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N9789BTQ
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Si l'angélisme de la Directive, conforté toutefois par un rapport de la Commission européenne, du 18 novembre 2008, concluant à l'absence d'impact négatif de son application sur la création ou le maintien de l'emploi local, pouvait séduire en pleine reprise de la croissance (1996), il n'en allait pas de même en plein doute européen, au moment du refus de l'adoption du Traité constitutionnel (2005), et d'autant moins en pleine crise et repli protectionniste. Pour autant, il y a eu fort à faire pour remanier cette Directive, symbole d'un des principes cardinaux de la construction européenne : la libre circulation des travailleurs. En effet, les anciens pays de l'Est, nouvellement intégrés à l'Union européenne, ont vu naturellement d'un mauvais oeil le regard suspicieux jeté par la France et ses compères. Et, l'économie britannique favorable à la libre circulation, en général, aura également enrayé les discussions. Mais avec le ralliement surprise de la Pologne, premier contributeur européen de salariés détachés, la France a obtenu l'inespérable : une coopération internationale pour le démantèlement des filières de dumping social ; un renforcement des contrôles des inspections nationales du travail... Et, l'inscription d'une responsabilité solidaire entre maîtres d'ouvrage et sous-traitants au tableau de la prochaine révision de la Directive du 16 décembre 1996.
On ne pourra pas dire que la France sera prise au dépourvu : hasard du calendrier (ou non), cette responsabilité solidaire vient justement d'être introduite par le biais d'un arrêt de la cour d'appel de Chambéry qui a condamné, pour la première fois, le 7 novembre 2013, un maître d'ouvrage à 210 000 euros d'amende, pour "complicité de travail illégal", pour avoir laissé l'un de ses sous-traitants employer des salariés européens détachés, dans des conditions irrégulières au regard des normes françaises. Le maître d'ouvrage avait "l'obligation de procéder aux vérifications prévues par le Code du travail et d'assurer le contrôle effectif des personnes travaillant pour son compte".
Si, en 2001, la RSE ou la responsabilité sociale (voire sociétale) des entreprises n'était encore qu'un "concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire", aux termes du Livre vert de la Commission européenne, cet engagement social trouve désormais un écho judiciaire dont il est difficile d'apprécier toutes les résonances.
Concrètement, un maître d'ouvrage est désormais tenu responsable des conditions dans lesquelles sont effectués les travaux sous-traités. Il lui appartient de connaître et de remédier, le cas échéant, aux conditions de travail illégales dans lesquelles officient ses sous-traitants. Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Chambéry, finalement, que les salariés en cause aient été détachés ou non, peu importait. C'est sur le terrain tant des conditions d'hygiène et de sécurité que sur celui du travail illicite et dissimulé qu'il semble que la condamnation ait porté. Pour autant, d'une part, il est certain que le non-respect des conditions d'hygiène et de sécurité de droit français trouve un terreau favorable lorsque les salariés en cause sont des étrangers détachés temporairement, sans représentation sociale, ni collective ; d'autre part, le détachement de salariés au sein de l'Union n'est pas non plus sans obligation : le non-respect des minimums salariaux, par exemple, dans le cadre d'un dumping social forcené, pourrait conduire à une pareille condamnation.
En 2005, la France avait parue divisée face au projet de Directive "Bolkestein", portant sur l'ouverture réciproque des marchés de services sans harmonisation préalable. A la veille du référendum sur l'adoption du Traité constitutionnel européen, cette proposition avait alimenté la frilosité populaire et donné naissance au mythe du "plombier polonais". Et, le Premier secrétaire du parti socialiste de l'époque, aujourd'hui Président de la République, de comparer cette peur, ce rejet du salarié détaché à de la xénophobie.
Autre temps, autre dogme, l'heure ne serait plus à la clémence sociale, mais au rendement fiscal. La construction européenne semble bien être le cadet des soucis gouvernementaux, et l'harmonisation sociale à 25, une martingale qui n'aura pas fait long feu. Et, pour sortir de l'impasse, la solution pourrait bien venir du corps judiciaire, face l'inertie politique : en responsabilisant les personnes ayant massivement recours à des salariés détachés, directement ou par voie de sous-traitance, le juge les oblige, sans doute, à revoir l'économie générale des montages les plus agressifs, orchestrés pour réduire les coûts de production. Partant, c'est bien la responsabilité accrue du maître d'ouvrage qui pourrait freiner l'usage de ces artifices juridiques, sans rapport aucun avec les réels besoins de main-d'oeuvre ou de qualification des salariés ainsi détachés. Mais, on revient toujours à la même question lorsqu'il s'agit de RSE : est-on prêt à payer plus cher ? Hier, le même produit ; demain, le même service ?
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N9420BT3
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef
Le 12 Décembre 2013
Marianne Lagrue : Comment présenter le Syndicat des Avocats de France autrement que par le rappel de son acte fondateur en 1974 ?
Ses statuts fixent son objet :
- la défense intransigeante de l'indépendance des barreaux et de leurs membres ;
- la lutte pour l'extension des droits et prérogatives de la défense ;
- l'action pour la défense des intérêts matériels et moraux des avocats en vue de leur assurer les conditions économiques d'existence et de plein exercice ;
- la recherche et l'action dans le monde judiciaire et dans la société en vue de promouvoir une justice plus démocratique, proche des citoyens et garante des droits et libertés publiques et individuelles ;
- l'action pour la défense des droits de la défense et des libertés dans le monde.
Ces objectifs ont pris tout leur sens parce qu'ils sont étroitement liés entre eux. Surtout, le justiciable mis au coeur de la réflexion justifie la lutte pour l'extension du champ des libertés, comme la défense des intérêts professionnels des avocats. Il a besoin, pour la défense de ses droits, d'une profession d'avocat indépendante dans ses conditions juridiques et économiques d'exercice. Seule cette approche doit préserver le SAF du corporatisme dans l'expression de ses revendications professionnelles.
Le SAF est donc totalement investi dans la profession d'avocat, participant à la vie des Ordres au sein des barreaux, à l'action du CNB, institution fédératrice de la profession pour la définition des principes déontologiques, à la mise en oeuvre d'une formation professionnelle de qualité, à la promotion de l'accès au droit. Il s'engage pour le respect de la déontologie, un accès des jeunes avocats à la profession, un véritable statut du collaborateur, la transparence de l'honoraire.
Par ses commissions nationales, ses colloques annuels et en liaison avec les acteurs de la société, notamment le monde syndical et associatif, il travaille, tenant compte des évolutions politiques et sociales, à la défense des droits et des libertés.
Lexbase : Quels sont vos objectifs à la tête de la section de Paris du SAF ?
Marianne Lagrue : L'objectif de la section du "SAF Paris" est, tout d'abord, de rassembler les avocats, souvent isolés, qui partagent pourtant nos principes : engagement au titre de l'aide juridictionnelle, défense des droits de l'Homme, attachement au principe d'indépendance... Il est ensuite d'informer les confrères, en particulier sur les actions menées par les institutions représentatives des avocats, telles le CNB, sur les modifications du règlement intérieur national, pour leur permettre de se mettre en conformité avec les règles déontologiques.
Le "SAF Paris" a également pour mission de former les confrères sur les nouveautés législatives et réglementaires, professionnelles ou non, par exemple sur les nouveaux régimes des gardes à vue avec Alain Mikowski (membre du CNB et président de la commission "Libertés et droits de l'Homme" du CNB de 2009 à 2011) ou sur les spécialisations avec Sylvain Roumier (membre du CNB et participant à la Commission "Formation" de 2006 à 2008, puis de 2009 à 2011). Il travaille aussi avec les commissions de l'Ordre, comme le font déjà les confrères en droit du travail sous l'impulsion et la direction de Paul Bouaziz, co-président de la commission ouverte de droit social à Paris, créateur des Cahiers sociaux du barreau de Paris et du colloque de droit social (1).
Le "SAF Paris" a enfin pour mission de saisir le Bâtonnier lorsque les avocats ont des difficultés (confrères poursuivis dans l'exercice de leur profession), parfois d'accompagner les confrères collaborateurs devant les instances ordinales à leur demande et de mener des actions lorsque la profession, ou l'accès à la justice, comme c'est le cas en ce moment avec les projets de baisse de l'aide juridictionnelle, sont en péril.
Nombreux sont nos confrères à la section de Paris qui ont fait évoluer le droit en toutes matière : Pierre Bouaziz, en participant aux travaux de la commission des clauses abusives, Odile Dhavernas, pour le droit de mourir dans la dignité, Henri Leclerc, avec la réforme du droit pénal, et Caroline Mécary, sur le Pacs et le droit des homosexuels.
Lexbase : Que vous inspire le projet de baisse du barème de l'aide juridictionnelle pour les avocats ?
Marianne Lagrue : C'est une atteinte grave au service public de la justice, en ce qu'il va empêcher un grand nombre de justiciables d'y avoir accès. Lorsque les avocats défendent au titre de l'aide juridictionnelle, ils consentent un sacrifice financier. Le nouveau projet a pour effet d'alourdir ce sacrifice. Cela aura pour effet d'éloigner les confrères encore davantage du système de l'aide juridictionnelle.
Le SAF défend depuis son origine, vis-à-vis du public, une pratique d'honoraires protectrice des intérêts des usagers du droit. Les adhérents du SAF s'engagent, vis-à-vis de leurs clients, à faire connaître dès que possible le coût prévisible de leurs interventions, à le faire dans la transparence, et chaque fois que possible, dans le cadre d'une convention d'honoraires.
Prévisibilité, transparence, publicité, modération, possibilité de recours ordinal ou juridictionnel doivent être connues de nos clients. Les adhérents du SAF s'engagent à faire connaître à leurs clients les possibilités offertes par le système de l'aide juridictionnelle chaque fois que la situation des clients leur permet d'y avoir accès.
Or, le projet de loi de finances pour 2014 présenté en Conseil des ministres prévoit une diminution du budget de l'aide à l'accès au droit de 10 %, soit 32 millions d'euros. Alors que le protocole qui devait être signé en 2000 prévoyait une véritable rétribution correspondant à la réalité de la prestation fournie, l'indemnisation actuelle des avocats au titre de l'aide juridictionnelle n'a pas augmenté depuis 2007 et subit aujourd'hui une baisse inacceptable. En mettant en péril l'équilibre économique des cabinets d'avocats, elle les placera dans l'impossibilité matérielle de continuer à défendre les justiciables les plus démunis.
Dans le même esprit, le SAF s'est mobilisé contre le décret n° 2013-525 du 20 juin 2013, relatif aux rétributions des missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats devant la Cour nationale du droit d'asile et les juridictions administratives en matière de contentieux des étrangers (N° Lexbase : L1812IXE), publié le 20 juin 2013.
Ce décret a fait passer l'indemnisation de l'avocat :
- de 8 à 16 UV pour l'intervention devant la Cour nationale du droit d'asile ;
- de 6 à 8 UV pour l'intervention en urgence dans le contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger est placé en rétention ;
- et de 20 à 16 UV pour l'intervention devant le tribunal administratif en formation collégiale dans les contentieux des obligations de quitter le territoire français sans placement en rétention.
En passant de 20 à 16 UV, la rétribution de l'avocat en droit des étrangers devant la juridiction administrative, hors urgence, bascule ainsi d'insuffisante à purement inique.
Lexbase : Vous avez récemment déclaré que le droit des étrangers pouvait aller à l'encontre des droits de l'Homme. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?
Marianne Lagrue : Depuis des années et sans reprendre l'historique des lois et règlements aménageant le droit des étrangers, ce dernier devient de moins en moins lisible, de moins en moins prévisible en raison des modifications à la chaîne qui affectent ce droit. La connaissance de la loi est l'une des premières garanties d'une justice loyale. Force est de constater que les étrangers ne bénéficient pas du respect de ce principe, en raison de l'amoncellement et de la complexité des textes.
Autre garantie dont ne bénéficient pas les étrangers à égalité avec les justiciables français : la transparence de la justice. Selon l'adage ("not only must Justice be done, it must also be seen to be done"), la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être vue en train d'être rendue. Cela suppose des tribunaux au coeur de la cité. Là encore, les audiences pour étrangers non seulement sont délocalisées, mais sont créées de toutes pièces, construites de toutes briques et barbelés au sein même des lieux d'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente à Roissy, à Toulouse...). Parallèlement et en toute logique, la durée de l'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente), ne cesse de s'allonger.
Les ressortissants étrangers, en terme de procédure administrative, ne sont pas traités comme les citoyens français : les délais de recours sont très brefs, parfois non suspensifs, et n'interdisent donc pas leur éloignement en cours même de procédure. En terme de procédure civile, les règles spécifiques dites de "purges de nullité" sur les actes de saisine du tribunal ou sur le fond même de l'affaire sont appliquées différemment lorsqu'il s'agit du droit des étrangers (Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-23.065, F-D N° Lexbase : A9572KL4). En terme de procédure pénale, la retenue en matière de contrôle d'identité est de seize heures et non pas de quatre heures comme pour les nationaux.
A l'occasion de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, remettant (déjà !) en cause le droit du sol pour le droit du sang (même si la partie relative à la nationalité n'est pas passée cette année là), Gérard Boulanger, alors président du SAF, écrivait que "la remise en cause des étrangers prélude en général à la remise en cause des libertés des Français [...]". Circulait déjà à l'époque une pétition intitulée "Pour la sécurité du séjour, le droit de vivre en famille, l'égalité de traitement devant la loi et le respect de la dignité des immigrés" (2), dont le SAF était évidemment signataire.
(1) Le prochain colloque, qui se déroulera le 7 décembre 2013 à l'Université de Paris-Dauphine de 8h30 à 18h30, aura pour thème "Prouver le fait qui fait le droit" et rendra hommage à Tiennot Grumbach, fondateur du SAF et qui vient de disparaître.
(2) Le Monde du 11 juillet 1986.
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Réf. : Cass. com., 3 décembre 2013, n° 12-23.976, F-P+B (N° Lexbase : A8315KQZ)
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N9840BTM
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Le 18 Décembre 2013
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Réf. : Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-14.645, F-P+B (N° Lexbase : A2204KPC)
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N9773BT7
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences HDR, Université Montesquieu Bordeaux IV, membre de l'IRDAP
Le 12 Décembre 2013
Dans une décision rendue le 8 novembre 2011, la cour d'appel de Rennes s'est prononcée en faveur de la recevabilité de l'action directe exercée par les sous-traitants et a condamné le maître de l'ouvrage au paiement de dommages et intérêts (CA Rennes, 8 novembre 2011, n° 09/07376 N° Lexbase : A3213H3E). Le pourvoi en cassation, soulevé par le maître de l'ouvrage, repose sur un moyen divisé en deux branches. D'une part, la réunion des conditions de recevabilité de l'action directe est contestée et, d'autre part, la question de l'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 à une hypothèse de sous-traitance industrielle est soulevée. Les juges de la Cour de cassation rejettent le pouvoir car ils estiment que la cour d'appel a retenu, à juste titre, que le maître d'ouvrage a, de manière non équivoque, accepté le sous-traitant en cette qualité et agréé ses conditions de paiement. Il apparaît, en effet, que la société en liquidation a procédé à un paiement pour le compte du maître de l'ouvrage qui avait donné son accord pour une facture émise par le sous-traitant auquel ce courrier faisait lui-même référence. Cette donnée fait ainsi ressortir qu'il ne s'agissait pas d'un paiement ponctuel pour le compte de la société en liquidation. En outre, les juges affirment que "l'application de l'article 14-1, alinéa 2, par renvoi de l'alinéa 3 au contrat de sous-traitance industrielle n'est nullement subordonnée à l'existence d'un marché de travaux de bâtiment ou de travaux publics".
Cette décision mérite d'être remarquée car elle présente un double intérêt. Tout d'abord, elle permet de clarifier la portée de l'extension de la loi de 1975 à la sous-traitance industrielle opérée par une loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) (I). Ensuite, elle offre l'occasion de faire le point sur la caractérisation des conditions de mise en oeuvre de l'action directe ouverte aux sous-traitants et plus particulièrement, sur celles de l'acceptation et de l'agrément devant être donné par le maître de l'ouvrage (II).
I - Précision de la qualification de la sous-traitance industrielle
L'apport majeur de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 novembre 2013 porte sur l'interprétation de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, modifiée par la loi du 26 juillet 2005 (1), qui présente une rédaction maladroite. Il permet, plus précisément, de clarifier l'articulation entre la phrase d'accroche du dispositif, qui fait référence d'une manière générale aux contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics et le dernier alinéa qui étend la mise en oeuvre de l'article aux contrats de sous-traitance industrielle.
L'enjeu consistait à déterminer si la sous-traitance industrielle ainsi visée devait, oui ou non, exclusivement concerner des contrats principaux de travaux de bâtiment et de travaux public, à savoir des travaux de génie civil consistant, par exemple, en l'élaboration d'infrastructures urbaines ou de transport. Les implications attachées à ce problème d'interprétation ne sont pas négligeables au regard de la délimitation du champ d'application des obligations du maître de l'ouvrage fixées par la loi de 1975 posant des règles générales en matière de contrat de sous-traitance. En l'espèce, en effet, le contrat principal relatif à la construction d'un navire ne concernait en rien des travaux de bâtiment ou de travaux publics. Pour la première fois, à notre connaissance, les juges tranchent cette difficulté en abordant le dernier alinéa de manière autonome par rapport à la phrase introductive de l'article. Ce dernier a donc vocation à régir l'ensemble des opérations de sous-traitance portant sur des contrats industriels sans restriction. Les juges ne suivent pas alors l'analyse défendue dans l'argumentaire du second moyen du pourvoi en cassation qui, au contraire, considérait que la sous-traitance industrielle ne devait s'entendre qu'au regard de la phrase d'accroche.
Cette lecture extensive du champ d'application de l'article 14-1 semble être la plus pertinente au vu de la cohérence d'ensemble du dispositif. Une interprétation contraire aurait, en effet, vider le dernier alinéa de tout intérêt puisque le seul critère opérationnel délimitant le champ d'application de la loi de 1975 aurait été la réalisation de travaux publics ou de bâtiments. Seule l'analyse retenue en l'espèce par les juges de la Chambre commerciale de la Cour de cassation permet une véritable extension du domaine d'intervention de la loi et justifie l'utilité du dernier alinéa. Au-delà du problème de la sauvegarde de la cohérence du texte, la portée extensive de la loi de 1975 retenue par l'arrêt étudié apparaît opportune au vu de ses conséquences sur la protection des sous-traitants concernant le paiement direct. Notons que la portée protectrice du dispositif est assurée même dans le cadre d'une relation de sous-traitance présentant un élément d'extranéité puisque la loi de 1975 est une loi de police (2). En dehors de cette précision relative au domaine d'application de la loi du 31 décembre 1975, l'arrêt étudié apporte, de manière plus classique, des indications sur la caractérisation des conditions de l'action directe dont bénéficient les sous-traitants.
II - Caractérisation des conditions de l'action directe du sous-traitant
En affirmant que le maître d'ouvrage avait bien, de manière non équivoque, accepté le sous-traitant et agrée ses conditions de paiement, la décision étudiée soulève la question de la caractérisation des conditions de l'action directe reconnue au bénéfice des sous-traitants, telles qu'elles ont été fixées par la loi du 31 décembre 1975. Cette action directe a vocation à ne bénéficier qu'au sous-traitant, le maître de l'ouvrage ne pouvant s'en prévaloir en cas de recours, par exemple, pour mauvaise exécution des prestations. Le mécanisme de l'action directe est encadré par un certains nombres de contraintes (3). Plus précisément, le sous-traitant doit avoir fait l'objet d'une présentation de la part du titulaire du marché au moment de la conclusion du marché ou en cours d'exécution de celui-ci. Par ailleurs, et c'est cette condition qui est en jeu en l'espèce, le sous-traitant doit faire l'objet d'une acceptation de la part du maître de l'ouvrage ainsi que d'un agrément de ses conditions de paiement.
La jurisprudence apprécie de manière rigoureuse cette double condition puisqu'il est exigé qu'il y ait une décision autonome relative à l'acceptation du maître de l'ouvrage d'une part, et à l'agrément des conditions de paiement, d'autre part (4). Ces décisions peuvent, toutefois, être globalisées dans un acte unique. Les modalités de l'acceptation sont, en revanche, plus souples puisqu'il n'est pas nécessairement requis que la volonté soit expresse. Rappelons que celle-ci est susceptible de prendre deux formes : la notification du marché et l'acte spécial. Dans ces deux hypothèses, la décision rendue par le maître d'ouvrage doit être donnée dans un acte signé par l'ensemble des acteurs, à savoir le maitre d'ouvrage, l'entreprise principale et le sous-traitant. Mais les difficultés se concentrent sur la caractérisation de la volonté tacite également admise, comme l'illustre l'arrêt étudié. Ce constat dépasse le simple cadre des contrats de sous-traitance et s'impose quel que soit le contrat en jeu puisque la volonté tacite peut être entachée d'équivoque.
La démarche consiste à rechercher des éléments objectifs tirés du comportement du maître de l'ouvrage démontrant son intention non équivoque d'accepter le sous-traitant et de donner son agrément sur les conditions de paiement. L'exploitation de ces éléments de fait suppose une appréciation in concreto opérée par les juges du fond. En l'espèce, les juges ont déduit cette volonté non équivoque d'un échange de courrier contenant un ordre de paiement. Il semble difficile d'identifier des lignes directrices concernant les éléments objectifs pouvant être exploités pour fonder une volonté tacite non équivoque. Sur ce point, un rapprochement peut être opéré avec une décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 13 septembre 2005 dans laquelle, au contraire, l'absence de caractérisation de la volonté tacite est retenue alors que plusieurs échanges de courriers comprenaient le nom du sous-traitant et ses exigences de paiement. Les juges avaient retenu que "la simple connaissance par le maître de l'ouvrage de l'existence du sous-traitant ne suffit pas à caractériser son acceptation, ni l'agrément des conditions de paiement du sous-traité sans rechercher si le maître d''oeuvre avait reçu du maître de l'ouvrage un mandat à cet effet" (5). La confrontation de ces deux décisions révèle que l'ordre de paiement, donné dans l'affaire étudiée, apparaît être un élément déterminant.
Ajoutons que l'acceptation et l'agrément, pour être valables, doivent répondre à un certain nombre d'exigences. Ainsi, une déclaration préalable du sous-traitant doit avoir été faite auprès du maître d'ouvrage qui doit être en mesure d'apprécier les capacités professionnelles et financières du sous-traitant. De plus, l'entreprise principale doit apporter la preuve qu'un nantissement ou une cession ne fait pas obstacle à l'acceptation et à l'agrément du sous-traitant.
En privilégiant une lecture extensive de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et en retenant la caractérisation de la volonté tacite du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer ses conditions de paiement, la décision étudiée s'inscrit ainsi dans un mouvement favorable à une application facilitée de l'action directe.
(1) Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, art. 14-1, dans sa version issue de la loi du 26 juillet 2005 : "Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics :
- le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ;
- si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.
Les dispositions ci-dessus concernant le maître de l'ouvrage ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
Les dispositions du deuxième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle lorsque le maître de l'ouvrage connaît son existence, nonobstant l'absence du sous-traitant sur le chantier. Les dispositions du troisième alinéa s'appliquent également au contrat de sous-traitance industrielle".
(2) Cass. mixte, 30 novembre 2007, n° 06-14.006, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9891DZD), JCP éd. G, 2008, I, 10000, note L. d'Avout ; D., 2008, p. 5, obs. X. Delpech ; JCP éd. E, 2008, 1201, note P. Berlioz.
(3) H. Pielberg, JurisClasseur Administratif, Fasc. 651, Sous traitance ; W. Dross, JurisClasseur, Civil Code, Contrats et obligations - effets des conventions à l'égard des tiers, action directe.
(4) Voir, par ex., CE Contentieux, 13 juin 1986, n° 56350 (N° Lexbase : A5023AMY), AJDA, 1986, p. 50, note B. Sablier et J.-E. Caro.
(5) Cass. civ. 3, 13 septembre 2005, n° 01-17.221, F-P+B (N° Lexbase : A4393DKW).
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 12 Décembre 2013
Il est assez habituel que les contrats préparatoires qui, comme leur nom l'indique, préparent le contrat définitif, soient conclus sous condition suspensive, le plus souvent sous condition de l'obtention par le débiteur d'un prêt lui permettant le financement de l'opération envisagée ou d'une autorisation quelconque lui permettant d'exercer l'activité en vue de laquelle l'opération est réalisée. Ainsi, la plupart des promesses de vente, synallagmatiques ou unilatérales, sont-elles conclues sous conditions. Aussi bien, lorsqu'est en cause le prêt d'une somme d'argent, afin de ne pas voir sa responsabilité engagée pour avoir commis une faute en octroyant un crédit manifestement excessif eu égard au patrimoine de l'emprunteur, le banquier qui estime les capacités financières de celui-ci insuffisantes refusera-t-il de lui accorder le prêt sollicité, ce qui, naturellement, aura pour effet d'empêcher la réalisation de la vente objet de la promesse. On rappellera, à cet égard, que l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) dispose que "l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas", et que l'article 1176 (N° Lexbase : L1278ABX) précise que, "lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé". Encore faut-il que la non réalisation de la condition ne soit pas due à la faute de l'emprunteur ou, plus largement, du débiteur lui-même qui n'aurait, par exemple, pas sollicité le prêt nécessaire à la vente. Ainsi l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ) dispose-t-il que "la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement". C'est d'ailleurs là sans doute la difficulté la plus fréquemment rencontrée en jurisprudence, où l'on se demande si la défaillance de la condition doit être considérée comme le fait du débiteur. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 novembre 2013, à paraître au bulletin, en constitue d'ailleurs un nouvel exemple.
En l'espèce, une promesse de vente sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt au taux maximum de 4,75 % a été conclue entre le propriétaire du bien et l'acquéreur. Le notaire du second a cependant notifié à son confrère, notaire du premier, la renonciation de l'acquéreur du fait du refus de la banque de lui accorder le prêt. C'est dans ce contexte que le vendeur a assigné l'acquéreur pour faire dire qu'il n'avait pas satisfait à ses obligations contractuelles visées au "compromis" et que la condition suspensive tenant à l'obtention du prêt devait être considérée comme réalisée. La cour d'appel de Versailles, par un arrêt du 27 septembre 2012 (1), a débouté le vendeur qui, estimant la condition réalisée, réclamait mécaniquement le paiement du forfait contractuellement prévue par la clause pénale : les juges du fond, devant lesquels le vendeur reprochait à l'acquéreur d'avoir demandé à la banque un prêt à un taux inférieur au taux prévu à la promesse de vente, ont considéré, après avoir relevé que s'il était exact qu'il avait demandé une simulation sur la base d'un taux de 4,20 % dont il n'était au demeurant pas démontré qu'il fut fantaisiste, que le seul fait de demander un taux légèrement inférieur au taux prévu par la promesse ne constitue pas une faute justifiant la mise en jeu de la clause pénale et qu'il n'y avait pas là une "instrumentalisation" de la condition suspensive ainsi que le prétendait le vendeur. C'est cette décision qui est, sous le visa de l'article 1178 du Code civil, cassée : la Haute juridiction décide en effet "qu'en statuant ainsi, tout en constatant, d'une part, que Mme Y [l'acquéreur] avait sollicité de la banque B. un prêt à un taux ne correspondant pas aux caractéristiques de la promesse, d'autre part, qu'elle se contentait de produire une lettre de C. indiquant que son dossier avait été détruit, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé". Et la Cour d'en déduire, logiquement, "que la disposition relative à la clause pénale attaquée par le premier moyen se rattachant par un lien de dépendance nécessaire au chef critiqué par le deuxième moyen, la cassation de l'arrêt sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de la disposition relative au rejet de la demande de dommages-intérêts".
La question à laquelle devait ici répondre la Cour de cassation est somme toute assez classique. Il n'est pas rare, en effet, que l'on s'interroge sur le point de savoir si la défaillance de la condition doit être, ou non, considérée comme le fait du débiteur (2). On considère, classiquement, qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer qu'il a sollicité un prêt exactement conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente (3), si bien, par exemple, qu'il a été jugé que l'emprunteur avait commis une faute en demandant un prêt supérieur à celui prévu dans la promesse de vente (4). Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 septembre 2007, dans une hypothèse où le débiteur de la condition avait, certes, bien demandé à son banquier un prêt, sans pour autant que les caractéristiques du prêt demandé correspondent exactement à celles de la promesse de vente assortie de la condition suspensive, avait cependant paru vouloir faire une lecture assez souple de l'article 1178 du Code civil : s'appuyant sur des considérations d'ordre économique, la Cour avait considéré que, quand bien même le prêt demandé n'aurait pas tout à fait respecté les caractéristiques définies dans la promesse de vente, il aurait, en tout état de cause, été refusé par l'établissement de crédit, de telle sorte que la défaillance de la condition ne devait pas être imputée au débiteur (5). Ces solutions ne sont sans doute pas contradictoires : pour qu'il engage sa responsabilité, il faut qu'il soit établi que le débiteur, par son abstention fautive ou sa négligence (6), a empêché l'accomplissement de la condition et, ainsi, causé un préjudice à son cocontractant qui, lui, a immobilisé le bien (7). C'est donc moins le fait du débiteur, consistant dans le non-respect des prévisions contractuelles relatives à la demande de prêt, qui doit faire l'objet d'une attention toute particulière, que le lien de causalité entre ce fait et la défaillance de la condition -étant entendu que c'est au créancier de l'obligation sous condition suspensive qu'il incombe de prouver que le débiteur a empêché la réalisation de celle-ci (8)-. Il faut ainsi distinguer entre, d'une part, les hypothèses dans lesquelles la défaillance de la condition paraît ne résulter que de la négligence du débiteur et, d'autre part, celles dans lesquelles les circonstances de fait permettent de considérer que, même sans la faute du débiteur, la condition n'aurait pas pu se réaliser. Mais encore faut-il que de telles circonstances existent. Tel ne paraissait pas être le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 20 novembre 2013 : la Cour ne dit pas que la défaillance de la condition doit systématiquement être imputée au fait du débiteur au seul motif qu'il n'aurait pas, dans sa demande de prêt, respecté les caractéristiques de la promesse ; mais elle dit que lorsque les premiers juges constatent que le débiteur a sollicité un prêt à un taux ne correspondant pas aux caractéristiques de la promesse, et que rien ne permet de considérer que la banque n'aurait pas en toute hypothèse refusé le prêt, quand bien même le taux sollicité par l'emprunteur aurait bien été celui dans la promesse, ils doivent en tirer les conséquences et faire droit à la demande du créancier de l'obligation sous condition.
L'occasion a déjà été donnée, dans le cadre de cette revue, d'insister sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur les professionnels du droit, relevant, d'ailleurs, que, en réalité, le conseil est avant tout l'instrument permettant d'atteindre l'exigence d'efficacité inhérente à leurs obligations, comme l'exprime l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, suivant lequel le devoir de conseil du notaire est destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes (9). Ainsi les notaires doivent-ils, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (10), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (11). Par où l'on voit bien que leur obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels ils prêtent leur concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. Des observations du même ordre peuvent être faites à propos de l'avocat : tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (12), il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (13). En tout état de cause, à supposer qu'un manquement à son obligation d'information et de conseil puisse effectivement être imputé au professionnel, il reste encore à déterminer le préjudice dont le client peut demander la réparation. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 novembre 2013, à paraître au Bulletin, avait précisément à répondre à cette difficulté, la faute du notaire ayant fait perdre une chance à son client de ne pas contracter.
En l'espèce, assignés, sur le fondement des articles 1857 (N° Lexbase : L2054ABP) et 1858 (N° Lexbase : L2055ABQ) du Code civil, en paiement de la dette sociale née d'un contrat de crédit-bail immobilier consenti à la société civile immobilière dont ils étaient les associés, ceux-ci ont, après que cette société a été annulée faute d'affectio societatis, puis placée en liquidation judiciaire, appelé en garantie le notaire ayant instrumenté l'acte de crédit-bail, lui reprochant de ne pas les avoir informés du fait que cet acte ne comportait pas la clause de non-recours à laquelle une disposition des statuts subordonnait tout engagement de la société et de les avoir ainsi exposés à l'action directe exercée par le crédit-bailleur. Pour approuver la cour d'appel de Paris d'avoir, par un arrêt du 10 avril 2012, limité la condamnation du notaire à garantir ses clients du quart seulement des condamnations qui viendraient à être prononcées à leur encontre au profit du crédit-bailleur en vertu du contrat de crédit-bail, la Cour de cassation décide "qu'ayant considéré que [le notaire] avait failli à son devoir de conseil envers ses clients en omettant de les alerter sur le fait que le contrat de crédit-bail qu'il instrumentait ne comportait pas la clause de non-recours à l'obtention de laquelle tout engagement social était statutairement subordonné, la cour d'appel a relevé que l'opération de "lease-back" réalisée au moyen de ce contrat permettait une importante valorisation du terrain que la SCI avait pour objet d'exploiter et que, cette opération portant sur un investissement de l'ordre de 10 000 000 de francs (1 524 490,17 euros), l'établissement de crédit-bail n'aurait pas accepté de limiter son droit de poursuite contre les associés aux seules parts nanties à son profit, pour une valeur de 10 000 euros par associé", pour en déduire que, "caractérisant ainsi l'aléa affectant le processus dommageable né de l'omission du conseil par le notaire, [elle] en a exactement déduit que le préjudice induit par cette faute ne résidait qu'en une perte de chance de ne pas conclure l'opération".
On ne reviendra pas ici sur le manquement du notaire à son obligation d'information et de conseil, que personne d'ailleurs n'entendait contester dans son principe. On sait bien que le devoir d'information et de conseil du rédacteur d'actes implique qu'il ait pris en considération les mobiles des parties, fussent-ils extérieurs à l'acte, au moins lorsqu'il en a eu connaissance (14). Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 17 décembre 1991, affirmait-elle que "le notaire doit, en sa qualité de rédacteur d'acte, éclairer les parties sur sa portée et ses conséquences et prendre toutes les dispositions utiles pour en assurer l'efficacité, eu égard au but poursuivi par les parties" (15), avant de juger, dans un arrêt du 12 décembre 1995, que "le notaire a le devoir d'éclairer les parties sur leurs droits et obligations et rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de l'acte qu'il dresse sont réunies eu égard au but poursuivi par les parties" (16). Ainsi s'évince de la jurisprudence l'idée selon laquelle le notaire doit faire preuve de toutes les diligences propres à assurer l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, diligences qui supposent qu'il procède lui-même aux vérifications utiles. C'est au demeurant ce qui explique que le notaire qui établit un acte de garantie hypothécaire a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (17). Et, dans le même ordre d'idée, la Cour de cassation a affirmé que "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" (18).
S'agissant de la réparation du préjudice causé par le manquement du notaire, en l'occurrence de la perte d'une chance de ne pas contracter, il n'est sans doute pas utile de redire que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente, en tant que tel, un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine (19). Il appartient, dès lors, aux juges du fond de rechercher la probabilité d'un événement favorable, autrement dit de mesurer l'éventualité de réalisation de l'événement favorable allégué, étant entendu que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (20), alors qu'un risque, fût-il certain, ne suffit pas à caractériser la perte certaine d'une chance, le préjudice qui en résulte étant purement éventuel (21). Ce qui importe, c'est que la chance perdue ait été réelle et sérieuse, quand bien même d'ailleurs elle ne serait que faible (22). Ces solutions donnent lieu à de très nombreuses applications en jurisprudence, qu'il s'agisse de la perte d'une chance d'évolution favorable de l'activité professionnelle (23), de la perte d'une chance de guérison ou, à tout le moins, d'éviter le dommage en matière médicale (24) ou, encore, de la perte d'une chance de gagner un procès non plaidé par suite de la négligence d'un avocat (25), ce qui, évidemment, suppose que les juges recherchent quelles étaient les chances véritables de succès (26). Tout cela est parfaitement connu. On relèvera simplement que, à supposer que soit effectivement caractérisée la perte d'une chance ouvrant droit à réparation, se pose alors la question de la détermination du quantum de la réparation. Sous cet aspect, la jurisprudence rappelle fréquemment que "la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée" (27). Du point de vue de la réparation, il importe en effet de distinguer le préjudice perte de chance du préjudice dit "final" : ce qui est réparé, ce n'est jamais la perte du gain escompté en matière professionnelle, la perte de l'avantage recherché en justice ou encore la maladie ou l'état d'invalidité ; seule est réparée la perte d'une chance, ce qui, concrètement, justifie que la réparation de ce préjudice, autonome, soit moindre que celle à laquelle aurait donné lieu le préjudice final. C'est pourquoi, en l'espèce, il était parfaitement justifié, comme l'avait fait la cour d'appel, de limiter la condamnation du notaire à une partie seulement des condamnations susceptibles d'être prononcées à l'encontre de ses clients au titre de l'inexécution du contrat de crédit-bail.
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Réf. : Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7)
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Le 12 Décembre 2013
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Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-19.667 et n° 12-19.793, FS-P+B (N° Lexbase : A5541KQB)
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Le 12 Décembre 2013
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Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2013, trois arrêts, n° 12-17.525 (N° Lexbase : A8344KQ4), n° 12-11.886 (N° Lexbase : A8456KQA) et n° 12-22.344 (N° Lexbase : A8269KQC), FS-P+B+R
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Le 13 Décembre 2013
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Réf. : Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 11-28.092, F-P+B (N° Lexbase : A8437KQK)
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Le 12 Décembre 2013
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 4 décembre 2013, n° 354228, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5537KQ7)
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N9764BTS
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Le 12 Décembre 2013
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N9779BTD
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par David Chrétien, Avocat, Landwell
Le 12 Décembre 2013
Nous commencerons par un rappel de ce qu'est cette législation américaine puis nous verrons comment et dans quelle mesure elle a été transformée en un accord bilatéral (et même, une série d'accord bilatéraux).
I - Rappels sur la législation "FATCA"
"FATCA" désigne un dispositif légal américain adopté par le Congrès et ratifié par le Président Obama en mars 2010, qui vise à réduire l'évasion fiscale des contribuables américains détenant des actifs financiers à l'étranger.
Pour ce faire, la technique adoptée est, pour l'essentiel, extraterritoriale.
En effet, le "FATCA" impose aux institutions financières non-américaines ("Foreign Financial Institutions", ou FFI), tous pays confondus, de déclarer leurs clients américains (personnes physiques, personnes morales et entités) à l'administration fiscale américaine (l'Internal Revenue Services -IRS).
Les institutions financières ainsi appelées à collaborer sont (i) les établissements bancaires (ii) les assureurs-vie et (iii) l'industrie de la gestion d'actifs ; de mêmes, certains véhicules patrimoniaux, les holdings et les centres de trésorerie de groupes non-financiers pourraient également être affectés selon la nature de leurs activités.
Pour assurer l'effectivité du dispositif et susciter une collaboration de la part des institutions financières non-américaines, la loi "FATCA" crée un prélèvement à la source de 30 % ayant vocation à s'appliquer à un vaste ensemble de types de flux financiers payés à partir des Etats-Unis et reçus par une institution financière non-américaine (soit pour son compte propre, soit pour ses clients) qui ne souhaiteraient pas participer au mécanisme "FATCA" ("Non Participating Foreign Financial Institution").
Toujours pour assurer l'effectivité de cette législation, le législateur américain a prévu que, pour participer valablement au mécanisme FATCA, -et ainsi être protégé contre le prélèvement de 30 %- une institution financière non-américaine doit conclure un contrat (FFI agreement) avec l'administration fiscale, ce contrat étant standardisé et ayant pour but de créer, directement, dans le chef d'une FFI, les droits et les obligations qui concrétisent le régime FATCA.
Précisément quelles obligations ? La loi FATCA repose sur trois piliers pour identifier les ressortissants américains qui détiennent des avoirs conservés et gérés en dehors du territoire américain ou qui ouvrent des comptes dans des institutions financières non-américaines. Une FFI doit effectivement, pour satisfaire à FATCA :
1. respecter des obligations précises de diligence en matière d'identification de comptes détenus par un ressortissant américain (US person) ;
2. déclarer un ensemble d'informations administratives et financières concernant le ou les comptes gérés par l'institution financière non-américaine détenus par une US person ;
3. procéder au prélèvement de 30 % lorsque l'institution financière est confrontée à un client (identifié, ou non, comme américain) récalcitrant, i.e. un client qui ferait entrave à la déclaration par l'institution financière des données concernant ses avoirs ou comptes. L'obligation d'effectuer le prélèvement se dédouble puisque, aux termes de la loi FATCA et du contrat qui la lie avec l'administration américaine, une institution financière non-américaine participante (Participating Foreign Financial Institution) doit également retenir 30 %, au titre de FATCA, quand elle gère à titre de simple intermédiaire un paiement sourcé aux Etats-Unis et qu'elle doit adresser à la suite à une institution financière non-américaine ne participant pas au mécanisme FATCA.
Après la publication de divers projets et de discussions avec le secteur financier, le Trésor et l'administration fiscale américains ont publié la réglementation de mise en oeuvre de FATCA en janvier 2013.
Par ailleurs, après différents reports, l'entrée en vigueur de la loi FATCA a été fixée au 1er juillet 2014 ; cette fois-ci, sans perspective d'un nouveau report.
On le comprend, cette législation peut être perçue comme intrusive ; elle est en tous cas complexe car elle s'insère parfois difficilement dans les ordres juridiques nationaux qui, pour certains, peuvent prévoir des principes de respect des données bancaires, de non-transmission de données nominatives... Le fait d'avoir à effectuer un prélèvement prévu par le droit américain mais en-dehors du territoire américain peut également sembler difficilement concevable (même si c'est un effet de la correcte application du contrat FFI agreement que l'administration américaine propose aux institutions financières tout autour du monde).
Enfin, ce nouveau prélèvement méritera d'être articulé avec les conventions fiscales que les Etats-Unis ont conclu avec un certain nombre d'Etats ; ces conventions, notamment celles régissant l'évitement des doubles-impositions, partagent le droit à imposer entre chacun des Etats signataires et encadrent (ou plafonnent) les retenues à la source qu'un Etat signataire peut appliquer.
Ceci explique, peut-être, le succès et la multiplication des accords bilatéraux conclus par les Etats-Unis pour mettre en oeuvre FATCA de façon plus efficiente et sécurisée sur le plan juridique.
II - Les accords inter-gouvernementaux en vue d'améliorer le reporting fiscal international et de mettre en place FATCA (les "InterGovernmental Agreement, IGA")
FATCA a été "converti" et proposé par les Etats-Unis sous forme d'un accord bilatéral (avec quelques variantes et possibilités d'adaptations locales), en s'inspirant des modèles d'accords ou de clauses d'échanges systématiques d'informations.
Dans le cas de la France, l'article 27 de la Convention fiscale du 31 août 1994 modifiée en 2004 et en 2009 avec les Etats-Unis (N° Lexbase : L5151IEI), prévoit précisément le principe d'un échange d'informations à des fins fiscales.
Sur cette base, la conclusion d'un IGA permet d'atteindre les objectifs et de concrétiser certaines simplifications de FATCA :
Par ailleurs, les IGA prévoient une mise en oeuvre en partie simplifiée de la réglementation FATCA, avec les points notables suivants :
- travaux d'investigation du stock de comptes préexistants à l'entrée en vigueur de FATCA (c'est-à-dire au 30 juin 2014) ;
- mise en place d'une procédure d'investigation et d'ouverture pour les comptes créés à compter du 1er juillet 2014 (date d'entrée en vigueur de FATCA) ;
III - Les points notables de l'accord franco-américain
L'accord est complété par une annexe I qui détaille les diligences à respecter et une annexe II qui liste, spécifiquement au cas français, les institutions ou les types de produits financiers considérés comme exonérés des obligations-FATCA. Sur ce dernier volet, on note les points suivants :
IV - Quelles suites à FATCA ? Les suites directes et le "FATCA européen"
Au regard du délai restant avant l'entrée en vigueur de FATCA, les institutions financières françaises devront prendre des mesures basées sur cet accord-FATCA (et dans certains cas, la réglementation US), pour s'assurer qu'ils sont prêts à se conformer.
De même, les groupes non financiers devront analyser dans quelle mesure ils sont pourvus d'institutions financières répondant aux critères posés par FATCA en ce domaine.
Au-delà, et en termes plus prospectifs, FATCA pourrait bien constituer un accélérateur pour les promoteurs d'une plus grande transparence fiscale.
On retiendra à ce sujet en particulier que le Commissaire européen chargé de la fiscalité, Algirdas emeta, a présenté le 13 juin 2013 une proposition de Directive du Conseil visant à lutter contre la fraude fiscale en élargissant le champ d'application de l'échange automatique d'informations entre les Etats membres sur les "dividendes, plus-values, tous les autres revenus financiers et soldes de comptes" et dont l'entrée en vigueur est prévue à compter du 1er janvier 2015, au titre de l'année financière commençant le 1er janvier 2014. Un tel échange accru d'informations aboutirait à ce que l'Union européenne se dote de l'un des systèmes d'échange de renseignements fiscaux les plus aboutis au monde et de nature à servir de référent ou de modèle disponible pour être étendu plus largement à l'avenir.
FATCA et, en particulier, les accords bilatéraux liés à cette législation, ont été un fait déclencheur dans la recherche d'une plus grande transparence fiscale. Compte tenu d'une part du fait que les Etats membres de l'UE sont régis par une "clause de la nation plus favorisée", issue de l'article 19 de la Directive 2011/16/UE du sur la coopération administrative (N° Lexbase : L5101IPM), et d'autre part du fait que certains Etats membres de l'UE partageront des informations fiscales avec les Etats-Unis, cela impliquerait que ces Etats membres doivent partager la même information au sein de l'UE. Par conséquent, dans le but de créer un système plus efficace et d'éviter une myriade d'accords bilatéraux et multilatéraux au sein de l'Union européenne, la proposition présentée par Monsieur emeta étendrait l'article 8 de la Directive sur la coopération administrative pour y inclure le partage de l'information incluse dans FATCA et les IGAs. Monsieur emeta a ajouté que les renseignements devant être partagés aux termes de sa proposition seraient plus vastes que ce qui est requis par FATCA, ceci dans le but d'éviter de déclencher la clause de la nation la plus favorisée à l'avenir.
Clairement, la lutte contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale, ainsi que le renforcement de la transparence fiscale, est devenue et reste un enjeu important dans de nombreux pays. La Commission européenne a franchi une étape importante avec les modifications proposées à l'actuelle Directive sur les échanges d'informations qui a des effets multiples, notamment : (i) une plus grande transparence fiscale au sein de l'UE ; (ii) la création d'un standard au sein de l'UE pour l'échange d'informations ; (iii) la moindre nécessité de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux au sein de l'UE et, (iv) la définition d'une norme éventuellement réutilisable pour les échanges d'informations avec ou dans d'autres régions du monde.
(1) Le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie.
(2) Treasury Regulations par.1.1471-1.1474. Certains amendements à portée technique ont été effectués sur cette réglementation ; ils ont été publiés en septembre 2013.
(3) Dispense généralement applicable, à l'exception cependant des établissements bancaires qui ont formulé une option pour appliquer le régime Qualified Intermediary -un régime prévu par la réglementation américaine et visant à simplifier l'accès au bénéfice des différentes conventions fiscales conclus par les Etats-Unis- et assumant une responsabilité particulière de prélèvement de certaines retenues à la source dans ce cadre.
(4) Notons que certaines mesures nationales ont d'ores-et-déjà été adoptées en ce sens. En particulier, la loi bancaire du 26 juillet 2013 a ajouté un nouvel article 1649 AC au CGI (N° Lexbase : L5065IXU), afin de prévoir les nouvelles obligations déclaratives résultant de FATCA. Article 1649 AC du CGI : "Les teneurs de compte, les organismes d'assurance et assimilés et toute autre institution financière mentionnent, sur la déclaration visée à l'article 242 ter (N° Lexbase : L0101IWN), les informations requises pour l'application des conventions conclues par la France organisant un échange automatique d'informations à des fins fiscales. Ces informations peuvent notamment concerner tout revenu de capitaux mobiliers ainsi que les soldes des comptes et la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature".
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Réf. : CE, S., 6 décembre 2013, n° 365155, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8562KQ8)
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Le 05 Septembre 2014
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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
Le 23 Octobre 2014
Le contrôle juridictionnel exercé sur les sanctions disciplinaires infligées aux fonctionnaires a connu une lente évolution. Il aura fallu près de quarante ans pour que le juge administratif admette la possibilité d'un contrôle dit "normal" non seulement sur le principe même du caractère fautif des faits reprochés, mais également sur le choix de la sanction par l'administration. Cette évolution -importante- résulte de l'arrêt d'Assemblée rendu le 13 novembre 2013 (1). Dans cette affaire, un ambassadeur en poste auprès du Conseil de l'Europe avait été mis à la retraite d'office pour motif disciplinaire (2). Dans un considérant de principe (n° 5), le Conseil d'Etat précise "qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes".
Cette rédaction marque l'abandon -souhaitée par le Rapporteur public Rémi Keller- de la jurisprudence "Lebon" du 9 juin 1978 (3), qui gouvernait la matière. L'apport de l'arrêt "Lebon" consistait, pour le juge, à scinder l'opération disciplinaire en deux. D'une part, la qualification juridique des faits à l'origine de la sanction se trouvait soumise au contrôle normal, le juge vérifiant si ces faits étaient bien "de nature à" justifier une sanction, dans son principe. D'autre part, l'adéquation entre la sanction choisie par l'administration et la gravité des faits reprochés à l'agent était, quant à elle, soumise au contrôle restreint, l'annulation n'intervenant qu'en cas d'erreur manifeste d'appréciation.
En 1978, la méthode retenue marquait déjà une évolution favorable au respect des droits des fonctionnaires car l'arrêt "Lebon" revenait sur une jurisprudence antérieure qui faisait du choix de la sanction par l'administration une question d'opportunité, insusceptible d'être discutée par la voie contentieuse (4). Depuis 1978, le Conseil d'Etat a constamment rappelé qu'il entendait limiter le contrôle de la gravité de la sanction à l'erreur manifeste (5), toutefois, le contexte juridique a connu des évolutions qui rendaient possible (inéluctable ?) le passage des sanctions disciplinaires dans le champ du contrôle normal. Ces évolutions sont, d'une part, d'ordre interne. Le contrôle normal occupe une place de choix dans le contentieux des sanctions infligées aux membres d'une profession réglementée mais également aux administrés (6). Pour autant, le maintien du contrôle restreint pour les sanctions infligées aux agents publics pouvait être justifié par la nature particulière du lien unissant le fonctionnaire à l'administration (7). D'autre part, l'infléchissement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme n'est certainement pas étranger au revirement opéré le 13 novembre 2013 par le Conseil d'Etat. A partir de 2007, la CEDH a admis que le contentieux disciplinaire relatif aux agents publics participant à l'exercice de la puissance publique relève de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme du 4 novembre 1950 (N° Lexbase : L7558AIR) (8) ; pour autant, elle n'exige pas que ces litiges soient examinés sous l'angle du plein contentieux (9).
Le Conseil d'Etat a donc saisi l'occasion qui lui était donnée par l'affaire jugée le 13 novembre 2013 pour vérifier l'absence de disproportion dans l'adéquation de la sanction à la faute commise par les agents publics (10). D'aucuns ont relevé que le passage s'est fait avec une certaine souplesse, puisqu'il a été constaté que, d'ores et déjà, la jurisprudence "sous couvert de contrôle restreint, masquait au moins pour les sanctions les plus lourdes l'exercice d'un contrôle poussé" (11). Le revirement était donc dans l'ordre des choses. Par ailleurs, on notera qu'il reste mesuré dès lors que le Conseil d'Etat refuse de faire basculer le contentieux disciplinaire de la fonction publique dans le champ du plein contentieux (voir le considérant n° 5 de l'arrêt), contrairement à l'évolution dont certaines sanctions administratives ont été l'objet (12). En cas de disproportion, les sanctions seront donc annulées, mais le juge ne pourra leur en substituer une autre.
L'article L. 15-I du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L2073DKY) constitue l'une des pierres angulaires du système français. Ce texte dispose qu'aux "fins de liquidation de la pension, le montant de celle-ci est calculé en multipliant le pourcentage de liquidation tel qu'il résulte de l'application de l'article L. 13 (N° Lexbase : L2074DKZ) par le traitement ou la solde soumis à retenue afférents à l'indice correspondant à l'emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire ou militaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite ou, à défaut, par le traitement ou la solde soumis à retenue afférents à l'emploi, grade, classe et échelon antérieurement occupés d'une manière effective, sauf s'il y a eu rétrogradation par mesure disciplinaire". La règle dite "des six mois" est particulièrement avantageuse pour les fonctionnaires, par rapport aux salariés du secteur privé, dont la base de liquidation porte sur les vingt-cinq meilleures années de carrière. Combinée à la pratique, assez répandue, des promotions ad hoc (c'est-à-dire intervenant lors de la dernière année d'activité de l'agent), la règle apparaît comme peu équitable et le rapport Moreau, rendu en juin 2013, a préconisé sa réforme (au profit des dix meilleures années).
Au-delà de la question politique et économique, l'article L. 15 du Code des pensions civiles et militaires de retraite a suscité du contentieux. Celui-ci porte, notamment, sur le caractère effectif de la détention de l'indice pris comme base de liquidation. Sur ce point, le Conseil d'Etat rappelle avec constance que les agents ne peuvent pas, au titre de cette disposition, se prévaloir de droits acquis qu'ils tiendraient d'actes intervenus dans les six mois précédant la date de leur admission à la retraite ou postérieurement à celle-ci et modifiant rétroactivement leur situation administrative pour des motifs autres que l'exécution d'une loi, d'un règlement ayant légalement un effet rétroactif ou d'une décision du juge de l'excès de pouvoir (13). Il n'est donc pas possible de promouvoir un agent par un arrêté pris moins de six mois avant sa radiation des cadres mais dont l'effet rétroagirait au-delà de six mois. En revanche, une revalorisation de l'indice correspondant à l'échelon détenu depuis plus de six mois devra être prise en compte pour le calcul de la pension, quand bien même il interviendrait moins d'un mois avant la radiation des cadres (14).
Une difficulté particulière tient à l'hypothèse d'une reprise d'ancienneté. Il s'agit, pour l'administration, de tenir compte de l'ancienneté acquise par un fonctionnaire dans un échelon ou un grade lors de son reclassement dans un échelon ou un grade supérieur, dans le cadre d'une évolution de carrière (avancement ou promotion). A cette occasion, l'agent sera reclassé tout en conservant tout ou partie de l'ancienneté acquise dans sa situation antérieure. La reprise d'ancienneté permet ainsi de capitaliser une période de service réalisée avant le reclassement et de la conserver dans la perspective d'une promotion future, au sein de son nouveau grade ou échelon, sans pour autant correspondre à une période de services effectifs dans ceux-ci.
Pour l'application du Code des pensions civiles et militaires de retraite, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de juger que, "si la promotion et l'avancement d'un fonctionnaire à un nouveau grade ou échelon peuvent être assortis d'une reprise d'ancienneté visant à tenir compte de l'ancienneté acquise dans le grade ou l'échelon précédents, l'ancienneté ainsi reprise ne constitue pas une période de services effectifs au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite" (15). L'arrêt rendu le 6 novembre 2013 confirme ce point, cependant, il apporte une nuance, qui tient au motif du reclassement de l'agent dans un nouveau grade ou échelon.
En l'espèce, le requérant a occupé, entre le 1er janvier 2011 et le 1er juillet 2011, l'emploi de responsable d'unité locale de police, à l'unique échelon alors prévu par le décret n° 2005-1622 du 22 décembre 2005 (N° Lexbase : L0451HEG), instituant de tels emplois. Cet échelon unique a été supprimé, par décret, à compter du 1er juillet 2011 et remplacé par un nouveau statut d'emploi de responsable d'unité locale de police comportant deux échelons. L'agent a, en conséquence, été reclassé dans le nouveau "premier échelon" de cet emploi avec une reprise intégrale des six mois d'ancienneté qu'il avait acquis dans l'ancien échelon unique ; il a ensuite été radié des cadres le 1er août 2011. Au regard de la jurisprudence précitée, il ne fait aucun doute que le fonctionnaire ne pouvait justifier de six mois de services effectifs dans l'échelon qu'il détenait à la date de sa radiation des cadres. L'arrêt fait pourtant droit à la demande de l'agent au motif que son reclassement dans le nouveau "premier échelon" de l'emploi de responsable d'unité locale de police est la conséquence de la disparition de l'ancien échelon unique du même emploi, occupé entre le 1er janvier et le 1er juillet 2011. Le Conseil d'Etat considère donc que le reclassement ne résulte pas d'une promotion ou d'un avancement mais d'une simple réorganisation statutaire et que, qui plus est, il n'aurait pas pu conserver son échelon de départ, celui-ci ayant été supprimé. Par suite, la reprise d'ancienneté correspond, dans cette hypothèse, à des services effectifs.
La perte de confiance peut constituer, dans la fonction publique territoriale, un motif légitime de licenciement des agents non titulaires (16). Toutefois, afin d'éviter la généralisation d'un système de dépouilles (spoils system), la jurisprudence administrative -faute de texte légal ou réglementaire en la matière- vient strictement encadrer ce type de rupture de la relation de travail (17). Cet encadrement vise à renforcer les droits des agents concernés et à les protéger contre l'arbitraire que le recours à ce motif peut, le cas échéant, recéler. L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Marseille le 17 octobre 2013 s'inscrit dans cette veine, en ce qu'il exige que la décision mettant fin aux fonctions soient motivée. Au-delà de cet aspect de légalité externe, ce dossier a été l'occasion pour les juges du fond d'aborder la question du champ d'application personnel du licenciement pour perte de confiance.
En l'espèce, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a mis fin aux fonctions du directeur de l'agence de tourisme de la Corse, compte tenu notamment de l'absence de relations de confiance avec le président de cette "institution spécialisée", prévue par l'article L. 4424-31 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7318HIU). Saisie d'une requête en annulation, assortie d'une demande indemnitaire (que le tribunal administratif de Bastia avait rejetée), la cour administrative d'appel a estimé que ce motif pouvait être invoqué à l'appui d'un arrêté portant cessation de fonctions. Plus précisément, elle expose que "le fait pour le directeur de l'agence de ne plus disposer de la part du président de la confiance nécessaire au bon accomplissement de sa tâche constitue un motif de nature à justifier légalement son licenciement, alors même que ledit emploi ne serait pas, comme le soutient M. X, un emploi relevant des emplois fonctionnels définis par les dispositions de la loi du 26 janvier 1984". A notre connaissance, c'est la première fois que la juridiction administrative, dans la fonction publique territoriale, a la possibilité de prononcer un licenciement pour perte de confiance en dehors de la catégorie des emplois fonctionnels et des collaborateurs de cabinet. Les emplois fonctionnels (18) comme les emplois de cabinet (19) impliquent des fonctions essentiellement révocables, à l'instar des empois supérieurs dans la fonction publique de l'Etat. Par leur nature même, ils justifient la permanence d'un lien entre leurs titulaires et les autorités politiques avec lesquelles ils travaillent.
On comprend donc que la notion de perte de confiance puisse être invoquée. Il semblait en aller autrement pour les autres emplois, même élevés dans la hiérarchie ou proches du "politique". Ainsi, la cour administrative d'appel de Paris a jugé que "le motif énoncé en termes généraux et tiré d'une absence de confiance entre le nouveau secrétaire général et son collaborateur" ne pouvait légalement justifier, en l'absence de faute imputée à l'intéressé, le licenciement d'un chargé de communication externe auprès du secrétariat général de la ville de Paris (20). La cour administrative d'appel de Marseille va plus loin. Elle considère qu'une perte de confiance peut être invoquée par l'administration en raison, d'une part, du rôle et de l'importance des missions attribuées par le législateur à l'institution spécialisée chargée de la coordination de l'ensemble des actions de développement de tourisme en Corse dans le cadre des orientations définies par la collectivité territoriale de Corse, et, d'autre part, des responsabilités qui incombent au directeur général de ladite institution, agissant en qualité de collaborateur direct du président de l'agence, lequel président est, de par la loi, un conseiller exécutif désigné par le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse. Ainsi, il serait possible d'étendre, au cas par cas, la catégorie des agents publics concernés (21). Cette tendance est un gage d'incertitude et peut paraître contradictoire avec le caractère exceptionnel du recours à la perte de confiance. Au cas particulier, l'arrêt constate la réalité de la perte de confiance entre le directeur de l'agence et sa présidente.
Bien qu'elle ait estimé que le licenciement pouvait être fondé sur une perte de confiance, la cour administrative d'appel prononce la nullité de celui-ci pour un motif de forme, en l'occurrence, un défaut de motivation. L'obligation de motiver la décision mettant un terme aux fonctions d'un agent non titulaire, y compris pour perte de confiance, ressort des dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs (N° Lexbase : L8803AG7). Selon l'article 1er de cette loi, "les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui [...] retirent ou abrogent une décision créatrice de droits [...]". La nomination de l'agent crée, à son profit, des droits acquis (22). Sur ce point, l'arrêt refuse d'étendre à l'emploi de directeur de l'agence de tourisme de la Corse la solution appliquée pour les emplois supérieurs laissés à la discrétion du Gouvernement (23). Par suite, il appartenait à la collectivité territoriale de Corse de motiver la décision de rupture des relations, comme cela a dû être le cas s'il s'était agi d'un emploi fonctionnel (24). En l'espèce, l'administration s'était bornée à relever l'existence d'une perte de confiance entre le directeur et sa hiérarchie, ce qui n'est pas suffisant pour répondre aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 en termes de motivations des actes administratifs. De plus, la cour administrative d'appel censure une motivation par référence à des documents qui, s'ils contenaient les motifs propres à justifier la décision attaquée, n'étaient pas joints à cet arrêté, ni repris par celui-ci (25).
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Réf. : CE, S., 6 décembre 2013, n° 344062, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8490KQI)
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N9828BT8
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Le 17 Décembre 2013
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Réf. : Cons. const., décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 (N° Lexbase : A5483KQ7) et Cons. const., décision n° 2013-680 DC du 4 décembre 2013 (N° Lexbase : A5484KQ8)
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N9738BTT
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Le 12 Décembre 2013
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N9420BT3
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef
Le 12 Décembre 2013
Marianne Lagrue : Comment présenter le Syndicat des Avocats de France autrement que par le rappel de son acte fondateur en 1974 ?
Ses statuts fixent son objet :
- la défense intransigeante de l'indépendance des barreaux et de leurs membres ;
- la lutte pour l'extension des droits et prérogatives de la défense ;
- l'action pour la défense des intérêts matériels et moraux des avocats en vue de leur assurer les conditions économiques d'existence et de plein exercice ;
- la recherche et l'action dans le monde judiciaire et dans la société en vue de promouvoir une justice plus démocratique, proche des citoyens et garante des droits et libertés publiques et individuelles ;
- l'action pour la défense des droits de la défense et des libertés dans le monde.
Ces objectifs ont pris tout leur sens parce qu'ils sont étroitement liés entre eux. Surtout, le justiciable mis au coeur de la réflexion justifie la lutte pour l'extension du champ des libertés, comme la défense des intérêts professionnels des avocats. Il a besoin, pour la défense de ses droits, d'une profession d'avocat indépendante dans ses conditions juridiques et économiques d'exercice. Seule cette approche doit préserver le SAF du corporatisme dans l'expression de ses revendications professionnelles.
Le SAF est donc totalement investi dans la profession d'avocat, participant à la vie des Ordres au sein des barreaux, à l'action du CNB, institution fédératrice de la profession pour la définition des principes déontologiques, à la mise en oeuvre d'une formation professionnelle de qualité, à la promotion de l'accès au droit. Il s'engage pour le respect de la déontologie, un accès des jeunes avocats à la profession, un véritable statut du collaborateur, la transparence de l'honoraire.
Par ses commissions nationales, ses colloques annuels et en liaison avec les acteurs de la société, notamment le monde syndical et associatif, il travaille, tenant compte des évolutions politiques et sociales, à la défense des droits et des libertés.
Lexbase : Quels sont vos objectifs à la tête de la section de Paris du SAF ?
Marianne Lagrue : L'objectif de la section du "SAF Paris" est, tout d'abord, de rassembler les avocats, souvent isolés, qui partagent pourtant nos principes : engagement au titre de l'aide juridictionnelle, défense des droits de l'Homme, attachement au principe d'indépendance... Il est ensuite d'informer les confrères, en particulier sur les actions menées par les institutions représentatives des avocats, telles le CNB, sur les modifications du règlement intérieur national, pour leur permettre de se mettre en conformité avec les règles déontologiques.
Le "SAF Paris" a également pour mission de former les confrères sur les nouveautés législatives et réglementaires, professionnelles ou non, par exemple sur les nouveaux régimes des gardes à vue avec Alain Mikowski (membre du CNB et président de la commission "Libertés et droits de l'Homme" du CNB de 2009 à 2011) ou sur les spécialisations avec Sylvain Roumier (membre du CNB et participant à la Commission "Formation" de 2006 à 2008, puis de 2009 à 2011). Il travaille aussi avec les commissions de l'Ordre, comme le font déjà les confrères en droit du travail sous l'impulsion et la direction de Paul Bouaziz, co-président de la commission ouverte de droit social à Paris, créateur des Cahiers sociaux du barreau de Paris et du colloque de droit social (1).
Le "SAF Paris" a enfin pour mission de saisir le Bâtonnier lorsque les avocats ont des difficultés (confrères poursuivis dans l'exercice de leur profession), parfois d'accompagner les confrères collaborateurs devant les instances ordinales à leur demande et de mener des actions lorsque la profession, ou l'accès à la justice, comme c'est le cas en ce moment avec les projets de baisse de l'aide juridictionnelle, sont en péril.
Nombreux sont nos confrères à la section de Paris qui ont fait évoluer le droit en toutes matière : Pierre Bouaziz, en participant aux travaux de la commission des clauses abusives, Odile Dhavernas, pour le droit de mourir dans la dignité, Henri Leclerc, avec la réforme du droit pénal, et Caroline Mécary, sur le Pacs et le droit des homosexuels.
Lexbase : Que vous inspire le projet de baisse du barème de l'aide juridictionnelle pour les avocats ?
Marianne Lagrue : C'est une atteinte grave au service public de la justice, en ce qu'il va empêcher un grand nombre de justiciables d'y avoir accès. Lorsque les avocats défendent au titre de l'aide juridictionnelle, ils consentent un sacrifice financier. Le nouveau projet a pour effet d'alourdir ce sacrifice. Cela aura pour effet d'éloigner les confrères encore davantage du système de l'aide juridictionnelle.
Le SAF défend depuis son origine, vis-à-vis du public, une pratique d'honoraires protectrice des intérêts des usagers du droit. Les adhérents du SAF s'engagent, vis-à-vis de leurs clients, à faire connaître dès que possible le coût prévisible de leurs interventions, à le faire dans la transparence, et chaque fois que possible, dans le cadre d'une convention d'honoraires.
Prévisibilité, transparence, publicité, modération, possibilité de recours ordinal ou juridictionnel doivent être connues de nos clients. Les adhérents du SAF s'engagent à faire connaître à leurs clients les possibilités offertes par le système de l'aide juridictionnelle chaque fois que la situation des clients leur permet d'y avoir accès.
Or, le projet de loi de finances pour 2014 présenté en Conseil des ministres prévoit une diminution du budget de l'aide à l'accès au droit de 10 %, soit 32 millions d'euros. Alors que le protocole qui devait être signé en 2000 prévoyait une véritable rétribution correspondant à la réalité de la prestation fournie, l'indemnisation actuelle des avocats au titre de l'aide juridictionnelle n'a pas augmenté depuis 2007 et subit aujourd'hui une baisse inacceptable. En mettant en péril l'équilibre économique des cabinets d'avocats, elle les placera dans l'impossibilité matérielle de continuer à défendre les justiciables les plus démunis.
Dans le même esprit, le SAF s'est mobilisé contre le décret n° 2013-525 du 20 juin 2013, relatif aux rétributions des missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats devant la Cour nationale du droit d'asile et les juridictions administratives en matière de contentieux des étrangers (N° Lexbase : L1812IXE), publié le 20 juin 2013.
Ce décret a fait passer l'indemnisation de l'avocat :
- de 8 à 16 UV pour l'intervention devant la Cour nationale du droit d'asile ;
- de 6 à 8 UV pour l'intervention en urgence dans le contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger est placé en rétention ;
- et de 20 à 16 UV pour l'intervention devant le tribunal administratif en formation collégiale dans les contentieux des obligations de quitter le territoire français sans placement en rétention.
En passant de 20 à 16 UV, la rétribution de l'avocat en droit des étrangers devant la juridiction administrative, hors urgence, bascule ainsi d'insuffisante à purement inique.
Lexbase : Vous avez récemment déclaré que le droit des étrangers pouvait aller à l'encontre des droits de l'Homme. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?
Marianne Lagrue : Depuis des années et sans reprendre l'historique des lois et règlements aménageant le droit des étrangers, ce dernier devient de moins en moins lisible, de moins en moins prévisible en raison des modifications à la chaîne qui affectent ce droit. La connaissance de la loi est l'une des premières garanties d'une justice loyale. Force est de constater que les étrangers ne bénéficient pas du respect de ce principe, en raison de l'amoncellement et de la complexité des textes.
Autre garantie dont ne bénéficient pas les étrangers à égalité avec les justiciables français : la transparence de la justice. Selon l'adage ("not only must Justice be done, it must also be seen to be done"), la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être vue en train d'être rendue. Cela suppose des tribunaux au coeur de la cité. Là encore, les audiences pour étrangers non seulement sont délocalisées, mais sont créées de toutes pièces, construites de toutes briques et barbelés au sein même des lieux d'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente à Roissy, à Toulouse...). Parallèlement et en toute logique, la durée de l'enfermement (centre de rétention ou zone d'attente), ne cesse de s'allonger.
Les ressortissants étrangers, en terme de procédure administrative, ne sont pas traités comme les citoyens français : les délais de recours sont très brefs, parfois non suspensifs, et n'interdisent donc pas leur éloignement en cours même de procédure. En terme de procédure civile, les règles spécifiques dites de "purges de nullité" sur les actes de saisine du tribunal ou sur le fond même de l'affaire sont appliquées différemment lorsqu'il s'agit du droit des étrangers (Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-23.065, F-D N° Lexbase : A9572KL4). En terme de procédure pénale, la retenue en matière de contrôle d'identité est de seize heures et non pas de quatre heures comme pour les nationaux.
A l'occasion de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, remettant (déjà !) en cause le droit du sol pour le droit du sang (même si la partie relative à la nationalité n'est pas passée cette année là), Gérard Boulanger, alors président du SAF, écrivait que "la remise en cause des étrangers prélude en général à la remise en cause des libertés des Français [...]". Circulait déjà à l'époque une pétition intitulée "Pour la sécurité du séjour, le droit de vivre en famille, l'égalité de traitement devant la loi et le respect de la dignité des immigrés" (2), dont le SAF était évidemment signataire.
(1) Le prochain colloque, qui se déroulera le 7 décembre 2013 à l'Université de Paris-Dauphine de 8h30 à 18h30, aura pour thème "Prouver le fait qui fait le droit" et rendra hommage à Tiennot Grumbach, fondateur du SAF et qui vient de disparaître.
(2) Le Monde du 11 juillet 1986.
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Réf. : CE, 4° et 5° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 340591, publié (N° Lexbase : A9491KP9) et Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.301, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4722KQX)
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N9837BTI
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 12 Décembre 2013
Résumés
Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement, mais il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait donc pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. |
I - Du contrôle administratif de l'inaptitude médicale
Problème juridique. Le licenciement pour inaptitude du salarié protégé fait difficulté en raison de la complexité de la situation sur le plan juridique, qui mêle un avis ou un acte administratif déclaratoire d'inaptitude, une autorisation administrative de licenciement et un acte unilatéral de l'employeur, et de l'enchevêtrement des compétences juridictionnelles qui en résulte.
Préalablement à la demande d'autorisation de licenciement, l'employeur doit en effet et préalablement obtenir un avis d'inaptitude du médecin du travail. Peut alors s'engager une première phase de contestation, d'abord devant l'inspecteur du travail, en contestation de l'avis, puis devant le ministre du Travail et/ou devant le juge administratif en contestation de la décision prise par l'autorité administrative sur l'aptitude.
L'employeur doit ensuite, parce que le salarié inapte est protégé, obtenir une autorisation administrative de licenciement, qui peut également être discutée dans le cadre d'un recours hiérarchique ou/et contentieux.
Dans cette dernière hypothèse, le juge administratif peut se trouver saisi d'un double contentieux portant à la fois sur la légalité de l'avis d'inaptitude et sur celle de l'autorisation administrative de licenciement ; il devra d'abord, et très logiquement, se prononcer sur la légalité de la décision d'inaptitude avant que de se prononcer sur celle de l'autorisation administrative de licenciement (1).
Le médecin du travail, puis l'autorité administrative, peuvent se trouver confrontés à un véritable conflit de logiques lorsque l'inaptitude du salarié est avérée mais qu'elle est directement imputable aux conditions de travail, singulièrement à des faits de harcèlement dont on sait que l'employeur est responsable, quelle que soit d'ailleurs son implication personnelle dans l'affaire, au titre de son obligation de sécurité de résultat (2). Faut-il autoriser le licenciement, dans la mesure où le salarié est effectivement inapte, ou au contraire le refuser en tenant compte de l'origine de cette inaptitude et ce afin de priver l'employeur du droit de licencier le salarié, en raison de la règle légale interdisant toute sanction à l'entre d'un salarié harcelé, ou discriminé ?
La volonté du salarié entrera bien entendu en ligne de compte, selon qu'il exprime le désir de quitter l'entreprise, ou au contraire selon qu'il souhaitera rester en poste, même si on sait que l'autorisation administrative de licenciement ne pourra pas faire état de cette volonté, sauf à s'exposer à un risque très élevé d'annulation.
On peut également considérer que, dans la mesure où le salarié peut valablement prendre acte, aux torts de l'employeur, de la rupture de son contrat de travail en l'imputant au harcèlement dont il est victime (3), s'il ne l'a pas fait c'est qu'il ne souhaite pas réellement quitter l'entreprise, son désir étant certainement que la situation de harcèlement cesse, sans qu'il veuille nécessairement quitter son emploi.
La situation semble alors inextricable puisque le salarié ne veut ni quitter l'entreprise, ni reprendre son emploi.
Les réponses connues. Jusqu'alors, le Conseil d'Etat n'avait pas explicité le rôle de l'inspection du travail, et singulièrement s'il y avait ou non contradiction à autoriser un licenciement, pour cause d'inaptitude avérée, dès lors que celle-ci aurait été provoquée par des faits de harcèlement, ou de discrimination (4).
La Cour de cassation avait, pour sa part, donné quelques éléments de réponse indirects en fixant l'office du juge judiciaire confronté aux demandes indemnitaires du salarié protégé licencié pour cause d'inaptitude.
La Cour a tout d'abord précisé que seul le juge administratif peut statuer sur le respect par l'employeur de son obligation de reclassement, ce qui est logique puisque l'employeur doit avoir satisfait à cette obligation pour qu'il puisse être autorisé à licencier le salarié (5).
La Cour de cassation a admis également que le juge judiciaire puisse accorder au salarié des dommages et intérêts, réparant les préjudices consécutifs au harcèlement, sans que cette décision ne préjuge de la légalité de l'autorisation administrative de licenciement, c'est-à-dire y compris si le licenciement a été autorisé pour inaptitude alors qu'une situation de harcèlement préexistait (6). La solution fut d'ailleurs confirmée ultérieurement lorsque le salarié se plaint d'avoir été discriminé, ce qui est logique puisque la question se pose en des termes juridiquement identiques (7).
Ce faisant, la Cour semblait séparer la question de l'inaptitude, dont le contentieux relève de la seule compétence du juge administratif, de celle du harcèlement ou de la discrimination qui en serait détachable et qui pourrait donc être appréciée librement par le juge judiciaire, même en cas d'inaptitude qui en serait la conséquence.
Restait à déterminer si telle serait l'analyse du Conseil d'Etat, ce qui est désormais fait après la décision rendue par ce dernier le 20 novembre 2013 et immédiatement reprise par la Cour de cassation dans sa décision du 27 novembre 2013.
Décision du Conseil d'Etat. Pour le Conseil d'Etat, "dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise" (8).
Mais, précise le Conseil d'Etat, "si l'administration doit ainsi vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de son contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet [...] serait la nullité de la rupture du contrat de travail". La conséquence de cette affirmation est immédiate : "le moyen tiré de ce que l'inaptitude [...] aurait son origine dans des faits de harcèlement moral est [...] sans incidence sur la légalité de la décision de l'inspection du travail".
Enfin, "la décision de l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, fasse valoir devant les juridictions compétentes les droits résultant de l'origine de la rupture lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur".
Arrêt de la Cour de cassation. Une salariée, comptable au sein d'un OGEC (organisme de gestion de l'enseignement catholique), avait été élue déléguée du personnel puis licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement après que le médecin du travail eut constaté son inaptitude à tout poste dans l'entreprise et que l'inspecteur du travail eut autorisé son licenciement.
La salariée avait alors saisi le juge judiciaire et réclamé à son ancien employeur le paiement de dommages-intérêts pour perte d'emploi et réparation du préjudice résultant du non-respect de la procédure de licenciement, ce qu'elle avait obtenu.
Dans le cadre de son pourvoi, l'employeur faisait valoir que le préjudice résultant de la perte d'emploi correspondant aux dommages et intérêts accordés pour absence de cause réelle et sérieuse, comme l'a d'ailleurs clairement indiqué la Cour de cassation en 2013 (9), les accorder au salarié, sous couvert d'indemnisation des préjudices causés par le harcèlement ou la discrimination, supposerait nécessairement que soit admis par le juge judiciaire que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, ce qui n'est pas de sa compétence.
Ces arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Après avoir affirmé le principe selon lequel "dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement", mais "qu'il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail", la Cour en tire comme conséquence que "l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations". Dans ces conditions, "ayant constaté que la salariée établissait que le harcèlement moral subi était à l'origine de son inaptitude physique, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci était fondée à solliciter la réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi".
Une solution discutable. On comprend bien les ressorts de la solution. Lorsque le salarié est médicalement inapte à son emploi, son licenciement est nécessaire avant tout pour protéger sa santé et sa sécurité, et lui permettre de retrouver un autre emploi qui sera adapté à son aptitude physique ou psychique. De ce point de vue, on comprend pourquoi même provoquée par un harcèlement ou une discrimination, l'avis d'inaptitude et l'autorisation de licenciement doivent être délivrés.
Nous ne partageons toutefois pas ce point de vue. Même si l'employeur n'a pas commis personnellement les faits de harcèlement ou de discrimination qui ont conduit à la situation d'inaptitude, il demande par hypothèse à bénéficier d'un régime qui lui est finalement très profitable, puisque s'il n'a pas été en mesure de proposer au salarié un autre emploi compatible, il ne risque rien, si ce n'est le versement d'une indemnité spéciale de licenciement.
Or, il est pleinement responsable de la situation et il semble particulièrement discutable de lui permettre d'en retirer le bénéfice indirect (10). Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! On se demande alors si, désormais, l'employeur pourra se prévaloir de l'insuffisance du salarié pour le licencier, même si cette insuffisance résulte directement de manquements de sa part à son obligation d'adaptation, ou à l'obligation de lui fournir les moyens nécessaires à l'exécution de ses fonctions ? Que deviendra également l'obligation faite à l'employeur de verser au salarié une indemnité compensatrice de préavis, alors qu'il n'est plus à même de fournir son travail, dès lors qu'il a par ailleurs manqué à son obligation de reclassement ?
On nous objectera que, si le licenciement du salarié pour inaptitude ne peut être autorisé lorsqu'il a été victime de harcèlement, se posera la question du sort réservé au salarié dans une entreprise au sein de laquelle il est établi qu'il ne peut plus travailler. La réponse nous semble relativement simple, même si nous mesurons ce qu'elle peut avoir d'incongrue.
L'employeur pourra invoquer un autre motif de licenciement, que l'inspecteur du travail devra apprécier et qui le conduira à autoriser la rupture si ce motif est étranger au mandat et au harcèlement ou à la discrimination.
Quant au salarié qui souhaite quitter l'entreprise dans laquelle il ne peut plus travailler, il lui reste la possibilité de prendre acte de la rupture du contrat, aux torts de l'employeur, ou de saisir le juge d'une demande de résiliation judiciaire pour le même motif, qui produiront toutes les deux les conséquences indemnitaires d'un licenciement nul.
Et en attendant, le salarié, rendu inapte par un harcèlement, devrait logiquement continuer à percevoir son salaire, puisqu'il n'est en rien responsable du fait qu'il n'est plus à même de fournir sa prestation de travail.
II - De l'office indemnitaire du juge judiciaire
Précédents. Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation se trouvait confrontée à des demandes indemnitaires émanant de salariés protégés licenciés pour cause d'inaptitude et réclamant la réparation du préjudice que leur a causé le harcèlement dont ils disent avoir été les victimes.
Dans un premier arrêt rendu en 2011, la Cour de cassation avait admis la possibilité de réclamer des dommages et intérêts en réparation du harcèlement nonobstant la compétence du juge de l'excès de pouvoir, mais par obiter dictum et sans autre précision sur la nature des préjudices (11).
Dans une autre décision rendue en 2012 et qui concernait le salarié protégé licencié pour cause d'inaptitude après avoir été victime de discrimination syndicale et de harcèlement moral, le salarié avait cette fois-ci obtenu des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que lui avait causé le non-respect par l'employeur de son obligation de prévention des harcèlements. Mais dans la même décision, la cour d'appel lui avait également accordé des indemnités pour licenciement nul, après avoir constaté que la rupture du contrat de travail était directement imputable aux faits de harcèlement et de discrimination, et avait été également censurée pour avoir ainsi porté un jugement sur la validité de la rupture autorisée, c'est-à-dire sur légalité de l'autorisation administrative de licenciement (12).
Justification de la nouvelle décision. C'est donc la première fois-ci que la Cour admet que les dommages et intérêts accordés puissent porter sur les préjudices consécutifs à la perte d'emploi, dans une affaire où le juge d'appel n'avait pas porté de jugement sur la cause du licenciement. Elle admet donc que cette réparation peut être accordée sans que ne soit porté de jugement sur la légalité de l'autorisation de licenciement, ce qui est logique, au regard du principe désormais explicité qui veut que pour autoriser le licenciement d'un salarié inapte l'inspecteur du travail n'a pas à s'intéresser aux causes de l'inaptitude. La question de cette cause (ici le harcèlement) n'ayant pas été examinée par l'autorité administrative, elle ne relève pas du contentieux de l'acte et le juge judiciaire peut donc librement s'en emparer. CQFD.
Une solution également discutable. Nous ne sommes pas non plus convaincus par cette nouvelle affirmation, indépendamment du fait qu'elle s'appuie sur un raisonnement lui-même discutable et qui voudrait séparer la question des effets de l'inaptitude sur le contrat de travail, et la responsabilité de l'employeur dans cette situation.
Si on comprend bien l'intérêt de la solution en termes d'efficacité dissuasive des sanctions du harcèlement, sa conciliation avec d'autres solutions admises récemment est tout d'abord des plus problématiques.
On se rappellera en effet que le 29 mai 2013 la même Chambre sociale avait affirmé que l'indemnisation du préjudice de perte d'emploi était nécessairement comprise dans l'indemnisation du préjudice résultant de la violation par l'employeur de son obligation de reclassement, et ce même si la faute inexcusable avait été établie (13). On pouvait donc penser que l'octroi de dommages et intérêts réparant les conséquences de la perte d'emploi supposerait que le juge considère le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qu'il ne peut préciser par faire sans violer la compétence réserver du juge administratif.
La confrontation de ces deux décisions invite toutefois à distinguer deux hypothèses qui ne correspondent pas à la même situation.
Dans la première hypothèse, le salarié commence par contester la légalité de l'autorisation administrative de licenciement (pour non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement) notamment parce que l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement. Dans cette hypothèse, l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement ouvrira droit, entre autres préjudices, à la réparation du préjudice résultant du manquement à l'obligation de reclassement, mais le salarié ne pourra pas réclamer en outre réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi.
Lorsque le salarié n'aura pas saisi le juge administratif et/ou n'aura pas obtenu l'annulation de l'autorisation administrative, il pourra demander au juge judiciaire la réparation du préjudice résultant du harcèlement, ou de la discrimination, sans pouvoir obtenir de dommages et intérêts en raison de la nullité du licenciement et/ou de son absence de cause réelle et sérieuse, mais pourra alors intégrer dans le chiffrage du préjudice toutes les conséquences résultant de la perte de l'emploi. Dans ce cas de figure, on peut estimer qu'indirectement le juge judiciaire attribue une indemnité réparant un préjudice qui pourrait l'être dans le cadre de la violation de l'obligation de reclassement.
On touche ici aux limites de l'affirmation dégagée par la Cour de cassation en 2012 et permettant au salarié de réclamer, devant le juge judiciaire, des dommages et intérêts fondés uniquement sur le harcèlement, ou la discrimination, et distincts de tout contentieux portant sur la légalité de la rupture elle-même. Même si les deux décisions coordonnées rendues par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation contribuent à clarifier la situation, l'affirmation de deux contentieux distincts, pour des faits aussi entremêlés (l'inaptitude médicale résultant d'un harcèlement ou d'une discrimination) n'est finalement guère satisfaisante.
(1) CE, 4° et 5° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 319107 (N° Lexbase : A0775EMN), Dr. soc., 2010, p. 168, rapport Y. Struillou ; JCP éd. S, 2010, n° 4, p. 35, obs. P.-Y. Verkindt.
(2) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914 (N° Lexbase : A9600DPA) ; nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; D., 2006, p. 2831, note M. Miné ; JCP éd. G, 2006, p. 1907, note F. Petit ; RDT, 2006, p. 245, note P. Adam.
(3) Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.822, FS-P+B (N° Lexbase : A6459EC9) ; S. Tournaux, Le salarié inapte peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail !, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4778BIS).
(4) Sur la question, Harcèlement moral et contrôle d'une autorisation de licenciement, rapport public M.-G. Merloz, RFDA, 2013, p. 425.
(5) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.660, FS-P+B (N° Lexbase : A1911EN4) ; JCP éd. S, 2010, n° 4, p. 33, obs. P.-Y. Verkindt.
(6) Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-18.417, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9352HZE) ; nos obs., Le juge judiciaire et l'indemnisation du salarié protégé licencié et harcelé, Lexbase Hebdo n° 465 du 8 décembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9088BSE) ; JCP éd. S, 2011, n° 49, p. 2414, note N. Dedessus-Le Moustier.
(7) Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.694, FS-P+B (N° Lexbase : A3825INY) ; nos obs., Harcèlement et discrimination : nouvelle salve de précisions, Lexbase Hebdo n° 490 du 21 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2514BTB).
(8) CE, 4° et 5° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 340591, publié.
(9) Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-28.799, FS-P+B+R, sur le deuxième moyen (N° Lexbase : A9526KEK) et les obs. de S. Tournaux, Le préjudice résultant de la perte de l'emploi du salarié licencié pour inaptitude d'origine professionnelle, Lexbase Hebdo n° 531 du 13 juin 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7456BTC).
(10) En ce sens d'ailleurs Y. Struillou : "L'inspecteur du travail ne peut légalement, dans de telles circonstances, que refuser l'autorisation sollicitée, pour laisser la possibilité au salarié de quitter l'entreprise par la procédure de la prise d'acte ou la résiliation judiciaire et obtenir ensuite réparation du préjudice qu'il a subi" (Liaisons sociales, 22 novembre 2010, n° 1468, p. 10, Autorisation de licenciement d'un salarié protégé victime de harcèlement).
(11) Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-18.417, préc. : dans cette affaire l'arrêt d'appel avait été cassé pour avoir annulé le licenciement, le juge judiciaire ne pouvant porter de jugement sur la cause d'un licenciement autorisé par l'autorité administrative.
(12) Cass. soc., 6 juin 2012, préc..
(13) Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-28.799, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9526KEK) ; S. Tournaux, Le préjudice résultant de la perte de l'emploi du salarié licencié pour inaptitude d'origine professionnelle, Lexbase Hebdo n° 531 du 13 juin 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7456BTC).
Décisions.
CE, 4° et 5° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 340591, publié (N° Lexbase : A9491KP9) Rejet (CAA Bordeaux, ord., 10 juin 2010, n° 10BX01208) Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.301, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4722KQX) Rejet (CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 avril 2012, n° S 10/02997 N° Lexbase : A6601IHX) Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-1(N° Lexbase : L0724H9P), L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T). Mots clefs : salariés protégés ; inaptitude ; autorisation administrative de licenciement ; office du juge judiciaire. Liens base : (N° Lexbase : E3617ET7) et (N° Lexbase : E9576ESH). |
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Réf. : Cass. civ. 3, 4 décembre 2013, n° 12-27.293, P+B+R+I (N° Lexbase : A5512KQ9)
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Le 07 Janvier 2014
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