'impact, 20 août 2013)
2° - Allongement du délai pendant lequel le maintien dans les lieux du preneur peut entraîner la création d'un bail dérogatoire
Dans son ancienne rédaction, l'article L. 145-5 du Code de commerce prévoyait que si à l'expiration de la durée pendant laquelle un ou des baux dérogatoires peuvent être conclus, "le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre".
Ce texte comporte deux conditions :
- le preneur doit être resté en possession des lieux ;
- et le preneur doit être laissé (par le bailleur) en possession des lieux.
A défaut de sommation notifiée au preneur avant le terme du bail dérogatoire, il s'opérait immédiatement un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux (en ce sens, Cass. civ. 3, 2 juin 2004, n° 03-13.377, F-D N° Lexbase : A7723MRH).
Le nouveau texte modifie la solution. Le nouvel article L. 145-5 du Code de commerce dispose que "si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance [nous soulignons] le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre".
En conséquence, et désormais, un bail soumis au statut ne s'opérera que si :
- le preneur reste en possession des lieux pendant au moins un mois après la date d'échéance du bail dérogatoire. Le bailleur (qui peut également invoquer la création d'un bail soumis au statut à l'issue d'un bail dérogatoire : Cass. civ. 3, 27 avril 1988, n° 87-11.667 N° Lexbase : A8437AAQ) ne pourra donc invoquer la création d'un bail commercial si le preneur restitue les locaux avant l'expiration de ce délai ;
- le bailleur n'a pas notifié au preneur sa volonté de ne pas le laisser dans les lieux avant l'expiration du délai de un mois courant à compter de l'échéance du bail dérogatoire. Il ne s'opérera donc pas un nouveau bail, à défaut pour le bailleur d'avoir manifesté son intention de ne pas laisser le preneur en possession des lieux avant la date d'échéance, mais seulement le jour suivant l'expiration d'un délai d'un mois courant à compter de cette échéance.
En revanche, la date d'effet du nouveau bail semble devoir rester le jour qui suit celui de l'échéance du bail dérogatoire et non le jour suivant l'expiration du délai de un mois.
3° - Impossibilité pour les parties de conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux
Le premier alinéa du nouvel article L. 145-5 du Code de commerce comporte une nouvelle disposition selon laquelle "à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux".
La question se pose de savoir si cette précision ne condamne pas la possibilité de conclure un nouveau bail dérogatoire à l'expiration du délai prévu par l'article L. 145-5 du Code de commerce, une fois que le droit des parties de se prévaloir d'un bail commercial est né, la jurisprudence ayant reconnu la dans ce cas possibilité de renoncer à ce droit (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 5 avril 2011, n° 10-16.456, F-D N° Lexbase : A3435HNK).
Cette précision permettrait par ailleurs de "clarifier utilement le fait qu'on ne peut pas conclure un nouveau bail dérogatoire lorsqu'on a épuisé la durée légalement prévue pour un bail dérogatoire ou plusieurs baux dérogatoires successifs" (Sénat, avis présenté au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, par Mme Nicole Bonnefoy, 9 avril 2014, page 16).
Le texte prévoyait et prévoit toujours une disposition analogue : "il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre [...] à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local".
Les nouvelles dispositions sont plus souples quant à l'impossibilité de conclure un nouveau bail dérogatoire puisqu'elles ajoutent une condition liée à l'identité du fonds.
Cette nouvelle précision serait de nature à remettre en cause la jurisprudence sur ce point. Il avait été jugé en effet que "les dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce n'imposaient pas l'exercice de la même activité dans les locaux concernés", le statut des baux commerciaux s'appliquant au bail conclu entre les mêmes parties et pour les mêmes locaux même si l'activité était différente (Cass. civ. 3, 31 mai 2012, n° 11-15.580, FS-P+B N° Lexbase : A5198IMH : en l'espèce, le nouveau bail avait été conclu avant l'expiration du bail dérogatoire précédant à l'issue duquel le preneur était resté et avait été laissé en possession des lieux).
Il existe cependant une contradiction entre les deux règles coexistant dans le nouveau texte :
- la nouvelle règle interdisant de conclure un nouveau bail à l'expiration de la durée pendant laquelle un ou des baux dérogatoires peuvent être conclus "pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux" ;
- la règle, déjà posée par l'article L. 145-5 du Code de commerce et qui a été maintenue, prévoyant qu'il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du statut des baux commerciaux à l'expiration de cette durée, en cas de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local, ces dispositions n'excluant pas les baux conclus entre les mêmes parties sur les mêmes locaux mais pour une activité différente.
4° - Etat des lieux
La loi du 18 juin 2014 introduit deux nouveaux alinéas à l'article L. 145-5 du Code de commerce qui prévoient qu'en cas de conclusion d'un bail dérogatoire :
"Un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location.
Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire".
Il n'est prévu aucune conséquence à l'absence d'état des lieux, contrairement à ce qui est prévu pour les baux soumis au statut des baux commerciaux par le nouvel article L. 145-40-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4974I3M). Ce dernier comporte en effet des dispositions identiques pour ces baux, tout en précisant que " le bailleur qui n'a pas fait toutes diligences pour la réalisation de l'état des lieux ne peut invoquer la présomption de l'article 1731 du Code civil (N° Lexbase : L1853ABA)". L'article 1731 du Code civil institue une présomption, plutôt favorable au bailleur, en l'absence d'état des lieux, le preneur étant présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives et doit les rendre tels, sauf preuve contraire.
L'article 3, II, de la loi du 18 juin 2014 comporte des dispositions transitoires relatives à l'établissement des lieux : pour les baux conclus avant l'entrée en vigueur de cette loi, ces nouvelles dispositions s'appliquent en ce qui concerne la restitution des locaux dès lors qu'un état des lieux a été établi lors de la prise de possession.
6° - Application des nouvelles dispositions relatives aux baux dérogatoires
Aux termes de l'article 21 de la loi du 18 juin 2014, l'article 3 de cette loi qui modifie l'article L. 145-5 du Code de commerce est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de la loi.
Toutefois, l'article 3, II, de la loi du 18 juin 2014 prévoit des dispositions transitoires dérogatoires en ce qui concerne les nouvelles dispositions relatives à l'état des lieux à établir lors de la restitution des locaux qui s'appliquent aux baux conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014.
B - Les conventions d'occupation précaire
Un nouvel article L. 145-5-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4973I3L) a été créé.
Il dispose que "n'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties".
La convention d'occupation précaire doit être distinguée du bail dérogatoire, bien qu'en pratique, il n'est pas rare que ces deux types de conventions, pourtant différentes, soient confondus.
Le bail dérogatoire est un bail qui n'est pas soumis au statut des baux commerciaux car une disposition de ce dernier (C. com., art. L. 145-5) offre cette possibilité, à certaines conditions, notamment de durée.
La convention d'occupation précaire est une création prétorienne qui permet la conclusion de baux non soumis au statut des baux commerciaux parce que le bailleur n'est pas en mesure, en raison de circonstances extérieures à sa volonté, de garantir une jouissance pérenne à son locataire (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 24 septembre 2002, n° 01-11.060, inédit N° Lexbase : A5160AZ7 : précarité liée aux projets d'aménagement du quartier dans lequel se situaient les locaux objet de la convention comportant la démolition des bâtiments existant).
Le nouvel article L. 145-5-1 du Code de commerce " codifie la notion jurisprudentielle admise de longue date par la Cour de cassation de convention d'occupation précaire. Une telle convention vise par exemple le cas d'un local loué dans l'attente de sa démolition" (Sénat, avis présenté au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, par Mme Nicole Boennefoy, 9 avril 2014, page 17). Se trouve ainsi entérinée, au mot près, la solution, adoptée par la Cour de cassation en matière de convention précaire qui ne permet d'échapper à l'application du statut des baux commerciaux qu'en présence "de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties" (Cass. civ. 3, 29 avril 2009, n° 08-13.308, FS-P+B N° Lexbase : A6514EGD et nos obs. Sur les conditions de la possibilité de conclure une convention d'occupation précaire, Lexbase Hebdo n° 350 du 14 mai 2009 - édition privée N° Lexbase : N0694BKW).
C - Application du statut des baux commerciaux pendant la période prévue pour rétrocéder le fonds ou le bail préempté
L'ancien article L. 145-2, II, du Code de commerce (N° Lexbase : L5741ISG) prévoyait que les dispositions du statut des baux commerciaux "ne sont également pas applicables, pendant la période de deux ans mentionnée au premier alinéa de l'article L. 214-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5040I33), aux fonds artisanaux, aux fonds de commerce ou aux baux commerciaux préemptés en application de l'article L. 214-1 du même code (N° Lexbase : L5041I34)".
L'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme prévoit la possibilité pour un conseil municipal de délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel sont soumises au droit de préemption les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux, ainsi que les aliénations à titre onéreux de terrains portant ou destinés à porter des commerces d'une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés.
Aux termes de l'article L. 214-2 du Code de l'urbanisme, le titulaire du droit de préemption doit, dans un certain délai courant à compter de la prise d'effet de l'aliénation à titre onéreux, rétrocéder le fonds artisanal, le fonds de commerce, le bail commercial ou le terrain à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, en vue d'une exploitation destinée à préserver la diversité et à promouvoir le développement de l'activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné.
L'ancien article L. 145-2, II, du Code de commerce prévoyait que pendant le délai imparti pour rétrocéder, le statut des baux commerciaux n'était pas applicable.
Le nouvel article L. 145-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5029I3N) dispose désormais que :
"En cas d'exercice du droit de préemption sur un bail commercial, un fonds artisanal ou un fonds de commerce en application du premier alinéa de l'article L. 214-2 du Code de l'urbanisme, le bail du local ou de l'immeuble demeure soumis au présent chapitre.
Le défaut d'exploitation ne peut être invoqué par le bailleur pour mettre fin au bail commercial dans le délai prévu au même article L. 214-2 pour sa rétrocession à un nouvel exploitant".
Le bail reste donc désormais soumis au statut des baux commerciaux pendant le délai prévu pour la rétrocession. Le nouveau texte précise également que le défaut d'exploitation ne peut être invoqué par le bailleur pour mettre fin au bail. Il doit être rappelé à cet égard, en l'état actuel de la jurisprudence, que le défaut d'exploitation ne peut pas entraîner la résiliation du bail en l'absence d'une clause imposant l'exploitation effective et continue du fonds dans les lieux loués (Cass. civ. 3, 10 juin 2009, deux arrêts, n° 07-18.618, FS-P+B (N° Lexbase : A0616EIN et n° 08-14.422, FS-P+B N° Lexbase : A0693EII). Le défaut d'exploitation peut, en revanche, justifier une dénégation du droit au renouvellement, le fonds devant "avoir fait l'objet d'une l'exploitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d'expiration du bail ou de sa prolongation" (C. com., art. L. 145-8 N° Lexbase : L5735IS9). S'il est certain, selon la rédaction du nouveau texte, que le bailleur ne pourra pas, même en présence d'une clause imposant l'exploitation du fonds, obtenir la résiliation du bail pour défaut d'exploitation, les nouvelles dispositions ne sont pas aussi claires concernant la possibilité ou non d'invoquer le défaut d'exploitation pour dénier tout droit au renouvellement.
Aucune disposition expresse de la loi ne prévoit les modalités d'application dans le temps de ces nouvelles dispositions.
II - Durée du bail commercial
A - Limitation de la possibilité de conclure des baux à durée ferme
Dans sa rédaction initiale, les deux premiers alinéas de l'article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L0803HPG) disposaient que :
"La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.
Toutefois, à défaut de convention contraire, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, dans les formes et délai de l'article L. 145-9".
Tout en imposant une durée minimale de neuf ans au bail soumis au statut des baux commerciaux, ce texte accorde au preneur la possibilité d'y mettre fin avant le terme contractuel, à l'expiration de chaque période triennale.
Dans son ancienne rédaction, l'article L. 145-4 du Code de commerce prévoyait qu'il était possible pour le preneur de renoncer dès la conclusion du bail à sa faculté de résiliation triennale puisque cette dernière lui était reconnue "à défaut de convention contraire".
Le nouvel article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5030I3P) dispose désormais que :
"La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.
Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, dans les formes et délai de l'article L. 145-9. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L3966I3B) peuvent comporter des stipulations contraires".
Les termes "à défaut de convention contraire" ont été supprimés. Dans la mesure où les dispositions de l'article L. 145-4 sont impératives (C. com., art. L. 145-15 N° Lexbase : L5032I3R), les parties ne pourront plus, en principe, faire renoncer le preneur à sa faculté de résiliation triennale.
Toutefois, le nouveau texte prévoit la possibilité de déroger ("des stipulations contraires") à la faculté pour le preneur de résilier le bail à l'expiration d'une période triennale lorsque le bail :
- a une durée contractuelle initiale supérieure à neuf ans ;
- porte sur des locaux construits en vue d'une seule utilisation (locaux monovalents) ;
- porte sur des locaux à usage exclusif de bureaux ;
- porte sur des locaux de stockage mentionnés au 3°du III de l'article 231 ter du Code général des impôts ("locaux ou aires couvertes destinés à l'entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production").
La loi du 18 juin 2014 ne prévoit pas l'application dans le temps de ces nouvelles dispositions.
B - Possibilité pour les ayants-droit du preneur décéder de résilier le bail de manière anticipée
L'article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5030I3P) a été modifié afin de permettre aux ayants-droit du preneur décédé de mettre fin au bail de manière anticipée.
Cette faculté peut être exercée pour les baux en cours dès lors que la succession aura été ouverte postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 (article 21 de la loi).
III - Forme du congé
L'ancien article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L5736ISA) imposait que le congé soit délivré par acte extrajudiciaire. A défaut, et en principe, il ne produisait aucun effet. Désormais, le congé peut être délivré par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com. art. L. 145-9 N° Lexbase : L5043I38).
Cette modification répondrait à un souci de simplification. Elle risque au contraire de susciter des difficultés.
Par ailleurs, la demande de renouvellement du preneur ou la réponse du bailleur à cette demande doit toujours être notifiée par acte extrajudiciaire (C. com., art. L. 145-10 N° Lexbase : L5734IS8 et L. 145-11 N° Lexbase : L5739AIE).
IV - Condition du droit au renouvellement
La loi du 18 juin 2014 a abrogé l'article L. 145-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L5741AIH).
Ce texte disposait que :
"Sous réserve des dispositions de la loi du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangers des lois en matière de baux à loyer et de baux à ferme, les dispositions de la présente section ne peuvent être invoquées par des commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers de nationalité étrangère, agissant directement ou par personne interposée, à moins que, pendant les guerres de 1914 et de 1939, ils n'aient combattu dans les armées françaises ou alliées, ou qu'ils n'aient des enfants ayant la qualité de Français.
L'alinéa précédent n'est pas applicable aux ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen".
Il avait été jugé que cet article "en ce qu'il subordonne, sans justification d'un motif d'intérêt général, le droit au renouvellement du bail commercial, protégé par l'article 1er du 1er protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9), à une condition de nationalité, constitue une discrimination prohibée par l'article 14 de cette même Convention (N° Lexbase : L4747AQU)" (Cass. civ. 3, 9 novembre 2011, n° 10-30.291, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8907HZW, nos obs. La condition du droit au renouvellement liée à la nationalité du preneur est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, Lexbase Hebdo n° 275 du 1er décembre 2011 - édition affaires N° Lexbase : N9061BSE).
La loi du 18 juin 2014 tire les conséquences de cette contrariété de ces dispositions à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
V - Fixation du loyer révisé ou renouvelé
1° - Fixation du loyer plafond en fonction de l'indice des loyers commerciaux ou de l'indice des loyers des activités tertiaires
La modification du loyer en renouvellement (C. com., anc. art. L. 145-34 N° Lexbase : L5732IS4) ou dans le cadre d'une révision triennale (C. com., art. L. 145-38 N° Lexbase : L3107IQ7) était en principe plafonnée en fonction de l'évolution "de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires".
Le principe du plafonnement a été maintenu mais la loi du 18 juin 2014 a supprimé la référence à l'indice INSEE du coût de la construction. Le loyer sera donc en principe plafonné, en renouvellement (C. com., art. L. 145-34 N° Lexbase : L5035I3U) et dans le cadre d'une révision triennale (C. com., art. L. 145-38 N° Lexbase : L5034I3T), en fonction, soit de l'indice trimestriel des loyers commerciaux, soit de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires. Le texte ne précise pas lequel de ces deux indices doit s'appliquer. Selon toute vraisemblance, ce sera l'indice dont le champ d'application quant à sa validité dans le cadre d'une clause d'indexation (C. mon et financier, art. L. 112-1 et L. 112-2) correspond à l'activité autorisée par le bail. Ce qui ne sera pas sans poser de difficulté lorsque le champ d'application de ces indices en suscite.
Il doit être noté que les dispositions de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3110IQA) n'ont pas été modifiées. Ce texte répute en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l'indice national du coût de la construction, étant rappelé que cette relation directe entre l'indice et la convention est une condition de validité de la clause d'indexation.
2° - Augmentation par paliers du loyer révisé ou renouvelé
En l'absence de plafonnement du loyer en renouvellement ou en cas de déplafonnement du loyer en renouvellement ou révisé à la suite d'une révision triennale, le loyer était fixé à la valeur locative et, si cette dernière était supérieure au loyer modifié, l'augmentation s'appliquait en totalité dès la date d'effet du nouveau loyer.
En cas de modification du loyer à la suite d'une révision fondée sur l'article L. 145-39 du Code de commerce, ancien (N° Lexbase : L5767AIG) -augmentation du loyer de plus de 25 % par le jeu d'une clause d'indexation-, le loyer, qui n'est pas plafonné dans ce cas, était fixé à la valeur locative et si cette dernière était supérieure au précédent loyer, l'augmentation s'appliquait en totalité.
La loi du 18 juin 2014 remet en cause cette règle puisqu'elle prévoit, dans certains cas, une augmentation par paliers du loyer en renouvellement ou révisé. Il doit être noté qu'en revanche seule l'augmentation du loyer est lissée et non sa diminution.
L'augmentation par paliers suscitera, par ailleurs, des difficultés quant à l'application et aux effets des révisions triennales, à l'application des clauses d'indexation et à la détermination du loyer de base à retenir pour le calcul du loyer plafond (J.-P. Blatter, Le bail commercial dans le projet de loi relatif à l'artisanat, au commercer et aux TPE, AJDI, 2014, p. 118)
a) Loyer en renouvellement
L'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5035I3U) comporte un nouvel alinéa qui dispose que : "en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente".
L'étalement de la hausse du loyer est donc prévu dans deux hypothèses :
- lorsque le déplafonnement est lié à une modification notable des éléments de la valeur locative ;
- lorsque le loyer en renouvellement échappe au plafonnement en raison de la stipulation d'une clause qui prévoirait une durée du bail supérieure à neuf années. Ce dernier cas ne semble pas pouvoir concerner l'absence de plafonnement du loyer en renouvellement du bail d'une durée contractuelle de neuf années mais dont la durée effective est supérieure à douze ans par l'effet de la tacite prolongation (C. com., art. L. 145-34, al. 3).
Dans les autres cas, l'augmentation s'appliquera dans sa totalité à compter de la date d'effet du nouveau loyer.
b) Loyer fixé dans le cadre d'une révision triennale
L'article L. 145-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L5034I3T) comporte de nouvelles dispositions selon lesquelles "i>la variation de loyer qui découle [d'un déplafonnement] ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente".
c) Loyer fixé dans le cadre d'une révision fondée sur l'article L. 145-39 du Code de commerce
Le nouvel article L. 145-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5037I3X) précise désormais que "la variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente".
d) Modalités de l'augmentation par paliers
Dans chacune de ces trois hypothèses, l'augmentation ne pourra être supérieure, pour une année, à 10 % du loyer "acquitté" au cours de l'année précédente. La référence au loyer acquitté interroge, dès lors qu'il ne saurait être retenu, pour calculer le montant de l'augmentation, le montant du loyer effectivement réglé par le preneur et non celui qui était dû.
e) Possibilité de prévoir des conventions contraires en matière de loyer en renouvellement
Il doit être rappelé que les règles de fixation du loyer en renouvellement ne sont pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger. Les parties à un bail devraient pouvoir en conséquence mettre conventionnellement à l'écart l'augmentation du loyer par paliers, ce qui ne pourra être le cas pour les baux déjà conclus.
En revanche, pour le lissage de l'augmentation du loyer révisé, les parties ne pourront convenir d'un accord contraire dès lors que les articles L. 145-38 et L. 145-39 du Code de commerce sont d'ordre public aux termes de l'article L. 145-15 du Code de commerce.
f) Application des règles du lissage de l'augmentation dans le temps
L'article 21 de la loi du 18 juin 2014 prévoit que ces nouvelles dispositions s'appliqueront aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de ladite loi.
3° - Extension de la compétence de la commission départementale de conciliation
L'article L. 145-35 du Code de commerce a été modifié. Alors qu'il réservait initialement la compétence de cette commission à l'application de l'article L. 145-34 du Code de commerce (plafonnement ou non du loyer en renouvellement : C. com., anc. art. L. 145-35 N° Lexbase : L5763AIB), il prévoit désormais sa compétence (expressément facultative) en matière de révision triennale (C. com. art. L. 145-38 N° Lexbase : L5036I3W) -mais pas pour la révision fondée sur l'article L. 145-39 du Code de commerce-.
4° - Date d'effet du loyer révisé
Il est ajouté une phrase à l'article L. 145-38 du Code de commerce qui précise que "la révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision".
Il doit être rappelé que l'article R. 145-20 du Code de commerce (N° Lexbase : L0050HZU), relatif à la révision du loyer, dispose que "le nouveau prix est dû à dater du jour de la demande à moins que les parties ne se soient mises d'accord avant ou pendant l'instance sur une date plus ancienne ou plus récente".
L'objectif de la modification sur ce point de l'article L. 145-38, d'ordre public, semble être de faire obstacle aux clauses du bail qui prévoiraient une date d'effet antérieure à la demande (rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, F. Verdier, 29 janvier 2014, page 60).
V - Reprise pour habiter
La loi du 18 juin 2014 a abrogé l'article L. 145-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L5751AIT).
Ce texte subordonnait à la nationalité française du bailleur sa faculté d'exercer le droit de reprise des locaux d'habitation accessoires des locaux commerciaux prévu à l'article L. 145-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5750AIS).
Ces dispositions étaient probablement contraires à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à l'instar de ce qui avait été jugé à propos de l'article L. 145-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L5741AIH ; cf. Cass. civ. 3, 9 novembre 2011, n° 10-30.291, FS-P+B+R+I, préc.), également abrogé, compte tenu de leur caractère discriminatoire.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014 (N° Lexbase : A6295MRL)
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N2868BUR
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Le 27 Juin 2014
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Réf. : Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D)
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N2810BUM
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Le 26 Juin 2014
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Réf. : Cass. soc., 18 juin 2014, n° 13-14.916, FS-P+B (N° Lexbase : A5993MRE)
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N2845BUW
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Le 01 Juillet 2014
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Réf. : Projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative pour 2014
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N2816BUT
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Le 26 Juin 2014
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Réf. : Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D)
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N2858BUE
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Le 01 Juillet 2014
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Réf. : CJUE, 12 juin 2014, aff. jointes C-39/13, C-40/13 et C-41/13 (N° Lexbase : A2810MRI)
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N2809BUL
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par Thibaut Massart, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Université Paris-Dauphine et Michel Abitbol, Master Fiscalité de l'entreprise, Université Paris-Dauphine (1)
Le 26 Juin 2014
Parmi elles, la jurisprudence "Papillon" a sensiblement modifié les dispositions législatives en matière d'intégration fiscale. Concluant à une restriction à la liberté d'établissement, garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2697IPL), en ce qu'une société mère française ne pouvait pas intégrer une sous-filiale française détenue par l'intermédiaire d'une filiale étrangère établie dans l'Union européenne, le législateur français avait alors adapté son régime d'intégration national en effectuant une modification de la loi a minima. Ainsi, la loi avait été modifiée (5), de telle sorte que la seule configuration de l'arrêt "Papillon" était résolue, laissant le champ libre à de potentiels conflits futurs relatifs à des situations similaires en matière d'intégration fiscale.
De nouveaux bouleversements des régimes d'intégration fiscale européens étaient alors à prévoir. Si les affaires "Zambon" (6) en France ont précédemment ouvert la brèche, c'est véritablement l'arrêt rendu le 12 juin 2014 par la CJUE sur différentes affaires similaires aux Pays-Bas (7) qui est venu poser les fondations d'une modification du régime néerlandais -et très probablement français- d'intégration fiscale en faveur d'une possibilité de constituer des groupes fiscaux horizontaux.
Cette décision n'est pas véritablement une surprise. Plusieurs éléments conduisaient à penser que les juges de la CJUE, saisis par le tribunal d'Amsterdam, imposeraient aux législations européennes d'intégrer à leurs régimes de consolidation fiscale la possibilité de constituer des groupes fiscaux horizontaux. Un arrêt récent se prononçant sur la restriction à la liberté d'établissement induit par le "group relief" britannique (8), un avis de 2011 rendu par la Commission européenne se prononçant en faveur de l'intégration horizontale, mais surtout les conclusions de Mme Juliane Kokott, l'Avocat général auprès de la Cour européenne dans la présente affaire, constituaient un faisceau d'indices qui convergeaient vers l'intégration fiscale horizontale.
Malgré un refus des juges du fond français et néerlandais d'accéder à des demandes qui leur ont été faites d'intégrer des sociétés soeurs en France et aux Pays-Bas de sociétés mères étrangères établies dans l'Union, la CJUE se prononce en faveur d'une confirmation de la jurisprudence "Papillon" (I) dans une décision dont la finalité est l'extension du régime d'intégration fiscale aux groupes horizontaux, avec des conséquences en France qu'il faut d'ores et déjà évaluer (II).
I - Après l'arrêt "Papillon", un second aller-retour entre la France et les Pays-Bas ?
Tandis que les juges du fond français et néerlandais se bornaient à refuser le bénéfice d'une intégration horizontale dans leur pays (A), la question préjudicielle posée par la cour d'Amsterdam (9) était d'un enjeu capital : appliquer à notre problématique un raisonnement similaire à celui utilisé lors de l'affaire "Papillon" (B).
A - Un refus des juges du fond pour des raisons divergentes
Entre 2010 et 2013, les tribunaux français et néerlandais ont plusieurs fois dénié à des sociétés étrangères la possibilité de constituer sur leur sol des groupes fiscaux exclusivement composés de filiales. Les différentes juridictions amenées à statuer sur la question ont tour à tour avancé des arguments divergents, confirmant l'incohérence d'une telle interdiction au regard du droit de l'UE.
En France, saisis par deux fois pour des requêtes relatives à la même affaire, les tribunaux administratifs sont arrivés à la même conclusion : l'impossibilité de constituer en France un groupe fiscal intégré horizontalement est contraire aux Traités. Mais leurs arguments ne concordaient pas !
Le groupe Zambon s'est, tout d'abord, vu refuser le bénéfice d'une intégration horizontale pour les sous-filiales françaises -les sociétés Zambon France SA et Zach System SA- d'une holding italienne, la société Zambon Company SPA. Cette holding italienne, désireuse de compenser les pertes de sa seconde sous-filiale avec les bénéfices de la première, avait, dans un premier temps, saisi l'administration fiscale française, lui demandant la restitution rétroactive de l'excédent d'impôt payé et correspondant à l'imputation des pertes de sa sous-filiale sur les bénéfices de la seconde. Face au rejet de sa réclamation, Zambon France SA avait alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (10) qui avait confirmé le refus de l'administration fiscale en procédant à une analyse du régime de l'intégration fiscale tel que prévu par l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L5018IPK). Les juges ont fondé leur raisonnement sur l'objet de l'intégration fiscale qui, selon eux, repose sur une centralisation verticale des bénéfices et des pertes des filiales vers la société mère. Dès lors, les juges ont déduit qu'aucune restriction à la liberté d'établissement ne saurait être observée, puisqu'une telle intégration horizontale ne serait pas non plus accordée à des filiales françaises d'une société mère française.
Face au refus des juges, le groupe Zambon a rapidement formulé une nouvelle requête, modifiant le périmètre de l'intégration fiscale que le groupe demandait à l'administration fiscale française. Si la première requête du groupe portait sur une intégration purement horizontale de ses deux sous-filiales françaises, la seconde requête portait quant à elle sur une demande du bénéfice de l'intégration fiscale pour un groupe constitué des deux sous-filiales françaises ainsi que de la holding "grand-mère" italienne, mais dont les résultats seraient exclus du régime. Le tribunal administratif de Montreuil (11) a motivé son refus par la non-comparabilité de la situation de ce groupe avec un groupe d'intégration fiscale purement français. Les juges ont considéré que l'objectif principal de l'intégration fiscale était l'allègement de l'imposition supportée par la société mère via la prise en compte dans ses résultats des résultats de ses filiales. Or, le groupe Zambon poursuivant un objectif d'allègement de l'imposition de sociétés soeurs, le tribunal de Montreuil a considéré qu'il ne se trouvait pas dans une situation comparable à un groupe français dont l'allègement d'imposition bénéficierait à la société mère.
Parallèlement, les juges du fond néerlandais ont été amenés à juger trois litiges très proches de celui de l'affaire "Papillon" : les deux premiers (12) avaient trait à des sociétés mères néerlandaises qui souhaitaient former une "entité fiscale unique" (13) avec leurs sous-filiales néerlandaises détenues par l'intermédiaire d'une société allemande. La troisième (14) concernait quant à elle la possibilité pour une société mère établie en Allemagne de constituer une entité fiscale unique entre ses filiales néerlandaises. Si les deux premières affaires font inévitablement penser à la configuration "Papillon", la troisième comporte une différence majeure : le groupe néerlandais désirait constituer une "entité fiscale unique" horizontale, constituée uniquement de ses sous-filiales soeurs.
Dans ces affaires, les juges du fond néerlandais ont refusé le droit à ces sociétés mères de constituer tantôt un groupe fiscal avec leurs sous-filiales néerlandaises, tantôt un groupe fiscal horizontal entre leurs filiales néerlandaises, fondant leur raisonnement sur la nécessité de comparer ces situations avec celles de groupes exclusivement composés de sociétés néerlandaises. Dans les deux premières affaires, les juges ont comparé les sous-filiales néerlandaises détenues par une société intermédiaire allemande avec des sous-filiales néerlandaises détenues par une société intermédiaire néerlandaise et qui n'aurait pas opté pour le régime de l'entité fiscale unique. Dans ce cas précis, le droit de constituer un groupe fiscal composé exclusivement des sous-filiales néerlandaises et de la société mère -excluant donc la société intermédiaire- n'aurait pas été accordé.
Dans la troisième affaire, les juges néerlandais ont refusé le droit de constituer un groupe fiscal horizontal, fondant leur raisonnement sur la nécessité de comparer la situation de filiales néerlandaises détenues par une société allemande à celles de filiales néerlandaises détenues par une société néerlandaise. Dès lors, les juges néerlandais ont considéré qu'il n'existait nullement de différence de traitement : dans l'un et l'autre cas, l'intégration fiscale horizontale est refusée. La cour d'appel d'Amsterdam a, pour sa part, estimé préférable de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE.
Les juges du fond néerlandais et français ont donc fondé leur refus sur des fondements divergents, mais sur la base d'une analyse similaire : la situation de filiales nationales détenues par l'intermédiaire d'une société mère étrangère n'est pas objectivement comparable à celle de filiales nationales détenues par l'intermédiaire d'une société mère nationale. Tout l'enjeu de la question préjudicielle posée le 25 janvier 2013 par le Gerechtshof d'Amsterdam était, par conséquent, de savoir si la CJUE retiendrait un raisonnement similaire aux arrêts "Papillon" ou "X Holding BV" (15), afin d'autoriser l'intégration fiscale horizontale.
B - L'enjeu de la question préjudicielle : la confirmation de la jurisprudence "Papillon" aux Pays-Bas
Ainsi, l'enjeu de la question préjudicielle posée par la cour d'Amsterdam à la CJUE reposait, dans un premier temps, sur l'analyse que la CJUE allait opérer de la notion de situation objectivement comparable. Plus précisément il s'agissait, pour les juges européens, de trancher entre deux analyses opposées -celles des juges néerlandais et français ou celle précédemment retenue dans l'arrêt "Papillon"- et de répondre à la question suivante : une société mère nationale détenant des sous-filiales nationales par l'intermédiaire d'une filiale étrangère se trouve-t-elle dans une situation objectivement comparable à celle d'une société mère détenant ses sous-filiales nationales par l'intermédiaire d'une filiale nationale ?
Dans son analyse du litige qui lui est soumis, la CJUE reprend clairement les conclusions sans appel de Mme Juliane Kokott, l'Avocat général auprès de la CJUE, qui ont été rendues le 27 février 2014. La Cour adopte une réflexion fondée sur la comparaison d'un groupe fiscal créé de manière horizontale -exclusivement dans un cas (16), intégrant la société "grand-mère" résidente dans l'autre cas (17)- avec un groupe fiscal créé "classiquement" de manière verticale, au regard de l'objectif poursuivi par l'intégration fiscale. Autrement dit, celle-ci se demande si l'objectif de ces deux groupes est objectivement comparable dans leur démarche respective de constitution de groupe fiscal.
L'exposé de Mme Kokott s'inscrit dans la continuité de la position de la Commission européenne (18), qui avait rendu un avis motivé le 16 juin 2011, dans lequel l'instance supranationale estimait que le régime de l'entité fiscale unique n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne, dans la mesure où ce régime ne permettait pas à une société mère de constituer une entité fiscale exclusivement composée de ses filiales. Ensuite, l'Avocat général avait rappelé que l'objectif premier de l'intégration fiscale était de permettre une consolidation des résultats d'un groupe, sans qu'il soit nécessaire que la société mère soit établie dans le même pays que ses filiales soeurs et que les résultats de la mère soient compensés avec ceux des filiales soeurs.
Poursuivant son argumentaire tendant à démontrer la comparabilité des situations de filiales soeurs d'une société nationale et de filiales soeurs d'une société étrangère, Mme Kokott avait établi un parallèle avec deux jurisprudences majeures dont les conclusions avaient également été rédigées par ses soins : les jurisprudences "Papillon" et "X Holding BV" (19). L'Avocat général a ainsi d'abord établi un parallèle entre les deux premières affaires néerlandaises et l'affaire "Papillon", dont les configurations sont très proches, confirmant ainsi, comme elle l'avait fait auparavant avec les dispositions législatives françaises, l'incompatibilité du régime néerlandais actuel de l'entité fiscale unique. Mais l'exposé de Mme Kokott allait plus loin et présentait le régime de l'intégration fiscale de façon similaire à la présentation qui en avait été faite dans l'arrêt "X Holding BV".
Reprenant les conclusions de Mme Kokott, la CJUE, dans sa décision du 12 juin 2014, argue ainsi que le régime d'intégration fiscale néerlandais est constitutif d'un avantage de trésorerie pour les sociétés membres du groupe, dont l'objectif est double : consolider les bénéfices et les pertes des sociétés membres du groupe et neutraliser les opérations internes au groupe de façon à ce qu'elles conservent un caractère fiscalement neutre (20). Dès lors, un groupe d'intégration fiscale horizontale constitué de ses seules filiales poursuit le même objectif qu'un groupe fiscal constitué verticalement, à savoir l'obtention de l'avantage de l'intégration fiscale du point de vue de ses seules filiales. L'objectif de ces deux groupes est donc bel et bien objectivement comparable.
Et si l'on déduit de l'arrêt que la jurisprudence "Papillon" est confirmée et donc transposable au régime néerlandais de l'entité fiscale unique, une possible extension du régime néerlandais aux sociétés soeurs nous mène à penser que la transposition réciproque en droit français ne devrait être qu'une formalité...
II - Vers une probable intégration horizontale de filiales françaises d'une société étrangère
Du point de vue néerlandais, cet arrêt, qui confirme les conclusions de l'Avocat général, nous enseigne d'abord que la jurisprudence "Papillon" est transposable au régime de l'entité fiscale unique. Ainsi, toute nouvelle harmonisation négative de la part du juge européen quant à l'un de ces deux régimes devrait logiquement s'appliquer au second. Du point de vue français, il nous semble donc nécessaire de connaître la position définitive de la CJUE quant à l'intégration horizontale (A), afin d'en évaluer l'éventuelle portée en France (B).
A - L'intégration verticale, simple modalité pratique de l'intégration fiscale
La position conjointe de la CJUE et de l'Avocat général Kokott sur l'eurocompatibilité du régime néerlandais de l'entité fiscale unique est claire : le refus de constituer des groupes fiscaux horizontaux constitue une entrave à la liberté d'établissement génératrice d'une inégalité de traitement vis-à-vis des filiales détenues par une société mère étrangère. Deux arguments phares sont avancés par cette dernière : l'aspect uniquement pratique de la remontée des résultats des filiales vers la société mère et l'inégalité de traitement entre une filiale et une succursale au regard de ce régime.
Sur le premier argument, la CJUE réfute le principal fondement du refus des juridictions néerlandaises : la nécessaire attribution du résultat d'ensemble à la société mère du groupe intégré. Tout comme les rapporteurs publics impliqués dans les affaires "Zambon" précédemment citées (21), les juges néerlandais décelaient dans l'intégration horizontale une difficulté pratique liée au fait qu'il serait impossible d'identifier le redevable des obligations déclaratives induites et du paiement de l'impôt dû (22). Or, Mme Kokott, soutenue par le juge européen, retient que "la question de savoir dans le chef de quelle société de l'entité fiscale se fera la consolidation est une question purement technique, dépourvue de pertinence s'agissant d'atteindre l'objectif du régime" (23). Dès lors, la condition de faire de la société mère le redevable de l'impôt n'est qu'une modalité pratique et secondaire de l'intégration fiscale, qui n'est en rien indispensable à l'atteinte de l'objectif premier du régime : la consolidation des bénéfices et des pertes des sociétés membres.
Sur le second argument, l'Avocat général avait développé une idée novatrice, et implicitement reprise dans l'arrêt, selon laquelle le régime de consolidation fiscale néerlandais actuel opère une différence de traitement entre filiale et succursale. L'Avocat général retient en effet que le régime néerlandais permet à la société étrangère qui souhaiterait intégrer ses deux filiales nationales de procéder à leur intégration par l'interposition d'une succursale nationale, ce qui ne serait pas possible via l'interposition d'une filiale nationale détenant les deux sous-filiales (24). Dès lors, le traitement défavorable attribué aux filiales serait de nature à justifier la possibilité de créer des groupes fiscaux composés des seules filiales soeurs. Par ailleurs, rappelons que la doctrine française permet de la même manière à une succursale française de la société étrangère de se constituer tête de groupe (25). Le raisonnement de Mme Kokott sur ce point semble donc transposable en tout point au régime français.
Enfin, une fois établi que l'impossibilité de constituer un groupe fiscal horizontal constituait une entrave à la liberté d'établissement, il convenait de s'interroger quant à l'éventuelle justification de cette entrave par une raison impérieuse d'intérêt général. Sur cette question, la Haute Juridiction européenne a balayé les justifications apportées par les Gouvernements néerlandais, allemands et français qui ont tous participé à la procédure (26), témoignant du grand intérêt qu'ils portent à la question. Deux principaux motifs avaient ainsi été apportés par les Etats : la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal en lien avec la prévention du double emploi des pertes et le risque de fraude fiscale. Sur le premier, le juge a rappelé que, pour prospérer, une telle justification devait découler d'une rupture du lien direct existant entre l'avantage fiscal conféré et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (27). Appliquée à l'intégration fiscale, l'admission de cette justification suppose que le groupe fiscal bénéficie de l'avantage que constitue l'allègement de l'imposition du groupe, sans en supporter la charge directement liée, à savoir la neutralisation de certaines opérations dont l'objectif est d'éviter la double déduction. Considérant ce motif injustifié au regard de la situation d'une entité fiscale formée d'une société mère nationale et des sous-filiales nationales, la Cour l'a a fortiori rejeté dans le cadre d'un groupe formé des seules filiales nationales, aucune transaction ne nécessitant dans ce cas de neutralisation fiscale (28).
Sur le second motif, le Gouvernement néerlandais arguait que l'intégration horizontale pourrait mener à des montages frauduleux. Plus particulièrement, les filiales intégrées de manière horizontale pourraient pratiquer entre elles des transferts d'actifs à un prix anormalement élevé de manière à diminuer la valeur fiscale des créances détenues par la société mère étrangère. La réponse est cette fois lapidaire : tandis que l'Avocat général avait avancé que seul l'Etat du siège de la société mère étrangère est habilité à lutter contre la fraude fiscale (29), la CJUE relève simplement que cette justification ne peut être invoquée de façon autonome (30).
La décision de la CJUE est donc sans ambiguïté quant à la légalité du régime de l'entité fiscale néerlandais : l'impossibilité pour une société mère établie dans un Etat membre de constituer un groupe fiscal au sein d'un autre Etat membre, autrement que par le biais d'un établissement stable, génère une entrave à la liberté d'établissement injustifiable. Dès lors, il nous semble déraisonnable de penser que le régime français de l'intégration fiscale n'en subira pas les mêmes conséquences.
B - La portée de cette décision sur le régime français d'intégration fiscale
Cette jurisprudence autorisant l'intégration fiscale horizontale n'est assurément pas une bonne nouvelle pour les finances publiques françaises. En effet, la Commission européenne ayant sommé la France d'abaisser son déficit public au plus tôt (31), une telle décision devrait être annonciatrice de multiples réclamations contentieuses pour l'administration fiscale et donc de pertes de recettes fiscales pour notre Etat, compliquant davantage l'atteinte de cet objectif.
La grande similitude existant entre les régimes français et néerlandais d'intégration fiscale nous pousse à envisager la portée de cette décision en droit français. Car, rappelons-le, les dispositifs français et néerlandais sont très proches, l'ensemble des conditions donnant droit au bénéfice du régime étant partagé par les deux régimes. La principale différence relève du formalisme induit par le régime néerlandais : les sociétés françaises intégrées continuent à déposer leur liasse fiscale individuelle (32), tandis que les groupes néerlandais intégrés en sont dispensés et ne déposent qu'une liasse unique pour l'ensemble du groupe.
Ainsi, les conséquences de cette décision européenne favorable à l'intégration de sociétés soeurs sont potentiellement nombreuses. En premier lieu, le législateur devra adapter les dispositions françaises du régime de l'intégration fiscale par une réforme de l'article 223 A dont l'étendue n'est pas simple à déterminer. Nous pouvons aisément imaginer que, souhaitant réduire l'impact budgétaire d'une telle réforme, le législateur envisagera d'imposer des conditions restrictives aux sociétés mères désireuses de constituer entre leurs filiales une intégration fiscale. Dès lors, la première question qui se posera sera celle de l'Etat d'implantation de la société mère. Il semblerait logique que le législateur restreigne l'accès à une éventuelle intégration fiscale horizontale aux mêmes sociétés auxquelles la jurisprudence "Papillon" s'était appliquée, à savoir les Etats membres de l'Union ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en matière fiscale. Par ailleurs, une autre question relative à l'Etat d'implantation de la société mère pourrait se poser au législateur : sera-t-il possible d'exclure du dispositif les filiales françaises dont la société mère est implantée en France ? En effet, le législateur pourrait être inspiré d'exclure du périmètre du dispositif les filiales soeurs dont la société mère est française et, ainsi, d'éviter la constitution de groupes fiscaux horizontaux purement français qui, bien que respectant les conditions d'exercice du régime d'intégration fiscal "classique" intégrant la mère, pourraient voir d'un bon oeil une intégration fiscale horizontale. Bien qu'a priori compatible avec le droit de l'Union européenne, un tel traitement de faveur accordé aux sociétés non-résidentes -appelé "discrimination à rebours" par les instances européennes- nous paraît cependant hypothétique.
En second lieu, il semble probable que le législateur impose des conditions relatives au régime juridique et fiscal de la société mère. Une condition d'assujettissement de la société mère à l'impôt sur les sociétés de son Etat -de plein droit ou sur option- ou encore une condition de forme juridique conformément à une liste énumérative de formes juridiques autorisées ne semble pas improbable. A titre de comparaison, la modification de l'article 223 A consécutive à l'affaire "Papillon" a posé des conditions restrictives pour la qualification de "société intermédiaire", entre autres l'implantation de la société dans un Etat de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen et la soumission à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés sans en être exonérée (33).
Et si les conséquences d'une telle décision s'annoncent majeures pour le législateur qui devra, une fois de plus, remettre en cause son régime de l'intégration fiscale, la portée d'une extension de l'intégration fiscale française aux sociétés soeurs devrait également intéresser un certain nombre d'entreprises françaises. Les filiales françaises intéressées par une intégration fiscale horizontale doivent dès à présent évaluer l'opportunité d'introduire une réclamation contentieuse pour les exercices passés et, en second lieu, demander l'exercice de l'option pour l'intégration fiscale pour les exercices futurs.
Concernant les exercices passés, les groupes qui détiennent des filiales françaises peuvent estimer que l'incompatibilité du régime français de l'intégration fiscale avec le droit européen les a privés d'une opportunité fiscale importante. Dès lors, les groupes concernés devront chiffrer le montant de l'impôt payé jugé excédentaire et en demander la restitution auprès de l'administration. La question qui se pose alors pour ces contribuables porte sur les formalités et les exercices concernés par une telle demande. En premier lieu, l'établissement d'une ou de plusieurs liasses fiscales rectificatives "pro forma" mettant en évidence le dégrèvement d'impôt sollicité nous semble nécessaire (34). Ensuite, il convient de rappeler aux contribuables intéressés que, contrairement aux réclamations consécutives à l'affaire "Papillon", le délai de recours ne pourra porter sur des exercices antérieurs aux délais de droit commun (35). En effet, depuis une refonte de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L9530IYM) (36), un arrêt portant sur la non-conformité d'une disposition nationale à une règle de droit supérieure n'est plus de nature à porter le délai de recours pour présenter une réclamation au-delà des délais de droit commun. Une réserve doit cependant être émise sur la question de ces réclamations contentieuses. Bien qu'impossible du fait de l'état actuel de la législation française, il ne nous semble pas impossible que l'administration reproche aux demandeurs de ne pas avoir effectué, pour les exercices dont l'imposition est contestée, l'option pour l'intégration fiscale des sociétés concernées (37).
De manière à éviter cet écueil pour les exercices futurs, il paraît opportun pour les groupes intéressés par un dispositif d'intégration horizontale de ne pas attendre une modification du régime français et d'exercer d'ores et déjà l'option pour l'intégration fiscale. Ainsi, il nous semble judicieux que les sociétés déposent, dès à présent à la clôture de chaque exercice, une déclaration fiscale de groupe, en plus de leurs déclarations fiscales individuelles, de manière à déterminer l'impôt susceptible de faire l'objet d'une restitution. Cependant, par mesure de précaution, nous pensons que tant que la position française sur l'intégration fiscale horizontale ne sera pas connue, il conviendra pour les contribuables de continuer à payer l'impôt séparément comme si l'intégration fiscale ne leur était pas applicable.
Pour finir, nous pouvons nous demander si le législateur français optera pour une réforme a minima, comme il l'avait fait à la suite de l'affaire "Papillon", en procédant simplement à l'introduction des sociétés intermédiaires dans le périmètre de l'intégration fiscale, ou s'il choisira de moderniser véritablement l'article 223 A, de manière à le rendre définitivement conforme au droit communautaire, pour ainsi éviter de nouveaux remous à l'avenir...
(1) Les auteurs remercient Arnaud Chastel, Avocat chez Landwell et associés, pour ses précieux conseils.
(2) CJCE, 4ème ch., 27 novembre 2008, aff. C-418/07 (N° Lexbase : A4435EBU) : Rec. CJCE, 2008, I, p. 8947 ; Dr. fisc., 2008, n° 52, comm. 644, note J.-L. Pierre ; RJF, 2/2009, n° 180 ; BDCF, 2/2009, n° 16, concl. J. Kokott. Sur cet arrêt, V. également P. Dibout, Le périmètre des groupes de sociétés et la liberté d'établissement. A propos de CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Sté Papillon, note sous CJCE, 4ème ch., 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Sté Papillon : Dr. fisc., 2008, n° 52, 640.
(3) CJUE, 12 juin 2014, aff. jointes SCA Group Holding BV (C-39/13), X AG (C-40/13) et MSA International Holdings BV (C-41/13) (N° Lexbase : A2810MRI) ; L. Leclercq, A.-M. Merle et J. Du Pasquier, Groupes de sociétés : après les soeurs jumelles, les soeurs intégrées ?, Dr. fisc., 2014, n° 12, act. 183.
(4) L'article 115 TFUE (N° Lexbase : L2413IP3) prévoit l'adoption par le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, de dispositions pour le rapprochement des lois, règlements ou dispositions administratives des Etats membres en ce qui concerne les autres impôts, lorsque ceux-ci ont une incidence directe sur l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
(5) Loi de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, art. 33-I et XIII N° Lexbase : L1817IGE).
(6) TA Cergy-Pontoise, 2ème ch., 3 octobre 2012, n° 1102790 (N° Lexbase : A4588I4P). TA Montreuil, 10ème ch., 19 octobre 2012, n° 1103097 (N° Lexbase : A5545IXN) : Dr. fisc., 2012, n° 46, comm. 516, concl. N. Peton-Philippot, note N. Chayvialle.
(7) CJUE, 12 juin 2014, aff. jointes SCA Group Holding BV (C-39/13), X AG (C-40/13) et MSA International Holdings BV (C-41/13), précité.
(8) CJUE, 1er avril 2014, aff. C-80/12 (N° Lexbase : A2882MIL) : Liberté d'établissement et transfert de pertes au sein d'un consortium, Droit de l'Union européenne, Dr. fisc. 2014, n° 15, act. 240.
(9) Gerechtshof Amsterdam, Kenmerk 11/00180.
(10) TA Cergy-Pontoise, 2ème ch., 3 octobre 2012 n° 1102790 (N° Lexbase : A4588I4P) : RJF, 2/2013, n° 143, Concl. Mmes Colombani.
(11) TA Montreuil, 10ème ch., 19 octobre 2012, n° 1103097 : RJF, 2/2013, n° 144, Concl. MM. Le Goff.
(12) Aff. jointes C-39/13 et C-41/13, précitées.
(13) "Fiscale eenheid" est le régime d'intégration fiscale néerlandais, prévu par l'article 15, paragraphe 1 de la "loi sur l'impôt des sociétés" néerlandaise.
(14) Aff. C-40/13, précité.
(15) CJUE, 25 février 2010, aff. C-337/08 (N° Lexbase : A2536ESQ) : Liberté d'établissement et fiscalité de groupe, Olivier Debray, Dr. fisc. 2013, n° 24, 319.
(16) Aff. C-40/13, précité.
(17) Aff. C-39/13 et C-41/13, précité.
(18) Point 77 des conclusions.
(19) Point 32 des conclusions ; points 21 à 24 de l'arrêt.
(20) Point 21 de l'arrêt.
(21) TA Cergy-Pontoise, 3 octobre 2012, n° 1102790 et TA Montreuil, 19 octobre 2012, n° 1103097 : Dr. fisc. 2012, n° 46, comm. 516, concl. N. Peton-Philippot, note N. Chayvialle.
(22) L. Leclercq, A.-M. Merle et J. Du Pasquier, Le régime fiscal de groupe est-il applicable aux sociétés soeurs ? Les régimes français et néerlandais en question..., Dr. fisc., 2013, n° 7, act. 82.
(23) Points 77 à 86 des conclusions, repris par le point 51 de l'arrêt.
(24) Point 40 des conclusions ; point 56 de l'arrêt.
(25) BOI-IS-GPE-10-30-30 du 12 septembre 2012 (N° Lexbase : X9194AL4).
(26) Point 14 des conclusions.
(27) Point 33 de l'arrêt.
(28) Points 33 à 40 de l'arrêt ; point 84 des conclusions.
(29) Point 85 des conclusions.
(30) Point 55 de l'arrêt ; voir également Laurent Leclercq, Pauline Trédaniel, Déduction des pertes transfrontalières et liberté d'établissement : où en est-on ?, Dr. fisc., 2013, n° 21, 295.
(31) La Commission européenne a demandé à la France de ramener son déficit public à 3 % à la fin 2015.
(32) Imprimé n° 2065.
(33) BOI-IS-GPE-10-30-30-20120912, précité.
(34) L. Leclercq, A.-M. Merle et J. Du Pasquier, Groupes de sociétés : après les soeurs jumelles, les soeurs intégrées ?, Dr. fisc., 2014, n° 12, act. 183.
(35) Consécutivement à l'arrêt "Papillon", les réclamations contentieuses des groupes pouvaient porter sur des exercices clos entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2009. V. sur les conséquences de l'arrêt "Papillon" : Yves Rutschmann, Patrick Dibout, Laetitia de La Rocque, Arrêt Sté Papillon : quelles incidences pratiques ?, Dr. fisc., 2009, n° 16, 277.
(36) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, art. 48 (N° Lexbase : L6136IYW) ; voir sur cette réforme : Eric Davoudet, Omar El Arjoun, Action en restitution de l'article L. 190 du LPF : deux réformes et de nombreuses interrogations, Dr. fisc., 2014, n° 21, 334.
(37) Conformément aux articles 223 A du et 46 quater-0 ZE de l'annexe III du CGI (N° Lexbase : L3488IEW), l'option pour l'intégration fiscale doit être adressée au plus tard à l'expiration du délai de dépôt de la déclaration de résultats de l'exercice précédent.
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Réf. : Cass. civ. 3, 18 juin 2014, n° 13-10.404, FS-P+B (N° Lexbase : A5915MRI)
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Le 28 Juin 2014
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Réf. : Cons. const., deux décisions n° 2014-401 (N° Lexbase : A5440MQK) et n° 2014-402 (N° Lexbase : A5441MQL) QPC du 13 juin 2014
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 26 Juin 2014
Résumé
- Cons. const., décision n° 2014-402 QPC du 13 juin 2014 Le recours au CDD pour les emplois présentant un caractère par nature temporaire n'est possible que dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, dans lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI. La décision de l'autorité administrative d'inscrire un secteur d'activité dans la liste des secteurs prévue par les dispositions contestées ou d'étendre une convention ou un accord collectif procédant à une telle inscription peut être contestée devant la juridiction compétente. S'il appartient aux autorités administratives, sous le contrôle du juge, d'apprécier si, dans un secteur déterminé, il est "d'usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l'activité exercée", ces dispositions n'ont pas pour effet de conférer à ces autorités un pouvoir arbitraire et ne sont en tout état de cause pas inintelligibles. Le recours au CDD en application de ces dispositions n'est possible, dans un des secteurs ainsi définis, que s'il est établi que l'emploi en cause présente un caractère par nature temporaire (cons. 6) ; En permettant le recours au CDD pour des emplois "à caractère saisonnier" ou qui présentent un caractère "par nature temporaire", le législateur a établi une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi (cons. 7). - Cons. const., décision n° 2014-401 QPC du 13 juin 2014 Les dispositions contestées ne s'appliquent qu'aux élèves ou étudiants qui n'ont pas dépassé l'âge limite, prévu par l'article L. 381-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5184ADD), pour être affiliées obligatoirement aux assurances sociales au titre de leur inscription dans un établissement scolaire ou universitaire. Le grief tiré de ce qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'aurait pas défini la notion de "jeune" manque en fait. Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que l'application de dispositions législatives relatives aux élèves ou aux étudiants soit soumise à une limite d'âge. ? Selon l'article L. 1243-8 du Code du travail, l'indemnité de fin de contrat est versée au salarié employé en CDD afin de "compenser la précarité de sa situation" lorsqu'à l'issue de son contrat, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un CDI. L'exclusion prévue par les dispositions contestées ne s'applique qu'aux contrats conclus pour une période de travail accompli pendant les vacances scolaires ou universitaires. Les étudiants employés selon un CDD pour une période comprise dans leurs périodes de vacances scolaires ou universitaires ne sont dans une situation identique ni à celle des étudiants qui cumulent un emploi avec la poursuite de leurs études ni à celle des autres salariés en CDD ; qu'en excluant le versement de cette indemnité lorsque le contrat est conclu avec un élève ou un étudiant employé pendant ses vacances scolaires ou universitaires et qui a vocation, à l'issue de ces vacances, à reprendre sa scolarité ou ses études, le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. |
I - Nature temporaire et légalement précaire, de certains CDD
Les requérants ont centré leurs critiques sur deux contrats de travail à durée déterminés précis : le CDD saisonnier ou d'usage (C. trav., art. L. 1242-2-3° N° Lexbase : L3209IMS) et le CDD ouvert aux étudiants, pendant les vacances.
A - CDD saisonniers ou d'usage
Le législateur a identifié un CDD particulier, auquel l'employeur peut recourir, pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire (C. trav., art. L. 1242-2-3°). Il s'agit :
- des emplois à caractère saisonnier ;
- ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Le requérant avait formulé plusieurs griefs à l'égard de ces deux CDD :
- la notion "d'usage" (mentionnée à l'article L. 1242-2 du Code du travail) est inintelligible ;
- la notion "d'usage" est insusceptible de constituer un critère objectif et rationnel pour fonder une différence de traitement entre salariés quant aux conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée et aux modalités d'indemnisation des salariés employés au moyen de tels contrats ;
- les dispositions légales institueraient entre salariés de différents secteurs d'activité des différences qui méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.
Ces griefs n'ont pas été retenus par le Conseil constitutionnel (cons. 6 et 7) :
- le recours au CDD pour les emplois présentant un caractère par nature temporaire n'est pas arbitraire ou librement ouvert aux employeurs. Le législateur a prévu certaines garanties. D'abord, le recours à ce type de CDD n'est possible que dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, dans lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI. Ensuite, la décision de l'autorité administrative d'inscrire un secteur d'activité dans la liste des secteurs prévue par les dispositions contestées ou d'étendre une convention ou un accord collectif procédant à une telle inscription peut être contestée devant la juridiction compétente. Enfin, comme le relève justement le Conseil constitutionnel, il appartient aux autorités administratives, sous le contrôle du juge, d'apprécier si, dans un secteur déterminé, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée. Au final, le régime légal du CDD d'usage n'a pas pour effet de conférer à ces autorités un pouvoir arbitraire et ne sont en tout état de cause pas inintelligibles. Enfin, dernière garantie, le recours au CDD en application de ces dispositions n'est possible, dans un des secteurs ainsi définis, que s'il est établi que l'emploi en cause présente un caractère par nature temporaire ;
- en permettant le recours au CDD pour des emplois à caractère saisonnier ou qui présentent un caractère par nature temporaire, le législateur a établi une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Au final, le grief tiré de ce que le 3° de l'article L. 1242-2 du Code du travail méconnaît le principe d'égalité devant la loi est écarté par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2014-402 QPC du 13 juin 2014).
Outre ces garanties légales, la Cour de cassation s'est montrée particulièrement sévère quant à l'appréciation des conditions légales. Par exemple, en 2008, la Cour a exigé que l'employeur apporte la preuve que le salarié a bien été embauché au titre d'un CDD d'usage : l'employeur ne peut se contenter d'évoquer la Convention collective de la manutention portuaire ni d'avancer que l'activité de manutention portuaire constitue un secteur d'activité où il est d'usage constant (au sens de l'article L. 122-1.1 3° ancien du Code du travail N° Lexbase : L4873DCH) de recourir au CDD en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de certains emplois (Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-42.900, F-D N° Lexbase : A0711EBX) (4).
B - CDD conclu avec un jeune pendant ses vacances
Le CDD conclu avec un jeune pendant les vacances n'a pas de régime propre. Le législateur a simplement aménagé le régime de l'indemnité de précarité, qui n'est pas due dès lors que le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou universitaires (C. trav., art. L. 1243-10 N° Lexbase : L1473H9G).
Le requérant critiquait le législateur, pour s'être abstenu de fixer une limite d'âge précisant la notion de "jeune" : le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence. L'argument, sans portée ni vraiment de poids, n'a pas convaincu le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2014-401 QPC du 13 juin 2014, cons. 4) :
- le régime mis en place par le législateur (C. trav., art. L. 1243-10) ne s'applique qu'aux élèves ou étudiants qui n'ont pas dépassé l'âge limite, prévu par l'article L. 381-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5184ADD), pour être affiliées obligatoirement aux assurances sociales au titre de leur inscription dans un établissement scolaire ou universitaire ;
- le grief tiré de ce qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'aurait pas défini la notion de "jeune" manque en fait ;
- enfin, le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que l'application de dispositions législatives relatives aux élèves ou aux étudiants soit soumise à une limite d'âge.
II - Effets attaché à la reconnaissance du caractère temporaire et précaire de certains CDD : dispense de versement de l'indemnité de précarité
Lorsque, à l'issue d'un CDD, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un CDI, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié (C. trav., art. L. 1243-8 N° Lexbase : L1470H9C).
A - L'indemnité de précarité du CDD saisonnier/d'usage
En application de l'article L. 1243-10-1° du Code du travail, l'indemnité de fin de CDD n'est pas due lorsque le contrat est conclu au titre du 3° de l'article L. 1242-2 (N° Lexbase : L1432H9W), c'est-à-dire, emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité, il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois) ou de l'article L. 1242-3 (CDD conclu au titre de dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi (5) ; ou lorsque l'employeur s'engage à assurer un complément de formation professionnelle au salarié), sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Le législateur a autorisé que l'employeur ne verse pas l'indemnité de fin de contrat, d'une part, pour de tels contrats (c'est-à-dire, de l'article L. 1242-3, CDD conclu au titre de dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi ; ou lorsque l'employeur s'engage à assurer un complément de formation professionnelle au salarié), et, d'autre part, lorsque le recours au CDD résulte de la nature des emplois en cause en raison de leur caractère saisonnier ou, par nature, temporaire.
Le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2014-402 QPC du 13 juin 2014, cons. 10) en conclut que le législateur a institué des différences de traitement fondées sur une différence de situation en rapport direct avec la particularité des emplois en cause. Le Conseil a donc décidé d'écarter le grief tiré de ce que le 1° de l'article L. 1243-10 du Code du travail méconnaît le principe d'égalité.
La solution diverge donc de celle préconisée par la Cour de cassation (Cass. soc., 9 avril 2014 n° 14-40.009 N° Lexbase : A8248MIC), reconnaissant que le régime en vigueur prévoit une différence de traitement entre les salariés ayant conclu un CDD, selon que celui-ci est ou non un contrat à durée déterminée d'usage.
Au final, la solution retenue par le Conseil constitutionnel s'explique par le principe, admis en droit constitutionnel, selon lequel la différence de situation justifie une différence de traitement. Le salarié qui conclut un CDD destiné à pourvoir un emploi à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité, il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, n'est pas dans une situation identique autres salariés en CDD.
Cet argument est d'autant plus recevable qu'il est conforme à l'objet même de l'indemnité de précarité, destinée à compenser la précarité de la situation du salarié, dans la mesure où les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un CDI (C. trav., art. L. 1243-8). En effet, par définition, le contrat saisonnier est destiné à pourvoir un emploi à caractère saisonnier : les relations contractuelles de travail n'ont pas vocation à se poursuivre par un CDI. La même observation vaut pour le CDD d'usage.
B - L'indemnité de précarité du CDD conclu avec un jeune pendant ses vacances
En application de l'article L. 1243-10 du Code du travail, l'indemnité de fin de CDD n'est pas due lorsque le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou universitaires. Selon le requérant, les différences de traitement instituées entre les étudiants (selon leur âge) et entre les étudiants (et les autres personnes employées en CDD) ne seraient pas en rapport avec l'objet de l'indemnité de fin de contrat et porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi.
A nouveau, le Conseil constitutionnel a écarté le grief d'atteinte au principe d'égalité devant la loi (Cons. const., décision n° 2014-401 QPC du 13 juin 2014, cons. 5-6). L'indemnité de fin de contrat, normalement versée au salarié employé en CDD afin de compenser la précarité de sa situation lorsqu'à l'issue de son contrat, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un CDI, n'est pas due pour les contrats conclus pour une période de travail accompli pendant les vacances scolaires ou universitaires.
Les étudiants employés selon un contrat de travail à durée déterminée pour une période comprise dans leurs périodes de vacances scolaires ou universitaires ne sont dans une situation identique, selon le Conseil constitutionnel, ni à celle des étudiants qui cumulent un emploi avec la poursuite de leurs études ni à celle des autres salariés en CDD.
Aussi, en excluant le versement de cette indemnité lorsque le contrat est conclu avec un élève ou un étudiant employé pendant ses vacances scolaires ou universitaires et qui a vocation, à l'issue de ces vacances, à reprendre sa scolarité ou ses études, le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.
A nouveau, la solution diverge donc de celle préconisée par la Cour de cassation (Cass. soc., 9 avril 2014, n° 14-40001), reconnaissant que le régime en vigueur (article L. 1243-10 2° du Code du travail) traite de façon différente les jeunes ayant conclu un CDD pendant les vacances scolaires et universitaires par rapport, d'une part, aux étudiants ne répondant pas à ce critère d'âge, et, d'autre part, aux autres salariés ayant conclu un tel contrat, et serait susceptible de porter atteinte au principe d'égalité.
Au final, la solution retenue par le Conseil constitutionnel se résume par la formule bien connue en droit constitutionnel de "la différence de situation justifie une différence de traitement" (mêmes observations, supra, à propos du CDD d'usage). Le jeune qui conclut un CDD pour une période de travail accompli pendant les vacances scolaires ou universitaires n'est pas dans une situation identique au jeune, étudiant qui cumule un emploi avec la poursuite de leurs études ; ni à celle des autres salariés en CDD.
Le jeune ayant conclu un CDD pendant les vacances scolaires et universitaires ne rentre pas non plus dans les prévisions de l'indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. En effet, la loi caractérise la précarité dès lors qu'à l'issue d'un CDD, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un CDI. Or, en l'espèce, le jeune ayant conclu un CDD pendant les vacances scolaires et universitaires n'est pas dans une telle situation de précarité, puisqu'à l'issue des vacances, il n'a pas vocation à bénéficier d'un CDI, mais à reprendre des études. Il ne souffre pas d'un "préjudice de précarité" (6), que l'indemnité de fin de contrat répare.
Au final, la décision du Conseil constitutionnel est cohérente avec les solutions déjà admises par le législateur, s'agissant du CDD d'usage et du CDD saisonnier :
- les CDD d'usage bénéficient déjà d'un régime dérogatoire (absence d'indemnité de précarité ; pas de délai de carence entre deux contrats se succédant, C. trav., art. L. 1244-4, pas de durée maximale). La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, de sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU) (7) aménage pour ces contrats un régime à part, s'agissant de la modulation du taux de contribution chômage (pour les contrats d'usage dont la durée est inférieure à trois mois, bénéfice d'un moindre taux fixé à 4,5 %) ;
- les contrats saisonniers bénéficient de mesures dérogatoires au régime de droit commun du CDD (absence d'indemnité de précarité, C. trav., art. L. 1243-10 et de durée maximale). Le recours aux contrats saisonniers de courte durée (C. trav., art. L. 1242-2-3°) ne donne pas non plus lieu à majoration du taux de contribution chômage, en application de la loi de sécurisation de l'emploi.
(1) Conformité à la Constitution des articles L. 1242-2, 3° et L. 1243-10, 1° du Code du travail, relatifs aux cas de recours à un CDD, Lexbase Hebdo n° 575 du 17 juin 2014 - édition sociale, (N° Lexbase : N2682BUU) ; LSQ, n° 16612 du 18 juin 2014.
(2) Conformité à la Constitution de l'article L. 1243-10, 2° du Code du travail, relatif à l'indemnité de précarité, Lexbase Hebdo n° 575 du 19 juin 2014 édition sociale (N° Lexbase : N2680BUS) ; LSQ, n° 16612 du 18 juin 2014.
(3) Cass. soc., 9 avril 2014, QPC, n° 14-40.001, FS-P+B (N° Lexbase : A8247MIB) ; Cass. soc., 9 avril 2014, QPC, n° 14-40.009, FS-P+B (N° Lexbase : A8248MIC), D.J.-P., Jeunes pendant leurs vacances et salariés sous contrat d'usage exclus du bénéfice de l'indemnité de précarité : est-ce constitutionnel ?, JSL, n° 367 du 4 juin 2014 ; N. Malherbe, SSL, n° 1630 du 12 mai 2014 ; SSL, n° 1627 du 22 avril 2014 ; LSQ, n° 16571 du 14 avril 2014 ; nos obs., Dispense du versement de l'indemnité fin de contrat pour certains CDD : la discrimination est-elle caractérisée (Cass. soc., 4 avril 2014, n° 14-40.009), Lexbase Hebdo n° 568 du 1er mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2021BUE).
(4) Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-42.900 (N° Lexbase : A0711EBX), JSL, n° 244 du 24 novembre 2008.
(5) T. Lahalle, Pas d'indemnité de fin de contrat au titre des CDD d'insertion, JCP éd. S., n° 50, 14 décembre 2010, 1535.
(6) J. Icard, Exclusion de la prime de précarité de la base de calcul de l'indemnité de requalification d'un CDD en CDI et du salaire de référence, (note sous Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B N° Lexbase : A7441KSE, Cahiers sociaux, 1er février 2014 n° 260, p. 100).
(7) F. Bousez, CDD de courte durée : entre incitation et taxation, la modulation des taux de cotisation d'assurance chômage, JCP éd. S., n° 28, 9 juillet 2013, 1288 ; nos obs., commentaire des articles 3 à 10 de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, Lexbase hebdo n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5534BT7); Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, de sécurisation de l'emploi, Modulation des cotisations d'assurance chômage (art. 11), Lexbase hebdo n° 534 du 4 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7884BT8).
Décision
Cons. const., décisions n° 2014-401 (N° Lexbase : A5440MQK) et n° 2014-402 (N° Lexbase : A5441MQL) QPC du 13 juin 2014 Textes concernés: CSS, art. L. 381-4 (N° Lexbase : L5184ADD) ; C. trav., art. L. 1242-2-3° (N° Lexbase : L3209IMS), art. L. 1243-8 (N° Lexbase : L1470H9C), art. L. 1243-10 (N° Lexbase : L1473H9G). Mots-clés : indemnité de précarité ; versement ; dispense ; CDD saisonnier ; égalité de traitement ; atteinte (non) ; indemnité de précarité ; versement ; dispense ; CDD étudiant ; égalité de traitement ; atteinte (non). Liens base : (N° Lexbase : E7839ES7) |
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Réf. : Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-14.843, F-P+B+I (N° Lexbase : A3536MRE)
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Le 26 Juin 2014
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Réf. : CE, 24 juin 2014, n° 375081 (N° Lexbase : A6298MRP)
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Le 26 Juin 2014
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Réf. : CJUE, 19 juin 2014, aff. C-507/12 (N° Lexbase : A4328MRQ)
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Le 12 Juillet 2014
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 21 mai 2014, n° 354804, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5129MMW)
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N2814BUR
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen
Le 26 Juin 2014
I - La constitution des réserves foncières et l'expropriation
Le Code de l'urbanisme est particulièrement bref sur la procédure des réserves foncières. La notion de réserve foncière est, par nature, un outil qui n'est utilisé que pour permettre la mise en oeuvre d'autres procédures d'aménagement. C'est donc une sorte de canal juridique par lequel les collectivités publiques peuvent passer, ce qui explique que les éléments constitutifs de cette notion soient, pour le moins, succincts.
La constitution des réserves est étroitement liée à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et à la procédure d'aménagement de l'article L. 300-1 (N° Lexbase : L9105IZA) qui permet de garantir la réalisation de l'opération finale en vue de laquelle la réserve est constituée. L'article L. 221-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9826IA8), dans sa rédaction actuelle, précise que : "l'Etat, les collectivités locales, ou leurs groupements y ayant vocation, les syndicats mixtes, les établissements publics mentionnés aux articles L. 321-1 (N° Lexbase : L9357IZL) et L. 324-1 (N° Lexbase : L9361IZQ) et les grands ports maritimes sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d'expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d'une action ou d'une opération d'aménagement répondant aux objets définis à l'article L. 300-1". La loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008, portant réforme portuaire (N° Lexbase : L7060H7M), a, par rapport à la version applicable aux faits de l'espèce, étendu cette possibilité aux grands ports maritimes.
L'acquisition de terrains par voie de réserve foncière n'a pas pour objectif de permettre aux collectivités d'adopter les comportements que cette procédure a pour objet de limiter chez les propriétaires privés. Aussi bien, l'article L. 221-3 (N° Lexbase : L2383ATG) pose des conditions rigoureuses dans l'utilisation des terrains ainsi acquis : "la personne publique qui s'est rendue acquéreur d'une réserve foncière doit en assurer la gestion en bon père de famille. Avant leur utilisation définitive, les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l'objet d'aucune cession en pleine propriété en dehors des cessions que les personnes publiques pourraient se consentir entre elles et celles faites en vue de la réalisation d'opérations pour lesquelles la réserve a été constituée. Ces immeubles ne peuvent faire l'objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l'immeuble est repris en vue de son utilisation définitive". Le Code de l'urbanisme interdit donc aux collectivités d'utiliser les réserves foncières dans le but de spéculer. La vente des terrains n'est possible qu'entre personnes publiques et à la seule condition qu'elle permette la réalisation des opérations ayant motivé la constitution de la réserve.
La nature de ces opérations est définie par référence à l'article L. 300-1, lequel dessine les contours, plus qu'il ne définit, des "opérations d'aménagement". Celles-ci recouvrent en effet la mise en oeuvre des objectifs suivants : "un projet urbain, une politique locale de l'habitat, [...] organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, [...] favoriser le développement des loisirs et du tourisme, [...] réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, [...] lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, [...] permettre le renouvellement urbain, [...] sauvegarder ou [...] mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels". L'aménagement consiste pour les collectivités, dans le cadre de leurs compétences, à conduire ou à autoriser ces actions ou ces opérations et à assurer leur harmonisation.
Le juge administratif vérifie que le projet de la collectivité impose effectivement la constitution d'une réserve foncière (2). L'illégalité de l'objectif poursuivi par la collectivité dans la constitution de la réserve foncière suffit à provoquer l'annulation de la DUP et de l'arrêté de cessibilité (3). La construction d'une mairie (4) ou d'une station d'épuration ne rentrent pas dans les objectifs visés par le code (5), à la différence de l'extension d'une agglomération (6), de la construction d'un ensemble d'habitations dans un îlot insalubre (7), de la réalisation d'équipements sociaux culturels ou de logements sociaux (8), de la réalisation d'une aire de repos et de loisirs (9) ou d'un établissement scolaire (10). La légalité de l'opération n'est soumise à la condition que la date de réalisation de l'opération projetée soit d'ores et déjà déterminée (11).
Il serait trop long de seulement rappeler ici les grands axes de la procédure d'expropriation qui peut être mise en oeuvre pour assurer la constitution de réserve foncière. Le recours à l'expropriation garantit à la collectivité de s'assurer de l'acquisition des terrains par le transfert de propriété prononcé par voie judiciaire. Au regard de l'arrêt rapporté, on rappellera que l'expropriation n'est possible qu'après que l'utilité publique de l'opération a été reconnue, le plus souvent par le préfet (C. expr., art. L. 11-2 N° Lexbase : L2891HLN) qui doit également déclarer la cessibilité des parcelles concernées (C. expr., art. L. 11-8 N° Lexbase : L2900HLY), sans que ces décisions soient soumises à une obligation de motivation (12). L'utilité publique d'une expropriation fait l'objet d'un contrôle spécifique de la part de la juridiction administrative, contrôle qui a évolué progressivement depuis le fameux arrêt "Ville Nouvelle Est" et qui repose sur la théorie dite "du bilan" (13).
L'utilité publique ne peut être déclarée qu'à l'appui d'un dossier dont le code détermine soigneusement la composition. En particulier, l'article R. 11-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L3015HLA) précise : "II - Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ; 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser". Le Conseil d'Etat contrôle le caractère suffisant du dossier (14) et, notamment, de la notice explicative (15).
L'usage de l'expropriation pour la constitution de réserves foncières impose donc le respect des dispositions du Code de l'expropriation. Ceci se traduit, par exemple, par l'obligation, lorsque l'expropriation est susceptible de compromettre la structure des exploitations agricoles, de financer la réinstallation ou la reconversion des agriculteurs concernés (16). De même, le bien-fondé de la demande de rétrocession prévue à l'article L. 12-6 (N° Lexbase : L2915HLK) doit être appréciée sur le fondement des objectifs poursuivi lors de la constitution de la réserve foncière (17). Toutefois, dès lors que l'expropriation a pour but la constitution de réserves foncières, l'enquête n'est pas soumise aux prescriptions de l'article L. 123-8 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9343IZ3), ni à celles des articles R. 11-14-1 et suivants et les acquisitions d'immeubles projetées ne relèvent pas des dispositions de l'article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature (N° Lexbase : L4214HKB) et de son décret d'application du 12 octobre 1977 (décret n° 77-1141 N° Lexbase : L8893IQG) (18). La mise en compatibilité préalable du document d'urbanisme n'est donc pas obligatoire, dès lors la constitution de la réserve se borne à l'acquisition des terrains sans que le plan des aménagements soit encore défini (19).
II - Le contrôle du Conseil d'Etat sur la constitution des réserves foncières
L'arrêt du 21 mai 2014 opère une clarification très nette du contrôle de la légalité de l'opération de constitution d'une réserve foncière par voie d'expropriation et appelle plusieurs observations
Tout d'abord, le Conseil d'Etat précise l'étendue de son contrôle en tant que juge de cassation. La jurisprudence antérieure avait déjà permis d'introduire dans la liste mouvante des qualifications juridiques contrôlées en cassation la question de savoir si la modification d'un plan d'occupation des sols est une action ou une opération d'aménagement au sens des dispositions de l'article L. 300-2 du Code de l'urbanisme (20).
Dans l'arrêt du 21 mai 2014, le Conseil d'Etat confirme l'étendue de son contrôle en ce domaine, manifestant ainsi sa volonté de maintenir une surveillance de l'action des personnes publiques qui peut s'expliquer par l'atteinte au droit de propriété provoquée par la constitution d'une réserve foncière. C'est ainsi que l'arrêt précise "qu'en jugeant que la communauté d'agglomération de Montpellier ne justifiait pas poursuivre une action ou une opération d'aménagement au sens des articles L. 221-1 et L. 300-1 du Code de l'urbanisme, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce".
Ensuite, le Conseil précise le contrôle qui doit être réalisé par le juge administratif sur la constitution de réserves foncières. Après avoir rappelé les dispositions applicables, l'arrêt énonce l'interprétation suivante : "il résulte de ces dispositions que les personnes publiques concernées peuvent légalement acquérir des immeubles par voie d'expropriation pour constituer des réserves foncières, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle la procédure de déclaration d'utilité publique est engagée, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si le dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique fait apparaître la nature du projet envisagé, conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique".
Cette interprétation appelle plusieurs observations.
Le Conseil précise que le recours à la procédure d'expropriation pour la constitution de réserves foncières est possible dès lors que l'opération projetée rentre dans les larges catégories de l'article L. 300-1, précision évidente, alors même, ce qui est plus intéressant, qu'à la date de mise en oeuvre de la procédure de déclaration d'utilité publique, les caractéristiques du projet n'auraient pas été définies précisément. On pouvait difficilement imaginer une autre solution dès lors que l'essence même des réserves foncières consiste à se projeter dans le futur.
On relèvera également que, si le Conseil d'Etat fait référence au Code de l'expropriation, il ne précise pas les articles qu'il estime être concernés. Toutefois, dès lors qu'il est fait état du dossier de demande, il ne semble guère faire de doute qu'il s'agit de l'article R. 11-4 puisque ce dernier définit la composition de ce dossier. Il faut relever que la solution dégagée par la Haute assemblée peut facilement s'appuyer sur le caractère somme toute assez peu précis des prescriptions de cet article. En effet, le II de l'article R 11-4 précédemment rappelé ne définit pas le contenu de la notice explicative.
Surtout, le caractère innovant de la solution retenue par le Conseil apparaît pleinement lorsqu'on relève que la cour administrative d'appel s'était exclusivement placée sur le terrain du contrôle traditionnel de l'utilité publique, sans prendre en considération l'intégration de la procédure d'expropriation dans le cadre de la réserve foncière. La cour avait, en effet, repris à son compte le traditionnel considérant de principe selon lequel "une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à l'environnement et à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt public qu'elle présente". En appréciant la légalité de la DUP prise dans le cadre de la constitution d'une réserve foncière selon les critères de la jurisprudence "Ville Nouvelle Est", la Cour s'était, apparemment, placée dans la ligne définie par la jurisprudence antérieure (21).
Toutefois, le juge de cassation procède à une censure implicite mais certaine de l'erreur de droit ainsi commise par les juges d'appel. Dans le cadre de l'article L. 221-1, le contrôle juridictionnel comporte, en effet, deux étapes : la première concerne l'application cumulée des articles L. 221-1 et L 300-1 du Code de l'urbanisme, à l'occasion de laquelle le juge doit vérifier si l'opération constitue effectivement une opération d'aménagement au sens de ces articles ; le second niveau réside dans le contrôle intrinsèque de l'utilité publique de l'opération envisagée. Il est tout à fait remarquable de relever que le Conseil d'Etat ne se place à aucun moment sur le terrain de l'utilité publique. En effet, il résulte très clairement de cet arrêt que le juge doit procéder aux deux contrôles successifs en faisant usage de deux outils différents : le contrôle de l'utilité publique de l'expropriation ne peut être utilisé pour procéder au contrôle de la légalité du recours à la procédure de constitution de la réserve foncière.
Enfin, la motivation de la censure de la qualification juridique des faits qui avait été retenue par la cour administrative d'appel montre le caractère libéral de la solution retenue par le juge de cassation. Le détail de l'arrêt permet d'apprécier les différents critères que le juge doit prendre en compte. Il faut tout d'abord apprécier les caractéristiques intrinsèques des terrains visés par l'opération. Dans la continuité de la jurisprudence qui fait preuve d'une vigilance accrue lorsque les parcelles sont déjà aménagées, voire occupées par des maisons d'habitation, le Conseil souligne la nature des terrains qui sont constitués "de terrains en friches non équipés et non viabilisés, d'une superficie inférieure à 4 hectares, situés dans une zone destinée principalement, selon le règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Montpellier, à l'implantation d'activités". Le Conseil d'Etat prend également en considération l'environnement immédiat afin de s'assurer de la cohérence du projet de la collectivité. C'est ainsi qu'il relève "qu'au titre de sa compétence en matière de développement économique, la communauté d'agglomération de Montpellier a créé dans cette zone en 2000 un parc d'activités dit Parc 2000', sous la forme d'une zone d'aménagement concerté, puis a procédé en 2006 à l'extension de ce parc d'activités en créant une deuxième zone d'aménagement concerté". La création d'une réserve foncière destinée à des activités conformes à cet environnement est donc cohérente.
Après les caractéristiques physiques du terrain, c'est au tour de l'environnement juridique d'être pris en compte. Le Conseil constate ainsi que le projet de la communauté d'agglomération est cohérent avec les orientations du document d'urbanisme en relevant que "la notice explicative jointe aux dossiers d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique et d'enquête parcellaire indiquait que la communauté d'agglomération de Montpellier avait pour projet, en application des dispositions de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme, de réserver les terrains en cause pour garantir la réalisation d'un aménagement conforme à la vocation de la zone définie par le plan local d'urbanisme, correspondant à l'extension du parc d'activités 'Parc 2000'".
Le contenu même du dossier d'expropriation doit également être apprécié par le juge administratif, selon le critère relativement restreint énoncé dans le considérant de principe de l'arrêt : le juge doit se limiter, au regard du caractère futur et éventuellement éloigné de l'opération, à un contrôle de cohérence générale sans pouvoir exiger que la collectivité soit en mesure de justifier précisément de son projet. C'est ainsi que l'arrêt relève "que la notice explicative précisait également que l'aménagement de cette zone à vocation principale d'activités serait réalisé dans le cadre du développement économique de l'agglomération, après définition d'un schéma d'aménagement d'ensemble qui viserait notamment la structuration urbaine des abords de l'avenue Pablo Neruda et pourrait, en outre, accueillir des équipements publics et privés, ainsi que des programmes de logements, en particulier dans sa partie sud qui devrait être directement desservie par la troisième ligne de tramway". Ainsi qu'on peut le constater, il n'est pas trop difficile à la collectivité qui poursuit l'opération de faire "apparaître la nature du projet envisagé" au sens de cet arrêt.
Au terme d'une décision finalement très pédagogique pour les juges du fond, le Conseil peut censurer la qualification juridique retenue par les juges du fond et renvoyer à la cour administrative d'appel le soin d'apprécier l'utilité publique de l'opération.
(1) CAA Marseille, 6ème ch., 10 octobre 2011, n° 09MA04469 (N° Lexbase : A9824HZU).
(2) CE 1° et 4° s-s-r., 8 novembre 1993, n° 117248, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1142ANM) ; CE 10° et 6° s-s-r., 8 mai 1981, n° 23157, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6620AKE).
(3) CE 1° et 4° s-s-r., 30 avril 1997, 140446, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9257AD9).
(4) CE 3° et 5° s-s-r., 22 janvier 1988, n° 69327, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7950AP7).
(5) CE 3° et 5° s-s-r., 2 avril 1993, n° 86128, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9188AMA).
(6) CE 2° et 6° s-s-r., 22 mai 1992, n° 100206, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6831ARG) ; CE 2° et 6° s-s-r., 18 décembre 1991, n° 88084, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3009ARU) ; CE, 27 mars 1991, n° 76227, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1267ARD).
(7) CE 2° et 6° s-s-r., 4 juillet 1997, n° 155649, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0797AEA).
(8) CE 2° et 6° s-s-r., 6 mai 1996, n° 152640, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9110ANQ) ; CE 2° et 6° s-s-r., 18 octobre 1995, n° 121195, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6009ANU).
(9) CE 2° et 6° s-s-r., 15 janvier 1996, n° 132927, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7155ANC).
(10) CE 2° et 6° s-s-r., 6 mars 1989, n° 76764, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2805AQX).
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 4 juillet 1997, n° 155649, inédit au recueil Lebon, préc..
(12) CE 7° et 10° s-s-r., 8 juin 1994, n° 140140, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1622ASU).
(13) CE, Ass., 28 mai 1971, n° 78825, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9136B8U).
(14) CE 2° et 6° s-s-r., 31 janvier 1994 n° 106033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9219ARU).
(15) CE 7° et 10° s-s-r., 28 février 1994, n° 129190, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9409ARW).
(16) CE 2° et 6° s-s-r., 14 janvier 1994, n° 94466, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9913B7B) ; CE 1° et 6° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 306423, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0316EQR).
(17) CE 1° et 2° s-s-r., 16 juin 2000, n° 197772, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9397AG7).
(18) CE 2° et 6° s-s-r., 18 octobre 1995, n° 121945, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6016AN7).
(19) CE 4° et 10° s-s-r., 3 avril 1991, n° 109617, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9891AQE).
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 20 décembre 2000, n° 210219, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2052AIT).
(21) CE 2° et 6° s-s-r., 4 juillet 1997, n° 155649, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0797AEA) ; CE 2° s-s., 11 septembre 1996, n° 116292, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0716AP9) ; CE 2° et 6° s-s-r., 6 mai 1996, n° 152640, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9110ANQ) ; CE 2° et 6° s-s-r., 14 février 1996, n° 93831, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0018B88) ; CE 2° et 6° s-s-r., 15 janvier 1996, n° 132927, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7155ANC) ; CE 6° et 10° s-s-r., 31 janvier 1986, n° 54938, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5323AM4).
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