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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
D'abord, c'est le juge constitutionnel qui sort de sa hotte deux précieuses censures aux conséquences déterminantes pour l'avenir des avocats conseils, fiscalistes en particulier. Ainsi, dans sa décision du 29 décembre 2013, les Sages condamnent les articles 96 et 100 de la loi de finances pour 2014 déférée, judicieusement, devant eux, avant publication.
Le premier de ces articles sacrilèges faisait obligation à toute personne commercialisant un "schéma d'optimisation fiscale" de le déclarer à l'administration avant sa commercialisation. Or, ce "schéma d'optimisation fiscale" était simplement défini comme "toute combinaison de procédés et instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers dont l'objet principal est de minorer la charge fiscale d'un contribuable, d'en reporter l'exigibilité ou le paiement ou d'obtenir le remboursement d'impôts, taxes ou contributions ; et qui remplit les critères prévus par décret en Conseil d'Etat". Et, le manquement à cette obligation de déclaration devait entraîner l'application d'une amende égale à 5 % du montant des revenus perçus au titre de la commercialisation dudit schéma. Mais, la liste des récriminations dictée par les avocats unanimes a été parfaitement entendue par les juges de la rue de Montpensier. Ainsi, eu égard aux restrictions apportées à la liberté d'entreprendre et, en particulier, aux conditions d'exercice de l'activité de conseil juridique et fiscal, et compte tenu de la gravité des sanctions encourues en cas de méconnaissance de ces dispositions, le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles afférentes à la compétence parlementaire comme à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, retenir une définition aussi générale et imprécise de la notion de "schéma d'optimisation fiscale". C'est pourquoi l'article 96 a été déclaré contraire à la Constitution.
Et, tel le double effet d'une célèbre pastille mentholée, la seconde escarmouche parlementaire n'aura pas connu meilleur sort. L'article 100 de la loi déférée souhaitait modifier la définition des actes constitutifs d'un abus de droit. Or, en définissant ces actes, non plus comme les actes qui "n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer" l'impôt que l'intéressé aurait dû supporter "si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés", mais comme les actes qui "ont pour motif principal" d'éluder ou d'atténuer l'impôt, la disposition censurée conférait une importante marge d'appréciation à l'administration fiscale. Et, ce faisant, le législateur omettait simplement d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; il contrevenait alors à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui lui impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.
Le lendemain, le Père Noël récidiva ! A quelques encablures de traîneau, au tribunal correctionnel de Paris, un juge (civiliste) annule, pour la première fois, une garde à vue au motif que l'avocat n'avait pas pu consulter le dossier du prévenu. Au-delà d'une consécration de la liberté de la défense, c'est sa réalité qui est imposée par la magie jurisprudentielle.
En 2011, la présence des avocats aux premiers temps de la garde à vue était une victoire nécessaire pour l'exercice des droits fondamentaux ; et belle pour la Démocratie en général. Mais, il faut reconnaître qu'elle flirtait quelque peu avec Pyrrhus... Sans possibilité de prendre connaissance du dossier du gardé à vue constitué à charge, il était difficile pour l'avocat d'élaborer une stratégie de défense. Et, si une bonne justice doit être aveugle, une bonne défense s'accommode assez mal de cette cécité.
C'est donc forts des dispositions de la Directive européenne du 22 mai 2012, qui doit être transposée avant le 2 juin 2014, que les avocats ont, depuis quelques mois, tenté de faire entendre raison aux magistrats pour que les procédures contrevenantes soient annulées. En effet, cette Directive dispose notamment que "lorsqu'une personne arrêtée et détenue à n'importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents [...] qui sont essentiels pour contester [...] la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat". Le texte, qui doit bientôt faire l'objet d'une transposition, sauf à mettre la France en infraction et, surtout, en indélicatesse d'un point de vue international lorsque l'on prône et tente d'exporter les droits de l'Homme, est parfaitement clair. Et, la prochaine mouture de cette transposition, élaborée par la Chancellerie, ne pourra pas faire l'économie de cette accessibilité du dossier du gardé à vue, pour respecter nos engagements européens et cette nouvelle jurisprudence qui devrait ainsi fleurir.
La liste des voeux régulièrement rédigée par la profession d'avocat est longue, tant les difficultés pour assurer la défense des justiciables est grande et tant les intérêts gouvernementaux apparaissent de plus en plus incompatibles avec l'idée même de liberté... Mais, il faut reconnaître que le Père Noël aura été particulièrement généreux cette année, en apportant ces deux présents de dernière minute et en augurant une nouvelle année tournée vers l'espoir d'une meilleure justice, sur la base d'une relation apaisée avec les avocats... Encore que les rois mages aient préféré jouer la discorde en remettant, sur le devant, le projet de déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel...
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Réf. : Cass. civ. 2, 19 décembre 2013, n° 12-19.995, FS-P+B (N° Lexbase : A7637KSN)
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N0192BUN
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Le 11 Janvier 2014
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N0041BU3
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par La rédaction
Le 09 Janvier 2014
Emmanuelle Perron, Présidente du Pôle "Droit de l'entreprise" du Medef, précise, d'abord, que sa présence atteste de l'importance du droit qu'accorde le Medef à l'entreprise puisque la nouvelle organisation du Medef s'articule autour de neuf pôles, dont l'un en relation directe avec le Président s'intitule Pôle "Droit de l'Entreprise". Elle rappelle, ensuite, que si elle n'est pas juriste, dirigeante d'un grand groupe, mais à la fois de PME et de TPE, elle comprend les difficultés afférentes, notamment, au droit que l'on peut trouver dans toutes ces tailles d'entreprises. Elle estime, enfin, que la complexité grandissante de l'environnement législatif et réglementaire d'aujourd'hui handicape totalement la compétitivité des entreprises françaises, d'où l'objectif du Medef de traduire dans les faits le fameux choc de simplification annoncé par le Président de la république. Et, c'est dans le cadre de cette mission que les entreprises vont requérir l'aide des avocats.
Emmanuelle Perron dresse alors le cahier des charges des entreprises françaises à destination des avocats qui souhaitent entrer sur le marché du droit des affaires. Il rappelle qu'il y a bien un marché du droit et une concurrence ; aujourd'hui les entreprises n'hésitent plus à faire jouer la concurrence et à négocier les honoraires. Parce que les entreprises négocient, désormais, les honoraires des avocats, il est important que ceux qui souhaitent devenir conseil d'entreprise intègrent cette nouvelle donne. Mais, cela ne signifie pas que cette concurrence se fasse au détriment de règles d'éthique et de déontologie qui sont la base du métier d'avocat et de la relation que ces derniers ont développée avec les entreprises. Les entreprises françaises attendent donc des conseils ; des conseils capables d'apporter des solutions à leurs problèmes, des réponses claires qui concluent... et, non pas des études désincarnées qui laissent les entreprises perplexes, le soir, à leur première lecture. Elles ont besoin d'avocats qui connaissent l'entreprise, son fonctionnement, ses contraintes qui évoluent chaque jour ; des avocats capables de négocier en anglais, si possible ! Ils doivent être capables de parler l'anglais, de lire l'anglais, capables d'écrire l'anglais, l'anglais juridique, l'anglais technique de l'entreprise qu'ils vont représenter. Les entreprises françaises ont besoin d'avocats français anglophones pour défendre leurs intérêts au sein de groupements multiculturels.
Pour Emmanuelle Perron, les avocats doivent investir le marché des entreprises par leurs compétences aujourd'hui, réellement par leurs connaissances de l'entreprise et non par des créations de monopoles, de textes ou de protection réglementaire. Prenant pour exemple la création du contreseings ou "acte d'avocats", la représentante du Medef précise d'emblée que l'instrument juridique ne répond à aucune demande de l'entreprise qu'elle soit petite, grande, PME ou grand groupe ! L'acte en question constituerait pour les entreprises non un instrument de sécurisation, mais plutôt une source de coûts imposés supplémentaires. L'idée également d'avancer un commissariat au droit à l'instar du commissariat aux comptes n'emporte pas non plus son adhésion. Pour Emmanuelle Perron, les entreprises veulent conserver leur liberté de choisir ! Elle évoque le rôle important des directions juridiques au sein des entreprises ; et rappelant que les entreprises où il y a une direction juridique font, plus que les autres, appel au service des avocats, elle préconise de jouer la coopération, la complémentarité, et surtout pas l'affrontement. Enfin, la dirigeante d'entreprise condamne l'importation de la class action au sein du droit français ; une importation qui ne simplifiera pas la vie des entreprises. Elle exhorte donc les avocats à faire en sorte que, dans l'évolution des textes, dans la manière dont la profession d'avocat va réagir aujourd'hui, ils ne créent pas de difficultés supplémentaires. Elle préconise enfin d'appliquer le système anglo-saxon : "why need to out".
Donnant la parole aux collectivités territoriales, Loraine Donnedieu de Vabres Tranié demande si, finalement, ces dernières ont les mêmes attentes. Pour répondre, Michel Destot, Maire de Grenoble, Député de l'Isère et Président de l'association des maires de grandes villes de France (AMGVF), commence par rappeler les grandes heures du barreau grenoblois et l'importance des avocats dans la gestion de la ville. Puis il estime que, dans son domaine, l'avocat agit non seulement pour la défense des collectivités, mais aussi pour celle des élus. Le maire de Grenoble condamne également la prolifération des textes normatifs et leur complexité, avant de rappeler que, la plupart du temps, les grandes collectivités sont dotées de services juridiques qui sont souvent beaucoup plus importants que ceux de l'Etat lui-même, notamment au niveau déconcentré. Il précise alors que, si ces collectivités doivent attendre un conseil a priori pour lancer des opérations un peu complexes, il est évident que c'est une perte de temps et souvent une perte d'argent pour elles. Elles ont donc, de toute évidence, partie commune avec les avocats, pour les aider à imaginer les voies de passages, pour mener des opérations souvent très complexes. Mais c'est aussi pour les élus eux-mêmes qu'elles ont besoin des avocats. Il évoque, alors, le drame médiatique des cinq enfants emportés dans les eaux du Drac, et notamment son interrogatoire en qualité de maire de Grenoble. Il lui semble être du même côté que les avocats pour faire prévaloir la démocratie, c'est-à-dire la primauté des pouvoirs bien entendu dans le respect intégral de la Constitution et de l'égalité ; faire prévaloir le collectif sur l'individuel, l'intérêt public, c'est-à-dire sans perte de temps, et finalement sans perte d'argent. Michel Destot donne deux illustrations de ce qui a été fait sur Grenoble. La première, c'est la mise en place de permanences juridiques gratuites pour améliorer l'accès aux droits des personnes démunies et prévenir les situations d'exclusion. La seconde, c'est la mise en place, entre la ville de Grenoble, l'Ordre des avocats de Grenoble et le tribunal administratif, d'une convention, avec une charte éthique, pour que des conciliateurs puissent intervenir pour éviter la multiplication des contentieux au sein du tribunal administratif concernant les agents publics, les débits de boissons, les droits à construire, les occupations sur le domaine public, les procédures engagées à la demande d'une des parties. Enfin, pour le député de l'Isère, la démocratie et l'efficacité peuvent aller de pair et pour cela il lui semble qu'avocats et collectivités territoriales peuvent jouer de pair ensemble pour être des acteurs afin de relever ces défis.
Pour Franz-Olivier Giesbert, Directeur de la rédaction du magazine Le Point, on a besoin d'avocats ! Il n'y a que 82 avocats pour 100 000 habitants en France ; par comparaison internationale, il en y a 585 en Israël, 280 en Italie, idem en Grande-Bretagne. Et, on sait qu'aux Etats-Unis, il y a un avocat pour 300 habitants ! Il ne croit pas à un choc de simplification pourtant souhaitable : pour lui cela vient sans doute des politiques, des députés qui éprouvent le besoin, pour se donner de l'importance, de faire des lois supplémentaires, de préférence d'ailleurs des lois qui portent leurs noms...
Le maire de Grenoble est du même avis et estime que la France légifère beaucoup trop, alors qu'un tiers des lois ne s'appliquent pas.
François Fondard, Président de l'Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) rappelle, d'abord, que l'UNAF regroupe 7 000 associations familiales françaises et 700 000 familles adhérentes environ, ayant pour mission de représenter l'ensemble des familles françaises et étrangères, de donner avis aux pouvoirs publics sur toutes les questions en matière de politique familiale et de tout ce qui concerne la famille. Son premier champ d'intervention concerne l'ensemble de toute la protection sociale et la politique familiale, et l'UNAF a, dans la société française, 18 000 représentants des familles à tous les niveaux, que ce soit dans la CAF, le Conseil économique et social. Elle gère des services, également, parce que les Gouvernements lui ont confié la gestion des services de 150 000 tutelles. Ensuite, le Président de l'UNAF rappelle qu'en France il y a 145 000 divorces par an dont 75 000 divorces avec enfant(s). Pour ces familles la question qui se pose c'est le rôle des juges aux affaires familiales et celui bien entendu de l'avocat dans le cadre de la rupture. Les avocats rencontrent ces familles en situation de rupture qui est toujours un moment de conflit très dur. Le rôle de l'avocat est important pour apaiser l'ensemble de ces tensions. Les familles ont donc, à l'adresse des avocats, des questions d'ordre pédagogique, de transparence, et de disponibilité. Pour les questions d'ordre pédagogique, il ne faut pas oublier que les parents, avant d'entamer une procédure devant le juge, ne connaissent pas l'institution judiciaire dans laquelle ils portent tous leurs espoirs. Un des besoins exprimés par les parents est l'attente d'une plus grande pédagogie et notamment dans le vocabulaire juridique employé par l'avocat, la complexité des procédures rendant difficile la compréhension pour les parents d'une procédure qu'ils ont engagée. La deuxième grande question, est celle de la transparence : les familles ne semblent pas avoir toujours bien été informées du coût de la prestation de l'avocat et cela peut nuire à la création d'un climat de confiance. Il paraît essentiel de mieux communiquer sur la manière dont sont déterminés les honoraires. L'UNAF se félicite des réformes en ce sens qui prévoient aujourd'hui pour l'ensemble des procédures de divorces la conclusion d'une convention d'honoraires. Sur la question de la disponibilité, l'avocat, pour les parents, a une place centrale, il est celui qui défend leurs intérêts mais surtout celui qui doit gagner le procès. Les attentes des parents, parce qu'elles sont empreintes d'affect, peuvent être parfois démesurées. Les contraintes de temps imposées à l'avocat, le besoin d'écoute des parents et celui de raconter leur vécu font naître le sentiment pour certains de ne pas avoir été écoutés ou entendus. L'attente, aussi, d'une plus grande disponibilité de l'avocat exprimée par les parents s'accentue par le système d'une justice dite, pour certains, expéditive, où les parents ne sont entendus qu'une dizaine de minutes par le juge avant que celui-ci ne se prononce sur leur situation. C'est le problème, là aussi selon François Fondard, du nombre des juges aux affaires familiales, des juges pour enfants, des juges pour tutelles. Sur la question de la pension alimentaire, qui est particulièrement importante pour l'ensemble de ces familles, l'UNAF revendique pour qu'il y ait aujourd'hui un barème qui soit un peu incitatif, à la discrétion du juge aux affaires familiales, et pour un barème impératif minimum. C'est un domaine dans lequel le rôle de l'avocat est particulièrement important. Enfin, sur la médiation familiale et la place de l'avocat au sein de cette médiation, l'intervenant estime qu'il y a une complémentarité au sein de cette médiation familiale entre les juges, les médiateurs et les avocats.
Alain Bazot, Président de l'UFC - QUE CHOISIR, commence lui par rappeler que le droit de la consommation n'est même pas une branche, mais une sous-branche, le parent pauvre du droit ; il n'est jamais qu'une exception à des grands principes du droit civil ou du droit commercial, dans un but de rééquilibrer des relations que l'on ne peut pas considérer comme étant théoriquement équilibrées. C'est donc un droit de rééquilibrage et un peu d'exception. Et, l'on ne peut pas dire qu'il ait la faveur des enseignements universitaires. Selon lui, peu d'avocats ont investi ce champ de la consommation aux enjeux financiers qui sont parfois très limités, parce que la majorité des litiges qui concernent la consommation ne porte que sur des enjeux pécuniaires assez faibles.
Pour autant, le droit de la consommation n'échappe pas à la complexité. Pour le Président de l'UFC - QUE CHOISIR, nous avons un droit de la consommation qui ne cesse de s'épaissir, un millefeuille, un droit du quotidien qui devrait être connu de tous comme le Code de la route. Mais, c'est un droit que finalement pas grand monde ne connaît, y compris les spécialistes du droit. Aussi, il est vrai qu'une organisation comme l'UFC - QUE CHOISIR, avec un réseau d'associations locales, 161, autant que les barreaux, implantées sur le territoire, le coeur de métier et d'activité, même si ce n'est pas le seul, a bel et bien pour mission d'aider le consommateur dans ses difficultés individuelles pour résoudre des litiges. L'association en règle 80 000 par an ; elle est un acteur de la pacification d'un certain nombre de relations, notamment de consommation.
La question posée par Alain Bazot est donc de savoir si une association comme l'UFC - QUE CHOISIR n'est pas concurrente de l'activité des avocats. Pour l'intervenant, sur le terrain des litiges individuels, il y a trois éléments : est-ce que l'avocat est incontournable ? Et si on peut le contourner, est-ce souhaitable ? S'il n'est pas souhaitable de le contourner, est-il toujours accessible ? Incontournables, les avocats savent qu'ils ne le sont pas. Pour bons nombres de litiges de la consommation, le juge est directement accessible sans avocat, sans représentation : les juges de proximité et les juges à l'instance, notamment. On n'est pas juridiquement obligé de passer par un avocat ! Ensuite, compte tenu de la complexité du droit de la consommation, ce contournement n'est sans doute pas souhaitable. Il y a aussi un enjeu d'égalité, de plus grande équité dans le procès, face à une entreprise représentée par un avocat. La loi est venue un peu corriger le problème avec la loi "Châtel" et le soulevé d'office par le juge. Il est toujours neutre mais il n'est pas inactif, d'ailleurs cela avait été soutenu par le Président de l'association des juges d'instance. Enfin sur l'accessibilité, se pose la question des honoraires, alors que bons nombres de litiges sont des petits litiges, aux petits montants et intérêts financiers, bien que cela ne veuille pas dire que l'affaire soit simple à gérer. Le Président de l'association de consommateurs avoue que ce sont des litiges qui peuvent être chronophages, pour faire des recherches tant la situation est complexe. Par exemple, on se heurte en ce moment à une prolifération de violations du droit avec des démarchages sur le photovoltaïque qui sont des situations extrêmement complexes ; il y a du démarchage, de la vente, de la location, du crédit qui n'est pas affecté mais qui sert à financer : il faut faire un travail de requalification qui est tout à fait redoutable. Pour Alain Bazot, son association peut ne peut pas apparaître comme concurrente des avocats parce que, sur un certain nombre de litiges de cette nature, si elle n'était pas là, en tout état de cause, les consommateurs ne viendraient pas voir les avocats. Ils ne pourraient pas payer ce qui est leur dû et légitimement dû, eu égard à l'enjeu qui est pour le consommateur de récupérer telle ou telle somme. En ce qui concerne les litiges collectifs, et notamment les suppressions de clauses abusives par exemple, la représentation par un avocat est obligatoire et l'association recourt aux compétences des avocats, dans un cadre qui est souvent contractualisé, ayant développé, sur le territoire, des conventions de partenariat entre les associations locales et un certain nombre d'avocats.. A ce moment-là, tout le travail fait en amont par l'association doit pouvoir soulager les investigations des avocats. Enfin, Alain Bazot rappelle qu'il est favorable à l'action de groupes, mais non à une importation du modèle américain.
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Réf. : Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, art. 128 (N° Lexbase : L7405IYW)
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N0022BUD
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Le 09 Janvier 2014
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Réf. : Décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013, relatif à la suppression de la contribution pour l'aide juridique et à diverses dispositions relatives à l'aide juridique (N° Lexbase : L7410IY4)
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N0023BUE
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Le 09 Janvier 2014
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Réf. : Cass. civ. 3, 17 décembre 2013, n° 12-26.780, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6120KR4)
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N0160BUH
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Le 09 Janvier 2014
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Réf. : CE, Contentieux, 23 décembre 2013, deux arrêts, n° 363702 (N° Lexbase : A7906KSM) et n° 363978 (N° Lexbase : A7907KSN)
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N0012BUY
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Le 09 Janvier 2014
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Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B (N° Lexbase : A7441KSE)
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N0070BU7
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
Le 09 Janvier 2014
Résumé
L'indemnité de fin de contrat prévue en application de l'article L. 1243-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1470H9C) est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé. L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité. Le manquement de l'employeur qui a fait travailler le salarié au-delà de la période d'essai, sans s'assurer de la réalisation, par le médecin du travail, d'une visite médicale d'embauche afin de vérifier l'aptitude de l'intéressé à occuper le poste, causait nécessairement à celui-ci un préjudice. |
I - L'affaire
Un salarié, engagé par plusieurs contrats de travail à durée déterminée en 2009, subit un accident du travail. Il est placé en arrêt de travail pendant plusieurs mois et, lorsque la suspension prend fin, l'employeur considère que le contrat est parvenu à échéance. Le salarié saisit le juge prud'homal de nombreuses demandes, notamment la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée et la qualification de la rupture de licenciement nul.
La cour d'appel de Versailles accepte de requalifier la relation en contrat de travail à durée indéterminée et prononce la nullité du licenciement.
Plusieurs griefs étaient formulés par les parties contre la décision d'appel. Par souci didactique, nous ne détaillerons que ceux qui feront l'objet de commentaires plus avancés.
Le salarié reprochait, d'abord, aux juges d'appel de ne pas avoir intégré le montant de l'indemnité de fin de contrat, perçue à l'issue du contrat de travail à durée déterminée, aux salaires perçus afin de calculer les sommes dues au titre des différentes indemnités de rupture du contrat de travail (indemnité de licenciement, indemnité de requalification, etc.). Sur ce point, la Chambre sociale rejette le pourvoi et juge que "l'indemnité de fin de contrat [...] est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé".
Le salarié contestait, ensuite, le débouté prononcé par la cour quant à sa demande de réparation du préjudice subi du fait de l'absence de visite médicale d'embauche. Les juges d'appel considéraient que la transmission à l'URSSAF de la déclaration unique d'embauche entraînait automatiquement transmission d'un avis à la médecine du travail si bien que les exigences légales en la matière avaient été respectées. La Chambre sociale casse la décision sur ce moyen au visa de l'article R. 4624-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1016ISG) : "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité", si bien que l'absence de visite médicale d'embauche du salarié "causait nécessairement à celui-ci un préjudice".
Le salarié faisait encore grief à la décision d'avoir refusé de le réintégrer malgré la nullité de son licenciement, argumentation logiquement cassée par la Chambre sociale. Enfin, un dernier moyen soulevé par une union syndicale locale et visant à permettre l'indemnisation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession est rejeté compte tenu du caractère individuel du litige en cause.
II - Indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée
L'article L. 1243-8 du Code du travail prévoit que, lorsque "les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation". Le montant de cette indemnité est fixé à 10 % des salaires bruts perçus par le salarié durant la relation contractuelle, quoique l'article L. 1243-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1471H9D) permette à un accord collectif d'abaisser ce taux à 6 %, à condition que des contreparties en matière de formation professionnelle soient accordées aux salariés concernés.
L'indemnité versée prend en compte la durée initialement prévue par le contrat de travail. Ainsi, la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle imposera à l'employeur de calculer le montant de l'indemnité à partir de la rémunération qu'aurait perçue le salarié s'il n'avait pas été arrêté (1).
L'indemnité de fin de contrat, comme son nom l'indique, est destinée à compenser un préjudice, celui que l'on présume que le salarié subit du fait de ne pas avoir bénéficié d'un emploi stable (2). Dans la pratique, elle est parfois appelée indemnité ou "prime" de précarité, ce qui illustre davantage son objectif (3).
Cette indemnité ne constitue donc pas, à proprement parler, la contrepartie de la prestation de travail ou, dans une acception plus moderne, la contrepartie de la tenue du salarié à la disposition de son employeur. Certainement, la nature indemnitaire pourrait être discutée : le préjudice causé est un préjudice légitime, autorisé par le Code du travail. D'aucuns n'hésiteraient pas, en allant plus loin, à soutenir que le fait d'être titulaire d'un emploi, fût-il en CDD, ne peut être envisagé comme causant un préjudice au salarié.
Comme cela est souvent le cas dans ce domaine, le droit de la Sécurité sociale pourrait faire douter de la qualification d'indemnité puisqu'il assimile, pour la détermination de l'assiette des cotisations, ces indemnités à des rémunérations (4). Le procédé d'assimilation exclut cependant l'identité de nature juridique entre rémunération et indemnité de fin de contrat.
Au vu de ce qui précède, c'est donc fort logiquement que la Chambre sociale refuse d'intégrer cette indemnité de fin de contrat aux rémunérations perçues par le salarié pour calculer les indemnités de rupture. L'argumentation employée n'est cependant pas aussi heureuse.
En effet, en jugeant que "l'indemnité de fin de contrat prévue en application de l'article L. 1243-8 du Code du travail est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé", la Chambre sociale donne le sentiment de distinguer entre l'indemnisation de la "précarité du salarié", d'une part, et la rémunération de "l'emploi", d'autre part.
Or, par application de l'article L. 1243-8 du Code du travail, ce n'est pas tant la précarité du salarié qui doit être indemnisée que la précarité de son emploi. En effet, certains emplois à durée déterminée peuvent être très bien rémunérés, faire bénéficier d'une expérience et d'avantages significatifs au point que le salarié ne connaît pas de précarité liée à sa situation mais, seulement, pour son avenir, une précarité liée à son emploi (5). Le raisonnement de la Chambre sociale remet donc en partie en cause le fondement même de la règle et permettrait de penser que le versement d'une telle indemnité à un salarié ne connaissant pas de situation personnelle de précarité serait injustifié. Au contraire, la référence à l'emploi comme contrepartie de la rémunération est ambiguë. L'utilisation du terme "emploi" aurait semblé plus appropriée pour qualifier l'indemnité versée en raison de la précarité de celui-ci.
Si, en définitive, la solution rendue par la Chambre sociale nous paraît devoir être approuvée, elle aurait pu être différemment argumentée, pour la cohérence des notions mais, aussi, pour ne pas jeter le trouble sur le fondement de la règle posée par l'article L. 1243-8 du Code du travail.
III - Manquement à l'obligation de faire subir au salarié une visite médicale d'embauche
Le Code du travail impose à l'employeur de soumettre le salarié à différents examens médicaux au cours de la relation de travail, à différentes occasions.
Le salarié doit d'abord subir une visite médicale périodique tous les vingt-quatre mois comme l'impose l'article R. 4624-16 du Code du travail (N° Lexbase : L1010IS9). Il doit, en outre, être soumis à une visite médicale de reprise après un arrêt de travail pour maladie, accident ou grossesse, l'exigence de l'examen variant selon la cause et la durée de l'arrêt de travail (6).
Enfin, et pour ce qui nous concerne, le salarié doit être présenté aux services de santé au travail pour visite médicale lors de son embauche. L'article R. 4624-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1016ISG) prévoit précisément que le salarié doit passer cette visite "avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail".
Le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de visites médicales a donné lieu à quelques décisions qui ont toutes pour point commun de l'assimiler au manquement à son obligation de sécurité de résultat.
Ainsi, par une formule générale, quoique résultant d'une décision demeurée inédite, la Chambre sociale jugeait, en 2011, que "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité" et "que les examens médicaux d'embauche, périodiques et de reprise du travail auxquels doivent être soumis les salariés concourent à la protection de leur santé et de leur sécurité" pour en conclure que le non-respect de ces diverses obligations de visites médicales constituait un manquement d'une suffisante gravité pour justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail du salarié (7).
Cette solution, déjà affirmée en 2009 à propos de la visite médicale de reprise (8), a plusieurs fois été confirmée pour cet examen qui met fin à la suspension du contrat de travail du salarié (9). Elle semble, en revanche, ne plus s'appliquer aussi automatiquement à la visite médicale d'embauche pour laquelle une décision récente considère que les juges du fond peuvent souverainement décider que le simple retard dans la réalisation de la visite médicale "ne constituait pas un manquement suffisamment grave de cet employeur à ses obligations" (10).
Le manquement de l'employeur à l'obligation de visite médicale d'embauche ou le retard dans la réalisation de cet examen reste, pour autant, lié à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur si bien que le retard, comme l'affirme régulièrement la Chambre sociale, cause nécessairement au salarié un préjudice que l'employeur doit réparer (11). C'est cette règle qui est réaffirmée dans la décision commentée.
Il est possible d'hésiter quant à l'appréciation qu'il convient de porter sur cette sanction consistant à réparer le préjudice nécessairement subi par le salarié.
D'un côté, en effet, on peut penser que cette sanction n'est pas tout à fait suffisante et qu'il conviendrait, comme pour l'absence de visite de reprise, de permettre au salarié d'obtenir que ce manquement soit qualifié de manquement d'une suffisante gravité pour justifier une prise d'acte ou une résiliation judiciaire du contrat de travail. Un argument de poids joue en faveur de cette solution, celui du rattachement à l'obligation de sécurité de l'employeur. En effet, le manquement à cette obligation permet presque toujours au salarié d'obtenir la prise d'acte ou la résiliation judiciaire du contrat de travail (12).
D'un autre côté, cependant, l'employeur n'avait pas totalement privé le salarié d'examen médical auprès du médecin du travail mais avait seulement fait subir ces visites avec retard. Le manquement à l'obligation, s'il est avéré, peut être jugé moins grave que si aucune visite n'avait effectivement eu lieu.
Surtout, on peut se demander si la prise d'acte de la rupture est bien une sanction réaliste. Soit le salarié n'a pas subi de visite médicale d'embauche et s'aperçoit rapidement de ce manquement. Il pourrait, après la période d'essai, prendre acte de la rupture mais quel en serait l'intérêt alors que, faute d'une ancienneté suffisante, l'indemnisation de la rupture resterait très faible. Soit le salarié qui n'a pas subi de visite médicale d'embauche prend, des années plus tard, acte de la rupture de son contrat de travail pour ce motif, mais on peut alors très sérieusement mettre en cause la gravité du manquement, sauf à ce que l'employeur ait omis entre temps de lui faire subir les visites périodiques.
(1) Cass. soc., 9 octobre 1990, n° 87-43.347, publié (N° Lexbase : A4299AC9).
(2) Ce qui explique que le salarié soit privé, par l'article L. 1243-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1470H9C), de cette indemnité lorsqu'il est immédiatement engagé en contrat à durée indéterminée.
(3) La règle connaît toutefois une exception prévue par l'article D. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2231IAU) lorsque le salarié trouve un contrat à durée indéterminée dans une autre entreprise.
(4) CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L0132IWS).
(5) On pensera, par exemple, aux contrats conclus pour la réalisation d'un objet défini qui, réservé aux cadres et ingénieurs, correspondent assez mal avec cette idée de "précarité du salarié".
(6) C. trav., art. R. 4624-22 (N° Lexbase : L1004ISY).
(7) Cass. soc., 22 septembre 2011, n° 10-13.568, F-D (N° Lexbase : A9785HXP).
(8) Cass. soc., 16 juin 2009, n° 08-41.519, F-P+B (N° Lexbase : A3130EIR) et les obs. de G. Auzero, Visite médicale de reprise et carence de l'employeur : les rigueurs de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 357 du 2 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9755BKI).
(9) Cass. soc., 1er février 2012, n° 10-26.385, F-D (N° Lexbase : A8802IBM) ; Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-12.152, FS-D (N° Lexbase : A8970INK).
(10) Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-19.344, F-D (N° Lexbase : A4985KL9).
(11) Cass. soc., 5 octobre 2010, n° 09-40.913, F-D (N° Lexbase : A3743GBA) ; Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-11.709, F-D (N° Lexbase : A8271IQE) ; Cass. soc., 20 novembre 2013, n° 12-21.999, F-D (N° Lexbase : A0489KQ8).
(12) V. les ex. cités dans l’Ouvrage "Droit du travail" .
Décision
Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B (N° Lexbase : A7441KSE).
Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 24 juin 2011 (N° Lexbase : A7105HUP).
Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 1243-8 (N° Lexbase : L1470H9C) et art. R. 4624-10 (N° Lexbase : L1016ISG).
Mots-clés : contrat à durée déterminée, requalification, rupture, nature de l'indemnité de fin de contrat, visite médicale d'embauche, obligation de sécurité de résultat, réparation du préjudice subi. Liens base : (N° Lexbase : E0730ET9) et . |
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Réf. : Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-29.127, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5320KRH)
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N0002BUM
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Le 09 Janvier 2014
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Réf. : CE, S., 30 décembre 2013, n° 367533, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9410KSC)
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N0078BUG
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Le 11 Janvier 2014
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Réf. : Décret n° 2013-1306 du 30 décembre 2013 portant inscription temporaire des établissements de commerce de détail du bricolage sur la liste des établissements pouvant déroger à la règle du repos dominical (N° Lexbase : L7442IYB)
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N0183BUC
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Le 10 Janvier 2014
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Réf. : Loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (N° Lexbase : L7681IY7)
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N0053BUI
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Réf. : Décret n° 2013-1259 du 27 décembre 2013, modifiant les seuils applicables aux marchés publics et autres contrats de la commande publique (N° Lexbase : L6871IY7)
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N0060BUR
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine
Le 23 Octobre 2014
Les règles concernant les mentions obligatoires des requêtes ont été interprétées avec un tel libéralisme par la jurisprudence que, si on ne peut parler de caducité à leur propos, il faut remonter très loin dans le passé pour trouver des exemples d'arrêts sanctionnant leur méconnaissance. Qu'il s'agisse de l'objet de la demande ou des conclusions de la requête, la jurisprudence a toujours adopté la même attitude, ferme sur les principes, libérales dans leur application. Il en est ainsi, par exemple, à propos de la règle de la décision préalable.
La règle selon laquelle toute juridiction administrative "ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision" (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L8421GQX) est liée à la nécessité, en contentieux indemnitaire tout du moins, de déterminer un litige, de le faire naître par une réclamation ayant prioritairement pour objet et pour effet de délimiter précisément le cadre de la requête et, corollairement, de tenter une conciliation. Destinée à lier le contentieux, la décision préalable est aussi incontournable en pratique du contentieux administratif qu'accessoire ou secondaire dans sa justification conceptuelle. A cet égard, le défaut de décision préalable doit pouvoir être régularisé. C'est ainsi que la jurisprudence a toujours fait preuve d'un subtil mélange de libéralisme et de rigueur, admettant la possibilité de requêtes prématurées tout en accueillant les éventuelles fins de non recevoir du défendeur.
L'arrêt d'espèce en est une parfaite illustration. Un maître de conférences avait saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait des agissements du directeur de son département à son encontre, et ce sans avoir présenté de demande préalable. Il avait informé, par la suite, le tribunal de ce qu'il avait adressé postérieurement à l'introduction de sa requête une telle demande au président de l'Université tendant au versement d'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi. Mais aucune décision de l'administration n'était intervenue à la date à laquelle le tribunal avait statué. Ce dernier avait alors rejeté la demande comme irrecevable en l'absence de liaison du contentieux.
Saisi en cassation, le Conseil d'Etat a d'abord rappelé "qu'aucune fin de non recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration". La Haute juridiction a ensuite précisé "qu'en revanche, une telle fin de non recevoir peut-être opposée lorsque, à la date à laquelle le juge statue, le requérant s'est bornée à informer qu'il avait saisi l'administration d'une demande mais qu'aucune décision de l'administration, ni explicite ni implicite, n'est encore née". Après une période plus libérale dans sa jurisprudence, le Conseil d'Etat vient quelque peu limiter ainsi les possibilités de régularisation du défaut de décision préalable.
Tout d'abord, la jurisprudence administrative a eu une attitude assez libérale et elle faisait intervenir la régularisation de trois manières différentes. En premier lieu, le requérant pouvait saisir le juge administratif alors même que l'administration n'avait pas encore répondu à sa demande préalable. Il suffisait, pour qu'une fin de non recevoir ne lui soit pas opposée par l'administration, que la décision administrative naisse avant que le juge ne statue (1). En second lieu, il a été admis que le juge administratif pouvait être saisi alors que le requérant n'avait pas encore adressé de demande indemnitaire préalable à l'administration, à condition que la décision de rejet de cette demande soit née au jour où le juge administratif serait appelé à statuer sur ladite demande (2). Enfin, en dernier lieu, le Conseil d'Etat a pu juger que le contentieux pouvait être lié alors même que l'administration avait soulevé, en défense, une fin de non recevoir tirée du défaut de décision préalable (3).
Puis, dans une seconde approche, la jurisprudence administrative a quitté son attitude libérale pour s'incliner devant la fin de non recevoir expressément opposée, à titre principal, par l'administration défenderesse. Le seul obstacle posé à la liaison du contentieux tenait dans la faculté laissée aux administrations de conclure à titre principal à l'irrecevabilité de la requête. Dans cette hypothèse, la requête devait nécessairement être déclarée irrecevable quel que soit le type d'irrecevabilité invoqué par le demandeur (4).
Aujourd'hui, les juges, et plus particulièrement la Haute juridiction, sont de nouveau revenus à une attitude plus favorable au requérant en opérant un premier revirement dans sa décision "Pfirmann" (5). Le juge considérant que, si un recours indemnitaire est irrecevable en raison d'un défaut de décision préalable opposé par l'administration, il reste possible pour le requérant, tant que le juge n'a pas statué, de former tout de même une demande d'indemnisation faisant naître une décision implicite de rejet, puis d'introduire un nouveau mémoire contenant des conclusions additionnelles expressément dirigées contre cette décision. Dans ce cas, alors même que l'administration a pu opposer le défaut de décision préalable à la demande initiale, aucune fin de non recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à ces conclusions additionnelles.
Dans sa dernière décision "Etablissement français du Sang" (6), le Conseil d'Etat a prolongé, dans un second temps, sa jurisprudence "Pfirmann" en jugeant que, tout recours indemnitaire prématuré, en raison de l'absence de décision liant le contentieux, est régularisable tout au long de l'instance, quand bien même l'administration défenderesse aurait soulevé, à titre principal, l'irrecevabilité de la demande juridictionnelle. Pour que le contentieux soit valablement lié, malgré une irrecevabilité opposée, il suffit au requérant de faire naître une décision implicite avant que le juge ne statue et de communiquer l'existence de cette décision au juge. Nul besoin, ainsi, de produire des conclusions additionnelles dirigées spécifiquement sur cette décision née en cours d'instance.
On a pu parler à propos de cette décision "Etablissement français du sang" de solution salutairement simplificatrice ou de décision s'inscrivant dans la tendance actuelle jurisprudentielle visant à faire preuve d'une plus grande attention à l'égard des requérants. Mais il va de soi que le Conseil d'Etat fait néanmoins preuve de pragmatisme en appliquant, comme mentionné précédemment, un subtil mélange de libéralisme et de rigueur, admettant la possibilité de requêtes prématurées tout en accueillant les éventuelles fins de non recevoir du défendeur dans les cas où le principe perd concrètement toute sa valeur. C'est le cas de la décision d'espèce. Le requérant a bien saisi le tribunal administratif de Lyon de "conclusions indemnitaires sans avoir au préalable présenté de demande" en ce sens devant l'Université l'employant. L'enseignant chercheur a bien fait valoir qu'il "avait informé la juridiction de ce qu'il avait adressé [...] une demande préalable au président de l'Université [...]" mais, souligne le Conseil d'Etat, "cette circonstance n'était pas de nature à faire obstacle à ce que ses conclusions soient rejetées comme irrecevables dès lors qu'aucune décision de l'administration n'était intervenue [à la date] à laquelle le tribunal a statué sur sa requête".
Une attitude classique ici adoptée par la juge : ferme sur les principes, libérale dans leur application. La règle de la décision préalable reste incontournable en contentieux administratif malgré les multiples possibilités de régularisation. Elle protège l'administration qui ne peut être traduite en justice avant d'avoir pris elle-même position sur la question litigieuse. Elle protège les justiciables en les empêchant de former des pourvois superflus. Enfin, elle facilite le travail du juge puisque, en raison de l'obligation où se trouve le requérant d'attaquer une décision, le débat contentieux est limité au contenu de cette décision qui précise le litige à trancher et en détermine l'étendue. Il est utile que le juge rappelle, en certaines circonstances, la rigueur pouvant être attachée au respect de certaines règles incontournables même si la tendance jurisprudentielle fait de cette règle un principe contingent et accessoire dans sa justification conceptuelle.
Le juge administratif des référés est présent dans l'univers carcéral à travers une large gamme de procédures. Le recours à ce juge a permis de remédier à l'inertie administrative et a permis de mettre en place un changement réel et immédiat que les alertes lancées depuis des années par le personnel pénitentiaire et les autorités de contrôle n'avaient pu provoquer. Il peut ainsi, par le "référé-mesures utiles" (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU), désigner un huissier de justice aux fins de décrire l'état d'une cellule notamment en ce qui concerne la présence ou non d'équipements de chauffage et les conditions d'étanchéité à l'air de la fenêtre (7). Il peut, par le "référé-constat" (CJA, art. R. 531-1 N° Lexbase : L0871IYW), envoyer un expert dans un établissement pénitentiaire aux fins de constater les conditions dans lesquelles le requérant y est détenu (8).
Le juge du référé-liberté (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT) a également été saisi de demandes formées par des détenus. Il leur a ouvert son prétoire en affirmant que "les personnes détenues dans des établissements pénitentiaires ne sont pas de ce seul fait privées du droit d'exercer des libertés fondamentales susceptibles de bénéficier de la procédure particulière instituée par l'article L. 521-2 du Code de justice administrative" (9). Puis, saisi aux fins de remédier à l'insalubrité prévalant dans le centre pénitentiaire des Baumettes, le juge des référés du Conseil d'Etat a reconnu le droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant comme une liberté fondamentale. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des articles 2 (N° Lexbase : L4753AQ4) et 3 (N° Lexbase : L4764AQI) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme .
Enfin, le juge administratif des référés peut, aussi et encore, par le référé-provision (CJA, art. R. 541-1 N° Lexbase : L2548AQG), ordonner à l'administration de verser à un détenu une somme d'argent à titre de réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention n'assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (11). Tel est précisément l'objet de l'arrêt d'espèce. Il ressort des pièces du dossier que le Conseil d'Etat a été saisi par un détenu handicapé de la maison d'arrêt de Fresnes. Ne pouvant se déplacer qu'en fauteuil roulant, il a d'abord occupé une cellule ordinaire avant d'être affecté pour une période de quatre mois dans une cellule médicalisée située dans un quartier spécialement aménagé pour les détenus handicapés. Estimant ses conditions de détention contraires au respect de la dignité de la personne humaine, il a, sur la base des constats préalablement établis dans un rapport d'expertise, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun d'une demande tendant au versement d'une provision de 9 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention. Le premier juge a condamné l'Etat à lui verser une provision de 2 000 euros que la cour administrative d'appel de Douai a ramené à 300 euros en limitant son bénéfice au préjudice subi du fait de sa détention en cellule ordinaire.
Saisi d'un pourvoi en cassation tendant à l'annulation de la décision de la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat rejette le pourvoi. D'une part, le juge considère, concernant la sous-évaluation du montant de la provision qui a été allouée au requérant, que ce dernier n'apporte pas, au soutien de ses conclusions, un élément qui permettrait de regarder comme entachée de dénaturation l'appréciation souveraine à laquelle s'est livrée la cour. En effet, si la qualification juridique opérée par le juge des référés lorsqu'il se prononce sur le caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée peut être contestée devant le juge de cassation, ce n'est pas le cas de l'évaluation du montant de la provision correspondant à cette obligation qui relève, en l'absence de dénaturation des faits, de l'appréciation souveraine des juges du fond. D'autre part, le juge considère aussi que la cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits soumis à son examen en jugeant que, dans les circonstances de l'espèce (12), les conditions de détention n'atteignaient pas un degré de gravité tel que l'obligation invoquée puisse être regardée comme non sérieusement contestable.
Pierre après pierre, la juridiction administrative affirme ainsi le régime juridique permettant aux détenus d'agir contre l'Etat lorsque les conditions de détention atteignent le seuil du traitement inhumain et dégradant. C'est dans les années 2000 que les premières actions ont été mises en place contre les mauvaises conditions de détention. L'une d'entre elle consistait à viser le délit "d'hébergement incompatible avec la dignité humaine" prévu à l'article 225-14 du Code pénal (N° Lexbase : L2183AMS). Les résultats furent contrastés devant les juges du fond, certaines cours d'appel acceptèrent cette éventualité, d'autres la refusèrent jusqu'à ce que la Cour de cassation prenne fait et cause pour les cours partisanes du refus (13). Toujours dans une logique compensatoire et en lien avec l'article D. 189 du Code de procédure pénale aujourd'hui abrogé (14), les juridictions administratives du fond ont, en effet, accepté que la responsabilité de l'Etat soit engagée par des détenus ayant subi de mauvaises conditions de détention. Ce recours indemnitaire n'a pas été consacré par le Conseil d'Etat mais la CEDH a admis son effectivité. A tel point qu'il est regardé comme une voie de recours interne à épuiser avant de saisir la Cour (15). Dans un arrêt du 25 avril 2013 (16), la cinquième section conforte cette position. La fermeture de la voie pénale, un temps envisagée pour faire sanctionner les mauvaises conditions de détention, est donc compensée par l'ouverture d'un recours indemnitaire devant le juge administratif.
Pour les autorités françaises, essuyer un nouveau blâme à Strasbourg n'est en soi pas très glorieux, mais ignorer la sanction strasbourgeoise pourrait les conduire à une situation plus infâmante : que la politique pénitentiaire française soit placée sous la tutelle européenne par l'intermédiaire d'un "arrêt pilote" (17). Dans ce contexte, tous les regards se tournent vers les juridictions françaises, constamment placées en première ligne de l'exécution des arrêts européens. Puisque le juge pénal s'est quelque peu placé en retrait de ce contentieux carcéral, c'est donc à la juridiction administrative qu'il appartient de relever le défi conventionnel et le premier terrain contentieux est celui des recours préventifs. Ces derniers ont pour objet d'empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d'obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention. Comme on a pu le voir précédemment en introduction, plusieurs procédures de référé, sous l'impulsion notamment de l'Observatoire international des prisons, ont débouché sur l'adoption de mesures aux fins d'améliorer les conditions de détention.
Second terrain contentieux : celui des recours indemnitaires ou compensatoires. Si le Conseil d'Etat n'avait pas encore validé les différents principes dégagés par les cours administratives d'appel, il vient, dans l'arrêt d'espèce, de consacrer quelque peu cette voie de recours. En son sein, la juridiction strasbourgeoise confirme la reconnaissance du recours indemnitaire. "Par principe et dans un souci d'efficacité", la Cour confie prioritairement au juge administratif français le soin "d'établir les faits de base ou de calculer une compensation financière" des mauvaises conditions de détention (18).
Dans l'arrêt d'espèce, le Conseil d'Etat pose, en principe et en combinant subtilement principes européens et principes internes, qu'il résulte dorénavant de l'article 3 de la Convention (19) et de l'article 22 (20) de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (21), que "tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention". Le juge définissant, au surplus et inspiré par la jurisprudence de la CEDH, des critères d'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention, celle-ci dépendant, notamment, de trois critères : la vulnérabilité, la nature et la durée des manquements (22).
Afin de faire respecter la dignité de la personne humaine au cours de la détention, la Cour européenne des droits de l'Homme fait peser sur les autorités pénitentiaires une obligation positive de nature substantielle. C'est cette obligation à laquelle fait référence le Conseil d'Etat. Elle réside dans le fait d'assurer la protection de l'intégrité physique et morale de la personne détenue, sa santé et son bien-être de manière adéquate eu égard aux conditions de détention. Il s'agit d'une obligation relative qui doit prendre en compte les contingences ordinaires de l'emprisonnement. Ainsi selon le juge européen, l'article 3 oblige les "autorités des Etats contractants non seulement à s'abstenir de provoquer de tels traitements, mais aussi à prendre préventivement les mesures d'ordre pratique nécessaires à la protection de l'intégrité physique et de la santé des personnes privées de liberté" (23). De ce fait, les autorités pénitentiaires ont pour impératif de veiller à ce que les conditions matérielles de détention ne constituent pas un traitement dégradant ou inhumain, mais il leur appartient également de protéger la santé physique et mentale du détenu et son bien-être.
Par une telle interprétation, la Cour ouvre largement le champ d'application de l'article 3. En effet, la protection découlant de cet article est mise en oeuvre pour des détenus dont les conditions matérielles de détention sont objectivement inacceptables ; ainsi en va-t-il de l'insalubrité ou de la surpopulation, qui ont des incidences sur la vie quotidienne et, de ce fait, sur le bien-être. Il a ainsi pu être jugé que "l'effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d'hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d'infériorité propres à l'humilier et à le rabaisser", situation qui s'analyse en "un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention" (24).
Conclusion en terme de responsabilité dans l'arrêt d'espèce et selon le Conseil d'Etat : "Des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du Code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 (N° Lexbase : L0996ACU) à D. 351, révèleraient l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique". A noter la référence toujours cumulée aux dispositions internes du Code de procédure pénale (25) et aux critères de la jurisprudence européenne pour justifier la prise de position du juge suprême. En conséquence, un détenu peut obtenir une provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du Code de justice administrative du fait de ses conditions de détention lorsque l'obligation de l'administration n'est pas sérieusement contestable. Et ce que dit le Conseil d'Etat n'est pas limité au cas de la détention. C'est un vrai vade-mecum du référé-provision. Pour regarder une obligation comme "non sérieusement contestable", il appartient au juge des référés, précise le Conseil d'Etat, de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence "avec un degré suffisant de certitude". Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant. Le Conseil d'Etat admet que la qualification juridique opérée sur le caractère non sérieusement contestable de l'obligation puisse être contestée devant le juge de cassation. En revanche, "l'évaluation du montant de la provision correspondant à cette obligation relève, en l'absence de dénaturation, de son appréciation souveraine".
On peut dire en conclusion, et pour terminer, que le service public pénitentiaire appartient à cette catégorie de services publics, longtemps restés à l'écart de l'évolution du droit de la responsabilité administrative, en raison des difficultés relatives à la mise en oeuvre du service. L'évolution qui affecte depuis plus d'une décennie le droit pénitentiaire a amené le juge administratif à faire prévaloir, de manière large, le principe de responsabilité, même pour une activité aussi particulière. La personne placée en détention se trouve, dans les faits, privée de nombreux droits auxquels on peut reconnaître un caractère fondamental. Notion juridique récente, la dignité constitue un vecteur essentiel de l'évolution de la protection des droits fondamentaux. La dignité qui est, tout à la fois, un principe fondateur et matriciel, est le moteur de l'amélioration de la condition pénitentiaire, car le respect de la dignité demeure un principe absolu, intangible et auquel il est impossible de déroger. La dignité bénéficie d'une forme de suprématie qui lui conférerait une priorité d'application sans compromis et le juge administratif s'érige progressivement en garant de ce principe. En ce sens, le Conseil d'Etat est bien inspiré de marcher dans les pas du juge européen. Mais l'habilitation européenne n'est pas synonyme de blanc-seing au profit des juges nationaux en général et du Conseil d'Etat en particulier. Une insuffisante indemnisation ou appréciation d'un traitement dégradant, tel que celui identifié en l'espèce, pourrait valoir à la France une nouvelle condamnation à Strasbourg.
Il est bien rare qu'après une expertise, l'une au moins des parties ne soit pas à l'affût d'une irrégularité qui pourrait anéantir le rapport qui lui est défavorable. Et, à cet égard, la manière dont les opérations ont été conduites devient souvent le champ clos d'une bataille procédurale, avec, pour centre de gravité, le respect des droits de la défense. Cette bataille peut-être d'autant plus particulière qu'elle peut concerner les demandes propres de l'expert auprès du juge. C'est le cas de la décision d'espèce.
Il ressort des pièces du dossier que le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a ordonné la réalisation d'une expertise relative à la construction d'une nouvelle cité hospitalière. L'étendue de cette expertise a été modifiée à de nombreuses reprises et l'expert mentionné par le juge a demandé au tribunal administratif que soit précisée la portée de cette expertise comme il en a le droit eu égard aux termes de l'article R. 532-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5926IGL). Le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a fait droit à la demande, puis le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du premier juge. C'est cette ordonnance qui est mise en cause à l'occasion du pourvoi. Les sociétés requérantes font valoir les erreurs de droit commises par le juge des référés en appel : l'expert ne pouvant saisir le juge d'une demande de précisions sur l'expertise, la demande devait être présentée par le ministère d'un avocat et, enfin, le juge ne devait être en mesure de connaître les causes du protocole d'accord et de son avenant. Le pourvoi est rejeté par le Conseil d'Etat dans la mesure où l'article R. 532-3, s'il permet à l'expert de demander au juge des référés, la modification du périmètre de l'expertise, lui permet aussi de demander des précisions sur le contenu de sa mission. De même, la demande présentée par l'expert est dispensée de ministère d'avocat dans la mesure où l'expert n'est pas partie à l'instance qui a conduit à ce que soit ordonnée l'expertise. Aucune précision ne permet, enfin, selon le Conseil d'Etat, d'apprécier le bien fondé de la dernière argumentation des sociétés requérantes concernant la connaissance par le juge des causes du protocole d'accord et de son avenant. L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel étant suffisamment motivée dans la confirmation des précisions apportées par le premier juge des référés.
Cette décision d'espèce est une excellente illustration des questions qui peuvent se poser aujourd'hui dans le nouveau droit de l'expertise judiciaire devant le juge administratif. C'est le décret n° 2010-164 du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives (N° Lexbase : L5845IGL) (26), qui comporte un volet relatif à l'expertise administrative et aux mesures d'instruction connexes, qui fixe le droit de l'expertise devant le juge administratif. Les modifications apportées sont notamment et principalement marquées par le souci de s'inscrire dans le cadre de "l'expertise équitable" au sens de la CESDH. Pour un procès équitable, la vérité ne sera établie de façon équitable que sous condition d'une expertise équitable. "Voir sa cause entendue" ou encore "être appelé et pouvoir répondre" correspond aussi à ce qu'une longue tradition juridique et judiciaire a instauré comme un principe intangible, celui de la contradiction. Le débat devant le juge doit avoir lieu aussi devant l'expert : il s'agit là pour l'expert d'organiser un débat contradictoire pour soumettre les faits, les mesures, les analyses... à l'épreuve de la discussion, et s'il doit organiser ce débat en donnant les impulsions nécessaires, il lui revient aussi de donner son avis. L'expert aura une posture de rigueur scientifique et technique, et aussi morale : loyauté, transparence et souci de veiller à une correcte égalité des "armes".
La Cour européenne des droits de l'Homme a eu l'occasion d'énoncer que l'exigence du respect du principe de la contradiction, posée par l'article 6 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), s'étend aux expertises accompagnant la procédure juridictionnelle en condamnant la France pour le non respect de ce principe dans un arrêt "Montovanelli" rendu le 18 mars 1997 (27). La Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l'admissibilité d'une preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national. Il revient aux juridictions internes d'apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production. La Cour a, néanmoins, pour tâche de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable voulu par l'article 6 § 1. Dans l'arrêt "Montavelli", elle a ainsi décidé que la procédure d'expertise ne revêtait pas le caractère équitable exigé par l'article 6 § 1. Elle estime que les parties doivent pouvoir faire entendre leur voix avant le dépôt du rapport lorsque la question posée à l'expert ressort d'un domaine technique échappant à la connaissance des juges : alors les conclusions de l'expert peuvent influencer de manière si prépondérante l'appréciation des faits par le tribunal que la seule possibilité de les contester devant la juridiction n'est plus suffisante.
L'expertise est une mesure d'instruction ordonnée par un juge, et parce qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un procès équitable, une telle décision connaît des recours par les parties même si c'est l'expert lui-même qui est à l'origine de la requête. Le décret de 2010, en laissant la possibilité au juge des référés, à la demande d'une des parties formée dans les deux mois qui suivent la première réunion d'expertise ou à la demande de l'expert à tout moment, d'étendre la mission de l'expertise à des questions techniques indispensables ou de réduire cette mission pour les recherches qui se révéleraient inutiles (CJA, art. R. 532-3, alinéa 2), a voulu, par ces ajustements, "coller" au mieux à la réalité et ainsi accroître l'efficacité de cette mesure d'instruction (28). L'expertise a désormais pour fonction de permettre au juge de prendre appui sur des faits le plus vraisemblablement reconstitués pour appliquer la règle de droit de la façon la plus adéquate afin qu'en résulte la décision la plus juste possible.
La volonté première du pouvoir réglementaire est d'assouplir la procédure d'expertise pour coller au mieux à la réalité. Le contenu de la mission de l'expert peut évoluer, en plus ou en moins et, il peut encore ressortir des premiers travaux de l'expert qu'il serait opportun d'étendre l'expertise à une personne à laquelle on n'avait pas songé initialement. Dans cette hypothèse, le juge des référés n'a pas à mettre les parties à même de faire des observations (29). Pour autant, il y a là une avancée majeure qui met de côté des considérations théoriques plus classiques selon lesquelles l'expert doit répondre aux questions du juge et seulement cela. Le juge n'est plus ici celui qui a l'exclusivité du procès, il n'est plus celui, seul, qui tranche le litige. L'expert peut aussi grandement y contribuer. De même, il faut mettre cette vision des choses en parallèle avec le fait que le mode juridictionnel de règlement des conflits n'est plus seul eu égard à l'intérêt grandissant des modes alternatifs de règlement des litiges, qu'il s'agisse de l'arbitrage ou de la conciliation. L'arrêt d'espèce témoigne, à propos de ce pouvoir nouveau de l'expert, de ce nouveau mélange des genres. Cette possibilité de demande, par l'expert, d'extension de sa mission est ainsi à mettre en parallèle avec d'autres possibilités nouvelles issues du décret comme celle visant à concilier les parties. L'article R. 621-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5937IGY) est ainsi complétée par une seconde phrase, ainsi libellée : "la mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties".
Cet élargissement de la mission de l'expert n'a rien de fortuit. Ce faisant, les pouvoirs publics prennent acte de la décision du Conseil d'État du 11 février 2005 qui a jugé que l'expert pouvait recevoir pour mission de "concilier les parties" (30). En réalité, cette jurisprudence revient sur une décision de sens contraire, d'annulation d'une ordonnance de référé du président du tribunal administratif de Marseille ayant donné pour mission à l'expert de "concilier les parties si faire se peut" (31). C'est une possibilité, il faut le rappeler, qui est reconnu, aussi, aujourd'hui, au juge administratif à travers l'article L. 211-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3888IRG) qui prévoit que "les tribunaux administratifs peuvent exercer une mission de conciliation".
Les réformes nouvelles concernant la procédure d'expertise ont été mises en place en vue de respecter les prescriptions du procès équitable au titre de l'"expertise équitable". A cet égard, tant les expertises administratives que judiciaires, au regard de la globalité des procédures du litige, sont tenues de se conformer à cette Convention, telle qu'interprétée par la jurisprudence de la CEDH, ce qui est un facteur puissant de rapprochement des mesures d'instruction analysées, bien que relevant des deux ordres de juridiction. Pour autant il ne s'agit, en aucun cas, d'une duplication pure et simple de dispositifs existants, mais d'une transposition adaptée aux particularités des juridictions administratives. Concernant l'expert devant les juridictions administratives, il suffit de souligner qu'il est tenu de consigner les observations faites par les parties (CJA, art. R. 621-7 N° Lexbase : L2449ICP), y compris les observations orales, non de se prononcer sur leurs contenus, alors que l'expert judiciaire, en application de l'article 276 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1848H49), "doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées". L'on voit que la position de l'expert administratif n'est donc pas la même que celle de l'expert judiciaire. Bref, le respect des procédures est fonction des missions de chaque ordre de juridiction malgré la volonté de se conformer à la Convention. Il est bien, à cet égard, que le Conseil d'Etat, comme dans l'arrêt d'espèce, rappelle ces particularités. La transposition à l'expertise des règles du procès équitable promet des changements, mais certains ne sont pas toujours souhaitables : le risque de l'allongement du délai raisonnable, la prééminence de l'idéologie technicienne qu'il est nécessaire de tempérer par un peu d'humanisme incarné par le juge afin de laisser l'expertise à sa juste place entre science et droit.
(1) Par ex., CE 3° et 6° s-s-r., 2 avril 1971, n° 77859, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1632B7L), Rec. CE, p. 275.
(2) Par ex., CE, 8 juillet 1970, n° 72891, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5701B7B), Rec. CE, p. 470.
(3) Par ex., cas des observations en défense tendant à contester le bien fondé des prétentions du requérant, CE, 22 juillet 1938, Sieur Lambert, Rec. CE, p. 738.
(4) CE, S., 13 juin 1984, n° 44648, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7061AL4), Rec. CE, p. 218.
(5) CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 217057, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1692AYC), Rec. CE, Tables, p. 841.
(6) CE 4° et 5° s-s-r., 11 avril 2008, n° 281374, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8669D79), DA, 2009, comm. n° 44, M. Janicot, AJDA, 2008, p. 1696, note X. Pottier et p. 1215, note G. Clamour.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 15 juillet 2004, n° 265594, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9449KSR), RSC, 2006, p. 423, obs. P. Poncela.
(8) CE 1° et 6° s-s-r., 28 septembre 2011, n° 345309, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1545HYU), GP, 2011, 14-15 décembre, p. 15, concl. M. Guyomar.
(9) CE référé, 27 mai 2005, n° 280866, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1545HYU), Rec. CE, p. 232, AJDA, 2005, p. 1579, note A. Rainaud.
(10) CE référé, 22 décembre 2012, n° 364584, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6320IZ4), JCP éd. A, 2013, n° 87, note O. Le Bot, AJ pénal, 2013, p. 232.
(11) CAA Douai, 12 novembre 2009, n° 09DA00782 (N° Lexbase : A2937EPH), JCP éd. A, 2010, n° 2112, note M.-E. Baudoin et Ch.-A. Dubreuil, AJDA, 2010, p. 42, chron. J. Lepers.
(12) Cellules médicalisées spécialement aménagées pour accueillir des personnes handicapées, prise en considération des conditions défectueuses de fonctionnement des équipements, des difficultés de circulation et de l'humidité régnant dans ces cellules.
(13) Cass., crim., 20 janvier 2009, req. n° 08-82.807, F-P+F (N° Lexbase : A6537EC4).
(14) Qui dispose que "l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale".
(15) Cf. CEDH, 13 septembre 2011, Req. 12139/10 (N° Lexbase : A9450KSS) "pour les requérants qui ne sont plus placés dans une situation de violation continue, c'es-à-dire qui ont été mais qui ne sont plus détenus dans des conditions susceptibles de porter atteinte à leur dignité".
(16) CEDH, 25 avril 2013, Req. 40119/09 (N° Lexbase : A5593KC7).
(17) Lorsque la Cour est saisie d'un nombre important de requêtes découlant de la même cause, elle peut décider d'en choisir une ou plusieurs afin de les traiter par priorité. Lorsqu'elle traite l'affaire ou les affaires sélectionnées, la Cour s'efforce de parvenir à une solution qui aille au-delà de ce ou ces cas particuliers et qui s'applique à toutes les affaires similaires soulevant la même question. Avec l'arrêt pilote, la Cour vise, notamment, à identifier le dysfonctionnement de la législation interne qui est à l'origine de la violation, à donner des indications claires au Gouvernement quant à la manière d'éliminer ce dysfonctionnement et, enfin, à susciter la création d'un recours interne apte à s'appliquer aux affaires similaires (y compris celles qui sont déjà pendantes devant la Cour dans l'attente du prononcé de l'arrêt pilote), ou, au moins, à conduire au règlement de toutes les affaires de ce type pendantes devant la Cour.
(18) CEDH, 25 avril 2013, Req. 40119/09, précité, § 37.
(19) Selon lequel : "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
(20) Selon lequel : "l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue".
(21) Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, pénitentiaire (N° Lexbase : L9344IES), JO, 25 novembre 2009, p. 20192.
(22) Ainsi, dans l'arrêt d'espèce, "en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes".
(23) CEDH, 3 juin 2003, Req. 33343/96 (N° Lexbase : A6967CKA), § 189.
(24) CEDH, 25 avril 2013, Req. 40119/09, précité, § 53.
(25) A savoir les article D. 349 à D. 351 qui disposent respectivement : article D. 349 : "l'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques" ; article D. 350 (N° Lexbase : L1292ACT) : "les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération" ; article D. 351 (N° Lexbase : L1293ACU) : "dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus".
(26) JO, 23 février 2010, p. 3325.
(27) CEDH, 18 mars 1997, Req. 21497/93 (N° Lexbase : A9451KST).
(28) Il peut le faire aussi, dans les mêmes conditions, en étendant l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance, ou mettre hors de cause une ou plusieurs des parties ainsi désignées (CJA, art. R. 532-3, alinéa 1er).
(29) Toutefois, cette demande ne peut être satisfaite qu'après avoir recueilli les observations des personnes en cause sur l'utilité de l'extension ou de la réduction demandée ; cette question peut aussi être débattue lors de l'audience organisée par le juge (CJA, art. R. 532-4 N° Lexbase : L5972IGB).
(30) CE, S., 11 février 2005, n° 259290, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6746DGX), Rec. CE, p. 65.
(31) CE 2° et 6° s-s-r., 12 octobre 1979, n° 15131, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0180AKU), Rec. CE, p. 375.
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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)
Le 09 Janvier 2014
Le droit des contraventions se rappelle parfois, -assez rarement il est vrai-, au bon souvenir de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. C'est que la spécificité de ces petites infractions suppose nombre d'aménagements aux règles les plus traditionnelles en matière de répression. Tant et si bien que l'on est en droit de se demander s'il demeure encore opportun de les maintenir au sein de la matière pénale (1). Par exemple, à l'instar de la règle en vigueur dans le domaine si dérogatoire de la presse, et même s'il procède alors d'une toute autre cause, le caractère expéditif du délai de prescription de l'action publique en matière contraventionnelle -un an seulement- rend la question de ses perturbations particulièrement polémique. Elle l'est d'autant plus que ce délai se déroule dans le cadre de procédures tout aussi expéditives : amende forfaitaire et ordonnance pénale essentiellement.
Dans un premier arrêt rendu le 4 décembre 2013, la Chambre criminelle a d'abord été amenée à préciser que "les réquisitions d'ordonnance pénale, écrites, datées et signées, qui satisfont en la forme aux conditions essentielles de leur existence, ont eu un effet interruptif de la prescription". En l'espèce, à la suite de son opposition à l'ordonnance pénale qui l'avait condamné à payer une amende, un prévenu comparaissait devant la juridiction de proximité plus d'un an et demi après sa verbalisation. En conséquence, il se défendait en prétendant la prescription de l'action publique acquise, celle-ci n'ayant, selon lui, "pu être valablement interrompue par les réquisitions d'ordonnance pénale [...] nulles et non avenues, dans l'ignorance où se serait trouvé le juge leur ayant donné suite, de l'existence de sa contestation" . Sans grande surprise, l'argument ne convainquait pas la Cour de cassation, celle-ci ayant toujours attaché aux réquisitions du ministère public un effet interruptif de prescription. Elle l'a plusieurs fois précisé et notamment, de façon solennelle et générale, dans un arrêt rendu le 27 avril 2004 : "les réquisitions du ministère public sont des actes de poursuite qui interrompent par eux-mêmes la prescription de l'action publique" (2). Rien de plus naturel, tant de telles réquisitions représentent l'archétype de l'"acte de poursuite" interruptif (3), puisqu'elles sont rendues par l'autorité de poursuite et manifestent sa volonté de poursuivre.
Le fait, qu'en l'occurrence, ces réquisitions s'appliquent à l'ordonnance pénale ne change rien à l'affaire, de même que le fait que le juge n'ait pas été informé de la requête en exonération formée par le prévenu à la suite de la réception de l'avis de contravention, tant que ces actes sont écrits, datés et signés et, par là même, "satisfont en la forme aux conditions essentielles de leur existence". Le débat qui va naître subséquemment à l'opposition à l'ordonnance pénale aura de toute façon pour objet de discuter du bien-fondé de la condamnation du prévenu.
Dans un second arrêt rendu le même jour, la Chambre criminelle a ensuite précisé qu'"en matière de contraventions donnant lieu au recouvrement de l'amende forfaitaire majorée prévue par l'article 529-2, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0857DYE), il suffit, pour que la prescription de l'action publique ne soit pas acquise, que le délai soit interrompu par la délivrance du titre exécutoire, qui fait courir la prescription de la peine, puis, après la réclamation du contrevenant, que la citation soit délivrée avant l'expiration du nouveau délai de prescription de l'action publique ouvert à la suite de cette réclamation". En l'espèce, le titre exécutoire d'une amende forfaitaire majorée était émis à l'encontre d'un contrevenant et, consécutivement, un commandement de payer lui était délivré. Presque deux années plus tard, le contrevenant faisait une réclamation contre l'amende forfaitaire majorée et recevait conséquemment une citation à comparaître à l'audience de la juridiction de proximité. Commettant une erreur de calcul, celle-ci constatait la prescription de l'action publique, refusant au surplus de percevoir le commandement de payer comme un acte interruptif du délai de prescription, le ministère public n'ayant pas versé aux débats le titre exécutoire réprimant l'infraction. Elle est, avec aussi peu de surprise qu'en ce qui concerne l'arrêt précédent, désavouée par la Cour de cassation, qui rétablit la logique de la procédure décrite par l'article 530 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7597IMC).
En vertu de ce texte passablement complexe, à certaines conditions, la réclamation d'un contrevenant contre une amende forfaitaire majorée peut intervenir dans un délai correspondant à celui de la prescription de la peine contraventionnelle, c'est-à-dire durant "trois années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive" (4) -en l'occurrence à compter de la signature par le ministère public du titre exécutoire-. Cette réclamation "a pour effet d'annuler le titre exécutoire en ce qui concerne l'amende contestée", le ministère public retrouvant alors l'opportunité de poursuites (5) à exercer durant un nouveau délai qui commence à courir à compter de la réclamation. Du point de vue de la prescription de l'action publique, deux choses seulement doivent donc être vérifiées pour savoir si la saisine de la juridiction de proximité est alors concevable : le titre exécutoire a-t-il été délivré moins d'un an après la constatation de l'infraction ? La réclamation a-t-elle eu lieu moins de trois ans après la signature du titre exécutoire ?
La réponse à ces deux questions étant positive, la Cour de cassation constate logiquement, comme elle a pu le faire dans de précédentes décisions très similaires au présent arrêt (6), l'absence de prescription de l'action publique. La légalité est ainsi respectée et, sur le terrain de l'opportunité, il n'apparaît pas vraiment choquant qu'une action "renaisse", puisque cette renaissance se trouve finalement initiée davantage par le contrevenant lui-même que par le ministère public.
Sur ce même terrain de la prescription de l'action publique, mais en matière de presse, notons enfin que, dans un arrêt rendu le 3 décembre 2013 (7), la Chambre criminelle a de nouveau précisé (8) que "constitue un acte de poursuite le mandement par lequel le ministère public requiert un huissier de justice de délivrer une citation à comparaître devant la juridiction répressive". Surtout, elle a ajouté "qu'en l'absence de preuve contraire, la date de la cédule de citation doit être retenue comme date d'envoi à l'huissier instrumentaire". L'idée est, qu'en principe, cette date correspond à celle de la signature de l'acte de citation par le ministère public, bref à la date de la manifestation de la volonté de ce dernier de poursuivre la personne mise en cause.
Guillaume Beaussonie
II - La dématérialisation de la procédure pénale
Cet arrêt rendu le 11 décembre 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation est intéressant à un double titre. Tout d'abord, il précise que l'absence de recours contre l'ordonnance de non-admission d'appel du président de la chambre de l'instruction doit céder en cas d'excès de pouvoir commis par ce dernier. Si l'affirmation n'est pas nouvelle (9) et, par ailleurs, s'inscrit naturellement dans la théorie de l'excès de pouvoir judiciaire (10), sa formulation dévoile une fois de plus le fait qu'une partie autre que le ministère public (11) doit parfois multiplier les démarches pour prétendre interjeter appel de certaines ordonnances rendues par le juge d'instruction. Le pouvoir "quasi discrétionnaire" (12) du président de la chambre de l'instruction ainsi mis en place par l'article 186-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8650HWB) n'instaure-t-il pas une inégalité entre partie publique et parties privées au sein du procès pénal ? Pour la Chambre criminelle, si une telle question ne mérite pas l'examen du Conseil constitutionnel, c'est précisément en raison de l'existence d'un recours en excès de pouvoir (13). On est en droit de ne pas être convaincu...
Ensuite, et l'essentiel est là, sur le fondement du principe ainsi posé, la Cour de cassation conclut, en l'espèce, à l'existence d'un excès de pouvoir du président de la chambre de l'instruction. En effet, l'article D. 591 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4541IYT) prévoit que "lorsqu'un protocole a été passé à cette fin entre, d'une part, le président et le procureur de la République du tribunal de grande instance et, d'autre part, le barreau de la juridiction représenté par son bâtonnier, les avocats de ce barreau peuvent transmettre à la juridiction par un moyen de télécommunication à l'adresse électronique de la juridiction ou du service de la juridiction compétent, et dont il est conservé une trace écrite [...] : 5° les demandes d'actes prévues par l'article 82-1" (N° Lexbase : L7151A4M). Or, en l'occurrence, c'est l'ordonnance du juge d'instruction qui a rejeté une telle demande qui était en cause, le président de la chambre de l'instruction ayant dit n'y avoir lieu à appel en raison de l'irrecevabilité de la voie électronique pour transmettre ladite demande. L'excès de ce refus est d'autant mieux caractérisé qu'était applicable, depuis le 7 janvier 2013, "un avenant du 25 juin 2012 à la convention conclue entre le tribunal de grande instance et l'Ordre des avocats de Paris le 28 janvier 2009, pris en application de l'article D. 591 du Code de procédure pénale" et permettant "aux avocats de ce barreau de transmettre, à partir de leur adresse électronique sécurisée, par un moyen de télécommunication, à l'adresse électronique de ce tribunal les demandes d'actes prévues par l'article 82-1 de ce code, selon les modalités prévues à ladite convention".
Guillaume Beaussonie
III - La qualité à agir en annulation d'un acte de procédure
La Chambre criminelle de la Cour de cassation précise dans cet arrêt que des fichiers informatiques volés par un particulier, puis obtenus par l'autorité publique à la suite d'une perquisition effectuée chez ce dernier, "ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information, au sens de l'article 170 du Code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement".
Pour ne pas être nouvelle (14), cette distinction de nature -et surtout, consécutivement, de régime- entre pièces de l'information et moyens de preuve est-elle vraiment justifiée ? Paraît-il, en effet, si opportun de soustraire l'ensemble des éléments produits par les parties privées aux différents contrôles dont font l'objet les éléments produits par l'autorité publique (15) ?
La question se pose avec d'autant plus d'acuité que la Chambre criminelle est parfois tentée, pour des raisons évidentes, de forcer la distinction ; ce qui s'avère être le cas en l'espèce. Afin de percevoir les fichiers litigieux comme de simples éléments de preuve d'origine privée -donc comme des éléments pratiquement incontrôlables-, elle ajoute que c'est par des motifs pertinents que les juges du fond ont "estimé que l'autorité publique n'était pas intervenue dans la confection ou l'obtention des pièces litigieuses, qui proviennent d'une perquisition régulièrement effectuée". Elle semble ainsi dire que ce qui importe n'est pas tant l'appréhension finale de la preuve par l'autorité publique que leur origine privée. Toutefois, tout élément de preuve n'a-t-il pas, par nature, une origine privée, qui va parvenir au juge soit par initiative privée soit par intervention publique ?
Guillaume Beaussonie
A propos de cet arrêt, il ne sera formulé qu'un regret : en précisant que "le moyen pris de l'irrégularité de l'audition de tiers qui [n'] auraient dû, selon les demandeurs, être placés en garde à vue est inopérant dès lors que cette irrégularité ne peut être invoquée que par les personnes qu'elle concerne", la Chambre criminelle de la Cour de cassation persiste dans une position pourtant contraire au droit issu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Concrètement, il s'agissait de refuser à des personnes mises en cause à la suite de déclarations faites par d'autres durant leur garde à vue, la qualité à invoquer l'annulation des auditions ainsi réalisées. Leur intérêt à agir était pourtant évident...
Le regret se nove même en réprobation, quand on sait que la Cour de cassation est parfaitement consciente de l'inconventionalité de sa jurisprudence, puisqu'elle avait, à la suite d'une condamnation notoire de la France sur ce point précis, retenu une solution exactement inverse. Solution inverse que, sous la pression sans doute des impératifs probatoires, elle avait fini par abandonner de nouveau (16), l'arrêt du 11 décembre 2013 ne faisant ainsi que consolider la nouvelle et contestable position officielle de la Chambre criminelle.
Guillaume Beaussonie
IV - Le droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue
La loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN), à la suite d'arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme (17) puis surtout de la décision du Conseil constitutionnel (18), a réformé la garde à vue, en prévoyant notamment le droit pour la personne gardée à vue d'être assistée par un avocat lors des auditions et confrontations. Dans la présente affaire, un individu (poursuivi par la suite pour meurtre aggravé et vol en réunion) est placé en garde à vue, se voit notifier ses droits conformément à l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9742IPI), et déclare ne pas vouloir s'entretenir avec un avocat (19). Mais, lors de l'audition sur les faits, il déclare vouloir être assisté par un avocat (20), ce qui lui est refusé et l'audition se poursuit. La garde à vue est par la suite prolongée et ce n'est que lors de la prolongation qu'un avocat commis d'office est appelé à la demande de la personne. Saisie d'une demande d'annulation des auditions réalisées sans l'assistance d'un avocat, la chambre de l'instruction refuse pourtant d'y faire droit aux motifs, selon elle, que la personne ayant fait le choix dès le début de la garde à vue de ne pas être assistée par un avocat, un autre choix ne lui était ouvert qu'au moment de la prolongation. C'est cette interprétation qui est censurée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation au visa de l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9629IPC).
La chambre de l'instruction, en l'espèce, confond le droit à l'entretien avec l'avocat et celui du droit d'être assisté par lui lors des auditions et confrontations, en liant plus précisément l'exercice du second par la mise en oeuvre du premier. S'agissant de l'entretien, celui-ci ne se déroule en principe qu'au début de la garde à vue, avant la première audition. Et il ne peut être exercé ou réitéré, à la demande du gardé à vue, que lors d'une prolongation (21), toujours avant les auditions qui suivront. Mais, pour ce qui est du droit d'être assisté par un avocat lors des auditions et confrontations, il n'est pas prévu par la loi qu'il dépend de la mise en oeuvre du droit à l'entretien. D'ailleurs, l'article 63-4-2, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9631IPE) énonce que, lorsque l'avocat a été sollicité avant la première audition et qu'il se présente après l'expiration du délai de deux heures (22), l'audition qui aurait débuté doit être interrompue pour permettre l'entretien, sauf si la personne gardée à vue ne demande pas à s'entretenir avec son avocat. Il en résulte que le droit d'être assisté lors des auditions et confrontations peut s'exercer à tout moment de la garde à vue dès lors que la personne en fait la demande, et ce indépendamment du droit à l'entretien auquel la personne aurait renoncé. Et ce n'est qu'à titre exceptionnel que le report de la présence de l'avocat (23) lors des auditions peut être décidé par l'autorité judiciaire si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête, soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une attente imminente aux personnes (24).
Ainsi, en l'espèce, les auditions réalisées sans la présence de l'avocat alors que l'individu placé en garde à vue avait demandé, en cours d'audition lors des premières 24 heures, d'être assisté par un avocat, devaient être annulées, considérant que la violation de ce droit porte nécessairement atteinte aux droits de la défense (25). Rappelons également que l'article préliminaire, modifié par la loi du 14 avril 2011, prévoit qu'en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que la personne ait pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui, alors qu'elle n'aurait pas renoncé à ses droits.
Lionel Miniato
V - La motivation des arrêts de cours d'assises
Depuis la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (N° Lexbase : L9731IQH), l'article 365-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9537IQB) impose de motiver l'arrêt de condamnation prononcé par la cour d'assises, la motivation consistant dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui ont convaincu la juridiction criminelle. Mais les textes n'imposent pas de motiver également la peine de réclusion, pas plus d'ailleurs que la peine d'emprisonnement prononcée éventuellement par la cour d'assises (26), alors que l'article 132-19 du Code pénal (N° Lexbase : L3753HG4) impose au tribunal correctionnel de motiver spécialement le choix de l'emprisonnement sans sursis, hors récidive légale (27).
En l'espèce, un individu condamné par la cour d'assises à quinze ans de réclusion pour violences aggravées ayant entraîné la mort sans intention de la donner, forme un pourvoi en cassation et soulève à l'occasion une question prioritaire de constitutionnalité, en mettant en cause l'absence de motivation de la peine de réclusion. Etaient invoqués à l'appui de la QPC, le droit à une procédure juste et équitable, la légalité des peines, l'égalité devant la loi et devant la justice et les droits de la défense, garantis par les articles 5 (N° Lexbase : L1369A9L), 6 (N° Lexbase : L1370A9M), 7 (N° Lexbase : L1371A9N), 8 (N° Lexbase : L1372A9P), 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S).
Pour la Cour de cassation, la question ne présente pas, à l'évidence, un caractère sérieux, celle-ci n'est donc pas transmise au Conseil constitutionnel. En effet, selon la Chambre criminelle (28), l'absence de motivation de la peine de réclusion (et d'emprisonnement) s'explique par l'exigence d'un vote à la majorité absolue ou à la majorité de six (en premier ressort) ou de huit voix (en appel) au moins lorsque le maximum de la peine est prononcé, ce qui exclut tout risque d'arbitraire (29). Autrement dit, expliquer spécialement en quoi la peine de réclusion s'impose plus que toute autre peine est inutile, dès lors que le choix de la peine a été opéré majoritairement par un nombre important de personnes composant la cour d'assises. Il en résulte qu'aucun des principes constitutionnels n'est violé, notamment pas l'égalité devant la loi et devant la justice, car accusés et prévenus n'étant pas placés dans la même situation, ils peuvent être jugés selon des règles différentes.
Lionel Miniato
(1) D'autres systèmes juridiques, par exemple l'Allemagne, ont ainsi fait le choix d'une nature administrative pour la plupart des contraventions.
(2) Cass. crim., 27 avril 2004, n° 03-85.328, F-P+F (N° Lexbase : A1729DCZ), Bull. crim., n° 99.
(3) Cf. C. proc. pén., art. 7 (N° Lexbase : L9879IQX) et 9 (N° Lexbase : L9877IQU). Notons au surplus qu'une nouvelle interruption a eu lieu lors des réquisitions du ministère public aux fins de citation devant la juridiction de proximité (cf. en ce sens : Cass. crim., 24 octobre 2007, n° 07-82.315, F-P+F N° Lexbase : A6068DZR, Bull. crim., n° 258.
(4) C. pén., art. 133-4 (N° Lexbase : L2202AMI).
(5) C. proc. pén., art. 530-1, al. 1er (N° Lexbase : L7596IMB).
(6) Cass. crim., 14 septembre 2005, F-P+F+I (N° Lexbase : A7177DKZ), Bull. crim., n° 23; Cass. crim., 18 octobre 2006, F-P+F+I (N° Lexbase : A3174DSD), Bull. crim., n° 252. Cf. aussi Cass. avis, 5 mars 2007, n° 0070004P (N° Lexbase : A0239KTZ), Bull. crim., avis n° 2.
(7) Cass. crim., 5 décembre 2013, n° 12-87.126, FS-P+B (N° Lexbase : A8414KQP).
(8) La Cour de cassation a déjà considéré qu'un mandement de citation adressé à un huissier aux fins de délivrer une citation à comparaître est un acte de poursuite interruptif de prescription : Cass. crim., 28 janvier 1988, n° 86-92.565 (N° Lexbase : A2747CKX), Bull. crim., n° 44 ; Cass. crim., 13 février 1990, n° 89-80.743 (N° Lexbase : A2710CHT), Bull. crim., n° 74 ; Cass crim., 13 novembre 1991, n° 90-87019 N° Lexbase : A3557ACQ), Bull. crim., n° 406. En revanche, tel n'est pas le cas d'un simple mandement figurant au dossier mais non encore transmis à l'huissier en vue de sa délivrance : Cass crim., 16 février 1999, n° 97-83951(N° Lexbase : A6748CHE), Bull. crim., n° 21. Et un mandement de citation transmis par le procureur général au procureur de la République en vue de la saisine de l'huissier constitue un acte de poursuite interrompant le cours de la prescription de l'action publique à la date de sa transmission : Cass. crim., 13 décembre 2005, n° 04-87.489 (N° Lexbase : A4115DMD), Bull. crim., n° 331.
(9) Cf. par ex. Cass. crim., 26 novembre 2003, n° 03-85.240, F-P+F (N° Lexbase : A4429DAB), Bull. crim., n° 222. Il a, en l'espèce, été conclu à l'absence d'excès de pouvoir.
(10) Cf. F. Dupuis, L'excès de pouvoir en procédure pénale, thèse, Toulouse 1-Capitole, 2013.
(11) Puisqu'il s'agit d'éviter des appels dilatoires, le filtre des appels ne concerne pas le ministère public : Cass. crim., 28 avril 1998, n° 98-80.366 (N° Lexbase : A3068ACM), Bull. crim., n° 142.
(12) F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, 2009, § 2112.
(13) Cass. crim., 6 décembre 2001, n° 11-90.095, F-D (N° Lexbase : A5105H8L) : "la disposition légale critiquée [l'article 186-1 du Code de procédure pénale], garantit le droit au recours effectif et le respect des droits de la défense dès lors que le président de la chambre de l'instruction, saisi de la requête à laquelle le juge d'instruction n'a pas fait droit, doit rendre, au vu de l'avis du procureur de la République et des pièces de la procédure parmi lesquelles figure la demande initiale du prévenu, une décision motivée en cas de non-saisine de la chambre de l'instruction, cette décision étant susceptible d'être censurée en cas d'excès de pouvoir". Cf. déjà Cass. crim., 23 novembre 2010, n° 10-86.067, F-P+B (N° Lexbase : A7697GLN), Bull. crim., n° 185.
(14) Voir surtout Cass. crim., 30 mars 1999, n° 97-83.464 (N° Lexbase : A5361CKR), Bull. crim., n° 59. Plus récemment, voir par exemple : Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.464, F-P+B+I (N° Lexbase : A6672IBQ), Bull. crim., n° 27 ; Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B (N° Lexbase : A3769IEC), Bull. crim., n° 64.
(15) Voir M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse, Toulouse 1-Capitole, 2010, n° 197; E. Molina, La liberté de la preuve des infractions en droit français contemporain, PUAM, 2001, nos 386 et s..
(16) Voir Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL). Pour un commentaire de cet arrêt et un rappel du contexte, voir nos obs., Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9).
(17) Voir notamment CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX) ; CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY).
(18) Cons. const., 30 juillet 2010, n° 2010-14/22 QPC (N° Lexbase : A4551E7P).
(19) Entretien confidentiel d'une durée de 30 minutes : C. proc. pén., art. 63-4 (N° Lexbase : L9746IPN)
(20) Voir C. proc. pén., art. 63-4-2 (N° Lexbase : L9631IPE)
(21) C. proc. pén., art. 63-4, al. 3 (N° Lexbase : L9746IPN)
(22) C. proc. pén., art. 63-4, al. 1
(23) De 12 heures voire de 24 heures.
(24) C. proc. pén., art. 63-4-2, al. 4 et 5 (N° Lexbase : L9631IPE)
(25) Voir S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, 9ème éd., 2013, spéc. n° 862.
(26) Voir Cass. crim., 22 janvier 1997, n° 96-80.309 (N° Lexbase : A1095ACK).
(27) Voir E. Garçon, V. Peltier, Droit de la peine, LexisNexis, 2010, spéc. nos 368 et s..
(28) Qui n'examine que les articles 132-19 (N° Lexbase : L3753HG4) et 132-24 (N° Lexbase : L9406IE4) du Code pénal, l'article 365-1 du Code de procédure pénale ayant déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
(29) Voir C. proc. pén., art. 362, al. 2 (N° Lexbase : L9564IQB)
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Réf. : Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW) et loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013, de finances rectificative pour 2013 (N° Lexbase : L7404IYU)
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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
Le 09 Janvier 2014
La loi de finances rectificative pour 2013 vise tout à la fois à simplifier les obligations déclaratives à l'impôt sur le revenu, à étendre la formalité fusionnée aux donations comportant des biens immeubles et à sécuriser des processus industrialisés de gestion des recettes publiques. Concernant ce dernier point, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles les actes relatifs aux créances de toute nature peuvent être notifiés par voie électronique aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ou aux organismes gérant des régimes de protection sociale, détenteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables de ces mêmes créances. Les actes ainsi notifiés prennent effet à la date et à l'heure de leur mise à disposition, telles qu'enregistrées par le dispositif électronique sécurisé mis en place par l'administration.
L'obligation pour les contribuables de joindre à leurs déclarations de revenus souscrites sous forme papier les pièces justificatives établies par des tiers, notamment les factures, quittances et autres reçus, est supprimée, mais les contribuables doivent les conserver et être en mesure de les présenter à la demande de l'administration. Le premier alinéa du 5 de l'article 200 du CGI (N° Lexbase : L1159IT4) est maintenant rédigé ainsi : "les versements ouvrent droit au bénéfice de la réduction d'impôt sous réserve que le contribuable soit en mesure de présenter, à la demande de l'administration fiscale, les pièces justificatives répondant à un modèle fixé par l'administration attestant du montant et de la date des versements ainsi que de l'identité des bénéficiaires". La mesure s'applique à compter de l'impôt sur le revenu 2014, établi sur les revenus de 2013.
C'est par souci de simplification que les notaires n'auront plus à déposer un même acte de donation comprenant un immeuble dans deux services différents. Le premier dans le ressort de leur étude pour enregistrement et le second, dans le ressort du lieu de situation de l'immeuble pour publication au fichier immobilier. Dans l'hypothèse d'immeubles situés dans des ressorts différents, la publication dans chacun des services de la publicité foncière reste obligatoire.
Ainsi qu'il est précisé dans l'exposé des motifs, "afin de permettre la dématérialisation des actes notifiés aux tiers-détenteurs, d'établissements financiers principalement, aux fins de procéder à des saisies de sommes dues par des redevables d'impositions ou de recettes publiques, il est proposé de fixer les règles d'opposabilité et d'effet dans le temps des actes notifiés par ce moyen".
Le Conseil constitutionnel a validé la création d'un fichier national des contrats d'assurance-vie, qui va permettre à l'administration de mieux prendre en compte la matière imposable et de faciliter la lutte contre la fraude fiscale (Cons. const., décision n° 2013-684 du 29 décembre 2013, précitée). Ce fichier sera créé conformément à la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique et aux libertés (loi n° 78-17 N° Lexbase : L8794AGS), et par conséquent soumis à la commission nationale informatique et liberté. Le Conseil a considéré que le dispositif ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée au regard de l'objectif d'intérêt général de lutte contre la fraude fiscale.
La loi de finances rectificative pour 2013 fixe deux objectifs en cette matière.
Le premier est d'encadrer, avec plus de rigueur, le recours au paiement en espèces des créances émises par l'Etat et les autres personnes morales de droit public, dont les recettes sont encaissées par un comptable public, en abaissant de 3 000 euros à 300 euros le plafond des paiements en liquide.
Ce nouveau dispositif modifie l'article 1680 du CGI (N° Lexbase : L0685IHT), lequel dispose dorénavant : "les impositions de toute nature et les recettes recouvrées par un titre exécutoire mentionné à l'article L. 252 A du LPF (N° Lexbase : L8293AEU) sont payables en espèces dans la limite de 300 euros à la caisse du comptable public chargé du recouvrement". L'article 1724 bis du CGI (N° Lexbase : L4116HME), qui avait été supprimé par l'article 65-III de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985, de finances pour 1986, est ainsi rétabli : "les prélèvements opérés à l'initiative de l'administration fiscale pour le paiement des impôts, droits et taxes mentionnés dans le présent code n'entraînent aucun frais pour le contribuable".
Le second objectif de la loi est de mettre en place le "Single Euro Payments Area (SEPA)", comprenant 32 Etats membres. L'objectif est de créer une gamme unique de moyens de paiement en euro, permettant ainsi à leurs habitants d'effectuer, dans les mêmes conditions et aussi facilement que dans leur pays, des paiements tant nationaux que transnationaux. Pour les paiements à l'administration fiscale, elle concerne essentiellement les impôts sur rôle. Le législateur répond ici à une exigence communautaire car, en application du règlement n° 260/2012 du Parlement et du Conseil européens du 14 mars 2012 (N° Lexbase : L7198ISE), l'adaptation des prélèvements nationaux au format SEPA doit être effectuée pour le 1er février 2014. Il s'agit aussi de garantir le principe du maintien de la gratuité des prélèvements des impôts sur rôle ainsi que la gratuité du prélèvement actuellement en vigueur pour les autres impôts.
La Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 (N° Lexbase : L5101IPM) sur la coopération administrative dans le domaine fiscal constitue la principale base juridique, concernant les impôts directs, permettant l'échange d'informations et la coopération des administrations fiscales des pays membres de l'Union européenne. Elle est entrée en vigueur au 1er janvier 2013, en lieu et place de la Directive 77/799/CEE sur l'assistance mutuelle (N° Lexbase : L9296AUT).
L'économie générale du texte prévoit un dispositif d'échange à la demande d'informations fiscales. Faut-il encore que les informations demandées soient "vraisemblablement pertinentes" pour les administrations fiscales nationales qui en font la demande, sachant que leur transmission ne peut pas être refusée au motif que les informations sont détenues par une banque ou un établissement financier. La réponse doit être fournie dans un délai de six mois.
La Directive de 2011 prévoit en outre qu'un dispositif d'échange automatique d'informations entrera en vigueur à partie du 1er janvier 2015 et ce pour cinq catégories de revenus et capitaux : les jetons de présence, les produits d'assurance-vie non couverts par ailleurs, les revenus professionnels, les pensions et les revenus de biens immobiliers. En outre, une clause de la "nation la plus favorisée" fait que si un Etat membre établit avec un autre Etat une coopération plus étendue que celle visée par la Directive, il ne peut refuser cette coopération étendue aux autres Etats membres.
Enfin, la Directive prévoit d'autres modalités de coopération administrative et, notamment la possibilité pour les fonctionnaires de plusieurs Etats membres de participer à des enquêtes communes ou à des contrôles fiscaux communs.
Concernant l'échange d'informations à la demande, la France applique et utilise les dispositions de la Directive de 2011.
Il était nécessaire que le législateur modifie certaines dispositions du LPF afin de compléter la transposition de la Directive, sur la coopération administrative dans le domaine fiscal, en droit interne. Ces modifications affectent divers articles du LPF. Est concerné l'article L. 45 (N° Lexbase : L8856IRG), relatif aux modalités du contrôle fiscal, notamment en cas de contrôles simultanés réalisés avec les fonctionnaires d'autres Etats membres de l'Union européenne. Celui-ci énonce pour principe qu'"en matière d'impôts directs et de taxes assisses sur les primes d'assurance, lorsque la situation d'un ou plusieurs contribuables présente un intérêt commun ou complémentaire pour plusieurs Etats membres de la Communauté européenne, l'administration peut convenir avec les administrations des autres Etats membres de procéder à des contrôles simultanés, chacune sur le territoire de l'Etat dont elle relève, en vue d'échanger les renseignements obtenus". Est visé également l'article L. 114 (N° Lexbase : L2581IYA), relatif à l'échange d'informations à des fins fiscales avec les Etats tiers, ainsi que les collectivités d'Outre-mer. L'article L. 114 A (N° Lexbase : L5376G7A) n'est pas épargné, il concerne l'échange d'informations à des fins fiscales avec les Etats membres de l'Union européenne. Souvenons-nous que, sur ce fondement, l'administration peut tout à la fois communiquer des informations aux administrations des autres Etats membres et utiliser les renseignements reçus d'un autre Etat membre (CE, 23 décembre 2010, n° 309331, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6978GNR, RJF, 2011, 4, comm. 465). Enfin, l'article L. 289 (N° Lexbase : L5044ICS), concernant la notification de décisions de nature fiscale émanant d'Etats membres de l'Union européenne, est également concerné.
Les modifications sont, essentiellement, d'ordre rédactionnel. Soulignons que la substitution des mots "la législation fiscale" à l'énumération limitative de certaines impositions (impôts directs, impôt sur le revenu, TVA, impôt sur la fortune, taxes assises sur les primes d'assurance) correspond à un réel accroissement du champ de la coopération administrative et ce, conformément à la Directive. Il n'était pas inutile de préciser que les dispositions visées s'appliquent conformément à la Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011.
Rappelons que le 12 juin 2013 la Commission européenne a proposé d'étendre le champ de l'échange automatique d'informations, qui devrait entrer en vigueur en 2015, aux dividendes, plus-values, redevances et autres formes de revenus financiers et les soldes des comptes. Cette mesure a également été évoquée lors du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013.
La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales par la manipulation des prix de transfert est une des préoccupations du Gouvernement. Il a proposé, dans la loi de finances pour 2014, une réécriture du deuxième alinéa de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L3365IGQ). La nouvelle rédaction mérite d'être citée dans son entier.
"Lorsqu'une entreprise transfère une ou plusieurs fonctions ou un ou plusieurs risques à une entreprise, liée au sens du 12 de l'article 39 (N° Lexbase : L3894IAH), cesse de les exercer ou de les assumer en tout ou partie, et que son excédent brut d'exploitation au sens de l'article 223 terdecies (nouveau) constaté au cours d'un des derniers exercices suivant le transfert est inférieur d'au moins 20 % à la moyenne de ceux des trois exercices précédent le transfert, elle doit établir qu'elle a bénéficié d'une contrepartie financière équivalente à celle qui aurait été convenue entre les entreprises n'ayant pas un tel lien de dépendance. A cet effet, elle fournit à l'administration, à sa demande, tous les éléments utiles à la détermination des résultats réalisés avant et après le transfert aux entreprises qui y sont parties, y compris celles bénéficiaires du transfert. A défaut, les bénéfices qui auraient dû être réalisés sont incorporés à ses résultats. L'obligation de justification mentionnée à la première phrase du présent alinéa n'est applicable ni à la cession d'un actif isolé, ni à la concession du droit d'utilisation de celui-ci lorsque cette cession ou cette concession est indépendante de tout autre transfert de fonction ou de risque.
La condition de dépendance ou de contrôle mentionnée aux premier et deuxième alinéas n'est pas exigée lorsque le transfert s'effectue avec des entreprises, situées hors de France, bénéficiant d'un régime fiscal privilégié au sens du deuxième alinéa de l'article 238 A (N° Lexbase : L3230IGQ) ou établies, dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A (N° Lexbase : L3333IGK)".
Il a été jugé que le dispositif de l'article 238 A est conforme à la fois avec le droit communautaire et avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CAA Lyon 7 mai 2008, n° 05LY00646, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3111D94, Droit fiscal, 2008, 36, comm. 36, concl. Gimenez). Sont non coopératifs les Etats et territoires non membres de l'Union européenne et dont la situation au regard de la transparence et de l'échange d'informations à des fins fiscales a fait l'objet d'un examen par l'OCDE et qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative permettant l'échange d'informations, ni signé avec au moins douze Etats ou territoires une telle convention (CGI, art. 238-0 A). Précisons qu'une liste des Etats et territoires non coopératifs est fixée chaque année par un arrêté des ministres chargés de l'Economie et du Budget, après avis du ministre des Affaires étrangères (le Gouvernement a indiqué la sortie de cette liste de Jersey et des Bermudes (lire N° Lexbase : N0132BUG).
L'objectif du législateur est de faciliter les conditions du contrôle fiscal au sein des groupes, dans l'hypothèse d'un transfert de fonctions ou de risques à une entreprise liée. Lorsqu'après le transfert, l'excédent brut d'exploitation est réduit d'au moins 20 %, l'entreprise qui fait le transfert est tenue de démontrer qu'elle a bénéficié d'une juste contrepartie financière. Elle supporte la charge de preuve. Pour ce faire, elle fournira toutes les informations relatives aux entités prenant part à ces transactions permettant ainsi de justifier le juste niveau de rémunération allouée avant et après le transfert de fonctions ou de risques.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le dispositif voté, au motif que le législateur utilise des notions qu'il ne définit pas. Celui-ci a méconnu l'étendue de sa compétence, de même que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi (Cons. const., décision n° 2013-685 du 29 décembre 2013, précitée).
Parmi les dispositions les plus discutées de la loi de finances pour 2014 figurait l'obligation de déclaration à l'administration des schémas d'optimisation fiscale par toute personne les commercialisant, les élaborant ou les mettant en oeuvre. Le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif, aux motifs que le législateur retenait une définition trop imprécise et générale, alors qu'elle restreignait la liberté d'entreprendre (Cons. const., décision n° 2013-685 du 29 décembre 2013, précitée). Voilà qui rassurera, au moins pour un temps, les avocats.
Devaient être constitutifs d'un abus de droit, que l'administration pouvait écarter pour l'établissement de l'impôt, les actes ayant un caractère fictif ou ayant pour motif principal (et non plus exclusif) celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales. Il était prévu, outre le rétablissement de l'impôt dû et le paiement d'intérêts de retard, une majoration égale à 80 % des impôts dus. Le Conseil constitutionnel n'a pas suivi le législateur, considérant que, compte tenu des conséquences attachées à la procédure d'abus de droit fiscal, celui-ci ne pouvait retenir une nouvelle définition aussi large de cette notion. Le dispositif, non conforme à la Constitution, portait atteinte au principe de légalité des peines (Cons. const., décision n° 2013-685 du 29 décembre 2013, précitée).
Les débats relatifs aux prix de transfert, aux schémas d'optimisation fiscale et concernant l'abus de droit ne sont pas clos. On peut penser que le législateur va tenir le plus grand compte de la décision du Conseil constitutionnel pour corriger la rédaction des textes qui furent censurés, mais nous doutons qu'il renonce définitivement à les modifier, car ce sont des outils qui s'inscrivent contre la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale qui comptent parmi les préoccupations du Gouvernement.
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Réf. : TGI Paris, référé, 28 novembre 2013, n° 11/60013 (N° Lexbase : A4052KQ7)
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N0033BUR
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par Carine Bernault, Professeur à l'Université de Nantes
Le 09 Janvier 2014
I - La constatation de l'atteinte au droit d'auteur
Le tribunal s'interroge, tout d'abord, sur l'existence des atteintes portées au droit d'auteur. Les demandeurs avaient produits divers procès-verbaux réalisés par des agents assermentés de l'ALPA (association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) démontrant que les sites rendus accessibles grâce aux FAI et répertoriés par les moteurs de recherche exercent une "activité illicite [...] en ce qu'ils proposent une représentation des oeuvres sans avoir obtenu l'autorisation des auteurs et une reproduction des mêmes oeuvres ce qui constituent des actes de contrefaçon". Les défendeurs répliquaient notamment que les mesures sollicitées visaient à prévenir "des atteintes futures et indéterminées, à des droits de propriété intellectuelle également non identifiés" ce qui ne permettait pas de satisfaire aux conditions posées par l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Pour le tribunal, il semble n'y avoir aucun doute. Même s'il rappelle que "le streaming n'est pas en soi une activité illicite et [qu']elle est tout fait légale, quand elle intervient dans le cadre d'une cession légale des droits des auteurs et d'un droit d'exploitation donné par les producteurs", il souligne ensuite que les sites du réseau "allostreaming" donnent accès "sans aucune difficulté" à des films ou des séries télévisées grâce à des liens hypertextes. Ces sites, même s'ils renvoient vers des contenus qui sont "stockés auprès de serveurs tiers ou sur des plateformes tierces [...] ont procédé à des actes de représentation des oeuvres litigieuses en fournissant la mise à disposition des contenus". Par ailleurs, il est "admis par les sociétés défenderesses que ce réseau ne demandait pas l'autorisation des titulaires des droits pour mettre à disposition les oeuvres et même revendiquait le caractère de partage des sites, c'est-à-dire d'offre en visionnage de films ou de séries sans en avoir obtenu les droits de sorte que l'absence d'autorisation donnée par les ayants droit peut être retenue". Dès lors, même si "l'identification de chaque oeuvre et des droits des titulaires n'a pas été faite au sein des procès-verbaux de l'ALPA, ceci ne fait pas obstacle à la demande des syndicats et associations demandeurs puisque ceux-ci agissent sur le fondement de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle et, en leur qualité d'organismes de défense professionnelle, il leur appartient de démontrer que le site litigieux est entièrement dédié à la contrefaçon et non d'établir que telle ou telle oeuvre est accessible au streaming sur le site pour en solliciter le retrait, comme en ont l'obligation les titulaires de droit". La précision est utile car on sait que les juges peuvent se montrer exigeants s'agissant des actions en contrefaçon en considérant qu'il faut démontrer l'originalité de chaque oeuvre prétendument contrefaite (2). Ici, la démarche est différente, l'action étant engagée par des syndicats professionnels dans le seul cadre de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, il n'est donc point question de contrefaçon en l'espèce même si l'on perçoit bien l'intérêt de la procédure engagée pour lutter contre l'exploitation non autorisée des oeuvres.
II - L'application aux fournisseurs d'accès à internet
Avant de se pencher sur les mesures imposées aux fournisseurs d'accès (B) il faut souligner que cette décision est la première admettant la possibilité de leur appliquer l'action en cessation (A).
A - Les fournisseurs d'accès peuvent remédier aux atteintes au droit d'auteur
Le tribunal détermine dans quelle mesure les FAI sont "susceptibles de contribuer à remédier à l'atteinte" aux droits d'auteur. Ces intermédiaires "permettent, par la seule mise à disposition des moyens techniques d'un service de communication électronique au public en ligne, que les opérateurs des sites en cause, dont l'objet et l'activité sont dédiés à la contrefaçon, proposent le visionnage direct de films et de séries sans autorisation de leurs auteurs et ils rendent possible pour leurs abonnés l'accès auxdits sites". Ils peuvent donc, en bloquant l'accès aux sites litigieux, empêcher ou réduire l'atteinte portée aux droits d'auteur. Les FAI sont alors considérés comme des intermédiaires au sens de l'article 8.3 de la Directive 2001/29/CE précitée. La précision est importante. Des doutes avaient été formulés sur ce point car "si en théorie, le texte ne l'interdit pas, en revanche une telle demande pourrait être considérée comme disproportionnée, surtout si seule une partie du site litigieux est concernée" (3). Les hésitations devraient donc être levées.
Pour se défendre, certains FAI prétendent toutefois que leur mise en cause devrait en quelque sorte être subsidiaire. Ils affirment que les opérateurs des sites litigieux peuvent être identifiés et que "l'efficacité des actions à leur encontre, en ce qu'elles touchent la source des contrefaçons, prime toute autre démarche". Autrement dit, il faudrait poursuivre le contrefacteur avant les intermédiaires, ce qui réduirait considérablement l'intérêt de l'action en cessation. L'argument sera rapidement balayé par le tribunal qui rappelle fort judicieusement que "les dispositions de l'article L. 336- 2 du Code de la propriété intellectuelle sont précisément destinées à permettre aux ayants droit et organismes de défense professionnelle concernés d'exercer une action distincte de celle par laquelle les premiers peuvent faire juger qu'une contrefaçon leur cause un préjudice dont ils demandent réparation aux auteurs de cette contrefaçon, en l'occurrence l'opérateur de sites contrefaisants. Il n'est pas prévu par la loi que cette action au fond, dirigée contre les auteurs des atteintes en cause, soit mise en oeuvre préalablement à celle par laquelle des mesures provisoires peuvent être sollicitées à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes à leurs droits". Pour la même raison, il aura été inutile de prétendre que la demande devait être rejetée au motif que les hébergeurs auraient du être mis en cause. Pour résumer, le tribunal affirme qu'"ainsi, la recherche des mesures les plus simples, économiques et efficientes, qui doit être privilégiée pour répondre à l'exigence de proportionnalité entre le but recherché et les intérêts protégés à défendre d'une part, les effets des mesures envisagées d'autre part, ne conduit pas prioritairement à suspendre toute mesure à la mise en cause des responsables de ces sites et l'absence du ou des hébergeurs des sites en cause ne viole pas le principe de proportionnalité".
Cette précision n'intervient pas par hasard. Il faut rappeler que l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle a fait l'objet d'une réserve d'interprétation de la part du Conseil constitutionnel (4). Compte tenu du caractère "excessivement large et incertain de cette disposition" on pouvait en effet craindre qu'elle ne conduise "les personnes potentiellement visées par [ce texte] à restreindre, à titre préventif, l'accès à internet" (5). Pour autant le Conseil a considéré que "le législateur n'a pas méconnu la liberté d'expression et de communication" en soulignant toutefois "qu'il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté, que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause". Cela allait sans doute de soi mais va encore mieux en l'écrivant : la mesure imposée doit respecter le principe de proportionnalité et ne doit pas aller au-delà du strict nécessaire, ce qui doit écarter les risques de "surblocage" parfois mis en avant pour critiquer l'article L. 336-2. Par ailleurs, il faut encore rappeler que dans les arrêts "SABAM", la CJUE a jugé excessives des mesures de filtrage impliquant une surveillance généralisée, non limitée dans le temps et aux seuls frais du FAI (6). Il était donc important de veiller à la mise en oeuvre de mesures "proportionnées", dont les frais ne peuvent d'ailleurs pas être mis à la charge des fournisseurs d'accès ou moteurs de recherche selon le tribunal.
B - Les mesures propres à faire cesser l'atteinte aux droits
Il restait alors à préciser les mesures à mettre en oeuvre pour prévenir et faire cesser la violation des droits d'auteur. La demande formulée est très large puisqu'elle vise "toutes mesures propres à empêcher l'accès à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, aux sites". On pouvait se demander si le juge allait, ici, exiger une détermination plus précise des mesures techniques à appliquer. Il n'en fera rien puisqu'il estime qu'une telle "demande, qui laisse à chaque fournisseur d'accès à l'internet la possibilité de déterminer la nature des mesures qu'il convient de mettre en oeuvre, eu égard à la structure juridique et technique de leur entreprise, aux effets des mesures prises et à l'évolution du litige et qui privilégie une mesure acceptée par l'ensemble des fournisseurs d'accès à l'internet appelés à cette instance, est fondée". Est donc imposé par le juge "tout moyen efficace et notamment [...] le blocage des noms de domaines" des sites litigieux identifiés. On peut s'interroger sur une telle pratique qui, certes, offre une certaine souplesse en permettant aux FAI de choisir les mesures les plus pertinentes mais qui ne permet pas au juge de déterminer précisément les conséquences des dispositifs ainsi mis en oeuvre. Par ailleurs, compte tenu de la relative imprécision des mesures ordonnées, que se passerait-il si un FAI utilisait un système de blocage dont l'efficacité ne serait pas totale mais dont le coût serait limité ? Pourrait-on lui reprocher de ne pas voir adopté une mesure plus efficace mais plus coûteuse car plus complexe à mettre en oeuvre ? Certes, le juge ne peut se muer en expert et s'il imposait une mesure précise, il existerait un risque que celle-ci ne soit finalement pas la plus adaptée à la situation. Il peut dès lors sembler pertinent d'imposer toute mesure "efficace" et "proportionnée" sans se focaliser sur les modalités techniques. La seule précision donnée ici par le juge porte sur les délais à respecter, les dispositifs de blocage devant être appliquées dans les quinze jours à compter de la signification du jugement et pendant une durée de douze mois. Les demandeurs devront par ailleurs être informés des éventuelles difficultés rencontrées. Evidemment de telles interventions vont également bloquer l'accès à des oeuvres présentes sur ces sites en toute légalité, mais "le faible nombre de ces liens vers des oeuvres dont les droits ne sont pas discutés permet d'admettre que les mesures ordonnées [...] n'entraîneront pas de dommage disproportionné, étant observé qu'elles ne constituent pas un obstacle absolu empêchant l'accès aux oeuvres, lesquelles peuvent être vues par d'autres moyens".
C'est la même question de proportionnalité qui se pose lorsqu'est invoquée devant le tribunal la liberté d'expression et de communication visée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ). Pour le tribunal, les mesures mises en oeuvre peuvent, certes limiter la liberté d'expression et de communication des sites en question, mais elles sont justifiées "par la nécessité de mettre en oeuvre des moyens efficaces de lutte contre l'atteinte à leurs droits commise par ces sites". Par ailleurs, "les internautes, qui ne sont pas privés du droit de prendre connaissance des films et séries en cause, dès lors qu'ils peuvent accéder aux sites ayant acquis les droits de les diffuser ou d'en permettre le visionnage, ou par tout autre moyen à leur disposition (replay, DVD, streaming autorisé etc.), ne voient pas leur droit de prendre connaissance des contenus litigieux limité de manière disproportionnée". Sur ce sujet, il faut rappeler que la CJUE a également consacré ce principe de proportionnalité en soulignant notamment que les mesures de filtrage doivent préserver la liberté d'information (7).
Un autre argument, plus technique, pouvait sembler convaincant et faire douter de l'intérêt de l'action engagée. En effet, les défendeurs ont fait valoir que "les internautes peuvent utiliser les services offerts par d'autres fournisseurs d'accès à l'internet et/ou accéder aux sites en cause par tout autre moyen que leurs compétences techniques et leur désir d'échapper à la loi les inciteraient à rechercher". Autrement dit, les mesures ordonnées par le tribunal risquaient d'être inefficaces. La réponse du tribunal semble ici teintée d'un certain angélisme lorsqu'il affirme qu'"il n'est pas assuré que la grande majorité des internautes, qui est attachée à la gratuité des communications et de nombreux services sur l'internet, ait pour autant la volonté affermie de participer à une piraterie mondialisée et à grande échelle" ; ou encore que "les internautes utilisant aujourd'hui les opportunités offertes par ces opérateurs ne peuvent ignorer que cette fraude risque d'être mortifère en privant les auteurs de toute contrepartie à leur création et les industries de l'audiovisuel de tout bénéfice, indispensable à la poursuite de leur activité". Il reste vrai que "les mesures sollicitées visent le plus grand nombre des utilisateurs, lesquels n'ont pas nécessairement le temps et les compétences pour rechercher les moyens de contournement que les spécialistes trouvent et conservent en mémoire". En outre, "l'impossibilité d'assurer une complète et parfaite exécution des décisions susceptibles d'être prises ne doit pas entraîner l'absence de reconnaissance des droits des ayants droit par les juridictions". Cela revient à avouer une impuissance partielle certes, mais réelle...
Se pose enfin la question de l'évolution des mesures mises en oeuvre par les FAI. En effet, dès leur mise en place, le risque est grand que les responsables des sites litigieux prennent "toute disposition d'évitement soit en modifiant le cheminement d'accès à leur site, soit en abandonnant les noms de domaine précisément visés dans la présente décision et en choisissant d'autres facilement reconnaissables par leurs anciens utilisateurs parce que très proches, soit en créant des sites dits miroirs, façades légèrement modifiées permettant d'accéder à la stricte copie des sites litigieux". Le tribunal se déclare quelque peu démuni ici puisqu'il constate ne pas disposer d'un "moyen lui permettant de contrôler l'exécution de sa décision, soit directement soit par l'intermédiaire d'un agent public qui en aurait la charge". La même difficulté se posera ensuite pour les moteurs de recherche. Elle a déjà été relevée à diverses reprises et notamment dans le rapport "Lescure" (8) qui évoque la nécessité de "garantir l'exécution durable des décisions de justice". Tout en constatant que certains outils peuvent permettre une détection semi-automatique en cas de réapparition des sites miroirs, ce rapport considère que l'on ne peut déléguer à un opérateur privé l'exécution d'une décision de justice portant atteinte à la liberté de communication. Il propose donc d'"évaluer la faisabilité technique d'un dispositif de détection des sites miroirs, qui serait mis en oeuvre par l'autorité administrative sous le contrôle du juge" (9). En l'espèce, une coopération des parties est envisagée "dans le cadre du suivi de l'exécution des mesures ordonnées visant les sites existant dans leur forme actuelle" ainsi qu'une "collaboration au système d'actualisation proposé par les demandeurs, aboutissant éventuellement à une requête conjointe pour compléter ou amender la liste des sites en cause ou les chemins d'accès possibles". Le tribunal se contente alors de préciser que, sous réserve d'un meilleur accord des parties, "les demandeurs pourront en référer au tribunal en mettant en cause par voie d'assignation les parties présentes à cette instance ou certaines d'entre elles, en la forme des référés, afin que l'actualisation des mesures soient ordonnés".
III - L'application aux moteurs de recherche
Beaucoup de questions soulevées pour les FAI sont reprises s'agissant des moteurs de recherche. On n'évoquera ici que les sujets propres aux moteurs de recherche.
Se posait donc la question de savoir si l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle est applicable aux moteurs de recherche. La société Microsoft prétendait le contraire car, selon elle, au regard de la Directive 2001/29/CE, cet article ne pourrait concerner que les intermédiaires dont les services sont utilisés pour transmettre les contrefaçons, ce qui écarterait donc les moteurs de recherche. Le tribunal souligne alors que l'article L. 336-2 vise "toute personne susceptible de contribuer" à remédier aux atteintes aux droits en cause, ce qui répond à la finalité, affirmée par la Directive, de mise en oeuvre de mesures efficaces pour assurer la protection des droits d'auteur et des droits voisins. Le législateur français a donc profité de la possibilité, ouverte par la Directive, de fixer les conditions et modalités d'application de la procédure prévue par l'article 8.3 de ce texte. En effet, cet article prévoit seulement que "les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin". Nulle contradiction n'apparaît donc entre le texte français et celui de la directive. Dès lors, rien n'interdit d'appliquer le texte aux moteurs de recherches qui peuvent effectivement être considérés comme des intermédiaires entre les internautes et les sites vers lesquelles ils proposent des liens. Il faut dire que le suspens n'était pas très intense dans la mesure où la Cour de cassation a déjà admis l'application de l'article L. 336-2 du Code de propriété intellectuelle à un moteur de recherche qui, grâce à la suggestion de mots clés, orientait les internautes vers des sites diffusant des contrefaçons (10).
En l'espèce, la mesure à mettre en oeuvre ne fait aucun doute : il s'agit de déréférencer les sites litigieux, opération qui a d'ailleurs déjà été réalisée, en cours de procédure, par certains moteurs de recherche à la suite des actions engagées sur le territoire américain en application du Digital Millenium Copyright Act. Ces mesures doivent donc permettre d'"empêcher sur leurs services l'apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l'une des pages des sites [litigieux] en réponse à toute requête émanant d'internautes dans les départements français et collectivités uniques". Elles doivent être mise en place dans les quinze jours suivant l'assignation du jugement et cela pendant une durée limitée à douze mois "afin de concentrer l'effet des mesures à ce qui est strictement nécessaire à la préservation des droits en cause et afin d'éviter qu'elles ne deviennent obsolètes".
Les FAI devant bloquer l'accès à ces sites, on peut s'interroger sur la nécessité d'imposer, en supplément, leur déréférencement. Le tribunal semble considérer que les mesures sont complémentaires et que leur combinaison permettra d'assurer un meilleur respect du droit d'auteur. Des décisions comme celles-ci illustrent l'intérêt de cette action en cessation offerte par l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, action qui pourrait devenir une arme très efficace dans la lutte contre la contrefaçon sur les réseaux numériques.
(1) V. déjà, admettant la qualité à agir du SNEP, Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.358, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7513IQC), Légipresse, 2012, n° 298, p. 560, note C. Alleaume ; LPA, 2013, n° 21, p. 17, obs. X. Daverat.
(2) V. par ex., Cass. crim., 4 novembre 2008, n° 08-81.955, F-D (N° Lexbase : A5412EB3), Comm. com. électr., 2009, comm. 11, Ch. Caron ; RIDA, janvier 2009, n° 219, p. 203, obs. P. Sirinelli.
(3) P. Boiron, M.-M. Deldicque, S. Cadiot, Pratique contentieuse, Mise en oeuvre de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle pour prévenir la contrefaçon d'oeuvres audiovisuelles sur internet, Comm. com. électr., 2013, étude 9.
(4) Cons. const., décision n° 2009-580 DC, du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (N° Lexbase : A0503EIH), art. 3.
(5) 37ème considérant.
(6) CJUE, 24 novembre 2011, C-70/10 (N° Lexbase : A9797HZU), JCP éd. G, 2012, 978, n° 11, obs. Ch. Caron ; Comm. com. électr., 2012, comm. 63, A. Debet ; RIDA, 1/2012, p. 327 et 271 obs. P. Sirinelli ; Propr. intell., 2012, p. 47, obs. V.-L. Bénabou ; CJUE 16 février 2012, C-360/10 (N° Lexbase : A5815ICD), D., 2012, p. 549, obs. C. Manara, JCP éd. G. 2012, 978, n° 11, obs. Ch. Caron. Sur ces deux arrêts lire, C. Zolynski, Le filtrage ne doit pas être disproportionné, Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1586BTW).
(7) CJUE 24 novembre 2011, C-70/10, préc. et CJUE 16 février 2012, C-360/10, préc..
(8) Rapport, Acte II de l'exception culturelle, mai 2013, p. 396.
(9) Rapport Acte II de l'exception culturelle, préc., proposition n° 61.
(10) Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, préc. note 1, JCP éd. G, 2012, act. 888 ; D., 2012, act. 1880, obs. C. Manara ; Legipresse, 2012, préc..
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