Le Quotidien du 5 février 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] Le réalisateur Christophe Ruggia condamné à de la prison ferme pour avoir agressé sexuellement Adèle Haenel lorsqu’elle avait 12 ans

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par Vincent Vantighem

Le 04 Février 2025

Assise sur un petit strapontin dans cette grande salle d’audience, elle est d’abord restée interdite pendant de longues minutes. Puis, à un moment, Adèle Haenel a esquissé une très légère mimique. Rien à voir avec les tics nerveux qui ont secoué son visage pendant le procès. Là, il s’agissait plutôt d’un sourire de soulagement. Rien de plus. Rien de moins. Voilà comment l’actrice a réagi, lundi 3 février, au jugement prononcé par la 15e chambre du tribunal judiciaire de Paris, à l’encontre de Christophe Ruggia.

Le réalisateur, âgé de 60 ans aujourd’hui, a été déclaré coupable d’agressions sexuelles sur mineure de 15 ans. « Après avoir longuement délibéré, le tribunal a décidé de vous déclarer coupable, a résumé Gilles Fonrouge, le président de cette chambre correctionnelle, après avoir demandé au prévenu de se rapprocher de la barre, en tout début d’après-midi. Vous avez profité de l’ascendant que vous aviez sur cette jeune actrice. Et qui était la conséquence de la relation exclusive que vous lui aviez imposée lors du tournage [du film Les Diables]. »

Sorti en 2001, le long-métrage ne dit plus rien à personne, à part à quelques cinéphiles très avertis. Mais il a ressurgi des archives où il aurait dû rester, en décembre dernier lors de l’audience, et il a suscité le malaise. Les Diables raconte la relation incestueuse entre un frère et une sœur autiste en cavale perpétuelle. Christophe Ruggia a décidé de faire tourner des scènes de sexe mimé par ces jeunes acteurs. Il s’est attardé sur le corps nu et encore enfantin de sa muse : Adèle Haenel.

Doublement césarisée depuis, l’actrice est sortie de sa réserve en 2019. D’abord dans les colonnes de Mediapart, puis dans une plainte à la justice. Elle y a raconté que le réalisateur l’avait invitée, chez lui, après le tournage pour des goûters un peu spéciaux. Quasiment tous les samedis après-midi, alors qu’elle était âgée de 12 à 14 ans. Alors qu’elle était en classe de quatrième. C’est là qu’elle a été agressée sexuellement. « Il respirait fort. Il se rapprochait de moi. Et puis, il passait sa main sous mon T-shirt, sous ma culotte... », avait-elle rappelé lors d’une audience électrique qui s’est tenue les 9 et 10 décembre.

Deux ans de prison ferme aménagés sous bracelet électronique

En dépit de ses dénégations souvent confuses, Christophe Ruggia a donc été condamné à une peine de quatre années d’emprisonnement dont deux années avec sursis. La partie ferme de sa peine devra être purgée sous forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique. Le tribunal a prononcé une interdiction d’exercer toute activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact régulier avec des enfants et son inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais). Le réalisateur doit, en outre, verser 40.000 euros de dommages-intérêts à Adèle Haenel, en réparation de son préjudice d’image et en remboursement de ses frais médicaux, notamment dû au lourd suivi psychiatrique imposé depuis qu’elle a révélé les faits.

Impossible pour le tribunal de ne pas prendre en compte la situation de la jeune femme. Égérie du cinéma français pendant des années, elle avait violemment claqué la porte des César et du milieu, en 2020, lorsque la cérémonie avait couronné Roman Polanski. Cela ne faisait que la conforter dans son idée que le cinéma français « a protégé et protège toujours les agresseurs ». En se levant et en se cassant de la cérémonie, selon l’expression désormais consacrée, elle est devenue le symbole de la lutte féministe. C’est donc à ce titre qu’elle a été soutenue tout au long du procès par une foule d’anonymes venue l’applaudir et quelques actrices comme Judith Godrèche ou encore Aïssa Maïga.

C’est sans doute ce qui lui a permis de livrer un témoignage aussi fort que glaçant et de supporter, pendant de longues heures, les dénégations de Christophe Ruggia avant d’exploser en lui lançant un « Mais ferme ta gueule » terrible alors qu’il était à la barre. S’en est-il souvenu lundi 3 février ? Assis face à elle, le réalisateur n’a jamais osé lui jeter un regard alors qu’il attendait la décision du tribunal.

Le réalisateur monte au greffe pour faire appel du jugement

Pour autant, sa position n’a pas changé si l’on en croit Fanny Colin, son avocate. Sitôt l’audience levée et la condamnation prononcée, celle-ci s’est présentée devant les nombreuses caméras qui l’attendaient dans la salle des pas perdus pour continuer à défendre son client. « Il n'a jamais touché Adèle Haenel. Le souvenir d'Adèle Haenel de ces supposés attouchements ne lui est revenu que quinze ans plus tard. Condamner dans ces conditions et sur la foi de cette seule parole-là nous paraît, non seulement, injustifié mais dangereux, a-t-elle lâché. Ici, la loi du plus puissant, de celui qui crie le plus fort, de celui qui a le soutien inconditionnel de l'opinion publique a broyé le principal fondamental du droit qu'est le bénéfice du doute... »

Derrière elle, Christophe Ruggia est passé sans un mot. Plutôt que de descendre pour quitter ce lieu qui venait de le condamner, il est monté directement au greffe pour indiquer qu’il interjetait appel du jugement qui venait d’être rendu. Cela ne devrait pas lui éviter un rendez-vous devant un service d’application des peines pour la pose d’un bracelet électronique, le tribunal ayant ordonné l’exécution provisoire de la partie ferme du jugement.

Quelques minutes plus tard, Adèle Haenel est sortie à son tour de la 15e chambre. Sans un mot, elle a fendu la foule des journalistes pour descendre dans la salle des pas perdus retrouver les soutiens qui l’ont longuement applaudie. « Merci. Merci de votre présence pour faire avancer les choses pour les droits humains », a-t-elle simplement prononcé. Elle sait déjà qu’ils seront tous là lors d’un éventuel procès en appel.

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Droit rural

[Observations] Décès du preneur : dévolution du bail rural en l’absence de dévolutaires privilégiés

Réf. : Cass. civ 3., 9 janvier 2025, n° 23-13.884, FS-B N° Lexbase : A67956PD

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N1578B3T

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté

Le 04 Février 2025

► En principe, lorsque le preneur décède sans laisser de conjoint, d'ascendant ou de descendant qui participent à l'exploitation ou qui y ont participé effectivement au cours des cinq années qui ont précédé le décès, le droit au bail passe, en l'absence de résiliation de la part du bailleur dans le délai de six mois, à ses héritiers ou ses légataires universels ; toutefois, ce droit peut être attribué à l'un d'eux par le tribunal paritaire, qui, en cas de demandes multiples, se prononce en considération des intérêts en présence et de l'aptitude des différents demandeurs à gérer l'exploitation et à s'y maintenir.

En l’espèce, un preneur est décédé laissant pour lui succéder deux fils, estimant chacun pouvoir bénéficier de l’attribution préférentielle du bail rural conclu par leur père. Chacun de deux fils a été débouté de leur demande de désignation en qualité de repreneur du bail litigieux par le tribunal paritaire des baux ruraux. L’un des fils a interjeté appel, mais le jugement a été confirmé par la cour d’appel, qui a attribué le bail au second fils, lequel avait la préférence des bailleurs.

Le fils évincé forme un pourvoi.

Question. Le décès du preneur n’entrant pas la fin du bail rural, comment s’opère sa dévolution en l’absence d’ascendant, de descendant ou de conjoint ayant participé de manière effective à l’exploitation au cours des cinq années précédant le décès ?

Enjeu. En cas de demandes d’attributions multiples, quelles sont les critères et les conditions appliqués par le tribunal paritaire des baux ruraux pour choisir le repreneur du bail rural ?

Réponse de la Cour de cassation. Par application du premier alinéa de l’article L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4467I49, la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 janvier 2025, juge qu’en cas de demandes multiples, le tribunal se prononce en considération des intérêts en présence et l’aptitude des différents demandeurs à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article 1742 du Code civil N° Lexbase : L1864ABN, le bail rural ne prend pas fin par le décès du bailleur, et il est en de même avec celui du preneur.

L’article L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime, qui est d’ordre public (Cass. civ. 3, 28 juin 2006, n° 05-20.860, FS-P+B N° Lexbase : A1195DQC) envisage deux hypothèses de continuation du bail après le décès du preneur :

- transmission anomale ou privilégiée :  lorsque le défunt laisse au moins un ascendant, un descendant ou son conjoint ayant participé de manière effective l’exploitation au cours des cinq dernières années précédant le décès (Cass. civ. 3, 16 novembre 2022, n° 21-18.527, FS-B N° Lexbase : A28728TK). Dans ce cas, le bail continue de plein droit au profit de la personne répondant à ses conditions, le bailleur n’ayant pas le droit d’en demander la résiliation (Cass. civ. 3, 14 novembre 2019, n° 18-20.862, F-D N° Lexbase : A6614ZYM).

- transmission ordinaire : en l’absence d’ascendant, de descendant ou de conjoint ayant participé de manière effective à l’exploitation au cours des cinq dernières années précédent le décès. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, le droit au bail est transmis dans ce cas, aux héritiers ou aux légataires (Cass. civ. 3, 27 juin 1979 n° 78-12.090 N° Lexbase : A2207CKX ; Cass. civ. 3, 24 février 1988, n° 86-15.863 N° Lexbase : A0012AAP ; Cass. civ. 3, 27 septembre 2011, n° 10-23.242 N° Lexbase : A1240HYL ; Cass. civ. 3, 7 septembre 2022, n° 21-19.188 N° Lexbase : A68198HZ).

Par ailleurs, l’article L. 411-34 précité dispose qu’en cas de demandes multiples, le tribunal se prononce en considération des intérêts en présence et de l’aptitude des différents demandeurs à gérer l’exploitation et s’y maintenir.

À ce jour, les décisions portant sur la faculté d’attribuer un bail rural dans le cadre d’une transmission ordinaire en cas de demandes multiples sont rares. Ainsi, dans l’arrêt du 27 juin 1979 précité, la Cour de cassation avait décidé que dans cette situation, le droit au bail peut être attribué à l’un des ayants-droits par le tribunal paritaire, qui, en cas de demandes multiples, se prononce en considération des intérêts en présence et de l'aptitude des différents demandeurs à gérer l'exploitation et à s'y maintenir.

En pratique, les conditions sont appréciées souverainement par les juges du fond, mais il semble que l’avis du bailleur, comme en l’espèce, doive être pris en compte dans le cadre des « intérêts en présence ». En tout état de cause, la Cour de cassation semble devoir exercer seulement un contrôle de motivation en cas de contestation de la décision d’attribution des juges du fond.

Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : Résiliation du bail rural pour cause de décès du preneur : spéc. Continuation du bail par un membre de la famille du preneur in Droit rural (dir. Ch. Lebel) N° Lexbase : E9029E9B.

 

newsid:491578

Procédure administrative

[Dépêches] La désignation d’un cabinet d’avocat n’implique pas forcément la volonté de poursuivre le contentieux

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 31 janvier 2025, n° 475933, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A91656SA

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N1608B3X

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par Yann Le Foll

Le 10 Février 2025

Même si le requérant fait valoir qu’un cabinet d'avocats s'est constitué dans le délai imparti, cela ne signifie pas pour autant la confirmation expresse de l'intention de sa part de maintenir ses conclusions.

Une société a saisi le tribunal administratif de Paris le 30 juillet 2014 d'une demande tendant à la décharge partielle de la contribution au service public de l'électricité dont elle s'est acquittée au titre des années 2011 à 2014. Par un courrier du 13 septembre 2022, notifié par voie postale le 16 septembre suivant, le président du tribunal administratif de Paris a demandé à la société de confirmer le maintien de ses conclusions.

Ce même courrier précisait qu'à défaut de réception de cette confirmation dans un délai d'un mois, elle serait réputée s'être désistée de ses conclusions en application des dispositions de l'article R. 612-5-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2820LP7. Le président du tribunal administratif de Paris ayant estimé que la société n'avait pas confirmé le maintien de ses conclusions dans le délai fixé, il a donné acte de son désistement.

La Haute juridiction confirme cette décision. La société, en dépit de la constitution d’un cabinet d’avocats pour défendre ses intérêts, n’avait pas apporté une réponse comportant la confirmation du maintien des conclusions.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La mise en demeure, La demande de confirmation au requérant de sa volonté de maintenir ses conclusions, in Procédure administrative (dir. C. De Bernardinis), Lexbase N° Lexbase : E0231X3X.

 

newsid:491608

Procédure prud'homale

[Commentaire] Reconnaissance et effets d’une situation de coemploi : la détermination délicate des délais de prescription et de leur point de départ

Réf. : Cass. soc., 15 janvier 2025, n° 23-11.765, FS-B N° Lexbase : A47876QD

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N1597B3K

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par Marie-Noëlle Rouspide-Katchadourian, Maître de conférences à l'Université de Caen Normandie, Avocate associée, cabinet Fidal

Le 03 Février 2025

Mots clés : prescription quinquennale • coemploi • fraude • point de départ de la prescription • délais de prescription

L'action visant à la reconnaissance d'une situation de coemploi relève de la prescription de l'article 2224 du Code civil. Les actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires qui en découlent sont soumises aux délais de prescription déterminés par la nature de la créance invoquée.

Lorsque la situation de coemploi a été révélée au salarié par la découverte d'une fraude, le point de départ de ces délais est la date à laquelle le salarié a connu les faits révélant la découverte de la fraude.


La reconnaissance d'une situation de coemploi permet aux salariés de se prévaloir de certaines obligations découlant du contrat de travail conclu avec leur employeur initial à l'encontre d'un tiers, susceptible d’assurer le paiement de sommes éventuellement dues au titre de la perte d'emploi.

Dans un premier temps, la Cour de cassation retenait qu’une « société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l'égard du personnel employé par une autre, hors l'existence d'un lien de subordination, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction de cette dernière » [1].

Puis, la Chambre sociale a abandonné le critère de la triple confusion ; la définition du coemploi est désormais fondée sur l’immixtion permanente d’une société dans la gestion économique et sociale de la société employeur et la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière [2]. Elle a également admis que la reconnaissance d’une situation de coemploi est susceptible d’être caractérisée en dehors de l’existence d’un groupe [3].

Dans l’arrêt du 15 janvier 2025, les critères de reconnaissance d’une situation de coemploi et leur application n’étaient pas discutés. La question était en réalité de savoir si l’action de la salariée était prescrite.

En effet, la salariée, engagée en qualité de vendeuse employée de caisse le 15 mai 2006, par le gérant de la société Setaffaires, avait bénéficié d’un congé de maternité suivi d’un congé parental. Durant son congé parental (qui avait pris fin le 5 novembre 2012), le gérant de la société Setaffaires avait informé la salariée que la société avait été reprise et lui avait indiqué que son nouvel employeur était la société Setaffaires Limited. En l’absence d’information sur ce nouvel employeur, malgré la fermeture du magasin, la salariée n’avait pu reprendre son emploi. Elle avait saisi la juridiction prud’homale le 13 décembre 2012, afin d’obtenir de la société Setaffaires Limited le paiement de diverses sommes liées au caractère abusif de la rupture de son contrat de travail, intervenue sans licenciement, le 5 novembre 2012. Le 16 juin 2014, le conseil de prud’hommes a fait droit à ses demandes. Puis, la salariée avait appris, en 2016, que l’activité de la société Setaffaires s’était poursuivie malgré sa radiation et que le gérant de la société Settafaires était également dirigeant de la société Gigaffaires. Celui-ci avait, en effet, été cité devant le tribunal correctionnel en 2016 (et reconnu coupable ultérieurement) pour organisation frauduleuse d’insolvabilité. La salariée avait saisi la juridiction prud’homale, le 4 mars 2016, afin que soit reconnue la qualité de coemployeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires ainsi qu’au gérant de celles-ci. Elle sollicitait leur condamnation solidaire au paiement de diverses sommes en réparation des préjudices subis. La juridiction prud’homale et la cour d’appel avaient fait droit à ses demandes. Selon la cour d’appel, l’action n’était pas prescrite. Les demandeurs au pourvoi soutenaient, à l’inverse, que l’action de la salariée devait être déclarée irrecevable.

La Cour de cassation énonce que « l'action visant à la reconnaissance d'une situation de co-emploi revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC ». Elle ajoute que « lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d'une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l'existence de la fraude, lui permettant d'exercer son droit ».

Ainsi, la Cour de cassation apporte d’importantes précisions sur les délais de prescription applicables lors d’une action en reconnaissance d’une situation de coemploi. Elle fait à cet égard, application de la formule précédemment dégagée dans ses arrêts selon laquelle « le délai de prescription est déterminé par la nature de la créance invoquée » (I.). Elle se prononce, en outre, sur le point de départ de ces délais dans un contexte de fraude (II.).

I. Des délais de prescription liés à la nature de la créance

Les délais de prescription régissant la relation de travail sont multiples. Cette diversité rend parfois délicate la détermination du délai de prescription applicable. La Cour de cassation s’efforce néanmoins de clarifier l’application des règles en la matière. À cet effet, elle retient que le délai de prescription applicable est déterminé par la nature de la créance invoquée [4]. Il en résulte qu’en cas de demandes multiples, « chacune d’entre elles doit être examinée de façon distincte et appréciée selon son objet précis, ce qui peut conduire à retenir la prescription pour certaines et à l’écarter pour d’autres » [5]. C’est ainsi que procède la Cour de cassation dans le présent arrêt. Elle distingue l’action en reconnaissance de la situation de coemploi et les actions qui en découlent.

La prescription de l’action en reconnaissance d’une situation de coemploi. L’article 2224 du Code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». L’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ, dans sa version applicable à l’espèce, disposait quant à lui que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit » (rédaction résultant de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 [6], antérieure à l’ordonnance, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail du 22 septembre 2017 [7]).

Or, dans cette affaire, la cour d’appel avait estimé que le point de départ de la prescription applicable à l’action de la salariée était la fin du congé parental, soit le 5 novembre 2012. Selon elle, le délai de prescription de droit commun de cinq ans, visé à l’article 2224 du Code civil, avait vocation à s’appliquer. Ainsi, l’action n’était pas prescrite au jour de la saisine du juge, le 4 mars 2016.

Les demandeurs au pourvoi considéraient, à l’inverse, que l’action de la salariée était prescrite. Selon eux, les créances invoquées par la salariée étaient nées de la rupture du contrat de travail. Dès lors, le délai de prescription de l’article L. 1471-1 du Code du travail s’appliquait et compte tenu des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013, la salariée ne pouvait plus agir après le 17 juin 2015.

Mais la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et confirme sur ce point l’analyse de la cour d’appel.

La solution n’était pourtant pas évidente. La Cour de cassation considère que « l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du Code civil » [8]. Cependant, comme le soulignait l’avis de l’Avocate générale « pour caractériser une situation de coemploi, le salarié doit établir l’immixtion permanente de personnes physiques ou morales dans la gestion économique et sociale de l’employeur de droit, et non l’existence d’un contrat de travail le liant à ces personnes » [9]. Ici, « un contrat de travail a bien été signé et correspond à la réalité de la situation ». L’avocate générale en concluait que l’article L. 1471-1 du Code du travail avait vocation à s’appliquer.

Toutefois, cette analyse n’a pas été retenue par la Cour de cassation qui énonce sans ambages que « l'action visant à la reconnaissance d'une situation de coemploi est soumise à la prescription quinquennale de droit commun ». À l’appui de cette solution, il est permis d’avancer que certes, en l’espèce, l’existence d’un contrat de travail entre le salarié et l’employeur initial était incontestable ; reste, qu’en l’espèce, était discutée la reconnaissance éventuelle d’une situation de coemploi entre la salariée et les coemployeurs. C’est donc la reconnaissance de cette relation « dont la nature juridique était indécise ou contestée » qui était au cœur des débats [10].

La prescription des demandes salariales et indemnitaires. Une fois acquise la recevabilité de l’action, restait à déterminer les délais de prescription applicables aux demandes salariales et indemnitaires de la salariée, consécutives à la reconnaissance de la situation de coemploi.

À cet égard, la Cour de cassation décide, sans surprise, qu’elles sont soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée. Ainsi, les demandes indemnitaires liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail sont soumises aux prescriptions de l’article L. 1471-1 du Code du travail. Les actions en paiement du salaire se prescrivent par trois ans, conformément à l’article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH.

L’analyse est parfaitement logique au regard des règles dégagées récemment par la Cour de cassation.

II. Un point de départ spécifique lié à l’existence d’une fraude

Demeurait encore une interrogation liée au point de départ des délais de prescription. Au regard des textes applicables à l’espèce, la date de connaissance des faits marquait le point de départ de l’action en prescription. La Cour de cassation précise que, dans cette affaire, il s’agissait de la date de connaissance des faits révélant l’existence de la fraude.

La date de connaissance des faits permettant l’exercice de l’action. Selon l'article 2224 du Code civil, la prescription court « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La cour d’appel avait fixé le point de départ de la prescription à la date à laquelle la relation de travail avait cessé, soit à la fin du congé parental, le 5 novembre 2012. En ce qui concerne l’action en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, la Cour de cassation retient que « la qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit » [11].

La date de connaissance des faits révélant l’existence de la fraude. Pourtant, en l’espèce, la Cour de cassation adopte un raisonnement différent. Elle précise que « lorsque la situation de coemploi a été révélée au salarié par la découverte d'une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l'existence de la fraude, lui permettant d'exercer son droit ».

Dans cette affaire, le Procureur de la République avait fait citer le gérant devant le tribunal correctionnel en 2016. C’est à cette date que la salariée avait été en mesure de connaître l’organisation frauduleuse d’insolvabilité par son employeur et avait, en conséquence, saisi le juge.

La solution doit donc être approuvée ; au jour de la cessation du contrat de travail, la salariée n’avait pas connaissance d’une éventuelle situation de coemploi.

La date de connaissance des faits révélant l’existence de la fraude marquait non seulement le point de départ de la prescription de l’action en reconnaissance de la situation de coemploi mais également celui des actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires qui en découlaient. L’article L. 1471-1 du Code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, précisait que l’action portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail se prescrivait par deux ans « à compter du jour ou celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». L’article L. 3245-1 du Code du travail prévoit que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans « à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En conséquence, l’unité du point de départ de la prescription est ici parfaitement justifiée.

Reste néanmoins à s’interroger sur la fixation de ce point de départ en cas de contestation portant sur la rupture du contrat de travail, au regard de la rédaction actuelle de l’article L. 1471-4 du Code du travail.  En effet, ce texte prévoit désormais que « toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ». L’existence d’une fraude autorisera-t-elle à considérer que le point de départ du délai de prescription doit être reporté ? Il est permis de le penser. Une telle analyse pourrait résulter du principe selon lequel « la fraude corrompt tout » [12].

La Cour de cassation poursuit ainsi sa construction jurisprudentielle en matière de prescription et affine son raisonnement au gré de ses décisions L’effort de clarification auquel se livre la Cour de cassation est manifeste. Il n’efface pas, pour autant, la complexité des règles applicables en la matière.


[1] Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208, FS-P+B N° Lexbase : A2662MTR, arrêt « Molex ».

[2] Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 18-13.769, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A551137A, arrêt « AGC ».

[3] Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-10.488, n° 23-10.488, F-B N° Lexbase : A290259D.

[4] V. not. : Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-10.161, FS-B N° Lexbase : A21654YT ; Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932 N° Lexbase : A21214Y9 et n° 20-12.960, FS-B N° Lexbase : A20724YE ; Cass. soc., 4 décembre 2024, n° 23-12.436, FS-B N° Lexbase : A08836LB.

[5] Recueil annuel des études de la Cour de cassation 2023 [en ligne].

[6] Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : L0394IXU, art. 21.

[7] Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail N° Lexbase : L5827LA3, art. 6.

[8] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-14.421 N° Lexbase : A56207W3 et n° 20-18.084 N° Lexbase : A56447WX, FS-B.

[9] Cour de cassation, Avis de Mme Roques, Avocate générale [en ligne].

[10] Sur la nature de cette relation, v. not. : G. Auzero, La nature juridique du lien de coemploi, SSL, 2023, n° 1600, p. 8 ; G. Loiseau, L’identification des effets du coemploi, JCP S, 2013, 1439.

[11] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-14.421 N° Lexbase : A56207W3 et n° 20-18.084 N° Lexbase : A56447WX, FS-B.

[12] Rappr. : Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16.994, FS-P+B N° Lexbase : A2407RUP. V. aussi : Cass civ. 3, 30 mai 2024, n° 23-10.184, FS-B N° Lexbase : A97715DA.

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Responsabilité administrative

[Commentaire] La consécration d’un nouveau fondement de la responsabilité pour faute de l’État

Réf. : TA Paris, 16 janvier 2025, n° 2022217 N° Lexbase : A38446RS

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N1615B39

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par Clémence Vanduÿnslaeger, Avocate au Barreau de Lille, et Caroline De Lambilly, Doctorante à Paris Panthéon Sorbonne et enseignante en droit public à l’Université Catholique de Lille

Le 04 Février 2025

Mots clés : magistrats • responsabilité de l’État • secret professionnel • écoutes téléphoniques • corruption

Par le présent jugement, si, d’une part, le tribunal administratif de Paris réaffirme le principe selon lequel l’illégalité fautive doit être la cause directe et certaine d’un préjudice pour ouvrir réparation devant la justice administrative dans le cadre de la responsabilité de l’État, il consacre, d’autre part, que la mise en cause publique de magistrats sur la base d’allégations erronées constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.


 

Les faits

Le tribunal administratif de Paris a été saisi d’un litige trouvant son origine dans l’affaire judiciaire impliquant Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, poursuivis pour trafic d’influence et corruption.

Dans ce cadre, le Parquet National Financier (PNF) avait ouvert, le 4 mars 2014, une enquête préliminaire dite enquête « 306 » pour violation du secret professionnel, en vue d’identifier un tiers au sein du milieu judiciaire susceptible d’avoir informé les mis en cause qu’ils faisaient l’objet d’écoutes téléphoniques. Cette enquête, suivie par deux magistrats du PNF jusqu’au 7 octobre 2016, a impliqué à l’exploitation des factures détaillées de plusieurs avocats, notamment celles d’Éric Dupond-Moretti. Pour cette raison, ce dernier a déposé une plainte contre X pour atteinte à la vie privée, violation du secret des correspondances et abus d’autorité, le 30 juin 2020.

Le 1ᵉʳ juillet 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) d’une enquête de fonctionnement concernant cette affaire. Rendu le 15 septembre 2020, le rapport de l’IGJ a relevé notamment un manque de rigueur dans le traitement de la procédure de l’enquête dite 306.

Par un communiqué du 18 septembre 2020 publié sur le site du ministère de la justice, M. Dupond-Moretti, désormais Garde des Sceaux, ministre de la Justice, annonçait avoir saisi l’IGJ d’une enquête administrative sur le comportement professionnel des deux magistrats en charge de l’enquête 306 ainsi que de leur supérieure hiérarchique de l’époque, en mentionnant expressément leurs identités.

En conséquence, les magistrats concernés ont sollicité devant la justice administrative la réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis en raison des fautes commises par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans l’exercice de ses fonctions.

Commentaire

À titre liminaire, il y a lieu de souligner que le tribunal administratif de Paris a jugé recevable la requête indemnitaire collective conformément à la position constante du Conseil d’État selon laquelle une requête indemnitaire émanant de plusieurs requérants est recevable si les conclusions qu’elle comporte présentent entre elles un lien suffisant [1].

Pour solliciter la condamnation de l’État à réparer les préjudices subis, deux fondements de responsabilité ont été soulevés devant le juge administratif et examinés par ce dernier : l’illégalité d’un acte administratif (I) et la mise en cause publique des requérants (II).

I. La responsabilité de l’État en raison de l’illégalité d’un acte administratif

Tout d’abord, le tribunal administratif réaffirme le principe, issu de la jurisprudence « Driancourt » [2] et énoncé explicitement dans la jurisprudence « Imbert » [3], selon lequel toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en ait résulté un préjudice direct et certain.

Ce principe s’applique lorsqu’un acte administratif est entaché d’une illégalité. La légalité de l’acte est alors examinée par le juge administratif, qui, sans pour autant annuler l’acte litigieux, peut reconnaître que ce dernier est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.

En l’espèce, le tribunal administratif de Paris a considéré que l’acte de saisine de l’IGJ, révélé par le communiqué de presse du 18 septembre 2020, avait été pris en méconnaissance du principe d’impartialité et était donc entaché d’illégalité.

Toutefois, il est de jurisprudence constante que si toute illégalité est fautive, elle n’ouvre pas automatiquement droit à réparation.

En effet, dans sa décision du 24 juin 2019, le Conseil d’État a précisé la méthode à suivre pour établir si l’illégalité d’une décision administrative a effectivement causé un préjudice [4] : lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir. Dans l’affirmative, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe et certaine de l’illégalité invoquée.

En l’occurrence, faisant application de cette jurisprudence, le tribunal administratif a considéré que la même décision de saisine de l’IGJ aux fins d’enquête administrative aurait pu légalement intervenir. Dès lors, il ne pouvait qu’écarter la condamnation de l’État aux motifs que les préjudices invoqués par les requérants ne sauraient être regardés comme la conséquence directe de l’illégalité entachant la décision du Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Ainsi, le jugement commenté rappelle une nouvelle fois que la seule constatation d’une illégalité ne peut suffire sans qu’elle n’ait causé un préjudice direct et certain pour ouvrir droit à réparation.

II. La responsabilité de l’État à raison de la mise en cause publique des requérants

Dans un second temps, le tribunal administratif de Paris a examiné un nouveau fondement de responsabilité : la responsabilité de l’État à raison de la mise en cause publique des requérants.

Par ce jugement, le tribunal administratif de Paris affirme que les membres du Gouvernement ne sont pas, à la différence des fonctionnaires, formellement soumis à l’obligation de réserve. Cette obligation, trouvant notamment son fondement dans l’article L. 121-7 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L6217MBU, limite la liberté d’expression des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. Ces derniers sont en effet tenus de faire preuve de « discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».

Si le juge écarte l’application des obligations pesant sur les fonctionnaires aux membres du Gouvernement, il ne considère pas pour autant que ces derniers disposent d’une liberté d’expression sans limite.

En effet, le juge administratif vient poser la limite suivante : l’allégation publique de faits matériellement inexacts portant atteinte à la réputation professionnelle, à l’honneur ou à la considération d’une personne est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Sans citer directement le mot « diffamation », le juge administratif fait ainsi référence à la définition présente à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse N° Lexbase : L7589AIW.

En l’espèce, le tribunal administratif relève que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a imputé à deux magistrats des faits matériellement inexacts, en affirmant publiquement qu’ils avaient refusé de déférer aux convocations de l’inspection générale de la justice et de répondre à ses questions, alors même que ces allégations étaient contredites par le rapport remis au ministre quelques jours auparavant. Le juge administratif insiste également sur le large traitement médiatique donné à ces propos erronés, ce qui a aggravé leur portée et leurs conséquences.

Ainsi, en diffusant publiquement des informations inexactes portant atteinte à la réputation de ces magistrats, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Par conséquent, le tribunal administratif a condamné l’État à verser respectivement aux requérants une somme de 15 000 et 12 000 euros en réparation des préjudices subis.

Ce faisant, le jugement commenté semble créer un nouveau fondement de responsabilité de l’État fondé sur la faute de service résultant de l’affirmation de propos erronés par un membre du Gouvernement, dès lors que ceux-ci ont été intentionnellement médiatisés.

                                                                                                                                                                                       ***

Avec la présence de plus en plus fréquente des membres du Gouvernement dans les médias, la question se pose de l’éclosion d’un nouveau type de contentieux. En tout état de cause, il ne fait nul doute que pour le juge administratif, l’État doit être le garant de la véracité des déclarations ministérielles sous peine d’engager sa responsabilité pour faute devant la juridiction administrative [5].


[1] CE, 9° et 10° ch.-r., 10 décembre 2021, n° 440845, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83287E8.

[2] CE Contentieux, 26-01-1973, n° 84768 N° Lexbase : A7586B8H.

[3] CE, 1°-6° s-s-r., 30 janvier 2013, n° 339918, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4379I4X.

[4] CE, 3°-8° ch.-r., 24 juin 2019, n° 407059, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3716ZGQ.

[5] M. Lhéritier, La faute de l’État dans la mise en cause publique de deux magistrats du parquet national financier, Le Quotidien, 24 janvier 2025 N° Lexbase : N1551B3T.

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