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N1845B3Q
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par Yann Le Foll
Le 19 Mars 2025
La revue Lexbase Public vous propose de retrouver une sélection des décisions (I) qui ont fait l’actualité du mois de février 2025, ainsi que l'essentiel de l'actualité normative (II).
I. Actualité jurisprudentielle
♦ Collectivités territoriales
CE, 2°-7° ch. réunies, 7 février 2025, n° 494967, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75436TK : le juge judiciaire est compétent lorsque le dommage trouve son origine dans une canalisation exploitée notamment dans le cadre du service public de l'assainissement.
♦ Droit des étrangers
CJUE, 27 février 2025, aff. C-454/23, K.A.M. N° Lexbase : A51196ZM : un État membre peut révoquer le statut de réfugié ou décider de ne pas l’octroyer lorsque les motifs raisonnables de considérer le refugié comme étant une menace pour la sécurité de cet État membre sont fondés sur des actes ou des comportements de celui-ci antérieurs à son entrée sur le territoire dudit État membre.
CJUE, 27 février 2025, aff. C-753/23, A. N. N° Lexbase : A51256ZT : l’octroi d’un titre de séjour ne peut être refusé à une personne bénéficiant de la protection temporaire, visée à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil, du 4 mars 2022, constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la Directive (CE) 2001/55 du 20 juillet 2001 N° Lexbase : L7283MGT, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, lorsque cette personne a déjà demandé, mais n’a pas encore obtenu, un tel titre dans un autre État membre.
CE, 2°-7° ch. réunies, 21 février 2025, n° 498492, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A86936WU : les dispositions de l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1798KNW ne sont pas applicables à l’édiction d’une assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé, décidée sur le fondement de l’article L. 731-3 du CESEDA N° Lexbase : L3801LZS et qui doit être motivée en application de l’article L. 732-1 de ce code N° Lexbase : L3812LZ9.
CE, 9°-10° ch. réunies, 20 février 2025, n° 471299, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A77486WU : lorsque la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) tient une audience dans deux salles d’audience distantes, reliées entre elles par un moyen de communication audiovisuelle, la circonstance que le conseil du demandeur n’était pas présent à ses côtés dans la salle d’audience où se trouvait le demandeur mais au siège de la CNDA est sans incidence sur la régularité de la décision qu’elle rend.
CE, 2°-7° ch. réunies, 7 février 2025, n° 497396, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75576T3 : la demande dirigée contre le refus de délivrer un titre « recherche d'emploi ou création d'entreprise » à une personne ayant été titulaire d'une carte de séjour « étudiant » n’est pas susceptible de relever d’une présomption d'urgence.
CE, 2° ch., 7 février 2025, n° 487919, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A75586T4 : en se bornant à renvoyer aux seules déclarations orales inédites de l'intéressé à l'audience pour lui reconnaître la qualité de réfugié, la Cour nationale du droit d'asile a insuffisamment motivé sa décision.
CJUE, 4 février 2025, aff. C-158/23 N° Lexbase : A13796TA : une réglementation nationale peut obliger sous conditions les bénéficiaires d’une protection internationale à réussir un examen d’intégration civique.
♦ Fonction publique
CE, 7° ch., 25 février 2025, n° 482618, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41676ZD : les agents auxquels la qualité de travailleur handicapé a été reconnue ne disposent pas d'un droit à être affectés sur les postes auxquels ils demandent leur mutation.
CE, 2°-7° ch. réunies, 14 février 2025, n° 493140, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A06736WT : l'administration ne peut rejeter, au motif qu'une procédure disciplinaire serait en cours ou envisagée, la demande d'admission à la retraite d'un fonctionnaire de l'Etat qui remplit les conditions requises pour obtenir la liquidation de sa pension civile de retraite.
CE, 5° ch., 14 février 2025, n° 497341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A06576WA : la tenue de propos litigieux par un agent ayant entraîné un climat néfaste dans son service ne doit pas nécessairement entraîner une révocation.
CE, 1°-4° ch. réunies, 14 février 2025, n° 493146, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A06636WH : un agent placé en disponibilité d’office doit pouvoir bénéficier de l’aide au retour à l’emploi sil n’a ni refusé une proposition d’emploi, ni abandonné son poste.
À ce sujet. Lire S. Deliancourt, La notion de privation involontaire d’emploi, in Panorama de droit de la fonction publique 2021 (Seconde partie), Lexbase Public, février 2022, n° 656 N° Lexbase : N0441BZD. |
CE, 2°-7° ch. réunies, 12 février 2025, n° 494075, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A68966UX : la seule circonstance que les faits établissant l'insuffisance professionnelle d'un agent public ayant la qualité de stagiaire à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé soient antérieurs à la période du stage n'est pas de nature à faire obstacle à ce qu'ils justifient une décision de refus de titularisation.
CE, 2°-7° ch.-r., 2025, 7 février 2025, n° 495551, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75546TX : l’agent engageant une instance devant une juridiction administrative, relative à des faits ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, peut voir ses frais d’avocats pris en charge au titre de cette protection.
À ce sujet. Lire R.-J. Lemoine, Protection fonctionnelle et prise en charge des frais d’instance devant la juridiction administrative N° Lexbase : N1800B33. |
CE, 2°-7° ch.-r., 2025, 7 février 2025, n° 492409, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A34236UC : il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du Code de la défense N° Lexbase : L8093K7U, en ce qu'elles ne prévoient pas la notification de leur droit de se taire aux militaires faisant l'objet d'une procédure disciplinaire.
♦ Marchés publics
CE, 7° ch., 25 février 2025, n° 490616, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41716ZI : la résiliation du contrat ne fait pas perdre au titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu'il a exécutées avant cette résiliation, fût-elle prononcée à ses torts exclusifs.
TA Strasbourg, 14 février 2025, n° 2500599 N° Lexbase : A37936WE : le non-respect par un candidat du règlement de la consultation quant au nombre d’offres à présenter peut faire l’objet d’une régularisation ultérieure.
TA Nice, 24 janvier 2025, n° 2406933 N° Lexbase : A15646UH : le fait que la signature d’un contrat a eu lieu le lendemain de la communication d’un référé précontractuel le visant n’entraîne pas son annulation par le juge.
v. Infographie, Le référé précontractuel N° Lexbase : X5947CNL. À ce sujet. Lire N. Lafay, Modalités de notification du référé précontractuel, signature précipitée et pénalité financière, Lexbase Public n° 451, 2017 N° Lexbase : N6976BWB. |
♦ Procédure administrative
CE, 2°-7° ch. réunies, 11 février 2025, n° 483654, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A58786UA : les frais d'assistance exposés à l'occasion d'une expertise peuvent n’être remboursés que par la somme le cas échéant allouée à cette partie au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
CE, 6° ch., 10 février 2025, n° 495707, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A44116UW : le recours en rectification d'erreur matérielle n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel de la juridiction qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision.
CE, 6 ch., 10 février 2025, n° 491273, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A44156U3 : lorsque les observations de la partie adverse sont produites au cours de l'audience ou peu de temps avant, il appartient au juge d'apprécier au cas par cas s'il y a lieu soit de suspendre l'audience, ou de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure à celle-ci, soit au contraire de ne pas le faire.
CE, 7° ch., 6 février 2025, n° 490103, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A69496TK : l'absence de réception du pli résultant d'une erreur des services postaux, le jugement ne peut être regardé ayant été régulièrement notifié, de sorte que le délai d'appel du jugement n'a pas commencé à courir à l’égard du demandeur.
CE, 9°-10° ch. réunies, 5 février 2025, n° 489791, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61986TQ : dans le cas où un litige indemnitaire, relevant de la compétence de la juridiction administrative, se rapporte à un litige relatif à une pension dont le contentieux ne ressortit pas à la compétence de la juridiction administrative, le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif est susceptible d'appel.
♦ Responsabilité administrative
CEDH, 27 février 2025, Req. 22525/21, Fraisse et autres c/ France N° Lexbase : A302364Q : le niveau de protection requis dans le cas d’un recours à une force potentiellement meurtrière, pour parer aux risques réels et immédiats pour la vie que sont susceptibles d’entraîner, fût-ce exceptionnellement, ce type d’opérations de maintien de l’ordre n’a pas été, dans les circonstances particulières de l’espèce, garanti.
♦ Urbanisme
CE, 6° ch., 25 février 2025, n° 487007, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41616Z7 : une serre qui, eu égard à sa nature et à sa fonction, a vocation à demeurer le plus souvent fermée et à faire obstacle au passage, doit être regardée comme constituant un espace clos et couvert au sens des dispositions de l'article R. 112-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0516KWZ.
CE, 2°-7° ch. réunies, 21 février 2025, n° 493902, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A86956WX : le Conseil d’Etat est compétent pour connaître de la décision rendue en premier et dernier ressort par un tribunal administratif statuant sur un recours en tierce opposition formé contre un jugement annulant une décision constatant la caducité d’un permis de construire.
CE, 5°-6° ch. réunies, 11 février 2025, n° 491009, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A58776U9 : la proportion de 30 % de logements locatifs sociaux d’un immeuble soumis à cette obligation s'applique au nombre de logements familiaux figurant dans le projet.
CE, 1°-4° ch. réunies, 4 février 2025, n° 494180, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A45316TY : la demande relative à l'une des pièces qui peuvent être exigées en application du livre IV du Code de l'urbanisme fait obstacle à la naissance d'un permis tacite à l'expiration du délai d'instruction, même si cette pièce se révèle inutile.
CE, 1°-4° ch. réunies, 4 février 2025, n° 493747, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75466TN : les opérateurs ferroviaires restent prioritaires en matière de droit de préemption urbain sur les titulaires classiques du droit de propriété.
v. Infographie, Vente d'un bien ayant fait l'objet d'un droit de préemption N° Lexbase : X5604ATQ. |
II. Actualité normative
♦ Fonction publique
Décret n° 2025-198 du 27 février 2025 relatif à la rémunération maintenue en congé de maladie pour certains agents publics N° Lexbase : L7358M8Z : établissement à 90 % du taux de remplacement du traitement ou d'autres éléments de rémunération pour les périodes de congé de maladie ordinaire pour lesquelles ce traitement ou ces autres éléments de rémunération étaient maintenus intégralement avant l'intervention de ce texte.
Décret n° 2025-197 du 27 février 2025 relatif aux règles de rémunération de certains agents publics placés en congé de maladie ordinaire ou en congé de maladie N° Lexbase : L7361M87 : établissement à 90 % du taux de remplacement du traitement pour les périodes de congé de maladie ordinaire pour lesquelles le traitement était maintenu intégralement avant la publication de ce texte.
♦ Finances publiques
Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU : budget de l’État pour l’année 2025.
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par Vincent Vantighem
Le 12 Mars 2025
Le jour de l’audience, dans les couloirs du tribunal judiciaire de Paris, il trépignait presque d’impatience à l’idée de poursuivre et de terminer ce combat « éthique » entamé il y a plus de 15 ans. Nicolas Forissier a eu raison de le faire. La justice a en effet condamné, lundi 10 mars, son ancien employeur, la banque suisse UBS, à une amende de 75 000 euros pour harcèlement moral alors qu’il avait, en tant que lanceur d’alerte, dénoncé le système d’évasion fiscale qu’elle avait mis en place, via sa filiale française.
« C’est la vérité qui ressort. J’ai fait mon travail, que mon travail. J’ai respecté la loi de mon pays et j’en suis très très fier », a réagi Nicolas Forissier, à l’issue du délibéré. L’entité UBS a en outre été condamnée à lui verser 50 000 euros de dommages et intérêts. L’autre victime lanceuse d’alerte, Stéphanie Gibaud, s’était, elle, désistée de sa constitution de partie civile avant l’audience peu après avoir trouvé un accord avec la banque, dans ce volet-là.
Si UBS a été reconnue coupable de « harcèlement moral » à l’encontre de ses deux ex-salariés lanceurs d’alerte, elle a toutefois été relaxée des chefs de subornation de témoin et d’entrave au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Un système « massif » d’évasion fiscale.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter plus de quinze ans dans le passé lorsque Nicolas Forissier, alors chef de l’audit interne, et Stéphanie Gibaud, responsable marketing, avaient dénoncé un système d’évasion fiscale mis en place par UBS. Un système « massif » selon l’accusation qui avait perduré entre 2004 et 2012 et permis à UBS d’abriter en Suisse les avoirs de nombreux contribuables français.
Dans cette affaire, UBS France a été relaxée définitivement pour « complicité de blanchiment de fraude fiscale » mais condamnée à une amende de 1,875 million d’euros pour « complicité de démarchage bancaire illégal ». Les débats avaient démontré que de riches contribuables français avaient été prospectés par UBS pour qu’ils placent leur fonds en Suisse, notamment lors d’événements particuliers (soirées de galas ou week-end de chasse notamment).
Pour la maison mère, UBS AG, l’affaire n’est toujours pas terminée. En 2019, elle a été condamnée à une amende record de 3,7 milliards d’euros et plus de 800 millions de dommages et intérêts pour avoir mis en place un « système » visant à « faciliter » la fraude fiscale de contribuables français entre 2004 et 2012. En appel, en 2021, la sanction a été réduite à un total de 1,8 milliard d’euros. Et en 2023, la Cour de cassation a définitivement reconnu la culpabilité de la banque, tout en demandant la tenue d’un nouveau procès pour réexaminer la question des peines (Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-81.258, FS-B N° Lexbase : A58921ZA).
La banque en désaccord avec sa condamnation.
En marge de toute cette affaire et de cette procédure pour le moins longue et chaotique, Nicolas Forissier et Stéphanie Gibaud n’ont cessé de dénoncer le harcèlement dont ils avaient été la cible par leur ancien employeur. Figurant parmi les principaux exemples qui ont permis la création du statut de lanceur d’alerte, ils avaient décidé d’attaque UBS sur ce front-là aussi. Et ont donc obtenu gain de cause.
Ce dont se réjouit William Bourdon, avocat de Nicolas Forissier. Selon lui, c’est la première fois en France que l’ex-employeur d’un lanceur d’alerte est condamné pour harcèlement moral. Évidemment, le montant de l’amende, 75 000 euros (soit le montant maximal) paraît presque dérisoire en comparaison avec les fonds propres de la banque. « Mais on est heureux et fiers de cette décision, a indiqué William Bourdon. C’est aussi un puissant message en direction des lanceurs d’alerte de demain qui doivent voir cette décision comme un bouclier dissuasif. »
De son côté, la banque s’est dite satisfaite de la relaxe intervenue sur deux des trois infractions qui lui étaient reprochées (la subornation de témoin et l’entrave au CHSCT). « Néanmoins, nous sommes en désaccord avec la condamnation pour harcèlement moral que nous trouvons injuste », a-t-elle ajouté dans une déclaration à l’Agence France Presse reprise notamment dans les colonnes du Monde. Nous allons analyser attentivement la décision et décider des prochaines étapes. »
Sur son compte X (anciennement Twitter), Nicolas a lui simplement relayé un message de soutien qui n’a pas manqué de saluer sa « ténacité ».
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Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87.145, FS-B+R N° Lexbase : A19746RK
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par Déborah Fallik, avocate associée, Redlink Avocats.
Le 05 Mars 2025
Mots-clés : harcèlement moral institutionnel • notion • sanction • politique d’entreprise • ressources humaines
L'interprétation stricte de la loi pénale est un principe fondamental du droit, découlant de la légalité des délits et des peines, garantissant que les citoyens puissent anticiper les conséquences de leurs actes. Ce principe est également associé à celui lié à la prévisibilité de la loi pénale permettant à tout citoyen de connaître à l'avance les comportements interdits et les sanctions encourues. La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel par la Cour de cassation met à l’épreuve le principe de légalité des délits et des peines, nécessitant une approche pédagogique et contextualisée des juges pour en assurer le respect.
Le contexte de cette décision est désormais bien connu des praticiens. À la suite de la privatisation de France Télécom, devenue la société Orange, la direction a mis en place un plan visant à supprimer des emplois et à imposer la mobilité d’agents, sans recourir aux procédures légales de licenciement pour motif économique ou de modification de contrat pour ce même motif. Tant des salariés que des agents étaient visés par ce plan.
Un syndicat a déposé une plainte pénale à la suite de l'application de ce plan, mettant en lumière des mesures déstabilisantes et anxiogènes qui ont notamment entraîné des suicides, des tentatives de suicide et une dégradation générale des conditions de travail.
Le juge d'instruction a renvoyé la société ainsi que plusieurs cadres de direction devant le tribunal correctionnel. Ce dernier a condamné la société et les cadres dirigeants pour harcèlement moral institutionnel.
Bien que la société n'ait pas fait appel, les dirigeants condamnés à titre personnel ont contesté la décision des premiers juges. La cour d'appel ayant confirmé la décision initiale, ces cadres ont formé un pourvoi en cassation.
L'arrêt se distingue par son ampleur et la richesse de ses motivations. La Cour de cassation y développe en détail sa position sur la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel, l'interprétation de la loi pénale par les juges, ainsi que sur le caractère prévisible de la décision rendue.
I. La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel au regard de l’interprétation de la loi pénale
Les dirigeants de l'entreprise ont contesté la décision des juges du fond, arguant que la loi pénale doit être interprétée strictement et que l'article 222-33-2 du Code pénal N° Lexbase : L9324I3Q ne mentionne pas explicitement le harcèlement moral institutionnel.
La particularité de cette affaire réside dans le fait que les cadres ont été renvoyés devant les juridictions pour avoir organisé des mesures visant à réduire les effectifs, sans qu'il y ait nécessairement eu de relation professionnelle directe entre les salariés victimes et ces cadres.
Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle la définition du harcèlement moral institutionnel donnée par la cour d'appel : des agissements définissant et mettant en œuvre une politique d'entreprise visant à structurer le travail d'une collectivité d'agents, agissements qui, par leur répétition, dégradent potentiellement ou effectivement les conditions de travail de cette collectivité, outrepassant ainsi les limites du pouvoir de direction.
La Haute Cour distingue ensuite les agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail de ceux ayant pour objet une telle dégradation.
La qualification d’agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose une identification précise des victimes.
En revanche, lorsque les agissements harcelants ont pour objet une dégradation des conditions de travail, la caractérisation de l'infraction n'exige pas que les agissements reprochés concernent directement un ou plusieurs salariés, ni que les victimes soient individuellement désignées. Dans ce cas, le caractère formel de l'infraction n'implique pas la constatation d'une dégradation effective des conditions de travail.
D’ores et déjà, si l’identification des victimes n’est pas nécessaire pour caractériser des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail, il faut pourtant, concrètement, pouvoir apprécier cette dégradation. En outre, si les victimes entendent se constituer partie civile et solliciter un dédommagement, elles devront démontrer un lien entre les dégradations et les mesures mises en place.
En l’espèce, pour caractériser l'infraction, les juges estiment qu'il n'est pas nécessaire de désigner nominativement les salariés victimes, dès lors qu'il est reproché aux cadres d'avoir mis en œuvre des mesures visant une dégradation des conditions de travail.
Pour reconnaître ce harcèlement moral institutionnel, les juges qualifient des agissements résultant d’une politique d’entreprise définie comme « la politique principale des ressources humaines, composante de la politique générale de la société, déterminée par la ou les personnes qui ont le pouvoir et la capacité de faire appliquer leurs décisions aux agents et de modifier le comportement de ceux-ci ».
Ce point était d’ailleurs critiqué par les auteurs du pourvoi qui rappelait l’absence de lien professionnel avec les victimes. Un des cadres soulignant d’ailleurs avoir quitté les effectifs lors de l’effectivité des dégradations, argument rejeté par la Cour.
Par ailleurs, pour justifier que le harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions de l'article 222-33-2 du Code pénal, la Cour de cassation s'appuie longuement sur les travaux préparatoires ayant inspiré le législateur lors de la rédaction de cet article.
Elle fait notamment référence à :
La Cour de cassation en déduit que la qualification de harcèlement moral institutionnel ne requiert pas l'identification d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre l'auteur et les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et soient susceptibles de subir les conséquences visées à l'article 222-33-2 du Code pénal.
En conclusion, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l'article et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre en connaissance de cause une politique d'entreprise ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés, afin de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif managérial, économique ou financier, ou ayant pour effet une telle dégradation susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel.
Compte tenu des justifications apportées et de la longue motivation des magistrats, on peut comprendre pourquoi les cadres condamnés ont formé un pourvoi.
Le principe de légalité des délits et des peines impose une interprétation stricte de la loi pénale. Le juge ne peut appliquer par analogie ou par induction la loi pénale à un comportement qu'elle ne vise pas.
Cependant, selon la Haute Cour, en cas d'incertitude sur la portée d'un texte pénal, le juge peut rechercher celle-ci en considérant les raisons ayant présidé à son adoption.
C'est donc sur ce terrain de l'incertitude de l'article 222-33-2 du Code pénal que la Cour de cassation a longuement analysé et repris les différents travaux rendus lors de la rédaction de cet article, issu de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9.
Compte tenu des justifications apportées par la Cour de cassation, une modification de la loi ne semble pas nécessaire. Néanmoins, dans la mesure où le législateur, dans ses travaux préparatoires, semble avoir voulu sanctionner très largement le harcèlement moral tant dans sa dimension collective qu’individuelle, une précision législative permettrait de clarifier cet article qui, nous l’avons vu, nécessite tout de même d’être interprété.
II. La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel au regard du principe de prévisibilité
Le principe de prévisibilité de la loi pénale est une exigence fondamentale découlant également du principe de légalité des délits et des peines. Il vise à garantir que les citoyens puissent connaître à l'avance les comportements interdits et les sanctions encourues. Ce principe est notamment consacré par l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L4797AQQ.
Les auteurs du pourvoi ont notamment invoqué l'imprévisibilité de l'interprétation retenue de la loi pénale à la date des faits poursuivis, sur le fondement de cet article 7.
Celui-ci prohibe l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accusé et consacre de manière plus générale le principe de la légalité des délits et des peines. Ce principe commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, notamment par analogie.
Ainsi, une infraction doit être clairement définie par la loi, et cette condition est satisfaite lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quelles actions et omissions engagent sa responsabilité pénale, le cas échéant après avoir obtenu des conseils éclairés.
La Cour de cassation précise que la notion de droit englobe à la fois le droit d'origine législative et le droit jurisprudentiel.
Pour rejeter le pourvoi formé par les cadres, la Cour de cassation invoque dans un premier temps n'avoir jamais interprété dans le passé l'infraction comme exigeant qu'un rapport de travail direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa victime soit constaté. Elle n'aurait pas davantage exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective.
Elle ajoute que le harcèlement moral institutionnel, résultant de la mise en œuvre d'une politique d'entreprise, ne constitue qu'une des modalités du harcèlement moral.
Enfin, elle conclut qu'au vu des différents travaux préparatoires à l'établissement de la loi dont l'article 222-33-2 du Code pénal est issu, la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel ne constituerait pas un revirement de jurisprudence.
La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel ne serait pas imprévisible au sens de l'article 7 de la CESDH, d'autant plus « pour des professionnels comme les dirigeants de groupe, ayant la possibilité de s'entourer de conseils éclairés de juristes ».
On notera toutefois que, pour une loi dite prévisible, les magistrats ont dû procéder à un travail de justification particulièrement fourni. Au-delà de l’équité ayant pu conduire à cette décision, on comprend également que les dirigeants condamnés avaient, selon les magistrats, la capacité de s’entourer de conseils juridiques.
Se posera alors la question pour l’avenir de la constatation d‘agissements susceptibles de caractériser l’infraction mais commis dans des structures de dimensions plus modestes. La Cour de cassation ne fait pas de la possibilité de bénéficier d’un conseil juridique une condition de la prévisibilité mais l’on comprend qu’une rupture d’égalité pourrait émerger selon la taille de la structure.
En tout état de cause, compte tenu de la portée de cette décision, l’existence de l’infraction de harcèlement moral institutionnel est clairement établie et devra alerter, d’une manière générale, les organes de direction ou décisionnaires au regard des politiques d’entreprise mises en place.
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Réf. : Cass. crim., 26 février 2025, n° 24-82.146, F-D N° Lexbase : A70926ZP
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N1856B37
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par Pauline Le Guen
Le 26 Mars 2025
► Sans démontrer une circonstance insurmontable autre que celle tenant à la perquisition du domicile de la personne placée en garde à vue, différer la notification de ses droits ainsi que l’information au procureur de quarante-deux et quarante-sept minutes n’est pas justifié.
Dans cette affaire, un homme a été placé en garde à vue et son domicile s’est vu perquisitionné. Ce n’est qu’après l’accomplissement de ces mesures qu’il s’est vu notifier ses droits et que le procureur de la République a été averti de son placement en garde à vue. L’intéressé avait alors sollicité l’annulation de cette mesure, rejetée par la cour d’appel.
C’est au visa des articles 63 N° Lexbase : L7438LP8 et 63-1 N° Lexbase : L4971K8M du Code de procédure pénale que la Chambre criminelle rappelle alors qu’en l’absence de démonstration d’une circonstance insurmontable, autre que celle tenant à la perquisition intervenue immédiatement après le placement en garde à vue de la personne, la notification de ses droits et l’information du procureur, différées de quarante-deux et quarante-sept minutes, étaient injustifiées. La cour d’appel ne pouvait donc rejeter le moyen de nullité de cette mesure.
La Haute juridiction avait d’ores et déjà adopté cette position dans de précédentes décisions. En effet, dans un arrêt en date du 24 mai 2016 (n° 16-80.564, FS-P+B N° Lexbase : A0262RR7), elle avait indiqué que tout retard dans la mise en œuvre de ces obligations, non justifié par des circonstances insurmontables, faisait nécessairement grief aux intérêts du gardé à vue (en l’espèce un retard de trente-cinq minutes). Plus récemment, dans un arrêt du 7 novembre 2023 (n° 23-80.996, F-D N° Lexbase : A78661YY), elle avait indiqué que la chambre de l’instruction se devait d’établir formellement dans ses motifs les circonstances insurmontables auxquelles auraient été confrontés les enquêteurs et qui auraient pu justifier un retard dans l’information du procureur (en l’occurrence, un retard d’une heure quarante).
Pour aller plus loin : C. Lanta de Bérard, ÉTUDE : La garde à vue et les auditions, Le placement en garde à vue, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E332403I |
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Réf. : Ordonnance n° 2025-229, du 12 mars 2025, portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés N° Lexbase : L8615M8L
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
Le 02 Avril 2025
Mots-clés : sociétés • nullité des décisions sociales • causes de nullité • régime de la nullité • triple test
L’ordonnance commentée apporte de profondes modifications au régime de la nullité tant de la société elle-même que des décisions sociales. Si l’habilitation du Gouvernement devait conduire à renforcer la sécurité juridique, il n’est pas certain que l’on y parvienne dès lors que l’on choisit d’augmenter les causes de nullité et d’accroître considérablement le rôle du juge, sans profiter par ailleurs de l’occasion pour détailler davantage les mécanismes de régularisation.
1. Habilitation. La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France avait habilité le Gouvernement N° Lexbase : L6590MSU à prendre par voie d'ordonnance dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation du texte les mesures relevant du domaine de la loi permettant « De simplifier et de clarifier le régime des nullités en matière de droit des sociétés, afin de renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés, de leurs actes et délibérations ainsi que des règles qui y sont exposées ». Cette habilitation expirait donc le 13 mars 2025, et c’est au Journal officiel de ce dernier jour de vie de l’habilitation que l’ordonnance attendue a été publiée.
2. Objectifs de la réforme. Il était ainsi question de « clarifier le régime des nullités », « afin de renforcer la sécurité juridique », ce que l’on était tenté de lire comme la promesse d’une réduction des risques d’annulation. C’est d’ailleurs ce que le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance indique : « Le premier objectif poursuivi est celui de la sécurisation des décisions sociales, et du cantonnement des nullités susceptibles de les affecter » [1]. On verra que l’objectif est sans doute loin d’être atteint…
3. Entrée en vigueur. Les nouvelles règles s’appliquent à compter du 1er octobre 2025. Il est en revanche prévu que la disposition visant la nullité pour défaut de désignation d’un auditeur de durabilité (art. 67) entre en vigueur à compter du 1er janvier 2027. Une question délicate sera de savoir si le nouveau régime s’appliquera à la nullité des actes accomplis antérieurement à son entrée en vigueur. Il nous semble que c’est le régime de nullité applicable lorsque l’acte a été accompli qui doit trouver à s’appliquer, dès lors que la validité d’un acte juridique (et donc le régime de sa nullité) s’apprécie au jour de la constitution de cet acte. Dit autrement, la nullité d’un acte accompli avant l’entrée en vigueur de la réforme devrait rester régi par le régime ancien des nullités. Mais la question se révélera peut-être plus complexe, en ce que certains aspects du régime des nullités – on pense au « triple test » notamment – se présentent sous un jour plus procédural et pourrait voir s’appliquer le régime en vigueur au jour où le juge statue…
I. Modifications du droit commun des nullités
4. Suppression des articles L. 235-1 N° Lexbase : L8612LQZ et suivants du Code de commerce. Le Code civil devient le seul siège des règles générales encadrant les nullités, puisque les articles L. 235-1 à L. 235-14 du Code de commerce sont abrogés. N’est ainsi pas repris l’article L. 235-14 qui prévoyait la nullité des délibérations des organes de direction et d’administration en cas d’absence de procès-verbal (C. com., art. L. 235-14 N° Lexbase : L3170DY3).
5. Nullité de la société. La nullité de la société elle-même est rendue plus difficile à obtenir, notamment par la suppression de la référence aux « causes de nullité des contrats en général » à l’article 1844-10 du Code civil N° Lexbase : L8683LQN.
6. Accroissement des sources de nullité. Une première révolution vient du fait que les actes et délibérations des sociétés civiles et commerciales pourront désormais être annulés beaucoup plus largement. Précédemment, le dispositif était complexe parce qu’il limitait formellement les nullités en visant plusieurs corps de textes précis et en requérant pour les sociétés commerciales que la nullité soit prévue par une « disposition expresse » lorsque l’acte concerné avait emporté modification des statuts. Existaient des disparités peu justifiées, comme le fait que l’acte modifiant les statuts d’une société commerciale ne pouvait être annulé que si une disposition prévoyait expressément la nullité, tandis que le même acte réalisé dans une société civile était annulable plus largement et sans que soit exigée une disposition expresse. Désormais, la disposition clé est le 3ème alinéa de l’article 1844-10 du Code civil qui disposera que « La nullité des décisions sociales ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de droit des sociétés, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ».
7. Imprécision et accroissement du risque de nullité. On a bien lu : la nullité suppose la violation d’une « disposition impérative de droit des sociétés », dont on ne sait pas avec certitude ce que c’est, et le verrou de la disposition expresse saute, ce qui fait que les décisions sociales modifiant les statuts des sociétés commerciales pourront être annulées beaucoup plus largement que précédemment…
8. Régularisation. La régularisation n’a pas vu son régime détaillé ou clarifié. Son champ d’application est cependant étendu au cas où la nullité est fondée sur l'illicéité de l'objet social. Le dispositif d’action interrogatoire prévu en cas de nullité pour vice du consentement ou incapacité d’un associé (C. civ., art. 1844-12N° Lexbase : L2032ABU), sans doute très peu utilisé, est quant à lui abrogé.
9. Triple test. Une mesure phare de la réforme est incontestablement le triple test introduit par le nouvel article 1844-12-1 du Code civil. Pour que la nullité des décisions sociales soit prononcée, le juge devra vérifier trois conditions :
Il est certain que ce mécanisme devrait contribuer à réduire les cas dans lesquels la nullité sera prononcée. Maintenant, on peut être critique à l’égard d’un système qui accroît le rôle du juge, là où la sécurité juridique devrait commander pour les sociétés de ne pas devoir se soumettre au parcours judiciaire et à ses délais, s’agissant d’identifier si une décision sociale est valable ou non. Il est certes possible que des décisions de la Chambre commerciale de la Cour de cassation viennent dans les prochaines années préciser et cadrer ce mécanisme, mais on pourra s’étonner de cette délégation au juge.
10. Prescription. Le délai de droit commun de la prescription passe de trois ans à deux ans, le point de départ demeurant le jour où la nullité est encourue. Rien n’est dit en revanche sur l’exception de nullité, ni sur une possible incidence sur les délais en cours lors de l’entrée en vigueur de la réforme. On comprend qu’ils ne devraient pas être raccourcis si les actes accomplis avant le 1er octobre 2025 demeurent soumis au régime ancien.
11. Liquidation. En cas de nullité de la société, il est procédé à sa liquidation en faisant une application systématique du régime de la liquidation des sociétés commerciales, y compris lorsque la société est une société civile, ce qui est étonnant (C. civ., art. 1844-15 modifié).
12. Composition irrégulière d’un organe. Une mesure très utile est inscrite au nouvel article 1844-15-1 du Code civil, qui généralise une règle que l’on rencontrait jusqu’à présent ici ou là dans le Code de commerce : « sauf disposition législative contraire, la nullité de la nomination ou le maintien irrégulier d'un organe ou d'un membre d'un organe de la société n'entraîne pas la nullité des décisions prises par celui-ci ».
13. Nullité pour l’avenir. Sur les effets de la nullité, une autre règle utile est inscrite au nouvel article 1844-15-2 : « Lorsque la rétroactivité de la nullité d'une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l'intérêt social, les effets de cette nullité peuvent être différés ». Il devient donc possible au juge de prononcer une nullité mais qui ne produira ses effets que pour l’avenir.
II. Modification du droit spécial des sociétés commerciales
14. Exclusion du triple test. De nombreuses dispositions du régime spécial des sociétés commerciales sont modifiées. Une modification récurrente consiste à écarter le triple test introduit à l’article 1844-12-1 du Code civil. Celui-ci ne peut donc être appliqué à toute une série de situations, qui vont de la transformation d’une SARL en SNC ou en commandite sans l’accord unanime des associés (C. com., art. L. 223-43) au non-respect de la politique de rémunération de la société cotée (C. com., art. L. 22-10-8), en passant par la nomination irrégulière d’un administrateur de SA (C. com., art. L. 225-18).
15. Augmentations de capital dans les sociétés par actions. Le droit des augmentations de capital dans les sociétés par actions connaît quelques évolutions. La prescription est notamment encadrée par un nouvel article L. 225-149-4 du Code de commerce, qui fait varier le point de départ du délai de trois mois, selon que l’opération a fait ou non l’objet d’une délégation de pouvoirs ou de compétence. Il est par ailleurs prévu, dans les sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un SMN, que l'action en nullité portant sur une décision d'augmentation de capital autre que réservée n'est plus recevable à compter de la réalisation de l'opération.
16. Ouverture des nullités dans les SAS... et suppression de la jurisprudence Larzul 2 ! Un nouvel article L. 227-20-1 du Code de commerce dispose à propos de la SAS, première forme de société commerciale utilisée, que « Les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu'ils ont établies. L'action en nullité est alors mise en œuvre dans les conditions prévues par les articles 1844-10-1 à 1844-17 du Code civil ». Cette mesure apparaît très inopportune en ce qu’elle pourrait conduire à une explosion du risque de nullité si la clause en question venait à être utilisée systématiquement par les rédacteurs des statuts des SAS, puisque toute violation des statuts d’une SAS pourrait donc être sanctionnée par une nullité… Le triple test trouvera ici toute son utilité ! Mais on comprend davantage l’intention du législateur lorsque l’on constate qu’il est procédé à la suppression du dernier alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM, qui dispose que « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé » et qui avait servi de fondement à l’arrêt Larzul 2 [4]. La Cour de cassation avait jugé, par cette importante décision, que « l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation ». La suppression du texte fondant la solution devrait entraîner la disparition de cette possibilité de fonder la nullité d’une décision collective des associés de SAS sur une violation des statuts… sauf à retrouver cette nullité en insérant dans les statuts la clause désormais autorisée par le nouvel article L. 227-20-1 du Code de commerce. Voici une belle réflexion à mener pour les plus de 1,7 million de SAS existant aujourd’hui en France.
17. Défaut de désignation régulière d’un auditeur de durabilité. L’article L. 821-5 du Code de commerce est par ailleurs réécrit, pour sanctionner par la nullité le défaut de désignation ou la désignation irrégulière non seulement du CAC, comme précédemment, mais également de l’« auditeur des informations en matière de durabilité » « lorsque leur mission leur est confiée par la loi ou le règlement ». Cette évolution n’est cependant applicable qu’à compter du 1er janvier 2027, ce qui ne s’explique pas de manière évidente, au-delà de l’écho avec le possible report partiel de l’application de l’ordonnance [5]transposant la Directive CSRD [6]. Il aurait été souhaitable que le législateur clarifie la question de la sanction du défaut de désignation du CAC chargé de la certification des informations sur la durabilité, qui nous semble exclue, ainsi que l’ont affirmé récemment tant la CNCC [7] que l’ANSA [8].
18. Autres mesures. Différents textes sont par ailleurs retouchés pour faire d’une nullité formellement obligatoire une nullité facultative. On notera aussi qu’un renvoi est opéré aux articles 1844-10 à 1844-17 du Code civil pour sanctionner la convocation irrégulière d’une assemblée d’obligataires, ce qui est utile car ce n’est pas des décisions d’une société dont il est question. Les valeurs mobilières composées voient encore leur régime retouché.
[1] Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés N° Lexbase : Z160226D.
[2] V. ainsi Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B N° Lexbase : A80079HZ, B. Saintourens, Lexbase Affaires, avril 2023, n° 752 N° Lexbase : N4926BZH ; Bull. Joly Sociétés, mai 2023, p. 13, note H. Le Nabasque ; Dalloz Actualité, 28 mars 2023, obs. J. Delvallée ; JCP G, 2023, 658, note A. Reygrobellet ; Rev. sociétés, 2023, p. 377, note L. Godon ; RDC, 2023, n° 3, p. 48, obs. M. Caffin-Moi ; Dr. sociétés, 2023, comm. n° 72, note J.-F. Hamelin ; JCP E, 2023, 1093, note B. Dondero..
[3] C. civ., art. 1221 N° Lexbase : L1985LKQ « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».
[4] Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B, préc.
[5] Ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales N° Lexbase : L7659MSH.
[6] Directive (UE) n° 2022/2464 du 14 décembre 2022, modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises N° Lexbase : L1830MGU V. en dernier lieu le projet de loi « DDADUE 5 », tel que voté par le Sénat lundi 10 mars 2025 [en ligne].
[7] CNCC EJ 2024-17, décembre 2024, BRDA 5/25, inf. n° 5.
[8] ANSA, Comité juridique avis n° 25-007 du 5 février 2025.
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Réf. : Cass. civ. 2, avis, 13 mars 2025, n° 15007, FS B
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par Alexandre Autrand, doctorant à l'Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques
Le 26 Mars 2025
La Cour de cassation précise que malgré l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire (COJ) N° Lexbase : L7740LPD, par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 17 novembre 2023, n° 2023-1068 QPC N° Lexbase : Z237025B), le juge de l’exécution demeure compétent pour connaître de la saisie des rémunérations ainsi que des contestations relatives à des mesures d’exécution forcée mobilières.
Faits. L’article L.213-6 du Code de l’organisation judiciaire énonce les compétences matérielles du juge de l’exécution.
Une débitrice décide d’attaquer la constitutionnalité de cet article par une QPC, car ce dernier ne prévoit pas en cas de vente par adjudication, à la suite d’une saisie de droits incorporels, la possibilité pour le débiteur de contester auprès du juge de l’exécution le montant de la mise à prix.
Dans sa décision du 17 novembre 2023 (précitée), le Conseil constitutionnel a déclaré que les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée », présent dans le premier alinéa de l’article L. 213-6 du COJ, étaient inconstitutionnels. Le Conseil décide alors d’abroger cette partie du premier alinéa de l’article, à compter du 1er décembre 2024. À la suite de cette décision, un juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil décide d’interroger la Cour de cassation.
Le juge de l’exécution pose les questions suivantes à la Cour :
« Quelle est la portée de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 d'abroger une partie de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire (Cons. cons. 17 nov 2023, n°2023-1068 QPC) sur la compétence du juge de l'exécution ?
La décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 d'abroger une partie de l'article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire conduit-elle à ce que le juge de l'exécution ne soit plus compétent en matière de saisie des rémunérations, compétence déterminée par l'article L. 213-6 en son alinéa 5 ?
Et, dans l'affirmative, doit-on considérer que la saisie des rémunérations du travail est une action personnelle ou mobilière au sens du tableau IV-li annexé au code de l'organisation judiciaire permettant son traitement par le juge de proximité, sous réserve des seuils de compétence ? »
Analyse de la Cour de cassation. La Haute juridiction considère que la décision du Conseil constitutionnel pourrait laisser penser que le juge de l’exécution n’est plus compétent pour statuer sur des contestations, relatives à des mesures d’exécution forcée mobilières.
Après avoir rappelé les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel, la Cour décide que dans l’attente de l’adoption d’un texte législatif, le juge de l’exécution demeure compétent, dans la limite de la décision des Sages, pour statuer sur les contestations relatives à des mesures d’exécution forcée mobilières.
Les juges du droit précisent également que l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du COJ est sans incidence sur la compétence du juge de l’exécution pour connaître de la saisie des rémunérations.
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