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N2191BUP
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 15 Mai 2014
Alors, cette loi, toute empreinte de générosité qu'elle soit et, de ce fait, ne pouvant qu'emporter l'adhésion du plus grand nombre, questionne beaucoup sur l'appréhension du don, sa place, sa considération dans notre société et l'entreprise ; sans oublier, l'Etat lui-même.
L'histoire de ce texte, issu, une fois n'est pas coutume, d'une proposition de loi, est des plus originales puisqu'il est le fruit d'une initiative déjà mise en place dans plusieurs entreprises ; initiatives singulières que le législateur a entendu légaliser et, par conséquent, généraliser. Conscientes des insuffisances des différents régimes de solidarité permettant à une famille de soutenir un des leurs dans la maladie, voire dans les derniers instants de vie, plusieurs entreprises avaient donc pris le pari du don de journées de repos au bénéfice de ceux qui avaient besoin de se libérer de leurs obligations professionnelles, sans en subir les conséquences financières afférentes, c'est-à-dire la perte de rémunération. Ne lésant les intérêts ni de l'Etat, indifférent au sort du donateur volontaire et du donataire dans le besoin, les modalités de cette entraide professionnelle assurant une neutralité pécuniaire, ni de l'entreprise à qui il n'est pas demandé, pour une fois, de contribuer à la solidarité forcée, la loi a de quoi séduire, a priori ; encore que l'on voit mal, pour l'entreprise et donc pour la bonne marche de l'économie nationale, comment la renonciation à un jour de congé d'un comptable compenserait celui pris par un ouvrier qualifié, le travail de l'un comme de l'autre ne se limitant pas à une simple ligne budgétaire... Par conséquent, on ne pourra qu'émettre certains doutes sur la neutralité financière d'un tel mécanisme de donation, ce que n'ont pas manqué de relever certains parlementaires lors de l'adoption du texte en cause.
Ensuite, il faut lire le rapport fait pour la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale pour le croire : "alors que la France doit faire face à un niveau d'endettement très élevé, préjudiciable à la fois à ses finances publiques mais aussi, globalement, à sa bonne santé économique, peut-on réellement demander à l'Etat de prévoir des conditions d'indemnisation plus confortables dans le cadre [des différents dispositifs de solidarité (congé pour enfant malade, congé de soutien familial, congé de solidarité familiale et congé de présence parentale)] ? Serait-il légitime, par ailleurs, de mettre en place une contribution des entreprises, dont les charges sont déjà élevées et qui, pour beaucoup d'entre elles, luttent au quotidien pour maintenir l'emploi sur les territoires ?" Est-ce à dire que l'Etat et les entreprises sont exsangues ; et qu'il ne faut plus compter sur la solidarité nationale, et sur l'impôt, pour couvrir de nouveaux risques liés aux accidents de la vie ? C'est du moins la forte impression que donne ce motif avoué de la loi. On rappellera, pour relativiser l'ensemble des implications macro-économiques et ramener l'analyse aux seuls cas de solidarité envisagés par la loi nouvelle, que ce dispositif s'adresse avant tout à 1 500 enfants, à nombre malheureusement constant, en phase terminale dans notre pays. Il est étrange que l'endettement de la France ou la taxation des entreprises ne puisse souffrir la douleur et la peine de 1 500 enfants qui ont besoin de la présence quotidienne de leurs parents...
Enfin, que penser de la précaution législative sur l'anonymat du don en question. Outre que certains n'ont pas manqué de relever que cet anonymat était, dans les faits, illusoire, il a semblé important aux parlementaires, qu'en dehors d'une gratuité inhérente au don, l'anonymat soit la garantie d'une absence de reconnaissance individuelle de la part du bénéficiaire, évitant ainsi tout marchandage, voire la garantie d'une absence de vindicte à l'égard de celui qui ne participerait pas à une donation collective de jours de repos. Et, c'est là toute l'ambiguïté d'une telle loi !
En légiférant pour reconnaître et encadrer le don au sein de l'entreprise, les parlementaires admettent qu'il existe au sein de la société et, plus particulièrement, dans le milieu professionnel, des relations d'échange non fondées sur le contrat. C'est, en principe, le contrat social, au sens large, et le contrat de travail, le régime conventionnel collectif ou encore celui des obligations unilatérales de l'employeur (usages), au cas particulier, qui régissent les rapports humains au sein de l'entreprise. De fait, le législateur reconnaît, désormais, que les relations interpersonnelles puissent naître de la générosité, de l'échange et du partage non contractualisé. On ne peut donc que constater que l'individualisme qui irrigue toutes relations sociales, alors que les droits conventionnels collectifs n'existent que pour assurer l'égalité et non la fraternité, est mis à mal par une telle législation faisant des "camarades" de véritables "frères d'arme".
Par ailleurs, la loi nouvelle, qui hésite entre Derrida et Bourdieu, peine nécessairement à pencher pour une conception ou l'autre du don ; ce qui explique la somme de précautions prise pour que ce don de jours de repos emporte le moins de fierté possible pour le donateur et le moins de reconnaissance souhaitable pour le donataire. On sait avec Derrida que, "pour qu'il y ait don, il faut qu'il n'y ait pas de réciprocité, de retour, d'échange, de contre-don ni de dette". "Il faut, à la limite, qu'il [le donataire] ne reconnaisse pas le don comme don. S'il le reconnaît comme don, si le don lui apparaît comme tel, [...] cette simple reconnaissance suffit pour annuler le don"... Autant dire que le véritable don n'existerait donc pas, ou bien il serait d'empreinte morale, si ce n'est d'essence religieuse. A l'inverse, les parlementaires n'ont pu se résoudre à la conception que Bourdieu a du don. Pour ce dernier, "toutes les actions apparemment désintéressées cacheront des intentions de maximiser une forme quelconque de profit". En clair, le don sans contrepartie, dans nos sociétés économiques, n'existe pas. C'est donc pourquoi le législateur a rappelé la gratuité du don en cause et imposé l'anonymat pour garantir cette gratuité. Se méfiant du don de Bourdieu, on imagine mal le législateur faire entrer la morale ou la foi dans l'enceinte libérale et laïque de l'entreprise pour se confondre avec Derrida...
Reste la conception de Marcel Mauss... Pour ce dernier, le don est universel. Le don est ce qui caractérise toutes relations humaines. Il peut être symétrique ou asymétrique, équilibré ou non, synchrone ou asynchrone, mais l'on ne donne et l'on ne rend que parce que l'on a reçu... Autrement dit, dans l'acte de donation qui régit le lien social, il y a trois éléments fondamentaux et non pas seulement deux : donner, recevoir... et rendre ; et cela, selon un cycle universel, intemporel et interactif, et certainement pas en vase clos. Et, la gratuité véritable de la donation vient du fait que l'on a précédemment reçu, et qu'il nous apparaît indéniable qu'il faille rendre à son tour, non pas nécessairement à celui qui nous a fait bénéficier de son don, mais à quidam. C'est peut-être cette conception là que le législateur a voulu mettre en avant. En rappelant la gratuité inhérente du don et en imposant l'anonymat de celui-ci, le législateur veut sortir du schéma puriste de Derrida et de son don inatteignable, sans entrer dans le dévoiement de l'intérêt bien compris du donateur de Bourdieu, pour rappeler que la contrepartie du don n'est pas à venir, mais vient du fait que le donateur a déjà reçu, a déjà été donataire... Pour revenir à notre cadre législatif, cela pourrait se traduire quelque peu ainsi : c'est parce que le salarié a bénéficié du don de jours de congés supplémentaires, notamment avec l'instauration des 35 heures, qu'il est envisageable qu'il puisse donner gratuitement et anonymement des jours de congés à ceux qui en ont foncièrement besoin pour soutenir leurs enfants gravement malades ou handicapés sans subir l'affront de la gêne pécuniaire. La thèse n'est point spécieuse : elle ressort au détour des débats parlementaires. Nécessairement, ces donataires seront, à leur tour, plus tard, dans la situation de pouvoir donner à d'autres dans le besoin. C'est ni plus ni moins que le principe de la solidarité nationale transportée dans le seul cadre entrepreneurial... Chacun jugera de l'opportunité d'un tel transfert de compétence, quand l'on a mis un siècle à s'affranchir du paternalisme dans l'entreprise ; à ceci près que l'échange ou la dépendance n'est plus verticale et hiérarchique, mais horizontale et coreligionnaire.
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Réf. : Cass. civ. 2, 30 avril 2014, n° 13-16.557, F-D (N° Lexbase : A6806MKB)
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N2080BUL
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Réf. : Ordonnance n° 2014-471 du 7 mai 2014 (N° Lexbase : L1312I3Y)
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N2144BUX
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Le 15 Mai 2014
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Réf. : Loi n° 2014-459 du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade (N° Lexbase : L1308I3T)
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N2140BUS
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Le 15 Mai 2014
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N2015BU8
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Le 15 Mai 2014
La loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L7194IZH) avait, on s'en souvient, créé un second cas de relevé de forclusion. Alors que sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), le créancier devait démontrer que la défaillance à déclarer dans les délais n'était pas due à son fait, ce qu'il ne parvenait que très difficilement et très rarement à faire, la loi de sauvegarde avait ajouté que le juge-commissaire relèvera de la forclusion les créanciers s'ils établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur" (C. com., art. L. 622-26, al. 1er N° Lexbase : L8098IZX).
La commission des lois du Sénat a proposé, à la suite d'un amendement adopté, de rattacher ce cas de relevé de forclusion à la remise de la liste de ses créanciers par le débiteur au mandataire judiciaire ou au liquidateur (1). Cette liste, qui doit contenir notamment l'indication de ses créanciers, est réglementée par l'article L. 622-6, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L2849IXS) et par l'article R. 622-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L0877HZI, anciennement décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 81 N° Lexbase : L3297HET). Il est prévu sa remise dans les huit jours du jugement d'ouverture à l'administrateur judiciaire et au mandataire judiciaire et son dépôt au greffe par le mandataire judiciaire (C. com., art. R. 622-5, al. 2 ; anciennement décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 81, al. 2).
Si la situation des créanciers s'est trouvée sensiblement améliorée avec ce texte, la difficulté résultait de l'exigence de démontrer, de la part du débiteur, non pas une fraude, mais la volonté de ne pas indiquer l'existence de tel ou tel créancier. En effet, énonçait le texte, l'omission devait être "volontaire". Une jurisprudence importante avait commencé à se former sur cette question (2) et le cas par cas était évidemment au rendez-vous, pour cette raison que le caractère volontaire de l'omission est un fait juridique, abandonné en conséquence, au pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond.
Dans le souci de renforcer la protection des créanciers et de faire jouer un rôle encore plus important à la liste des créanciers établie par le débiteur à l'ouverture de sa procédure collective, l'ordonnance du 12 mars 2014 (art. 29) assouplit encore le relevé de forclusion. Elle supprime l'exigence de la démonstration du caractère volontaire de l'omission. Désormais, en vertu de l'article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L8103IZ7), il faut, mais il suffit de démontrer l'omission, c'est-à-dire l'absence du créancier sur la liste établie par le débiteur pour que ce créancier puisse obtenir son relevé de forclusion. En effet, le juge-commissaire ne semble, ici, avoir aucun pouvoir d'appréciation. Si l'omission est constatée, le relevé de forclusion s'impose. Il n'est plus question de sanctionner le débiteur, qui a triché, mais d'avoir de la compassion pour le créancier. Comme cela a été résumé, l'omission devient un cas de relevé de forclusion automatique (3).
2°) Quelle incidence a, pour le créancier, le fait de figurer sur la liste des créances remise à l'ouverture de sa procédure collective par le débiteur au mandataire judiciaire ?
Nous avons vu lors de la précédente question que le débiteur avait l'obligation de remettre au mandataire judiciaire, dans les huit jours de l'ouverture de sa procédure collective, une liste de ses créanciers. Partant de cette obligation résultant de la loi de sauvegarde des entreprises, et même si elle ne s'y réfère pas, l'ordonnance du 12 mars 2014 a imaginé un système de déclaration de créance effectuée par le débiteur, pour le compte du créancier. Lorsque le débiteur a porté la créance à la connaissance du mandataire judiciaire, ce qui ne peut en pratique se faire que le biais de la liste, il est présumé avoir déclaré la créance détenue par son créancier. Cette déclaration, précise l'alinéa 3, de l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L7290IZZ), vaudra jusqu'à ce que le créancier, le cas échéant, déclare lui-même sa créance.
Ainsi, le fait pour le créancier de figurer sur la liste des créances remise à l'ouverture de sa procédure collective par le débiteur au mandataire judiciaire emporte présomption de déclaration de créance de la part du débiteur. Pour qu'il en soit ainsi, il importe évidemment que des précisions minimales figurent sur la liste. Idéalement, il faudrait que soient respectées les exigences combinées des articles L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC) et R. 622-23 (N° Lexbase : L0895HZ8) du Code de commerce, textes qui règlement le contenu de la déclaration de créance. A minima, il faudra que soit mentionné le montant de la créance en principal. A défaut, le mécanisme institué par le législateur ne pourra pas fonctionner, la simple indication du créancier étant insuffisante pour que l'on puisse s'en servir ensuite pour lui faire produire des effets par une retranscription sur l'état des créances.
Sous cette réserve, qui n'est pas minime, il faut comprendre que le créancier qui ne déclarerait pas ensuite personnellement sa créance ne saurait encourir la forclusion, puisque sa créance a été déclarée pour son compte par le débiteur, par le biais d'une présomption.
L'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce précise bien que cette déclaration ne vaut que pour autant que le créancier ne déclare pas personnellement sa créance. Si le créancier procède lui-même à la démarche, la présomption de déclaration de créance par le débiteur est renversée, et la déclaration de créance ainsi effectuée devient caduque. Le créancier pourra ainsi remplacer la déclaration de créance effectuée pour son compte par une déclaration de créance personnellement effectuée, qui serait plus conforme à la réalité. Il pourrait ainsi revoir à la hausse le montant qui figurait sur la liste remise par le débiteur au mandataire judiciaire à l'ouverture de la procédure collective et qui a valu présomption de déclaration de créance. De même, il pourrait préciser une sûreté conférant un droit de préférence et qui ne figurerait pas sur la liste remise par le débiteur. Il pourrait encore mentionner les intérêts dont le cours n'aurait pas été arrêté, et dont la précision aurait été absente de la liste.
Il faut bien, en effet, comprendre les approximations qui vont figurer sur la liste et qui vaudront pourtant déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier jusqu'à ce que ce dernier se manifeste.
Mais, pour que ce dernier puisse utilement remplacer la déclaration de créance effectuée pour son compte par le débiteur, via les mentions figurant sur la liste, par une déclaration personnelle, encore faut-il que le créancier soit dans les délais de déclaration. Cette substitution sera obligatoire, en ce qu'elle permettra de renverser la présomption de déclaration, si elle intervient dans les délais de déclaration de créance. Mais un problème va se poser si le créancier prétend remplacer la déclaration de créance effectuée pour son compte par le débiteur par une déclaration personnelle, en dehors du délai de déclaration de créance.
3°) Le fait pour le créancier de figurer sur la liste des créances remise à l'ouverture de sa procédure collective par le débiteur au mandataire judiciaire l'empêche-t-il de solliciter un relevé de forclusion ?
Avant de répondre à cette question, une observation préliminaire de première importance s'impose. La réforme du 12 mars 2014 a eu pour objet la simplification de la procédure de déclaration de créance, et ceci en poursuivant un but : faciliter la tâche du créancier. Elle ne doit donc pas être interprétée dans un sens qui serait défavorable au créancier.
Dans ces conditions, priver le créancier de la possibilité d'être relevé de forclusion au seul motif qu'il figure sur la liste des créanciers établie à l'ouverture de la procédure collective n'aurait pas de sens.
Il faut toutefois bien comprendre la portée de la question. Si la créance détenue par l'intéressé figure sur la liste établie par le débiteur, ce dernier est présumé avoir déclaré la créance détenue par ce créancier. Alors, à quoi bon se faire relever de forclusion alors que la créance est présumée avoir été déclarée et que, par conséquent, le créancier a ainsi évité la forclusion ?
A la vérité, le créancier n'évite la forclusion que dans la limite de la créance indiquée par le débiteur à l'ouverture de la procédure. Si cette créance est indiquée pour un montant bien inférieur, par exemple 100, alors que le créancier prétend qu'elle s'élève à 300, on mesure immédiatement que, à hauteur de 200, si le créancier ne réagit pas dans le délai de déclaration de créance pour que sa propre déclaration se substitue à celle présumée faite pour son compte par le débiteur, il encourt la forclusion à hauteur de 200.
Pourquoi priver ce créancier de la possibilité d'être relevé de la forclusion pour lui permettre de substituer sa déclaration à celle faite pour son compte par le débiteur ? Le décider reviendrait à plus mal traiter ce créancier que celui dont le nom n'aurait pas figuré sur la liste établie par le débiteur, sous l'empire de la législation antérieure à l'ordonnance du 12 mars 2014.
Mais, en admettant que le créancier puisse, comme tout créancier, solliciter son relevé de forclusion, sur quel motif fondera-t-il sa demande : la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n'est pas due à son fait ou l'omission de la liste ?
La difficulté n'est pas mince. Il semble délicat d'admettre que le créancier ait été omis de la liste. Il y figure bien, mais d'une façon non-conforme à ses prétentions. Or le texte exige, pour fonder le relevé de forclusion, une omission de la liste, ce que n'est pas une simple indication erronée sur la liste. Il est donc préférable de fonder la demande sur l'autre motif de relevé de forclusion : la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n'est pas due à son fait.
Jusqu'alors, ce cas de relevé de forclusion est apprécié rigoureusement par la jurisprudence. Mais peut-être faut-il repenser le système ? Lorsque cette jurisprudence s'est formée, s'appliquait en effet une législation extrêmement rigoureuse pour les créanciers : la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction d'origine. La donne a beaucoup changé depuis la loi de sauvegarde des entreprises et plus encore avec l'ordonnance du 12 mars 2014. Si l'on exige que le créancier fasse figurer toutes les créances soumises à déclaration et si l'on en tire la conséquence que le créancier oublié de la liste -il n'est plus question d'omission volontaire, mais seulement d'omission-, soit obligatoirement relevé de forclusion, ce qui lui permettra d'être admis pour l'intégralité de sa créance, la ratio legis doit conduire à autoriser le relevé de forclusion sur démonstration que la défaillance à déclarer n'est pas due au fait du créancier. En effet, elle est alors due au fait du débiteur, qui n'a pas correctement mentionné la créance détenue par l'intéressé, alors qu'il en avait pourtant l'obligation.
4°) Le créancier peut-il être relevé de forclusion s'il présente sa demande plus de six mois après la publication au Bodacc du jugement d'ouverture ?
Depuis la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, le délai de l'action en relevé de forclusion est de six mois. Il court, selon l'article L. 622-26, alinéa 2, du Code de commerce, à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.
Cette même loi avait octroyé aux créanciers placés, à expiration du délai classique, dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance, un délai supplémentaire de six mois. Ces créanciers disposaient ainsi d'un délai d'un an à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.
Cet allongement ne résolvait pas tous les problèmes. Spécialement, que décider pour les créanciers ignorant l'existence de leur créance à l'expiration de ce délai allongé ? La Cour de cassation a eu à connaître d'une question prioritaire de constitutionnalité, fondée sur l'atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, si l'on devait admettre que passé ce délai allongé, le créancier ignorant toujours l'existence de sa créance, ne pouvait plus prétendre être relevé de forclusion. Pour éviter le reproche de non-conformité à la Constitution du texte de l'article L. 622-26, alinéa 2, du Code de commerce, la Cour de cassation a considéré qu'un créancier placé dans l'impossibilité de connaître l'existence de sa créance au-delà d'un an de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture -délai maximal de l'action en relevé de forclusion- pouvait introduire sa demande de relevé de forclusion nonobstant le dépassement de ce délai (4). Il s'agit d'une application de la règle contra non valentem..., principe qui sous-tend l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM), depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ayant réformé la prescription (N° Lexbase : L9102H3I), qui interdit de faire courir un délai contre une personne placée dans l'impossibilité d'agir.
L'article 29 de l'ordonnance du 12 mars 2014 consacre la solution prétorienne dégagée par la Cour de cassation en posant à l'alinéa 3 de l'article L. 622-26 du Code de commerce la règle selon laquelle le délai de relevé de forclusion court à compter de la date à laquelle il est établi que le créancier, qui justifie avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois précité -délai classique de l'action en relevé de forclusion-, ne pouvait ignorer l'existence de sa créance.
Ainsi, le créancier n'est-il enfermé dans aucun délai fixe pour introduire son action en relevé de forclusion, le délai de six mois commençant, pour le créancier placé dans l'impossibilité de connaître l'existence de sa créance, lorsqu'il ne peut plus ignorer cette existence.
La solution issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 est évidemment préférable à la brutale simplicité de la règle posée sous l'empire de la législation précédente. Pour autant, elle n'est pas pleinement satisfaisante, en obligeant un créancier placé dans l'impossibilité d'agir à se faire relever d'une forclusion qu'il ne devrait pas, en bonne logique, encourir. Aussi, nous serait-il apparu préférable de traiter cette question par le biais d'un décalage du point de départ du délai de déclaration de créance. En ce sens, on aurait pu ajouter à l'alinéa 1er de l'article L. 622-24 une phrase, qui serait devenue la deuxième de l'alinéa, précisant que "pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance à expiration de ce délai, le délai de déclaration court à compter de la connaissance de leur créance".
5°) Le créancier est-il enfermé dans un délai pour déclarer sa créance, une fois qu'il a obtenu une décision le relevant de la forclusion ?
Avant l'ordonnance du 12 mars 2014, les textes n'enfermaient le créancier relevé de forclusion dans aucun délai pour procéder à sa déclaration de créance. La solution n'était pas très heureuse pour la célérité de la procédure de vérification des créances et donc de la procédure collective elle-même. Mais, faute de délai prévu par les textes, il semblait délicat d'en inventer. C'est pourtant ce qu'avait fait la Cour de cassation. Elle avait, en effet, jugé sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, par une décision remarquée, que "si aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans le délai préfix d'un an à compter de la décision d'ouverture de la procédure, même si le juge-commissaire n'a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion à l'intérieur de ce délai" (5). La solution a ensuite été reproduite (6). Statuant sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, la Cour de cassation avait reconduit la solution, en énonçant que "si aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans le délai préfix de cette action, même s'il n'a pas été statué sur la demande de relevé de forclusion à l'intérieur de ce délai" (7).
Cette solution apparaissait clairement comme étant contra legem. En effet, la Cour de cassation avait clairement inventé un délai pour obliger le créancier relevé de forclusion à déclarer sa créance. Ce délai était donc illégal. Mais il y avait plus grave. Tant que le créancier n'est pas relevé de forclusion, il ne peut déclarer sa créance, puisqu'il est hors délai. Sa demande est donc irrecevable. En obligeant un créancier à déclarer sa créance avant même d'être relevé de la forclusion, la Cour de cassation obligeait ainsi le créancier à faire une démarche procédurale -déclarer sa créance- irrecevable au moment où elle était introduite.
L'article 27-1° de l'ordonnance du 12 mars 2014 s'attaque à cette jurisprudence contra legem, en énonçant, à l'alinéa 1er de l'article L 622-24 que "lorsque le créancier a été relevé de forclusion, les délais [de déclaration de la créance] ne courent qu'à compter de la notification de cette décision". Mais, précise le texte, "ils sont alors réduits de moitié". Ainsi, le créancier qui doit, classiquement, déclarer sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication au Bodacc, aura un mois seulement à compter de la notification de la décision le relevant de forclusion. Le créancier qui dispose de 4 mois -créancier étranger- disposera, quant à lui, d'un délai de deux mois. Aucun relevé de forclusion ne pourra, à notre sens, être à nouveau accordé.
La solution est excellente pour de multiples raisons. D'abord, elle fait clairement comprendre que la déclaration de créance suppose d'abord que le créancier soit relevé de forclusion. Ensuite, elle enferme le créancier relevé de forclusion dans un délai de déclaration de créance, ce qui est de nature à ne pas retarder les opérations de vérification des créances. Enfin, et surtout, elle permet d'écarter la solution de la Cour de cassation, contre laquelle nous nous étions toujours élevés et notamment dans ces colonnes (8).
Praticiens des procédures collectives, fidèles lecteurs de Lexbase : ce concept de questions réponses vous plaît-t-il ? Dîtes-le nous (9) !
(1) Rapport J.-J. Hyest, n° 335, p. 218.
(2) Pour le détail, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 7ème éd., 2013/2014, n° 665.53.
(3) F.-X. Lucas, Présentation de l'ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives Bull. Joly Entreprises en diff., mars 2014, p. 111 et s., sp. p. 115.
(4) Cass. QPC, 5 septembre 2013, n° 13-40.034, FS-P+B (N° Lexbase : A5660KKT), D., 2013, actu 2100, note A. Lienhard ; D., 2013, chron. 2558, obs. J. Lecaroz ; Act. proc. coll., 2013/16, comm. 228 ; Rev. sociétés, 2013, 726, note L.-C.Henry ; Bull Joly Entreprises en diff., novembre 2013, 366, note L. Le Mesle ; JCP éd. E, 2014, chron. 1020, n° 7, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2013, 807, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., janvier 2014, comm. 18, note F. Legrand et M.-N. Legrand ; Gaz. pal., 12 janvier 2014, p. 27, nos obs. ; E. Le Corre-Broly, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2013 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 355 du 17 octobre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8928BTT) ; A. Hontebeyrie, L'adage Contra non valentem... a-t-il survécu à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, D., 2014, 244.
(5) Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-21.357, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1105DWT), Bull. civ. IV, n° 125 ; D., 2007, AJ, 1424, note A. Lienhard ; D., 2008, pan. 577, nos obs. ; JCP éd. E, 2007, chron. 2119, p. 24, n° 8, obs. Ph. Pétel ; RDBF, mai-juin 2007, 113, p. 21, note F.-X. Lucas ; RTDCom., 2008. 192, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 2007, 367, note P.-H. Roussel Galle ; Defrénois, 2007 38675, p. 1568, n° 8, note D. Gibirila ; nos obs. in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre (1er comm..), Lexbase Hebdo n° 261 du 23 mai 2007 - édition privée (N° Lexbase : N1642BBG).
(6) Cass. com., 3 novembre 2009, n° 07-13.485, F-D (N° Lexbase : A8067EMQ), Gaz. Pal. 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 34, note E. Le Corre-Broly ; du même auteur, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - novembre 2009 Lexbase Hebdo n° 372 du 19 novembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N4533BMT).
(7) Cass. com., 23 avril 2013, n° 11-25.963, FS-P+B (N° Lexbase : A6879KCR), D., 2013, actu 1129, note A. Lienhard ; D., 2013, pan. 2372, nos obs. ; Gaz. pal., 12 juillet 2013, n° 193, p. 22, nos obs.; Act. proc. coll., 2013/10, comm. 133, note P. Cagnoli ; Rev. proc. coll., juillet 2013, comm. 110, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2013, chron. 1434, n° 4, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2013, 583, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., septembre 2013, comm. 129, note F. Legrand et M.-N. Legrand .
(8) Cf. nos obs., Lexbase Hebdo n° 261 du 23 mai 2007 - edition privée, préc..
(9) Adresse électronique : pm.lecorre@orange.fr.
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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 15 Mai 2014
A défaut d'accord amiable dans le délai d'un mois à partir de la notification des offres de l'expropriant, le juge de l'expropriation peut être saisi par la partie la plus diligente en vue de la fixation des indemnités (C. expr., art. R. 13-21 N° Lexbase : L3130HLI). Dans l'hypothèse où l'expropriant dispose d'éléments suffisants lui permettant de rédiger son mémoire et de demander la fixation des indemnités, il pourra lui-même procéder à cette saisine. La demande doit être adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier (C. expr., art. R. 13-21). L'expropriant devra également respecter les dispositions de l'article R. 13-22 du Code de l'expropriation ([LXB=L3588IBI)]) qui précisent que "le demandeur est tenu de notifier son mémoire au défendeur au plus tard à la date de la saisine du juge". Sa demande devra, "à peine d'irrecevabilité, préciser la date à laquelle il a été procédé à cette notification".
Dans la présente affaire, la société X avait saisi le juge de l'expropriation le 3 août 2009, en adressant le même jour son mémoire contenant une proposition d'offre d'indemnisation à la SCI Y par courrier recommandé. Ce courrier lui ayant été retourné avec la mention "non réclamé", la société X a ensuite procédé à la signification de son mémoire par voie d'huissier le 21 septembre 2009.
La Cour de cassation considère qu'à défaut d'avoir constaté que la demande adressée au juge de l'expropriation par la société X faisait mention de la date de la notification de son mémoire à la SCI Y, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article R. 13-22 du Code de l'expropriation. Elle confirme ainsi une jurisprudence constante qui veut que le non-respect de ces dispositions par l'expropriant est automatiquement sanctionné par l'irrecevabilité de sa demande de fixation des indemnités (1).
Dans son arrêt n° 364092 du 12 mars 2004, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions sur les conséquences sur la procédure d'expropriation de l'annulation juridictionnelle d'une décision refusant de prendre une déclaration d'utilité publique. Plus précisément, la question posée dans la présente affaire concerne le délai de validité de l'enquête préalable. Selon l'article L. 11-5 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2894HLR), "l'acte déclarant l'utilité publique doit intervenir au plus tard un an après la clôture de l'enquête préalable. Ce délai est majoré de six mois lorsque la déclaration d'utilité publique ne peut être prononcée que par décret en Conseil d'Etat. Passé l'un ou l'autre de ces délais, il y a lieu de procéder à une nouvelle enquête".
En l'espèce, c'est le premier délai qui était applicable, et il était a priori largement dépassé. En effet, l'enquête publique concernant la construction d'un centre technique de stockage de déchets non dangereux, diligentée à la demande d'un syndicat intercommunal, avait été close le 12 octobre 2007 et c'est seulement le 17 février 2010, soit plus de deux ans après, que la déclaration d'utilité publique était intervenue.
Ce délai particulièrement long s'expliquait, toutefois, par le fait que le préfet avait initialement refusé de déclarer l'utilité publique du projet par un arrêté en date du 24 juin 2008, au motif de l'illégalité de l'enquête publique. Cet arrêté avait ensuite été annulé par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 novembre 2009 passé en force de chose jugée.
Si l'on s'en tient à la lettre de l'article L. 11-5 du Code de l'expropriation, le délai d'un an mentionné par ces dispositions étant dépassé, il devrait y avoir lieu, pour l'autorité compétente, de diligenter une nouvelle enquête publique. C'est cette solution qui avait été retenue par la cour administrative d'appel de Lyon (2) et qui avait conduit à l'annulation de la déclaration d'utilité publique.
Toutefois, cette solution était critiquable. Elle conduit, en effet, à allonger les délais de procédure en contraignant à l'organisation d'une nouvelle enquête publique, identique en tous points à celle dont la légalité a pourtant été admise suite à l'annulation de la décision du préfet refusant de prendre une déclaration d'utilité publique. Cette nouvelle enquête représente un coût non négligeable, et son organisation étant entièrement imputable à l'illégalité commise par l'Etat, on doit considérer qu'elle pourrait donner lieu à l'engagement de sa responsabilité pour faute. En outre, sur un plan plus juridique, il serait tout à fait erroné de déduire de l'article L. 11-5 I du Code de l'expropriation que la non-intervention de la déclaration d'utilité publique, dans les délais prévus par cet article, aurait pour conséquence la caducité de l'enquête publique. Dans ce cas, en effet, l'enquête publique demeure valable, mais la déclaration d'utilité publique ne peut plus être prise. Ces dispositions ne sont donc pas assimilables à celles des articles L. 11-5 II et R. 12-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3079HLM), qui prévoient la caducité de la déclaration d'utilité publique et de l'arrêté de cessibilité dans les hypothèses qu'elles visent. La règle visée par l'article L. 11-5 I est donc une simple règle de procédure dont le Conseil d'Etat accepte en l'espèce de moduler les effets. Les juges considèrent que le délai d'un an commence à courir seulement à compter de la notification de l'annulation de la décision de refus. Le préfet peut alors "dans ce nouveau délai, prendre l'arrêté déclarant le projet d'utilité publique au vu des résultats de l'enquête initiale, à la condition que ne soit intervenu depuis sa réalisation aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit rendant nécessaire l'ouverture d'une nouvelle enquête publique". Dans le cas, notamment, où il y aurait une discordance entre le projet soumis à l'enquête publique et la déclaration d'utilité publique, il y aurait donc lieu à diligenter une nouvelle enquête publique, ce qui est tout à fait conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat (3).
Une réponse ministérielle fait le point sur les règles applicables en matière de fiscalité des plus-values immobilières liées au versement d'une indemnité d'expropriation. En principe, selon l'article 150 U du CGI (N° Lexbase : L1257IZL), les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis, ou de droits relatifs à ces biens sont passibles de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux. Cependant, le II du même article énumère toute une série d'exonérations, dont l'une concerne les immeubles, parties d'immeubles ou les droits relatifs à ces biens pour lesquels une déclaration d'utilité publique a été prononcée en vue d'une expropriation (I). Elle prévoit, toutefois, une condition de remploi de l'indemnité qui limite le bénéfice de l'exonération (II).
I - Le champ de l'exonération
Sont concernées au premier chef les plus-values réalisées lors d'expropriations d'immeubles visés par une déclaration d'utilité publique. Par extension, sont également exonérées les plus-values réalisées lors des cessions amiables consenties aux aménageurs d'une zone d'aménagement concertée qui se sont vu confier le droit d'exproprier dans les conditions de l'article L. 300-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9405IZD). La même solution s'applique aux particuliers qui ont exercé leur droit de délaissement en application des dispositions des articles L. 230-1 (N° Lexbase : L7210ACZ) et suivants du même code.
Les modalités selon lesquelles l'indemnité a été fixée sont indifférentes. Peu importe, par conséquent, que l'indemnité ait été fixée judiciairement ou qu'elle résulte d'un accord amiable constaté dans un acte de cession, dans un traité d'adhésion à ordonnance d'expropriation, ou dans un jugement de donné acte. De la même façon, il n'y a pas lieu de distinguer selon que le transfert de propriété est prononcé par le juge, ou réalisé à l'amiable. Dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une ordonnance de donné acte, les actes de vente amiable antérieurs à la déclaration d'utilité publique doivent être traités comme les actes postérieurs, conformément aux dispositions de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9).
II - Condition tenant au remploi de l'indemnité
Si le champ de l'application de l'exonération prévue par l'article 150 U du CGI est donc très large, son bénéfice est soumis à une condition : il doit avoir été procédé au remploi de l'intégralité de l'indemnité par l'acquisition, la construction, la reconstruction ou l'agrandissement d'un ou de plusieurs immeubles dans un délai de douze mois à compter de la date de perception de l'indemnité. En revanche, la plus-value n'est pas exonérée en cas de remploi de l'indemnité dans l'acquisition de parts ou actions de sociétés ou groupements, ce qui vise notamment les groupements fonciers agricoles, les sociétés civiles de placement immobilier et les sociétés immobilières d'investissement.
Si le délai de douze mois visé par l'article 150 U du CGI apparaît relativement court, il s'ajoute en réalité à celui qui s'est écoulé entre la date du transfert de la propriété des biens à la collectivité publique et la perception effective de l'indemnité. Par ailleurs, l'administration fiscale admet que le remploi soit effectué avant la réalisation de l'expropriation ou le paiement de l'indemnité, dès lors que l'achat est motivé par la perspective de cette expropriation ou du paiement de l'indemnité (4).
De la même façon, si l'article 150 U susvisé exige le remploi de l'intégralité de l'indemnité, l'administration fiscale considèrera que cette condition est réputée satisfaite si 90 % de l'indemnité est effectivement remployée (5). L'indemnité qui doit être remployée est celle retenue pour le calcul de la plus-value de cession. En conséquence, vont être exclues les indemnités qui ne sont pas représentatives de la valeur de cession du bien exproprié, telles les indemnités pour trouble de jouissance, celles qui ont le caractère de revenu imposable pour le contribuable (les indemnités allouées pour perte de loyers notamment), ou encore celles représentatives de frais de déménagement de l'exproprié.
Dans la présente affaire, le requérant conteste un arrêt de la chambre des expropriations de la cour d'appel de Rennes fixant le montant des indemnités qui lui ont été allouées au titre de l'expropriation de parcelles lui appartenant au profit de la société X.
Une première question intéressante soulevée par cet arrêt concerne l'intention dolosive de la commune invoquée par le requérant, qui allègue que la déclassification partielle de sa parcelle en zone N ne correspondait pas à l'usage qui devait en être fait par l'expropriant. Il faut ici rappeler que l'article L. 13-15-I du Code de l'expropriation précise qu'en vue de l'estimation des biens, "il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la même date, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive".
Toutefois, l'intention dolosive ne se présume pas. Comme l'a relevé la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans un arrêt du 10 décembre 2002 (6), "l'intention dolosive doit se caractériser par la volonté délibérée de l'autorité expropriante de dévaluer le terrain afin d'obtenir l'expropriation au moindre prix". Cependant, comme le précise le même arrêt, "le changement de zonage postérieur à la date de référence ne caractérise pas l'intention dolosive". De façon plus sévère encore, la Cour de cassation a jugé qu'il n'appartient pas au juge de l'expropriation d'apprécier la légalité et l'opportunité des actes administratifs (7). Ainsi, une intention dolosive ne saurait résulter du seul fait que le nouveau classement du terrain est mal fondé au regard de la définition qu'en donne le Code de l'urbanisme.
En l'espèce, le requérant soutient que la déclassification partielle de sa parcelle en zone N ne correspondait pas à l'usage qui allait en être fait par l'expropriant. La Cour de cassation considère toutefois que la cour d'appel, qui a relevé que, devenant un parc cette parcelle conserverait un usage conforme à son zonage, a souverainement déduit que la preuve de l'intention dolosive de la commune n'était pas rapportée.
La seconde question intéressante soulevée par l'arrêt commenté concerne l'application des dispositions de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB), dont il résulte que "les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation". Plus précisément, c'est la question de la réparation intégrale du préjudice subi qui est posée dans la présente affaire. Le juge de l'expropriation doit, en effet, prendre en compte l'ensemble des charges financières résultant de l'expropriation, sans omettre aucun chef de préjudice, dès lors qu'il repose sur un droit ou un intérêt juridiquement protégé. La personne évincée aura donc le droit de percevoir, en plus de l'indemnité principale représentant la valeur patrimoniale des biens expropriés, une ou plusieurs indemnités accessoires correspondant aux autres chefs de préjudice.
Dans la présente affaire, la cour d'appel avait attribué au propriétaire évincé une somme correspondant à la réalisation d'un puits sur une autre parcelle lui appartenant. Elle se fondait sur fait que la parcelle expropriée possédait une source formant une mare dont le requérant pouvait se servir pour ses bêtes, et qu'il convenait donc de l'indemniser des sommes exposées afin de bénéficier d'un nouveau point d'eau. Un tel préjudice est en effet indemnisable, à moins, évidemment, que la collectivité bénéficiaire de l'expropriation ne consente à la personne évincée une servitude pour l'usage de l'eau du puits et de la source sises sur la partie exproprié (8).
Dans la présente affaire, cependant, les juges relèvent que le propriétaire évincé n'avait pas sollicité le remboursement des frais exposés pour la création d'un puits dont les qualités hydrogéologiques n'étaient pas équivalentes. Ce n'est donc pas au titre des indemnités accessoires qu'il y avait lieu de réparer le préjudice subi. Il convient, en effet, de considérer que la source située sous la parcelle expropriée est un élément qui devait être intégré dans l'évaluation du terrain, pour la détermination de l'indemnité principale. La dépossession d'une parcelle comprend ses accessoires naturels et il n'y a donc pas lieu à indemnisation séparée pour les sources, dès lors, en tout cas, que celle-ci est exploitée ou exploitable par son propriétaire à la date de l'ordonnance d'expropriation (9).
(1) Cass. civ. 3, 12 mars 2003, n° 01-70.178, FS-P+B (N° Lexbase : A4241A79), Bull. civ. III, 2003, n° 61, AJDI, 2003, p. 367 et 865, note C. Morel ; Cass. civ. 3, 19 décembre 2007, n° 02-70.124, FS-D (N° Lexbase : A1144D3R), AJDI, 2008, p. 868, note A. Levy.
(2) CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 2012, n° 11LY01226, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2833IWT).
(3) CE 1° et 2° s-s-r., 2 juillet 2001, n° 211231, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5039AU8), Dr. adm., 2001, 219, CJEG, 2001, p. 439, concl. I. da Silva, RD imm., 2001, p. 494, note F. Donnat, RFDA, 2001, p. 1131, obs. R. Hostiou ; CE 5° et 7° s-s-r., 3 juillet 2002, n° 245236, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1663AZM), AJDA, 2002, p. 751, concl. D. Chauvaux, Collectivités-Intercommunalité, 2002, comm. 237, obs. T. Célérier, RFDA 2002, p. 1012 ; CAA Paris, 11ère ch., 5 novembre 2001, n° 00PA02528 (N° Lexbase : A6598BMC).
(4) BOI-RFPI-10-40-60, 12 septembre 2012, n° 170.
(5) Ibid. n° 80.
(6) CA Aix-en-Provence, 10 décembre 2002, n° 01/00036.
(7) Cass. civ. 3, 3 juillet 1996, n° 95-70.049, publié au bulletin (N° Lexbase : A0850ACH), Bull. civ. III, 1996, n° 173, AJPI, 1996, p. 902, obs. A.B., D., 1997, somm. p. 152, obs. P. Carrias, RD imm., 1996, p. 551, chron. C. Morel et M. Denis-Linton ; voir également Cass. civ. 3, 29 mai 2002, n° 01-70.048, inédit au bulletin (N° Lexbase : A7796AYE), RD imm., 2002, p. 318, note C.M.
(8) CA Aix-en-Provence, 14 février 2007, n° 06/00031 (N° Lexbase : A7478GT7).
(9) Cass. civ. 3, 12 février 2003, n° 01-70.089, FS-P+B (N° Lexbase : A0013A7M), Bull. civ. III, 2003, n° 33, JCP éd. G, 2003, IV, 1632.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2014, n° 356328, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9363MKY)
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Réf. : CE 9° et 10° s.-s.-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6800MGX)
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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris Dauphine, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris Dauphine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale (1)
Le 15 Mai 2014
3 - A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration remit en cause les déductions pratiquées par la société Céline. Il ne s'en suivit aucune imposition supplémentaire, compte tenu du caractère déficitaire des résultats de la société française, mais une réduction du montant de ses déficits reportables.
Selon l'administration, les stipulations conventionnelles des Conventions franco-italienne (N° Lexbase : L6706BHT) et franco-japonaise (N° Lexbase : L6709BHX) interdisaient formellement une telle déduction. En effet, suivant l'article 24, §1 de la Convention franco-italienne, "la double imposition est évitée de la manière suivante : [...] a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui sont imposables conformément aux dispositions de la convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris". Autrement dit, la société Céline bénéficiait d'un crédit d'impôt pour les retenues à la source acquittées en Italie, mais ne pouvait pas, sous peine d'obtenir un avantage fiscal excessif, déduire ces mêmes retenues à la source de la base imposable en France. Un tel mécanisme figurait également à l'article 23 de la Convention franco-japonaise, selon lequel "1). A) En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : Les revenus qui proviennent du Japon, et qui sont imposables ou ne sont imposables qu'au Japon conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt japonais n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt sur l impôt français". L'administration fiscale soutenait ainsi que la primauté reconnue aux conventions fiscales sur le droit interne, en vertu de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L0884AH9), faisait obstacle à la pleine effectivité de l'article 39-1-4° du CGI. Plus précisément, le service se borna à invoquer sa doctrine 4 H-1414, selon laquelle l'existence d'une convention ayant pour objet d'éliminer la double imposition suffit à faire obstacle à la déduction de l'impôt étranger.
La société Céline prétendait cependant qu'elle pouvait déduire les retenues à la source de la base imposable en France dès lors que sa situation déficitaire ne lui permettait pas d'imputer de manière effective un quelconque crédit d'impôt sur l'impôt français. En effet, le crédit d'impôt visé dans les conventions fiscales porte en réalité mal son nom, car il a la nature d'une simple réduction d'impôt. Il est définitivement perdu en cas de résultats déficitaires, à la différence de certains crédits d'impôt de droit interne qui, lorsqu'ils ne peuvent être imputés totalement ou partiellement sur l'impôt, peuvent être remboursés et donner lieu à l'émission d'un chèque du Trésor public.
4 - Par un jugement du 3 février 2011 (2), le tribunal administratif de Montreuil fit droit à la demande de la société Céline tendant à l'augmentation du montant des déficits constatés au titre des exercices clos en 2005 et 2006 en se fondant sur le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales et les dispositions de l'article 39-1-4° du CGI.
Sur recours du ministre chargé du Budget, la cour administrative d'appel de Versailles, par un arrêt du 16 juillet 2012 (3), infirma le jugement du tribunal administratif, estimant que les dispositions conventionnelles en cause faisaient effectivement obstacle aux déductions faites en application du droit interne.
Face à des dispositions de droit interne et des stipulations de droit conventionnel contradictoires, le Conseil d'Etat, saisi en dernier recours dans cette affaire "Céline", dut se prononcer sur la question de la déductibilité des retenues à la source étrangères en présence d'une convention fiscale internationale.
La Haute juridiction procède à un rappel appuyé du principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales en soulignant que les conventions fiscales ne peuvent directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et qu'il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
Mais le Conseil d'Etat poursuit sa démonstration en indiquant que les stipulations de droit conventionnel peuvent s'opposer, dans certaines circonstances tenant à la clarté des termes de la convention, à la déduction des impôts étrangers de la base imposable en France, quand bien même une telle déduction serait prévue par le droit interne. La Haute juridiction termine son analyse en précisant qu'il en va ainsi, alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances. Autrement dit, l'administration est parfaitement en droit d'invoquer les dispositions claires d'une convention fiscale préventive des doubles impositions, même si le résultat final aboutit justement à produire une double imposition (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2980EUW et N° Lexbase : E3400EUH).
Cette décision confirme l'étiolement du principe général de subsidiarité des conventions fiscales (I) et l'apparition d'une méthode kaléidoscopique d'analyse des conventions fiscales (II).
I - L'étiolement du principe général de subsidiarité des conventions fiscales
5 - Loin de proposer l'abandon du principe de subsidiarité des conventions fiscales, le Conseil d'Etat commence au contraire sa démonstration par rappeler la teneur précise du principe (A). Ce n'est que dans un deuxième temps de son raisonnement que la Haute juridiction estime que ce principe ne s'oppose pas à ce que les dispositions conventionnelles puissent faire obstacle aux déductions faites en application du droit interne (B).
A - Le rappel du principe de subsidiarité des conventions fiscales
6 - Afin de parfaitement comprendre la solution proposée par le Conseil d'Etat, il convient de rappeler les fondements et la teneur du principe de subsidiarité applicable en matière de fiscalité internationale.
Lorsqu'un litige met en oeuvre une convention fiscale internationale, cette dernière prime en principe le droit interne en vertu de l'article 55 de la Constitution reconnaissant aux traités internationaux une autorité supérieure à celle des lois. Cette supériorité des conventions fiscales internationales sur les lois nationales n'a jamais été contestée. Cependant, au regard de leur objet particulier, les conventions fiscales ne rendent la loi nationale inapplicable que dans certaines situations. En effet, les conventions fiscales ont essentiellement pour objet de lutter contre le phénomène de double imposition internationale. De ce fait, la pratique de la plupart des Etats admet que les normes des conventions fiscales ne s'imposent aux normes de droit interne que dans la mesure où elles sont moins contraignantes pour le contribuable. D'ailleurs, les conventions fiscales contiennent parfois une clause spéciale pour préserver les avantages accordés par le droit interne (4). Pour certains auteurs, le principe de primauté du droit conventionnel sur le droit interne serait ainsi tempéré par un principe coutumier dit de "non-aggravation" (5). Ce principe impliquerait que la situation d'un contribuable ne pourrait être aggravée par l'application d'une convention fiscale, dont la raison d'être est précisément la protection des contribuables par la recherche de l'élimination des doubles impositions. La supériorité conventionnelle ne jouerait donc qu'à sens unique à titre de garantie. Elle pourrait alléger ou supprimer des obligations fiscales, mais non les aggraver ou en créer de nouvelles (6). Le principe de légalité de l'impôt conforterait d'ailleurs l'émergence de cette règle générale.
En réalité, un tel principe de "non-aggravation" n'a jamais été consacré par la jurisprudence et sa positivité juridique est même aujourd'hui contestée (7). Quoi qu'il en soit, et de manière paradoxale, c'est bien l'idée d'une non-aggravation de la situation du contribuable qui a constitué le ferment du principe de subsidiarité des conventions fiscales.
7 - Ce principe introduit une interprétation spécifique de l'article 55 de la Constitution pour les seules conventions fiscales bilatérales et fixe les règles de combinaison du droit interne fiscal et des conventions fiscales.
Il est d'abord apparu en filigrane dans la jurisprudence du Conseil d'Etat avec les arrêts du 19 décembre 1975 (8) et du 17 mars 1993 (9). Mais l'évolution jurisprudentielle la plus importante viendra d'un arrêt d'assemblée en date du 28 juin 2002, affaire "Schneider Electric" (10). C'est à cette date que le principe de "principe de subsidiarité des conventions fiscales", qualifié également de "principe de priorité du droit interne", voit le jour. Selon l'arrêt "Schneider Electric", "si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; [...] par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer -en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale". Par cette décision, le Conseil d'Etat consacra pleinement le principe dit de subsidiarité des conventions fiscales. Ce principe se présente comme une théorie partant d'un postulat pour aboutir à une méthode d'analyse.
Le postulat réside dans une double affirmation. D'abord, les conventions fiscales ne peuvent avoir d'autre objet que de faire obstacle à une imposition prévue par le droit interne. Ensuite, l'autorité supérieure à celle des lois qui est conférée aux conventions fiscales bilatérales par l'article 55 de la Constitution ne peut jouer que pour autant que la loi soit d'abord susceptible de s'appliquer. Une convention fiscale ne peut donc servir de base légale pour imposer un contribuable. L'administration n'est pas susceptible de voir son pouvoir accru par les stipulations d'une convention, au-delà des limites qui sont définies par la loi, le législateur étant seul compétent pour fixer l'impôt (11).
Résulte de ce postulat une méthode d'analyse. Puisque les conventions fiscales n'ont pas pour objet une application intrinsèque, il convient d'examiner, dans un premier temps, les dispositions du droit interne français pour savoir si l'imposition est fondée, puis, dans un second, les dispositions de la convention fiscale internationale applicable afin de déterminer si ces dernières font obstacle ou non à la loi française.
Ce principe de subsidiarité, mêlant priorité du droit interne et primauté des dispositions conventionnelles, se présente ainsi comme une méthode essentielle et opérationnelle pour guider le juge de l'impôt dans l'application des règles fiscales dans un contexte international.
8 - Loin d'abandonner un tel principe, le Conseil d'Etat le réaffirme clairement dans l'arrêt "Céline", en le qualifiant expressément de "principe de subsidiarité des conventions fiscales". On soulignera cependant que le Conseil d'Etat ne reprend pas l'affirmation figurant dans l'affaire "Schneider Electric" selon laquelle "une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale". Cet "oubli" ne peut cependant être interprété comme remettant en question la force de l'article 55 de la Constitution et le principe de primauté des conventions bilatérales. Au contraire, tout le raisonnement mené par la Haute juridiction administrative dans l'affaire "Céline" semble sous-tendu par la primauté des conventions internationales sur le droit interne, même si, contrairement à l'arrêt Schneider, l'article 55 n'est même plus au visa de la décision (12).
9 - Par ailleurs, l'arrêt "Céline" ne semble pas remettre en question l'approche méthodologique consacrée par la jurisprudence "Schneider".
Traditionnellement, puisque l'on considérait que le principe de subsidiarité pouvait uniquement faire obstacle à une imposition prévue par la loi interne, le juge, confronté à un litige relatif à l'application d'une convention fiscale internationale, devait tenir un raisonnement qui reposait quasi exclusivement sur les deux interrogations suivantes : le revenu est-il imposable en France au regard du droit interne ? Si la réponse est positive, il devait alors rechercher si la convention fiscale faisait obstacle ou non à cette imposition ?
Cette approche méthodologique n'est a priori pas remise en cause par l'arrêt "Céline" qui précise qu'"[...] il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale".
D'ailleurs, le Conseil d'Etat prend soin de préciser que le principe de subsidiarité des conventions fiscales n'a pas été méconnu par la cour administrative d'appel puisque cette dernière avait d'abord mis en relief le fondement de droit interne, à savoir les dispositions de l'article 39 du CGI, autorisant la société "Céline" à déduire les impositions acquittées en Italie et au Japon, puis avait examiné les stipulations conventionnelles dont l'administration se prévalait pour affirmer qu'elles faisaient obstacle à cette déduction.
Mais le principe de subsidiarité se trouve en réalité réduit à une approche purement formelle, car le Conseil d'Etat ajoute une nouvelle étape dans le raisonnement que doit suivre le juge.
B - L'inflexion manifeste du principe de subsidiarité
10 - La Haute juridiction ajoute une nouvelle étape au raisonnement classique en précisant qu'"[...] il appartient néanmoins au juge, après avoir constaté que les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu la loi fiscale nationale, de faire application, pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France". Le Conseil d'Etat estime ainsi que les conventions fiscales, compte tenu de leur objet, sont indissociablement liées à la définition de l'assiette de l'impôt. Cette clarification institue en réalité une véritable réforme du principe de subsidiarité des conventions internationales en matière de déduction des impôts étrangers.
Le juge devait suivre une méthode d'ordre d'examen des questions. Celui-ci devait examiner si le contribuable pouvait obtenir satisfaction sur le terrain du droit interne avant de vérifier si une stipulation de la convention fiscale applicable y fait obstacle. Et si le contribuable était susceptible d'obtenir satisfaction sur le terrain du droit interne, le juge n'avait pas à examiner les stipulations de la convention. Au cas inverse, il devait examiner ces stipulations, même d'office. Dorénavant, le raisonnement du juge se trouve ainsi modifié de la façon suivante. Le juge ne doit plus uniquement se demander si le revenu est imposable en France au regard du droit interne, et si oui, se demander si la convention fiscale fait obstacle à cette imposition, mais doit également se demander si l'imposition étrangère correspondante est déductible au regard du droit interne. Et dans l'affirmative, si la convention fiscale fait explicitement obstacle à cette déduction.
En l'état actuel de cette jurisprudence, les règles applicables en matière d'imputation des retenues à la source étrangères sur l'impôt français en présence d'une convention fiscale internationale sont par conséquent les suivantes : en période bénéficiaire, si la convention fiscale bilatérale le prévoit, la société pourra obtenir un crédit d'impôt plafonné au montant de l'impôt français correspondant, qu'elle devra imputer sur l'impôt français. En revanche, en période déficitaire, le crédit d'impôt tombera en non-valeur dans la mesure où il n'est pas reportable d'une année à l'autre en vertu des principes d'annualité de l'impôt et de la spécificité des exercices. La société ne pourra déduire la retenue à la source de la base d'imposition pour le calcul de l'impôt français que si la convention fiscale internationale ne s'y oppose pas explicitement.
11 - Une telle évolution n'est cependant pas une véritable surprise. L'idée selon laquelle une convention fiscale internationale peut servir de base légale pour écarter une déduction qui est valablement établie en droit interne avait déjà été implicitement évoquée dans un arrêt du Conseil d'Etat, affaire "Soulès", du 20 novembre 2002 (13). Selon cette décision, "lorsqu'une entreprise industrielle ou commerciale effectue, dans un Etat étranger, des opérations dont le résultat entre dans ses bénéfices imposables en France, ce résultat doit, conformément aux dispositions du 1 de l'article 39 du CGI, être déterminé sous déduction de toutes charges' ayant grevé la réalisation desdites opérations, et que doivent, notamment, être regardées comme telles, à moins d'une stipulation conventionnelle spécifique y faisant obstacle, les impositions, de toute nature, que l'entreprise a supportées, du fait de ces opérations, dans ledit Etat" (14). Dans un arrêt "Lummus" du 11 juillet 1991 (15), le Conseil d'Etat avait également jugé que, lorsqu'aucune cotisation d'impôt sur les sociétés n'est exigible au titre d'un exercice et qu'il n'est pas possible d'opérer d'imputation sur cet impôt, les retenues à la source supportées à l'étranger ne peuvent être regardées comme des charges déductibles des résultats et ne peuvent donc augmenter les déficits reportables (16).
L'arrêt "Céline" permet ainsi au Conseil d'Etat d'affiner sa position déjà dégagée dans les affaires "Soulès" et "Lummus", et d'affirmer explicitement que les stipulations de droit conventionnel peuvent faire obstacle à l'application des déductions prévues par le droit interne.
12 - Au-delà, l'arrêt "Céline" atteste clairement de l'inexistence en droit positif d'un principe de non-aggravation. Selon ce principe, les conventions fiscales internationales ne devraient, en principe, que faire obstacle à une imposition prévue par la loi interne. Aussi, seul le contribuable devrait pouvoir invoquer une convention fiscale pour atténuer ou annuler une imposition. Mais l'arrêt "Céline" nous enseigne que, si une convention fiscale ne peut que faire obstacle à une imposition prévue par la loi interne, elle peut également faire obstacle à une déduction prévue par le droit interne. Il existe ainsi des situations dans lesquelles l'administration peut se prévaloir valablement des prescriptions d'une convention fiscale pour rejeter une déduction qui n'aurait pas été fondée au regard du seul droit interne. Mais comme le rejet d'une déduction revient, in fine, à l'imposition de la charge non déduite, l'administration est en réalité autorisée à se prévaloir d'une convention fiscale pour imposer un contribuable qui ne l'aurait pas été selon les dispositions internes.
Cette évolution défavorable au contribuable n'est là encore pas réellement une surprise, car la jurisprudence révélait déjà des situations pour lesquelles l'administration pouvait se prévaloir des stipulations conventionnelles pour asseoir une imposition qui n'aurait pas été fondée au regard de la loi fiscale interne. Il suffit de citer l'arrêt "Société BNP Paribas" du 12 juin 2013, dans lequel le Conseil d'Etat a jugé qu'une convention fiscale bilatérale prévoyant l'exonération en France des gains issus de la cession de titres détenus dans une filiale étrangère par le jeu combiné d'une clause de participation substantielle et d'une clause d'élimination de la double imposition reposant sur un mécanisme d'exonération, s'opposait à la déduction d'une provision pour dépréciation des titres (17).
13 - On notera également que la société Céline invoquait pour sa défense devant la cour administrative d'appel le principe de non-aggravation, mais que les magistrats balayèrent d'un revers de main cet argument. Le Conseil d'Etat, pour sa part, n'évoque pas le principe de non-aggravation mais assume plus directement les conséquences de sa nouvelle orientation en posant : "[...] il en va ainsi, alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances". Le Conseil d'Etat considère que la "double peine" (18) que subit le contribuable n'est pas un obstacle à l'application des conventions. La société Céline souffre en effet, d'une part, de l'interdiction de bénéficier du crédit d'impôt conventionnel, celui-ci tombant immédiatement en non-valeur à défaut d'une base d'imputation, et d'autre part, de l'interdiction de déduire les impôts étrangers aux fins d'augmenter leurs déficits reportables en raison du principe de supériorité des conventions fiscales. Cette dernière peine n'interviendra de manière effective qu'après rétablissement de la situation bénéficiaire de la société, cette dernière se trouvant alors dans l'incapacité d'invoquer un déficit reportable.
14 - Exit donc ce principe de non-aggravation qui n'aura existé que sous la plume des commentateurs (19). Reste un principe de subsidiarité des conventions fiscales réduit à une méthode sommaire d'analyse. Celle-ci consiste à d'abord examiner le droit interne pour s'assurer qu'il y a bien un point d'entrée à l'application de la convention fiscale, puis, dans un second temps, à étudier ladite convention fiscale pour déterminer si elle modifie (et non plus aggrave) le droit interne. Le caractère subsidiaire n'est donc relatif qu'à l'ordre d'examen du droit applicable, qui confère la première place à la loi interne, sans que cette méthode ait une incidence sur la hiérarchie des normes (20). Cette minimalisation du principe de subsidiarité, réduit à une méthode très générale, masque en réalité une approche kaléidoscopique de la combinaison du droit interne et du droit international fiscal (21).
II - Une approche kaléidoscopique
15 - Afin d'entrevoir l'articulation entre le droit interne et le droit international, il ne suffit nullement de voir en priorité le droit interne, il faut encore placer devant l'objectif différents filtres qui constituent autant de critères qui modifieront la cartographie des solutions finales. Il semble ainsi nécessaire de distinguer selon que la convention est invoquée par le contribuable ou par l'administration, selon qu'il s'agit d'une imposition ou d'une déduction, selon que la question porte sur une qualification ou non. Tous ces paramètres exercent une influence sur la résolution du litige. Avec l'arrêt "Céline", il faudra également distinguer selon le contenu des conventions fiscales en cause (A). La jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne pourrait même nous inviter à distinguer selon les pays parties à la convention fiscale (B).
A - La prise en compte du contenu de la Convention
16 - Pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité, selon les modalités nouvelles dégagées au travers de l'arrêt "Céline", le Conseil d'Etat subordonne la non-déduction de l'impôt étranger à l'existence de "stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France". Il appartient ainsi au juge d'interpréter la convention afin de s'assurer qu'elle contient bien des "stipulations claires" sur la question de la non-déductibilité de l'impôt étranger.
17 - On soulignera que les traités fiscaux bilatéraux, en tant que traités internationaux, doivent suivre les règles générales d'interprétation du droit international public, telles qu'elles figurent dans la Convention de Vienne sur le droit des traités (22). La règle générale d'interprétation des traités est posée à l'article 31, paragraphe 1, de la Convention du 23 mai 1969 : "Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but" (23). Le principe général, qui guide l'ensemble de la démarche interprétative, est le principe de l'interprétation de bonne foi. La seule limite qui s'impose à l'interprète réside dans le souci de ne pas aboutir à une situation où les Etats seraient engagés au-delà de ce qu'ils ont accepté. Comme le souligne E. Dinh, "force est de constater que la reconnaissance par le juge de la possibilité pour la société française déficitaire de déduire l'impôt étranger n'est pas de nature à engendrer un franchissement de cette limite" (24). Pourtant, à travers l'arrêt "Céline", le Conseil d'Etat semble assurément recommander une interprétation stricte et littérale des conventions fiscales, alors même qu'il avait expressément fait référence à l'objet des dispositions d'une convention fiscale pour en déterminer le sens, dans l'arrêt "Regazzacci" rendu le 27 juillet 2012 (25). Selon l'arrêt "Céline", il convient d'opérer une distinction en fonction de la teneur de la convention de double imposition sans pouvoir arguer d'une interprétation téléologique de la convention en posant que l'objet même de la convention consiste à éviter une double imposition et non à mettre en place une "double peine".
Une typologie des conventions apparaît ainsi.
18 - Certaines conventions fiscales prévoient explicitement l'autorisation de déduction de la retenue à la source étrangère en cas de non-utilisation du crédit d'impôt et fixent ainsi les règles applicables pour une société en situation de déficit. Ces conventions ne posent aucune difficulté. Elles autorisent assurément le contribuable à déduire l'impôt étranger lorsque le crédit d'impôt ne peut être effectivement imputé sur l'impôt français. Elles n'autorisent cependant pas le contribuable à cumuler déduction et crédit d'impôt.
19 - D'autres conventions, au contraire, mentionnent expressément l'interdiction générale de la déduction des retenues à la source (26), ces conventions empêchent la déduction de la retenue à la source même en cas de non-utilisation du crédit d'impôt et sont visées par la solution de l'arrêt "Céline" puisqu'elles contiennent bien des "stipulations conventionnelles claires excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France".
20 - D'autres enfin se limitent uniquement à prévoir les modalités d'imputation de l'impôt étranger sur l'impôt français en posant le principe du plafonnement du crédit d'impôt étranger à l'impôt français. C'est par exemple le cas de la Convention franco-roumaine (N° Lexbase : L6743BH9), qui ne mentionne pas explicitement l'interdiction de la déduction de l'impôt étranger (27). Ces conventions s'attachent donc uniquement aux modalités d'imposition des revenus étrangers et ne disposent pas de "stipulations conventionnelles claires excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France". En application de cette jurisprudence "Céline", et sous réserve de précisions ultérieures par le Conseil d'Etat, ces conventions, qui n'excluent pas expressément la déduction de l'impôt étranger, conduiraient à accepter la déduction de l'impôt étranger. On notera d'ailleurs que l'administration ne s'est pas pourvue en cassation après que la cour administrative d'appel de Versailles ait validé la déduction de l'impôt étranger dans l'affaire "Egis" datant du 18 juillet 2013 (28), et ce, compte tenu des dispositions de l'article 21 de la Convention franco-grecque (N° Lexbase : L6697BHI), qui n'exclut pas expressément la déduction des retenues à la source contrairement aux Conventions franco-italienne ou franco-japonaise.
B - L'éventuelle prise en compte de la localisation géographique du pays signataire de la convention fiscale
21 - Lorsque la convention fiscale prévoit l'impossibilité de déduire les retenues à la source et autorise seulement le contribuable à faire valoir un crédit d'impôt, le Conseil d'Etat, à travers l'arrêt "Céline", applique scrupuleusement les dispositions conventionnelles. Mais une telle lecture s'impose-t-elle avec la même force lorsque l'Etat signataire de la Convention est également membre de l'Union européenne ? Cette question est a priori étrange puisque l'arrêt "Céline" aborde de la même façon la Convention signée avec le Japon et la Convention conclue avec l'Italie. C'est pourtant un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) rendu au lendemain de l'arrêt "Céline", c'est-à-dire le 13 mars 2014 (29), qui nous invite à nous interroger sur l'influence du droit communautaire en matière de déduction des impôts étrangers.
22 - Dans cette affaire, la CJUE reconnaît que les impôts payés à l'étranger sont déductibles de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour l'application du bouclier fiscal. La Cour se fonde, pour accorder la déduction des impôts étrangers, sur l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2713IP8), qui pose le principe selon lequel toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont prohibées. La Cour reconnaît ainsi que les impôts étrangers doivent être déductibles (pour l'application du bouclier fiscal français, en l'espèce) sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux. Même si le contexte juridique est différent de celui de l'affaire "Céline", cette décision nous amène à nous interroger sur l'influence éventuelle de cette liberté communautaire sur la résolution de l'affaire.
23 - En effet, la société Céline invoquait l'atteinte à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux prévues par le droit de l'Union européenne que constituait l'impossibilité pour elle de déduire l'impôt étranger. Le mécanisme d'imputation d'impôt sur l'impôt constituerait ainsi une discrimination en dissuadant des opérateurs économiques résidant en France de s'établir ou d'investir à l'étranger, et notamment au sein de l'Union européenne. Cet argument avait été rejeté par la cour administrative d'appel, soulignant que la société Céline s'était bornée à invoquer une distinction entre sa situation et celle des contribuables ayant perçu des revenus provenant d'Etats n'ayant pas signé de convention ou ayant signé une convention ne prévoyant pas la non-déductibilité de l'impôt acquitté dans ledit Etat, mais qu'elle n'invoquait ainsi aucun traitement différent qui serait appliqué à des situations objectivement comparables.
Une telle position est toutefois sujette à critique. Certains auteurs, analysant les arrêts "Sté GBL Energy" du 9 mai 2012 (30) et "SA Kermadec" du 29 octobre 2012 (31), relatifs à l'exonération des dividendes perçus par une société résidente n'ayant pas la qualité de société mère lorsque ses résultats sont déficitaires, ont soutenu l'idée qu'un crédit d'impôt correspondant à la retenue à la source étrangère devrait pouvoir être utilisé, sinon lors de l'exercice de perception des dividendes, du moins lors du premier exercice ultérieur au cours duquel la société doit à nouveau acquitter l'IS sur un résultat bénéficiaire (32).
En conséquence, comme le suggère Emmanuel Dinh, "dès lors qu'est admis le postulat selon lequel une société déficitaire subit une double imposition, quand bien même cette dernière n'interviendrait-elle pas au titre de l'exercice de la perception des revenus, mais au moment où la société redeviendra bénéficiaire, il apparaît en effet attentatoire à la libre circulation des capitaux d'interdire l'utilisation en France du crédit d'impôt étranger" (33). Mieux, compte tenu de l'effet erga omnes de la liberté de circulation des capitaux, cette solution devrait prévaloir y compris pour les revenus prenant leur source dans des Etats tiers à l'UE.
Le Conseil d'Etat n'aborde pas ces questions dans l'affaire "Céline", mais il est clair que le débat n'est pas clos et que d'autres décisions apporteront d'autres filtres au kaléidoscope.
(1) L'auteur remercie Yasmine El Boury pour ses recherches documentaires.
(2) TA Montreuil, 1ère ch., 3 février 2011, n° 0909296 (N° Lexbase : A6444HTT) : Dr. Sociétés, 2011, comm. 165, note J.-L. Pierre ; JCP E, 2011, 1653. - V. également, N. Chayvialle, Sélection de jugements des tribunaux administratifs : Dr. fisc., 2011, n° 24, 386. - C. Acard, Chronique de fiscalité financière : Dr. fisc., 2012, n° 23, 323.
(3) CAA Versailles, 6ème ch., 16 juillet 2012, n° 11VE01877, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9866IQH) : Dr. fisc., 2012, n° 49, comm. 547, concl. J.-E. Soyez, note O. Fouquet et Ph. Durand ; Dr. sociétés, 2013, comm. 77, note J.-L. Pierre ; E. Dinh, Chronique de fiscalité internationale pour 2012, Dr. fisc. 2013, n° 9, comm. 170.
(4) O. Fouquet, Impôt étranger : déductible à défaut d'imputabilité ?, FR, 4/09, n° 9, p. 2 ; la Convention fiscale franco-américaine (N° Lexbase : L5151IEI) : les revenus ayant leur source dans l'autre partie ne peuvent subir un prélèvement supérieur à celui découlant de la seule application de la loi fiscale.
(5) CE 7° et 8° s-s-r., 17 décembre 1984, n° 47293, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4717ALB) : RJF, 2/85 n° 308 et conclusions Dr. fisc., 11/85 comm. 553 : le commissaire du Gouvernement M. Fouquet affirmait que "l'administration a toujours interprété la règle de supériorité des conventions fiscales internationales sur la loi interne antérieure comme ne pouvant aboutir à une aggravation de la situation du contribuable par rapport au droit interne".
(6) B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, 4ème éd., 2013, n° 272, p. 359.
(7) CE 10° et 9° s-s-r., 8 juillet 2002, n° 225159, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1501AZM) : Dr. fisc., 2002, n° 41, comm. 801, concl. Mme M.-H. Mitjavile ; RJF, 11/2002, n° 1202 ; BDCF, 11/2002, n° 133, concl. Mme M.-H. Mitjavile.
(8) CE plén., 19 décembre 1975, n° 84774 et 91895, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3446B87) : RJF, 2/76, n° 77, chronique B. Martin Laprade RJF 2/76 p. 41 avec conclusions D. Fabre, Dr. fisc., 27/76, c. 925.
(9) Les principes de la méthode avaient déjà été décrits dans concl. J. Arrighi de Casanova sous CE 8° et 9° s-s-r., 17 mars 1993, n° 85894, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8711AML) : Dr. fisc., 1993, n° 25, comm. 1093 ; RJF, 5/1993, n° 612, concl. J. Arrighi de Casanova, p. 359) "Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer -en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale".
(10) CE ass., 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0219AZ7) : JurisData n° 2002-080182 ; Rec. CE 2002, p. 233 ; Dr. fisc., 2002, n° 36, comm. 657 ; Dr. Sociétés, 2002, comm. 184, note J.-L. Pierre ; RJF, 10/2002, n° 1080, chron. L. Olléon, p. 755 ; BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. Austry ; Rev. Sociétés, 2002, p. 538 et s., obs. O. Fouquet ; LPA, 17 août 2002, p. 4 et s., note B. Boutemy, E. Meier et Th. Perrot ; Bull. Joly Sociétés, 2002, n° 200, note Ch. Nouel et S. Reeb ; BGFE, 2002, n° 4, p. 3 et s., obs. E. Davoudet ; FR Lefebvre, 34/2002, p. 14, obs. N. Chahid-Nouraï et P. Couturier ; GAJF, 4e, éd. n° 4 : V. également, P. Dibout, L'inapplicabilité de l'article 209 B du CGI face à la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (à propos de l'arrêt CE ass., 28 juin 2002, Schneider Electric) : Dr. fisc., 2002, n° 36, 28 ; B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, 4ème éd., 2013, n° 112, p. 153 (et les références citées pour la lecture de l'arrêt "Schneider").
(11) S. Austry et D. Gutmann, Articulation des conventions et du droit interne, incidences de la jurisprudence Schneider Electric, FR, 53/07, inf. 9, p. 11, spéc. n° 3.
(12) Les conclusions du rapporteur public pourraient certainement apporter des éclaircissements sur ce point, mais nous n'avons pas eu accès à ce document au moment de la rédaction du présent commentaire.
(13) CE 9° et 10° s-s-r., 20 novembre 2002, n° 230530, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0758A4T) : Dr. fisc., 2002, n° 50, act. 234 ; Dr. Sociétés, 2003, comm. 59, note J.-L. Pierre ; RJF, 2/2003, n° 153 : BDCF, 2/2003, n° 19, concl. G. Goulard ; BGFE, 2003, n° 1, obs. N. Chahid-Nouraï.
(14) Voir également CAA Paris, 2ème ch., 21 décembre 2012, n° 11PA02852 (N° Lexbase : A9802I78) : Dr. fisc., 2013, n° 7, comm. 159, note Y. Egloff ; RJF, 5/2013, n° 470 : prohibant le droit de déduire les retenues à la source sur le fondement de l'article 39-1-4°, y compris en l'absence de résultats bénéficiaires (l'article 24 de la Convention franco-américaine applicable à l'espèce étant rédigé dans les mêmes termes que l'article 23 de la Convention franco-japonaise).
(15) CE 7° et 9° s-s-r., 11 juillet 1991, n° 57391, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0759AIX) : Dr. fisc., 1993, n° 31, comm. 1588 ; RJF, 10/1991, n° 1208 ; Rev. Sociétés, 1991, p. 808, concl. O. Fouquet.
(16) Dans cette affaire, la contribuable avait déduit sur le fondement de l'article 39-1-4°, les retenues à la source prélevées sur ses redevances en provenance d'Algérie en se prévalant du droit conventionnel. Or, la Convention franco-algérienne (N° Lexbase : L6658BH3) ne prévoit qu'une imputation de la retenue étrangère sur l'impôt français, à l'exclusion de tout autre mécanisme alternatif, notamment pour le cas où la société serait déficitaire l'année d'imputation. Ce n'était donc pas sur le fondement de la Convention que la société Lummus pouvait revendiquer la déduction de l'impôt étranger, mais sur celui de l'article 39-1-4°, de droit interne, dont elle ne s'était étrangement, à aucun moment, prévalue.
(17) CE 3° et 8° s-s-r., 12 juin 2013, n° 351702, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5884KGZ), Dr. fisc., 2013, n° 46, comm. 511, concl. E. Cortot-Boucher, note E. Dinh : Comme le souligne E. Dinh, il ressort de cette affaire"que le champ d'application des conventions fiscales doit être apprécié de manière objective : en l'absence même de tout débat lié à une double imposition juridique, les conventions fiscales ont vocation à réguler les questions liées à la déduction d'une charge de l'assiette fiscale d'une société résidente de France, dès lors que cette déduction est liée à la répartition interétatique de la matière imposable qu'elles organisent. Quand bien même la charge serait déductible au regard du droit interne, la subsidiarité ne peut avoir pour effet d'empêcher l'examen de la déduction au regard de la convention. [...] Si l'examen de la déduction de la charge au regard du droit conventionnel contredit le droit interne, le principe de hiérarchie des normes commande naturellement que les stipulations conventionnelles l'emportent sur le droit interne".
(18) Expression empruntée à E. Dinh (Fiscalité internationale, L'année fiscale 2012 : Dr. fisc., 2013, n° 9, comm. 170).
(19) B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, 4ème éd., 2013, n° 272, p. 359 ; B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. Fr. Lefebvre, 9ème éd., n° 10665 : soulignant que si un principe de non-aggravation existe en théorie, il ne concerne pas l'assiette de l'impôt et qu'il est "sans effet utile, dans la généralité des cas, compte tenu précisément de la loi de 1959". Le commissaire du Gouvernement, Marie-Hélène Mitjaville, indique dans ses conclusions dans l'arrêt "Lecat" que "le principe général consacré par la coutume du droit fiscal international suivant lequel la convention ne peut aboutir à aggraver la situation du contribuable par rapport au droit interne ne constitue qu'une formule illustrant l'objet limité des conventions fiscales bilatérales et non un principe formel de non-aggravation" (CE 10° et 9° s-s-r., 8 juillet 2002, n° 225159, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1501AZM : Dr. fisc., 2002, n° 41, comm. 801, concl. Mme M.-H. Mitjavile ; RJF, 11/2002, n° 1202 ; BDCF, 11/2002, n° 133, concl. Mme M.-H. Mitjavile).
(20) En ce sens J.-E. Soyez, rapport sous CAA Versailles, 6ème ch., 16 juillet 2012, précité.
(21) En ce sens, Franck Locatelli qui évoque le "kaléidoscope mis en place progressivement par le Conseil d'Etat" (conclus. sous CAA Versailles, 3ème ch., 18 juillet 2013, n° 12VE00572, Dr. fisc., 2014, n° 4, comm. 93, concl. F. Locatelli, note J.-L. Pierre).
(22) Sur ce point, voir avis CE, 31 mars 2009, n° 382545, DF, 2010, n° 22, comm. 339.
(23) Pour une référence aux règles posées par la Convention de Vienne en matière fiscale, voir notamment les conclusions de J. Arrighi de Casanova, sous CE 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 190083, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5436AXM), RJF, 12/99, n° 1587.
(24) E. Dinh, Chronique de fiscalité internationale pour 2012, précité.
(25) CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2012, n° 337656 et 337810, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0711IRR), RJF, 11/12, n° 1012, concl. F. Aladjidi, BDCF, 11/12, n° 126. Voir également conclusions de S. Austry sous l'arrêt Schneider, précité.
(26) C'est assurément le cas des Conventions franco-italienne et franco-japonaise précitées.
(27) Voir la Convention entre la France et la Roumanie du 27 septembre 1974, article 24, b).
(28) CAA Versailles, 3ème ch., 18 juillet 2013, n° 12VE00572, Dr. fisc., 2014, n° 4, comm. 93, concl. F. Locatelli, note J.-L. Pierre.
(29) CJUE, 13 mars 2014, aff. C-375/12 (N° Lexbase : A6825MGU).
(30) CE plén., 9 mai 2012, n° 342221 et 342222, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0104ILG), RJF 7/12, n° 774, concl. L. Olléon, BDCF, 7/12, n° 92, chron. E. Bockdam, RJF, 7/12, p. 587.
(31) CE 8° et 3° s-s-r., 29 octobre 2012, n° 352209, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1178IWK), DF, 2012, n° 45, act. 435.
(32) Voir S. Austry et D. Gutmann, Où s'arrêtera la jurisprudence ?, FR, 30/12, question d'actualité n° 5, spéc. n° 18.
(33) E. Dinh, Chronique de fiscalité internationale pour 2012, précité.
Décision
CE 9° et 10° s.-s.-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6800MGX) Rejet CAA Versailles, 6ème ch., 16 juillet 2012, n° 11VE01877, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9866IQH) Lien base "Conventions fiscales internationales" (N° Lexbase : E2980EUW) et (N° Lexbase : E3400EUH) |
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Réf. : Lire le communiqué de presse de l'OCDE du 6 mai 2014
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N2124BU9
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Le 15 Mai 2014
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Réf. : CA Bordeaux, 7 mai 2014, n° 13/01392 (N° Lexbase : A8683MKS)
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Le 21 Mai 2014
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 7 mai 2014, n° 355961, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9362MKX)
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N2186BUI
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Le 16 Mai 2014
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Réf. : Décret n° 2014-461 du 7 mai 2014, relatif aux frais de justice et à l'expérimentation de la dématérialisation des mémoires de frais (N° Lexbase : L1319I3A)
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N2138BUQ
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Le 15 Mai 2014
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N2137BUP
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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)
Le 15 Mai 2014
Il a déjà été souligné à quel point la procédure pénale est susceptible de blesser la propriété des personnes mises en cause, avant même que ces dernières aient fait l'objet d'une condamnation définitive (1). Le degré ultime des atteintes qui pouvaient être portées aux droits des propriétaires impliqués résidait, sans doute, dans l'article 41-4, alinéa 4, du Code de procédure pénale, en vertu duquel "le procureur de la République [pouvait] ordonner la destruction des biens meubles saisis dont la conservation [n'était] plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il [s'agissait] d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention [était] illicite". L'imparfait s'impose car, par une décision rendue le 11 avril 2014, le Conseil constitutionnel a sonné le glas de ces dispositions, qui méconnaîtraient selon lui les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). Plus précisément, l'article 41-4, alinéa 4, autorisait la destruction des biens saisis "sans que leur propriétaire ou les tiers ayant des droits sur ces biens et les personnes mises en cause dans la procédure en aient été préalablement avisés et qu'ils aient été mis à même de contester cette décision devant une juridiction afin de demander, le cas échéant, la restitution des biens saisis". Le problème n'était donc pas tant, selon la "juridiction" constitutionnelle, la méconnaissance du lien de propriété, l'expropriation pure réalisée de la sorte, que l'impossibilité pour les personnes "intéressées" -le Conseil, fidèle à ses mauvaises habitudes, n'est pas très précis sur ce point- d'exercer un recours contre la décision du procureur de la République, alors qu'elles pouvaient le faire dans d'autres situations pourtant comparables (2).
La solution, pour être prévisible, appelle néanmoins quelques commentaires.
Il était curieux, tout d'abord, que la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (N° Lexbase : L7839HYY), texte à l'origine des dispositions ainsi sanctionnées, ait dissocié le pouvoir relatif au devenir des biens saisis durant l'enquête entre deux autorités de nature différente : le procureur de la République, intervenant historique, et le juge des libertés et de la détention, intervenant légitime (3). Quitte à réformer, en effet, autant aller au bout de la logique et transférer des pouvoirs qui n'appartenaient au premier qu'en vertu de la tradition, au second, qui apparaissait le plus adapté en vertu de son statut : non seulement, le juge judiciaire est le gardien naturel des libertés individuelles, en ce compris la propriété, mais il est aussi plus aisé d'envisager le recours contre une décision juridictionnelle que contre une décision administrative. En ce sens, la censure constitutionnelle peut-elle être perçue comme la sanction d'une maladresse législative (4).
Ensuite, le fait que le fondement de la censure ait, une fois de plus, été tiré du "fourre-tout" de l'article 16 de la Déclaration de 1789 plutôt que de ses articles directement consacrés au droit de propriété conduit à des remarques désormais habituelles. Le Conseil constitutionnel ne fait sans doute que conforter son choix de se baser sur ledit article pour poser un droit à un recours effectif et, en cela, ne fait pas preuve d'incohérence. Mais ne vaudrait-il pas mieux conserver l'article 16 pour des droits que l'on ne peut fonder sur aucun autre texte à valeur constitutionnelle, au risque de finir par le galvauder ? Autrement dit, n'aurait-il pas été plus pertinent, en l'espèce, de mobiliser le droit de propriété, le recours offert au propriétaire n'en représentant finalement qu'une application ? Au demeurant, le passage par le principe d'égalité, proposé également par le requérant (5), aurait amplement suffi à justifier la censure, une différence de traitement étant instaurée entre les mis en cause durant l'enquête et les mis en examen, leur différence de statut ne procédant pas, à nos yeux, d'une différence de situation suffisante.
Enfin, classiquement, le Conseil constitutionnel aménage les effets de sa censure. A cet égard, tout en précisant que la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable immédiatement, "aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement", il précise, d'une part, "qu'elle n'ouvre droit à aucune demande en réparation du fait de la destruction de biens opérée antérieurement à cette date" et, d'autre part, que "les poursuites engagées dans des procédures dans lesquelles des destructions ont été ordonnées en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité" (6).
Le premier point est compréhensible : autoriser une réparation consécutive à toutes les destructions qui auraient été ordonnées sur la base d'un texte encore applicable serait, en quelque sorte, ouvrir la boîte de "Pandore". Même du point de vue de la Cour de Strasbourg, on ne saurait soutenir que les propriétaires concernés disposaient alors d'une espérance légitime d'obtenir une telle réparation. Le second point, en revanche, est beaucoup moins bien exprimé : il semble signifier que l'action publique ne doit pas être perturbée par le caractère inconstitutionnel d'une destruction qui aurait été ordonnée durant la procédure. Mais, dans une telle hypothèse, outre que la destruction n'était pas inconstitutionnelle à l'époque où elle a été décidée, elle n'entretenait aucun lien avec l'action publique, puisque l'une des conditions pour y recourir était précisément que la conservation du bien ne soit plus nécessaire à la manifestation de la vérité.
Guillaume Beaussonie
Bien que s'inscrivant dans un autre cadre, cette décision doit être mise en parallèle avec la précédente, puisqu'elle est relative à l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction, sur réquisitions ou après avis du ministère public, peut ordonner la destruction d'objets saisis, en vertu de l'article 99-2 du Code de procédure pénale.
En l'espèce, à l'occasion d'un contrôle, les agents de l'administration des douanes découvraient plus de 150 kilogrammes de résine de cannabis dans un ensemble routier. Le conducteur de ce dernier était mis en examen des chefs d'importation en contrebande de marchandises prohibées, importation et détention non autorisées de stupéfiants. A la requête de l'administration des douanes, le juge d'instruction décidait, sur le fondement de l'article 389 bis du Code des douanes (N° Lexbase : L3804IRC), d'autoriser la destruction des produits saisis. Le mis en examen interjetait alors appel de cette décision et, contre toute attente, la cour d'appel infirmait l'ordonnance du juge d'instruction. Celle-ci considérait en effet que, puisqu'il s'agissait d'un dossier d'instruction, l'article 99-2 devait également recevoir application. Ce qui conduisait à un panachage bien étrange : d'un côté, le mis en examen, même non propriétaire, pouvait faire appel en vertu de l'article 99-2 ; d'un autre côté, la destruction ne pouvait s'opérer qu'après respect des conditions posées par l'article 389 bis, ce dernier prévoyant notamment un échantillonnage qui, semble-t-il, n'avait pas été consigné...
Sans réelle surprise, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure ce montage plutôt bancal, en précisant, d'abord, que seul l'article 389 bis du Code des douanes devait recevoir application. L'article 99-2 n'est effectivement applicable qu'aux biens placés sous main de justice, ce qui ne serait pas le cas des biens saisis en l'espèce. Il faut reconnaître que l'affirmation ne va pas de soi, la saisie étant précisément définie comme le placement d'un bien sous main de justice. Sans doute aurait-il alors été plus adroit de justifier l'application du Code des douanes par la simple mais bonne raison de sa plus grande spécificité par rapport au Code de procédure pénale : specialia generalibus derogant.
Ensuite, la Cour de cassation applique l'article 389 bis du Code des douanes, rappelant que ce dernier "réserve au seul propriétaire des objets sous saisie douanière le droit d'interjeter appel de l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction, sur requête de l'administration des douanes, autorise la destruction de ces objets". Tel est effectivement le cas, depuis la modification et la clarification de ce texte intervenues à la suite d'une censure constitutionnelle de l'article 389 du même code (7). Avant cela, il ne faisait référence qu'à "l'autre partie", ce qui était loin de faciliter l'identification du bénéficiaire d'un droit au recours contre la décision de destruction qui, au demeurant, n'existait pas vraiment -c'était la raison même de la censure de l'article 389.Cette référence plutôt floue fait d'ailleurs penser à la rédaction actuelle des articles du Code de procédure pénale relatifs à une telle destruction (8). A bon entendeur...
Guillaume Beaussonie
II - Régime des réquisitions
Les réquisitions sont des actes d'enquête manifestes, en ce sens qu'elles montrent bien à quel point tout enquêteur est en droit d'exiger et, conséquemment, d'obtenir certaines choses ou certaines prestations, lorsqu'il agit dans un cadre légal. Par "cadre légal", il faut entendre enquête ou instruction, bien sûr, mais il faut également prendre en compte les règles spécifiques à ces actes spécifiques que sont les réquisitions. Pour l'enquête préliminaire, on les trouve aux articles 77-1 (N° Lexbase : L7136A43) à 77-1-2 du Code de procédure pénale.
Par essence, la réquisition est perçue comme étant moins intrusive que la perquisition, raison pour laquelle le consentement de la personne requise n'a pas, en principe, à être sollicité. Cela pourrait sans doute se discuter, le fait de fournir une prestation ou un document contre son gré n'étant rien de moins que de devoir agir à l'encontre de sa liberté et de sa propriété. Quoi qu'il en soit, seuls les professionnels particulièrement protégés que sont les avocats, les journalistes, les médecins, les notaires et les huissiers (9) échappent à une telle impunité, leur consentement devant être obtenu pour obtenir de leur part la remise de documents. La "réquisition-ordre" devient simple "réquisition-demande".
Quid, en revanche, dans l'hypothèse où les documents concernent lesdits professionnels sans, cependant, avoir été générés par eux ? Telle était la question, en l'espèce, une réquisition ayant ordonné à la caisse primaire d'assurance maladie de communiquer aux enquêteurs la liste des patientes d'un médecin soupçonné d'avoir commis à leur encontre des agressions sexuelles aggravées.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour rejeter la demande du médecin tendant à l'annulation d'une réquisition qui le concernait mais à laquelle il n'avait pas consenti, précise qu'"un tel accord n'est nécessaire que si l'un des professionnels visés aux articles 56-1 (N° Lexbase : L3557IGT) à 56-3 du Code de procédure pénale est directement requis de fournir les informations sollicitées", ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Autrement dit, ce qui compte n'est pas tant le lien qu'entretient le contenu des documents requis avec un professionnel protégé, que le fait que ce dernier soit destinataire de la réquisition.
Si une telle interprétation de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD) s'avère parfaitement concevable, celle-ci procède quand même d'une réflexion sans doute insuffisante concernant les effets des réquisitions sur les professionnels requis. Comme pour toutes les autres règles de procédure pénale, il faudrait trouver un équilibre satisfaisant entre les nécessités de l'ordre public et le respect des droits et libertés des mis en cause. En l'état, même si la solution ne heurte pas, il n'est pas certain que cela soit tout à fait le cas.
Guillaume Beaussonie
III - Autorité de la chose jugée : la jurisprudence "Césaréo" et le juge pénal
L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, règle prétorienne datant de 1855 (10), implique que ce qui a été jugé par le juge pénal s'impose au juge civil : il s'agit ainsi d'une autorité dite "positive" de chose jugée. Selon la Cour de cassation, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé (11). Ainsi en cas de condamnation, le juge civil qui serait ultérieurement saisi est tenu d'accorder réparation à la victime. A l'inverse, en cas d'acquittement ou de relaxe, il ne pourra pas accorder réparation, sauf à se fonder sur des faits distincts de l'infraction. Ou bien, même en se fondant sur les mêmes faits, si le prévenu, poursuivi pour une infraction intentionnelle, avait été relaxé pour absence d'intention, le juge civil pourra accorder des dommages et intérêts en relevant l'existence d'une faute civile d'imprudence ou de négligence (12), ou en se fondant sur un cas de responsabilité objective, sans faute (13). Par ailleurs, le juge civil pourra même accorder réparation sur le fondement d'une faute civile intentionnelle après avoir relaxé le prévenu d'une faute pénale intentionnelle (14). Enfin, le juge civil aura toujours la possibilité d'accorder réparation lorsque la personne n'avait pas été reconnue responsable pénalement sur le fondement de l'article 122-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2244AM3), ou parce qu'elle était un très jeune enfant (15).
Hormis ces limites à l'autorité du pénal sur le civil, cette règle comporte une exception qui concerne les fautes pénales non intentionnelles (16) : en cas de relaxe pour absence de faute pénale, la victime a en effet la possibilité de saisir le juge civil pour obtenir réparation sur le fondement -notamment- de l'article 1383 du Code civil (N° Lexbase : L2952ICC), si l'existence de la faute civile est, elle, établie. Cette possibilité résulte de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (N° Lexbase : L0901AI9) ayant supprimé, dans ce cas, l'identité entre la faute pénale et la faute civile d'imprudence. Par ailleurs, l'article 470-1 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 83-68 du 8 juillet 1983, renforçant la protection des victimes d'infractions (N° Lexbase : L8216HI7) (17), prévoit que le tribunal correctionnel, qui avait été saisi par le ministère public ou sur renvoi de la juridiction d'instruction de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle (18) demeure compétent (19), après avoir prononcé la relaxe, pour accorder réparation en application des règles du droit civil de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite. La responsabilité pénale étant une responsabilité pour faute, l'article 470-1 (N° Lexbase : L9931IQU) permet ainsi au tribunal correctionnel, en vue d'accorder réparation à la victime, d'appliquer les régimes de responsabilité civile sans faute (20). La possibilité pour le juge pénal, en cas de relaxe, d'allouer des dommages et intérêts à la victime en appliquant les "règles du droit civil" existait donc avant même que la loi du 10 juillet 2000, en distinguant la faute pénale et la faute civile d'imprudence, permette au juge civil de contredire la décision du juge pénal.
Ainsi, plusieurs règles juridiques ou moyens de droit sont susceptibles de fonder une demande en réparation et, depuis l'arrêt "Césaréo" du 7 juillet 2006 (21) opérant un revirement de jurisprudence (22), la partie a l'obligation d'invoquer tous ces moyens au cours du procès, (23) sans que le juge soit lui-même tenu de pallier son éventuelle carence en relevant d'office un moyen de droit (24). A défaut de respecter ce principe de concentration des moyens, une demande en réparation qui serait exercée devant le juge civil après que la partie a été déboutée de façon irrévocable se heurterait à l'autorité de la chose jugée -l'autorité de la chose jugée au civil sur le civil- en application de l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP) et la règle de la triple identité : parties, objet, cause (25). Alors que la cause, avant 2006, s'identifiait au moyen de droit, désormais, celle-ci se confond avec l'objet, la chose demandée en lien avec les faits générateurs du litige. Et ce principe de concentration des moyens vaut non seulement lorsque la première demande en réparation avait été formée devant le juge civil, mais aussi -et c'est ce qui nous intéresse ici- lorsqu'elle l'avait été devant le juge pénal, du moins en cas de poursuites pour une infraction non intentionnelle (26), ce que confirme la présente affaire.
En l'espèce, des poursuites pénales avaient été engagées contre un individu devant le tribunal correctionnel pour blessures volontaires, et une demande en réparation avait été formée par la partie civile sur le fondement des articles 1382 ([LXB=L1488ABQ ]) et 1383 du Code civil (N° Lexbase : L2952ICC). Par un arrêt irrévocable de la chambre des appels correctionnels, le prévenu fut relaxé et la partie civile déboutée. Cette dernière intenta alors une nouvelle action devant le juge civil en se fondant sur un moyen de droit non invoqué devant le juge pénal : l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (27). La cour d'appel, arguant que la victime avait l'obligation d'invoquer ce moyen de droit devant le juge pénal qui était compétent pour statuer en application de l'article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU) malgré le prononcé de la relaxe, déclara cette nouvelle demande irrecevable. Mais la Cour de cassation, pour casser l'arrêt de la cour d'appel, affirme que les dispositions de l'article 470-1 ne sont applicables que si, à la suite d'une relaxe, le tribunal avait été saisi de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle. Or, ici, les poursuites avaient été engagées du chef de blessures volontaires. Il en résulte que la partie civile n'avait pas l'obligation de concentrer ses moyens devant le juge pénal et donc que sa nouvelle action devant le juge civil fondé sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ne se heurtait pas à l'autorité -négative- de la chose jugée.
Cette solution de la Cour de cassation doit être approuvée. En effet, il est évident que, en l'espèce, le juge pénal, après le prononcé de la relaxe, ne demeurait pas compétent pour accorder réparation à la victime en application des dispositions de l'article 470-1 du Code de procédure pénale, lequel ne peut être mis en oeuvre qu'en cas d'infraction non intentionnelle. Partant, même si la partie civile, ainsi que l'indique l'arrêt de la Cour de cassation, avait exercé son action civile devant le juge pénal en se fondant uniquement sur les articles 1382 et 1383 du Code civil -responsabilité pour faute-, le juge civil ne pouvait ensuite lui opposer l'autorité de la chose jugée au civil par le tribunal correctionnel pour non-respect du principe de concentration des moyens en lui reprochant, donc, de ne pas s'être fondée aussi sur l'article 1384 -responsabilité sans faute-. Car la partie civile n'avait précisément pas la possibilité d'invoquer ce moyen de droit devant le juge pénal à l'appui de sa demande en réparation, en raison de la non-application de l'article 470-1 et de l'impossibilité pour le juge pénal de statuer selon les règles du droit civil, i. e. en se fondant sur un régime de responsabilité objective. La seule possibilité pour la partie de faire examiner une nouvelle fois sa demande en réparation fondée sur l'article 1384 était donc de saisir le juge civil. Avec cette conséquence que la relaxe ayant été prononcée du chef de blessures volontaires, l'autorité du pénal sur le civil n'excluait pas une condamnation civile du défendeur sur ce nouveau fondement juridique.
Lionel Miniato
IV - Travail dissimulé et enquête préliminaire : la consécration du droit à un recours juridictionnel effectif
Les infractions aux interdictions du travail dissimulé (28), constitutives de travail illégal avec d'autres infractions (29), sont sanctionnées -notamment- par un emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 euros (30). Pour la recherche et la constatation de telles infractions, il est prévu par l'article L. 8271-13 du Code du travail que, "dans le cadre des enquêtes préliminaires [...], les officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire, peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail relevant des articles L. 4111-1 (N° Lexbase : L1438H97) du présent code et L. 722-1 du Code rural et de la pêche maritime, y compris dans ceux n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités. Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée sur des éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la preuve est recherchée. Ces dispositions ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la constatation des infractions par les officiers et agents de police judiciaire". Dans une affaire jugée en 2002 (31), une personne avait exercé un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du président du TGI ayant autorisé à procéder à des opérations de visite et de saisies de documents. Le pourvoi avait été déclaré irrecevable aux motifs que le texte ne prévoyait pas de recours contre l'ordonnance, la personne ayant de toute façon la possibilité ultérieurement, à la suite de la mise en mouvement de l'action publique, d'invoquer la nullité de l'ordonnance laquelle constitue un acte de procédure dont la nullité peut être invoquée dans les conditions prévues par les articles 173 (N° Lexbase : L1570H4W) (pendant l'instruction) ou 385 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3791AZG) (devant le tribunal correctionnel ). Cet arrêt de la Cour de cassation en date de 2002 est mentionné dans la présente décision du Conseil constitutionnel lequel remet en cause cette solution à la suite d'une QPC contestant la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 8271-13 (N° Lexbase : L3452IMS) au nom du droit à un recours juridictionnel effectif, principe garanti par le Conseil constitutionnel (32). Ce dernier, pour abroger le texte à compter du 1er janvier 2015, et se fondant sur ce droit tiré de l'article 16 de la Déclaration de 1789 -article fourre-tout en matière de droits de procédure-, se fonde sur l'impossibilité de contester l'autorisation de la visite domiciliaire, de la perquisition ou de la saisie alors même que l'action publique n'a pas encore été déclenchée.
La décision du Conseil paraît devoir être saluée, dans la mesure où l'article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS) énonce des conditions pour que le juge, sur réquisitions du procureur de la République, autorise les OPJ (ou APJ) à procéder à ces actes d'enquête. Et il paraît donc légitime que la personne puisse contester la décision dans le but d'empêcher ces actes pouvant aboutir à des poursuites. A cet égard, le législateur serait bien inspiré de prévoir un appel suspensif car, sinon, le droit au recours serait quelque peu vidé de sa substance, même si l'on pourrait concevoir une annulation prononcée après l'exécution des actes lesquels alors ne pourraient plus servir de fondement à d'éventuelles poursuites. Cependant, le droit qu'auront les personnes de contester l'ordonnance du président du TGI va placer ces personnes dans une situation privilégiée par rapport à celles faisant l'objet d'une enquête préliminaire pour d'autres infractions Car, dans ces hypothèses, les actes de l'enquête préliminaire ont lieu sur instruction du procureur de la République ou d'office par les OPJ, et ne peuvent être contestés que par les voies de droit mentionnées dans la décision de la Cour de cassation de 2002, c'est-à-dire après le déclenchement des poursuites. Mais, en réalité, les OPJ disposent, sur le fondement de l'article L. 8271-13, de "pouvoirs spéciaux", "dérogatoires au droit commun", l'autorité de contrôle essentielle étant en matière de législation du travail l'inspection du travail (33). La cohérence du dispositif imposait donc que la mise en oeuvre de ces pouvoirs spéciaux soit assortie de garanties juridictionnelles spécifiques.
Lionel Miniato
(1) Cf. nos observations : Chronique de procédure pénale - Mars 2014, Lexbase Hebdo n° 562 du 13 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1182BUC).
(2) Comme le faisait valoir le requérant, "un recours est prévu lorsque la décision d'ordonner la destruction des biens saisis est prise par le juge d'instruction dans le cadre d'une information judiciaire en application du quatrième alinéa de l'article 99-2 du Code de procédure pénale" (argument repris dans le considérant n° 2). Le recours, au surplus, est effectif : cf. par ex. Cass. crim., 6 mars 2007, n° 06-87.446, FS-P+F (N° Lexbase : A9200DUB), Bull. crim., n° 71, où la Chambre criminelle sanctionne des juges du fond qui ont validé la destruction d'un navire saisi "sans rechercher si la loi elle-même qualifiait cet objet de dangereux ou de nuisible, ou en interdisait la détention, et, à défaut, sans constater que la restitution s'avérait impossible".
(3) D'où deux articles : C. proc. pén., 41-4 (N° Lexbase : L0136I3G) (procureur) et 41-5 (N° Lexbase : L7676IPY) (juge).
(4) A lire les travaux préparatoires, cette question précise (celle du comment au-delà du pourquoi) n'a pas vraiment intéressé les parlementaires, qui ont simplement perçu dans la possibilité d'ordonner la destruction d'un bien saisi le moyen de faire l'économie de sa conservation.
(5) Cons. n° 2.
(6) Cons. n° 8.
(7) Cf. Cons. const., décision n° 2011-203 QPC du 2 décembre 2011 (N° Lexbase : A0517H3K), puis art. 57 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ).
(8) Cf., supra, le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2014.
(9) Autrement dit les "personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3" du Code de procédure pénale (C. proc. pén., art. 77-1-1 N° Lexbase : L3463IGD).
(10) Arrêt "Quertier" du 7 mars 1855.
(11) Cf. par ex. : Cass. civ. 1, 24 octobre 2012, n° 11-20.442, F-P+B+I (N° Lexbase : A8874IU9).
(12) C. civ., art. 1383 (N° Lexbase : L1489ABR).
(13) C. civ., art. 1384, al. 1er, par ex.
(14) Sur tous ces points, cf. par ex. Cass. civ. 2, 14 janvier 1987, n° 85-15.866 (N° Lexbase : A6592AAE) ; Cass. civ. 2, 18 décembre 1995, n° 91-14.785 (N° Lexbase : A6437ABZ).
(15) Ass. plén., 9 mai 1984, 4 arrêts, n° 79-16.612 (N° Lexbase : A7229AYE), n° 80-93.481 (N° Lexbase : A7962AA7), n° 80-14.994 (N° Lexbase : A7722CG4) et n° 80-93.031 (N° Lexbase : A7961AA4).
(16) C. pén., art. 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY).
(17) Art. 13.
(18) Ce qui exclut donc la saisine par citation directe de la victime : Cass. crim., 22 mars 1990, n° 89-81.443 (N° Lexbase : A5362CIG).
(19) Sur demande expresse de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, ce qui signifie que le tribunal ne peut pas faire application d'office de ces dispositions : Cass. crim., 12 février 1997, n° 96-82.666 (N° Lexbase : A1214ACX).
(20) C. civ., art. 1384, al. 1er ; loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation... Cf. L. Boré, JCl. Procédure pénale, Fasc. 20, Action publique et action civile -action civile exercée devant les tribunaux répressifs- généralités, nos 36 et s..
(21) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 (N° Lexbase : A4261DQU) ; JCP, éd. G, 2007, II, 10070, note G. Wiederkehr.
(22) Revirement applicable aux instances nées antérieurement sans violation de l'article 6-1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) : CEDH, 26 mai 2011, L. c/ France, Req. 23228/08 (N° Lexbase : A4634HSG).
(23) Le demandeur mais aussi le défendeur : Cass. civ. 3, 13 février 2008, n° 06-22.093 (N° Lexbase : A9239D4X).
(24) Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343 (N° Lexbase : A1175D3W).
(25) Autorité "négative" de chose jugée sanctionnée par une fin de non-recevoir.
(26) Cf. en ce sens : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.524 (N° Lexbase : A2533DZT) : poursuites contre un médecin pour blessures par imprudence.
(27) Et plus précisément la responsabilité du fait des choses : responsabilité sans faute.
(28) C. trav., art. L. 8221-1 (N° Lexbase : L3589H9S).
(29) C. trav., art. L. 8211-1 (N° Lexbase : L6526IZQ).
(30) Cf. C. trav., art. L. 8224-1 (N° Lexbase : L3622H9Z) et s..
(31) Cass. crim., 16 janvier 2002, n° 99-30.359 (N° Lexbase : A9897AXT), confirmé par Cass. crim., 3 novembre 2005, n° 05-80.949, F-P+F (N° Lexbase : A7626DLZ).
(32) Cf. par ex. Cons. const., décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 (N° Lexbase : A8782ACA).
(33) Cf. A. Coeuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 22.
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Réf. : Directive 2014/41/UE concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale (N° Lexbase : L1121I3W)
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N2166BUR
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Le 22 Mai 2014
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Réf. : CE 4°et 5° s-s-r., 5 mai 2014, n° 355580, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9702MKK)
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N2164BUP
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Le 17 Mai 2014
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 5 mai 2014, n° 362281, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9378MKK)
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Le 17 Mai 2014
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Réf. : Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-10.772, FS-P+B (N° Lexbase : A6830MK8), sur le troisième moyen
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 15 Mai 2014
Résumé
Lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin par la démission sans réserve du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet. L'intéressé a la faculté, si les griefs qu'il faisait valoir, au soutien de sa demande, étaient justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant. Si, à la demande du salarié, la démission a été requalifiée en prise d'acte par le juge, celui-ci doit, pour l'appréciation du bien-fondé de la prise d'acte, prendre en considération les manquements de l'employeur invoqués par le salarié tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte. |
Commentaire
I - La priorité donnée à la démission sur la demande antérieure de résiliation judiciaire
Contexte. L'admission praeter legem de la résiliation judiciaire comme mode de rupture du contrat de travail, à la seule demande du salarié, n'est pas sans poser problème lorsque, pendant le temps de l'instance, le contrat de travail est rompu par l'une des parties, selon l'une des techniques reconnues par le Code du travail, car les solutions imaginées par la Cour de cassation pour régler les conflits entre ces différentes ruptures ne sont pas toujours aisées à justifier dans leur ensemble.
Deux séries d'hypothèses doivent être distinguées selon que le conflit entre les différents modes de ruptures résulte de l'employeur, ou du salarié.
Il est tout d'abord admis que le licenciement du salarié, postérieur à l'introduction, par ce dernier, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail (1), ne modifie pas l'ordre d'examen des situations, ce qui est logique pour éviter que l'employeur ne cherche à prendre de vitesse le conseil de prud'hommes en saisissant une opportunité de rupture. Dans cette hypothèse, le juge devra privilégier la demande de résiliation qui est intervenue la première, puis, s'il n'y fait pas droit et ne rompt donc pas le contrat de travail (2), le licenciement prononcé par le salarié. S'il fait droit à la demande de résiliation judiciaire, par hypothèse, aux torts de l'employeur lorsque les faits rendaient, par leur gravité, impossible l'exécution du contrat de travail (3), le licenciement apparaîtra rétrospectivement comme sans objet (4). Seule l'hypothèse d'une mise à la retraite postérieure à l'introduction de la demande en justice rompra le contrat de travail (5), le salarié pouvant toujours obtenir réparation des préjudices que les fautes commises antérieurement par l'employeur pourraient lui avoir causé (6).
Lorsque le salarié présente une demande de résiliation judiciaire puis décide de rompre le contrat de travail en utilisant une autre technique, alors le risque n'est plus le même et il est possible de retenir non pas la première intention, mais la dernière qui correspond à la volonté la plus récente du salarié. La solution avait été admise en 2006 s'agissant de la prise d'acte postérieure à l'introduction de la demande de résiliation judiciaire (7), puis confirmée en 2010, s'agissant du départ à la retraite (8) et en 2013, s'agissant de la conclusion par le salarié d'une rupture conventionnelle du contrat de travail (9). Il était dès lors logique, et prévisible, que la même solution prévale en cas de démission, ce qui est donc le cas désormais après ce nouvel arrêt.
Affirmation logique de la primauté de la démission sur la demande antérieure de résiliation judiciaire. Un salarié avait saisi, le 4 décembre 2009, la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, dont il a été débouté le 20 janvier 2011, puis démissionné sans réserve de son emploi le 18 mai 2011 à effet du 22 juin 2011, après avoir interjeté appel du jugement. La cour d'appel avait réformé la décision intervenue en première instance et fait droit à la demande de résiliation judiciaire du salarié. C'est cet arrêt d'appel qui est cassé.
Pour justifier cette cassation, la Haute juridiction procède tout d'abord, dans un long attendu de principe, à trois affirmations liminaires, dont une première, qui nous intéresse directement ici, aux termes de laquelle : "lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin par la démission du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet".
On retrouve ici, appliquée à la situation particulière du salarié qui introduit une demande de résiliation judiciaire puis démissionne, une formule proche de celle qui avait été employée dans l'hypothèse où, postérieurement à une même demande, le salarié a été mis ou est parti à la retraite (10).
Une solution logique. Cette solution est logique, et justifiée. Comme nous l'avons rappelé, elle confirme la ligne jurisprudentielle dégagée depuis 2006 qui avait fait prévaloir les ruptures postérieures à l'introduction en justice de la demande de résiliation judiciaire dès lors que la volonté du salarié avait bien été de rompre son contrat de travail. Appliquée au départ à la retraite et à la prise d'acte, il était logique qu'elle le soit à la démission.
La solution est justifiée pour autant que cette volonté est exempte de vice et que le salarié n'a pas été contraint de quitter l'entreprise. Dans cette hypothèse, en effet, la démission sera requalifiée en licenciement et le juge devra donc bien examiner la demande de résiliation du salarié. Voilà pourquoi, dans cet arrêt, la Cour de cassation a pris la peine de préciser que le salarié avait démissionné "sans réserve", et, pour justifier la cassation de l'arrêt d'appel, qu'il n'avait pas "demandé la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture", c'est-à-dire qu'il n'avait pas invoqué l'existence de faits qui, quoi que non mentionnés dans sa lettre de démission, étaient antérieurs ou concomitants de celle-ci et susceptibles, compte tenu de leur gravité, de justifier la rupture immédiate du contrat de travail. On rappellera, dans cette affaire, que le salarié venait d'être débouté de sa demande de résiliation judiciaire par le conseil de prud'hommes qui avait considéré que les faits dénoncés n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, et que la situation au sein de l'entreprise devait être, dans ce contexte conflictuel, difficile à supporter, ce qui avait incité le salarié à quitter son emploi.
II - La prise en compte des torts de l'employeur
Hypothèse de la démission. Lorsque le salarié a démissionné sans réserve et qu'il n'invoque ni vice du consentement susceptible d'entraîner l'annulation, ni ne demande la requalification de sa démission en prise d'acte, il conserve la faculté de demander la réparation du préjudice causé par les fautes imputées à l'employeur, et ce en application des règles du droit commun de la responsabilité contractuelle. C'est ce qu'indique très clairement la Cour de cassation ici dans un premier obiter dictum (le litige ne portait en effet pas sur ce point) : "l'intéressé a la faculté, si les griefs qu'il faisait valoir au soutien de sa demande étaient justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant".
Cette possibilité est parfaitement logique car la qualification de la rupture du contrat de travail est sans incidence sur d'éventuelles fautes antérieures commises par l'employeur, le salarié pouvant toujours, pour autant qu'elles ne soient pas prescrites, réclamer réparation des préjudices subis. Il n'est d'ailleurs pas possible de considérer qu'en démissionnant sans réserve le salarié pourrait, en quelque sorte, renoncer à agir en responsabilité contre son employeur, la renonciation ne se présumant pas.
Quoique la Cour ne le précise pas, il semble logique que ces faits présentent la même gravité que ceux qui justifient désormais la résiliation judiciaire, ou la prise d'acte, c'est-à-dire ceux dont la gravité rendaient impossible la poursuite du contrat de travail. C'est en ce sens, nous semble-t-il, qu'il convient d'interpréter la formule employée dans l'arrêt qui vise l'hypothèse où "les griefs qu'il faisait valoir au soutien de sa demande étaient justifiés".
Hypothèse de la démission requalifiée en prise d'acte. On sait que le salarié qui démissionne peut demander au juge de requalifier la rupture en prise d'acte lorsqu'il a émis des réserves, en démissionnant, ou que sa "démission" intervient dans un contexte conflictuel où des griefs ont été formulés de manière contemporaine de la rupture. Dans ce cas, le salarié qui a volontairement quitté l'entreprise, pourra demander au juge d'examiner ces griefs et, s'ils rendaient impossible la poursuite de l'exécution du contrat, le juge pourra lui accorder des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire pour licenciement nul, si l'employeur ne disposait pas du droit de licencier le salarié (11).
C'est également ce qu'affirme la Cour, dans un second obiter dictum (le salarié n'avait formulé à l'égard de son employeur aucun grief et n'avait pas demandé au juge de les examiner dans le cadre de la jurisprudence relative à la prise d'acte) en rappelant que même si le juge ne statue pas sur la demande de résiliation judiciaire, dès lors que le contrat a été rompu du fait du salarié après sa demande (12), il peut prendre en compte les griefs formulés dans sa demande : "si, à la demande du salarié, la démission a été requalifiée en prise d'acte par le juge, celui-ci doit, pour l'appréciation du bien-fondé de la prise d'acte, prendre en considération les manquements de l'employeur invoqués par le salarié tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte".
Décision
Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-10.772, FS-P+B (N° Lexbase : A6830MK8) sur le troisième moyen. Cassation partielle partiellement sans renvoi (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 5 décembre 2012, n° S 11/01848 N° Lexbase : A3603IY4). Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et L. 1237-1 (N° Lexbase : L8512IAI) ; C. civ., 1184 (N° Lexbase : L1286ABA). Mots clef : résiliation judiciaire ; démission ; office du juge. Liens base : (N° Lexbase : E2947E4W). |
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