Le Quotidien du 14 janvier 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[Dépêches] Justice française : les chiffres clés des condamnations en 2023

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N1459B3G

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par June Perot

Le 13 Janvier 2025

Le ministère de la Justice vient de publier son rapport annuel sur les condamnations en France pour l'année 2023. Voici les points à retenir :

D’après ce rapport, la France a enregistré un total de 543 851 condamnations prononcées. Cela représente une augmentation de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation reflète une activité judiciaire soutenue.

Les infractions les plus sanctionnées incluent les délits, qui constituent 95,2 % des 891 000 infractions enregistrées, avec des infractions liées à la circulation routière et aux atteintes aux personnes en tête de liste. À noter que 62 % des crimes sanctionnés sont des viols et autres crimes de nature sexuelle.

Selon le rapport encore, les tribunaux correctionnels sont à l’origine de près de 9 condamnations sur 10 en 2023 (87 %). Les condamnations prononcées par les tribunaux de police représentent quant à elles 4,2 % de l’ensemble des condamnations.

En ce qui concerne la durée moyenne des procédures, elle est de 12,6 mois pour les délits, 69,3 mois pour les crimes, et 11,1 mois pour les contraventions de 5e classe.

newsid:491459

Fiscalité des entreprises

[Observations] La liquidation déguisée : comme un Manag’Air d’abus de droit

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 29 novembre 2024, n° 470958 N° Lexbase : A94326KK et n° 469012 N° Lexbase : A94286KE, mentionnés aux tables du recueil Lebon

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N1427B3A

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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh et Associés

Le 20 Janvier 2025

« L’abus de droit a consisté, par des actes non fictifs, à faire en sorte que l’être moral CDA puisse survivre en apparence à la réalisation de cet objet ». Le Rapporteur public Olivier Lemaire auprès de la cour administrative d’appel de Paris justifiait ainsi en 2018 le recours à l’abus de droit dans la fameuse affaire Wendel. Selon lui, la société constituée par les managers du groupe Wendel n’avait comme seul véritable objet que la mise en œuvre de l’intéressement de ces managers. La réalisation de cet objet social devait nécessairement entrainer sa dissolution et a liquidation et donc l’imposition du boni de liquidation entre les mains des associés.

Cependant, ce moyen n'avait pas été retenu en appel et il n'avait plus ou peu été évoqué, jusqu'à deux affaires récentes examinées par le Conseil d’État le 29 novembre 2024.

La première affaire (n° 470958) concerne la société Manag’Air, qui, en 2011, avait cédé son unique avion, perdu sa certification de transporteur aérien et licencié ses pilotes. L’associé unique avait ensuite vendu la totalité des actions de la société, appliquant l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du Code général des impôts N° Lexbase : L9350LHR pour les départs en retraite des dirigeants. L’administration fiscale a considéré que le prix de cession, après déduction des apports, devait être traité fiscalement comme un boni de liquidation imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Le Conseil d’État a, au contraire, jugé que « la cession des éléments d'actif nécessaires à l'exercice de l'activité opérationnelle d'une société n'est pas de nature, à elle seule, à conférer à la cession, postérieure, des titres de cette société un caractère artificiel dissimulant en réalité la liquidation ».

Le Conseil d’État restreint donc significativement la possibilité de recourir à la procédure d’abus de droit pour contester la poursuite d’une société après l'accomplissement de son objet social. Il souligne que cette situation pouvait néanmoins priver le contribuable de l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du CGI, parce que l’exercice d’une activité par la société dont les actions cédées est une condition à l’application de ce régime. Cette décision écarte le caractère abusif de la poursuite d’une société qui n’a plus d’activité effective. Le Conseil d’État ne donne pas pour autant raison au contribuable dès lors que le bénéfice du régime fiscal en cause est conditionné à la poursuite d’une activité sociale.

Dans un second arrêt (n° 469012), le Conseil d’été a validé le recours à l’abus de droit en présence de la cessation d’activité d’une société dont l’existence juridique a été maintenue.

Dans cette affaire, la société Hellier du Verneuil (HV) avait acquis toutes les parts d'une SCI soumise à l’impôt sur les sociétés, dont l'actif principal était un immeuble à usage commercial et de bureaux. Cet immeuble avait été cédé les parts de la SCI à des sociétés liées immédiatement après l’acquisition. Le produit de la vente avait été distribué à HV qui a appliqué l'exonération prévue par les sociétés mères par les articles 145 N° Lexbase : L6168LUY et 216 N° Lexbase : L0832MLE du CGI. HV avait ensuite constitué une provision pour dépréciation des parts de SCI pour un montant proche de celui des dividendes distribués. Cette provision a été considérée comme fiscalement déductible s’agissant de parts d’une société à prépondérance immobilière. La SCI a finalement été dissoute deux mois après la fin de la deuxième année de son acquisition pour assurer le bénéfice du régime d’exonération des dividendes.

 Toutefois, le juge n’invoque pas une liquidation déguisée à titre général. Il examine spécifiquement les conditions d’application du régime mère fille aux dividendes distribués par une société vidée de sa substance. Le Conseil d’État, confirmant l'analyse de la Cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 21 septembre 2022, n° 21PA04204 N° Lexbase : A01478KN), a considéré que la poursuite de la SCI, qui s’est défaite de tous ses actifs, n'avait pour seul objectif que de se conformer formellement à la durée de conservation des parts nécessaire pour l’application du régime des sociétés mères. Ce respect formel de la condition de conservation des titres a été jugé contraire à l'intention du législateur qui a voulu encourager l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales. Cette condition ne pouvait être remplie dans le cas d’une société ayant définitivement cessé toute activité.

Cette décision doit être rapprochée de la recherche de la substance des filiales pour l’application du régime mère fille.  Il avait ainsi refusé le bénéfice du régime mère fille aux distributions effectuées par une filiale dont l’activité se limitait à redistribuer des intérêts retirés d’investissements passifs (CE 9° et 10° ssr., 11 mai 2015, n° 365564, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8878NHB). Il s’est aussi opposé à l’application du régime mère fille aux distributions effectuées par des sociétés acquises après avoir cessé toute activité (montages dits « coquillards) (CE 9° et 10° ssr., 17 juillet 2013, n° 352989, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9569KIA).

Dans la décision du 29 novembre dernier, le Conseil d’État fait une application nouvelle de l’abus de droit en considérant que la SCI aurait dû être dissoute après la réalisation de son objet social. La question de l’existence d’un « abus de droit par abstention » se pose à nouveau. La rapporteure Céline Guibé a déjà évoqué cette possibilité à propos du maintien de la date de clôture de l’exercice d’une société qui avait acquis un groupe intégré fiscalement clôturant à une date différente. Le maintien de la date de clôture avait eu pour effet de réduire la durée d’un exercice à moins de 30 jours et avait permis d’éviter l’imposition de la quote-part de frais et charges sur les dividendes perçus des filiales du groupe acquis, à l’époque plafonnée aux frais réellement encourus. Le Conseil d’État avait confirmé l’existence d’un abus de droit mais sur la base d’un autre moyen (CE 9° et 10° ch.-r., 19 mai 2021, n° 429476, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A25104SR).

newsid:491427

Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Preuve d’une récompense due à la communauté : un arrêt qui dérange

Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2024, n° 22-22.828, F-D N° Lexbase : A88806MT

Lecture: 16 min

N1443B3T

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par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris

Le 14 Janvier 2025

Mots-clés : régimes matrimoniaux • communauté légale • récompense • charge de la preuve • profit personnel • encaissement de fonds communs • compte uninominal • transparence

 Il résulte de l'article 1315, devenu 1353, et de l'article 1437 du Code civil qu'il incombe à l'époux qui réclame une récompense au nom de la communauté de prouver que les deniers communs ont profité personnellement à son conjoint.

A inversé la charge de la preuve, et violé les textes susvisés, la cour d’appel qui, pour dire que l’époux devait récompense à la communauté à hauteur de 40 000 euros au titre de l'encaissement par lui de fonds communs, a constaté qu'une telle somme avait été retirée du compte d'exploitation commun pour être versée sur le compte d'exploitation ouvert au seul nom de l’époux, et retenu qu'aucune justification n’était apportée par celui-ci à ce mouvement.


L’arrêt rapporté n’est pas publié au Bulletin civil, de sorte que sa portée doit être relativisée puisqu’il n’a, officiellement, aucune dimension normative. Il n’en demeure pas moins que cette décision intrigue, et pour tout dire, dérange l’annotateur. La question soumise à la Cour de cassation est pourtant banale : lorsque Romeo retire de l’argent d’un compte d’exploitation ouvert aux deux noms des époux pour le faire figurer sur un compte d’exploitation ouvert à son seul nom, et donc qu’une éventuelle récompense est due à la communauté, est-ce à Romeo de prouver qu’il a employé les deniers dans l’intérêt de la communauté, ou à Juliette de prouver que les deniers ont profité exclusivement à Romeo ?

En l’espèce, une cour d’appel a considéré que Roméo ne donnant aucune justification quant au transfert des fonds, la récompense (en faveur de la communauté) était due. Sa décision est censurée, parce que, décide la Cour de cassation, en jugeant ainsi les juges du fond ont inversé la charge de la preuve. C’était donc à Juliette de prouver que ces fonds avaient profité à Roméo seul.

 Les principes en cause. - Au plan des principes, il est certain que c’est celui qui soutient l’existence d’un « profit personnel » retiré (des biens communs) par l’autre époux qui doit prouver celui-ci. L’article 1437 du Code civil N° Lexbase : L1565ABL le dit très nettement. De ce point de vue, le visa de l’arrêt ne surprendra pas (v., not., avec une formulation identique à celle de l’arrêt commenté, Cass. civ. 1, 13 janvier 1993, n° 89-21.900 N° Lexbase : A4883AHC ; Defrénois, 1993, 1445, obs. G. Champenois ; RTDciv. 1995, 424 obs. B. Vareille : « il incombe à l'époux qui réclame une récompense au nom de la communauté de prouver que les deniers communs ont profité personnellement à son conjoint, la cour d'appel a inversé la charge de cette preuve et violé les textes susvisés [C. civ., art. 1437 N° Lexbase : L1565ABL et 1315 N° Lexbase : L0965KZR] ». C’est d’ailleurs pour cela que l’on enseigne traditionnellement qu’au plan des pouvoirs, la gestion concurrente permet de poser (au profit de l’époux utilisant les fonds communs) une présomption d’usage des fonds communs dans l’intérêt de la communauté, et que c’est donc à celui qui conteste cet usage dans l’intérêt commun de rapporter la preuve correspondante.

 Les tempéraments applicables. - Cependant, cela fait longtemps que la Cour de cassation a tempéré ce principe dès lors que les ex-époux sont à l’heure des comptes, et donc que la liquidation de leur régime matrimonial est en cours. En effet, de façon fort pragmatique, elle considère depuis vingt-cinq ans que le prélèvement de fonds dépendant de la communauté peut donner lieu à restitution lors de la liquidation du régime si l’autre époux (Juliette dans notre cas) demande des explications quant à la preuve de l’emploi de ces fonds dans l’intérêt de la communauté : « si un époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et de disposer seul des deniers communs dont l’emploi est présumé avoir été fait dans l’intérêt de la communauté, il doit cependant, lors de la liquidation, s’il en est requis, informer son conjoint de l’affectation des sommes importantes prélevées sur la communauté qu’il soutient avoir été employées dans l’intérêt commun » (v., avant la précédente décision, Cass. civ. 1, 15 septembre 2021, n° 19-24.485, F-D N° Lexbase : A920844S). La jurisprudence est constante en ce sens depuis un arrêt de principe de 1999 (v., Cass. civ. 1 16 mars 1999, n° 97-11.030, Bull. civ. I, n° 89, N° Lexbase : A5137AW8, Defrénois 1999, 811, obs. G. Champenois ; Dr. fam. 1999, n° 82, note B. Beignier ; RTD civ. 2001. 189, obs. B. Vareille ; v., après cet arrêt de principe, Cass. civ. 1 23 avril 2003, n° 01-02.485, inédit N° Lexbase : A5093BML, D. 2003. 2597, note V. Brémond ; JCP N 2004. 1415, obs. J. Casey ; Cass. civ. 1, 14 février 2006, n° 03-20.082, FS-P+B N° Lexbase : A9795DMQ ; Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 12-13.779, F-D N° Lexbase : A3080I9X ; Cass. civ. 1, 24 septembre 2014, n° 13-17.593, F-D N° Lexbase : A3390MXT ; Cass. civ. 1, 11 juillet 2019, n° 18-21.574, F-D N° Lexbase : A3219ZKG). Bien entendu, la charge de la preuve du détournement de fonds communs pèse sur le demandeur à la restitution (Cass. civ. 1, 9 septembre 2015, n° 14-17.514, F-D N° Lexbase : A9493NNW), ce qui peut être plus aisé si le détournement apparaît à la faveur d’une enquête pénale (Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, n° 15-14.178, F-D N° Lexbase : A1953RXM).

 Comme le dit fort justement le Professeur Bernard Vareille, « l'exercice normal de ses pouvoirs par un conjoint peut le conduire à disposer de deniers de communauté. Libre à lui de le faire. Toutefois, après s'être montré autonome, il devra, à l'heure du règlement, être transparent » (B. Vareille, obs. prec., RTDciv. 2001, p. 189).

 L’incidence d’un compte uninominal. - Dans le cas sous examen, la preuve du détournement ne semblait pas faire de doute, puisqu’il n’était pas discuté que Roméo avait viré les fonds dépendant d’un compte d’exploitation ouvert aux noms des deux époux à un compte d’exploitation ouvert à son seul nom et rechignait à dire à quoi les deniers avaient servi, ce que la cour d’appel a souligné. Pourtant, Roméo seul avait la main sur l’utilisation du compte d’exploitation uninominal ayant reçu les 40 000 euros en litige. Certes, en communauté, ce compte d’exploitation personnel n’a de personnel que le nom, puisque les fonds qui y figurent sont présumés être communs du fait de la présomption de communauté. Serait-ce donc là qu’il faut trouver une justification à la présente décision ?

 Nous n’en sommes pas convaincus, car dans l’hypothèse inverse (lorsque la communauté est en risque d’être débitrice d’une récompense envers une masse propre pour avoir tiré profit d’une somme d’argent propre), la Cour de cassation décide, selon une jurisprudence aussi pragmatique que bien établie, que la nature du compte où les deniers propres ont été placés définit la règle de preuve : si les deniers propres sont encaissés par Roméo sur un compte ouvert à son seul nom, aucune présomption de profit retiré par la communauté n’existe, donc pas de récompense (Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 03-14.831, FS-P+B N° Lexbase : A5066DL9 ; Cass. civ. 1, 15 février 2012, n° 11-10.182, F-P+B+I N° Lexbase : A4001IC8), alors que si les deniers propres sont encaissés par Roméo sur un compte-joint, la présomption de profit en faveur de la masse commune joue, et la récompense est due par la communauté (Cass. civ. 1, 8 février 2005, n° 03-13.456, FS-P+B+R N° Lexbase : A6901DGP ; Cass. civ. 1, 8 février 2005, n° 03-15.384, N° Lexbase : A6912DG4 ; jurisprudence constante depuis, v., not., Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 05-19.129, F-D N° Lexbase : A0194DW4 ; Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 18-26.807, F-D N° Lexbase : A3977ZUT). Pourtant, dans cette jurisprudence, là aussi la présomption de communauté devrait conduire à décider que même déposés par Roméo sur un compte ouvert au seul nom de ce dernier, les fonds dudit compte sont présumés communs du fait de la présomption de communauté (et donc la récompense serait toujours due). Or, la Cour de cassation refuse ce systématisme (avec raison), et considère de façon très pragmatique qu’il est plus facile à Roméo (pour échapper à la récompense) de se justifier quant à l’emploi des fonds dans l’intérêt de la communauté (puisqu’il est le seul à disposer des relevés du compte ouvert à son seul nom), qu’à Juliette d’obtenir lesdits relevés d’un compte bancaire sur lequel elle n’a aucun droit (elle devra faire une sommation, un incident de communication de pièces, on voit bien ce qui l’attend…). Ceci mérite d’être souligné, car cette jurisprudence sur les « comptes bancaires » vient atténuer la dissymétrie qui existe dans la preuve des récompenses, selon que c’est la masse propre qui est créancière ou la communauté, ou l’inverse. En effet, quand c’est une masse propre qui est créancière, le demandeur à la récompense doit, par principe, prouver le profit retiré par la communauté (v., Cass. civ. 1, 20 février 1996, n° 91-11.224, inédit au bulletin N° Lexbase : A1992CYG, RTD civ. 1996, 973, obs. B. Vareille), alors que lorsque c’est la communauté qui subit le décaissement de deniers, la jurisprudence de 1999 permet un rétablissement dans la masse à partager dès lors qu’aucune preuve de l’utilisation des deniers dans l’intérêt commun n’est rapportée par l’époux qui a usé de ses pouvoirs concurrents du temps de la vie commune. On voit donc que la jurisprudence relative aux « comptes bancaires » est venue atténuer (pour les sommes d’argent), sinon supprimer, cette dissymétrie, en facilitant le régime de la preuve d’une récompense lorsque c’est une masse propre qui est en demande de récompense.

 Dans l’arrêt commenté, Juliette n’avait plus accès au compte d’exploitation à la suite du transfert opéré par Roméo. S’agissait-il d’une société différente du premier compte d’exploitation que chaque époux pouvait consulter et mouvementer ? Nous l’ignorons. Mais cela importe peu au fond, car la seule chose qui vaille c’est la facilité avec laquelle Roméo pouvait dégonfler la récompense due à la communauté en produisant le compte d’exploitation auquel il avait seul accès, en montrant que la communauté n’avait rien perdu. Il nous semble donc que les conseillers nîmois étaient dans le vrai en statuant comme ils l’ont fait, car il n’est pas douteux que si Roméo ne justifie pas de son emploi des fonds, il en doit compte à la masse commune, sauf à imposer à Juliette un chemin de croix probatoire qui n’est pas souhaitable puisque ce chemin de croix alourdira la procédure (il faudra, en pareil cas, toujours faire un incident de communication de pièces) ce qui encombrera encore un peu plus les tribunaux… Est-ce vraiment cela que l’on veut ?

 Un arrêt dérangeant. - Par conséquent, l’arrêt ici étudié fait naître un réel sentiment d’inconfort. En effet, d’un côté cette décision affirme une solution qui est exacte, mais, d’un autre côté, elle heurte de plein fouet la jurisprudence de 1999, laquelle est solidement acquise depuis des années, et dont le pragmatisme salutaire permet d’atténuer ce que la stricte rigueur juridique peut avoir d’excessif. Ce constat objectif conduit d’ailleurs l’annotateur à exprimer une inquiétude plus grande encore : la présente décision constituerait-elle la première pierre d’un abandon, ou d’une contraction, des solutions purement jurisprudentielles rappelées ci-dessus ?

 Il est difficile de répondre à cette question, et plus encore de cerner la portée réelle de cet arrêt. Comme nous l’avons dit au début de ces observations, l’absence de publication au bulletin civil montre bien que ce n’est pas un arrêt de principe, et qu’il ne faut sans doute pas lui accorder trop d’importance. Mais l’on ne peut imaginer qu’il fut rendu sans que son rapporteur n’ait vu que la solution adoptée était sans doute trop radicale par rapport à la jurisprudence de 1999. Certes, nous voulons bien croire que le défendeur n’a probablement pas cité cette jurisprudence, que ce soit en appel ou devant la Cour, de sorte que cette dernière pouvait se sentir libre de ne répondre qu’au moyen qui lui était soumis, n’étant tenue que par lui. Mais à la sortie, cela donne une censure (sur ce chef) d’un arrêt d’appel qui était bon dans son sens général, puisqu’il donnait au dossier une solution qui est raisonnable et juste, tout en étant conforme à la jurisprudence de 1999 et cohérent avec celle sur les « comptes » (lorsque la communauté est débitrice de récompense). On a donc le sentiment que la censure qui le frappe malgré tout procède d’une conception du droit très rigoriste, trop détachée de son application pratique. Le moyen, tout le moyen, rien que le moyen…

 Pourtant, on sait que la Cour de cassation sait se montrer plus ouverte d’esprit quand elle veut « sauver » une décision, plus encore lorsqu’elle ne veut pas altérer la cohérence d’un ensemble « loi & jurisprudence ». Nous pensons qu’elle aurait dû le faire en l’espèce, compte tenu de la difficulté probatoire frappant Juliette. En effet, il nous semble qu’à l’heure de la liquidation et du partage, lorsque des fonds communs transitent par des « comptes » (bancaires, d’exploitation, peu importe), auxquels le demandeur à la récompense n’a pas accès, il serait rationnel de considérer, dans tous les cas (que la récompense soit pour ou contre la communauté), qu’il existe une présomption simple de récompense, en fonction du compte ayant encaissé les fonds :

  • si la récompense est au bénéfice de la communauté, le titulaire du compte personnel ayant encaissé les deniers communs devra prouver que la communauté n’a rien perdu ; cette preuve lui sera aisée, puisqu’il a accès au compte et que lui seul aura ordonné les opérations qui y figurent ; il y aura donc une présomption simple de récompense en faveur de la communauté ;
  •  si la récompense est au bénéfice d’un masse propre, la récompense sera due du seul fait de l’inscription des fonds personnels sur un compte ouvert aux noms des deux époux, le profit retiré par la communauté étant présumé ; il y a donc une présomption simple de récompense en faveur de la masse propre.

 On parvient ainsi à équilibrer le régime de la preuve, quelle que soit la masse créancière de la récompense. Pour les masses propres, cela existe déjà du fait de la jurisprudence précitée. Pour la communauté, au contraire, l’arrêt commenté montre qu’il n’en est rien, et le demandeur à la récompense au profit de la masse commune doit prouver que le compte personnel de l’autre époux a permis à ce dernier un enrichissement personnel. Si ce n’est pas une preuve diabolique, cela y ressemble fort. Comme nous l’avons indiqué, cela passera nécessairement par un incident (donc potentiellement un appel, un pourvoi…), le tout portant sur des opérations qui auront peut-être quinze, vingt ou trente ans d’ancienneté, et donc un risque de disparition des preuves (rappelons que les récompenses sont des opérations de partage, et ne se prescrivent donc pas tant que le partage n’est pas fait). Le risque est alors, de toute évidence, un alourdissement de la procédure de partage, car, ultimement, le débat se situe là : est-ce que le présent arrêt facilite, ou au contraire complique, la procédure de partage, dès lors que ces questions ne se posent qu’à ce moment-là ? La réponse est évidente : la présente décision va alourdir les procédures, cela ne fait aucun doute.

 Voilà pourquoi nous pensons qu’il s’agit d’un arrêt trop strict, et que la cour d’appel qui a été censurée était plus exacte dans sa régulation du contentieux, mais aussi dans son traitement humain du dossier.

 Enseignements de l’arrêt. - Le message à faire passer aux conseils est donc clair : lorsque votre client réclame une récompense au nom de la communauté, pour une somme « importante » (au regard du patrimoine en cause), pensez à exiger formellement des explications pour les sommes communes que l’autre partie aura placées sur un compte ouvert à son seul nom. Et si la réponse ne vient pas, ou qu’elle n’est pas satisfaisante, vous vous prévaudrez alors de la jurisprudence de 1999. À ne pas exiger cette transparence de l’autre époux, celui qui veut défendre la communauté risque fort de finir comme Juliette en l’espèce, et les juges du fond qui voudraient l’aider s’exposeraient à une censure, comme dans la présente affaire.

 Au final, on a l’impression que la Cour de cassation aide celui ne rend pas compte de son utilisation des fonds communs, et donc que l’on favorise celui qui conserve le silence quant au devenir des deniers communs, et c’est ce qui dérange le plus. Nous partageons pleinement la position du Professeur Vareille en 1999 : Romeo, en l’espèce, avait l’autonomie d’agir comme il l’a fait, au nom de la gestion concurrente. Mais à l’heure des comptes, donc de la liquidation, la transparence nécessaire qui doit prévaloir, et celle-ci impose qu’il s’explique sans que cela dépende d’une demande de Juliette plus ou moins bien formalisée. Au cas présent, il est fort probable que Juliette n’ait pas « bien » demandé (pas assez clairement, en invoquant la jurisprudence de 1999), mais elle a quand même dû demander quelque chose puisque le débat probatoire a eu lieu. Il était donc facile à la Cour de cassation de sauver l’arrêt d’appel. On l’a vu soulever des moyens de pur droit (CPC, art. 1015 N° Lexbase : L5802L8E) pour moins que cela. Au contraire, la présente décision, par son rigorisme étroit, favorisera celui qui ne rend pas compte, et contribuera à la multiplication des incidents, et donc à la complexification de la procédure de partage. 

 Alors certes, ce n’est qu’un arrêt non publié. Peut-être n’est-ce qu’une erreur dans la chaîne de production de la Cour de cassation… Peut-être, mais peut-être pas.  Et c’est cela, aussi, qui dérange. Les praticiens ont besoin de certitudes en matière de partage (surtout s’il est judiciaire, vu la durée des procédures), et les justiciables ont besoin de pragmatisme. Les conseillers d’appel ont été pragmatiques en l’espèce, comme l’était la Cour de cassation avec sa jurisprudence de 1999 et avec celle sur les comptes bancaires. Ce pragmatisme fait défaut à la présente décision, qui favorise l’absence de reddition de comptes sur les deniers communs, et favorise donc les rétenteurs, voire les menteurs. Pourtant, il nous semble qu’il serait temps, en matière de partage, de poser un principe de loyauté dans la preuve des récompenses, quelle que soit la masse bénéficiaire de celles-ci. C’est peu dire que le présent arrêt n’y contribue pas. À suivre…

newsid:491443

Responsabilité des constructeurs

[Observations] Quand le juge administratif qualifie un contrat en louage d'ouvrage et en explique les conséquences

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 30 décembre 2024, n° 491818, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A40176PH

Lecture: 3 min

N1457B3D

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 13 Janvier 2025

Le délai de prescription de l’action dépend de l’existence d’un contrat d’entreprise et d’une réception.

Si les conditions d’application du droit spécial de la responsabilité des constructeurs sont réunies, il est dérogé au droit commun.

La solution est intéressante en ce qu’elle met à rebours les différents mécanismes de la responsabilité des constructeurs. Tandis que chacun s’interrogeait sur le point de départ du délai quinquennal de prescription, la Haute juridiction rappelle que le délai de prescription dépend du fondement de la responsabilité.

Il sera de 5 ans à compter du moment où le titulaire a eu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, dans le cadre de l’action fondée sur le droit commun, selon les dispositions de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.

Il sera de 10 ans à compter de la réception dans le cadre de l’action fondée sur le droit spécial, en application de l’article 1792-4-3 du même code N° Lexbase : L7190IAK.

Cette décision devait être mise en lumière. Elle rappelle la marche à suivre pour ne pas se tromper de délai.

En l’espèce, un maître d’ouvrage public a conclu un marché public portant sur le remplacement de 222 fenêtres d’un immeuble. En raison des nuisances sonores liées au vent imputées par les occupants des locaux aux fenêtres nouvellement posées, le maître d’ouvrage décide d’interrompre les travaux. Les travaux étaient donc en cours.

À la suite d’une procédure de référé expertise, le maître d’ouvrage saisit le juge du fond aux fins d’obtenir la condamnation des constructeurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité quasi-délictuelle.

Aux termes d’un arrêt rendu le 8 juin 2022, la cour administrative de Caen a rejeté la demande. Le pourvoi formé est rejeté.

La Haute juridiction rappelle qu’il appartient au maître d’ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage de diriger son action contre le constructeur avec lequel il a conclu un contrat d’entreprise. C’est là l’application même de la lettre de l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ : le droit spécial est de nature contractuelle. Aussi, faute de contrat d’entreprise, l’action ne peut être que de nature délictuelle. Cette distinction impacte les délais de prescription.

Il est également rappelé que le point de départ du délai de prescription n’est pas, non plus, le même. Tandis que le délai décennal court à compter de la réception, celui de l’article 2224 précité court à compter de la connaissance du dommage.

La solution, quoique classique, met en lumière les conséquences d’une mauvaise qualification du lien unissant le maître d’ouvrage au constructeur incriminé.

Les exemples sont particulièrement nombreux dans le domaine de la sous-traitance (pour exemple, Cass. civ. 3, 18 janvier 2024, n° 22-20.995 N° Lexbase : A43452EN).

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