Le Quotidien du 18 février 2025

Le Quotidien

Autorité parentale

[Observations] Droit de visite médiatisé et office du juge

Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2025, n° 22-22.631, F-B N° Lexbase : A47846QA

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par Adeline Gouttenoire, Professeure à l’Université de Bordeaux

Le 17 Février 2025

► L’obligation faite au juge aux affaires familiales par l’article 1180-5 du Code procédure civile de fixer la durée et la fréquence d’un droit de visite dans un espace de rencontre ne s’applique pas au droit de visite en présence d’un tiers.

L’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 s’inscrit dans une jurisprudence fournie relative à la détermination par le juge d’un droit de visite dans un espace rencontre. L'article 1180-5 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5322IUN impose en effet au juge aux affaires familiales qui décide de fixer le droit de visite de l'un des parents – par hypothèse celui qui n’héberge pas l’enfant – de déterminer la durée de la mesure ainsi que fréquence et la durée des rencontres. Cette disposition, particulièrement précise, permet de limiter l’atteinte non négligeable aux droits parentaux que constitue la médiation du droit de visite, étant précisé que l’exercice du droit de visite dans un lieu neutre implique l’absence de droit d’hébergement. Cette mesure est, en effet conçue pour être provisoire et son exécution garantie par des modalités strictes. Elle peut être ordonnée par le juge dans le cadre de l’exercice unilatérale (C. civ., art. 373-2-1 N° Lexbase : L7190IMA) et dans en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale (C. civ., art. 373-2-9 N° Lexbase : L0239K7Y).

La mise en œuvre de cette exigence issu du décret n° 2012-1312 du 27 novembre 2012 N° Lexbase : L5288IUE, a été difficile, notamment du fait d’une résistance des juges du fond. La Cour de cassation sanctionne en effet régulièrement le fait pour un juge aux affaires familiales qui ordonne un droit de visite en lieu neutre de ne pas fixer pas la durée de cette mesure (Cass. civ. 1, 28 janvier 2015, n° 13-27.983, F-P+B N° Lexbase : A7167NAP, Dr. fam. 2015. Comm. 71, obs. C. Neirinck ; Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D N° Lexbase : A4526XNX ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.012, F-D N° Lexbase : A6787YKL ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2018, n° 17-28.563, F-D N° Lexbase : A7769YPG), ou l’absence de précision quant à la durée et la fréquence des rencontres (Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D N° Lexbase : A4526XNX, Cass. civ. 1, 11 juillet 2019, n° 18-11.022, F-D N° Lexbase : A3303ZKK,  Cass. civ. 1, 2 novembre 2023, n° 22-11.806, F-D N° Lexbase : A356614T). Le juge du fond ne peut se contenter de se référer aux modalités d’organisation des visites dans l’espace rencontre, et de laisser celui-ci moduler les rencontres en fonction de la manière dont elles se passent, y compris lorsque le règlement intérieur du lieu de rencontres prévoit précisément les modalités d’exercice du droit de visite (Cass. civ. 1, 2 novembre 2023, préc.). En l’espèce, le règlement intérieur prévoyait une première rencontre généralement limitée à une heure trente, et des rencontres ultérieures n'excédant pas trois quart d’heure, ces durées étaient modulables en fonction du déroulement de la rencontre. En réalité, moins que la précision des modalités du droit de visite en elles-mêmes, la Cour de cassation impose de respecter l’injonction du texte selon laquelle c’est au juge qu’il revient de déterminer les modalités précises du droit de visite en lieu neutre. Permettre de laisser celles-ci à l’appréciation de l’espace rencontre, même en accord avec le parent titulaire du droit de visite, consisterait en une délégation du pouvoir du juge. Le fait que les modalités du droit de visite dans un espace rencontre relèvent d’une décision judiciaire, constitue une garantie pour le parent, notamment au regard du principe du contradictoire et la présence d’un avocat.

Si la Cour de cassation se montre intransigeante lorsqu’il s’agit d’un droit de visite organisé dans un espace de rencontre, elle interprète l’article 1180-5 du Code de procédure civile de manière stricte et littérale comme en témoigne la décision du 15 janvier 2025. Ainsi, considère-t-elle  que l’exigence faite au juge de préciser la fréquence et la durée du droit de visite ne s’applique pas au droit de visite en présence d’un tiers. La Cour de cassation distingue à juste titre le droit de visite en présence d’un tiers le droit de visite dans un espace de rencontre, qui impose un cadre plus strict et forcement professionnel. Cette modalité de droit de visite est en effet plus large.

Si l’on ne peut qu’approuver le respect strict des textes par la Cour de cassation, on peut s’interroger sur l’opportunité de cette solution. En effet, la médiatisation du droit de visite par l’exigence de la présence d’un tiers constitue également une limitation des droit du parent qui est empêché de voir son parent seul. Ce tiers peut être un membre de la famille du parent concerné ou un professionnel. Sans doute, la Cour de cassation considère-t-elle que cette modalité de droit de visite est moins attentatoire aux droit parentaux. Il est surtout probable qu’elle veuille cantonner le domaine d’application de l’article 1180-5 du Code de procédure civile déjà contestée par les juges du fond. C’est dans le même esprit qu’elle a considéré dans une décision du 13 juin 2019 (Cass. civ. 1, 13 juin 2019, n° 18-12.389, FS-P+B N° Lexbase : A5709ZE8), que le juge n’est pas contraint, lorsque le droit de visite des grands-parents est fixé dans un lieu neutre de préciser la durée et la fréquence des visites, ainsi que la durée de la mesure.

L’influence concrète de cette décision est sans aucun doute importante à un moment où le délai d’attente pour obtenir l’organisation d’un droit de visite en lieu neutre est particulièrement long. Or, pendant cette période, le parent ne voit pas son enfant puisque par hypothèse, il ne peut le rencontrer que dans un espace rencontre. Cette décision pourrait donc inciter les juges à organiser les droits de visite du parent en présence d’un tiers plutôt que dans un espace rencontre. Il faut cependant nuancer cette affirmation et la limiter aux hypothèses où le parent ne constitue pas un danger pour l’enfant. La solution de l’arrêt du 15 janvier 2025 tend par ailleurs à assurer une certaine harmonie avec les modalités du droit de visite parental en cas de placement de l’enfant. En effet, l’article 1199-3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3771LH7 dispose que « la fréquence du droit de visite en présence d'un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions d'exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l'établissement à qui l'enfant est confié. »

 

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Environnement

[Questions à...] Quel avenir pour le Règlement « déforestation » ? Questions à Florian Ferjoux, Gossement Avocats

Lecture: 6 min

N1690B3Y

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Le 13 Février 2025

Mots clés : environnement • déforestation • bois • forêts • report d'application

À l’heure où le Green Deal européen est remis en cause par des États à la recherche de la reprise de la croissance économique, le Règlement « déforestation », conçu et adopté en 2023 pour contrer le phénomène de dégradation des forêts, voit sa mise en œuvre reportée d’un an (30 décembre 2025 pour les grands opérateurs et 30 juin 2026 pour les micro et petites entreprises). Florian Ferjoux, Gossement Avocats, apporte son éclairage sur ce texte*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les enjeux du Règlement du 31 mai 2023 ?

Florian Ferjoux : Le Règlement (UE) n° 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023, relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union et à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le Règlement (UE) n° 995/2010 N° Lexbase : L8774MHG, a pour objet d’encadrer les importations et exportations de produits sur et depuis le territoire de l’Union européenne en vue de réduire la déforestation et la dégradation des forêts.

Les produits concernés par le Règlement qui ne répondent pas aux conditions de celui-ci ne peuvent pas être mis sur le marché de l’Union européenne.

La commercialisation de ces produits est donc liée à leur absence de lien avec le phénomène de déforestation. Le Règlement a la particularité de réguler la mise sur le marché de produits provenant d’États tiers.

Lexbase : Quels produits sont spécifiquement ciblés ?

Florian Ferjoux : Il s’agit des produits de base issus de la déforestation à savoir les bovins, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja, le bois. Il s’agit également des produits qui pourront ou pourraient être dérivés de ces produits de base.

Le champ d’application du Règlement est étendu, il porte sur un spectre assez large de produits dérivés. Des produits emblématiques sont concernés, comme le chocolat, les pneumatiques, l’huile de palme, le papier ou encore le cuir. Ce sont tous des produits dont la production présente un risque de déforestation ou de dégradation structurelle des forêts. De nombreux secteurs économiques sont donc impliqués.

La règle cardinale de ce Règlement est celle selon laquelle ces produits sont interdits à l’importation ou l’exportation, sauf si des conditions cumulatives sont réunies. Ils doivent être liés à une opération dite de zéro déforestation au sens du Règlement, ils doivent avoir été produits conformément à la législation du pays de production et ils doivent faire l’objet d’une procédure de diligence raisonnée. Cette dernière consiste en une collecte de données et une évaluation des risques, accompagnée de mesures permettant de limiter ces risques. Ce processus de traçabilité du produit doit garantir l’absence de déforestation ou de dégradation des forêts. Les acteurs économiques sont responsables d’un examen et d’une analyse approfondis de leurs propres activités commerciales.

Lexbase : Le Parlement européen a voté le 17 décembre pour repousser d’un an l’application du Règlement. Pour quelle raison ?

Florian Ferjoux : Juridiquement, le Règlement de 2023 est déjà entré en vigueur depuis le 29 juin 2023.

Initialement, son application devait quant à elle débuter, pour les acteurs les plus importants (hors PME), le 30 décembre 2024. À cette date, la mise sur le marché des produits visés par le Règlement devait être systématiquement associée au processus de diligence raisonnée démontrant en particulier l’absence de déforestation associée au produit.

Toutefois, à la suite de nombreuses tractations, le Règlement (UE) n° 2024/3234 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 2024, modifiant le Règlement (UE) 2023/1115 en ce qui concerne les dispositions relatives à la date d'application N° Lexbase : L1196MS4, a été publié pour modifier le Règlement du 31 mai 2023. L’objet principal de ce Règlement est le report d’une année des dispositions applicables.

Selon les institutions de l’Union, ce report serait nécessaire pour permettre aux pays tiers, aux États membres, et aux acteurs visés par le Règlement, d’être prêts et de pouvoir mettre en place les systèmes de diligence raisonnée avant la fin de l’année 2024.

Il intervient également dans un contexte général de mise en pause, report voire évolution de plusieurs textes de l’Union européenne du Pacte vert.

Ce n’est en outre que le 7 novembre 2024 que la Commission a publié une communication relative au cadre stratégique pour l’engagement en matière de coopération internationale dans le contexte du Règlement du 31 mai 2023. Cette communication établit notamment la méthodologie permettant de procéder à la classification des risques associés aux États de provenance des produits. Cette classification détermine plusieurs éléments, dont le degré du processus, l’évaluation du risque pour le produit ou encore le degré de contrôle des opérations. La méthodologie, basée sur des critères objectifs, est également déterminée par une coopération avec les pays partenaires concernés. La dimension politique de ce classement est indéniable, la publication de la méthodologie à la fin de l’année ne présageait pas une classification rapide. Cette classification de la Commission est reportée par le Règlement du 17 décembre 2024 au 30 juin 2025.

L’importation de bois demeure soumise à une règlementation. Le Règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché N° Lexbase : L8337IN4, va continuer d’être appliqué au cours de l’année 2025. Son abrogation, initialement prévue le 30 décembre 2024, est également reportée au 30 décembre 2025. Cela permet d’éviter que la lutte contre l’importation de bois illégaux, qui fait historiquement déjà l’objet d’un régime de contrôle et de suivi au sein de l’Union, n’ait plus aucune règlementation.

Lexbase : Restez-vous optimiste quant à la volonté de l'UE de lutter contre ce phénomène ?

Florian Ferjoux : Le texte est ambitieux, tant par son objet, le champ des produits concernés que par ses effets concrets pour les acteurs économiques. Le sujet traité, à savoir la déforestation importée, est à la fois un sujet crucial et sensible. Les enjeux sont très importants et dépassent le cadre de l’Union européenne. Le Règlement vise effectivement à affecter l’importation de produits majeurs pour des pays tiers à l’Union européenne. Sur ce point, des États tiers concernés par l’application du Règlement ont déjà manifesté au cours de l’année écoulée leur désaccord à l’égard de ce Règlement.

Cela étant, les obligations résultant de ce Règlement sont déjà pratiquées à l’échelle de la commercialisation du bois. Sa mise en application est tout à fait possible.

En outre, il importe d’aller jusqu’au bout du processus et de voir le texte s’appliquer. De manière générale, la remise à plat de textes votés par les institutions de l’Union peut avoir pour effet d’induire que même un texte adopté peut être aisément remis en cause.

Je constate enfin que, si le report a été acté, le contenu du Règlement n’a pas été affaibli en dépit de plusieurs tentatives en ce sens, et son application ne devrait pas être indéfiniment reportée.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

newsid:491690

Procédure pénale

[Observations] Office de la chambre de l’instruction en matière d’appel d’une ordonnance de refus de maintien d’une saisie pénale de sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire

Réf. : Cass. crim., 12 février 2025, N° 24-81.224, F-B N° Lexbase : A55806U9

Lecture: 3 min

N1705B3K

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par Maththieu Hy, Avocat

Le 17 Février 2025

En raison de l’effet dévolutif de l’appel, une chambre de l’instruction doit juger le recours contre une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention ayant rejeté la requête du ministère public aux fins de maintien d’une saisie pénale de sommes d’argent réalisée par officier de police judiciaire, quand bien même ces sommes ont été restituées entre temps en raison de l’absence d’effet suspensif de l’appel et quand bien même une saisie aurait postérieurement été réalisée pour un montant équivalent sur un compte bancaire distinct.

Dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, les enquêteurs ont procédé à la saisie de deux comptes bancaires dont une personne morale était titulaire pour un montant d’un peu plus d’un million d’euros sur autorisation du procureur de la République. Conformément aux dispositions de l'article 706-154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0947MRI, ce dernier a ensuite requis le maintien de cette saisie pénale auprès du juge des libertés et de la détention qui a rejeté la requête. Sur appel du ministère public, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance au motif que ne figurait à la procédure ni l’enquête préliminaire ni le procès-verbal de synthèse. L’arrêt de la chambre de l’instruction a été cassé sur pourvoi du procureur général [1]. Sur renvoi après cassation, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance et ordonné le maintien des saisies pénales. La société s’est alors pourvue en cassation.

Selon la demanderesse au pourvoi, l’appel du ministère public était devenu sans objet dès lors qu’à la suite de l’ordonnance de refus de maintien du juge des libertés et de la détention, les fonds avaient été restitués à la société en raison de l’absence d’effet suspensif de l’appel [2] et qu’entre temps, les fonds étaient devenus indisponibles dans la mesure où ils avaient été saisis par l’URSSAF.

La Chambre criminelle affirme sans surprise que l’appel du ministère public ne saurait être dépourvu d’objet du seul fait que la saisie a été levée en raison de l’absence d’effet suspensif du recours contre une ordonnance de mainlevée de saisie de sommes d’argent rendue par le juge des libertés et de la détention pendant l’enquête. Il revient donc à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la légalité et le bien-fondé de la mesure. La solution est logique et entre en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle un appel d’ordonnance relatif à une saisie pénale est privé d’objet uniquement lorsque la décision de mainlevée ou la décision de confiscation est devenue définitive [3], ce qui, par définition, ne saurait être le cas en l’espèce.

La Haute juridiction ajoute que sont indifférentes les éventuelles difficultés d’exécution d’une saisie pénale. De même, la saisie pénale qui a désormais retrouvé son plein effet n’est pas susceptible d’être affectée par la saisie réalisée par l’URSSAF sur un compte distinct, après la mainlevée et pour un montant équivalent.

Si la Chambre criminelle est juge du droit, son indifférence aux conséquences pratiques de sa solution est regrettable. La saisie pénale vise un montant déterminé mais surtout un compte bancaire précisément identifié [4]. L’impossibilité pratique d’exécuter l’arrêt infirmatif est donc quasiment assurée et place la personne morale concernée dans une situation d’insécurité.

Enfin, l’arrêt illustre à merveille le doublon problématique, qui se heurte à la même indifférence de la Chambre criminelle [5], que peut constituer l’action de l’URSSAF récupérant les montants éludés et celle de la justice pénale saisissant le produit de l’infraction qui correspond à ces mêmes montants éludés.


[1] Cass. crim., 10 janvier 2023, n° 21-86.778 N° Lexbase : A802887H.

[2] L’absence d’effet suspensif de l’appel, prévue notamment à l’article 706-154, alinéa 2, du Code de procédure pénale, est principalement destinée à assurer le caractère effectif de la saisie lorsqu’elle est prononcée ou maintenue par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction (Cons. const., décision n° 2016-583 QPC du 14 octobre 2016 N° Lexbase : A7732R7I).

[3] Notamment Cass. crim., 9 novembre 2022, n° 21-86.996 N° Lexbase : A13038S3.

[4] Pour une autre illustration, Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-84.323 N° Lexbase : A76459Q9.

[5] Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-85.754 N° Lexbase : A79739NM.

newsid:491705

Rel. individuelles de travail

[Point de vue...] Réseaux sociaux et liberté d'expression des salariés : entre rapport de force et équilibre

Lecture: 6 min

N1693B34

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par Emilie Meridjen, Avocate à la Cour

Le 14 Février 2025

Mots clés : Réseaux sociaux • liberté d'expression • vie personnelle • sanction de l'employeur • Linkedin

Le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Ce principe fondamental, régulièrement rappelé par les juridictions, découle des garanties consacrées à tout citoyen par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi que notre Constitution. Lorsqu’elle concerne les salariés, son exercice doit cependant s'harmoniser avec les obligations professionnelles auxquelles ces derniers sont tenus, ainsi qu’avec les intérêts de l'entreprise. Si les contours de la liberté d’expression des salariés étaient traditionnellement bien délimités, depuis l'essor des réseaux sociaux, la confusion entre les sphère privée et sphère publique devient plus délicate, soulevant des enjeux juridiques majeurs. Retour sur les évolutions récentes et celles attendues.  


 

Le principe de la liberté d'expression et ses limites

La liberté d'expression des salariés est encadrée par plusieurs textes, notamment le Code du travail (articles L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P et L. 2281-3 N° Lexbase : L2506H9P), qui garantit ce droit tout en prévoyant des restrictions justifiées et proportionnées.

La jurisprudence a défini des limites strictes à cette liberté, construisant progressivement les contours de l’abus. Ainsi, les juges sanctionnent-ils régulièrement des propos émanant de salariés dès lors qu’ils sont constitutifs de diffamation, d’injure, ou qu’ils sont jugés excessifs. Si les deux premières catégories sont bien circonscrites par renvoi aux définitions posées par la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse N° Lexbase : L7589AIW, les propos excessifs sont quant à eux soumis à une appréciation plus casuistique des tribunaux. À titre d’illustration, un salarié qui tient des propos attentatoires à la réputation de son employeur ou de ses collègues peut être sanctionné disciplinairement, voire licencié pour faute grave.

Réseaux sociaux : entre sphère privée et sphère publique

Les réseaux sociaux constituent un espace d'expression particulier, où la frontière entre vie privée et vie professionnelle est floue. Depuis une dizaine d’années, la Cour de cassation s’est attachée à tracer une ligne de démarcation entre la liberté d’expression des salariés sur la toile et l’abus.

Cette jurisprudence, principalement construite à propos de Facebook, permet d’articuler la démarcation autour de deux critères :

  • le paramétrage du compte : selon que le compte est privé ou public ;
  • le nombre de personnes ayant accès aux publications.

De cette jurisprudence on apprend ainsi que :

  • des propos publiés sur un mur en accès libre (aucune restriction mise en place dans le paramétrage) sont toujours considérés comme publics,
  • des menaces de mort publiées sur un mur et accessibles à 179 amis, dans une petite ville, sont publics,
  • les propos injurieux et offensants à l’égard de son employeur émanant d’une salariée sur un groupe Facebook fermé de 14 personnes dénommé « extermination des directrices chieuses », sont d'ordre privé,
  • des commentaires excessifs et injurieux d’un journaliste sur les réseaux sociaux, en contravention de l’obligation de neutralité à laquelle il est tenu, ne sont pas constitutifs d'un abus de sa liberté d'expression s’il a paramétré son profil Facebook comme privé.

Au-delà du caractère public ou privé des propos, l'identification de l'employeur et l'impact sur la réputation de l'entreprise sont également des critères clés d'appréciation.

LinkedIn et ses singularités

LinkedIn est particulièrement concerné par cette question.

Si la jurisprudence relative aux critiques portées contre son employeur est transposable, on relève toutefois sur ce réseau social une singularité liée tout à la fois à sa connotation professionnelle, et aux évolutions récentes constatées dans le contenu des publications.

En effet, depuis 18 mois environ, on y voit fleurir des prises de position personnelles de tous ordres – politique, religieuse, etc. – qui ont en commun d’être étrangères au cadre strictement professionnel attribué par convention à LinkedIn. Il est légitime de se demander si les employeurs, dont l’identité est mentionnée au-dessus du nom de l’auteur desdites publications, ont, ou non, leur mot à dire...

Pour illustrer la portée pratique de cette question d’un nouveau genre, prenons un cas réel : au lendemain du 7 octobre 2023, un salarié, dont le nom et celui de la société qui l’emploie sont apparents, publie sur LinkedIn un post acclamant les actes perpétrés par le Hamas. L’employeur peut-il sanctionner ce salarié sur le fondement d’un abus de liberté d’expression ?

D’un point de vue juridique, le fait tiré de la vie personnelle ne peut en principe être sanctionné par l’employeur.

Dès lors, les propos publiés sur un réseau social, sans rapport aucun avec le travail, ne mettant en cause ni l’employeur ni ses salariés, mais se contentant de traduire une pensée ou une conviction personnelle du salarié, sont normalement exclus du champ disciplinaire.

La limite réside dans le trouble objectif apporté à l’employeur : pourrait-on ainsi considérer qu’un qui se présente sur LinkedIn comme salarié d’une entreprise cause un trouble objectif à cette dernière en y partageant des convictions personnelles ? la réponse n’est pas simple et à notre connaissance, pas tranchée par les juridictions.

Un arrêt de la cour d’appel de Douai [1] apporte néanmoins un éclairage utile à la réflexion : si les faits de l’espèce concernaient des critiques dirigées contre l’employeur, le raisonnement de la cour permet néanmoins d’y déceler des éléments importants :

  • la définition même du terme de publication, induit clairement la volonté de faire connaître publiquement ses propos,
  • il convient de vérifier si, le message « posté » sur le réseau social LinkedIn, relevait de la sphère publique ou de la sphère privée,
  • LinkedIn a pour objet de permettre à ses membres d’entretenir des relations entre professionnels,
  • la salariée y est présentée par son nom et les deux métiers qu’elle exerce,
  • le message quand bien même il serait réservé aux relations de premier niveau du salarié, est accessible à des membres LinkedIn du monde professionnel et partageable à l’infini

Nul doute que ces critères serviront utilement à construire la jurisprudence de demain.

L'encadrement de l'usage des réseaux sociaux par l'employeur

Sujet sensible s’il en est : l’employeur a-t-il la possibilité de restreindre la liberté d’expression de ses salariés sur les réseaux sociaux ? Proportionnalité et justification doivent être systématiquement respectées, et dans les faits, les marges de manœuvre sont étroites.

L’élaboration d’une charte reste néanmoins vivement recommandée, et peut permettre de sécuriser les sanctions qui pourraient être envisagées par l’employeur.

Les sanctions

L’abus du salarié peut être sanctionné disciplinairement – la sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, mais également pénalement en cas de diffamation ou d’injure.

Prudence toutefois en matière de licenciement, car si les propos n’étaient pas considérés comme abusifs par les juridictions, c’est une liberté fondamentale que l’employeur aurait bafouée et le licenciement encourrait la nullité.

Conclusion

L'utilisation des réseaux sociaux par les salariés pose des défis juridiques complexes. Si la liberté d'expression demeure un droit fondamental, elle doit s'exercer dans le respect des obligations professionnelles et de la réputation de l'entreprise. L'équilibre entre liberté individuelle et intérêts de l'employeur nécessite une appréciation fine et en constante évolution.


[1] CA Douai, 31 mai 2024, n° 22/01378 N° Lexbase : A84695U9.

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