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par Tatiana Sachs, Professeure à l’Université Paris Nanterre
Le 20 Novembre 2024
Mots-clés : droit du travail • environnement • dialogue social • transition écologique • directive CSRD • devoir de vigilance
La revue Lexbase Sociale inaugure une nouvelle rubrique consacrée à la prise en compte des préoccupations environnementales dans le droit du travail. Avant d'exposer l'actualité nationale et européenne de cette thématique, les raisons d'être d'une telle chronique méritent d'être explicitées. Au cours de la période couverte (janvier 2024-octobre 2024), les traits du dialogue social environnemental ont été précisés, que ce soit au moyen de l'extension de l'ANI sur la transition écologique et le dialogue social, de la transposition de la Directive CSRD ou encore des décisions de justice sur les compétences du CSE. C'est enfin la directive sur le devoir de vigilance qui sera évoquée, notamment dans son volet qui touche plus particulièrement aux droits des travailleurs.
I. Pourquoi une chronique droit social et environnement ?
Pourquoi inaugurer une chronique annuelle consacrée aux rapports qu’entretient le droit du travail avec les considérations environnementales ? Fruit d’un constat, cette création poursuit une ambition.
Du côté du constat, un diagnostic s’impose : si l’objet du droit du travail est de régir les rapports de travail salariés, les considérations environnementales n’en sont pour autant absentes. Certes, un tel constat n’est pas nouveau et ne peut justifier à lui seul de placer les projecteurs sur la place des considérations environnementales en droit du travail. Dès 1994, d’éminents auteurs ont consacré des travaux aux rapports qu’entretiennent le droit du travail et le droit de l’environnement [1] et à la catégorie de risque mixte [2]. Cette expression vise un risque professionnel qui a une dimension écologique. La catégorie de risque mixte est topique de la manière dont le droit du travail s’est ouvert aux questions environnementales : cette prise en compte demeure indirecte, médiatisée par des mécanismes de protection des salariés. À cet égard, la loi dite « Climat et résilience » [3] marque une rupture : la protection de l’environnement trouve droit de cité en tant que telle au sein du droit du travail. En érigeant « les conséquences environnementales » comme objet du dialogue social, elle ouvre la voie à la prise en compte, par le droit du travail, de la protection de l’environnement per se, indépendamment de ses conséquences sur les travailleurs. Voilà qui alimente « la vocation environnementale » [4] du droit du travail et qui, en conséquence, justifie d’inaugurer notre chronique.
Du côté de l’ambition, cette chronique vise à alimenter les réflexions sur la contribution du droit du travail, et plus largement, du droit social à la transformation écologique. Cette contribution a partie liée avec l’exigence de justice dans la répartition des efforts nécessaires aux mutations de l’appareil productif. L’ampleur de ces mutations ravive le conflit entre l’emploi et la protection de l’environnement. Le cas Ilva, aciérie de la région italienne des Pouilles est très instructif. Au nom de la préservation de l’emploi, l’État italien a permis la poursuite d’activités dangereuses pour la santé des travailleurs et des riverains, comme pour l’environnement. Les autorités européennes ont sanctionné l’État italien [5]. L’appel à une transition juste, inscrite dans les conventions internationales [6] vise précisément à dépasser cet antagonisme, qui constitue un des obstacles majeurs à la faisabilité de la bifurcation écologique. À n’en pas douter, comme l’a relevé l’Organisation internationale du travail dans un rapport récent [7], cette exigence de transition juste constitue un défi pour le(s) systèmes de protection sociale.
Toutefois, la justesse et la justice de la transition écologique se jouent également au niveau des branches et des entreprises, mettant notamment à l’épreuve le droit du travail. En 2021, le législateur a choisi d’ériger le dialogue social en vecteur privilégié de l’environnementalisation des relations professionnelles. Dans la même veine, l’accord national interprofessionnel du 11 avril 2023, relatif à la transition écologique et au dialogue social [8], affirme, dans son préambule que « le dialogue social occupe une place essentielle dans l’anticipation, l’appropriation, l’acceptabilité et l’accélération de la transition écologique, notamment au regard des impacts économiques et sociaux liés à la transformation des activités, des emplois et des qualifications. En effet, les acteurs du dialogue social élaborent une vision globale des enjeux à la fois économiques, sociaux et environnementaux. Il contribue aussi à la nécessaire implication des salariés dans la mise en œuvre de la transition écologique dans l’entreprise. [...]. Les acteurs du dialogue social ont un rôle décisif à jouer en la matière ; ils doivent construire des solutions conjuguant performance économique, sociale et environnementale ». On le voit, les partenaires sociaux entendent saisir la protection de l’environnement, non seulement au regard de ses conséquences sur les salariés, mais également comme une finalité, en avançant des propositions sur les moyens de la poursuivre [9].
On le voit, un des enjeux est d’articuler la prise en compte des préoccupations environnementales et sociales. Voilà qui nous mène vers des contrées que les tenants du droit du travail devraient visiter davantage : celui des règles nationales et européennes inspirées des pratiques de responsabilité sociale des entreprises. Dans le sillon de la novatrice de la loi française sur le devoir de vigilance [10], l’Union européenne vient ainsi de se doter de la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité [11]. S’il ne s’agit pas de droit du travail au sens le plus étroit - dans la mesure où ne sont pas en cause les rapports entre l’employeur et les salariés - cette norme touche aux attributions des représentants des travailleurs des diverses entités de la chaîne de valeurs comme au respect des droits des travailleurs impliqués dans cette même chaîne. Les dispositifs sur le devoir de vigilance ont ceci de remarquable qu’ils portent sur la protection de l’environnement, la transformation écologique, le respect des droits humains et celui des libertés et droits fondamentaux des travailleurs. Les dispositifs sur le devoir de vigilance mettent en lumière que le couple travail-environnement ne peut être extrait du triptyque travail-environnement-économique. Les rapports entre droit du travail et environnement doivent ainsi être analysés et compris à la lumière des évolutions du droit de l’entreprise, pour ne pas dire le droit du capital.
II. L’extension de l’accord national interprofessionnel relatif à la transition écologique et au dialogue social : quels effets ?
Dans le sillage de l’adoption de la loi « Climat et résilience » et conformément à l’agenda social paritaire autonome, a débuté, à l’été 2022, un cycle de négociation sur les enjeux de la transition écologique. Le 11 avril 2023, a été signé l’accord national interprofessionnel relatif à la transition écologique et au dialogue social. Les syndicats signataires (CPME, le MEDEF, l'U2P, la CFDT et la CFTC) ont demandé l’extension de cet accord. Un arrêté du 22 janvier 2024 [12] y a procédé [13]. Probablement n’est-il pas inutile de souligner l’originalité de la séquence. Alors que la loi est parfois utilisée pour renforcer la normativité d’un ANI en le transposant, dans le cas présent, l’ANI est venu prolonger une loi. L’extension est ainsi utilisée pour renforcer un ANI censé servir l’implémentation de la loi. Les effets de cette extension ne sont pas aisés à cerner tant l’ANI en question est un objet juridique difficile à identifier.
D’emblée, l’objectif que s’étaient donné les partenaires sociaux était quelque peu iconoclaste. Selon les termes de la CFTC, « l'objectif de ces travaux [était] de formaliser un document de référence qui permette aux acteurs de l'entreprise et de la branche de se saisir des sujets environnementaux, qui les aide ainsi à mettre en œuvre les dispositions de la loi « Climat et résilience » de 2021 » [14]. « Un document de référence » : l’expression n’est pas anodine et témoigne de l’intention des signataires de ne donner aucune portée normative à l’accord. Du reste, cette (absence d’) ambition a justifié que certains syndicats aient refusé de signer cet accord (CGT, CFE-CGC et FO). La structuration de l’accord est la résultante de cette posture peu commune des partenaires sociaux qui entendent avant tout livrer un mode d’emploi pour l’implémentation du dialogue social environnemental impulsé par la loi dite « Climat et résilience ».
Pour ce faire, le document recense et expose de manière pédagogique l’ensemble du droit positif existant qui « [encadre] et [organise] le dialogue social relatif à la transition écologique entre interlocuteurs sociaux » (ANI). Dans le cadre de ces « repères juridiques », pour reprendre l’expression présente dans le texte, ce dernier se réfère aussi bien aux dispositifs spécifiquement dédiés au traitement des questions environnementales qu’à des dispositifs plus généraux qui peuvent ou pourraient servir dans le cadre d’un dialogue social à vocation environnementale. Les repères juridiques sont complétés par des « repères pratiques », à savoir des « bonnes pratiques » qui visent à « nourrir et approfondir le dialogue social ». Pour mieux saisir la tonalité de l’ANI, le mieux est de le citer, par exemple, lorsqu’il entend promouvoir un dialogue social à un niveau « approprié » : « il peut être pertinent d’aborder la question de la transition écologique des entreprises à un niveau supérieur à celui de l’entreprise. En effet, les entreprises, en particulier les TPE, n’ont pas toujours la faculté ou les moyens d’identifier seules les leviers de changement. Par ailleurs, les entreprises qui s’engagent seules dans la transition écologique peuvent rencontrer des problèmes de compétitivité par rapport à leurs concurrents moins avancés dans ce domaine ». L’accord prodigue ainsi des conseils de bonnes pratiques.
Cette structuration autour de repères juridiques et pratiques est conforme à l’ambition des signataires de l’accord. Ce dernier est surtout œuvre de pédagogie, avec en toile de fond l’idée que cette pédagogie puisse engendrer une dynamique dans les entreprises [15]. Signal envoyé aux acteurs du monde productif, l’accord collectif est censé produire des effets, moins en raison de sa portée normative, que de ses vertus de communication. Ce faisant, l’ANI sur la transition écologique s’apparente davantage à un instrument de nudging [16].
Dans un tel contexte, la demande d’extension peut paraître contradictoire et ses effets difficiles à déterminer. Conformément à l’article 2 de l’arrêté d’extension, celle-ci porte sur toutes les stipulations de l’accord, sans distinction aucune entre les repères juridiques et pratiques. Ces derniers deviennent donc…juridiques. On peut alors s’interroger sur la portée normative de ces bonnes pratiques qui, en réalité, viennent donner un sens aux énoncés législatifs : les interprétations proposées « des conséquences environnementales » qui délimitent les attributions du CSE (point 2.1.4. de l’ANI), les propositions relatives aux données qui peuvent figurer dans la BDESE (point 2.1.5 de l’ANI), etc. L’interprétation des partenaires sociaux s’impose-t-elle aux employeurs ? Une réponse positive ferait bien peu de cas de la distinction, pourtant instaurée par les négociateurs, entre les repères juridiques et les repères pratiques…les repères pratiques devenant juridiques…
III. La portée des attributions environnementales du CSE
A. Le domaine incertain des prérogatives environnementales issues de la loi dite « Climat et résilience »
L’environnementalisation des prérogatives du CSE constitue une des avancées la loi dite « Climat et résilience », qui a étendu la compétence du CSE aux questions écologiques, au titre de sa compétence générale et des procédures d’information-consultation récurrentes. Dans le cadre de ces procédures, les échanges avec le CSE doivent également porter sur les « conséquences environnementales » des opérations et décisions sur lesquelles cette institution a un droit de regard. D’emblée, doit être souligné un choix du législateur : celui de promouvoir une « approche transversale » de la compétence environnementale du CSE qui consiste à intégrer la discussion sur les aspects environnementaux aux autres dimensions, économiques et sociales, des choix patronaux. Il ressort de la lecture des débats parlementaires que certains amendements visaient à introduire une procédure d’information-consultation dédiée exclusivement au volet environnemental de l’action patronale. En réponse, les promoteurs du texte ont fait valoir les mérites d’une « approche transversale », rejetant ce qui a été nommé comme une « approche en silo » [17]. « Ainsi, la question écologique est présente à chaque instant dans toutes les têtes » argue une députée [18].
Si cette approche transversale n’est pas sans défaut - n’aurait-il pas été plus judicieux de consacrer une procédure spécifiquement dédiée aux questions environnementales pour s’assurer de leur prise en compte ? - , sa mise en texte n’est pas non plus exempte de critiques. Les modalités textuelles choisies pour imposer la thématique environnementale diffèrent dans l’article L. 2312-8 du Code du travail N° Lexbase : L6660L7S, siège de la compétence générale, et l’article L. 2312-17 du Code du travail N° Lexbase : L6659L7R, relatif aux procédures d’information-consultation récurrentes, suscitant de nombreuses interrogations. La consécration des attributions environnementales dans le cadre des procédures récurrentes se loge dans un alinéa autonome, lequel dispose que « le comité est informé des conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise » au cours des procédures d’information-consultation dans les domaines visés. Est-ce à dire que le CSE se trouve simplement informé et n’est pas consulté sur les aspects environnementaux ? Une lecture littérale peut le suggérer. Toutefois, dans le cadre de ces procédures, la mission des experts a été étendue à la matière environnementale. La mission des experts étant précisément d’appuyer le travail du CSE pour émettre son avis, il semblerait que la matière environnementale relève de la procédure de consultation.
L’extension de la compétence du CSE dans le cadre de sa compétence générale souffre également d’une indétermination. S’il est acquis que les questions environnementales sont incluses dans la procédure de consultation, le CSE doit-il émettre un avis ad hoc sur ces aspects ? S’appuyant sur une interprétation littérale des différences de rédaction présentes au sein du même article, un auteur soutient que lorsque le CSE se prononce sur la prise en compte permanente des intérêts des salariés (alinéa 1er), les aspects environnementaux peuvent intégrer l’avis. À rebours, lorsque le CSE se prononce sur des décisions qui touchent à la marche générale de l’entreprise, un avis ad hoc est nécessaire. Toutefois, le choix de la transversalité, le refus d’isoler les questions environnementales, conduit plutôt à ne pas surinterpréter les différences de rédaction [19]. Le pragmatisme milite également en faveur de cette interprétation. Comment articuler, dans la pratique, deux modalités différentes d’information-consultation au sein d’un même article ?
Une troisième source d’indétermination doit être mentionnée : l’extension des compétences du comité social et économique au domaine environnemental affecte-t-elle les procédures de licenciement collectif ? Dans le silence de la loi dite « Climat et résilience », la question a été soulevée dès son adoption [20]. Cette question a fait l’objet de premières décisions [21] dans lesquelles les juges ont adopté des solutions divergentes. Si le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré que la procédure d’information consultation du comité social et économique, au titre du projet de licenciement économique, inclut la dimension environnementale [22], celui de Montreuil a affirmé le contraire [23]. Saisis d’une contestation de l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi adopté par une filiale du groupe Schneider Electric, le tribunal administratif de Caen [24] et la cour administrative d’appel de Caen [25] ont adopté une position similaire. Selon la cour administrative d’appel de Caen, « il ne résulte cependant d'aucun texte qu'il appartiendrait à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application des articles L. 1233-24-4 et L. 1233-24-2 du Code du travail [...] de s'assurer que le CES a été régulièrement informé et consulté en application du III précité de l'article L. 2312-8 du Code du travail, relatif aux attributions générales du CSE » (pt. 42). Si l’administration doit s’assurer que l’employeur a présenté « tous les éléments utiles, en ce compris les éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale » (pt. 28), le contrôle de l’administration ne porte pas sur la prise en compte des conséquences environnementales du projet de réorganisation en elles-mêmes. Si la motivation demeure sommaire, il apparaît que les juges s’abritent derrière une interprétation littérale, soulignant l’absence de texte qui dispose explicitement l’obligation pour l’employeur d’informer le CSE sur les conséquences environnementales du projet de licenciement économique. Toutefois, comme l’a montré un auteur, l’interprétation littérale en la matière s’avère « réversible », le jeu de renvois entre textes pouvant conduire à adopter une solution contraire [26]. Face à cette indétermination, ne convient-il pas de s’appuyer sur la ratio legis des dispositions qui ont environnementalisé les attributions du CSE ? Comme cela a été souligné, celles-ci n’ont-elles pas vocation à rendre ces attributions transversales ? Dans cette perspective, l’interprétation selon laquelle la procédure d’information-consultation dans le cadre d’un projet de licenciement peut être vidée de sa dimension environnementale va à l’encontre de cette environnementalisation transversale.
B. Les attributions du CSE en matière de durabilité
L’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 N° Lexbase : L5068MKW a transposé la Directive 2022/2464 du 14 décembre 2022N° Lexbase : L1830MGU, dite « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive), imposant à certaines entreprises la publication et la certification d’informations sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces informations devront, pour les entreprises concernées, faire l’objet d’une section spécifique, le rapport de durabilité, au sein du rapport de gestion. Les nouveaux textes entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2025 et font l’objet d’un calendrier d’entrée en application progressif [27]. Les premières entreprises concernées (à savoir les entreprises qui satisfont deux des trois critères suivants : plus de 500 salariés, plus de 50 millions d’euros de chiffres d'affaires ou plus de 25 millions d’euros de total de bilan) devront publier le rapport de durabilité, qui concerne l’exercice 2024, au premier semestre 2025.
S’il n’est pas le lieu ici d’entrer dans le détail des informations que doit contenir le rapport de durabilité, il convient d’insister sur une caractéristique majeure : l’adoption de la « double matérialité ». À l’inscription dans la comptabilité de l’impact financier des phénomènes sociaux et environnementaux, s’ajoute l’impact de l’entreprise sur le social et la naturel [28]. La double matérialité, qui se trouve au cœur du rapport de durabilité, tente ainsi d’inscrire, dans la comptabilité, la responsabilité de l’entreprise à l’égard de la nature et des travailleurs.
Parmi les multiples destinataires des informations contenues dans le rapport de durabilité (investisseurs, consommateurs, financeurs, partenaires commerciaux), les législateurs européens et nationaux ont mis l’accent sur le rôle des représentants des travailleurs. Ainsi, la directive souligne que « les États membres devraient veiller à ce que l’information en matière de durabilité soit réalisée dans le respect des droits des travailleurs à l’information et à la consultation. La direction de l’entreprise devrait dès lors informer les représentants des travailleurs au niveau approprié et discuter avec eux des informations pertinentes et des moyens d’obtenir et de vérifier les informations en matière de durabilité. Cela implique d’instaurer, aux fins de la présente directive modificative, un dialogue et un échange de vues entre les représentants des travailleurs et la direction centrale ou tout autre niveau de la direction qui pourrait être plus approprié, à des moments, selon des modalités et avec des contenus qui permettraient aux représentants des travailleurs d’exprimer leur avis. Leur avis devrait être communiqué, le cas échéant, aux organes d’administration, de direction ou de surveillance concernés » (pt. 52 du préambule de la directive). Dans le cadre de la transposition, le législateur français a choisi de faire coïncider la consultation du CSE sur les informations en matière de durabilité avec chacune des trois consultations récurrentes existantes et qui sont relatives respectivement aux orientations stratégiques, à la situation économique et financière et à la politique sociale de l’entreprise. Dans la version qui entrera en vigueur au 1er janvier 2025, l’article L. 2312-17 du Code du travail N° Lexbase : L5645MKB dispose désormais que, pour les entreprises soumises à l’obligation d’établir le rapport de durabilité, « Au cours [des] consultations [récurrentes], le comité est consulté sur les informations en matière de durabilité prévues aux articles L. 232-6-3 et L. 233-28-4 du Code de commerce et sur les moyens de les obtenir et de les vérifier ». L’information-consultation sur la durabilité s’ajoute à celle sur les conséquences sociales.
Quoiqu’il puisse y avoir une impression de redondance avec les apports de la loi « Climat et résilience », l’ajout de la durabilité inscrit l’intervention du CSE dans une dimension nouvelle, si l’on veut bien prendre au sérieux l’évocation de la durabilité. Une conception exigeante de cette dernière mêle, en elle-même, les aspects sociaux et environnementaux. Elle est porteuse d’un dépassement de l’antagonisme social/environnement que la seule référence aux conséquences environnementales, introduite par la loi « Climat et résilience », opérait timidement. Chargé de rendre un avis sur la collecte et la vérification des informations contenues dans le rapport, le CSE est appelé à jouer un rôle actif dans l’établissement du rapport. Il faut saluer cette avancée qui donne la possibilité d’élargir le cercle des acteurs impliqués dans la production d’informations en matière de durabilité. Les services Compliance ou Développement durable des entreprises vont pouvoir associer les services spécialisés dans les relations sociales et les représentants du personnel. À l’heure où ces lignes sont écrites, ces avancées risquent de subir un ralentissement, des voix comme celles de M. Draghi ou de M. Barnier appelant à un « moratoire » dans la mise en œuvre de la directive.
IV. Les travailleurs et la Directive européenne « Corporate sustainability due diligence » (CS3D)
Sept ans après l’adoption de la loi française instaurant un devoir de vigilance, a été adoptée la Directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité [29]. Ce dispositif vise à responsabiliser les entreprises dominantes pour les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement produites dans le cadre de la chaîne de valeurs. Parmi les nombreux apports de la directive, deux points, qui ont trait aux droits des travailleurs, retiennent l’attention. Le premier réside dans la tentative de préciser ce que recouvre les droits des travailleurs qui entrent dans le champ d’application du devoir de vigilance. Dans l’annexe 1 de la directive, sont ainsi spécifiés les droits fondamentaux des travailleurs couverts par la Directive. Sans surprise, les principaux droits sont bien présents : liberté syndicale, droit à des conditions de travail justes et favorables, etc.
Le second point touche à l’implication des représentants des travailleurs dans l’élaboration du plan de vigilance. En l’état du droit français, l’implication des parties prenantes dans l’élaboration du plan de vigilance n’est qu’une faculté. Des études ont ainsi montré que les plans de vigilance sont le plus souvent élaborés par les directions d’entreprise [30]. Tout au plus, l’information et la consultation du CSE interviennent-elles une fois le plan de vigilance fini, dans le cadre des attributions dites récurrentes. À cet égard, la transposition de la directive pourrait être l’occasion d’expliciter les modalités possibles d’intervention du CSE, et plus largement d’autres instances de représentation des salariés, en matière de vigilance. Ainsi, l’article 7 de la directive dispose que la politique de vigilance est « élaborée après concertation avec les salariés de l’entreprise et leurs représentants ». L’article 13 de la même directive prévoit des « échanges constructifs avec les parties prenantes ». La direction de l’entreprise doit adopter des « mesures appropriées pour mettre en place des échanges efficaces avec les parties prenantes ». La consultation des parties prenantes doit intervenir aux différentes étapes de la l’élaboration et de la mise en œuvre de la vigilance (collecte des informations, élaboration du plan d’action, décision de rompre des partenariats, construction des indicateurs).
Deux exigences ressortent du texte européen. La première est une implication effective des représentants du personnel au sein de la société débitrice du devoir de vigilance. Voilà qui devrait conduire à imaginer, au moment de la transposition, les voies d’une participation renforcée, non seulement du CSE, mais plus largement du comité de groupe et/ou du comité d’entreprise européen. La seconde est celle d’une participation des « autres » parties prenantes, que ce soient les salariés des entreprises de la chaîne de valeurs, les riverains, les consommateurs, etc. Si cette implication ne relève pas du seul droit du travail, ce dernier pourrait offrir des ressources pour élaborer le cadre d’une telle implication. La détermination des acteurs, le cadre de mise en place, les modalités de participation : les réponses offertes par le droit du travail pourraient servir de modèle [31] pour imaginer une instrumentalisation juridique et sociale innovante de la politique de vigilance.
[1] M. Despax, Droit du travail et droit de l’environnement, Droit et ville, 1994, p. 9.
[2] A. Supiot, L’alerte écologique dans l’entreprise, Droit et ville, 1994, n° 37, p. 9.
[3] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R. Sur cette loi, v. le Dossier spécial, Droit du travail et environnement, Lexbase Social, février 2022, n° 894 N° Lexbase : N0354BZ7.
[4] A. Casado, Le droit social à vocation environnementale, LGDJ, coll. « Droit et professionnel », 2024.
[5] V. en dernier lieu, CJUE, gr. ch., 25 juin 2024, aff. C-626/22 N° Lexbase : A47505LI.
[6] V., par ex., le préambule de l'accord historique sur le climat de 2015, dit « Accord de Paris ».
[7] OIT, Rapport mondial sur la protection sociale 2024-26 : Protection sociale universelle pour l'action climatique et une transition juste, septembre 2024 [en ligne].
[8] A. Casado, Projet d'ANI relatif à la transition écologique et au dialogue social, JCP S, 2023, n° 21, act. 17.
[9] À titre d’illustration, v. le rapport publié par la CFDT en 2021, consacré aux mutations de la filière automobile [en ligne].
[10] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre N° Lexbase : L3894LDL.
[11] Directive 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité N° Lexbase : L0909MNY.
[12] Arrêté du 22 janvier 2024, portant extension de l'accord national interprofessionnel du 11 avril 2023, relatif à la transition écologique et au dialogue social N° Lexbase : L4595MLR.
[13] A. Casado, JCP S, 2024, n° 6, act. 90.
[14] DGT, La négociation collective en 2022, Bilan et rapport, éd. 2023, p. 47.
[15] Sur le besoin de pédagogie, v. O. Chabrol, D. Jouanneaux, R. Michelot, Quelles pratiques pour le dialogue social en entreprise sur la transition écologique ?, Rapport réalisé par le cabinet Syndex et la CFDT, octobre 2023 [en ligne].
[16] Ce terme désigne une modalité de gouvernement destinée à modifier les actions des acteurs sociaux par la conformation des objets techniques. Sur l’usage du nudging en droit du travail, v. C. Wolmark, Les politiques d’entreprise, RDT, 2023, p. 241.
[17] Sur cette distinction, v. P. Tomassetti et A. Bugada, From a Siloed Regulation to a Holistic Approach ? Labour and Environmental Sustainability Under EU Law, The Italian Law journal, vol. 8, n° 2, 2022, p. 683 ; F. Géa, Droit du travail et écologie, RDT, 2014, p. 17.
[18] C. Motin, Rapporteure du projet de loi [CR n° 24, séance du 12 mars 2021, 14h30]
[19] Contra J.-Y. Kerbouch, Les prérogatives d’ordre environnemental du comité social et économique, JCP S, 2021, n° 1316.
[20] A. Casado, Focus sur la consultation du CSE en matière de licenciement pour motif économique après la loi Climat et résilience, Bull. Joly Travail, février 2022, n° BJT201b8.
[21] L. Marquet de Vasselot et A. Martinon, Licenciement pour motif économique - Les contrôles administratifs et judiciaires, JCP S, 2023, 1120 ; F. Géa, Procédure de licenciement collectif : quid des conséquences environnementales ?, RDT, 2023, p. 553.
[22] TA Cergy-Pontoise, 10 mars 2022, n° 2115613, JCP S, 2022, 1100, note A. Casado.
[23] TA Montreuil, 2 mai 2022, n° 2202445 N° Lexbase : A330479A, JCP S, 2022, 1171, note A. Casado ; TA Montreuil, 6 décembre 2023, n° 2310692, JCP S, 2024, 1049, note A. Casado.
[24] TA Caen, 26 janvier 2024, n° 2302945 N° Lexbase : A10892I8.
[25] CAA Nantes, 18 juin 2024, n° 24NT00899 N° Lexbase : A86185IZ.
[26] F. Géa, Procédure de licenciement collectif : quid des conséquences environnementales ?, préc..
[27] B. Lecourt, Transposition de la directive CSRD, RTD Com., 2024, 01, pp.99.
[28] A. Rambaud, spéc. Normes extra-financières, pourquoi l’Europe doit l’emporter, publié sur le site de l’AGEFI en septembre 2023 [en ligne].
[29] Directive 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité N° Lexbase : L0909MNY.
[31] V. en ce sens, v. G.-J. Martin, Droit de l'environnement, négociation et représentativité. Variations sur la rencontre entre négociations écologiques et négociation sociale, Revue Justice et Cassation, 2024, p. 101.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1111 QPC, du 15 novembre 2024 N° Lexbase : A64366GH
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par Yann Le Foll
Le 20 Novembre 2024
► Est conforme à la Constitution l’information de la personne entendue par le juge des libertés et de la détention dans le cadre du « référé pénal environnemental » du droit qu’elle a de se taire.
Objet QPC. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « après audition de la personne intéressée » figurant au troisième alinéa de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6869L7K.
Rappel. En application du premier alinéa de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, en cas de non-respect de certaines prescriptions environnementales, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, ordonner aux personnes physiques et morales concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.
Selon les dispositions contestées, la décision du juge des libertés et de la détention est prise après audition de la personne intéressée.
Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, d’une part, les mesures que ce juge peut ordonner ont pour seul objet de mettre un terme ou de limiter, à titre conservatoire, les effets d’une pollution dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire. D’autre part, le prononcé de telles mesures n’est pas subordonné à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale (Cass. crim., 28 janvier 2020, n° 19-80.091, FS-P+B+I N° Lexbase : A66293CI).
Position CConst. Les dispositions contestées n’ayant pas pour objet de prévoir l’audition par le juge d’une personne mise en cause pour les faits sur lesquels elle est entendue, elles n’impliquent pas que cette personne se voie notifier son droit de se taire.
La seule circonstance que cette personne soit entendue sur des faits qui seraient susceptibles de lui être ultérieurement reprochés ne saurait être contestée sur le fondement des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1373A9Q (présomption d’innocence).
En revanche, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître ces mêmes exigences, permettre au juge des libertés et de la détention d’entendre la personne concernée sans qu’elle soit informée de son droit de se taire lorsqu’il apparaît qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue, dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement.
Décision. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 doit être écarté et les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
À ce sujet. Lire Droit pénal de l’environnement, quelles pistes pour une mise en place concrète des ambitions affichées ? - Questions à François Molins, procureur général près la Cour de cassation, Lexbase Public, mars 2023, n° 699 N° Lexbase : N4653BZD. |
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Réf. : TA Paris, 25 octobre 2024, n° 2426918 N° Lexbase : A63946CS
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par Johan Sanguinette, Avocat à la Cour
Le 20 Novembre 2024
Mots clés : validité des offres • prolongation du délai • accord des soumissionnaires • référé précontractuel • procédure de mise en concurrence
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rappelé, à l’occasion d’une ordonnance du 25 octobre 2024, que le délai de validité des offres ne peut être prolongé qu’à condition d’obtenir l’accord de l’intégralité des soumissionnaires.
Au cas d’espèce, le Théâtre de l’Odéon, établissement public à caractère industriel et commercial, et donc pouvoir adjudicateur, avait lancé en mars 2024 une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’attribution d’un marché public de prestations de nettoyage de ses locaux.
Le délai de validité des offres prévu par le règlement de consultation arrivant à expiration, le Théâtre de l’Odéon a demandé aux sept soumissionnaires en lice d’accepter une prolongation du délai de validité des offres.
La société Pulita Vendôme, titulaire sortante, ayant refusé cette demande, l’acheteur lui a indiqué que la procédure se poursuivrait alors sans elle.
Saisi d’un référé précontractuel de la part de cette entreprise, le tribunal administratif de Paris annule la décision du Théâtre de l’Odéon de poursuivre la procédure de mise en concurrence, car le refus de la société Pulita Vendôme de prolonger le délai de validité des offres y faisait nécessairement obstacle (I.).
Cette décision, conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, conduit à s’interroger sur les mesures envisageables par les pouvoirs adjudicateurs afin de prévenir de telles situations, où un seul soumissionnaire est en mesure de faire obstacle à la poursuite d’une procédure de mise en concurrence (II.).
I. Le délai de validité des offres ne peut être prolongé qu’avec l’accord de tous les soumissionnaires
L’ordonnance commentée est l’occasion pour le tribunal administratif de Paris de rappeler la règle de principe applicable en matière de prolongation du délai de validité des offres, posée de longue date [1], et récemment formulée comme suit par le Conseil d’État dans une décision du 10 avril 2015 [2] :
« Si la personne publique doit, sous peine d'irrégularité de la procédure de passation, choisir l'attributaire d'un marché dans le délai de validité des offres, elle peut toujours solliciter de l'ensemble des candidats une prorogation ou un renouvellement de ce délai. Toutefois, dans le cas où le règlement de la consultation fixe une date limite de validité des offres, celle-ci ne peut être prorogée qu'avec l'accord de l'ensemble des candidats admis à présenter une offre. »
L’obligation d’obtenir l’accord de chaque soumissionnaire pour prolonger le délai de validité des offres présente un double enjeu : il s’agit non seulement d’obtenir son accord pour prolonger la validité de sa propre offre, mais également qu’il consente à ce que la validité des offres des autres soumissionnaires soit prolongée.
En effet, l’accord du soumissionnaire porte sur la prolongation du délai de validité de toutes les offres, et non uniquement de son offre.
Ceci s’explique, à notre sens, par le fait qu’il s’agit autant de demander au soumissionnaire de réitérer les engagements formulés dans son offre que, surtout, de consentir à une modification d’une des règles de mise en concurrence initiales, à savoir le délai de validité des offres qui est mentionné dans le règlement de consultation.
L’obtention de l’accord unanime des soumissionnaires est donc dictée par le nécessaire respect des principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Au cas d’espèce, on comprend que le Théâtre de l’Odéon a considéré que le refus de la société Pulita Vendôme affectait uniquement la validité de sa propre offre, raison pour laquelle l’acheteur en a déduit qu’il pouvait poursuivre la procédure avec les autres soumissionnaires.
Le refus de la société requérante impactait toutefois également la validité des autres offres, ce qui ne laissait pas d’autre choix à l’acheteur que de déclarer sans suite la procédure, faute d’offre valable encore en lice :
« Il résulte du principe énoncé au point 4 que dans le cas où le règlement de la consultation fixe une date limite de validité des offres, celle-ci ne peut être prorogée qu'avec l'accord de l'ensemble des candidats admis à présenter une offre. Il suit de là que dès lors que la société Pulita Vendôme a refusé la prolongation du délai de validité de son offre par son courrier électronique du 30 septembre 2024, le Théâtre national de l'Odéon ne pouvait décider de poursuivre la procédure de consultation en l'excluant de cette procédure, malgré la règle en ce sens énoncée à l'article 7.1 du règlement de la consultation qui apparaît contraire au principe de publicité et de mise en concurrence. »
On relèvera que les motif justifiant le retard de l’acheteur dans le choix de l’attributaire est indifférent pour l’application de la règle, quand bien même ce motif paraît légitime, en ce qu’il n’est pas imputable au pouvoir adjudicateur (au cas d’espèce, les nominations au sein du conseil d’administration du Théâtre de l’Odéon, organe décisionnaire pour l’attribution du marché, ont été retardées par les péripéties politiques des derniers mois).
De même, un acheteur ne peut pas valablement prévoir, dans le règlement de consultation, qu’un soumissionnaire ne pourra pas s’opposer à la poursuite de la procédure sans lui, dans l’hypothèse où il refuse de donner son accord pour la prolongation du délai de validité des offres.
Au cas d’espèce, l’article 7.1. du règlement de consultation est considéré par le juge des référés comme « contraire au principe de publicité et de mise en concurrence », raison pour laquelle son application est écartée.
Si ce cadre juridique place donc l’acheteur en position de dépendance vis-à-vis des soumissionnaires lorsque le délai de validité des offres vient à expiration, des aménagements sont toutefois envisageables.
II. Les dérogations et aménagements à la règle de principe
A. Le délai de validité des offres vient à expiration en raison d’un recours en référé précontractuel
Premièrement, dans la décision précitée du 10 avril 2015, le Conseil d’État a autorisé un acheteur à poursuivre la procédure de mise en concurrence avec les seuls soumissionnaires qui l’acceptent, lorsqu’un référé précontractuel est à l’origine de l’expiration du délai de validité des offres :
« que lorsque ce délai est arrivé ou arrive à expiration avant l’examen des offres en raison, comme c’est le cas en l’espèce, d’une procédure devant le juge du référé précontractuel, la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché avec les candidats qui acceptent la prorogation ou le renouvellement du délai de validité de leur offre »
À lire les conclusions du rapporteur public, Bertrand Dacosta, cette solution se justifie par la nécessité de faire obstacle à des manœuvres dilatoires de la part d’un candidat requérant qui par l’intermédiaire du référé précontractuel a contribué à l’expiration du délai de validité des offres et, en cas de rejet de son recours, pourrait faire obstacle à la poursuite de la procédure en refusant de donner son accord pour la prolongation du délai de validité des offres.
À notre sens, la solution retenue par le Conseil d’État tend aussi à confirmer la dualité que revêt l’accord donné par le soumissionnaire lorsque le délai de validité des offres arrive à expiration :
On notera que le juge judiciaire s’est, depuis, approprié la solution de principe énoncée par le Conseil d’État [3].
B. Prévoir, ab initio, l’accord des candidats pour prolonger la validité des offres des autres soumissionnaires
Indépendamment de la dérogation identifiée par le Conseil d’État, les acheteurs pourraient eux-mêmes prévoir dans les documents de la consultation, un dispositif leur permettant de s’assurer que le refus d’un soumissionnaire ne fera pas obstacle à la poursuite de la procédure.
Car, il faut bien admettre que si la règle de principe peut s’appuyer sur des motifs juridiques entendables, elle n’est toutefois pas de nature à préserver l’efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, puisque le bon vouloir d’un seul opérateur peut annihiler la procédure et obliger l’acheteur à la reprendre intégralement.
Ceci sans compter qu’un soumissionnaire qui s’oppose à la prolongation du délai de validité des offres peut être motivé par un intérêt particulier et immédiat (l’ordonnance commentée souligne que la requérante est titulaire sortante et qu’elle a conclu plusieurs avenants de prolongation de son marché en raison du retard dans l’attribution du nouveau marché. La reprise la procédure dans son intégralité devrait donc permettre à la requérante d’obtenir une nouvelle prolongation de son marché actuel).
Certes, une disposition telle que celle prévue, en l’espèce, au 7.1. du règlement de consultation ne paraît pas envisageable, car elle se heurte frontalement à la règle de principe, en privant chaque soumissionnaire de son droit à consentir à la prolongation du délai de validité de toutes les offres.
Cependant, nous avons pu rencontrer des règlements de consultation dans lesquels l’acheteur prévoit que chaque soumissionnaire consent par anticipation, dès l’instant où il remet son offre, à ce que le délai de validité des offres soit prolongé si l’acheteur en fait la demande.
Ceci permet donc à l’acheteur d’obtenir, par avance, l’accord de chaque soumissionnaire sur la prolongation du délai de validité des autres offres, tout en préservant la liberté de choix de chacun quant à la prolongation de sa propre offre : un soumissionnaire pourra refuser de prolonger son offre et, dans ce cas, la procédure se poursuivra donc sans lui.
Reste que la validité d’un accord donné par anticipation pourrait être débattue, dans la mesure où les soumissionnaires ignorent, au moment où ils consentent, les causes de l’expiration du délai des offres et, plus globalement, l’état de la procédure de mise en concurrence lorsque la question de la prolongation du délai se posera.
[1] CE, 13 décembre 1996, n° 169706 N° Lexbase : A9829B78.
[2] CE, 10 décembre 2015, n° 386912 N° Lexbase : A5057NGE.
[3] TJ Paris, 10 mai 2021, n° 21/52867.
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par Maxime Loriot, Notaire Stagiaire - Doctorant en droit international privé à l’Université Panthéon-Sorbonne et Dorian Guillou, Diplôme supérieur de notariat - Université Paris - Panthéon Assas
Le 20 Novembre 2024
Mots-clés : notaires • revenus immobiliers • droits de mutation • conventions fiscales
Il faut croire que le cœur de l’été est propice, pour l’administration fiscale, à la mise à jour de ses commentaires administratifs concernant la pratique notariale. Le notaire, officier public ministériel, est ainsi amené à consulter les évolutions de la doctrine administrative afin d’adapter sa pratique.
Ainsi, en ce troisième trimestre de l’année 2024, de nombreuses mises à jour du BOFiP ont retenu notre attention, intéressant tant la fiscalité des revenus immobiliers, que la question des droits de mutation ou encore la fiscalité internationale. Comme à l’accoutumée, nous traiterons successivement les actualités sélectionnées pour ce nouveau trimestre.
Sommaire :
I. Fiscalité des revenus immobiliers
II. Les droits de mutation
III. Fiscalité internationale
I. Fiscalité des revenus immobiliers
L’administration procède à la mise à jour de ses commentaires relatifs au dispositif dit « Censi-Bouvard » ou « LMNP » régi par le V de l'article 199 sexvicies du CGI N° Lexbase : L5206MMR.
Ce régime offre une réduction d’impôt pour les contribuables domiciliés en France qui, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2022 et pour la réalisation d’une activité de location meublée à titre non professionnel, ont acquis notamment :
Compte tenu de la modification législative issue de l’article 110 de la loi n° 2023-1322, du 29 décembre 2023, de finances pour 2024, l’administration précise (BOI-IR-RICI-220 et suivants) que la réduction d'impôt s'applique sous réserve :
La loi de finances pour 2024 a procédé à une mise en conformité de notre droit aux exigences européennes en matière de TVA en modifiant l’article 261 D du CGI traitant des exonérations de TVA dans le cadre de locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation, et plus particulièrement s’agissant des exceptions à ce principe d’exonération.
L’objectif était d’opérer une nette distinction entre la taxation de l'hébergement fourni dans le secteur hôtelier et les secteurs ayant une fonction similaire au secteur hôtelier (parahôtelier) de celle des locations dans le secteur du logement meublé accompagnées de la fourniture de certains services.
En cohérence avec à cette modification législative, l’administration opère donc :
L’administration précise plusieurs éléments concernant le dispositif de réduction d’impôts dit « Pinel » / « Pinel + ».
Des précisions sont ainsi apportées concernant l'éligibilité de l’investissement à la réduction s’agissant de la condition tenant au respect par l’immeuble d'un niveau de performance énergétique globale ainsi que sur la définition des différentes zones d’éligibilité, en métropole et dans les départements ou collectivités d’outre-mer (BOI-IR-RICI-360-10-30 N° Lexbase : X3447AMM).
Ensuite, un nouveau feuillet du BOFIP est publié sous les références BOI-RES-IR-000159, lequel traite des conséquences des modifications apportées par les arrêtés du 16 février 2022 et du 2 octobre 2023 sur le classement des communes par zones géographiques pour l'application du dispositif « Pinel » (en métropole et hors région Bretagne).
Enfin, et surtout, l’administration procède à une mise à jour plus importante consécutive à la loi de finances pour 2021 qui avait prorogé, une nouvelle fois, le dispositif de réduction d’impôts « Pinel » régi par l’article 199 novovicies du CGI N° Lexbase : X3447AMM. Cette prolongation du dispositif de faveur a été faite au prix d’une diminution progressive des taux de cette réduction d’impôt pour les investissements réalisés en 2023 et 2024.
Les taux ont ainsi évolué :
La loi a toutefois prévu deux exceptions (englobées sous l’acception régime « Pinel + ») pour les logements acquis jusqu’au 31 décembre 2024 et :
L’administration a donc mis à jour ses commentaires tant en ce qui concerne la diminution progressive des taux de réduction d’impôts que des exceptions à cette diminution.
On trouvera ainsi aux BOI-IR-RICI-360-30-10 § 205 et suivants les développements principaux sur les éléments permettant de caractériser les logements dont l’acquisition est concernée par l’exception, c’est-à-dire au maintien des taux de réduction.
En particulier, on y trouvera, pour la métropole et les départements et régions d'outre-mer et collectivités d’outre-mer :
Pour rappel, les taux de réduction pour les logements respectant ces conditions sont :
Rappelons tout d’abord qu’avant l'entrée en vigueur de l'article 45 de la loi n° 2023-1322, du 29 décembre 2023, de finances pour 2024 N° Lexbase : L9444MKY, les propriétaires de meublés de tourisme pouvaient bénéficier d'un abattement de 50 % sur leurs revenus locatifs dans la limite de 77 700 euros de recettes ou de 71 % dans la limite de 188 700 euros de recettes pour les meublés de tourisme classés et les chambres d'hôtes. Concernant les meublés de tourisme classés, le texte adopté a réduit la déduction forfaitaire à 30 % et plafonné le seuil applicable pour le régime micro-BIC à 15 000 euros.
Toutefois, depuis les commentaires du BOFiP publiés le 14 février 2024, l’administration fiscale a choisi de laisser la possibilité pour le contribuable entre :
Par cette décision du 8 juillet 2024, le Conseil d’État annule les dispositions tirées de l’actualité BOFIP-Impôts du 14 février 2024. Cette disposition concernait la tolérance administrative appliquée au régime des micro-Bénéfices industriels et commerciaux (micro-BIC) pour les revenus issus de la location meublée touristique. Le Conseil d’État rappelle à cet effet que l’administration fiscale ne peut introduire, par voie de commentaires administratifs, des dérogations aux règles établies par la loi, même si ces dérogations sont destinées à simplifier les démarches fiscales des contribuables.
Lire en ce sens sur cette affaire :
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II. Les droits de mutation
Le 25 septembre, la Cour des comptes a rendu public son rapport sur les droits de succession en France daté de juin.
Les magistrats financiers y préconisent une réforme des droits de succession « à rendement constant fondée sur un resserrement des dispositifs dérogatoires et une baisse ciblée des taux, permettant d’améliorer l’équité de cet impôt dont l’avantage procuré par l’application des dispositifs dérogatoires croît avec le montant de la succession ».
Ce rapport recommande, si cette réforme de la fiscalité successorale devait être conduite, « une réduction des avantages fiscaux dérogatoires [il vise expressément les régimes Dutreil, assurance-vie et démembrement] au profit d’une baisse ciblée des taux d’imposition en veillant à maintenir le produit global de l’impôt ».
Sans attendre cette réforme, il préconise différentes mesures à même de mieux identifier les coûts que représentent ces exonérations dans le budget de l’État en les rendant plus visibles dans les comptes publics, d’améliorer les dispositifs de télédéclaration des successions et des bénéfices des contrats d’assurance-vie et de procéder à des études statistiques actualisées de ces impositions.
Aux termes de la loi n° 2023-1322, du 29 décembre 2023, de finances pour 2024, l’article 774 bis du CGI N° Lexbase : L0726MLH a été instauré, rendant, sauf exception, non déductibles de l'actif successoral les dettes de restitution exigibles et portant sur une somme d'argent dont le défunt s'était réservé l’usufruit (dette de restitution de quasi-usufruit) et faisant dérogation aux dispositions de l’article 1133 du CGI N° Lexbase : L9702HLW aux termes desquelles la réunion de l'usufruit à la nue-propriété ne donne, par principe, ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l'expiration du temps fixé pour l'usufruit ou par le décès de l’usufruitier.
Pour tenir compte de cette évolution législative, l’administration a mis à jour ses commentaires figurant au BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20 traitant des dettes non déductibles de l’actif successoral au rang desquelles figure désormais la dette de restitution d’un usufruit portant sur sommes d’argent.
Par ailleurs, l’administration ajoute deux nouveaux paragraphes (numéros 103 et 107) rappelant l’exception à la règle de non-déductibilité des dettes du défunt envers ses descendants prévue par l’article 774 du CGI N° Lexbase : L5152IMR lorsqu’il est question de la créance de salaire différé due aux descendants dans le cadre d’exploitation agricole.
Enfin, au-delà de ces modifications, l’administration procède à quelques corrections quant aux formules sémantiques et stylistiques utilisées.
Compte tenu de l’importance des commentaires traitant du quasi-usufruit pour la pratique notariale, une analyse plus approfondie sera bientôt proposée dans ces colonnes.
III. Fiscalité internationale
Le 11 mai 2022, la France et la Grèce ont signé une convention pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscale, entrée en vigueur le 30 décembre 2023. Elle vient à cet effet remplacer la précédente convention du 21 août 1963.
Dans ses commentaires doctrinaux, l’administration rappelle en substance qu’il est nécessaire de se référer à ses commentaires au BOFIP relatifs à la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise (BOI-INT-CVB-LUX-20, 23 février 2021).
D’une part, elle apporte des précisions relatives à la notion d’établissement stable. L’administration rappelle que peut notamment constituer un établissement stable tout lieu d’extraction, d’exploration ou d’exploitation de ressources naturelles (cf. art. 5, 2, f de la convention).
D’autre part, concernant les bénéfices des entreprises, l’administration considère que conformément au 4. de l’article 7 de la convention, un État peut continuer à employer la méthode de répartition des bénéfices totaux si elle est couramment adoptée dans ce pays (ce qui n’est pas le cas de la France), même si le montant qui en résulte peut parfois différer, dans une certaine mesure, de celui que donnerait une comptabilité séparée, à condition que l’on puisse équitablement considérer que le résultat obtenu est conforme au principe de pleine concurrence.
Par ailleurs, concernant la notion de pension de retraite, elle précise que les pensions et autres rémunérations similaires, payées à un résident d’un État contractant au titre d’un emploi antérieur, sont imposables exclusivement dans l’État de résidence (art. 17).
Enfin, concernant la rétroactivité des principes d’imposition des revenus de source publique, elle ajoute que cette rétroactivité rendue possible est ouverte, sur demande, pour les périodes d’imposition commençant à compter du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2023. En cohérence, elle indique que la méthode d’élimination de la double imposition est également applicable pour ces périodes.
La France a, au fur et à mesure des années, fait le choix de développer une politique fiscale ouverte sur le monde en concluant de nombreuses conventions bilatérales avec d’autres États en vue de lutter contre les effets pénalisants liés au phénomène des doubles impositions en matière successorale. Ces conventions répartissent les droits d'imposer en fonction de l’État de la résidence fiscale du défunt et du lieu de situation des biens faisant partie de la succession.
Si le législateur européen a harmonisé l’aspect civil des transmissions patrimoniales par le Règlement du 4 juillet 2012, dit « Règlement Successions », il n’existe à l’heure actuelle pas de règlement à vocation universelle relatif à la fiscalité des successions présentant un élément d’extranéité.
En matière de donations, fiscalement, seules 8 conventions bilatérales ont été conclues par la France (Allemagne, Autriche, États-Unis, Guinée, Italie, Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Suède). À défaut de convention, le notaire fait application des règles de territorialité de droit interne français posées par l’article 750 ter du CGI N° Lexbase : L9528IQX.
Ces conventions conclues par la France ont pour objet :
Ainsi, dans un souci de renforcement des compétences des notaires en droit international privé et de compréhension des outils fiscaux bilatéraux existant actuellement, le Conseil supérieur du Notariat français a publié, le 24 septembre dernier, un nouveau Guide en matière de fiscalité internationale des successions et des donations.
Selon l’instance, la section de droit international et européen a réalisé une série de fiches techniques relatives à la fiscalité applicable dans le domaine des successions et des donations dans les relations avec les pays ayant le plus de liens avec la France (Algérie, Allemagne, Belgique, Canada, Émirats arabes unis, Espagne, États-Unis, Italie, Monaco, Royaume-Uni, Tunisie notamment).
Ce guide pratique met en lumière l’articulation entre les règles applicables en droit interne et celles des conventions fiscales existantes avec ces pays, ainsi que le raisonnement à suivre pour vérifier l’applicabilité d’une convention, déterminer la matière imposable et éliminer la double imposition.
Par un communiqué de presse commun en date du 5 décembre 2023, les gouvernements de transition du Mali et du Niger ont dénoncé les conventions fiscales qui les liaient à la France, conclues le 22 septembre 1972 et le 1er juin 1965, sur le fondement de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.
Les commentaires précisent toutefois que la suspension de la convention fiscale n'affecte pas l'imposition en France des revenus pour lesquels la convention attribuait déjà à la France un droit illimité d'imposition. En revanche, l'imposition de tous les revenus au titre desquels la convention prévoyait une exonération en France ou un partage de l'imposition est affectée par la suspension de la convention.
Concernant la convention fiscale conclue entre la France et le Mali, la convention a été suspendue par la France à compter du 5 mars 2024 et a cessé de produire ses effets à compter de cette date, alors même qu’en application de l’article 44 de ladite convention, les effets n’auraient dû prendre effet qu’à compter du 1er janvier 2025. Plus particulièrement, l’administration précise :
Par une requête en date du le 30 avril 2024 dernier, le tribunal judiciaire de Paris a soumis une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour de justice de l'Union européenne dans un contentieux successoral relatif à la double rémunération des notaires belges et français.
Une défunte était propriétaire de biens mobiliers et immobiliers situés à la fois en France et en Belgique. Si au jour de son décès elle résidait en Belgique,son unique héritière résidait quant à elle en France. Un acte d’hérédité belge a été dressé dans le cadre du règlement de la succession en Belgique.
En application de la convention fiscale franco-belge du 20 janvier 1959, l'héritière a réglé les impôts relatifs à la succession en France puis a demandé que le montant réglé soit diminué des impôts à payer au titre de la succession en Belgique.
Dans le cadre du règlement successoral français, le notaire a procédé à la liquidation de son émolument, laquelle liquidation a été contestée par l’héritière, considérant que « la rémunération du notaire français, calculée sur l'intégralité de l'actif brut de la succession, sans prise en compte de la rémunération du notaire belge qui est le notaire territorialement compétent pour connaître de la succession au vu de la résidence habituelle de la défunte en Belgique, également calculée sur l'intégralité de l'actif brut de la succession, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux sur le fondement de l’article 63 du TFUE ».
Face à cette question éminemment technique et à la dimension européenne dans un conflit franco-belge, le Tribunal a sursis à statuer pour formuler, à la Cour de Justice de l’Union européenne, quatre questions préjudicielles formulées comme suit :
1) L'article 63 § 1 TFUE doit-il s'interpréter en ce sens qu'il s'oppose à une double rémunération des notaires de deux États membres de l'Union européenne saisis d'une même succession comprenant des biens dans les deux États membres, dont le calcul est également assis sur l'intégralité des actifs bruts de la succession, sans prise en compte de la rémunération versée à l'autre notaire, alors que l'intervention du notaire est légalement imposée ?
2) L'article 63 § 1 TFUE doit-il s'interpréter en ce sens qu'il s'oppose à ce que la rémunération du notaire, dont l'intervention dans une succession comprenant des biens dans deux États membres de l'Union européenne est légalement imposée, soit calculée sur l'intégralité de l'actif brut de la succession et non seulement sur les actifs bruts situés dans son État membre ?
3) Les articles 63 § 1 et 65 § 1 sous a) TFUE doivent-il s'interpréter en ce sens que la double rémunération de deux notaires , saisis d'une même succession, également calculée sur l'intégralité des actifs bruts de la succession situés dans les deux États membres, peut constituer une « disposition pertinente de leur législation fiscale » faisant exception à l'interdiction de restreindre les mouvements des capitaux prévue au premier de ces textes, alors que l'intervention du notaire est légalement imposée ?
4) Les articles 3 § 1 et 65 § 1 sous b) TFUE doivent-il s'interpréter en ce sens que la double rémunération de deux notaires , saisis d'une même succession, également calculée sur l'intégralité des actifs bruts de la succession situés dans les deux États membres, peut constituer une mesure indispensable pour faire échec aux infractions fiscales ou une procédure de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique faisant exception à l'interdiction de restreindre les mouvements des capitaux prévue au premier de ces textes, alors que l'intervention du notaire est légalement imposée ?
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Réf. : Cass. ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670 N° Lexbase : A71676GK
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par Perrine Cathalo
Le 20 Novembre 2024
► Il se déduit des articles 1844, alinéa 1er, et 1844-10, alinéas 2 et 3, du Code civil et L. 227-9 du Code de commerce, que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voies exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
Faits et procédure. Une SAS, dont le capital est détenu par une SA et cinq personnes physiques, est présidée par une SARL.
L'article 17 de ses statuts stipule que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. »
Lors de l'assemblée générale extraordinaire, le 22 octobre 2015, les associés ont décidé d'augmenter le capital social par l'émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver l'émission des nouvelles actions à la SARL, par 229 313 voix pour (46 %) et 269 185 voix contre (54 %).
L’un des associés de la SAS a assigné la SA et ses quatre coassociés, ainsi que la SARL, en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 relative à la décision d'augmenter le capital de la SAS. Deux autres associés ont pris part à cette demande.
Par un arrêt du 19 janvier 2022, la Chambre commerciale (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D N° Lexbase : A18567KX) casse un premier arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 20 décembre 2018, n° 16/25967) en se montrant réticente à ce qu’une résolution soit adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité simple de votes exprimés.
Par une décision du 4 avril 2023, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-8, 4 avril 2023, n° 22/05320 N° Lexbase : A46659N4) a une nouvelle fois rejeté la demande d’annulation de la délibération de l’AGE aux motifs que celle-ci était valable dans la mesure où les associés étaient libres de déterminer les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l'être collectivement et qu'il leur était loisible de définir dans les statuts une procédure d'adoption par un vote des décisions collectives qui n'applique pas une règle de majorité (C. com., art. L. 227-9 N° Lexbase : L2484IBM).
Les associés, qui soutiennent au contraire que les délibérations des assemblées générales décidant d'une augmentation de capital ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés, ont formé un nouveau pourvoi devant la Cour de cassation.
Décision. La Haute juridiction leur donne raison et censure l’arrêt de la cour d’appel.
Pour ce faire, la Cour rappelle trois grands principes du droit des sociétés, à savoir que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives (C. civ., art. 1844, al. 1er N° Lexbase : L2412LRR) ; que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du Code civil dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite. Les actes et délibérations des organes de la société pris en violation d'une telle disposition peuvent, dans la limite prévue par ce texte, être annulés (C. civ., art. 1844-10, al. 2 et 3 N° Lexbase : L8683LQN) ; et que les statuts de la société par actions simplifiée déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés (C. com., art. L. 227-9, al. 1er et 2).
Selon l’Assemblée plénière, une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voies, étant précisé que toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires. La Cour va d’ailleurs jusqu’à reconnaître que la liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s'exercer que dans le respect de cette règle.
Dès lors, il en résulte que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite. Or, en l’espèce, le projet de délibération n’avait pas recueilli la majorité des votes exprimés.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. com., 9 octobre 2024, n° 22-18.093, FS-B N° Lexbase : A291159P
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par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences en droit privé, Université de Rouen Normandie
Le 20 Novembre 2024
Mots clés : cautionnement • sous-cautionnement • prescription extinctive • point de départ • déclaration de créance • redressement judiciaire • liquidation judiciaire • accessoire
La déclaration de créance à la procédure collective du débiteur principal, effectuée par la caution qui a payé aux lieu et place de ce dernier, interrompt la prescription de son action contre celui-ci et contre la sous-caution, jusqu'à la clôture de la procédure collective.
Par un arrêt récent, la Cour de cassation contribue à l’édification du régime du sous-cautionnement. Cette sûreté, consacrée par le législateur à l’occasion de la dernière réforme du droit des sûretés (C. civ., art. 2291-1 N° Lexbase : L0133L8G), protège non pas le créancier mais la caution, dans l’exercice de son recours en remboursement contre le débiteur. Si ce dernier ne rembourse pas sa dette, la caution peut alors se retourner contre la sous-caution [1]. Dans la présente décision, la Chambre commerciale vient préciser les règles de prescription applicables à ce recours, lorsque le débiteur principal fait l’objet d’une procédure collective.
Au cas d’espèce, un prêt consenti à une société est garanti par un cautionnement. Les gérants de la société débitrice s’engagent, à l’égard de la caution, en qualité de sous-cautions. Le 22 mai 2013, le débiteur principal est placé en redressement judiciaire. La caution, appelée en paiement, procède alors au règlement de la dette. Puis, le 22 janvier 2014, le redressement est converti en liquidation judiciaire, si bien que la caution déclare sa créance le 31 mars suivant. Enfin, la caution assigne les sous-cautions en remboursement le 9 juillet 2019, soit deux mois précisément avant la clôture de la liquidation judiciaire.
Alors qu’un jugement de première instance condamne les sous-cautions au paiement, la cour d’appel de Rennes rend un arrêt infirmatif [2]. Elle déclare en effet irrecevable l’action de la caution qui a désintéressé le créancier aux motifs qu’elle « ne peut se prévaloir de l'effet interruptif de la prescription de sa déclaration de créance au passif du débiteur principal s'il est avéré qu'elle a mis en œuvre tardivement le sous-cautionnement dont elle disposait ».
Le pourvoi formé par la caution pose alors une question inédite relative au régime du sous-cautionnement qui, au surplus, convoque le droit des entreprises en difficulté et celui de la prescription. La question posée est celle de savoir si l’interruption du délai de prescription, à la suite de la déclaration de créance au passif du débiteur principal effectuée par la caution solvens, produit ses effets à l’égard de la sous-caution.
La Haute juridiction répond par l’affirmative et retient, au visa des articles 2241 N° Lexbase : L7181IA9 et 2246 N° Lexbase : L7176IAZ du Code civil, que l’interruption de la prescription déploie ses effets tant à l’égard du débiteur que de la sous-caution. À première vue, la réponse n’est pas des plus évidentes. D’abord, au regard du droit positif du sous-cautionnement qui se réduit à une disposition légale – laquelle n’est d’ailleurs pas applicable à l’espèce, dont les faits sont antérieurs à son entrée en vigueur. La solution n’est pas plus intuitive au regard de la complexité du sous-cautionnement, qui implique un double rapport triangulaire entre, d’une part, le créancier, le débiteur et la caution et, d’autre part, le débiteur, la caution et la sous-caution. De ces deux rapports s’infère spontanément l’idée qu’ils seraient autonomes, en ce que les engagements des deux garants ne couvrent pas la même dette, ni ne protègent la même personne. L’effet interruptif de la déclaration de créance à l’endroit de la sous-caution peut alors interroger.
En réalité, la solution retenue doit être pleinement approuvée, en ce qu’elle respecte les règles du droit de l’insolvabilité, comme celles de la prescription et contribue à définir la nature comme le régime du sous-cautionnement. Ce dernier est, en effet, un cautionnement comme les autres [3], donc une sûreté accessoire (I) qui justifie alors que la déclaration de créance effectuée par la caution interrompe la prescription de son action contre la sous-caution (II).
I. Le caractère accessoire du sous-cautionnement
La nature juridique du sous-cautionnement. L’engagement de la sous-caution consiste à rembourser à la caution ce que le débiteur peut lui devoir. Dès lors, la dette de remboursement dont le débiteur principal est tenu à l’égard de la caution solvens détermine l’existence et l’étendue de la dette de la sous-caution. Le caractère accessoire qui unit la dette principale au cautionnement se retrouve à l’identique entre le cautionnement et le sous-cautionnement. En effet, le caractère accessoire se retrouve simplement « déplacé » : la caution solvens prend le rôle de créancier à l’égard du débiteur principal lorsqu’elle paye à sa place. Cette créance de remboursement devient l’obligation principale, dont l’engagement de la sous-caution est alors l’obligation accessoire. Ce caractère avait d’ailleurs été confirmé par la Cour de cassation, qui appliquait au sous-cautionnement la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement [4]. Ainsi, malgré sa dénomination, le sous-cautionnement reste un cautionnement comme un autre : les protagonistes changent, mais la mécanique est identique.
L’autonomie du sous-cautionnement est parfois avancée, comme c’est le cas en l’espèce par le défendeur au pourvoi. L’engagement de la sous-caution étant étranger aux intérêts du créancier, il serait alors autonome par rapport à la dette du débiteur principal. L’argument réduit la dette du débiteur à celle qui l’unit au créancier. En ce sens, l’autonomie à l’égard de la sous-caution peut se comprendre. Or, le débiteur est aussi tenu à l’égard de la caution, du reste lorsque celle-ci paye à sa place. C’est précisément cette dette que la sous-caution garantit et ce, de manière accessoire. Ce caractère, lorsqu’il est bien compris, explique que les règles de prescription applicables à la caution puissent être étendues à la sous-caution.
La prescription applicable à la caution, donc à la sous-caution. La Haute juridiction vise l’article 2241 du Code civil, qui prévoit qu’une demande en justice interrompt le délai de prescription et l’article 2246 du même code, aux termes duquel : « L'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution ». Selon une interprétation littérale de ce dernier texte, que la défense propose justement, seule la caution est concernée, pas la sous-caution. Certes, les termes laissent à penser que la règle ne s’applique qu’au rapport entre le débiteur principal et la caution de premier rang. Une interprétation plus large semble devoir être préférée, pour la raison précédemment exposée : la sous-caution est une caution comme les autres. À défaut, la sous-caution serait tenue plus sévèrement que la caution alors que rien ne justifie une telle différence de traitement – en matière de prescription comme à d’autres égards. Plus largement, nombre de textes seraient inapplicables à cette sûreté singulière au motif qu’ils ne le mentionnent pas expressément. Techniquement, l’application des règles de prescription que l’arrêt opère au bénéfice de la sous-caution est alors indiscutable, quoique le caractère accessoire ne soit pas expressément mentionné. La solution trouve ainsi à s’appliquer à cette demande en justice particulière qu’est la déclaration de créance.
II. L’interruption de la prescription, à l’égard de la sous-caution, de la déclaration de créance effectuée par la caution
La déclaration de créance : une demande en justice. La déclaration de créance, par le créancier, à la procédure collective de son débiteur a pour effet d’interrompre la prescription à son égard (C. com., art. L. 622-25-1 N° Lexbase : L7238IZ4). La raison tient au fait que cette déclaration de créance est assimilée à une demande en justice [5]. Il est acquis, par ailleurs, que son effet interruptif s’étende au recours exercé contre la caution [6], sur le fondement du caractère accessoire de son engagement [7]. La dette étant la même, la déclaration produit logiquement un effet interruptif à l’égard de tous ceux qui y sont tenus.
La qualité décisive du déclarant. L’identité de la personne qui procède à cette déclaration est toutefois décisive, s’agissant de la prescription à l’égard de la sous-caution. S’il s’agit du créancier, cela n’aura aucune influence sur la situation de la sous-caution, leurs engagements étant étrangers l’un à l’autre. Seule la caution pourra bénéficier de cette déclaration, car elle disposera alors d’un recours subrogatoire contre le débiteur principal, lequel pourra être particulièrement utile si le créancier disposait d’autres sûretés. Au contraire, la sous-caution reste étrangère aux effets de cette déclaration dont la caution ne peut se prévaloir à son égard [8]. Inversement, si la caution solvens procède elle-même à la déclaration de créance, c’est dans la perspective d’être remboursée par le débiteur au terme de la procédure ou, à défaut, par la sous-caution. Le caractère accessoire du sous-cautionnement vis-à-vis du cautionnement déploie ici ces effets : la créance déclarée est unique, qui réside dans le remboursement de ce que la caution a payé. Cette déclaration doit donc valoir tant pour le débiteur principal que pour la sous-caution [9].
Appliqué à l’espèce, le raisonnement permet ainsi de sauvegarder les chances de remboursement de la caution solvens. Après avoir payé la dette du débiteur le 31 aout 2013, la liquidation judiciaire est ouverte le 22 janvier 2014 à laquelle la caution déclare sa créance le 31 mars. Elle assigne les sous-cautions le 9 juillet 2019, puis la liquidation est clôturée le 9 septembre suivant. Ainsi, la caution ayant agi avant que l’effet interruptif de prescription ait fini de produire ses effets, il ne saurait lui être reproché d’avoir trop tardé.
L’impossibilité d’agir contre le débiteur : un argument trompeur. En ce sens, l’argument avancé par la cour d’appel, d’après lequel l’action de la caution serait prescrite est infondé et procède notamment d’une confusion entre les effets de la déclaration de créances et ceux du jugement d’ouverture. La première, qui a un effet interruptif, est assimilée à une demande en justice. Le second, qui a un effet suspensif, entraîne l’impossibilité d’agir contre le débiteur qui bénéficie de la procédure collective, afin de laisser une chance que cette procédure trouve une issue favorable. En conséquence, sanctionner la caution solvens en retenant son action comme prescrite, au motif qu’elle n’aurait pas agi contre la sous-caution avant la clôture de la procédure ouverte contre le débiteur principal, revient d’une certaine manière à préjuger de l’issue nécessairement défavorable de cette procédure. Or, dans ce contexte, une caution qui attend n’est pas forcément une caution qui manque de diligence. Le raisonnement d’après lequel la caution aurait pu (aurait dû ?) agir contre la sous-caution avant la clôture de la procédure n’a pas lieu d’être, car il s’agit d’une faculté et non d’une obligation pour elle. L’impossibilité d’agir contre le débiteur ne signifie pas l’obligation d’agir immédiatement contre la sous-caution. Au rebours de ce qu’affirment les juges du fond, la caution n’a donc pas à justifier d’une quelconque autre cause de suspension ou d’interruption. En préservant le droit d’agir de la caution contre la sous-caution au-delà de la clôture de la procédure, la solution préserve l’éventualité que le débiteur puisse rembourser la caution, s’il en a les moyens. Dans le même temps, cela évite à la sous-caution de payer à sa place pour ensuite lui demander un remboursement.
Une solution opportune. Partant, la solution respecte la mécanique des garanties et des contre-garanties, lesquelles sont souscrites par des débiteurs secondaires qui ne contribuent pas à la dette. Il est donc plus logique que ce soit le débiteur principal qui paye directement le créancier ou qu’il rembourse directement le garant de premier rang. Les faits d’espèce permettent d’ailleurs de conjuguer la logique et l’opportunité. Dans la mesure où les sous-cautions gèrent l’entreprise débitrice principale, il est plus juste que la prescription à leur égard ne soit pas acquise et qu’elles soient tenues au règlement d’une dette à laquelle elles ont, au moins indirectement, un intérêt. Par ailleurs, la solution préserve l’efficacité et l’intérêt du sous-cautionnement, en lui faisant produire ses effets plus longtemps. In fine, ce sont aussi les chances de paiement de la dette principale qui sont renforcées. De fait, son recours contre la sous-caution étant ménagé, la caution aura peut-être moins de réticence à régler la dette du débiteur principal.
Un régime à parfaire. Par cette décision bienvenue, le régime du sous-cautionnement se construit peu à peu. Son introduction dans le Code civil se limite en effet à deux textes. L’article 2291-1 pose sa définition ; l’article 2304 N° Lexbase : L0155L8A impose à la caution de communiquer à la sous-caution les informations qu’elle a reçues du créancier. A leur lecture, le sous-cautionnement fait figure de parent pauvre, auquel seules quelques règles éparses du cautionnement trouvent à s’appliquer. Il reste à espérer que la Haute juridiction poursuive dans la même voie la construction de son régime en transposant les autres règles du cautionnement, dont le sous-cautionnement n’est qu’une espèce.
[1] Sur ce mécanisme, v. not. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes, garanties indemnitaires, LexisNexis, « Traités », 5ème éd., 2015, spéc. n° 119 ; G. Piette, « Cautionnement », Rép. Civ. D., n° 55 et s. ; B. Saintourens, « Certificateurs de caution et sous-cautions : les oubliés des réformes du droit du cautionnement », in Mélanges M. Cabrillac, 1999, Dalloz-Litec, p. 397 ; C. Houin-Bressand, Les contre-garanties, Dalloz, 2006, préf. H. Synvet.
[2] CA Rennes, 5 avril 2022, n° 20/02484 N° Lexbase : A27277SS.
[3] A.-S. Barthez, Un sous-cautionnement est un cautionnement comme les autres !, RDC, décembre 2014, p. 653.
[4] Cass. com., 9 février 2022, n° 19-21.942, F-B N° Lexbase : A68137MB.
[5] V. not. Cass. com., 23 octobre 2019, deux arrêts, n° 18-16.515, FS-P+B N° Lexbase : A6498ZSH et n° 17-25.656, FS-P+B N° Lexbase : A6400ZST.
[6] V. not. Cass. com. 25 octobre 2023, n° 22-18.680, F-B N° Lexbase : A42891PK.
[7] Ph. Simler, Jcl civil, fasc. 45, V° Cautionnement, spéc. n° 4.
[8] V. déjà, en ce sens : Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-18.460, F-P+B N° Lexbase : A4930WDX.
[9] Un arrêt retient d’ailleurs cet effet en l’absence de déclaration de créance accomplie par le créancier : Cass. com., 29 mai 2001, n° 98-16.325 N° Lexbase : A5497ATR.
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