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N2794BUZ
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 19 Juin 2014
Chacun ? Pas tout à fait bien entendu ! Chaque règle souffre son exception et celle des articles 12, 9 et 10 précités est de taille : les célébrités. La vie privée de ces dernières est confrontée, plus que toute autre, à un principe démocratique de prime importance : la liberté d'expression. Et, c'est cette liberté fondamentale qui explique la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 12 juin 2014, pour avoir sanctionné, dans un arrêt définitif du 27 février 2007, un organe de presse ayant révélé l'existence d'un fils naturel du Prince monégasque régnant.
L'arrêt est des plus pédagogiques : la détermination de l'équilibre entre "l'espérance légitime" des célébrités à la protection de leur vie privée, "espérance" consacrée dans un arrêt de la CEDH du 24 juin 2004, et le droit à l'information, sur lit de liberté d'expression nécessaire dans une société démocratique pour le débat public, y est savamment concoctée.
Pour mettre en balance le droit à la liberté d'expression et celui au respect de la vie privée, la Cour met en perspective les critères classiques suivants : la contribution à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée et l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d'obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication et les circonstances de la prise des photos ainsi que la gravité des sanctions imposées.
S'agissant en particulier de la contribution à un débat d'intérêt général, la Cour relève qu'il convient de distinguer entre le message central de l'article et les détails qui y étaient contenus. L'article et les photos publiés traitaient de la descendance d'un Prince régnant, en révélant l'existence de son fils naturel, jusqu'alors inconnu du public. Même si, en l'état actuel de la Constitution monégasque, cet enfant ne peut prétendre succéder à son père, son existence même est de nature à intéresser le public et notamment les citoyens de Monaco. En outre, l'attitude du Prince pouvait être révélatrice de sa personnalité et de sa capacité à exercer ses fonctions de manière adéquate. En l'espèce, les impératifs de protection de la vie privée du Prince et le débat sur l'avenir de la monarchie héréditaire étaient donc en concurrence. Or, il s'agit d'une question d'importance politique. Il y avait donc un intérêt légitime du public à connaître l'existence de cet enfant et à pouvoir débattre de ses conséquences éventuelles sur la vie politique de la Principauté de Monaco. Toutefois, cette analyse ne pouvait s'appliquer à tous les détails sur la vie privée du Prince et de la mère de l'enfant qui étaient mis en avant dans le texte. La Cour conclut que la condamnation des requérantes porte indistinctement sur les informations relevant d'un débat d'intérêt général et sur celles qui concernent exclusivement des détails de la vie privée du Prince. En conséquence, malgré la marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants en la matière, la Cour estime qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre, d'une part, les restrictions au droit des requérantes à la liberté d'expression, imposées par les juridictions nationales et, d'autre part, le but légitime poursuivi.
Au-delà du ce seul cas d'espèce, c'est tout de même la sévérité de la Cour de cassation et des juridictions françaises qui est ici remise en cause. En 2004, le Quai de l'Horloge estimait également que le droit au respect de la vie privée de la fille mineure d'une famille princière avait été violé dès lors que l'intéressée n'était impliquée dans aucun événement d'actualité dont l'importance aurait justifié la publication d'informations. Et, il en allait de même pour la photographie du fils d'une présentatrice de télévision, non concerné par l'événement d'actualité qui n'est qu'accessoirement relaté, en 2006. Le 20 mars 2014, le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'opposait à ce que l'animateur d'une émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-ils l'un et l'autre des personnalités notoires et dès lors légitimement exposées à la libre critique et à la caricature incisive. En l'espèce, il s'agissait du petit-fils d'un ancien Président de la République. La protection des enfants des célébrités est donc clairement assurée par le juge quand l'enfant ne participe d'aucune manière à un évènement public ou d'actualité sans relation aucune d'ailleurs avec son célèbre parent. Finalement, on pouvait croire que seule la révélation d'indications anodines ne pouvait constituer une violation de l'intimité des intéressés. Mais, en 2004, la Cour de cassation avait décidé que la révélation de la grossesse d'une princesse était légitime dans la mesure où il s'agissait d'un fait public, objet d'un débat d'intérêt général. L'affaire soumise à l'appréciation de la CEDH le 12 juin 2014 était aux confins de ces deux jurisprudences. L'enfant naturel n'avait participé à aucune manifestation ou n'avait commis aucun fait digne d'actualité, mais son existence même relevait du débat public en ce qu'elle avait trait au principe dynastique de la monarchie monégasque.
En France, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Et, c'est la loi du 29 juillet 1881, fruit d'un consensus entre républicains et conservateurs de l'époque, qui en dresse justement les contours. Assurément, la loi de 1881 entendait desserrer l'étau de la loi du 16 juillet 1871 par trop contraignante avec la presse, en réaction aux évènements de la Commune. Et, c'est ce libéralisme de la presse qui a permis la révélation des grands scandales politiques et financiers du siècle passé. Evidement, ce qui dérange finalement, c'est lorsque le débat public n'est animé ni par une confrontation d'idées, de politiques, ni par un évènement public, voire privé ou intime, mais l'existence même d'une personne constituant en elle-même le coeur d'un débat public... à l'heure de l'égalité, de la République et de la protection des données personnelles, bref de l'impérieux anonymat de chacun.
Il ne fait aucun doute que la révélation du fils naturel d'un Prince régnant avait plus avoir avec la satisfaction d'un voyeurisme bon teint qu'avec l'ouverture d'un quelconque réel débat public... même sur le rocher monégasque. Mais, finalement le plus cocasse n'est-il pas que l'exercice démocratique souffre justement de l'atteinte à la vie privée lorsque le débat monarchique est en jeu ? La Cour européenne donne ici une étonnante leçon de libéralisme à la France, fille de la Révolution, refluant presque la Cour de cassation dans le rôle d'un Parlement d'Ancien régime qui, comme en 1768, condamnait les colporteurs de "libelles impies et contre les moeurs" au fer rouge, aux galères et au bannissement ; encore que les libraires ne risquaient que quelques mois d'embastillement et les auteurs, parfois Pairs de France, quasiment rien... "Suivant que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir" versifiait La Fontaine dans ses animaux malades de la peste. C'est de ce combat là que relève l'équilibre entre la vie privée des célébrités et la liberté d'expression des organes de presse...
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N2766BUY
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Le 25 Juin 2014
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N2732BUQ
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
Le 19 Juin 2014
La solution rendue par la Cour de cassation dans cet arrêt, inédit, est peut être une autre façon de résoudre la question de l'exclusion des faits volontairement causés par l'assuré. On retrouve dans un arrêt du 18 octobre 2012 une logique similaire (1). On pourrait formuler de différentes façons la question théorique à laquelle ces deux solutions apportent une réponse : le contrat peut-il définir à sa façon (autrement dit plus libérale !) l'exclusion des faits volontaires de l'assuré ? La définition de la faute intentionnelle ou dolosive telle qu'elle résulte de la jurisprudence peut-elle faire l'objet d'aménagements contractuels ? Quelle que soit la façon de formuler le questionnement, la réponse semble être positive. En l'espèce, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir tenu compte de la clause d'exclusion conventionnelle figurant dans le contrat.
La solution apparaît comme un moyen d'éviter la rigueur et l'insécurité juridique régnant à nouveau concernant l'exclusion légale. On sait, en effet, que la jurisprudence, après une période de flottement, a fini par consacrer à nouveau une conception restrictive de la faute intentionnelle, cause d'exclusion légale de garantie. Elle se conçoit comme la volonté de réaliser le dommage tel qu'il est survenu (2). Dans notre affaire, un incendie volontaire et vengeur s'étend au-delà de ce que souhaite l'incendiaire et dégrade les biens d'un tiers non visé. On sait que la faute intentionnelle serait difficilement retenue dans ce cas. Pour compenser les conséquences extrêmes de cette conception, la jurisprudence semble vouloir donner un sens propre au terme "dolosive " figurant dans l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) (3). Mais son domaine reste encore incertain. On comprend dès lors la démarche de l'assureur qui tente de s'approprier la mécanique de l'exclusion de ces comportements.
Le moyen consistant à rédiger une exclusion conventionnelle des faits volontaires est-il cependant d'une efficacité absolue ? Rien n'est moins sûr et plusieurs raisons peuvent en faire douter.
D'abord, une solution un peu antérieure de la Cour de cassation (4) semble devoir calmer tout optimisme dans une hypothèse d'agression dans laquelle l'assurée fait chuter, par peur, la victime. Les juges du fond avaient cru pouvoir dénier la garantie de l'assureur en appliquant une clause excluant "les conséquences de vos actes intentionnels ou des actes effectués avec votre complicité et dans le but de porter atteinte à des biens ou à des personnes, sauf cas de légitime défense". La Cour de cassation leur reproche de ne pas caractériser une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 et la volonté de porter atteinte à la victime comme l'exige le contrat. Autrement dit, la rédaction de la clause peut comporter des exigences qui s'imposent au juge et compliquent l'exclusion des faits volontaires au lieu de la faciliter.
Puisqu'il est question, ensuite de rédaction de la clause, rappelons que l'exclusion conventionnelle est soumise à un régime draconien qu'il faut respecter au risque de voir la clause réputée non écrite. Elle doit figurer en caractères très apparents dans la police et être formelle et limitée (5). L'assureur doit, en outre, prouver que cette exclusion est constituée. Un développement de l'exclusion des faits volontaires conduira nécessairement à la mise à l'épreuve de ces clauses du point de vue de leur régime juridique. Il faudra rapidement faire le choix entre des clauses restrictives à l'utilité limitée, comme nous venons de le voir, et des clauses plus larges mais risquant d'être inefficaces en raison du fait qu'elles ne sont pas assez précises ou limitées.
Enfin, même si elles sont valables, ces clauses ne seront efficaces que pour certaines catégories de personnes. Elles ne peuvent en effet avoir d'efficacité à l'égard des personnes dont l'assuré est civilement responsable en vertu de l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) car il l'est quelle que soit "la nature et la gravité " de leurs fautes (6).
Est-ce faire preuve de mauvais esprit que de considérer, finalement, que déplacer l'exclusion des faits volontaires dans les exclusions conventionnelles ne revient, pour l'assureur, qu'à changer le type de difficultés à affronter ?
II - Assurance des véhicules terrestres à moteur
La publication au bulletin, ainsi que la formulation de la solution dans un attendu de principe, indiquent une volonté d'établir incontestablement la jurisprudence sur la question traitée dans cet arrêt. Il existe un précédent à cette solution dont la formule ne comportait pas de référence à l'ordre public : "les articles L. 211 -9 (N° Lexbase : L6229DIK) et L. 211-13 (N° Lexbase : L0274AAE) du Code des assurances ne dérogent pas aux dispositions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7) qui s'appliquent, de manière générale, aux intérêts moratoires" (7).
La solution ne relève manifestement pas de l'évidence. La confusion provient des termes utilisés dans l'article L. 211-13 du Code des assurances. Ce dernier dispose que, en cas d'accident de la circulation, si l'assureur ne fait pas d'offre dans les délais prévus par l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal "à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif". Cette production d'intérêt semble naturellement appeler l'application de l'article 1154 du Code civil qui prévoit la capitalisation des intérêts échus des capitaux s'ils sont dus au moins pour une année. Néanmoins, l'article L. 211-13 prévoit dans une seconde disposition un pouvoir de réduction du juge pour cette "pénalité". Les conseillers de la Cour d'appel de Paris (9 janvier 2013) ont considéré que, la production d'intérêt au double du taux légal étant une pénalité, ne pouvait être qualifiée d'intérêts échus de capitaux. Ce raisonnement est conforté par les arguments d'un auteur (8) qui considère que l'anatocisme n'a pas sa place dans l'article L. 211-13 dans la mesure où il ne vient pas compenser un retard mais sanctionner l'inexécution de l'obligation de faire une offre. En poursuivant cette logique, on pourrait d'ailleurs considérer que l'application de la règle de l'article 1154 a pour effet d'augmenter la sanction prévue par le législateur et de la rendre disproportionnée (9). C'est manifestement dans cet esprit que se situe l'arrêt de la cour d'appel.
Cette série d'arguments tirée de l'utilisation du terme de "pénalité" est discutable. On peut d'abord rappeler qu'il ne faut pas exagérer l'emploi du terme. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que "la majoration du taux d'intérêt légal en cas de retard de présentation de l'offre d'indemnisation de l'assureur ne constitue pas une peine au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen" (10). Il y a, dès lors, une certaine cohérence à appliquer l'article 1154 dès lors que l'on considère que le doublement du taux légal n'est pas une peine. Au-delà même de cet argument, et ensuite, il semble que cette disposition trouve parfaitement sa place dans la procédure d'indemnisation en matière d'accidents de la circulation. Il ne faut pas s'y tromper, si l'assureur est sanctionné pour ne pas avoir fait une offre dans les délais, c'est bien parce qu'au final il retarde l'indemnisation de la victime (ce qui est le but de la procédure !) qui n'aura pas pu profiter (dans tous les sens du terme !) des sommes qui lui sont dues. Le principe d'application d'un taux à compter du retard n'est que le jeu adapté de la mécanique des intérêts moratoires qui doit produire sa logique jusqu'à l'application de l'anatocisme. La sanction de l'assureur réside dans le doublement de ce taux. Pour ces différentes raisons, la solution de la Cour de cassation qui montre une position unifiée des chambres, est parfaitement justifiée.
L'application dans son principe de l'anatocisme conduit à quelques rappels sur son régime. Du point de vue des conditions, la jurisprudence s'en tient aux exigences posées par le texte. Le jeu de l'anatocisme suppose qu'une demande soit faite par le créancier (11) et qu'elle concerne des intérêts dus pour au moins une année. L'exigence n'a pas à être satisfaite au moment de la demande, il suffit qu'elle porte sur des intérêts dus pour une telle durée (12). Les juges s'éloignent un peu du texte par mesure de faveur envers le débiteur. L'application de l'article 1154 peut, en effet, être refusée s'il est démontré que le créancier a commis une faute susceptible de faire obstacle à la capitalisation (13).
Dans la procédure d'indemnisation des accidents de la circulation, le recours à cette jurisprudence n'est pas forcément nécessaire. L'article L. 211-13 prévoit, en effet, la réduction de la pénalité même en raison de circonstances de fait non imputables à l'assureur.
Quand le droit commun aggrave la situation de l'assureur, le droit spécial a parfois du bon...
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Réf. : Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-17.318, F-P+B (N° Lexbase : A2129MRB)
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N2789BUT
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Le 19 Juin 2014
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Réf. : Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 13-14.363, F-P+B (N° Lexbase : A2935MQR)
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N2722BUD
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI), Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la responsabilité"
Le 19 Juin 2014
Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), au motif "qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 1999, conforme à une jurisprudence constante selon laquelle une décision de cour d'appel, lorsqu'elle n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution, a force de chose jugée dès son prononcé conformément à l'article 500 du Code de procédure civile, ne constituait ni un revirement ni même l'expression d'une évolution imprévisible de la jurisprudence, ce dont il résultait que Mme Z... et M. Y... [les conseils de la SCI] n'étaient pas fondés à s'en prévaloir pour s'exonérer de leur responsabilité, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
Personne ne contestait évidemment, dans cette affaire, que l'avocat, tenu d'une obligation particulière d'information et de conseil, et investi d'un devoir de compétence, est tenu d'accomplir toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention. On ne reviendra pas ici, pour y avoir déjà insisté à plusieurs reprises, sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur l'avocat, dont la violation constitue évidemment une faute susceptible d'engager sa responsabilité civile, peu important d'ailleurs, à cet égard, que l'avocat, investi d'une mission d'assistance et de représentation, le soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général l'obligeant, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, ou bien d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire. Il lui appartient ainsi de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (2), d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir, notamment quant à l'existence et l'opportunité des voies de recours (3). Plus généralement, et selon la jurisprudence, de façon distincte, l'avocat est tenu, ce que ne manquait au demeurant pas de relever au cas présent la SCI dans son pourvoi, d'une obligation de compétence impliquant une parfaite connaissance du droit positif (4).
La seule question qui se posait en l'espèce, la SCI ayant fait valoir qu'elle n'avait pu exercer son droit de repentir faute d'avoir été informée en temps utile du prononcé de l'arrêt statuant sur l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation des lieux, consistait à savoir si la fixation du point de départ du délai d'exercice du droit de repentir au jour du prononcé de l'arrêt d'appel était une solution déjà admise en jurisprudence à la date de l'intervention de l'avocat ou bien au contraire si cette solution n'avait été admise que postérieurement -étant entendu que c'est bien au jour du fait générateur de responsabilité qu'il convient de se placer pour décider si le moyen était opérant car c'est en fonction du droit en vigueur à ce moment là que l'on peut apprécier la faute de l'avocat (5)-.
Dans le premier cas, évidemment, l'avocat aurait commis une faute déduite d'un manquement à ses devoirs d'information, de conseil et de compétence en n'attirant pas en temps utile l'attention de son client sur les conditions d'exercice de son droit de repentir, alors que, à suivre la jurisprudence ayant eu à connaitre de ce genre de situation, aucune faute n'aurait sans doute pu lui être imputée dans le second. On sait bien en effet que, s'il est certes de l'essence de toute création prétorienne que la solution retenue par le juge, fût-elle novatrice, s'applique aux faits à propos desquels il a été saisi, par hypothèse, antérieurs à sa décision, il est pour autant a peu près acquis en jurisprudence que "les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence" (6).
La solution est, en pareil cas de figure, parfaitement justifiée : appliquer rétroactivement un revirement de jurisprudence conduirait à nier le pouvoir créateur de la jurisprudence. Au contraire, c'est parce qu'une règle nouvelle, issue du revirement, vient régir des faits passés qu'elle ne peut de façon systématique s'appliquer à des situations juridiques antérieures. L'impératif de sécurité juridique commande que soient sauvegardées la prévisibilité des situations et les espérances légitimes des justiciables. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, statuant sur l'obligation de réitérer tous les trois mois des actes interruptifs de prescription pour l'action fondée sur une atteinte à la présomption d'innocence, a ainsi fait obstacle à l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours. Selon elle, l'application de la solution issue du revirement de jurisprudence aurait abouti "à priver la victime d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, en lui interdisant l'accès au juge" (7). Bien que certains arrêts aient paru faire du droit à l'accès au juge le critère de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence (8), on peut penser que la Cour de cassation n'entend pas limiter pareille modulation à cette seule hypothèse, à savoir celle dans laquelle serait en cause le droit au procès équitable et à l'accès au juge. Le communiqué accompagnant la décision de l'Assemblée plénière avait, d'ailleurs, pris le parti de replacer la solution dans un contexte plus général, en soulignant qu'"imposer aux justiciables l'application d'une règle qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique et à contredire illégitimement leurs prévisions" (9). L'interprétation qui consisterait à considérer que le droit d'accès au juge est la seule exception admise au principe de la rétroactivité de la jurisprudence serait exagérément réductrice "car seule l'appréciation au cas par cas permet d'évaluer la gravité des conséquences d'un revirement à même d'imposer sa modulation. Hors le cas privilégié du droit d'accès au juge, l'atteinte aux prévisions légitimes des parties est ainsi fréquemment invoquée" (10). C'est au demeurant ce que suggèrent les arrêts qui ont eu à apprécier la responsabilité civile professionnelle de l'avocat ou du notaire (11).
Mais à supposer qu'on tienne la solution acquise s'agissant de l'avocat, et que donc on considère que ses éventuels manquements à ses obligations professionnelles ne doivent s'apprécier qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, pour en déduire qu'on ne peut "lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence", encore faut-il être bien en présence d'un revirement de jurisprudence. La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'y insister, exigeant un "revirement" ou, à tout le moins, une "évolution imprévisible du droit positif" : inversement, l'avocat est tenu, dans l'action qu'il engage pour le compte de son client, de "faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer" (12). En réalité, ce ne sont pas seulement les évolutions acquises du droit positif qui doivent être prises en considération mais encore leur portée probable et peut-être aussi les évolutions raisonnablement prévisibles (13). Pour le notaire, la Cour de cassation l'avait déjà admis lorsqu'elles font naître une incertitude juridique. Ainsi a-t-elle jugé que "l'existence d'une incertitude juridique ne dispense pas le notaire de son devoir de conseil" (14).
Dans notre arrêt, en tout cas, la réponse de la Cour de cassation à la question qui lui était posée est catégorique : la solution litigieuse relative au point de départ du délai d'exercice du droit de repentir était acquise au moment de l'intervention de l'avocat. Il reste que, dans certaines hypothèses, l'identification d'un "revirement" est difficile, d'autant que "l'élaboration d'un revirement est souvent accompagnée d'une 'période d'incertitude', qui s'ouvre lorsqu'un arrêt marque une évolution de l'interprétation et dure tant que sa portée reste indéterminée" (15).
(1) P. Deumier, RTDCiv., 2009, p. 493.
(2) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(3) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(4) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92, RTDCiv., 2009, p. 493, obs. Deumier, ibid. p. 725, obs. Jourdain, jugeant que, tenu d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et investi d'un devoir de compétence, l'avocat, sans que puisse lui être imputé la faute de n'avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer - Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.193, F-P+B+I (N° Lexbase : A9962KBL).
(5) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, préc., et sur ce point les obs. de P. Jourdain, préc..
(6) Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-24.550, F-P+B+I (N° Lexbase : A2907H88), Bull. civ. I, n° 214 et, dans le même sens, à propos d'un notaire, Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, n° 95-22.240 (N° Lexbase : A0801ACN), Bull. civ. I, n° 328.
(7) Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), Bull. ass. plén., n° 15.
(8) Cass. civ. 1, 11 juin 2009, n° 08-16.914 (N° Lexbase : A0517EIY) Bull. civ. I, n° 124, et Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-68.928, F-P+B (N° Lexbase : A0378GDD), Bull. civ. IV, n° 159.
(9) Comp. CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW), RTDCiv., 2007. 534, AJDA, 2007. 1577, chron. F. Lenica et J. Boucher, RFDA, 2007. 696, concl. D. Casas ; et V. le dossier spécial RFDA, 2007, n° 5.
(10) P. Deumier, RTDCiv., 2009, p. 417, et les références citées.
(11) Voir toutefois, auparavant, s'agissant d'un médecin, Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564 (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249, D., 2001, p. 340, rapp. P. Sargos, et note D. Thouvenin.
(12) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92.
(13) Voir P. Jourdain, RTDCiv., 2009, p. 725.
(14) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-21.407 (N° Lexbase : A0784ACZ), Bull. civ. I, n° 362 ; Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 00-16.447, FS-P (N° Lexbase : A1826A7R), Bull. civ. I, n° 50.
(15) P. Deumier, RTDCiv., 2009, p. 493.
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Réf. : Loi n° 2014-617 du 13 juin 2014, relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence (N° Lexbase : L4865I3L)
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N2687BU3
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Le 19 Juin 2014
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Réf. : Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-14.258, FS-P+B (N° Lexbase : A2085MRN)
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N2705BUQ
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Le 21 Juin 2014
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Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2014, n° 14-60.534, F-P+B (N° Lexbase : A2124MR4)
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N2709BUU
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Le 21 Juin 2014
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 11 juin 2014, n° 362620, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6696MQ3)
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N2711BUX
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Le 20 Juin 2014
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Réf. : CJUE, 12 juin 2014, aff. C-39/13, C-40/13 et C-41/13 (N° Lexbase : A2810MRI)
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N2706BUR
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Le 19 Juin 2014
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Réf. : Lire le communiqué de presse de la Commission du 11 juin 2014
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N2679BUR
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Le 26 Juin 2014
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Réf. : Cass. soc., 12 juin 2014, n° 11-20.985, F-P+B (N° Lexbase : A2160MRG)
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N2762BUT
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Le 20 Juin 2014
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Réf. : Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.626, F-P+B (N° Lexbase : A5701MLQ)
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N2683BUW
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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
Le 19 Juin 2014
I - Un arrêt justifié quant à l'importance du champ contractuel
L'assureur entendait faire jouer la clause de condition de garantie ou de déchéance, en reprochant à l'assuré une double faute. En premier lieu, il n'a pas déclaré l'hypothèque maritime grevant le navire. En second lieu, il a fait naviguer le navire sans permis de navigation et certificat de franc-bord valides. Ces comportements contreviennent à des conditions générales, respectivement l'article 11 de la police française d'assurance maritime sur corps de navires de pêche artisanale et l'article 1er des conditions de couverture figurant dans un document intitulé " SAMM pêche 2008 ".
Le problème résidait dans l'intégration de ces conditions générales au contrat signé par le propriétaire de l'Assunta II. En effet, ce contrat ne mentionnait pas la prise de connaissance par l'assuré des conditions générales. Il ne comportait pas davantage un renvoi à ces conditions générales, lesquelles n'avaient pas été signées par l'assuré. Ainsi, aucun élément objectif ne permettait d'établir que ce dernier avait eu connaissance des conditions générales que l'assureur voulait lui opposer.
Certes, ces conditions générales sont usuelles, et avaient en outre, par le passé, été acceptées par l'assuré dans un contrat d'assurance garantissant un autre navire qui lui appartenait alors (l'Assunta I).
La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, n'est pas sensible à ces derniers arguments. Même si elle n'emploie pas l'expression, elle considère que les conditions générales, et particulièrement l'obligation de déclarer l'hypothèque et celle d'avoir des documents de bord valides, ne sont pas entrées dans le champ contractuel. Elles sont par conséquent inopposables à l'assuré.
La question de l'opposabilité des conditions générales du contrat est bien connue des spécialistes de droit de la consommation (2). Dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, le point de savoir si ce dernier a pu prendre connaissance et comprendre les stipulations des conditions générales est crucial.
En droit des assurances, le problème se pose en des termes comparables : la partie en situation présumée d'infériorité face à son cocontractant a-t-elle été en mesure de connaître les clauses pré-rédigées du contrat ?
L'arrêt du 13 mai 2014 est toutefois le signe que la logique du droit des assurances va plus loin que celle du droit de la consommation. En effet, en l'espèce, l'assuré, propriétaire du navire Assunta II, n'était ni un consommateur, ni un profane. Il s'agissait d'un professionnel de la pêche maritime, le navire étant son outil de travail. Ainsi, là où le droit de la consommation ne protège que le consommateur (ou le non-professionnel), le droit des assurances protège plus largement le cocontractant de l'assureur, quelle que soit sa qualité.
L'intégration des conditions générales dans le champ contractuel, dans le domaine du "voulu", doit pouvoir être établie par l'assureur même lorsqu'il contracte avec un professionnel. La solution est justifiée. Les conditions générales stipulent fréquemment des clauses importantes (telles que déchéance de garantie) ; il est dès lors impératif de pouvoir vérifier que l'assuré, qu'il soit professionnel ou non, a eu connaissance de ces stipulations.
Si l'arrêt commenté se justifie quant à l'importance du champ contractuel, il est plus imprécis quant au jeu de la faute inexcusable et du manque de soin raisonnables.
II - Un arrêt imprécis quant au jeu de la faute inexcusable et du manque de soins raisonnables
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 mai 2014 retient que: "la cause du naufrage n'était pas établie, que les défaillances techniques ayant pu expliquer le non-renouvellement du permis de navigation et du certificat de franc-bord du navire n'étaient pas à l'origine du sinistre et que le défaut de validité des documents de bord ne démontrait pas qu'en prenant la mer dans ces conditions, M. [X] avait conscience de la probabilité de la réalisation du risque, la cour d'appel a pu écarter la faute inexcusable de l'assuré et l'existence d'un manque de soins raisonnables de sa part". La Cour en déduit alors que l'assureur ne peut s'exonérer de sa garantie sur le fondement de l'article L. 172-13 du Code des assurances.
Cette affirmation appelle deux remarques.
D'une part, pour la Cour de cassation, comme pour la cour d'appel de Montpellier auparavant, le fait pour l'assuré de prendre la mer malgré le défaut de validité des documents de bord ne constitue ni une faute inexcusable, ni un manque de soins raisonnables. Le seul défaut de validité des documents de bord ne permet pas d'établir que l'assuré a conscience de la probabilité de survenance du sinistre. La solution ne nous semble pas aller de soi. Il est certains documents dont la présence est exigée à bord lors de la navigation, qui n'ont aucune influence sur la sécurité du navire. Il en est ainsi, par exemple, de l'acte de francisation, que tout navire français qui prend la mer doit avoir à son bord (3). Le navire n'est pas plus ou moins en danger selon qu'il ait ou non son acte de francisation. A l'inverse, l'absence de certains documents peut être le révélateur d'un risque accru. Le fait pour un navire de ne pas obtenir le renouvellement de son permis de navigation et de son certificat de franc-bord est peut-être le signe d'une aptitude réduite à prendre la mer (4). Ainsi, affirmer simplement, comme le fait la décision commentée, que le défaut de validité des documents de bord n'est ni une faute inexcusable, ni un manque de soins raisonnables de la part de l'assuré nous semble manquer de nuance.
D'autre part, apparaît imprécise l'affirmation selon laquelle la cause du naufrage n'étant pas établie et les défaillances techniques ayant pu expliquer le non-renouvellement du permis de navigation et du certificat de franc-bord du navire n'étant pas à l'origine du sinistre, la cour d'appel a pu écarter la faute inexcusable de l'assuré et l'existence d'un manque de soins raisonnables de sa part. En effet, la Cour déduit l'absence de faute (inexcusable ou manque de soins) de l'assuré du fait que la cause du naufrage n'est pas établie et que l'absence des documents n'est pas à l'origine du sinistre. Or, les deux questions ne se situent pas sur le même plan : la première est relative à la faute, la seconde au lien de causalité.
Il y a ainsi une confusion entre la faute et le lien de causalité : affirmer que la cause du naufrage n'est pas établie ne suffit pas à démontrer qu'il n'y a pas faute inexcusable de l'assuré ou manque de soins raisonnables de sa part.
Il nous semble par conséquent que, pour exclure le jeu de l'article L. 172-13 du Code des assurances, c'est davantage sur la question du lien de causalité, non établi, entre le défaut de validité des documents de bord et le naufrage, que la Cour de cassation aurait pu se fonder, sans prendre parti sur la qualification de la faute.
(1) CA Montpellier, 23 janvier 2013, n° 12/05336 (N° Lexbase : A6866I3P), DMF, 2014, p. 405.
(2) J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 8ème éd., 2010, n° 162 et s..
(3) C. douanes, art. 218 (N° Lexbase : L5784IRN) ; Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-21.062, F-P+B (N° Lexbase : A8707KIC).
(4) Même si, en l'espèce, les documents en question n'avaient été ni retirés, ni suspendus, mais avaient simplement atteint la date d'expiration de leur période de validité.
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 7 mai 2014, n° 355961, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9362MKX)
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N2676BUN
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"
Le 19 Juin 2014
Rappelant le Code des pensions, le Conseil d'Etat va d'abord considérer "qu'il résulte de ces dispositions que le caractère personnel d'une pension de retraite ne s'oppose pas à ce que le titulaire d'une pension de réversion se prévale [...] d'une illégalité entachant le calcul de la pension de son conjoint que celui-ci n'a pas contestée". C'est notamment le cas lorsque celle-ci ne peut être regardé comme définitive, en raison de ce qu'elle a été notifiée sans mention des voies et délais de recours, soit de ce qu'une demande de révision pouvait encore, à la date du décès du conjoint, être adressée à l'administration dans les conditions prévues par l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L9843ITQ).
Précisément, l'arrêté ayant fait valoir les droits à la retraite du mari mentionnait bien le délai de recours contentieux, mais n'indiquait pas les voies de recours pertinentes : la pension litigieuse du défunt n'était donc pas devenue définitive. Dès lors, en jugeant que la veuve devait bénéficier de la pension de réversion au motif que son mari décédé remplissait les conditions de la bonification pour enfants sans rechercher si sa demande respectait les conditions précitées, le tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit et le jugement est annulé.
Mais, réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat fait droit à la demande de la veuve en constatant, en effet, que la notification de l'arrêté concédant la pension du mari mentionnait le délai de recours mais n'indiquait pas les voies de recours. De ce fait, cette pension n'était pas devenue définitive à la date de son décès et sa veuve pouvait la contester.
Par ailleurs, le juge suprême met en avant, qu'en 1996, l'article L. 12 prévoyait bien une bonification d'ancienneté d'un an par enfant pour les seules femmes fonctionnaires ayant assuré l'éducation de leurs enfants mais aujourd'hui, l'article 157 TFUE (N° Lexbase : L2459IPR) "s'oppose à ce que l'avantage ainsi accordé aux personnes qui ont assuré l'éducation de leurs enfants soit réservé aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de leurs enfants en seraient exclus". Puisqu'il n'était pas contesté que le défunt avait "assuré l'éducation de ses deux enfants" et pouvait donc prétendre au bénéfice de la bonification litigieuse, la requérante était nécessairement fondée à demander la révision de sa propre pension de réversion.
De ce fait, le Conseil d'Etat enjoint au ministre de l'Economie et des Finances, comme il le fait traditionnellement dans le contentieux des pensions, de procéder aux mesures d'exécution qui s'imposent, à savoir modifier les conditions dans lesquelles la pension de réversion a été concédée, revaloriser rétroactivement cette pension pour prendre en compte la bonification pour enfant et faire droit aux intérêts des sommes dues à compter de la date de réception de sa demande de révision.
Deux points sont à retenir dans cet arrêt. En tranchant un point de procédure dans un sens favorable à la requérante, le juge remet d'abord quelque peu en cause sa jurisprudence relative à l'intangibilité des pensions civiles de retraite des fonctionnaires fondée sur l'article 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (I). Ensuite, en réglant l'affaire au fond et au nom de la parité et de l'absence de discrimination, il octroi à la veuve, a posteriori et de façon assez paradoxale, le droit à la bonification pour enfant de son mari. La solution était entendue, mais elle est le témoignage d'une confrontation toujours prégnante du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales (II).
I - La remise en cause du principe d'intangibilité des pensions de retraite liquidées
Le principe d'intangibilité des pensions de retraite liquidées est un principe qui est constamment réaffirmée dans la jurisprudence classique (A). Il n'y a normalement pas de possibilité de contester les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement. L'arrêt d'espèce vient cependant s'inscrire en faux contre cette règle et dénature quelque peu ce principe d'intangibilité (B).
A - La portée constamment réaffirmée du principe d'intangibilité des pensions liquidées
C'est d'abord l'article R. 351-10 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6876ADZ) pour les régimes de base qui pose le principe d'intangibilité des pensions liquidées (2). La jurisprudence a réalisé une interprétation claire de cet article. Selon la Haute juridiction, il résulte de ce texte "qu'après l'expiration du délai de recours contentieux, les parties ne peuvent hors des cas prévus par la loi, modifier les bases de calcul de la pension. Dès lors, une caisse d'assurance vieillesse n'est pas fondée à réduire le montant d'une pension liquidée en 1981 en raison de points injustifiés" (3). Cette jurisprudence est satisfaisante car la définition donnée repose sur "les bases de calcul de la pension", expression qui est conforme à la notion même de liquidation de la pension. Il ne s'agit pas, une fois les délais de recours et de reprise expirés, de mettre en place une règle selon laquelle les droits liquidés ne pourraient plus être remis en cause par le bénéficiaire lui-même ni par la caisse de Sécurité sociale.
Dans un arrêt du 25 octobre 2006, la Cour de cassation a même décidé que le principe d'intangibilité des pensions ne saurait faire obstacle à l'exécution d'une décision de justice devenue irrévocable, modifiant les droits d'un assuré (4). Pour autant, on ne peut pas changer les bases de calcul de la pension une fois liquidée.
Dans la fonction publique, ce principe est défini à l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, qui dispose que "la pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes : à tout moment en cas d'erreur matérielle ; dans un délai d'un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit". La pension et la rente viagère d'invalidité sont donc définitivement acquises sous réserve d'une révision ou d'une suppression à la demande de l'administration ou du fonctionnaire en cas d'erreur de droit (dans le délai d'un an à dater de la notification de la concession initiale de la pension ou de la rente) ou d'erreur matérielle (à tout moment).
La jurisprudence administrative est très claire en ce domaine. Par exemple, dans un arrêt du 11 février 2005, le Conseil d'Etat affirme que "les dispositions de l'article L. 55 ont pour objet d'ouvrir, aussi bien aux pensionnés qu'à l'administration, un droit à révision des pensions concédées dans le cas où la liquidation de celle-ci est entachée d'une erreur de droit et de prévoir que ce droit est ouvert dans les mêmes conditions de délai aux pensionnés et à l'administration ; que, d'une part, le délai de révision ainsi prévu bénéficie aussi bien aux pensionnés dont les droits à pension sont définitivement acquis au terme de ce délai, qu'à l'administration qui est, postérieurement à l'expiration de ce même délai, mise à l'abri de contestations tardives et que, d'autre part, l'instauration d'un délai d'un an s'avère suffisante pour permettre aux pensionnés de faire valoir utilement leurs droits devant les juridictions" (5).
Ainsi, les décisions portant concession de pension régulièrement notifiées deviennent ainsi définitives et intangibles si elles ne sont pas contestées par les voies et dans les délais de recours de droit commun. Le Conseil d'Etat a pu ainsi juger que si, en vertu des règles générales applicables au retrait des actes administratifs, l'auteur d'une décision individuelle expresse créatrice de droits peut légalement la rapporter, à la condition que cette décision soit elle-même illégale, dans le délai de quatre mois suivant la date à laquelle elle a été prise, le caractère intangible des décisions portant concession de pension fait obstacle à ce que leur bénéficiaire puisse en demander le retrait une fois cette dernière devenue définitive (6).
Il convient toutefois d'ajouter que ce principe peut faire l'objet d'aménagements particuliers, notamment dans le cas où un régime procède à une révision des droits liquidés lorsqu'il dispose d'informations ou d'éléments nouveaux (éléments complémentaires fournis par l'assuré, informations transmises par un autre régime...) sur la carrière des assurés et intervenant postérieurement à la liquidation. La règle n'a ainsi fait l'objet que d'une inflexion très limitée à l'encontre des décisions administratives modifiant partiellement les pensions auparavant liquidées et sur les seuls éléments ainsi rectifiés. Lorsque postérieurement à la concession initiale de la pension, les bases de la liquidation viennent à être modifiées par une nouvelle décision, le délai d'un an prévu, en cas d'erreur de droit, par les dispositions de l'article L. 55 du Code des pensions n'est rouvert, à compter de la date à laquelle cette décision est notifiée, que pour ceux des éléments de la liquidation ayant fait l'objet de cette révision (7).
Dans le cas de l'arrêt d'espèce, le délai d'une année prévu par l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite était opposable au mari et à sa veuve. Il semblait donc impossible pour cette dernière de contester, directement ou indirectement en 2010 la décision accordant à son mari une pension qui avait été adoptée en 1996.
B - La possibilité de contester les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement
Alors qu'a priori la veuve ne pouvait se voir qu'opposer le délai d'un an de forclusion de l'article L. 55, le Conseil d'Etat va juger qu'il y a lieu d'admettre la possibilité de contester par voie d'exception les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement lorsque cette dernière décision ne peut être regardée comme définitive.
En vertu de l'article R. 421-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3025ALM), la forclusion n'est pas opposable à un administré lorsqu'il n'a pas été informé des délais et voies de recours à l'encontre d'une décision administrative le concernant. Ces mentions sont obligatoires et portent aussi bien sur les délais d'action que sur les modalités de celles-ci. Le Conseil d'Etat a ainsi pu juger que, si le procès-verbal de notification d'un arrêté d'expulsion signé par l'intéressé mentionnait la possibilité pour lui d'introduire, dans un délai de deux mois, un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, la notification n'a pas été accompagnée de la remise à ce dernier soit d'une copie du procès-verbal, soit d'un autre document écrit comportant la mention des indications précitées. Celles-ci ne figuraient pas davantage sur l'ampliation de l'arrêté d'expulsion qui lui a été remise à cette occasion. Dans ces conditions, la notification n'a pas été de nature à faire courir le délai de recours contentieux (8).
Dans la décision d'espèce, il avait bien été indiqué au mari, lors de la notification de son attribution de pension, que l'article L. 55 du Code des pensions était applicable et que la forclusion était encourue à l'expiration du délai d'une année. En revanche, il n'y avait nulle mention des voies de recours. L'omission de ce dernier élément faisait donc obstacle à ce que la forclusion soit ensuite opposée au mari et, par suite, à sa veuve. Il en a été jugé déjà ainsi à propos d'un certificat d'inscription au grand livre de la dette publique par lequel avait été notifié à un requérant l'arrêté lui concédant une pension de retraite qui mentionnait le délai de recours contentieux dont l'intéressé disposait à l'encontre de cet arrêté, mais qui ne contenait aucune indication sur les voies de recours. Il en résulte que la notification devait, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire, ainsi que l'autorité devant laquelle il devait être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci devait être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle (9).
Compte tenu de cette particularité, la veuve ne pouvait se voir opposer le caractère définitif de la décision de liquidation de pension de son mari. L'exception d'illégalité devient ainsi envisageable, en l'espèce, et plus généralement dans le contentieux des pensions. En acceptant qu'il y a lieu d'admettre la possibilité de contester par voie d'exception les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement lorsque cette dernière décision ne peut être regardée comme définitive, le Conseil d'Etat donne à la décision d'espèce une portée pratique des plus considérables à l'égard des décisions d'attribution de pensions.
II - La confrontation toujours prégnante du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales
Les régimes nationaux des pensions n'en finissent plus d'être passés au crible des exigences égalitaires du droit de l'Union européenne. Régime des pensions et égalité des sexes, régime des pensions et non discrimination selon la nationalité, régime des pensions et non discrimination selon les orientations sexuelles... Il y a là une source semble-t-il quasi intarissable de contestation des édifices législatifs nationaux. Parmi ces éléments à contestation, dans la continuité des jurisprudences "Griesmar" et "Mouflin" à la suite de l'adoption successive des lois du 21 août 2003 (12), du 30 décembre 2004 (13) et enfin, du 9 novembre 2010 (14), on pouvait penser que la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants était définitivement réglée en 2014 (A). Cela n'est toutefois pas encore le cas. L'arrêt d'espèce, au nom de la parité et de l'égalité de traitement, montre que cette question n'est peut-être pas encore totalement réglée et qu'il persiste certaines difficultés et contradictions (B).
A - Les droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants définitivement réglés ?
La confrontation du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales draine désormais une liste d'espèces rendues par toutes les juridictions. Ebranlant le Code de la Sécurité sociale comme celui des pensions civiles et miliaires, ce phénomène a logiquement poussé le pouvoir législatif à modifier parfois son oeuvre pour la mettre au diapason de ces exigences. Les arrêts "Griesmar" puis "Mouflin" ont profondément ébranlé les mécanismes du Code des pensions civiles et militaires qui organisaient, par quelques discrètes mesures, une forme de "discrimination positive en faveur des femmes".
Dans son arrêt "Griesmar", la Cour de justice a jugé que la bonification d'ancienneté pour enfants accordée aux seules fonctionnaires retraitées était effectivement incompatible avec le droit communautaire. Le raisonnement appliqué par la Cour de justice pour juger inconventionnelle la bonification pour enfant accordée aux seules femmes reposait sur l'article 119 du Traité CEE, devenu l'article 141 du Traité CE, puis l'article 157 TFUE (N° Lexbase : L2459IPR), lequel énonce un principe d'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins. La Cour de justice a appliqué la même logique dans son arrêt "Mouflin" aux dispositions permettant aux seules femmes fonctionnaires de jouir immédiatement de leur pension lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans.
Ces arrêts de la Cour de justice ont amené le juge administratif à étendre les solutions à d'autres dispositions législatives relatives aux pensions dans le secteur public. En 2002, le Conseil d'Etat a, ainsi, étendu la solution de la jurisprudence de 2001 aux dispositions permettant aux seules femmes de jouir immédiatement de la pension de réversion de leur époux fonctionnaire décédé (15) étant entendu que cette jouissance peut être rétroactive ainsi que l'illustre la jurisprudence "Llorca" (16). L'arrêt "Choukroun" est le premier dans lequel le Conseil d'Etat applique de lui-même la logique européenne éclairée par la double intervention de la Cour de justice afin de censurer pour inconventionnalité une disposition du Code des pensions civiles et militaires de retraite. Il sera suivi un mois plus tard par l'arrêt "Griesmar" rendu le 29 juillet 2002 où le Conseil d'Etat statue sur le fond dans l'affaire en donnant raison au requérant (17).
De façon incompréhensible, la loi du 21 août 2003 précitée a maintenu la disposition litigieuse. Les recours se sont donc multipliés au grand étonnement des pouvoirs publics qui n'ont pas voulu céder et sont allés très volontiers, pour ne pas dire systématiquement, devant le juge. C'est donc de guerre lasse, mais aussi pour préserver les finances publiques, que l'Etat s'est résolu à intervenir par la loi du 30 décembre 2004 précitée. Cette loi s'appuie désormais sur la condition de "fonctionnaire civil parent" sans faire de discrimination entre hommes et femmes et met donc fin à l'incompatibilité avec le droit de l'Union européenne, tout en exigeant une interruption d'activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Mais aussi, et c'est son second effet, le législateur précise que ces nouvelles dispositions "sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée".
Le contentieux sur l'application du droit à la jouissance immédiate de la pension de retraite pour les parents de trois enfants a été supprimé par la loi du 9 novembre 2010 (18) au nom du rapprochement entre les régimes de retraite de la fonction publique et ceux du secteur privé. Depuis l'intervention de cette loi, le droit à la jouissance immédiate de la pension, pour les fonctionnaires parents de trois enfants, est devenu normalement un souvenir, mais cela n'empêche pas la persistance d'un certain contentieux d'autant plus qu'un certain nombre de mesures transitoires avaient été décidées rendant assez complexe, à l'époque, la lecture du texte.
Aujourd'hui, ces dispositions ne visent plus à l'octroi d'une gratification d'ancienneté au fonctionnaire qui a participé à l'éducation de ses enfants, mais à la prise en compte, par une simple compensation, des interruptions de travail et des conséquences afférentes pour l'évolution de la carrière et les droits à la retraite des fonctionnaires. Ce type d'avantage ne crée donc pas de discrimination entre les hommes et les femmes (19).
B - La persistance de difficultés et contradictions sur la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants
Sur le fond du litige, la solution était entendue dans l'arrêt d'espèce. Il n'est pas contesté que le mari avait assuré l'éducation de ses deux enfants et qu'il n'avait pu bénéficier de la majoration de sa pension "pour enfants" car n'étant pas de sexe féminin. Cela a été jugé, comme il l'a été dit précédemment, discriminatoire et contraire au droit de l'Union européenne et cela justifiait l'annulation de la décision d'octroi de la pension dans cette mesure. Par voie de conséquence, le mari aurait dû en bénéficier et il en était de même de la veuve dans le cadre de la pension de réversion dont elle a bénéficié. Ce qui amène, paradoxalement, au fait, qu'en conclusion et qu'au nom de la parité, la veuve a droit à la bonification pour enfant qui était, à l'origine, destinée à son mari. L'arrêt témoigne en ce sens d'un contentieux toujours marqué autour de cette question des droits à pension des agents publics pères et mères en considération bonifiée de leurs enfants et ceci, notamment, autour du problème plus général de la recomposition des familles.
C'est d'abord l'arrêt "Le Dortz" rendu par le Conseil d'Etat le 18 juin 2010 (20) qui avait apporté une contribution supplémentaire à cet exercice récurrent de confrontation avec le droit de l'Union en examinant la conformité au principe de non-discrimination du régime des pensions de réversion dans la fonction publique. Bénéficiant à tous les conjoints du fonctionnaire décédé, l'attribution du droit à pension de réversion est cependant refusée dans le régime national à celui, ou celle, qui ne peut se prévaloir d'une telle qualité. Telle n'était cependant pas la situation de Mme X. Cette dernière avait eu deux enfants reconnus par le fonctionnaire défunt et s'était unie maritalement à ce dernier en 2005 aux termes d'une vie commune ayant pris forme depuis 1980. Elle présentait donc toutes les conditions requises pour être titulaire d'un droit à pension de réversion. La chose n'était d'ailleurs pas discutée par l'administration. C'est en réalité la question de l'évaluation du montant de sa pension de réversion qui s'est retrouvée au centre de la controverse. Si l'octroi d'une pension de réversion suppose l'existence d'un lien marital, l'évaluation du montant de cette pension est fonction de la durée du lien marital. A ce titre, pour le Conseil d'Etat, les périodes de concubinat précédant la célébration d'un mariage ne peuvent être prises en compte au titre du calcul des droits.
Le juge suprême a ici jugé logiquement que la conjointe devenue l'épouse du fonctionnaire retraité (avec lequel elle a eu des enfants) un mois avant le décès de celui-ci n'avait pas droit à une pension de réversion contrairement à la première épouse de l'agent mariée avec lui pendant dix ans, cette union ayant fait l'objet d'une liquidation tardive. Mais l'état du droit en la matière n'est pas satisfaisant. La condamnation pour discrimination qui n'est pas venue du Conseil constitutionnel (21) pourrait ainsi provenir de la CEDH ou même de la CJUE. La Cour a, en effet, décidé que la Directive (CE) 2000/78 du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4) (22), qui institue le principe de non-discrimination en matière de rémunérations, s'oppose à une réglementation en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne cette prestation (23).
C'est ensuite, l'arrêt "Yernaux" en date du 27 mai 2011 (24) qui traitait de la question plus spécifique de l'interruption d'activité. La difficulté tenait, en l'espèce, à ce que l'interruption d'activité de la requérante était motivée à la fois par la naissance d'un enfant qu'elle avait eu avec son conjoint et par l'accueil dans le nouveau foyer des deux enfants issus du premier mariage de ce dernier. Pour le Conseil, le fait que le congé ait été pris globalement pour l'ensemble des enfants ne permet pas de considérer qu'elle ne pouvait prétendre à la mise à la retraite avec jouissance immédiate de ses droits à pension.
Enfin, toujours sur la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants, il faut relever l'arrêt "Lesur" en date du 23 janvier 2012 (25). Le Conseil d'Etat y juge que les dispositions de l'article L. 24 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L8487G7H), dans leur version modifiée par la loi du 30 décembre 2004, sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée. Ces dispositions méconnaissent l'article 6 § 1 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), dans la mesure où elles ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles engagées par des fonctionnaires s'étant vu refuser le bénéfice des dispositions antérieurement applicables de l'article L. 24 (26). L'incompatibilité peut, par suite, être invoquée par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieur, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision. Dans l'arrêt "Lesur", le requérant avait saisi le tribunal administratif de Marseille, le 8 avril 2004, d'un recours contre le refus de l'admettre à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension, il peut, en ce sens et selon le Conseil d'Etat, se prévaloir des stipulations mentionnées plus haut pour soutenir qu'il a illégalement été privé de l'admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 2 septembre 2004.
Il y a là autant d'arrêts qui, comme l'arrêt d'espèce, témoignent de cette persistance d'un contentieux, qui au-delà des différentes interventions pour le contenir ou le supprimer, continue à receler certaines contradictions ou difficultés que le juge administratif doit alors clarifier, ce qui a été fait en l'espèce.
(1) Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (N° Lexbase : L2496IZH), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(2) L'article dispose que "la pension ou la rente liquidée dans les conditions prévues aux articles R. 351-1 et R. 351-9 n'est pas susceptible d'être révisée pour tenir compte des versements afférents à une période postérieure à la date à laquelle a été arrêté le compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à l'assurance vieillesse dans les conditions définies à l'article R. 351-1".
(3) Cass. soc., 31 octobre 2000, n° 99-11.258, publié au bulletin (N° Lexbase : A7698AHL), Bull. civ. 2000, V, n° 361.
(4) Cass. civ. 2, 25 octobre 2006, n° 05-10.660, FS-P+B (N° Lexbase : A0294DSP), JCP éd. S., 2007, n° 1191, comm. T. Tauran.
(5) CE 9° s-s., 11 février 2005, n° 260628, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6759DGG).
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 22 juin 2012, n° 332172, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5154IPL).
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 1er mars 2004, n° 243592, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4249DBY), p. 109.
(8) CE 2° et 6° s-s-r., 8 avril 1998, n° 171548, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7448ASN).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 15 novembre 2006, n° 264636, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3520DS8).
(10) CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99 (N° Lexbase : A5833AXC), Rec. CJCE, 2001, I, p. 9383, DA, 2012, comm. n° 12, JCP éd. G, 2002, II, n° 10102, note C. Moniolle, AJFP, 2002, n° 1, p.11, note A. Fitte-Duval.
(11) CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-206/00 (N° Lexbase : A3376GMY), Rec. CJCE, 2001, I, p. 10201, DA, 2002, comm. 54, obs. C. Moniolle, JCP éd. A, 2003, n° 1294, obs. A. Taillefait.
(12) Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), JO, 22 août 2003, p.14310.
(13) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(14) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), JO, 10 novembre 2010, p. 20034.
(15) CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2002, n° 202667, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8727AYU), Rec. CE, p. 198, AJDA, 2002, p. 639, note M.-C. de Montecler.
(16) CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 187401, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3481A73), AJDA, 2003, p. 1005, concl. G. Goulard.
(17) CE, Sect., 29 juillet 2002, n° 141112, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1869AZA), AJDA, 2002, p.823, concl. F. Lamy, D. 2002, p. 2832, note A. Haquet, Droit social, 2002, note X. Prétot. Dans le même sens, CE 9° s-s., 29 décembre 2004, n° 253529, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2259DGR).
(18) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, préc..
(19) CEDH, 15 octobre 2013, Req. 33014/08 (N° Lexbase : A5444MQP).
(20) CE 1° et 6° s-s-r., 18 juin 2010, n° 315076, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9805EZ8), JCP éd. A, 2010, n° 2294, comm. G. Calley, AJDA, 2010, p. 1237, note M. Ch. De Motecler.
(21) Cons. const., décision n° 2011-155 QPC du 29 juillet 2011 (N° Lexbase : A5593HW3).
(22) JOCE, n° L 303 du 2 décembre 2000, p. 0016-0022.
(23) CJCE, 1er avril 2008, aff. C-267/06 (N° Lexbase : A7276D7M), Droit de la famille, 2008, comm. n° 92, note A. Devers, D. 2008, p.1873, note C. Weisse-Marchal.
(24) CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2011, n° 342238, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5847HSD).
(25) CE 2° et 7° s-s-r., 23 janvier 2012, n° 341668, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4249IBY).
(26) Cf. CEDH, 11 février 2010, Req. 39730/06 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2906832, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CEDH, 11-02-2010, Req. 39730/06, JAVAUGUE c/ FRANCE", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7449ERC"}}).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2014-403 QPC du 13 juin 2014 (N° Lexbase : A5442MQM)
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Le 19 Juin 2014
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Réf. : Circulaire du 22 mai 2014, relative à la fraude fiscale (N° Lexbase : L3669I3B)
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
Le 19 Juin 2014
Les points essentiels traités par cette circulaire sont, en substance, les suivants :
A - Renforcement des moyens juridiques de lutte contre la fraude fiscale
1 - La création de circonstances aggravantes de fraude fiscale
La loi du 6 décembre 2013 a modifié l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L9491IY8), afin que soient considérées dorénavant comme des circonstances aggravantes :
- la circonstance de bande organisée ;
- le recours à des comptes ouverts ou des contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger, que les comptes ou les contrats aient été déclarés ou non ;
- l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger, tels que les trusts et les fondations ;
- l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2006AMA) ou de toute autre falsification ;
- la domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;
- le recours à un acte fictif ou artificiel ou l'interposition d'une entité fictive ou artificielle.
2 - L'aggravation des peines encourues
Ces nouvelles dispositions s'accompagnent d'un durcissement des sanctions encourues. La fraude aggravée caractérisée par au moins une de ces nouvelles circonstances aggravantes est passible d'une peine de sept années d'emprisonnement et d'une amende de deux millions d'euros, tandis que la fraude fiscale non qualifiée d'aggravée demeure passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 euros.
3 - La création d'un statut de "repenti" permettant l'application d'une réduction de peine
La loi du 6 décembre 2013 prévoit une réduction de moitié de la durée de la peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice d'un délit de fraude fiscale qui a permis d'identifier les autres auteurs ou complices de ce délit en avertissant l'autorité administrative ou judiciaire (CGI, art. 1741, nouvel avant-dernier alinéa).
Ce dispositif contribuera à améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale complexe, en incitant les personnes ayant apporté leur concours à la réalisation du délit à coopérer avec l'administration fiscale ou l'autorité judiciaire afin d'identifier les autres auteurs et complices de la fraude.
4 - Elargissement du champ de la procédure judiciaire d'enquête fiscale
La mise en oeuvre de la procédure judiciaire d'enquête fiscale nécessite une plainte préalable de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), qui se prononce sur l'existence de "présomptions caractérisées" de fraude fiscale, étant précisé que, compte tenu du risque de dépérissement des preuves, le contribuable n'est ni informé de la saisine de la CIF et de son avis, ni du dépôt de plainte pour fraude fiscale. La procédure fiscale est conduite par la DGFiP en parallèle ou en aval de l'enquête judiciaire.
La mise en oeuvre de la procédure judiciaire d'enquête fiscale peut être envisagée dès lors qu'existent des présomptions caractérisées qu'une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :
- soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger ;
- soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger ;
- soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du Code pénal, ou de toute autre falsification ;
- soit d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;
- soit de toute autre manoeuvre destinée à égarer l'administration (LPF, art. L. 228 N° Lexbase : L9492IY9).
5 - Des techniques spéciales d'enquête au service de la détection et d'une meilleure appréhension des montages frauduleux sophistiqués
L'article 706-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9552IYG), dans sa rédaction issue de la loi du 6 décembre 2013, étend les possibilités de recours, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, à des mesures d'investigation dérogatoires du droit commun à certaines infractions économiques et financières et notamment à la fraude fiscale aggravée et au blanchiment de ce délit.
Ces techniques spéciales d'enquête suivantes : la surveillance, l'infiltration, les interceptions de correspondances téléphoniques au stade de l'enquête, les sonorisations et fixations d'images de certains lieux et véhicules, la captation, conservation et transmission de données informatiques et les saisies conservatoires.
En revanche, les dispositions dérogatoires en matière de perquisitions, visites domiciliaires et saisies de nuit, prévues aux articles 706-89 (N° Lexbase : L5770DYD) à 706-94 du Code de procédure pénale, ne sont pas applicables aux infractions visées par l'article 706-1-1 du Code de procédure pénale dans la rédaction issue de la nouvelle loi et, en particulier, à la fraude fiscale.
6 - La généralisation de la protection accordée aux lanceurs d'alerte
Les termes "lanceurs d'alerte" désignent les personnes qui portent à la connaissance de leurs employeurs, des autorités administratives ou judiciaires ou des tiers, des faits répréhensibles qu'elles ont découverts dans l'exercice de leurs fonctions. Le nouvel article L. 1132-3-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9414IYC) instaure une protection juridique à tout salarié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de tous faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, étant précisé que cette protection n'est pas limitée aux révélations faites à l'employeur ou aux autorités administratives ou judiciaires, mais s'applique aussi en cas de révélation à des tiers tels que la presse.
7 - L'instauration du procureur de la République financier
L'instauration d'un procureur de la République financier a pour but de spécialiser le ministère public, de façon à accroître l'efficacité de son action contre la fraude de grande complexité : fraude complexe prévue aux 1° à 5° de l'article L. 228 du LPF ou commise en bande organisée ; escroqueries à la TVA lorsqu'elles apparaissent de grande complexité ; blanchiment de ces infractions et des infractions connexes.
8 - La création de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)
L'OCLCIFF est constitué de la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière et de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, celle-ci étant compétente en matière de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, lorsqu'il existe des présomptions caractérisées que les infractions résultent d'une des conditions prévues aux 1° à 5° de l'article L. 228 du PLF, ainsi que les infractions qui leur sont connexes. Il est chargé :
- de mener des enquêtes judiciaires dans son domaine de compétence à la demande des autorités judiciaires ou d'initiative, sous réserve des dispositions de l'article 28-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9490IY7) ;
- d'assister, à leur demande, les services de la police nationale et les unités de gendarmerie nationale dans le cadre des enquêtes qu'ils diligentent ;
- d'animer et de coordonner, à l'échelon international et au plan opérationnel les investigations de police judiciaire et les recherches entrant dans son domaine de compétence ;
- de suivre et d'exploiter tout dispositif de signalements mis en place dans son champ de compétence ; et
- de recueillir et de centraliser tout renseignement ou information entrant dans son champ de compétence à des fins opérationnelles ou documentaires.
Le caractère interministériel de l'OCLCIFF doit se concrétiser par des échanges d'informations facilitées, dans le respect des règles de procédure applicables. Les services des finances publiques ; de la police ; de la gendarmerie, des douanes ; de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes notamment, adressent à l'office, dans les meilleurs délais, les informations relatives à son domaine de compétence dont ils ont connaissance. Symétriquement, l'office adresse à ces services toutes documentations utiles à leur domaine de compétence et toutes indications utiles à l'identification ou à la recherche des fraudeurs ainsi que, sur demande, tous renseignements utiles aux procédures dont ils ont la charge.
9 - Le renforcement de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et l'extension de son champ de compétence
La BNRDF, qui relève désormais de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, est composé d'officiers de police judiciaire et d'inspecteurs des finances publics. Ces fonctionnaires sont habilités, en qualité d'officiers fiscaux judiciaires et sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction, à effectuer des enquêtes judiciaires pour rechercher et constater, sur l'ensemble du territoire national, les infractions prévues par les articles 1741 et 1743 (N° Lexbase : L1014IZL) du CGI, lorsqu'il existe des présomptions caractérisées que les infractions résultent d'une des conditions prévues aux 1° à 5° de l'article L. 228 du LPF (cf. supra 4°), ainsi que les infractions qui leur sont connexes. Ce service peut être également saisi sur le fondement de la seule infraction de blanchiment de fraude fiscale complexe, telle que définie à l'article L. 228 du LPF.
10 - Allongement de trois à six ans du délai de prescription en matière de fraude fiscale
L'administration fiscale peut désormais déposer une plainte jusqu'à la fin de la sixième année suivant celle au cours de laquelle a été commise l'infraction, période prolongée, dans la limite de six mois, de la durée d'examen de l'affaire par la commission des infractions fiscales (LPF, art. L. 230 N° Lexbase : L9536IYT). Cette mesure est de nature à faciliter la répression des schémas de fraude les plus élaborés et à forts enjeux financiers pour lesquelles les opérations de contrôle fiscal portent souvent sur une période excédant trois ans.
Cet allongement concerne le seul délai initial dans lequel doit intervenir le dépôt de la plainte et la réalisation par le Parquet du premier acte interruptif de prescription. Le régime de la prescription est ensuite celui du droit commun, soit le délai triennal prévu par l'article 8 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9878IQW).
L'article 112-2 du Code pénal (N° Lexbase : L0454DZT) prévoyant l'application immédiate de la loi nouvelle en matière de prescription de l'action publique, les fraudes fiscales et les autres délits commis durant l'année 2010 et les années suivantes et donc non prescrits au moment de l'entrée en vigueur de la loi (le 6 décembre 2013), peuvent donner lieu à un dépôt de plainte jusqu'à l'expiration du nouveau délai de prescription, soit le 31 décembre 2016, échéance reportée, dans la limite de six mois, de la durée d'examen de l'affaire par la commission des infractions fiscales, soit au plus tard au 30 juin 2017.
B - Renforcement des politiques publiques de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
1 - L'intensification et le suivi des échanges entre l'administration fiscale et la Justice
En application de l'article L. 101 du LPF (N° Lexbase : L9500IYI), l'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle, même terminée par un non-lieu. Désormais, l'administration fiscale doit porter à la connaissance du juge d'instruction ou du procureur de la République, spontanément dans un délai de six mois après leur transmission ou à sa demande, l'état d'avancement des recherches de nature fiscale auxquelles elle a procédé à la suite des informations communiquées. Le résultat du traitement définitif de ces dossiers par l'administration fiscale fait également l'objet d'une communication au ministère public.
Symétriquement, l'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI) fait obligation à tout fonctionnaire qui acquiert, dans l'exercice de ses fonctions, la connaissance d'un crime ou d'un délit d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de lui transmettre tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Dans ce cadre, l'administration fiscale informe la justice des délits constatés dans l'exercice de ses missions.
Enfin, sur le fondement de l'article L. 82 C du LPF (N° Lexbase : L9499IYH), les informations recueillies durant une enquête préliminaire, une information judiciaire ou toute autre instance susceptibles de révéler des omissions ou insuffisances d'imposition peuvent être portées à la connaissance de l'administration fiscale, à la demande de cette dernière ou à l'initiative des Parquets. Désormais, l'administration fiscale doit porter à la connaissance du ministère public, spontanément dans un délai de six mois après leur transmission ou à sa demande, l'état d'avancement des recherches de nature fiscale auxquelles elle a procédé à la suite de la communication de ces dossiers.
A noter que la loi du 6 décembre 2013 a prévu un mécanisme de suivi et d'information du Parlement des échanges entre l'administration fiscale et la Justice. Cette mesure, qui entre en vigueur pour les échanges intervenus à partir du 1er janvier 2014, est de nature à lui permettre d'évaluer et d'identifier les évolutions souhaitables afin de garantir une politique de lutte contre la fraude cohérente et réactive.
2 - Une action pénale plus diversifiée
L'administration fiscale considère que les plaintes pour fraude fiscale doivent être une réponse adaptée et homogène à des comportements répréhensibles et envisagées avec un double objectif :
- apporter une réponse proportionnée aux actes reprochés et aux attitudes de certains contribuables destinées à empêcher, de manière directe ou indirecte, les agents des finances publiques d'accomplir leurs missions ;
- faire sanctionner systématiquement les comportements les plus graves dès lors que les poursuites sont, dans certains cas, le seul moyen effectif dont dispose l'Etat à l'égard des contribuables non respectueux de leurs obligations fiscales.
Si, dans la plupart des cas, l'application des pénalités fiscales suffit à sanctionner les manquements aux obligations prescrites par le CGI, il n'en reste pas moins que, dans certaines situations, les poursuites correctionnelles constituent le seul moyen adapté au préjudice financier mais aussi moral commis au détriment de la collectivité et ont, en outre, une dimension d'exemplarité susceptible de dissuader les fraudeurs potentiels d'y recourir.
L'administration fiscale doit donc diversifier ses plaintes, tant à raison de la nature des fraudes présentées au juge pénal que des moyens juridiques mis en oeuvre, tout en continuant de positionner son action à l'encontre des fraudes les plus graves, la gravité étant appréciée notamment au regard des enjeux financiers.
Des plaintes pour fraude fiscale doivent également être engagées contre les personnes qui organisent leur insolvabilité ou qui mettent obstacle au recouvrement des impôts, manoeuvres qui présentent souvent le même degré de gravité que les procédés de fraude touchant à l'assiette des impositions. A cet égard, l'administration fiscale observe que la mise en oeuvre d'une procédure judiciaire d'enquête fiscale dans les affaires d'organisation d'insolvabilité à forts enjeux présente un réel intérêt quand les moyens traditionnels à la disposition des services de recouvrement s'avèrent insuffisants pour faire échec à des schémas dont la complexité peut résulter, notamment, de la dissimulation d'avoirs financiers à l'étranger, de l'interposition de personnes ou de structures à l'étranger, ou de trusts non déclarés.
L'administration fiscale va renforcer également son action à visée répressive à l'encontre des fraudes fiscales de nature patrimoniale (omission ou minoration de déclarations de plus-value, de successions, de donations ou d'impôt de solidarité sur la fortune) et des fraudes fiscales internationales.
La diversification de l'action pénale doit s'exercer pour lutter contre les délits de droit commun de nature fiscale, notamment les affaires d'escroquerie à la TVA, de conception et commercialisation de logiciels de caisse permissifs, ou relatives à du blanchiment de fraude fiscale.
La plainte pour escroquerie ou tentative d'escroquerie est généralement privilégiée par l'administration en cas d'une escroquerie laissant présumer la participation de multiples personnes, en particulier pour les fraudes de type carrousel, dès lors que l'incrimination du chef d'escroquerie peut faciliter la mise en cause, comme coauteurs ou complices, de l'ensemble des participants, alors que des poursuites du seul délit de fraude fiscale permettent difficilement d'appréhender les différents maillons du circuit frauduleux.
En ce qui concerne le blanchiment de fraude fiscale, qui est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect et, également, le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit (C. pén., art. 324-1 N° Lexbase : L1789AM9), cette infraction présente un réel intérêt en complément de celles pour fraude fiscale.
L'administration fiscale considère que l'engagement de poursuites en matière de blanchiment de fraude fiscale présente un réel intérêt et fait observer, en substance, que :
- le nouvel article 324-1-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9415IYD) institue un renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment, dès lors que les conditions de réalisation d'une opération ne peuvent s'expliquer autrement que par la volonté de dissimuler l'origine des biens ou des revenus, ces biens ou revenus étant alors présumés être le produit d'un crime ou d'un délit. Ce délit vise à mieux appréhender les montages juridiques et financiers dénués de toute rationalité économique et dont la complexité ne peut avoir d'autre objet que d'éviter la traçabilité des flux et d'en dissimuler l'origine. Si ce texte assouplit le régime de la preuve, il ne modifie pas les éléments constitutifs de l'infraction de blanchiment eux-mêmes. Il ne s'agit donc pas d'une présomption de constitution de délit ;
- le dépôt de plaintes pour blanchiment de fraude fiscale à l'encontre des personnes, physiques ou morales, qui interviennent en amont ou en aval de la fraude fiscale (notamment dans la conception d'un montage, le placement ou la dissimulation du produit de la fraude) présent un réel intérêt dès lors que l'incrimination du chef de blanchiment de fraude fiscale facilite la mise en cause des différents acteurs de la fraude fiscale, indépendamment d'éventuelles poursuites pour fraude fiscale ou complicité de fraude fiscale. Celle-ci a un effet répressif et dissuasif élevé, en raison du niveau des peines encourues, notamment quand le délit a été réalisé avec des circonstances aggravantes. En effet, les personnes physiques reconnues coupables de blanchiment aggravé encourent jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et une amende pénale de 750 000 euros et les personnes morales une amende pénale de 3,75 millions d'euros, les peines d'amende pouvant atteindre la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
- dans un contexte international de renforcement de la lutte contre le blanchiment de capitaux (actions du GAFI et des pays du G20, élaboration de la 4ème Directive européenne de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme), la condamnation d'un établissement financier pour blanchiment aggravé de fraude fiscale a un impact certain en terme dissuasif.
S'agissant des opérations de conception et commercialisation de logiciels de caisse permissifs, l'administration fiscale fait observer que les incriminations prévues aux articles 323-1 (N° Lexbase : L6389ISG) à 323-7 du Code pénal peuvent permettre d'engager des poursuites contre les personnes, physiques ou morales, qui conçoivent et commercialisent des logiciels de gestion ou de caisse permissifs utilisés par des commerçants pour dissimuler des recettes perçues en espèces, indépendamment de celles pour fraude fiscale.
3 - Une action pénale mieux coordonnée entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire
La circulaire encourage le développement des liaisons entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale, afin de permettre à l'une et l'autre de mieux accomplir leurs missions respectives, notamment en favorisant une connaissance mutuelle favorable à une approche commune plus globale de la fraude fiscale, replacée dans le contexte plus général de la grande délinquance économique et financière.
Il est souligné que l'intervention de l'administration fiscale à la procédure pénale par la voie de la constitution de partie civile permet aux services de la DGFiP d'éclairer les travaux du magistrat instructeur et de venir en soutien de l'action du Parquet. Elle est, par ailleurs, de nature à favoriser une meilleure prise en compte des intérêts financiers de l'Etat, notamment par l'octroi de dommages-intérêts. Dès lors, il est important que les magistrats chargés de ces affaires en informent systématiquement et dans les meilleurs délais l'administration fiscale.
4 - Des plaintes étayées d'éléments de contexte et diversifiées
La circulaire souligne, notamment, la nécessité de procéder à des plaintes diversifiées, étayées des éléments de contexte connus susceptibles de permettre à l'autorité judiciaire de faire procéder à des investigations mieux ciblées et d'apprécier avec exactitude le niveau de gravité de la fraude qui conditionne le prononcé de peines sévères. En effet, le contexte global est pris en compte par le juge pour apprécier le niveau de pénalisation de la fraude fiscale, dès lors que d'autres délits commis par le même justiciable, et replacés dans leur historicité, peuvent contribuer à caractériser le degré d'intentionnalité de commission de la fraude fiscale en elle-même. De même, seront utilement rappelées les constatations effectuées lors de précédents contrôles, la réitération d'omissions ou "d'erreurs" fiscales étant de nature à permettre de caractériser, in fine, l'intentionnalité qui leur est attachée.
5 - Un recours accru à l'information de l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale
L'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI) prévoit que tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en informer sans délai le procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
Dans la perspective d'une répression plus efficace de la délinquance économique et financière, la circulaire invite les services fiscaux à faire une application active de ce texte en portant à la connaissance des autorités judiciaires des infractions qu'ils rencontrent à l'occasion de leurs fonctions, sans attendre la fin des procédures de contrôle fiscal et en se gardant de qualifier juridiquement les faits constatés.
La circulaire rappelle aux agents de l'administration fiscale que l'obligation de dénonciation posée par l'article 40 du Code de procédure pénale ne les relève pas de leur obligation de rendre compte à leur hiérarchie des constatations effectuées. Il s'agit d'éviter d'éventuelles erreurs d'analyse juridique et, le cas échéant, leur mise en cause individuelle pour dénonciation calomnieuse ou violation du secret professionnel, ainsi que le possible engagement de la responsabilité de l'Etat.
6 - Rédaction des plaintes et champ des impositions visées pénalement
Dans la mesure où les investigations judiciaires sont en effet susceptibles de révéler des omissions relatives à des périodes ou des impositions qui ne pouvaient être connues à partir de la seule constatation des faits ayant motivé le dépôt de la plainte, la rédaction des plaintes par l'administration fiscale doit être adaptée afin que les présomptions caractérisées de fraude fiscale concernent, sauf exception, tous les impôts ou taxes pour lesquels la procédure judiciaire révélerait des omissions ou des insuffisances relatives à une période non affectée par la prescription.
De leur côté, les magistrats veilleront, lors de la saisine du service d'enquête qui sera le plus souvent la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, à déterminer un périmètre large des investigations, en mentionnant l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD), relatif aux enquêtes préliminaires ou l'article 79 (N° Lexbase : L7249A4A) et suivants du même code, s'agissant des informations judiciaires.
Dans le cadre des affaires de fraude fiscale, les Parquets devront en outre veiller à élargir le champ des incriminations liées à cette fraude, en orientant les enquêtes afin que puissent être sanctionnés, le cas échéant, des délits connexes tels que le blanchiment, l'atteinte aux systèmes automatisés de données, l'usage de faux ou les recels.
7 - Une meilleure détection et répression de l'ensemble des auteurs et complices
L'efficacité globale de la lutte contre la fraude fiscale repose également sur la politique répressive conduite à l'encontre de l'ensemble des personnes qui interviennent dans les schémas de fraude.
Afin de faciliter la tâche des Parquets, l'administration fiscale recommande à ses agents de relever l'ensemble des actes positifs d'aide ou d'assistance qui ont permis la réalisation de la fraude et de mettre en lumière les éléments révélant que les personnes ayant réalisé ces actes ne pouvaient ignorer qu'elles concourraient à la commission d'une fraude fiscale.
De son côté, le procureur de la République est invité à étendre la responsabilité du délit de fraude fiscale à d'autres personnes que celles directement visées par l'administration, dès lors que leur culpabilité à titre de coauteurs ou de complices viendrait à être établie et, également, à poursuivre l'ensemble des personnes impliquées dans les schémas frauduleux pour les délits connexes à celui de fraude fiscale, notamment celui de blanchiment.
8 - Rappel des bonnes pratiques
Le procureur de la République s'assure de l'envoi d'un avis à victime à l'administration fiscale dans toutes les affaires où un délit de nature fiscale est poursuivi. Il le fait dans un délai permettant à l'administration fiscale de prendre utilement connaissance du dossier pénal et, en cas d'information judiciaire, de se constituer partie civile devant le juge d'instruction afin de faire valoir ses demandes et participer, le cas échéant, aux débats devant la chambre de l'instruction, y compris ceux relatifs au contrôle judiciaire (Cass. crim., 19 février 2014, n° 13-90.037, F-D N° Lexbase : A7636MEK).
Dans les affaires de fraude fiscale, l'administration se constitue systématiquement partie civile, étant elle-même à l'origine des poursuites. Dans les autres affaires, l'administration fiscale informe le magistrat chargé de l'affaire des suites qu'elle entend donner à l'avis à victime, au regard notamment des enjeux du dossier.
Les Parquets devront veiller à informer l'administration fiscale des éléments d'analyse ayant conduit à un classement sans suite (contexte particulier, défaut de caractérisation d'une infraction, difficultés d'ordre juridique).
Il est rappelé que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne peut pas être appliquée en matière de fraude fiscale, s'agissant d'un délit dont les règles de poursuites sont régies par des dispositions spéciales.
Conformément à l'article L. 247 du LPF (N° Lexbase : L3686I3W), l'administration fiscale ne peut pas transiger lorsqu'elle envisage de mettre en mouvement l'action publique pour les infractions mentionnées au CGI.
C - Renforcement de l'action de la justice : des peines diversifiées et adaptées à la complexité et à la gravité des nouvelles formes de fraude
1 - Sanctionner sévèrement la fraude fiscale et, de façon exemplaire, les comportements les plus frauduleux par des peines d'emprisonnement et de lourdes amendes pénales
Selon la circulaire, des réquisitions empreintes de fermeté devront être envisagées, tenant notamment compte de la gravité de l'infraction et de la personnalité de son auteur, en particulier, dans les dossiers où les situations suivantes ont été mises en exergue :
- la volonté flagrante du contribuable d'échapper à l'établissement et au paiement de l'impôt résultant de l'utilisation ou de l'interposition à l'étranger, notamment dans des Etats et territoires non coopératifs, de comptes bancaires, de contrats d'assurance-vie ou d'entités telles que les trusts, les fondations, les sociétés-écrans ou les sociétés fiduciaires ;
- le recours à d'autres manoeuvres tendant à égarer l'administration telles que les déclarations de cessation de paiements en cours ou après le contrôle, l'organisation d'insolvabilité, l'utilisation de gérants de paille, la rétention de TVA, l'exercice d'une activité occulte, des défaillances déclaratives répétées, la mise en oeuvre d'un carrousel de TVA, l'utilisation de factures fictives ou la dissimulation de recettes au moyen d'un logiciel de caisse frauduleux ;
- l'attitude du prévenu pendant le contrôle traduisant manifestement l'absence de toute volonté de s'amender (absence de toute coopération, manoeuvres destinées à faire obstacle à l'action de l'administration) ;
- la situation de récidive légale ou de réitération d'infractions.
Une attention particulière doit être portée aux fraudes fiscales de nature patrimoniale qui se développent pour des montants importants, à travers notamment l'omission ou la minoration volontaire de déclarations de plus-value, de successions, de donations ou en matière d'impôt de solidarité sur la fortune.
2 - L'application de peines de saisies et confiscations
Les peines de confiscations revêtent un caractère particulièrement dissuasif pour les délinquants fiscaux. La circulaire rappelle à cet égard que :
- compte tenu des peines encourues, en application de l'article 131-21, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ), la peine complémentaire de confiscation est encourue de plein droit en matière de fraude fiscale ;
- la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (N° Lexbase : L7041IMQ), a instauré le principe général selon lequel tout bien susceptible de confiscation en application de l'article 131-21 du Code pénal peut faire l'objet d'une saisie pénale au stade de l'enquête ;
- les dispositions de l'article 131-21, alinéa 6, du Code pénal autorisent, pour les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, une confiscation élargie du patrimoine du condamné pouvant porter non seulement sur les biens dont le condamné est propriétaire mais également sur les biens dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi. Peu importe leur lien avec l'infraction, dès lors que cette dernière a procuré un profit direct ou indirect et que le condamné ou le propriétaire n'ont pu en justifier l'origine. Ces dispositions pourront donc utilement trouver à s'appliquer en matière de fraude fiscale, lorsque les mis en cause ne seront pas en mesure d'apporter la preuve de l'origine licite de certains de leurs biens ;
- corrélativement, une saisie patrimoniale élargie, sur le fondement notamment de l'article 706-148 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9511IYW), peut être effectuée ;
- la confiscation peut être ordonnée en valeur dans tous les cas. Elle consiste à confisquer un bien dont la valeur équivaut au produit de l'infraction. Elle peut porter sur tout bien du condamné, étant précisé que la loi du 6 décembre 2013 est, en outre, venue étendre le champ de la confiscation en valeur aux biens dont le condamné a la libre disposition. De plus, l'article 706-141-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6393ISL) prévoit expressément que la saisie pénale peut être ordonnée en valeur. La généralisation de la saisie en valeur garantit en conséquence l'exécution des peines de confiscation sur l'ensemble des éléments disponibles du patrimoine du condamné ;
- en matière de blanchiment, la loi prévoit une peine de confiscation générale du patrimoine de la personne condamnée, pouvant porter sur tous biens dont elle est propriétaire ou dont elle a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, que le bien soit lié ou non à l'infraction et que son origine soit licite ou illicite. Cette peine, initialement prévue pour les seules personnes physiques (C. pén., art. 324-7, 12° N° Lexbase : L3744IYC), a été étendue par la loi du 6 décembre 2013 aux personnes morales (C. pén., art. 324-9, 23° N° Lexbase : L9505IYP). Cette nouvelle disposition devrait permettre un renforcement de la lutte contre le blanchiment, notamment en matière de fraude fiscale, en particulier dans les montages frauduleux faisant appel à l'interposition de structures ou à des sociétés écrans.
Sous réserve du principe général de proportionnalité de la sanction de confiscation, l'attention des procureurs de la République est donc appelée sur :
- l'opportunité de faire usage en amont, au cours de l'enquête ou de l'information judiciaire, des dispositions ci-dessus évoquées, relatives à la saisie en valeur et à la saisie élargie, afin de garantir l'exécution de la confiscation ;
- la nécessité de veiller à ce que la peine de confiscation soit requise lors de l'audience de jugement, en identifiant précisément les biens sur lesquels la peine de confiscation doit porter, de manière à en assurer une exécution efficace.
Enfin, la loi du 6 décembre 2013 a renforcé ce dispositif en prévoyant :
- la résolution des contrats d'assurance-vie faisant l'objet d'une confiscation définitive par l'Etat, le recours à ce type de produits étant par ailleurs fréquent dans le cadre de schémas de fraude fiscale complexe ;
- l'instauration d'une peine de confiscation générale du patrimoine en cas de condamnation d'une personne morale pour blanchiment ;
- l'exécution facilitée des décisions de confiscation des immeubles, en cas d'opposition de l'occupant à la libération des lieux et à la remise du bien ;
- la simplification de l'entraide pénale internationale en matière de saisie des avoirs criminels ;
- l'extension du champ de la confiscation en valeur aux biens dont l'auteur a la libre disposition. Cette disposition a complété le dispositif de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, de programmation relative à l'exécution des peines (N° Lexbase : L6318ISS). Il a permis, d'une part, l'extension des saisies et confiscations patrimoniales élargies aux biens dont le condamné n'est pas seulement propriétaire, mais dont il a la libre disposition, ce qui permet de déjouer plus efficacement les montages reposant sur le recours à des prête-noms ou à l'interposition de structures sociales et, d'autre part, de généraliser la saisie et confiscation en valeur à l'ensemble des éléments de patrimoine du condamné, y compris ceux n'ayant pas fait l'objet d'une saisie préalable ou acquis après jugement.
3 - Portée des peines complémentaires en matière de délinquance financière et de fraude fiscale
Dans le souci de donner son maximum d'efficacité à l'effet dissuasif recherché dans la poursuite pénale de la fraude fiscale, les procureurs sont invités à requérir systématiquement l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 (N° Lexbase : L3255IQM) ou 131-39 (N° Lexbase : L7261IMU) du Code pénal, étant ajouté qu'au-delà du prononcé de la sanction, les modalités d'application des peines d'affichage et de diffusion conditionnent en grande partie leur efficacité. A cet égard, le choix du support (journal local, national, professionnel, site internet) présente un intérêt certain et conditionne largement le retentissement de la condamnation prononcée. Dans un but préventif, l'administration fiscale publie sur son site public, après les avoir anonymisées, les condamnations les plus marquantes.
D'autres peines complémentaires, bien que facultatives, peuvent également être requises à l'encontre des personnes physiques reconnues coupables du délit de fraude fiscale. La peine d'interdiction de droits civiques, civils et de famille prévue à l'article 1741 du CGI, par renvoi aux articles 131-26 (N° Lexbase : L2174AMH) et 131-26-1 (N° Lexbase : L3688IYA) du Code pénal, pourra être envisagée dans la plupart des cas. En effet, la soustraction volontaire et consciente au paiement de l'impôt est souvent de nature à obérer la dignité qui s'attache à la qualité de citoyen, d'élu ou d'auxiliaire de justice.
Par ailleurs, l'article 1750 du CGI (N° Lexbase : L3324IQ8) prévoit que les personnes physiques reconnues coupables de fraude fiscale encourent les peines complémentaires suivantes :
- la peine d'interdiction d'exercer directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une profession libérale, commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale (C. pén., art. 131-27 N° Lexbase : L9467IYB). Cette sanction est particulièrement appropriée à la répression pénale de la fraude fiscale et pourrait donc être largement requise ;
- la suspension du permis de conduire, pour une durée de trois ans au plus, ou de six ans au plus en cas de récidive. La juridiction peut limiter cette peine à la conduite en dehors de l'activité professionnelle.
Enfin, lorsque les faits ont été commis par un membre d'une profession réglementée dans le cadre de son activité, la saisine de l'ordre professionnel compétent par le procureur général en vue d'une procédure disciplinaire méritera d'être examinée avec soin.
4 - Autres procédures et condamnations visant à garantir les intérêts financiers de l'Etat
La préservation des intérêts de l'Etat doit être recherchée dès l'initiation des procédures administratives ou judiciaires destinées à mettre au jour des délits de fraude fiscale et jusqu'au prononcé des sanctions pénales avec l'application de peines de saisies et de confiscations. Il s'agit, pour les services de recouvrement de la DGFiP, de prendre des mesures conservatoires en cas de difficultés prévisibles pour le paiement des rappels d'impôts qui seront mis en recouvrement à l'issue de la procédure de contrôle ou, pour le juge d'instruction, d'ordonner un cautionnement destiné à garantir, au moins pour partie, le paiement des sommes dont la fixation relève de l'administration fiscale.
Prévue par l'article 1745 du CGI (N° Lexbase : L1736HNM), la condamnation des prévenus au paiement solidaire des impositions fraudées et des pénalités fiscales afférentes est prononcée par le tribunal à la demande de l'administration fiscale, lorsque le débiteur principal des impositions est une personne morale.
Elle peut être appliquée à l'ensemble des personnes condamnées au titre d'une même infraction, en qualité d'auteur, coauteur ou complice. Relevant de l'appréciation souveraine des tribunaux, le prononcé de la solidarité n'a pas à être spécialement motivé. Par ailleurs, afin de respecter l'indépendance des procédures administratives et pénales, les juges ne peuvent limiter le montant de la solidarité à une somme déterminée. La solidarité, lorsqu'elle est prononcée, permet de renforcer l'aspect dissuasif des sanctions pénales et donc l'exemplarité de cette action, en sanctionnant financièrement l'ensemble des personnes physiques, qui, sous couvert d'une personne morale, ont en fait réalisé l'infraction.
La circulaire rappelle aux services des greffes correctionnels qu'en cas de condamnations pécuniaires prononcées par une décision devenue définitive, il convient de renseigner soigneusement et d'adresser sans délai à la Direction régionale ou départementale des finances publiques territorialement compétente (direction du département de la juridiction ayant rendu la décision de condamnation) :
- le Relevé de Condamnation Pénale (RCP) pour les condamnations pénales (notamment l'amende pénale) et le droit fixe de procédure ;
- l'extrait-finances pour les dommages-intérêts accordés à l'Etat, partie civile, en réparation du préjudice résultant de délits de droit commun (escroquerie de nature fiscale par exemple) et les frais dits irrépétibles (C. proc. pén., art. 475-1 N° Lexbase : L3911IRB et 618-1 N° Lexbase : L3910IRA).
II - Commentaires
La première partie de cette circulaire est consacrée au renforcement des moyens juridiques de lutte contre la fraude fiscale et passe en revue les principales mesures contenues dans la loi du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : N9669BTB).
La seconde partie de la circulaire traite du renforcement des politiques de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. On retiendra, en particulier, les directives suivantes.
L'intensification et le suivi des échanges entre l'administration fiscale et la Justice
La circulaire rappelle, une nouvelle fois, l'ardente obligation des échanges d'information entre l'administration fiscale et les services judiciaires, obligation réglementée par les articles L. 101 et L. 82 C du LPF, ainsi que par l'article 40 du Code de procédure pénale. Pour davantage formaliser cette coopération, les résultats obtenus par l'administration grâce aux informations transmises doivent faire l'objet d'une communication au ministère public dans un délai de six mois après leur transmission. Par ailleurs, pour évaluer cette coopération, ou peut-être en surveiller le bon accomplissement, la loi du 6 décembre 2013 a prévu un mécanisme de suivi et d'information du Parlement des échanges entre l'administration fiscale et la Justice. Cette coopération entre l'administration fiscale et les services judiciaires, qui devrait être naturelle s'agissant de lutter contre la fraude fiscale n'est, sans doute pas, aussi intense qu'elle pourrait l'être, compte tenu de cette anomalie juridique, très mal acceptée par les Parquets, qui est de celle de l'initiative des poursuites laissée, de manière exclusive, à l'administration fiscale en ce qui concerne les délits de fraude fiscale réprimés par l'article 1741 du CGI. On notera à cet égard l'observation de la Cour des comptes dans son référé du 10 octobre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale internationale (lire N° Lexbase : N8949BTM) : "En France, seule l'administration fiscale peut engager des poursuites pénales pour fraude fiscale, seul délit que les Parquets ne peuvent poursuivre de façon autonome. Cette situation est aujourd'hui préjudiciable à l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. En effet, malgré la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, les plaintes pour fraude fiscale demeurent peu nombreuses, mal ciblées et tardives. La Cour estime nécessaire d'ouvrir aux Parquets le droit de poursuivre, sans dépôt de plainte préalable par l'administration fiscale, certaines fraudes complexes, afin de traiter un plus grand nombre de dossiers, d'intervenir plus rapidement et de mieux assurer le recouvrement des sommes dues. Cette possibilité nouvelle donnée aux Parquets, qui complèterait utilement la possibilité de poursuivre les faits de blanchiment de fraude fiscale, serait de nature à améliorer significativement l'efficacité de l'action de l'Etat au prix de risques limités". Dans sa réponse du 11 octobre 2013, le Premier Ministre fait observer que : "Le monopole de la DGFiP pour le dépôt des plaintes pour fraude fiscale, la sélection des propositions de poursuites correctionnelles au niveau de son administration centrale et l'intervention de la CIF constituent un dispositif global cohérent permettant une sélection rigoureuse et uniforme des dossiers de contrôle fiscal présentés à l'autorité judiciaire. La CIF est une instance administrative qui ne constitue en aucun cas un premier degré de juridiction. Elle rend des avis sur des situations de faits qui lui sont exposées, sans préjuger de la décision du Parquet qui reste le seul maître de l'opportunité des poursuites. En ce sens, la CIF offre une garantie supplémentaire aux contribuables susceptibles de faire l'objet de poursuites correctionnelles". Du côté de l'administration fiscale, on doit, sans doute, considérer que cette initiative des poursuites dont elle a l'exclusivité, s'agissant du délit de fraude fiscale (CGI, art. 1741), n'est pas étrangère à l'afflux actuel des exilés fiscaux demandant à régulariser leur situation. On peut, en effet, penser que la perspective de l'ouverture d'une information judiciaire pour fraude fiscale aurait dissuadé de nombreux contribuables de faire cette démarche.
Par ailleurs, on peut s'étonner que cette circulaire n'envisage les échanges d'information qu'avec la Justice, sans évoquer les coopérations possibles avec d'autres administrations. Dans le même référé que celui cité supra, la Cour des comptes observe : "Il est essentiel que les services du ministère des Finances puissent utiliser les informations obtenues par d'autres services de l'Etat ou par des organismes de contrôle.
La recherche du renseignement doit s'appuyer plus fortement sur la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et sur la cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Tracfin). Des échanges d'informations entre la DCRI et la direction générale des finances publiques (DGFiP), ainsi que l'exercice d'un droit de communication fiscal à l'égard de la DCRI, permettraient de renforcer la lutte contre la fraude fiscale. S'agissant de Tracfin, la DGFiP a la possibilité légale de lui demander la transmission de renseignements, mais elle ne le fait pas".
Une action pénale plus diversifiée
Selon la circulaire : "l'administration fiscale doit diversifier ses plaintes, tant à raison de la nature des fraudes présentées au juge pénal que des moyens juridiques mis en oeuvre, tout en continuant de positionner son action à l'encontre des fraudes les plus graves, la gravité étant appréciée notamment au regard des enjeux financiers. Est également affirmée la nécessité de renforcer également son action à visée répressive à l'encontre des fraudes fiscales de nature patrimoniale (omission ou minoration de déclarations de plus-value, de successions, de donations ou d'impôt de solidarité sur la fortune) et des fraudes fiscales internationales". Ces directives doivent être rapprochées des constatations faites par la Cour des comptes dans son rapport sur les "Les services de l'Etat et la lutte contre la fraude fiscale", en date du 1er août 2013, dans lequel on peut lire : "En France, la fraude fiscale, en particulier la fraude fiscale internationale, fait peu souvent l'objet de poursuites pénales. Le monopole dont dispose l'administration fiscale pour porter plainte a de facto conduit à un faible nombre de poursuites et de sanctions par comparaison au nombre de propositions de rectifications accompagnées de pénalités pour mauvaise foi. Les dépôts de plaintes de l'administration fiscale sont ainsi de l'ordre de 1 000 par an. En matière répressive, les services fiscaux tendent à privilégier l'application de sanctions financières, réservant l'action pénale aux affaires dans lesquelles ils n'arrivent pas à recouvrer les droits, notamment parce que les sociétés concernées sont mises en liquidation judiciaire avant même la fin du contrôle rendant inapplicables les sanctions financières". On notera que, dans la circulaire du 22 mai 2014, l'administration fiscale persiste et signe puisqu'on peut y lire que "Dans la plupart des cas, l'application des pénalités fiscales suffit à sanctionner, par une réparation pécuniaire appropriée, les manquements aux obligations prescrites par le CGI".
"Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de souligner que la politique de répression pénale des services fiscaux était ciblée sur les fraudes faciles à sanctionner' et non sur les plus répréhensibles. Près du tiers des plaintes visait en 2008 des entrepreneurs du bâtiment, et plus particulièrement ceux originaires d'un même pays méditerranéen' parce qu'ils mettent en oeuvre des schémas de fraude simples et, de fait, se défendent peu. En revanche, les dépôts de plainte par la DVNI ou la DNVSF, qui vérifient les grandes entreprises ou des particuliers à fort enjeu', sont extrêmement rares. Malgré la volonté de la DGFIP de diversifier ses plaintes, ces constats restent largement valables". Dans sa réponse à ce rapport, le premier ministre fait observer que : "Dans un contexte de développement de la fraude fiscale et d'augmentation du nombre de contrôles fiscaux à caractère répressif qui aboutissent à des rappels d'impôt de montants significatifs, le nombre et la qualité des plaintes pour fraude fiscale ont progressé de façon continue : 987 plaintes autorisées par la commission des infractions fiscales (CIF) en 2012 , correspondant à 430 millions d'euros de droits fraudés visés pénalement, contre 939 plaintes en 2009 correspondant à 306 millions d'euros de droits fraudés . Parmi ces affaires, les plaintes déposées sur des présomptions de fraude (affaires dites de police fiscale', 173 plaintes sur 3 ans) représentent à elles seules des avoirs dissimulés pour un montant estimé de plus de 1,5 milliards d'euros (données à fin juillet 2013)".
"Outre le dépôt de plaintes pour fraude fiscale, des poursuites pénales fondées sur d'autres qualifications juridiques sont initiées par la DGFiP. Ainsi, le nombre de plaintes pour escroquerie fiscale a fortement augmenté ces dernières années (8 plaintes en 2006, 75 en 2009 et 100 en 2012)".
Il semble que la diversification souhaitée de la répression pénale de la fraude fiscale passe par davantage de poursuites initiées par les Parquets, sans le filtre de la commission des infractions fiscales. Les infractions concernées sont notamment celles : d'escroquerie à la TVA (obtenir des remboursements de crédits de TVA à partir d'opérations fictives) ; de conception et commercialisation de logiciels de caisse permissifs (le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ; C. pén., art. 323-3 N° Lexbase : L6387ISD) ; de blanchiment de fraude fiscale.
Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes (voir supra), le Premier ministre indique que : "Les poursuites pour blanchiment de fraude fiscale peuvent être initiées par les magistrats du Parquet sans plainte préalable de l'administration fiscale depuis 2008. Ce mode d'action semble bien adapté à l'engagement rapide d'une action pénale, notamment pour la répression des fraudes ayant un caractère international qui comporte presque toujours un volet blanchiment ; le traitement fiscal du dossier et l'éventuelle plainte pour fraude fiscale intervenant dans un second temps à l'encontre des contribuables.
L'engagement de poursuites pour blanchiment de fraude fiscale, à l'initiative des Parquets, notamment à l'encontre des établissements bancaires, des professionnels du droit et du chiffre et des différents intermédiaires apportant leur concours à la fraude fiscale de leurs clients peut ainsi constituer une réponse efficace au développement des schémas de fraude fiscale. Ces poursuites peuvent également être initiées de façon connexe dans les affaires de fraude fiscale quand l'implication d'intermédiaires est mise à jour, ou suite à des dénonciations effectuées en application de l'article 40 du Code de procédure pénale par les services de l'administration fiscale".
Dans le rapport déjà cité, la Cour des comptes faisait observer que : "L'autorité judiciaire a les moyens d'agir immédiatement, dans le temps de la flagrance. Par exemple, si elle découvre lors d'une perquisition pour d'autres faits, des éléments relatifs à une fraude fiscale, le fait de pouvoir poursuivre dans une enquête incidente sans requérir l'avis de l'administration fiscale lui permettrait de saisir immédiatement les éléments de preuve et d'éviter ainsi leur déperdition ultérieure. Cela lui permettrait également de mettre rapidement un terme à l'infraction, par exemple au moyen de blocages de comptes bancaires, et de récolter des preuves qui pourront être exploitées ultérieurement et mises à disposition de l'administration fiscale. L'administration fiscale n'a pas cette rapidité d'intervention. La procédure de flagrance fiscale, compte tenu de ses conditions restrictives, est très peu mise en oeuvre. Par ailleurs, lors d'une perquisition fiscale, l'administration ne peut saisir que des pièces afférentes au contrôle mené, même si elle découvre d'autres éléments concernant d'autres contribuables ou d'autres fraudes" (Cour des comptes, Les services de l'Etat et la lutte contre la fraude fiscale internationale, 1er août 2013).
On notera que, désormais, et comme le remarquait la Cour des comptes, les fonctionnaires de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale peuvent, sur réquisition du procureur de la République, ou sur commission rogatoire du juge d'instruction, effectuer des enquêtes judiciaires pour rechercher et constater, sur l'ensemble du territoire national, les infractions prévues par les articles 1741 et 1743 du CGI, lorsqu'il existe des présomptions caractérisées que les infractions résultent d'une des conditions prévues aux 1° à 5° de l'article L. 228 du LPF, ainsi que sur le fondement de la seule infraction de blanchiment de fraude fiscale complexe telle que définie à l'article L. 228 du LPF.
Une meilleure détection et répression de l'ensemble des auteurs et complices
Dans la circulaire du 22 mai 2014, il est écrit que "l'efficacité globale de la lutte contre la fraude fiscale repose sur la politique répressive conduite à l'encontre de l'ensemble des personnes qui interviennent dans les schémas de fraude". Il est donc demandé au procureur de la République : "d'étendre la responsabilité du délit de fraude fiscale à d'autres personnes que celles directement visées par l'administration, dès lors que leur culpabilité à titre de coauteurs ou de complices viendrait à être établie et, également, à poursuivre l'ensemble des personnes impliquées dans les schémas frauduleux pour les délits connexes à celui de fraude fiscale, notamment celui de blanchiment..." Cette observation fait écho à ce que la Cour des comptes a écrit dans son rapport du 1er août 2013 : "la réponse apportée par l'Autorité de contrôle prudentiel aux défaillances des établissements financiers n'est pas toujours assez ferme. Dans plusieurs dossiers de contrôle de banques privées examinés par la Cour, l'ACP a constaté des opérations suspectes qui auraient dû faire l'objet de déclarations de soupçon de la part d'établissements bancaires, voire de dénonciations au Procureur. Or l'ACP, en application d'une interprétation erronée de l'article L. 561-30 du CMF, attend l'issue de la procédure contradictoire du contrôle bancaire pour faire une déclaration à Tracfin, en incitant éventuellement les établissements à se mettre en règle de leurs obligations déclaratives. Ce faisant, elle traite la déclaration de soupçon comme une suite du contrôle, alors qu'il s'agit d'une obligation légale à respecter immédiatement dès le stade du soupçon, indépendamment des suites et d'une éventuelle sanction. Le manque de réactivité de l'ACP limite les possibilités ultérieures de mise en jeu de la responsabilité pénale de l'établissement pour complicité. L'approche graduée mise en place par l'ACP en matière de sanctions est particulièrement inadaptée dans les cas où la banque pourrait être considérée comme complice d'infractions. En matière de blanchiment de fraude fiscale, faute d'information de Tracfin et faute de suites répressives, l'intervention de l'ACP n'a pas de caractère dissuasif". La Cour ajoute "A chaque profession assujettie au dispositif de déclaration de soupçon à Tracfin est attachée une autorité de contrôle, qui peut être une entité publique (l'autorité des marchés financiers -AMF- par exemple) ou un organisme professionnel (Conseil national des barreaux, Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Chambre des huissiers, par exemple). Un groupe de travail consacré aux autorités de contrôle au sein du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, réuni sous l'égide de la direction générale du Trésor, a conclu que leurs obligations de déclaration à Tracfin sont peu mises en pratique' et la question de la responsabilité des autorités de contrôle en cas de non transmission à Tracfin de telles informations a été soulevée'".
Renforcement de l'action de la justice
Pour prolonger le durcissement des sanctions applicables à la fraude fiscale complexe ; prévu par la loi du 6 décembre 2013, la circulaire du 22 mai 2014 donne comme directive aux procureurs de formuler des réquisitions empreintes de fermeté, tenant notamment compte de la gravité de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Cette fermeté souhaitée concerne notamment les situations dans lesquelles apparaît la volonté flagrante du contribuable d'échapper à l'établissement et au paiement de l'impôt résultant de l'utilisation ou de l'interposition à l'étranger, notamment dans des Etats et territoires non coopératifs, de comptes bancaires, de contrats d'assurance-vie ou d'entités telles que les trusts, les fondations, les sociétés-écrans ou les sociétés fiduciaires.
Cette fermeté affirmée peut laisser dubitatif quand on observe le niveau des sanctions pénales en matière de fraude fiscale. Dans le rapport de la Commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, on peut lire : "Le dispositif proposé par le Gouvernement présente une limite de taille : il consiste à ne relever que le maximum des peines applicables au délit de fraude fiscale. Par conséquent, rien ne garantit, au titre du principe de la personnalisation des peines, que le juge pénal prononcera effectivement des sanctions plus élevées. A ce titre, il faut souligner que, de l'aveu même du Gouvernement, la durée médiane des peines d'emprisonnement prononcées dans le cadre du délit de fraude fiscale s'élève à six mois environ, généralement assortis de sursis, et le montant médian de l'amende à 5 000 euros. Or, de telles peines sont bien inférieures aux droits fraudés et ne présentent pas un caractère dissuasif réel".
Si l'on se réfère au projet de loi de finances pour 2014 (évaluation des voies et moyens), on peut faire un constat de même ordre. En effet, pour l'année 2102, pour 564 condamnations définitives on compte :
- 487 peines de prison, dont 412 avec sursis et 75 sans sursis ;
- 174 peines d'amende, dont 10 avec sursis et 164 sans sursis.
S'agissant des poursuites pour escroquerie en matière de fraude fiscale, pour 42 condamnations définitives on compte :
- 31 peines d'emprisonnement sans amende, dont 9 sans sursis ;
- 8 peines d'emprisonnement avec amende, dont 1 sans sursis.
Toujours dans ce contexte du renforcement de l'action de la justice, la circulaire du 22 mai 2014 donne comme directive de favoriser l'application des peines de saisies et confiscations, dès lors qu'en vertu de l'article 131-21, alinéa 1er, du Code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue de plein droit en matière de fraude fiscale. Par ailleurs, les procureurs sont invités à requérir systématiquement l'affichage et la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du Code pénal applicables aux délits commis à compter de cette date, dans le souci de donner son maximum d'efficacité à l'effet dissuasif recherché dans la poursuite pénale de la fraude. On peut douter de la grande efficacité d'un encart publié dans la presse, lequel doit le plus souvent passé inaperçu.
Cette circulaire a certainement une grande vertu pédagogique et devrait notablement concourir à renforcer la lutte nécessaire contre la fraude fiscale, mais compte tenu du manque de moyens des uns ou des autres, des avis parfois divergents sur le traitement des affaires dans la chaine judiciaire, il n'est pas certain que la cohérence affichée par cette circulaire soit obtenue de manière optimum.
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Réf. : Cass. soc., 4 juin 2014, n° 13-60.238, FS-P+B (N° Lexbase : A2834MQZ)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à Université des Antilles et de la Guyane
Le 19 Juin 2014
Résumé
L'employeur, informé par la fédération syndicale de sa volonté de présenter une liste en lieu et place de syndicats lui étant affiliés, pouvait, sans saisir un tribunal, tirer les conséquences de cette décision et ne pas retenir les candidatures déposées par les syndicats. |
Commentaire
I - La neutralité de principe de l'employeur dans le processus électoral
Elections professionnelles : rôle de l'employeur. Les élections professionnelles, qui ont lieu en principe tous les quatre ans dans l'entreprise ou l'établissement, font intervenir différents acteurs qui entourent les candidats à l'élection.
L'employeur, ou son représentant dans l'établissement, a un rôle important à jouer. Il va négocier avec l'ensemble des organisations syndicales (1) le protocole d'accord préélectoral qui décidera de l'éventuel découpage de l'entreprise en établissements distincts, qui composera les collèges électoraux et qui encadrera les modalités de déroulement du scrutin. En application de cet accord, l'employeur devra permettre le déroulement matériel du scrutin en mettant à la disposition des organisations syndicales des locaux, du matériel de vote, etc..
L'intervention de l'employeur dans le processus électoral doit cependant s'arrêter là.
L'obligation de neutralité de l'employeur. S'il doit se plier aux stipulations de l'accord préélectoral, l'employeur ne peut pas prendre d'autres mesures que celles prévues par le texte. Il ne peut, en principe, s'immiscer dans les opérations électorales, en participant, par exemple, au dépouillement de l'élection (2), quand bien même, d'ailleurs, un protocole d'accord électoral par définition irrégulier, lui en donnerait le droit (3).
D'une manière générale, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que l'employeur est tenu d'une obligation de neutralité à l'endroit du scrutin, obligation qu'elle qualifie d'ailleurs de "principe essentiel du droit électoral" (4). Cette obligation de neutralité demeure cependant un peu ambiguë, puisqu'il a parfois été jugé que l'absence d'intervention de l'employeur pouvait constituer un manquement à ce devoir (5).
A côté de l'employeur, les syndicats de l'entreprise jouent eux aussi un rôle essentiel dans l'élection.
Elections professionnelles : rôle des syndicats. Comme l'employeur, le premier rôle des syndicats, représentatifs ou non, consiste d'abord à négocier le protocole d'accord préélectoral. Leur mission est loin de s'arrêter là, puisque les organisations syndicales disposent, au premier tour des élections, d'un monopole de présentation de listes de candidats, par application des articles L. 2314-24 (N° Lexbase : L3759IBT) et L. 2324-22 (N° Lexbase : L3759IBT) du Code du travail.
Tous les syndicats régulièrement constitués, ayant au moins deux ans d'ancienneté et respectant les valeurs républicaines peuvent présenter des listes au premier tour des élections. Tous ? Une restriction est apportée, depuis très longtemps d'ailleurs, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, puisque les syndicats affiliés à une même confédération nationale, qu'elle soit représentative ou non, ne peuvent présenter qu'une seule liste de candidats (6).
En cas de conflit entre deux syndicats relevant de la même affiliation qui présenteraient des listes concurrentes, ce sont les dispositions statutaires des syndicats qui doivent être prises en considération (7). Que décider cependant à défaut de telles dispositions statutaires ? L'employeur peut-il s'immiscer dans la décision consistant à refuser que deux listes relevant d'une même confédération ou d'une même fédération puissent être présentées ?
L'affaire. Un protocole d'accord préélectoral avait été négocié au sein d'un établissement de Pôle emploi. Plusieurs syndicats départementaux Force ouvrière avaient déposé une liste commune de candidature en vue des futurs scrutins. Quelques jours plus tard, une autre liste avait était déposée par la fédération employés et cadres de Force ouvrière, fédération à laquelle les syndicats départementaux étaient affiliés. Avisé par la fédération de son souhait de déposer une liste, en lieu et place de celle présentée par les syndicats départementaux, l'employeur avait refusé de prendre en compte la première liste déposée. Les syndicats départementaux éconduits avaient saisi le juge d'instance afin d'obtenir que leur liste soit prise en compte.
Le tribunal d'instance de Marseille avait décidé d'annuler l'élection. Il relevait, en effet, que l'employeur avait refusé d'afficher et de diffuser la liste présentée par les syndicats départementaux alors que l'employeur "ne peut se départir d'une attitude de neutralité au cours du processus électoral et ne doit tenir compte d'aucune instruction émanant des parties et ne peut en aucun cas se faire juge de la validité des candidatures présentées".
Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 4 juin 2014, au visa des articles L. 2314-24 (N° Lexbase : L3759IBT) et L. 2324-22 (N° Lexbase : L3759IBT) du Code du travail. L'employeur, informé par la fédération syndicale de sa volonté de présenter une liste en lieu et place de syndicats lui étant affiliés, "pouvait, sans saisir un tribunal, tirer les conséquences de cette décision et ne pas retenir les candidatures déposées par les syndicats".
II - Les limites de la neutralité de l'employeur dans le processus électoral
Premier apport : la prévalence de la fédération. Si la décision sous examen confirme que deux syndicats relevant de la même affiliation ne peuvent présenter de listes concurrentes aux élections des représentants du personnel dans l'entreprise, elle a également le mérite d'offrir un nouveau critère de choix entre les listes concurrentes.
En effet, en jugeant que l'employeur pouvait tenir compte de la décision de la fédération et ne pas retenir la liste déposée par les syndicats départementaux, la Chambre sociale ne procède à aucune recherche d'interprétation des statuts des syndicats mais fait seulement application d'un critère hiérarchique. La fédération à laquelle les syndicats départementaux sont affiliés dispose d'une sorte d'autorité sur ces syndicats et sa décision de déposer une liste, en lieu et place des syndicats départementaux, s'impose à l'employeur.
Si l'on peut regretter que les statuts des différents syndicats n'aient pas été analysés, il faut remarquer, d'abord, que ce moyen n'avait pas été soulevé devant la Chambre sociale, et ensuite, que le respect de cette règle hiérarchique permettra à l'avenir de trancher d'éventuels conflits, faute précisément que les statuts ne prévoient de règle de conflit (8).
Les incertitudes liées au critère hiérarchique. Le critère hiérarchique pourrait, cependant, s'avérer parfois insuffisant. Une extrapolation de l'affaire présentée permet d'en donner exemple.
Dans cette affaire, les syndicats départementaux des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse s'étaient initialement groupés pour former une liste Force ouvrière commune, ensuite écartée par la fédération. Comment le conflit aurait-il pu être réglé si ces syndicats départementaux avaient chacun déposé une liste respective de candidats ? La hiérarchie entre syndicats départementaux est difficilement concevable.
Là encore, ce sont d'abord les dispositions statutaires qui devraient être analysées. Mais dans leur silence, on ne voit guère d'autre solution que d'appliquer un critère chronologique, le conflit étant réglé au prix de la course !
Second apport : les limites de la neutralité de l'employeur. C'est le second enseignement de cette décision : en cas de conflit entre deux listes syndicales relevant de la même affiliation, l'employeur peut parfois prendre une décision d'exclusion de l'une des listes, sans saisir le juge d'instance.
L'obligation de neutralité qui interdit à l'employeur de s'immiscer dans le scrutin est donc limitée, l'employeur peut parfois intervenir pour écarter une liste. Cette exception reste, cependant, très strictement encadrée, et il ne faut pas l'étendre au-delà de ce que décide la Chambre sociale dans cette affaire. Si l'employeur était dispensé de saisir le juge, ce n'est que parce que la fédération lui avait fait part de sa décision de présenter une liste à la place de la liste écartée.
Quoiqu'il en soit, cette décision créée, après l'apparition du concept de neutralité "active", une nouvelle brèche dans l'obligation de neutralité. Celle-ci ne demeure acceptable qu'en ce qu'elle ne semble permettre à l'employeur que d'exécuter les consignes de la fédération syndicale ayant elle-même une autorité sur les syndicats contestataires.
(1) Du moins toutes celles qui remplissent les conditions posées par les articles L. 2314-3 (N° Lexbase : L6589IZ3) et L. 2314-4 (N° Lexbase : L2585H9M) du Code du travail.
(2) A propos de l'élection des membres du CHSCT, v. Cass. soc., 16 octobre 2013, n° 12-60.293, FS-D (N° Lexbase : A0988KNW).
(3) Cass. soc., 16 octobre 2013, n° 12-21.448, FS-P+B (N° Lexbase : A1045KNZ).
(4) Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-14.178, F-D (N° Lexbase : A1295ILK).
(5) Employeur qui "laisse diffuser" la veille de l'élection des tracts anonymes mettant gravement en cause les élus et appelant les salariés de l'entreprise à l'abstention, v. Cass. soc., 7 novembre 2012, n° 11-60.184, F-D (N° Lexbase : A6707IWC) ; RDT, 2013, p. 119, obs. F. Signoretto.
(6) Avant la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), v. Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 02-60.425, F-D (N° Lexbase : A5595C94). Cette jurisprudence fut maintenue après la loi du 20 août 2008 malgré la disparition de l'automaticité de la représentativité des syndicats affiliés à un syndicat représentatif à un échelon supérieur, v. Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 10-60.135, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2465GAK) ; JCP éd. S, 2010, 1479, note R. Chiss et C. Souchon ; Dr. Ouvrier, 2010, 655, note F. Petit.
(7) Cass. soc., 6 avril 2005, n° 04-60.244, F-P (N° Lexbase : A7636DHB) et les obs. de G. Auzero, Les titulaires des droits syndicaux dans l'entreprise : qui, du syndicat ou de l'union à laquelle il appartient, doit l'emporter ?, Lexbase Hebdo n° 164 du 21 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3252AIB).
(8) Comme le relevait G. Auzero, l'hypothèse du silence statutaire devrait toutefois être extrêmement rare, v. Les titulaires des droits syndicaux dans l'entreprise : qui, du syndicat ou de l'union à laquelle il appartient, doit l'emporter ?, préc..
Décision
Cass. soc., 4 juin 2014, n° 13-60.238, FS-P+B (N° Lexbase : A2834MQZ). Cassation partielle (TI Marseille, 13 juin 2013). Textes visés : C. trav., art. L. 2314-24 (N° Lexbase : L3759IBT) et L. 2324-22 (N° Lexbase : L3759IBT). Mots-clés : élections professionnelles, pluralité de listes syndicales, obligation de neutralité de l'employeur. Lien base : (N° Lexbase : E1606ETN). |
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 juin 2014, 2 arrêts, n° 13-18.383 (N° Lexbase : A4279MQK) et n° 13-20.582 (N° Lexbase : A2230MRZ), F-P+B+I
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