Le Quotidien du 10 avril 2025

Le Quotidien

Actualité

[Veille] L'actualité mensuelle du droit public (mars 2025)

Lecture: 11 min

N2033B3P

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/117819730-edition-du-10042025#article-492033
Copier

par Yann Le Foll

Le 14 Avril 2025

La revue Lexbase Public vous propose de retrouver une sélection des décisions (I) qui ont fait l’actualité du mois de mars 2025, ainsi que l'essentiel de l'actualité normative (II).

I. Actualité jurisprudentielle

♦ Collectivités territoriales

Cass. civ. 3, 27 mars 2025, n° 23-17.940, FS-B N° Lexbase : A42300CN : doivent être incorporés au domaine privé d’une commune les biens qui font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté.

À ce sujet : lire R. Victor, Les effets dans le temps de la délibération du conseil municipal autorisant le maire à appréhender un immeuble sans maître au nom de la commune, Lexbase Public, 2024, n° 746 N° Lexbase : N9381BZH.

CE, 9°-10° ch. réunies, 26 mars 2025, n° 499924, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A50480CX : un compte ouvert sur un réseau social par une personne physique, diffusant un contenu sélectionné par cette personne sous sa responsabilité, ne peut, même si cette personne est investie d'un mandat local et que le compte fait apparaître sur le réseau social que son titulaire a la qualité d'élu local ou qu'il exerce un mandat exécutif au sein d'une collectivité territoriale, être considéré comme participant de la mission de service public de l'information locale assurée par cette collectivité.

♦ Contrats administratifs

CE, 2°-7° ch. réunies, 17 mars 2025, n° 492664, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A617267Q : le juge du fond apprécie souverainement si la durée d’un contrat de délégation de service public (DSP) excède la durée normale d’amortissement de l’ensemble des investissements mis à la charge du délégataire. 

♦ Domaine public

CE, 8° ch., 10 mars 2025, n° 490096, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A616267D : le transfert des voies privées dans le domaine public communal prévu par les dispositions de l'article L. 318-3 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9954LMM est subordonné à l'ouverture de ces voies à la circulation publique, laquelle traduit la volonté de leurs propriétaires d'accepter l'usage public de leur bien et de renoncer à son usage purement privé.

À ce sujet. Lire R. Victor, Le champ d'application du transfert d'office sans indemnité des voies privées ouvertes à la circulation publique dans le domaine public de la commune, Lexbase Public, 2016 N° Lexbase : N4431BWZ.

♦ Droit des étrangers

CE, 9°-10° ch. réunies, 26 mars 2025, n° 488274, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A50460CU : est irrégulière la convocation du demandeur d’asile par voie électronique faut d’avoir été précédée d’un entretien personnel, sauf si celui-ci ne peut faire utilement état de l'incapacité d'utiliser son espace numérique.

À ce sujet. Lire D. Burriez, Chronique de droit des étrangers (Décembre 2024 à mars 2025), Lexbase Public n° 772, 2025 N° Lexbase : N2006B3P.

CE, 2°-7° ch. réunies, 6 mars 2025, n° 497929, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A500163M : renvoi au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 523-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L4079MLN (assignation à résidence).

♦ Expropriation

Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427, FS-B N° Lexbase : A4423639 : en cas d'expropriation partielle, la qualification, à la date de référence, des terrains expropriés et leur éventuelle situation privilégiée s'apprécient, à cette même date, au regard de l'entière parcelle dont l'emprise a été détachée, et non en fonction de la seule emprise, qui résulte de l'expropriation.

À ce sujet. Lire G. Le Ny, Méthode d’identification d’un terrain en situation privilégiée en cas d’expropriation partielle, Le Quotidien, mars 2025 N° Lexbase : N1861B3C.

♦ Fonction publique

CE, 3°-8° ch. réunies, 21 mars 2025, n° 470052  mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39180BQ : la seule circonstance que l'autorité administrative n'a pas mis en oeuvre tout ou partie des propositions d'aménagements de poste de travail ne constitue pas un motif raisonnable de penser que l'agent serait confronté un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé qui justifierait son retrait.

À ce sujet. Lire Le droit de retrait dans la fonction publique : une mise en application concrète semée d'embûches - Questions à Marc Lecacheux, avocat au barreau de Paris, Lexbase Public n° 186, 2011 N° Lexbase : N1697BRB.

CE, 3°-8° ch. réunies, 21 mars 2025, n° 488366  mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39220BU : la méconnaissance par un agent contractuel de l'obligation de non-cumul d'activité posée par les dispositions de l'article 25 septies de la loi du 13 janvier 1983 doit être prise en compte pour apprécier l'aptitude de l'intéressé à exercer les fonctions d'attaché territorial.

CE, 2°-7° ch. réunies, 6 mars 2025, n° 493924, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A499463D : l'entretien professionnel est conduit par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire en fonction à la date de l'entretien.

À ce sujet : lire L. Péquignot, L’exercice normal du pouvoir hiérarchique ne constitue pas un accident de service du fonctionnaire, Lexbase Public n° 647, 2021 N° Lexbase : N9572BY8.

CE, 2°-7° ch. réunies, 6 mars 2025, n° 492596, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A500063L : lorsqu'un agent a obtenu, avant la survenance de la limite d'âge, l'autorisation de prolonger son activité au-delà de celle-ci, l'administration peut, sous réserve de l'intérêt du service et de son aptitude physique, lui accorder, y compris après la limite d'âge, d'autres autorisations successives de prolongation d'activité, dans la limite globale de dix trimestres, dès lors que chacune de ses demandes intervient, dans les délais prévus par les textes applicables, avant la rupture du lien de l'agent avec le service sans avoir pour effet de le maintenir en activité au-delà de la durée des services nécessaire à l'obtention du pourcentage maximum de la pension.

♦ Marchés publics

CE, 2°-7° ch. réunies, 17 mars 2025, n° 491682 mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A616967M : lorsque le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, il a droit au paiement de ces travaux.

CE, 2°-7° ch. réunies, 13 mars 2025, n° 498701,  mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A701164G : le maître d'ouvrage n'a pas à respecter le délai de suspension prévu à l'article R. 2182-1 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3581LR3 avant de signer un marché de maîtrise d'œuvre conclu avec l'un des lauréats d'un concours restreint, quel que soit le montant du besoin auquel il répond.

♦ Procédure administrative

CE, 3°-8° ch.-réunies, 21 mars 2025, n° 469818, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39200BS : est recevable la tierce-opposition formée contre une décision rejetant une demande au motif que la juridiction judiciaire est seule compétente pour en connaître.

♦ Urbanisme

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-12.787, FS-B N° Lexbase : A42270CK : le juge des référés, pour faire cesser un trouble manifestement illicite résultant de la violation d'une règle d'urbanisme, peut autoriser la commune, à défaut d'exécution par le bénéficiaire des travaux dans le délai prescrit, à y procéder d'office aux frais de l'intéressé. 

Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-11.527, FS-B N° Lexbase : A530368W : une commune peut saisir concomitamment juge judiciaire et juge des référés pour obtenir la remise en état d’un terrain.

À ce sujet. Lire A. Le Gall, Le point sur les infractions en matière d’urbanisme : le versant administratif, Lexbase Public n° 559, 2019 N° Lexbase : N0678BYR.

Cass. avis, 20 mars 2025, n° 25-70.001, FS-B N° Lexbase : A530568Y : le droit de délaissement prévu par l'article L. 311-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9927LMM ne s'applique pas à une partie d'un bien organisé en volumes.

CE, 5°-6° ch. réunies, 20 mars 2025, n° 487711, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A10270BN : un « secteur déjà urbanisé » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9980LML, est susceptible d’être défini par un SCOT et délimité par un PLU, quand bien même ils auraient été adoptés antérieurement à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L6325MS3.

CE, 10° ch., 12 mars 2025, n° 499700, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A635064X : les dispositions de l'article L. 442-11 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9401IZ9, en tant qu'elles permettent à l'autorité administrative de modifier les clauses d'un cahier des charges non approuvé, quel que soit l'objet ou la nature des stipulations qu'elles contiennent, sans l'accord des colotis parties à ce contrat, soulève une question présentant un caractère sérieux, ce qui justifie le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

CE, 10° ch., 12 mars 2025, n° 470579, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A634564R : en appréciant l'intérêt à agir des requérants contre le permis du 2 juillet 2020 au regard du projet de construction dans son ensemble, et non au regard des seules modifications apportées par ce permis modificatif au projet autorisé par le permis initial du 2 juillet 2018, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d'erreur de droit.

CE, 5° ch., 10 mars 2025, n° 472387, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6157678 : pour justifier l'affichage d’un permis de construire, de simples photographies du panneau d'affichage sont insuffisantes.

À ce sujet. Lire A. Le Gall, Le point sur l’affichage des autorisations d’urbanisme, Lexbase Public n° 537, 2019 N° Lexbase : N8092BXY.

CE, 5° ch., 10 mars 2025, n° 498706, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A615967A : l'intérêt pour agir contre un permis de construire pour reconstruction s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, même si à cette date la construction précédemment édifiée est entièrement détruite.

À ce sujet. Lire F. Michel, De la bonne date de l'appréciation de l’intérêt à agir contre un permis de construire, Lexbase Public n° 680, 2022 N° Lexbase : N2817BZD.

CE, 9°-10° ch. réunies, 7 mars 2025, n° 497329, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6635637 : il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 600-5-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9805LM4 que le juge de cassation, saisi d'un pourvoi dirigé contre un arrêt ou un jugement relatif au permis de construire initialement délivré, soit compétent pour statuer en premier et dernier ressort sur la légalité d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation communiqués aux parties.

CE, 1°-4° ch. réunies, 7 mars 2025, n° 495227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A664163D : le notaire du vendeur du bien objet de la préemption doit être regardé comme ayant reçu mandat dès la signature de la déclaration d'intention d'aliéner.

v. Infographie, Vente d'un bien ayant fait l'objet d'un droit de préemption N° Lexbase : X5604ATQ.

CE, 1°-4° ch. réunies, 7 mars 2025, n° 490933, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A662263N : le vendeur d'un bien immobilier, en fût-il propriétaire en indivision, a un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision de préemption de ce bien.

v. Infographie, Le contentieux de la préemption N° Lexbase : X5554CNZ.

II. Actualité normative

♦ Expropriation

Décret n° 2025-228 du 10 mars 2025, relatif aux modalités d'affichage et de notification de l'arrêté mentionné à l'article L. 523-3 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et à l'établissement de l'état des lieux et de leur occupation N° Lexbase : L8623M8U : précision des modalités d'affichage et de notification de l'arrêté préfectoral permettant l'accès à un immeuble des agents du maître de l'ouvrage, dans le cadre de la procédure de prise de possession anticipée prévue en matière d'expropriation pour la réalisation des opérations de requalification de copropriétés dégradées.

♦ Urbanisme

Décret n° 2025-242 du 17 mars 2025, relatif aux établissements publics fonciers de l'Etat, aux établissements publics d'aménagement et aux établissements publics fonciers et d'aménagement de l'Etat N° Lexbase : L9429M8Q : actualisation des dispositions applicables aux établissements publics fonciers de l'Etat (EPF), aux établissements publics d'aménagement de l'Etat (EPA) et aux établissements publics fonciers et d'aménagement de l'Etat (EPFA) au regard de dispositions législatives, pour lesquelles les mesures réglementaires n'avaient pas été prises.

newsid:492033

Actualité judiciaire

[Point de vue...] Imagine-t-on le Général... Libres propos sur l'exécution provisoire d'un jugement pénal

Lecture: 15 min

N2061B3Q

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/117819730-edition-du-10042025#article-492061
Copier

par Raphaël Naccach, WAN AVOCATS - Paris

Le 10 Avril 2025

Mots clés : assistants parlementaires • détournements de fonds publics • probité des élus • exécution provisoire • inéligibilité


 

L’auteur de ce billet est conscient qu’en prenant la plume pour s’exprimer sur le jugement rendu le 31 mars 2025, ce jour funeste comme la principale intéressée l’a défini avec des accents de tragédienne pour convaincre de son malheur les auditeurs du journal de 20h sur TF1 [1], il prend le risque d’ajouter au tumulte ambiant une parole vouée à rester inaudible. Plus encore si Marine Le Pen a « demandé » en direct et obtenu le lendemain que la justice « se hâte » de sorte qu’un calendrier de procédure accéléré devrait permettre qu’un arrêt d’appel voire de cassation fût rendu avant la prochaine élection présidentielle l’autorisant, en cas de succès judiciaire, à y concourir. Reconnaissons-lui donc immédiatement ce mérite : elle a fait beaucoup de bruit mais pas pour rien. Alors, à quoi bon ? Parce qu’on risque de percevoir longtemps encore l’écho de ce tapage à la faveur notamment d’appels indécents à des manifestations de rue, l’auteur se jette néanmoins dans la mêlée car l’intérêt général oblige à se préoccuper de celui de Marine Le Pen, surtout si, au-delà, des « millions de français vont être privés de la candidate donnée comme favorite » et leur « voix être éliminées » à cause d’une peine d’inéligibilité rendue exécutoire par provision.

Or ce n’est pas le tribunal qui a fait d’un procès pénal un procès politique comme on l’entend en boucle mais, à rebours d’un tel discours, les prévenus qui avaient mis au centre de leur système de défense [2] les possibles répercussions électorales que pourrait avoir l’application de la loi pénale pour convaincre de ne pas l’appliquer [3].  Seul l’avocat de Marine Le Pen avait ainsi estimé que « la seule récidive, ce serait qu’elle concoure à la présidentielle » et alors « propos(é) qu’on laisse le peuple souverain s’en charger, pas la justice [4]». L’option tactique s’étant avérée une impasse judiciaire, les prévenus sont restés Gros-jean comme devant. La décision commentée n’est pas politique mais sa critique, par ceux qui la subissent et ceux qu’elle trouble à l’instar du Premier ministre, est, à des degrés divers, populiste. Cette critique actionne le sempiternel levier consistant à opposer les juges au peuple, oubliant trop facilement que les premiers rendent leur décision au nom du second [5]. La légitimité populaire de leur décision n’est pas le fruit hasardeux d’un succès électoral temporaire mais l’effet d’un principe permanent qui dépasse leur personne. En plaçant donc cette tribune sous l’ombre tutélaire du fondateur de la Vème République, il s’agit de défendre une certaine idée de la justice quand celle de la France, de Moscou à Washington, est éhontément dénigrée.

Dans la polémique qui fait rage, l’approximation est la règle, l’exactitude pour ne pas parler de vérité, l’exception. Chacun y va de sa formule assassine tirée d’un fouillis d’éléments de langage convenus, prémâchés et répétés à l’envi, sans prendre le temps de lire ni encore moins de comprendre ce que les juges parisiens ont décidé. C’en est d’autant plus désespérant pour la qualité du débat public que, dans la forme, la décision au cœur de la querelle est d’excellente facture, qu’il s’agisse de sa construction ou de sa rédaction et dont la motivation fait ressortir un effort pédagogique constant tout au long des 121 pages où elle est exposée. Témoignent de ce débordement les tirades enflammées contre la loi « Sapin II » (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : L6340MSM) qui, pour toute une série de délits, a en effet rendu obligatoire la peine d’inéligibilité, laquelle n’en reste pas moins une peine complémentaire selon l’article 432-17 du Code pénal N° Lexbase : L7405LGD. Ils sont nombreux déjà à avoir annoncé une nouvelle loi. Rien hélas de très classique de la part d’élus à qui la gesticulation sert trop souvent de réflexion. Même les opposants politiques se fourvoient sur le contenu de la décision quand ils veulent donner le sentiment de l’approuver. Eric Coquerel, un des leaders LFI au parlement, est de ceux-là qui, en se référant implicitement à l’article 131-26-2 du Code pénal mais en confondant le débat sur la peine avec celui sur son exécution provisoire, a déclaré que « la juge n’a fait qu’appliquer la loi » [6]. S’il avait pris le temps de lire avant de parler il aurait su que le tribunal parisien a écarté la loi « Sapin II » car postérieure aux faits poursuivis [7]. Ce n’est pas par obligation que des peines d’inéligibilité ont été prononcées mais par « nécessité… au regard de la gravité des faits et de la personnalité de chaque personne condamnée » [8].

Comme l’a déploré Marine Le Pen, les juges ont néanmoins pu donner l’impression désagréable de puiser dans la loi nouvelle des motifs de condamnation et ainsi appliquer rétroactivement une loi pénale plus sévère. Une lecture attentive de la décision montre qu’il n’en fut rien. Car d’abord c’est moins à la loi nouvelle qu’ils se sont référés qu’à la réflexion de l’ancien Procureur Général, Jean-Louis Nadal, qui l’avait inspirée telle qu’elle figure dans un rapport de 2015 [9]. Il n’a ensuite pas été question d’appliquer la loi nouvelle mais, à travers les préoccupations qui la justifiaient, de saisir au plus près la « volonté du législateur », boussole traditionnelle dans tout débat judiciaire, utilisée autant par les juges que par les parties et grâce à laquelle on soupèse la loi ancienne au regard de ce qu’elle est devenue, parfois en disparaissant purement et simplement. Si à cet égard la Cour de cassation rappelle constamment que nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée, c’est parce qu’en dépit du risque d’insécurité juridique, la jurisprudence a vocation à évoluer et que son évolution peut correspondre à une mutation de l’environnement législatif tant qu’on respecte la non-rétroactivité de la loi pénale. Il est faux donc de suggérer que le 31 mars 2025 les juges parisiens auraient méconnu ce principe sacro-saint. Quelque sévère qu’on trouve leur décision, ils n’ont pas excédé leur pouvoir en considérant que « le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre de leurs auteurs, facultative à l’époque des faits, apparaît nécessaire…(et) répond de façon particulièrement adaptée à la double fonction punitive et dissuasive prévue par la loi ».

En son temps, et mal lui en prit, François Fillon, certainement le mieux placé aujourd’hui pour compatir au désarroi de l’élève Le Pen, avait interpellé le pays en lui demandant, ironiquement, d’imaginer le Général de Gaulle mis en examen. Or il faut au pays faire maintenant un effort d’imagination encore plus extrême en l’envisageant condamné à 4 ans de prison dont 2 fermes, le Général eût-il été autorisé à les passer à Colombey-les-deux-Eglises. Marine Le Pen n’a en effet pas tiré les enseignements du fiasco communicationnel de François Fillon en demandant, sur le plateau de TF1, d’« imaginer » de quelle « légitimité » pourra se réclamer le prochain chef de l’État alors qu’innocentée après l’élection de 2027, elle aura été empêchée d’y concourir à cause d’un jugement exécutoire par provision. « Un vrai sujet » a-t-elle ajouté alors qu’ainsi elle considère les choses par le mauvais bout [10]. Car ce n’est pas de la légitimité du successeur d’Emmanuel Macron, peu important son identité, dont il faut se soucier mais de celle de Marine Le Pen si, élue, la Cour d’appel de Paris confirmait, au moins sur le fond, sa culpabilité. Plus encore si, la condamnation étant réputée confirmée en appel avant l’élection, elle a répondu qu’elle maintiendrait sa candidature « plus que jamais », tenant ainsi pour acquis que les Français se compteraient encore par millions pour vouloir comme cheffe d’État une élue condamnée pour détournement de fonds publics !

L’arrogance de la posture et le mépris de la fonction présidentielle qui s’y attache forment une grille d’analyse utile pour comprendre le choix du tribunal, mûrement réfléchi sur quelques 10 pages, d’assortir la peine d'inéligibilité de l’exécution provisoire (Marine Le Pen) ou pas (Louis Aliot [11]).

Cela au bénéfice d’un double rappel de droit.

Le premier est que, selon une jurisprudence bien établie, la raison principale justifiant l’exécution provisoire d’une peine est « l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine ».

Le tribunal a ainsi mis en relief « la convergence de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel …sur la conciliation…des droits de la défense, c’est-à-dire du droit au recours effectif … avec l’impératif de bonne administration de la justice (et) l’objectif d’intérêt général de rendre exécutoire une peine par provision, et du caractère proportionné de cette conciliation [12]».

Le second est le statut juridique exorbitant conféré par l’article 67 de la Constitution N° Lexbase : L1333A9A au Président de la République prévoyant qu’« il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction … faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite… » et que « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions ».

Or, si le tribunal ne s’est pas spécifiquement prévalu du statut hors norme du Président de la République, il a rappelé que « l’égalité devant la loi est l’un des piliers de la démocratie … (et) les élus ne bénéficient d’aucune immunité » pour conclure que « la proposition de la défense de laisser le peuple souverain décider d’une hypothétique sanction dans les urnes revient à revendiquer un privilège ou une immunité qui découlerait du statut d’élu ou de candidat, en violation du principe d’égalité devant la loi » [13]. Imaginons donc, suivant le vœu de Marine Le Pen, qu’elle soit élue pour 5 ans et, pourquoi pas, réélue pour un second mandat. Que deviendrait alors l’objectif d’intérêt général d’assurer à la peine sa pleine efficacité si la constitution y fait obstacle en permettant d’en remettre l’exécution aux calendes quand il est question de juger des faits dont les premiers se sont déroulés en 2004 ?

Aussi Marine Le Pen a raison et tort à la fois.

Raison d’affirmer que le jugement vise à l’empêcher de devenir présidente de la République, elle et non pas n’importe quel autre représentant du RN pour peu qu’il ne fasse pas partie de la cohorte de ceux qui ont été condamnés avec elle à l’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire [14].

Tort de clamer urbi et orbi qu’elle serait ainsi victime d’une décision politique alors que celle-ci est au contraire justifiée en droit selon un équilibre subtil et proportionné entre la nécessité jurisprudentielle d’assurer une effectivité à la peine pénale, règle qui ne doit rien à son affaire et l’interdit constitutionnel d’en préserver le président de la République, règle qui ne lui doit rien non plus.

Marine Le Pen a le droit de qualifier la décision qui la déclare inéligible de « bombe nucléaire ». Elle n’a pas celui d’envisager le palais élyséen comme un abri antiatomique pour l’en prémunir dès lors que sa prétention à concourir à l’élection, plus que jamais, répond au souci de trouver dans le statut présidentiel l’immunité que lui refuse le statut de simple élue. En évoquant l’égalité devant la loi pour justifier l’exécution provisoire, le tribunal a seulement pris en compte l’intérêt général de la traiter comme n’importe quel Français au lieu de lui assurer la possibilité d’un statut qui romprait cette égalité.

Des commentateurs ont cependant considéré que « le tribunal correctionnel de Paris » s’était ainsi « placé dans une position intenable : celle d’arbitre de la compétition électorale [15] » pour avoir méconnu « la réserve d’interprétation » promue par le Conseil constitutionnel le 28 mars 2025 suivant laquelle «  sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1370A9M, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que (l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur [16] ». Car, selon eux, cette « réserve d’interprétation s’applique non seulement aux mandats en cours, mais encore aux élections futures ». Dont acte. En réputant que les juges parisiens ont influencé la future élection présidentielle, ils n’ont pas moins accompli ce qu’il leur revient à eux seuls de faire, soit arbitrer non pas une élection mais le conflit entre la défense du principe d’égalité devant la loi et la préservation de la liberté de l’électeur. Ils ne sont pas allés à l’encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisqu’au contraire ils ont apprécié qu’au cas de Marine Le Pen, eu égard à son rôle central dans le système de détournement et à sa situation, l’intérêt général commandait l’exécution provisoire alors que les faits reprochés à Louis Aliot et sa situation justifiaient de ne pas l’ordonner. Ils n’ont pas ignoré le principe de proportionnalité qu’ils ont ainsi mis en œuvre lequel implique qu’en certaines circonstances le droit d’éligibilité puisse être suspendu avec effet immédiat. Chacun peut estimer que l’exécution provisoire ne s’imposait pas mais pas qu’en la prononçant les juges se seraient affranchis du respect de la loi et seraient sortis de leur mission qui consiste à l’appliquer. La colère orchestrée et mise en scène d’électeurs partisans n’y change rien. La liberté de l’électeur ne commence-t-elle pas au reste par l’affirmation que sa voix n’est captive de personne, ni après qu’elle s’est portée sur un nom ou un parti dans le secret de l’isoloir ni avant des élections qui n’ont pas eu lieu ?

Pour conclure, s’il faut donner raison aux juges parisiens d’avoir jugé comme ils l’ont fait, personne n’y réussit mieux que le RN et ses innombrables porte-voix qui dénoncent une « décision politique » pour les plus sobres, la « fin de l’État de droit » pour les plus savants ou la « dictature des juges » pour les plus enragés afin de mieux défendre la candidature de celle qui voudrait ensuite, selon l’article 64 de la Constitution, être « le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » C’est parce qu’ils ne voient pas l’incompatibilité rédhibitoire entre leurs protestations et son ambition, ou feignent de l’ignorer, que leur appel au peuple contre les juges est la seule menace pour la démocratie, même si elle n’a pas dépassé à ce jour le stade de vociférations et récriminations mal venues. Si Marine Le Pen a éprouvé la piqûre douloureuse que peut valoir une déception judiciaire, elle se grandirait en appelant ses troupes et ses affidés à plus de mesure et en leur rappelant qu’il est bon, pour une démocratie, que les juges aient le dernier mot parce qu’ils sont indépendants et impartiaux. Pour paraphraser le philosophe, elle gagnerait alors le droit de devenir ce qu’elle pense être déjà : Présidente de la République.

 

[1] Marine Le Pen condamnée à l'inéligibilité immédiate : « Une décision politique », dénonce-t-elle sur TF1.

[2] Comme il y a eu, selon le jugement, un système de détournement de fonds publics.

[3] « Cette peine d’inéligibilité, qu’elle soit obligatoire avec possibilité de réserve ou facultative, constitue, en cas de violation de la loi pénale, une limite prévue par le législateur au pouvoir d’élection du peuple, qui se voit, comme soulevé à juste titre par la défense, restreint dans le choix de son représentant, Jugement, p. 36.

[4] Jugement, p. 37.

[5] Ne se laissant pas impressionner par l’image du nombre qu’on agitait déjà devant lui, le tribunal n’a pas manqué de souligner : « la question d’assortir ou non les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire se pose donc de façon singulière dans une décision pénale rendue au nom du peuple français, c’est-à-dire au nom des citoyens français dans leur ensemble et non d’une partie des électeurs », Jugement, p.37.

[6] Le député Eric Coquerel réagit à la condamnation de Marine Le Pen, AFP Extrait, Youtube.

[7] Jugement, p. 34, in Une peine d’inéligibilité non obligatoire compte tenu de la période des faits déterminée à l’issue des relaxes partielles prononcées.

[8] Jugement, p. 36

[9] Jugement, pp. 35 et 36.

[10] On passe sur le fait que cette sorte de prophétie interrogative pourrait lui revenir à la face comme un boomerang si l’élu de 2027 est issu de son camp.

[11] Exception notable qui a manifestement échappé à tous les contempteurs de la décision, lesquels ont ainsi fait d’un dossier concernant 24 prévenus une affaire centrée exclusivement sur Marine Le Pen, tout le monde, même au RN, semblant se désintéresser du sort des autres rouages du système délictueux.  

[12] Jugement, p. 39.

[13] Jugement, p. 38.

[14] L’inéligibilité « a néanmoins particulièrement vocation à être prononcée à l’encontre d’élus déclarés coupables d’atteintes à la probité et ne porte pas atteinte à la séparation des pouvoirs. A contrario, au regard du principe de nécessité des peines, il ne serait pas ou moins justifié de prononcer une telle peine complémentaire à l’encontre de personnes qui n’ont pas de mandat ou n’en briguent pas », Jugement, p.36.

[15] J.-P. Camby et J.-E. Schoettl in Réflexions sur une réserve d’interprétation méconnue, une proportionnalité ignorée et des électeurs en colère, Le Quotidien du 2 avril 2025, Lexbase N° Lexbase : N2003B3L.

[16] Cons. const., décision n° 2025-1129 QPC, du 28 mars 2025 N° Lexbase : A50490CY.

newsid:492061

Construction

[Dépêches] De l'appréciation des conditions de la présomption de réception tacite

Réf. : Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-20.475, F-D N° Lexbase : A70170BI

Lecture: 4 min

N2074B39

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/117819730-edition-du-10042025#article-492074
Copier

par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 09 Avril 2025

La réception tacite peut être prononcée même si l’ouvrage est inachevé.
Mais il reste requis la démonstration de la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage.

Il serait, sans doute, temps d’intervenir pour mettre un terme à cette création prétorienne qui est la réception tacite. La multiplicité des contentieux, jusqu’en cassation, est bien la preuve de l’inefficacité du régime mis en place, sans même évoquer l’absence de sécurité juridique consécutive. Devoir aller jusqu’en cassation pour savoir si un ouvrage est réceptionné n’est pas satisfaisant. C’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur a souhaité y mettre un terme. L’article 1792-6 du Code civil N° Lexbase : L1926ABX ne prévoit pas la réception tacite. Seules les réceptions expresses et judiciaires sont possibles. La jurisprudence, tant administrative que judiciaire, a toutefois résisté.

Le régime de la réception tacite est trop compliqué. Doit être caractérisée la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Si cette volonté est caractérisée, il y a réception tacite mais si, au contraire, est caractérisée la volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, il n’y a pas de réception tacite possible. L’approche paraît simple mais cela est loin d’être le cas, même depuis l’instauration de la présomption de réception tacite.

Sont ainsi insuffisants, pris isolément, à caractériser une réception tacite, la prise de possession des lieux (Cass. civ. 1, 4 octobre 2000, n° 97-20990, publié au bulletin N° Lexbase : A7732AHT), le paiement du prix (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-17014, publié au bulletin N° Lexbase : A5487AC9), la signature d’une déclaration d’achèvement des travaux et d’un certificat de conformité (Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-21.431, inédit au bulletin N° Lexbase : A4667CRB), des difficultés financières (CA Metz, 12 mars 2003), l’achèvement de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 25 janvier 2011, n° 10-30.617, F-D N° Lexbase : A8600GQL), la succession d’une entreprise à une autre (Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-17.129, FS-P+B N° Lexbase : A0851RQL), le paiement du solde dû à l’entreprise (Cass. civ. 3, 22 juin 1994, n° 90-11.774 N° Lexbase : A6284ABD), surtout lorsque des réserves importantes sont émises par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3, 10 juillet 1991, n° 89-21825, publié au bulletin N° Lexbase : A2841ABT).

Mais, a contrario, si le maître d’ouvrage manifeste, au contraire, sa volonté non équivoque de ne pas recevoir les travaux, cela fait obstacle à toute caractérisation de la réception tacite. La solution, posée par un arrêt de ce 13 juillet 2016 (Cass. civ. 3, 13 juillet 2016, n° 15-17.208, FS-P+B+R N° Lexbase : A2071RXY).

Et l’affaire peut encore se compliquer lorsque l’on sait que la réception n’implique pas l’achèvement des travaux. Autrement dit, il est possible de réceptionner un chantier abandonné. La présente décision est l’occasion de le rappeler.

Un maître d’ouvrage confie à une entreprise des travaux de construction de logements. Il confie la construction d’une piscine à une autre entreprise. Des travaux ont été facturés et payés. Se plaignant de malfaçons, le maître d’ouvrage assigne les constructeurs et leurs assureurs.

La cour d’appel de Bourges, dans un arrêt du 8 juin 2023 (CA Bourges, 8 juin 2023, n° 22/00476 N° Lexbase : A68039ZY), rejette les demandes de réception judiciaire et tacite. Le maître d’ouvrage forme un pourvoi qui entraîne la cassation de l’arrêt. Pour écarter l’existence d’une présomption de réception tacite des ouvrages, l’arrêt énonce qu’une telle réception est conditionnée par l’existence d’une volonté non équivoque de la part du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage et que cette preuve n’était pas rapportée.

La Haute juridiction estime que les juges du fond auraient dû rechercher si la prise de possession des ouvrages et le paiement du montant des travaux réalisés ne laissaient pas présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage en l’état.

newsid:492074

Environnement

[Questions à...] Algues vertes, pourquoi une lutte insuffisante ? Questions à Andréa Rigal-Casta, cabinet Géo Avocats

Réf. : TA Rennes, 13 mars 2025, n° 2204983 N° Lexbase : A77130AW et n° 2204984 N° Lexbase : A30069WA

Lecture: 9 min

N2005B3N

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/117819730-edition-du-10042025#article-492005
Copier

Le 02 Avril 2025

Mots clés : environnement • algues vertes • agriculture • pollution • produits azotés

Saisi de deux recours déposés par l’association Eau & Rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes a reconnu dans deux jugements rendus le 13 mars 2025 que les mesures mises en œuvre par le préfet de la région Bretagne sont insuffisantes pour lutter contre les échouages d’algues vertes sur le littoral breton. Pour faire le point sur ce feuilleton qui se déroule depuis des années entre agriculteurs (notamment) et associations environnementales, Lexbase a interrogé Andréa Rigal-Casta du cabinet Géo Avocats dédié au droit de l’environnement*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les principales étapes judiciaires du feuilleton des « algues vertes » ?

Andréa Rigal-Casta : La prolifération des algues vertes est un phénomène observé en Bretagne dès les années 1970. En ce que l’eutrophisation – l’apport de composés azotés provoquant le développement accéléré d’espèces opportunistes – est intimement liée à l’intensité des épandages de nitrates et donc à la qualité des eaux, les affaires sur le sujet font appel à différents dispositifs juridiques.

L’État français a été condamné à trois reprises par la Cour de Justice de l’Union européenne en raison de ses manquements à la règlementation européenne relative à la présence de nitrates dans les eaux hexagonales. Les décisions ainsi rendues entre 2002 et 2014 ont pris acte de l’inertie des autorités dans l’identification des eaux affectées par l’eutrophisation et la mise en œuvre de mesures de nature à réduire les épandages à l’origine des fuites d’azote [1].

Les excès de nitrates n’ont pas épargné les eaux destinées à la consommation humaine et ont induit plusieurs autres condamnations de l’État français, prononcées entre 2001 et 2004 [2] pour celles qui concernent la Bretagne. Il sera noté que ces décisions reposent, en dernier lieu, sur la Directive (CE) 80/778 du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine N° Lexbase : L9431AUT, et ont été suivies par une baisse progressive des taux de nitrates mesurés, ce qui a été observé par la Commission européenne en 2010 [3].

Ces améliorations sont toutefois restées sans effet sur l’intensité des marées vertes. L’eutrophisation a donc perduré depuis lors, voire s’est intensifiée.

Plusieurs actions ont en conséquence été menées devant les juridictions administratives françaises en raison des dommages infligés par la persistance des marées vertes.

Par un arrêt du 1er décembre 2009, la cour administrative de Nantes a confirmé la condamnation de l’État français en raison de sa carence fautive dans la mise en œuvre des normes juridiques européennes et nationales venant encadrer les rejets de nitrates par l’agriculture [4]. Sa responsabilité a ainsi été reconnue dans l’apparition du préjudice moral subi par plusieurs associations de protection de l’environnement. Cette décision a été suivie par quatre autres arrêts de cette même cour administrative d’appel, rendus le 22 mars 2013, condamnant l’État à la réparation du préjudice financier infligé aux communes littorales bretonnes contraintes d’engager des frais de gestion des algues vertes [5].

Malgré le signal fort représenté par ces dernières décisions, les surfaces couvertes chaque année par les marées vertes n’ont montré aucun signe de décroissance.

Les juridictions administratives ont donc été saisies de nouveaux recours remettant en cause la suffisance des mesures administratives et règlementaires adoptées pour prétendre lutter contre l’eutrophisation.

Le tribunal administratif de Rennes a été amené à rendre plusieurs jugements à ce sujet depuis 2021. Le premier de ces jugements a condamné la préfecture de la région Bretagne le 4 juin 2021 à revoir les programmes de lutte contre les marées vertes en raison de conditions de mises en œuvre « insuffisamment précises » et définies « de manière excessivement restrictive » [6].

Faute d’exécution suffisante de ce jugement, le tribunal administratif rennais a prononcé par deux jugements du 18 juillet 2023 une nouvelle injonction au préfet régional, cette fois-ci immédiate, d’édicter des prescriptions auprès des agriculteurs afin de provoquer une réduction du phénomène d’eutrophisation [7]. Ces décisions ont également constaté les insuffisances et donc la nécessaire révision du 6ème Programme d’actions régional adopté entre temps.

En parallèle, ce même tribunal administratif a été saisi d’un recours en carence fautive à l’encontre du préfet des Côtes-d’Armor, en raison de la persistance des marées vertes dans son département et, notamment, de leur particulière intensité au sein de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc. Par un troisième jugement du 18 juillet 2023, l’inertie fautive du représentant de l’État a été constatée de nouveau [8]. Ce jugement a en outre et surtout reconnu pour la première fois le préjudice écologique généré par les marées vertes, dont la réparation implique impérativement à  réduire les flux azotés sous des seuils  « conformes aux préconisations scientifiques ».

Enfin, alors que les trois jugements précités ont fait l’objet d’un appel, deux jugements récents sont venus poursuivre la série des condamnations de l’État. À la suite de deux recours engagés afin de faire respectivement reconnaître une fois de plus l’insuffisance des actions administratives visant à réduire la teneur en nitrate des effluents agricoles, ce afin de lutter effectivement contre la prolifération des ulves et le préjudice écologique en résultant, le tribunal administratif de Rennes a confirmé sa jurisprudence en la matière. Ses deux jugements publiés le 13 mars 2025 ont en effet entériné, d’une part, l’impératif engagement d’un dispositif règlementaire efficace et, d’autre part, l’injonction faite au représentant de l’État d’adopter « toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique constaté et de prévenir l’aggravation des dommages en résultant, notamment en agissant pour maîtriser la fertilisation azotée, afin de limiter effectivement la concentration en nitrates des eaux bretonnes, et en se dotant d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées » [9].

Si le contentieux dit « des marées vertes » et d’ores et déjà fourni, plusieurs décisions sont toujours attendues, dont notamment celles de la cour administrative d’appel de Nantes au sujet des condamnations prononcées par le tribunal administratif de Rennes à l’été 2023. La saga continue…

Lexbase : Les autorités ont-elles suffisamment réagi selon vous ?

Andréa Rigal-Casta : La longue liste des décisions décrites précédemment montre la persévérance des autorités dans l’insuffisance. Les chiffres sont têtus et ceux relatifs aux surfaces couvertes annuellement par les algues vertes ne montrent aucun signe d’amélioration. Pire, les données recueillies par le Centre d’étude et de valorisation des algues (le CEVA) font état d’une régulière augmentation de l’intensité des marées vertes depuis 2013.

Plusieurs rapports officiels récents aboutissent à des positions convergentes, toutes dénonçant un échec persistant des politiques publiques. L’analyse conduite par la Commission des finances du Sénat publiée le 26 mai 2021 conclut en qualifiant les mesures prises jusqu’alors comme n’étant « pas à la hauteur des enjeux » [10]. Les travaux de la Cour des comptes relatifs à la période 2010-2019 ont au final qualifié la politique conduite par l’État comme ayant des « objectifs mal définis » et des « effets incertains sur la qualité des eaux » [11].  De même pour le Conseil général de l’environnement et du développement durable (le CGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, qui dans une contribution commune sur le sujet ont également dénoncé l’ineffectivité des dispositifs administratifs mis en œuvre, car définis « au détriment du raisonnement agronomique et des mécanismes [biologiques] en jeu » [12].

La cause de l’insuffisance observée par ces nombreux acteurs semble principalement résider dans le refus obstiné de prendre acte des données scientifiques sur le sujet. En témoigne le rapport d’étude final du programme PRETABAIE, dont l’objectif initial consiste à déterminer les conditions de faisabilité d’une transition agroécologique au sein des baies polluées par les algues vertes. Les participants à ce programme décrivent toutefois la lassitude des scientifiques mobilisés du fait de la « dissociation entre leur implication jugée incontournable pour appuyer l’action publique, et l’absence de traduction perceptible dans les orientations de politiques publiques, construites dans des arènes et selon des schémas de négociations dans lesquels les résultats scientifiques […] n’ont que peu de poids » [13].

Lexbase : Comment concilier environnement et préservation de l'activité agricole ?

Andréa Rigal-Casta : Il s’agit d’une question complexe, dont la réponse implique une prise de recul au sujet de la soutenabilité de l’activité agricole dans sa forme actuelle, notamment pour les agriculteurs eux-mêmes.

L’usage systématique de produits azotés, dont les surplus représentent le facteur entropique déclencheur d’une situation d’eutrophisation, est à remettre en cause. Des études récentes et d’ampleur identifient des mesures permettant de rationaliser le recours à ces substances sans compromettre la productivité des cultures [14]. Une modernisation de la production agricole est donc possible. Elle dépend de la capacité de l’État et des corps intermédiaires à être moteur de cette nécessaire transition. Les récentes attaques subies par l’Office français de la biodiversité en provenance de certains syndicats agricoles témoignent toutefois des efforts de communication à déployer pour parvenir [15].

Lexbase : Quels sont les enseignements des deux jugements du 13 mars 2025 ?

Andréa Rigal-Casta : Les deux jugements du 13 mars 2025 sont porteurs d’un double enseignement.

Ils révèlent tout d’abord l’incapacité maintenue de l’État de lever la carence constatée de longue date dans sa gestion des marées vertes et du préjudice écologique qui en résulte. Malgré l’enchaînement des versions des Programmes d’actions Nitrates ou autres Plans de lutte contre les algues vertes (PLAV), cette nouvelle condamnation est une nouvelle preuve de leur insuffisance devenue perpétuelle.

Le second apport de ces jugements tient à la qualification en tant que préjudice écologique des conséquences des marées vertes sur les écosystèmes à l’échelle de la Bretagne toute entière. Alors que la condamnation de l’État prononcée en juillet 2023, aujourd’hui en cours d’appel,  ouvrait cette porte en constatant un préjudice de ce type en Baie de Saint-Brieuc, la portée des décisions de mars 2025 démontre le caractère systémique, au niveau régional, des causes de l’eutrophisation, mais aussi de ses conséquences.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] Voir en cela : CJCE, 27 juin 2022, aff. C-258/00 ; CJUE, 13 juin 2013, aff. C-193/12 N° Lexbase : A4715KGQ ; CJUE, 4 septembre 2014, aff. C‑237/12 N° Lexbase : A9575MU8.

[2] Voir en cela : CJCE, 8 mars 2001, aff. C-266/99 N° Lexbase : A0240AWS  et CJCE, 28 octobre 2004, aff. C-505/03 N° Lexbase : A6622DDM.

[3] Communiqué de presse émis au sujet de la clôture de la procédure d’infraction n° IP/10/831, 24 juin 2010.

[4] CAA Nantes, 1er décembre 2009, n° 07NT03775 N° Lexbase : A9049EPT.

[5] CAA Nantes, 22 mars 2013, n° 12NT00342, n° 12NT00343, n° 12NT00344 et n° 12NT00345 N° Lexbase : A3305KBZ.

[6] TA Rennes, 4 juin 2021, n° 1806391 N° Lexbase : A30024UQ.

[7] TA Rennes, 18 juillet 2023, n° 2206278 et n° 2202537 N° Lexbase : A65351BN.

[8] TA Rennes, 18 juillet 2023, n° 2101565 N° Lexbase : A68311BM.

[9] TA Rennes, 13 mars 2025, n° 2204983 et n° 2204984 N° Lexbase : A77130AW.

[10] p. 7.

[11] p. 9.

[12] p. 21.

[13] p. 15.

[14] B. Gu et al, Cost-effective mitigation of nitrogen pollution from global cropland, Nature, janvier 2023.

[15] Mission flash en vue d’une meilleure compréhension des contrôles exercés par l’Office français de la biodiversité (OFB) sur les exploitants agricoles et d’une amélioration des relations entre l’OFB et le monde agricole, mars 2025.

newsid:492005

Sociétés

[Podcast] Le pacte d'associés dans les SEL : rôle, spécificités et clauses

Lecture: 1 min

N2030B3L

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/117819730-edition-du-10042025#article-492030
Copier

Le 08 Avril 2025

Dans cet épisode de LexFlash, Alexandre Bua et Benoît Chevalier, cabinet Noval Avocats, reviennent sur le rôle clé du pacte d’associés, ses spécificités par rapport aux statuts, et les clauses essentielles qu’il peut contenir. Un indispensable pour tout associé(e) d’une Société d’Exercice Libéral (SEL) ou toute personne envisageant d’en rejoindre une.

► Retrouvez cette intervention sur Spotify, Apple, Deezer, et Youtube.

newsid:492030

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus