Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 23 octobre 2024, n° 469431, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A81786BI
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par Marie-Gabrielle Merloz, Rapporteure publique au Conseil d’État
Le 04 Décembre 2024
Mots-clés : contrôle fiscal • charte du contribuable • recours hiérarchique • vérificateur
Le contribuable ne peut demander pour la première fois, dans le cadre d’un recours hiérarchique, à bénéficier d'un dispositif fondé sur d'autres dispositions législatives que celles qui étaient en débat devant le vérificateur. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 23 octobre 2024. Lexbase Fiscal vous propose les conclusions de la Rapporteure publique, Marie-Gabrielle Merloz dans cette affaire.
1. Le contribuable peut-il se prévaloir d’une requalification de son crédit d’impôt recherche en crédit d’impôt innovation pour la première fois lors de la saisine du supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, de l’interlocuteur départemental ou régional ? C’est à cette question inédite que ce pourvoi vous invite à répondre.
Les faits de l’espèce sont les suivants. L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie, qui a son siège à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) et exerce une activité de développement et de fabrication de produits chimiques pour l’industrie et le secteur du bâtiment, a bénéficié du crédit d’impôt recherche au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause cet avantage fiscal, au motif que les projets concernés n’entraient pas dans les prévisions des a), b), c) et j) du II de l’article 244 quater B du CGI N° Lexbase : L7453MAB et n’étaient, dès lors, pas éligibles à cet avantage.
La société, après avoir vainement formulé des observations, a demandé à rencontrer le supérieur hiérarchique du vérificateur. Par une décision du 14 juin 2017, il a accueilli favorablement sa demande en ce qui concerne le rétablissement du crédit d’impôt recherche dont elle avait bénéficié pour certains des projets en cause mais refusé, pour six autres projets, de se prononcer sur le bénéfice du crédit d’impôt innovation, sollicité pour la première fois en application du k) du même II de l’article 244 quater B du CGI. La société a alors sollicité la saisine de l’interlocuteur régional qui a confirmé cette position. Par un avis du 4 juillet 2018, le comité consultatif du crédit d’impôt pour dépenses de recherche a constaté qu’il n’y avait plus de désaccord entre les parties s’agissant du crédit d’impôt recherche et décliné sa compétence pour se prononcer sur l’éligibilité au crédit d’impôt innovation en l’absence d’examen par le service local compétent.
L’EURL Laguerre Chimie a contesté les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés en résultant au titre des trois exercices litigieux. Par une décision du 11 juin 2019, l’administration lui a donné gain de cause s’agissant de l’éligibilité de deux de ses projets au bénéfice du crédit d’impôt innovation au titre des exercices 2014 et 2015 et a prononcé les dégrèvements correspondants. La société a alors saisi le tribunal administratif de Rouen d’une double demande tendant, à titre principal, à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge aux titres des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et, à titre subsidiaire, à la réduction de ces impositions à raison de l’admission au titre du crédit d’impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de quatre projets. Par un jugement du 24 août 2020, il a rejeté sa demande. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt du 13 octobre 2022 (signalé en C+) par lequel la cour administrative d'appel de Douai a accueilli ces conclusions subsidiaires et réformé le jugement.
2. Par un moyen que nous croyons fondé, le ministre lui reproche d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que le refus de l’administration d’examiner, au stade du recours hiérarchique, c’est-à-dire avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses, la demande de l’EURL Laguerre Chimie d’apprécier l’éligibilité d’une partie de ses projets, non plus au titre du crédit d’impôt recherche initialement sollicité mais au titre du crédit d’impôt innovation, l’a privée de la garantie, prévue par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, tenant au caractère effectif du recours au supérieur hiérarchique du vérificateur.
Comme vous le savez, les dispositions contenues dans cette charte sont opposables à l’administration en application du dernier alinéa de l’article L. 10 du LPF N° Lexbase : L3156KWS. Elle ouvre notamment la possibilité au contribuable, si le vérificateur a maintenu, totalement ou partiellement, les rectifications envisagées, de solliciter « des éclaircissements supplémentaires » auprès du supérieur hiérarchique du vérificateur, puis « si, après ces contacts, des divergences importantes persistent », de faire appel à l’interlocuteur départemental ou régional, fonctionnaire de rang plus élevé (sur le séquençage de ces deux recours successifs : CE 3° et 8° ssr., 5 juin 2009, n° 303598, mentionné aux tables du recueil Lebon, « Tomic » N° Lexbase : A7220EHU, sur un autre point, RJF, 10/09, n° 65, concl. N. Escaut Dr. fisc. 30-35/09 c. 432). Vous avez expressément qualifié ces facultés de recours de « garantie substantielle » pour le contribuable, si bien que sa méconnaissance emporte la décharge des impositions litigieuses (voyez notamment parmi une jurisprudence constante : CE 3° et 8° ssr., 23 octobre 2002, n° 204052, « Mounier », N° Lexbase : A3768A3X, RJF, 1/03, n° 71 ; CE 3° et 8° ssr., 30 mars 2007, n° 271787, mentionné aux tables du recueil Lebon, « Société TMUA » N° Lexbase : A8121DUC, aux T., RJF, 6/07, n° 721, concl. L. Olléon, BDCF, 6/07).
La solution adoptée par la cour nous paraît en délicatesse avec l’objet même de cette garantie, tel que vous l’avez interprété. Si vous vous montrez relativement souples pour apprécier ses conditions de mise en œuvre, vous exigez avec constance, pour que le contribuable puisse utilement s’en prévaloir, qu’il existe des points de désaccord persistant entre le contribuable et le vérificateur, ainsi qu’y invite la lettre même de ces dispositions (CE 9° et 10° ssr., 8 juin 2005, n° 255918 N° Lexbase : A6355DI9, au Rec., RJF, 8-9/05, n° 893, concl. L. Vallée, BDCF, 8-9/05, n° 108).
Comme vous l’avez souligné dans la décision du 16 novembre 2022, « Min. c/ SNC Ventimo » (CE 3° et 8° ch.-r., 16 novembre 2022, n° 462278, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A27988TS, RJF, 2/23, n° 125 avec concl. K. Ciavaldini), cette garantie ne consiste pas à poursuivre avec le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, l’interlocuteur départemental ou régional un dialogue contradictoire de même nature que celui qui s’est achevé avec la notification de la réponse aux observations du contribuable. A ce stade, le débat est pour ainsi dire cristallisé afin de régler, autant que faire se peut, les désaccords survenus lors de la procédure contradictoire antérieure et prévenir ainsi les contentieux. Vous en avez déduit dans cette affaire que lorsque le supérieur hiérarchique ou l’interlocuteur, qui n’y sont pas tenus, formulent par écrit les éclaircissements sollicités par le contribuable, leur réponse n’a pas pour effet, et ne saurait d’ailleurs avoir pour objet, de modifier la base légale des rectifications envisagées par le vérificateur, telle qu’elle résulte, conformément aux articles L. 57 N° Lexbase : L0638IH4 et R. 57-1 N° Lexbase : L2033IBW du LPF, des mentions figurant dans la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable. L’administration ne peut procéder à une telle modification qu’en reprenant la procédure de rectification et donc en adressant au contribuable une nouvelle proposition de rectification (CE 3° et 8°, 5 janvier 2005, n° 254556, « Min. c/ Sté Raffypack » N° Lexbase : A2265DGY, aux T. sur un autre point, RJF, 3/05, n° 213, concl. E. Glaser, BDCF, 3/05, n° 25, chron. F. Béreyziat, RJF, 5/05, p. 314).
En sens inverse, si le contribuable peut toujours décider de limiter sa demande d’entretien à certains chefs de rectification sur lesquels persistaient des divergences importantes, il ne peut ensuite utilement se plaindre devant le juge de l’impôt d’avoir été privé de cette garantie pour les autres chefs de rectification, seuls en litige (CE 9° et 10° ch.-r., 24 avril 2019, n° 412769, mentionné aux tables du recueil Lebon, « Dalle Nogare » N° Lexbase : A7396Y9S, aux T., RJF, 7/19, n° 619 à nos concl.).
Nous peinons dès lors à suivre la société requérante lorsqu’elle objecte qu’elle n’a jamais admis les explications du vérificateur et a toujours contesté les rappels de crédit d’impôt. Elle ne conteste pas que, comme l’a relevé la cour, elle s’était bornée, dans le cadre de ses échanges contradictoires avec l’administration au cours du contrôle et dans ses observations en réponse à la proposition de rectification, à défendre l’éligibilité de ses projets au crédit d’impôt recherche sans revendiquer leur éligibilité au crédit d’impôt innovation. Il est dès lors difficile d’admettre qu’il existait sur ce dernier point un désaccord persistant avec l’administration lorsqu’elle a sollicité la saisine du supérieur hiérarchique. La nature de son différend était bien nouvelle et les recours prévus par la charte n’ont pas vocation à traiter de nouveaux différends.
Cette solution permet par ailleurs de préserver une cohérence d’ensemble à la procédure contradictoire.
La motivation de la réponse aux observations du contribuable, dès lors que le contribuable refuse les rectifications, est également une garantie substantielle, prévue par l’article L. 57 du LPF N° Lexbase : L0638IH4 (CE 3° et 8° ssr., 4 février 2008, n° 296651, mentionné aux tables du recueil Lebon, « Guidez » N° Lexbase : A7165D47, aux T., RJF, 4/08, n° 489 ; CE 9° et 10° ssr., 11 avril 2014, n° 349719, publié au recueil Lebon, « Hoarau » N° Lexbase : A1033MKH, au Rec., RJF, 7/14, n° 707, concl. D. Hedary, BDCF, 7/14, n° 70 ; CE 9° et 10° ch.-r., 7 juin 2019, n° 411648, mentionné aux tables du recueil Lebon, « Sté Gecina » N° Lexbase : A9487ZDQ, aux T., RJF, 10/19, n° 945). Mais si le contribuable présente ultérieurement de nouvelles observations, l’administration n’est pas tenue d’y répondre (CE Contentieux, 13 mai 1987, n° 45609 N° Lexbase : A2440AP3, aux T. sur un autre point, RJF, 7/87, n° 723 ; CE 7° et 8° ssr.; 10 février 1988, n° 64722, « Gandolfi » N° Lexbase : A6924AP7, RJF, 4/88, n° 451, alors même que l'intéressé demandait pour la première fois, dans ces observations, le bénéfice de la compensation ; CE 3° et 8° ssr., 28 novembre 2003, n° 243329, « SCI Les Louviers II » N° Lexbase : A3954DAP, RJF, 2/04, n° 171). Permettre l’irruption d’une problématique nouvelle à l’occasion des recours ouverts par la charte permettrait de contourner cette règle.
Le protocole du 29 janvier 2014 conclu entre la direction générale des finances publiques, la direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services et la direction générale pour la recherche et l’innovation, invoqué par la société requérante, ne saurait vous convaincre du contraire. Il fait certes état de la possibilité pour l’entreprise de solliciter la requalification d’une demande de crédit d’impôt recherche portant sur de la recherche et développement en dépense d’innovation. Mais il ne l’envisage qu’en des termes très prudents. Il se borne ainsi à indiquer qu’après un rejet des dépenses de recherche et développement seules mentionnées dans la déclaration de crédit d’impôt recherche, « il appartient à l’entreprise, si elle l’estime fondé, de solliciter après de la DGFiP, à toute étape de la procédure de contrôle, la prise en compte au titre de l’innovation des dépenses initialement déclarées en R&D », puis ne prévoit que deux hypothèses selon que la demande est effectuée avant l’envoi de la proposition de rectification ou en y répondant.
Vous savez, en tout état de cause, qu’à supposer même que ce protocole soit regardé comme une instruction contenant une interprétation d’un texte fiscal, la garantie prévue à l’article L. 80 A du LPF N° Lexbase : L6958LLB ne joue pas en cas de refus d’un crédit d’impôt (s’agissant d’un refus de remboursement du crédit d’impôt recherche : CE 9° et 10° ssr., 3 octobre 2012, n° 342386, «Sté Welcome Real Time » N° Lexbase : A8148ITX, RJF, 12/12, n° 1160 ; s’agissant d’une remise en cause du crédit d’impôt recherche : CE (na), 9 novembre 2020, n° 437678 et 437679, « « Société Haras du Mezeray », RJF, 2/21, n° 110, concl. R. Victor ; s’agissant du refus opposé à une demande de crédit d’impôt pour investissement en Corse : CE 3° et 8° ch.-r., 14 décembre 2022, n° 447908 N° Lexbase : A60018ZB, RJF, 3/23, n° 185, à nos concl.). Du reste, la société requérante, qui ne mentionne ce protocole qu’à titre surabondant, ne demande pas le bénéfice de cette garantie.
Soulignons, avant de conclure, que cette solution n’empêche pas pour autant la contribuable de nouer ce nouveau débat avec l’administration. Elle doit seulement le faire dans le cadre d’une réclamation contentieuse, comme l’a d’ailleurs fait l’EURL Laguerre Chimie.
Vous pourrez, si vous nous suivez, vous dispensez de répondre au second moyen soulevé par le ministre.
PCMNC :
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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh et Associés
Le 06 Décembre 2024
La décision « Ingram Micro » [1] avait ému la communauté des fiscalistes : la reconnaissance du caractère abusif du financement d’une distribution des réserves par l’émission d’une ORA afin de permettre la déduction fiscale d’intérêt ne laissait, en effet, rien présager de bon sur l’exercice de la liberté de choix des moyens de financement entre dettes et fonds propres. Certes, les auteurs avaient souligné que cette décision était dictée par les circonstances particulières de l’affaire [2]. La circonstance que les ORA bénéficient d’un traitement fiscal hybride, permettant la déduction d’intérêts payés par une société française à une société américaine du même groupe exonérée d’impôt sur ces mêmes revenus, a exercé une influence certaine sur la décision prise avant que des dispositions n’empêchent plus spécifiquement la mise en place de transactions hybrides.
Pour autant, les commentaires rassurants formulés sur la portée de cette décision ne semblent pas avoir dissuadé l’administration de continuer à contester le choix du mode de financement des entreprises sur le terrain de l’abus de droit, comme en témoigne le cas sur lequel le Comité des abus de droit fiscal a récemment statué [3].
Dans le cas examiné, une société avait émis des titres participatifs sous forme d’obligations souscrites par une autre société du même groupe présentant les caractéristiques suivantes :
Pour s’opposer à la déduction des intérêts, l’administration a considéré que l’émission des obligations constituait un abus de droit, considération prise :
La société mettait en avant que :
Sur ces bases, le comité n’a pas suivi l’administration et a confirmé la liberté de choix du mode de financement d’une entreprise, dès lors que les opérations mises en place n’avaient pas un but exclusivement fiscal et avaient eu un effet positif sur la situation financière de la société emprunteuse. Le régime d’imposition particulier appliqué au créancier en Allemagne n’a pas été considéré comme un indice du caractère abusif du financement mis en place.
Pour autant, l’absence d’abus de droit ne dispense pas l’emprunteur de se conformer aux dispositions du Code général des impôts en matière de limitation du taux d’intérêt entre sociétés liées (CGI, art. 212, I, a N° Lexbase : L6215LUQ) et en matière de lutte contre les transactions hybrides (CGI, art. 205 B N° Lexbase : L5669MA9).
L’administration a décidé de se ranger à l’avis du Comité. Cette décision confirme les leçons qui pourraient être tirées d‘un précédent avis sur une situation similaire dans le contexte d’un financement intragroupe entre la France et les Pays-Bas [4].
[1] CE, 9e-10e ch. réunies, 13 janvier 2017, n° 391196, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0496S9A.
[2] Revue de Droit fiscal, n° 15, 13 avril 2017, comm. 254 ; Jean-Luc Pierre, Revue de Droit des sociétés, n° 4, avril 2017, comm. 73 ; Anne Iljic, Distributions de dividendes et émission d’obligations remboursables en actions : réflexions sur l’affaire SAS Ingram Micro, Chronique, Revue de Jurisprudence fiscale, 2017.
[3] CADF/AC n°2/2024, séance du 26 septembre 2024, aff. n° 2024-11.
[4] CADF/AC n°2/2018, séance du 9 mars 2018, aff. N° 2017-36.
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Réf. : CE référé, 29 novembre 2024, n° 499162 N° Lexbase : A95086KD
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par Yann Le Foll
Le 04 Décembre 2024
► Le refus du directeur de l’Institut d’études politiques de Paris de mettre à disposition une salle pour l’organisation d’une conférence sur l’embargo sur les livraisons d’armes à Israël n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'expression et la liberté de réunion.
Rappel. Par l'ordonnance attaquée (TA Paris, 21 novembre 2024, n° 2430705 N° Lexbase : A56516I7), le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision de la décision du directeur de l'Institut d'études politiques de Paris du 18 novembre 2024 refusant d'autoriser la tenue, le 22 novembre 2024, dans les locaux de l'Institut, d'une conférence organisée par l’« initiative étudiante » « Students for justice in Palestine » au cours de laquelle interviendrait notamment Mme D. et a enjoint à l'Institut de permettre la tenue de cette conférence.
Position CE. Saisi d’un référé-liberté, le Conseil d’État indique que, si les étudiants de l'IEP de Paris ont droit à la liberté d'expression et de réunion dans l'enceinte de l'établissement, cette liberté ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l'établissement, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l'ordre public.
Or, depuis plusieurs mois, se sont produits à de nombreuses reprises de graves désordres au sein de l'IEP de Paris ou à ses abords, liés au contexte du conflit au Proche-Orient et aux tensions qu'il suscite en France, lesquels se sont en particulier traduits par des intrusions, occupations et blocages des locaux de l'Institut et par des débordements dans d'autres lieux en relation avec les activités de formation de cet établissement. Ainsi, l’accès à Sciences Po a été bloqué le 9 octobre 2024 et son principal amphithéâtre a été occupé le 14 novembre. Lors de certains de ces troubles, des actes de violence, des intimidations à l'égard d'autres étudiants ou du personnel de l'établissement et des dégradations ont été commis.
Décision CE. En refusant, le 18 novembre 2024, l'autorisation demandée en vue de la tenue d'une conférence en rapport avec le conflit au Proche-Orient avec Mme D., prévue pour le 22 novembre, au motif que la tenue de cette conférence faisait naître un risque de troubles à l'ordre public dans l'établissement, le directeur de l'Institut d'études politiques de Paris, à qui il appartient de concilier l'exercice des libertés dans l'établissement, l'indépendance de l'Institut de toute emprise politique ou idéologique et le maintien de l'ordre dans les locaux, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'expression et la liberté de réunion.
L'ordonnance du 21 novembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Rappel. À l’inverse, ne peut faire l’objet d’une interdiction une conférence en cas de risques non avérés de troubles à l’ordre public (TA Lyon, 22 juin 2023, n° 2305086, n° 2305087, n° 2305101 et n° 2305117 N° Lexbase : A039597R).
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Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 16 octobre 2024, n° 475093, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A76026AS
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par Valérie Guéguen, juriste, Lab Cheuvreux
Le 04 Décembre 2024
Mots clés : Urbanisme • introduction de l'instance • intérêt à agir • locataire • démolition d'un immeuble
Par une décision rendue le 16 octobre 2024, les 1ère et 4ème chambres réunies du Conseil d’État, statuant sur un pourvoi en annulation à l’encontre d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, sont venues préciser le régime de l’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme en indiquant que la seule qualité de locataire d’un immeuble ayant vocation à être démoli ne confère pas un intérêt à agir contre un permis de construire.
À l’origine, l’intérêt à agir contre les permis de construire et autres autorisations d'urbanisme était évalué selon les critères traditionnels et la volonté de reconnaître des intérêts de plus en plus variés, ce qui facilitait grandement l'accès aux tribunaux pour les plaignants.
Depuis quelques années, dans l’objectif de lutter contre les recours abusifs portés contre les autorisations d’urbanisme et ainsi faire baisser le nombre de contentieux dans cette matière, les pouvoirs publics ont encadré les règles de l’intérêt à agir par l’adoption de nombreuses mesures législatives et réglementaires, restreignant dans un premier temps celui des associations puis dans un second temps celui des requérants, personnes physiques ou morales.
Ainsi, s’agissant des requérants autres que les associations, l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l’urbanisme N° Lexbase : L4499IXW, limite l’accès au prétoire, en introduisant dans le Code de l’urbanisme un article L. 600-1-2 N° Lexbase : L0037LNP qui dispose qu’ : « Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation. Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ».
Ces nouvelles dispositions subordonnent la reconnaissance d’un intérêt à agir au profit de l’auteur d’un recours tendant à l’annulation d’un permis de construire à la condition que le projet soit de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien de cette personne. Ainsi, il doit faire état de tous les éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir cette atteinte. Le défendeur devra, s'il entend contester l’intérêt à agir du requérant, apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.
L’arrêt de principe « Br. » rendu par le Conseil d’État le 10 juin 2015 [1] énonce une méthodologie sur les modalités d’administration de la preuve de l’intérêt à agir ainsi que la clarification du rôle de chacune des parties. Le juge devra se former sa conviction sur la recevabilité de la requête. Il pourra écarter « les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées ». N'exigeant pas du requérant qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes invoquées, il pourra donc, en cas de doute, le lui en faire bénéficier.
Cela étant, dans un arrêt du 13 avril 2016 « B. » [2], le Conseil d'État considère, s’agissant du « voisin immédiat », c’est-à-dire à proximité immédiate du projet ou qui est situé en face de ce dernier, qu'eu égard à sa situation particulière, celui-ci justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
S’est alors posée la question de savoir si le Conseil d’État, par cet arrêt, avait fixé une présomption d’intérêt à agir s’agissant de la qualité de voisin immédiat au projet.
À cet égard, il convient de rappeler que dans son rapport « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », le groupe de travail présidé par Mme Maugüé, remis le 11 janvier 2018 au ministre de la Cohésion des territoires, « a renoncé à préciser davantage la portée de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme, notamment s'agissant de l'intérêt pour agir d'un voisin immédiat d'une construction ».
Le rapport rappelle que cette jurisprudence ne donne pas une présomption d’intérêt pour agir au voisin immédiat, mais seulement la prise en compte de la situation particulière de ce requérant qui pourra sans doute plus aisément que d’autres établir, compte tenu de sa localisation, l’existence d’une atteinte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.
La décision du Conseil d’État « B. » précise bien que le voisin immédiat doit avoir fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
Au cas d’espèce, par un arrêté du 10 mai 2019, le maire de Lyon délivre à la société immobilière Abraham Bloch un permis de construire portant sur la réalisation d'un ensemble immobilier d'une surface de plancher de 23 500 mètres carrés comprenant un immeuble de bureaux, des locaux d'activités comportant des laboratoires alimentaires, une crèche, un restaurant d'entreprise, des espaces de formation et un parking.
Saisi par la société par actions simplifiée Genedis, locataire des locaux existants devant être démolis pour faire place au projet litigieux, le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 15 juillet 2021, considère la requête de la société recevable et annule l’arrêté accordant le permis de construire.
En appel, la cour administrative d’appel de Lyon confirme ce jugement et rejette l’appel.
La cour juge que la société Genedis bénéficie d’un intérêt à agir contre le permis de construire en qualité de locataire de l'immeuble, situé sur le terrain d'assiette du projet envisagé par le permis de construire, en vertu d'un contrat de bail commercial devant se terminer le 31 décembre 2024.
En effet, elle considère que la mise en œuvre du permis de construire en litige s'inscrit dans un projet d'ensemble qui nécessitera la démolition de l'immeuble précité, que la société Genedis occupe encore à la date de l'arrêté litigieux au titre d'un bail en cours de validité et que cette autorisation sera ainsi de nature à léser directement ses conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance du bien qu'elle occupe, alors même que la démolition du bâtiment a été autorisée par un arrêté distinct du 4 décembre 2018 devenu définitif.
Un pourvoi en cassation est introduit par la société Abraham Bloch, titulaire du permis de construire. qui conteste l’arrêt par lequel la cour administrative confirme l’annulation prononcée par le tribunal administratif de l’arrêté de permis de construire du 10 mai 2019.
Se pose notamment dans cette affaire la question de l’intérêt à agir du locataire des locaux existants, destinés à être entièrement démolis, contre le permis de construire les bâtiments projetés sur le terrain d’assiette ainsi libéré.
À l’occasion de ce pourvoi, les juges du Palais-Royal apportent des précisions utiles sur l’appréciation de cet intérêt à agir des tiers contre les autorisations d’urbanisme.
En qualité de locataire dans un bâtiment destiné à être entièrement démoli, la requérante fait état, au soutien de la démonstration de son intérêt à agir contre le permis de construire les bâtiments sur le terrain d’assiette une fois la démolition effectuée, d’une part, d'un bail commercial en cours de validité à la date du permis et, d’autre part, que la mise en œuvre du permis de construire attaqué s’inscrit dans un projet d’ensemble nécessitant la démolition de l’immeuble qu’elle occupe.
La cour administrative d’appel, dans son argumentaire, retient que le permis de construire contesté porte nécessairement atteinte aux intérêts du locataire du bâtiment existant, puisque, même si la démolition de ce dernier avait fait l’objet d’un permis de démolir distinct, le projet doit être appréhendé dans sa globalité, les travaux de démolition et de construction étant prévus dans le cadre d’un projet d’ensemble constituant une seule et même opération.
Dès lors, les juges du fond considèrent que le permis de construire porte atteinte aux intérêts du locataire, lequel doit quitter les lieux en raison de la réalisation de ce projet immobilier.
Ce n’est pas l’analyse retenue par la Haute juridiction qui rappelle tout d’abord les dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme puis la méthodologie déjà évoquée précédemment s’agissant des modalités d’administration de la preuve de l’intérêt à agir. Elle juge que le locataire d’un immeuble ayant vocation à être démoli pour les besoins de la réalisation d’une opération de construction, n’a pas, du fait de cette seule qualité, intérêt pour agir en excès de pouvoir à l’encontre du permis de construire autorisant uniquement l’édification des constructions.
Ainsi, le Conseil d’État considère que :
« Pour juger que la société Genedis justifiait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre du permis de construire délivré le 10 mai 2019, la cour s'est fondée sur les circonstances qu'elle se prévalait de sa qualité de locataire, en vertu d'un bail commercial en cours à la date à laquelle la demande du permis de construire litigieux avait été affichée en mairie le 3 octobre 2018, de l'immeuble existant, implanté sur le terrain d'assiette du projet et ayant vocation à être démoli pour les besoins de sa réalisation, et que le permis autorisant cette démolition avait été délivré le 4 décembre 2018, postérieurement à la date de cet affichage. En admettant que la qualité de locataire de l'immeuble existant conférait à la société requérante un intérêt suffisant pour demander l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire litigieux, alors que ce permis, par lui-même, n'était pas de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce ».
Il suit ainsi les conclusions du rapporteur public Mathieu Le Coq qui rappelle que la future construction autorisée par le permis de construire n’est pas de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de l’immeuble que la société Genedis occupe sur le terrain d’assiette en vertu d’un bail commercial car elle aura nécessairement quitté les lieux du fait de la démolition préalable de l’immeuble existant qui a fait l’objet d’un permis de démolir. Elle ne justifie d’aucun droit sur le bien qui pourrait survivre à cette opération et le fait qu’une construction soit édifiée après démolition n’a aucune incidence pour la requérante. Il poursuit en expliquant que sa situation ne se trouverait d’ailleurs nullement modifiée si aucun bâtiment ne venait à être construit sur le terrain d’assiette.
La société requérante aurait donc vraisemblablement été uniquement recevable à contester le permis de démolir, seule autorisation de nature à affecter directement ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien occupé.
Il convient de rappeler que la jurisprudence est constante sur le fait qu’il n’existe pas de lien indissociable entre le permis de démolir et le permis de construire.
Le rapporteur public souligne l’absence de lien juridique entre les deux autorisations au stade de la délivrance, au stade de l’exécution et au stade du contentieux : les deux permis sont « des actes distincts ayant chacun leur objet propre » [3].
Par conséquent, la société Genedis ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire accordé à la société Abraham Bloch.
Le Conseil d’État relève que le locataire d’un immeuble ayant vocation à être démoli pour les besoins de la réalisation d’une opération de construction, n’a pas, du fait de cette seule qualité, intérêt pour agir en excès de pouvoir à l’encontre du permis de construire autorisant seulement l’édification des constructions, alors que ce permis n’était pas par lui-même de nature à affecter directement ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien occupé.
Il estime que la cour a commis une erreur de qualification juridique des faits ; par conséquent, il annule cet arrêt et considère que la requête de la société locataire dirigée contre le permis de construire est irrecevable et qu’ainsi, elle doit être rejetée.
[1] CE, 10 juin 2015, n° 386121, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6029NKI.
[2] CE, 13 avril 2016, n° 389798 N° Lexbase : A6777RCY, Lebon, p. 135.
[3] V. en ce sens CE, 25 mai 1990, n° 80938, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7003AQG.
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