Lexbase Avocats n°353 du 5 décembre 2024

Lexbase Avocats - Édition n°353

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[Histoire d'avocat] René Floriot, l’avocat utile

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par Cédric Porteron, Avocat au Barreau de Nice, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Côte d’azur et à l’Ecole des avocats des barreaux du sud-est

Le 06 Décembre 2024

Mots-clés :  histoire • avocat • Floriot • plaideur • guerre • pédagogie 


 

René, Edmond, Floriot est né à Paris, le 20 octobre 1902, dans le 11ème arrondissement boulevard de Ménilmontant. Fils unique d’Armand et de Laurence Floriot, ses parents vivaient dans un petit village de Champagne. Ils sont originaires d’Enfonvelle, près de Bourbonne-les-Bains. Ces derniers vinrent à Paris, son père, policier, ayant été muté comme fonctionnaire à la Préfecture. René y fréquente la communale de l’Avenue de la République, puis l’école des Frères de la rue des Franc-bourgeois où il passe son bac. Il est déjà remarqué pour son aisance orale. Il étudie le droit à la Sorbonne, mais ne se destine pas à la profession d’avocat. Son père désire qu’il embrasse la profession de commissaire de Police « pour qu’il soit honoré par tous[1] ». Bien que fort respectueux de ses parents dont il a conscience des sacrifices faits pour leur fils, il ne s’engage pas dans cette voie. Dès l’âge de 17 ans, il occupe une place de clerc d’avoué. C’est là qu’il apprend ce qui sera son métier d’avocat et de juriste, bien plus intensément qu’à la Faculté. Le 18 octobre 1923, après avoir été occupé quatre ans dans les coulisses du Palais, à préparer des divorces, il a la fierté de prêter serment. Il est dans son 21ème anniversaire.  Il est écœuré par ces innombrables querelles d’époux qui l’ont nourri jusque-là. Néanmoins, à l’époque, les grands rôles des assises sont tenus par les grands maîtres éminents et célèbres que sont notamment, Campinchi, Torres, de Moro-Giafferi. Ainsi, au début des années 1930, le jeune avocat jouit d’abord d’une réputation auprès de personnes riches et célèbres. Il occupe dans le cadre éprouvé qu’il retrouve. Il obtient des divorces dans des délais rapides pour l’époque, alors que la procédure prend plusieurs années. Il plaidera du reste des milliers de divorces, ce qui lui fera dire qu’il en restera pour cela célibataire. Devenu un pénaliste reconnu, il rédigera par la suite un ouvrage analysant les conditions de la rupture de l’union conjugale, une matière entre drame et comédie qui ne le suivra peut-être pas par hasard[2].

En 1936, un procès le fait connaître comme avocat d’assises : l’affaire du sac postal. Il obtient pour son client un retentissant acquittement. Par la suite, il se voit confier les dossiers les plus importants devant la juridiction criminelle. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il défend des collaborateurs et autres bourreaux de résistants, comme le dénommé Laffont. A l’époque, en un seul matin, il assiste à huit exécutions. Critiqué en son temps pour son aptitude à plaider en défense comme en partie civile où il pouvait se montrer des plus virulents, lui s’en moque. La défense est unique. Ainsi au procès de Jacques Fesch, alors que son confrère Paul Baudet déclare avec émotion que son client passait ses journées à lire la bible dans sa cellule, Floriot rétorque, implacable : « que voulez-vous que l’on fasse d’autre en prison ? ». Que va pouvoir dire le représentant du ministère public ? C’est la question qu’un se pose en général chaque fois que Maître René Floriot vient de plaider au nom d’une partie civile[3]. Plaidant pour Magda Fontanges en 1937, il défend ainsi l'ancienne maîtresse de Mussolini. Elle a tiré sur l'ambassadeur Charles de Chambrun. Il parvient à réduire la peine requise, il obtient un an de prison avec sursis pour celle qui sera ensuite sa maîtresse. Intervenant pour Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris, il le sauve de l'exécution. Abetz est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Avocat du Docteur Marcel Petiot, qui défraie la chronique en 1946[4], il n’évite pas la condamnation à mort de son client pour le meurtre de 27 personnes. En dépit d’une issue inévitable, sa plaidoirie est applaudie. Les passes d’armes avec les experts restent dans les mémoires. Elles sont l’illustration de sa méthode de travail, visant à faire jaillir la faille ou la contradiction, en usant même du piège avec finesse. Ainsi, alors qu’il affirme : "Comment ? On a interné mon client dans un asile psychiatrique parce qu'il avait volé un livre à l'étalage d'une librairie ? Aujourd'hui qu'il est accusé d'avoir assassiné 27 personnes, on le tient pour un homme normal et sain d'esprit ? A-t-on cherché à savoir s'il n'y avait pas de problème dans sa famille ? N'a-t-on pas trouvé chez sa sœur des signes d'aliénation mentale ? l’expert lui répond : « … les proches de Petiot jouissent d'un parfait équilibre mental, sa sœur comme les autres » et la réplique ne se fait pas attendre : « Navré, mais mon client n'a pas de sœur... » [5]. Les procès se succèdent : Martin Fabiani, marchand d'art parisien impliqué dans le recel d'œuvres d'art confisquées pendant la Seconde Guerre mondiale ; Pierre Jaccoud ; Charles Develle, milicien, condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1953 pour l'assassinat de Jean Zay ; Georges Rapin alias « Monsieur Bill », condamné à mort. En 1961, il assure la défense du général Mentré, inculpé de conspiration dans le putsch des généraux. Son client est condamné à cinq ans de prison avec sursis. En avril 1964, l'acteur Jean Gabin est opposé, dans une affaire médiatisée à des agriculteurs de l'Orne qui ont envahi sa propriété. Devant les journalistes présents pour l'audience au Tribunal d'Alençon, Jean Gabin retire sa plainte, les agriculteurs sont condamnés. Plus tard, ce sera notamment Jacques Anquetil dans une affaire de dopage, puis Léo Ferré, face à Eddie Barclay. Floriot défend aussi les deux policiers Souchon et Voitot impliqués dans l'enlèvement et la disparition de l'opposant marocain Ben Barka. L'un est acquitté, l'autre condamné à six ans de détention. Un résultat inespéré.  Sans pouvoir être exhaustif, il intervient encore pour le premier ministre du Gabon, Moïse Tshombé. Ce dernier est condamné à mort par défaut en 1967. En fuite, son l'avion est détourné vers l'Algérie par Francis Bodenan[6]. Il n’est pas extradé, mais, malgré la défense de René Floriot, il est condamné et emprisonné jusqu'à sa mort en 1969. Les plaidoiries s’enchainent, dans des registres divers : Maurice Gérard, dit le « mage de Marsal » inculpé en 1968 pour défaut de soins, à la suite de la disparition énigmatique de deux de ses enfants. Georges Pompidou dans l'affaire Marković en 1970. En 1972, il défend ce qui est alors un ancêtre du lanceur d’alerte : Gabriel Aranda, ancien membre du cabinet du ministre de l’Équipement et du Logement est inculpé de vol de documents administratifs. Ces derniers révèlent des malversations financières. Surchargé d’affaires, Floriot utilise une équipe de six avocats, connue sous l'appellation peu flatteuse de l'usine Floriot ou les Floriot boys. Son chauffeur personnel l'accompagne dans tous ses voyages dans une Bentley remarquée de tous.

Doué d'une mémoire prodigieuse, l’avocat brille par sa maîtrise des dossiers, par sa capacité à mettre à la portée des jurés des cas complexes. Il est aussi considéré à son époque comme le plus onéreux des avocats parisiens. « On n'est jamais trop clair ». C’est l'un des préceptes de ce promoteur d'un nouveau style oratoire pour l’époque. Il s’illustre aussi, tout au long de sa carrière comme un auteur[7], voire plus, comme un véritable pédagogue. Dans l’une comme l’autre de ses activités, ses qualités sont fulgurantes[8]. Ses livres sont des traités d'analyse judiciaire. Il y démonte, pièce par pièce, certaines affaires célèbres. Il explique en même temps la mécanique des Palais de Justice, la part de comédie qu'elle comporte : « Vous venez de faire de gros efforts, vous retombez épuisé sur votre banc, tandis que la Cour et les jurés se retirent pour délibérer. Vingt mains se tendent vers vous : celles des amis, des confrères (ce ne sont pas forcément les mêmes), des journalistes et parfois même de l'avocat général. Tous vous affirment que vous venez de prononcer la meilleure plaidoirie de votre carrière. Une heure plus tard, le président lit le verdict, c'est une lourde condamnation. Il y a déjà beaucoup moins d'amis autour de vous ». Ce qui le distingue des autres de ses confrères est aussi cette volonté de comprendre et de faire comprendre le processus judiciaire et l’élaboration du raisonnement de celui qui tranche. Il a à cœur de faire œuvre de pédagogie à travers ses ouvrages et des conférences en public ou à la radio[9] qui portent sur le divorce[10], l’organisation judiciaire[11] le secret professionnel[12], mais aussi la place des femmes dans l’histoire du crime[13]. L’erreur judiciaire le préoccupera au point de la théoriser pour la matière pénale mais aussi civile, dans un ouvrage qui devrait être une référence des acteurs de la justice[14]. « Quand une affaire passionne l'opinion, combien de désœuvrés se découvrent une vocation d'auxiliaires de la justice [15]». Du témoin à l’expert[16], en passant par le juge, le plaignant et la personne mise en cause elle-même tout est facteur d’erreur : « si la justice se trompe, elle a tout de même un certain nombre d’excuses quand on voit tous ceux qui s’acharnent pour l’égarer [17]».

Soucieux de montrer la justice hors les prétoires, il participe à des scénarios de films comme Ouvert contre X en 1952 de Richard Potier. Il joue son propre rôle dans La Prisonnière, film de Henri-Georges Clouzot en 1968. Il est même cité avec Maurice Garçon dans la dernière phrase du film de Jean-Pierre Melville, Bob le flambeur. Sans relations et d’origine modeste, il comprend très vite, dès ses premières années de prestations de serment, l’importance de la presse écrite[18]. Lors de ses premières affaires, il se lie d’amitié avec des journalistes et chroniqueurs judiciaires[19]. Son allure, à la fois bourrue et paysanne, dénote[20]. Elle plait aux échotiers, qui se prennent d’amitié pour lui. Parfois familier, Floriot se les attache par ses bons mots, ses bourrages cordiaux, ses invites à déjeuner ; ce qui lui permet de faire connaissance avec des grands reporters. De la sorte, il ne sera plus possible d’ouvrir France-soir sans que son nom ne soit cité. Dans les chroniques judiciaires bien sûr, mais aussi dans les potins, comme en matière de cinéma, de courses, de chasse ou de véhicule automobile.

Acharné au travail de l’aube aux heures avancées de la nuit, René Floriot se consacre à sa profession avec une passion froide et une rare conscience professionnelle. Amateur de chasse à laquelle il y consacre des week-ends et ses vacances judiciaires. La gent féminine, bien que fourmillante, n’occupe que peu de place dans sa vie. Terrien, il fustige l’intellectualisme de façade : « La peinture abstraite fait très souvent braire les ânes, se pâmer les poules et bâiller les singes ». Il réussit très tôt, surtout au regard de ce qu’il apporte de plus à la profession, à savoir l’efficacité. Pour lui, la plaidoirie se doit d’être utile, avec le geste rare. Sa réussite est due à des causes bien différentes de celles qui ont expliqué les éclats des plus grands. Dépourvu d’une véritable culture classique, il n’a rien d’un esthète ou d’un artiste. Disposant de moyens oratoires ordinaires, il ne cherche pas à briller. Il entend convaincre. Cela ne l’empêche pas de plaider pendant des heures[21]. Cependant, pour lui, la plaidoirie se doit d’être sans emphase, sobre. Pas de tremolos et d’envolée. Si la plaidoirie est une œuvre d’art, tout le monde doit la comprendre[22]. La mécanique logique intellectuelle en constitue la trame : la sobriété et l'astuce avant tout. Pragmatique, reprenant le dossier pièce par pièce, il développe une argumentation serrée. Il n’écrit pas ses plaidoiries. Il établit des notes qu’il dicte à sa secrétaire. Chaque partie du raisonnement y est résumée en quelques mots. Il fait l’objet d’une cote séparé. Le tout s’enchaine par un raisonnement implacable. Floriot fascine ainsi par son intelligence, son à-propos. Un fameux « Y a qu'un malheur » introduit comme une incise, systématiquement, la destruction de son adversaire par l'évocation d'un élément, à charge ou à décharge[23]. Dans sa méthode, les faits poursuivis et le dossier étudiés méticuleusement priment sur l’individu défendu. À l’exact opposé de Jacques ISORNI, il laisse le client dans son coin. Demander Floriot comme avocat, c’est accepter de ne pas le rencontrer avant l’audience. Par volonté, mais aussi faute de temps, il plaide le plus souvent sans connaitre l’accusé[24]. Il ne veut pas être influencé par lui ; le découvre souvent physiquement à l’audience. Être au fait des drames et de la douleur de celui que l’on défend : une distraction néfaste pour une approche clinique du dossier[25] qui consiste à dénouer des fils logiques. Cette approche chirurgicale du dossier explique que sa méthode sera incompatible avec des procès ou les accusés sont actifs. Ainsi, il ne défendra pas des militants du FLN ou de l’OAS : leur défense eut impliqué intimement le défenseur ; Floriot y est hostile.

Des années sombres de l’occupation qu’il traversa de manière détachée, à sa mort, il aura quoi qu’il en soit occupé une place considérable sur la scène judiciaire. Il fut l’avocat de tous, des plus humbles au plus illustres[26]. Une sorte d’ouvrier moderne de la profession. Un avocat solitaire, déconcertant qui, nourri de l’expérience quotidienne de l’audience passa progressivement de la notoriété à la célébrité. Lorsqu’il décède, le 22 décembre 1975 à l’hôpital de Neuilly-sur-Seine, des suites d’une crise cardiaque, il est encore en fonction dans son cabinet situé à proximité de l’Arc de Triomphe, 31 avenue Hoche. Il a cinquante ans de barre bien qu'il ne peut plus plaider puisque, depuis bientôt six mois, la maladie l'a écarté des prétoires. Ses lions et panthères l’accompagnent, ils ornent son bureau. Rarement, avocat le fut autant. Au point de confondre, durant cinquante ans, sa vie personnelle et sa vie professionnelle[27]. Au point de ne goûter les satisfactions de la première qu'en fonction de celles qu'apportait la seconde. Commandeur de la Légion d’honneur par décret du 23 décembre 1970, il n’aura jamais été élu au Conseil de l’Ordre. On aura trop parlé trop de lui dans les journaux et ailleurs. Mais, somme toute, peu lui importait. Il ne connaitra jamais l’accablement. Combattant lucide, il savait être patient : le temps se venge de ce que l’on a fait sans lui, écrira-t-il. Il incarnait la réussite et l’intelligence ; un luxe que trop souvent la confraternité, cette « haine vigilante », ne pardonne pas[28].

 

[1] J. Nohaim, La main chaude, Julliard, 1980

[2] « Drames et comédies du divorce » par René Floriot, Les conférences du soir, Podcast, Radio France.

[3] J.-M. Théolleyre, Plaidant pour la partie civile, Me Floriot a prononcé un rude réquisitoire, Le Monde, 1er juillet 1967.

[4] M. Duquesne, Les valises du docteur Petiot, Radio France [en ligne].

[5] O. Duhamel, J. Veil, La parole est à l’avocat, Dalloz, 2020.

[6] Floriot avait défendu Bodenan dans l'Affaire du double meurtre de Montfort-l'Amaury, dix ans auparavant.

[7] Il sera couronné en 1967 du prix Broquette-Gonin de l’Académie française. V. R. Floriot, Le procès du Maréchal Ney, Hachette, 1955 [en ligne].

[8] V. R. Floriot, La répression des faits de collaboration, Grund, 1945 et sa présentation analytique de la répression.

[9] Not. sur l’erreur judiciaire : "Si la justice se trompe elle a tout de même un certain nombre d’excuses quand on voit tous ceux qui s’acharnent pour l’égarer !", Les nuits de France Culture, Podcast, Radio France ; Tribune de Paris - Est-il possible d'empoisonner sans que la science puisse le prouver ? (1ère diffusion : 16/03/1953 Chaîne Parisienne), Les nuits de France Culture, Podcast, Radio France ; R. Floriot, Plaidoirie pour la fête des mères.

[10] R. Floriot, La réforme du divorce, Flammarion, 1975.

[11] G. London, R. Floriot, L’art d’être plaideur, éd. De Paris, 1947.

[12] R. Floriot, R. Combaldieu, Le secret professionnel, Flammarion, 1973.

[13] R. Floriot, Deux femmes en Cour d’assises : Madame Steinheil et Madame Caillaux, réed. Hachette, 2018. D’un côté, une accusée sans moralité, rebelle à toute logique, prête à tout pour se sauver. De l’autre, une grande bourgeoise, dépassée par l’ampleur de son crime et mal préparée à se trouver au centre d’un tel drame.

[14] R. Floriot, La vérité tient à un fil, Poche coll. J’ai lu, 1970 ; Les erreurs judiciaires, Flammarion, 1968

[15] R. Floriot, Les erreurs judiciaires, op.cit., p. 175.

[16] V. égal. J. Garat. R. Le Breton, Interdit de se tromper : 40 ans d’expertise médico-légale, Serge Garde, 1993

[17] "Réflexions sur la Cour d'Assise : les jeux de la justice et du hasard " par René Floriot, Les nuits de France Culture, Podcast, Radio France [en ligne].

[18] " Comment je conçois le rôle de l'avocat " par René Floriot, Les nuits de France Culture, Podcast, Radio France [en ligne].

[19] Ces derniers avaient dans le Palais même leur salle de presse de laquelle ils téléphonaient à leurs journaux.

[20] J. Gallot, Le beau métier d’avocat : éclats de mémoire, Odile Jacob, 1999, p. 243.

[21] Il plaida 6h35 pour le Docteur Petiot et 7 heures pour Otto Abez.

[22] "Comment je conçois le rôle de l'avocat " par René Floriot, Les nuits de France Culture, Podcast, Radio France [en ligne].

[23] H. Leclerc, La parole et l’action, Fayard, 2017, p. 234.

[24] « Il y avait le collaborateur, celui qui rendait visite au détenu, qui s’occupait de lui socialement, dégrossissait le dossier, procédait à une premier tri des arguments de défense, et puis le Professeur ». P. Jacquet son collaborateur qui estime à 2500 le nombre d’affaires en cour d’assises, cité par D. Soulez-Larrivière, L’avocature, Ramsay, 1982.

[25] H. Leclerc, Un combat pour la justice, éd. La découverte, 1994, p. 44.

[26] Jacques Anquetil sera conseillé par Floriot dans un contentieux avec l'Union cycliste internationale pour une affaire de dopage.

[27] J.-P. Théolleyre, Le Monde, 23 déc. 1975.

[28] P. Lombard, Mon intime conviction, Robert Laffont, 1977, p. 145.

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Avocats

[Veille] Veille Avocat - Toute l'actualité de la profession (novembre 2024)

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par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Avocats

Le 06 Janvier 2025

La revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver dans un plan thématique, une sélection des décisions, des textes et de l’information professionnelle qui ont fait l’actualité de la profession d’avocat au cours du mois de novembre 2024.

 

I. L’actualité de la profession

A. Accès à la profession

B. Discipline

C. Formation

D. Postulation 

E. Consultation du dossier pénal

F. Perquisitions en cabinet d’avocat

G. Réforme de la profession

II. L’actualité de la pratique professionnelle

A. En procédure civile

B. En procédure pénale

C. En procédure administrative

D. En procédure fiscale


I. L’actualité de la profession

 

A. Accès à la profession

Décret n° 2024-1049 du 21 novembre 2024 portant diverses mesures relatives aux professions judiciaires ou juridiques N° Lexbase : L5944MRL : le décret n° 2024-1049 du 21 novembre 2024 portant diverses mesures relatives aux professions judiciaires ou juridiques, publié au Journal officiel du 23 novembre 2024, introduit notamment la nouvelle condition de diplôme d’un Master en droit pour se présenter à l'examen du certificat d'aptitude à la profession d'avocat.

Arrêté du 7 novembre 2024, modifiant l'arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats N° Lexbase : L3115MRS : l’arrêté a été publié au Journal officiel du 10 novembre 2024. Le nouveau texte vient lui aussi adapter les dispositions devenues obsolètes depuis l’adoption de la loi de programmation Justice du 20 novembre 2023. Le texte modifie l’article 2 de l’arrêté du 17 octobre 2016, relatif aux modalités d’inscription à l’examen du CRFPA. La précision selon laquelle « le candidat ne peut se présenter à l'examen que s'il obtient, au cours de l'année universitaire, s'ils n'ont été obtenus antérieurement, les 60 premiers crédits d'un Master en droit ou l'un des titres ou diplômes prévus au 2° de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971 » est supprimée.

B. Discipline

CE 9/10 ch.-r., 19 novembre 2024, n° 474435 N° Lexbase : A83526HS : les documents qui conduisent à la saisine des instances disciplinaires des avocats mentionnées à l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite se rattachent à la fonction juridictionnelle et n'ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs. Il en va de même du signalement ou de la plainte dont le Bâtonnier est saisi et des documents établis, le cas échéant, dans le cadre de l'enquête déontologique qu'il peut décider de diligenter avant de saisir, s'il y a lieu, l'instance disciplinaire, qui constituent les premières étapes de la procédure disciplinaire, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le Bâtonnier décide ou non de saisir l'instance disciplinaire. Ces documents n'entrant donc pas dans le champ du droit de communication prévu par les dispositions du Code des relations entre le public et l'administration, ils ne sont pas communicables.

C. Formation

CNB, Résolutions, 15 novembre 2024 : le Conseil national des barreaux fixe le montant de la contribution des Ordres au financement des CRFPA pour 2025 à la somme de 11,6 millions d'euros ; il demande également à l'État une augmentation de sa contribution et du plafond des frais pédagogiques acquittés par les élèves.

D. Postulation 

Cass. civ. 2, 14 novembre 2024, n° 24-14.167, FS-B, QPC N° Lexbase : A54456GR : les dispositions permettant à un justiciable d'être représenté devant la cour d'appel par le même auxiliaire de justice que devant le tribunal judiciaire, devant lequel s'appliquent les règles de la postulation obligatoire territorialement limitée, tandis que les règles de la postulation ne s'appliquent pas devant le tribunal de commerce, devant lequel les parties peuvent se faire représenter par tout avocat ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la justice.

E. Consultation du dossier pénal

CNB, AG, Communiqué, 15 novembre 2024 : lors de son assemblée générale du 15 novembre 2024, le CNB a soutenu la proposition de loi visant à réintroduire dans le Code de procédure pénale un droit explicite de reproduction des pièces du dossier pour les avocats et a insisté sur la nécessité de mettre en place un système de communication électronique généralisé pour l’ensemble de la procédure pénale.

F. Perquisitions en cabinet d’avocat

Cass. crim., 13 novembre 2024, n° 24-82.222, F-B N° Lexbase : A30496GZ : la procédure prévue à l'article 56-1-1 du Code de procédure pénale, relative à la saisie, réalisée lors d'une perquisition dans un lieu autre que ceux mentionnés à l'article 56-1 dudit code, de documents ou objets susceptibles de relever de l'exercice des droits de la défense et d'être couverts par le secret de la défense et du conseil prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, n'est applicable qu'en cas de découverte d'un tel objet ou document.

G. Réforme de la profession

Rapport sur la Gouvernance du Conseil National des Barreaux, dit Rapport « Jamin », 31 octobre 2024 : le rapport sur la Gouvernance du Conseil National des Barreaux a été établi la demande du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris. Son auteur, le professeur Christophe Jamin fait des recommandations et propose d’abord des réformes de niveau législatif avec :

  • la suppression des vice-présidences de droit au sein du CNB (loi du 31 décembre 1971, art. 21-1,)
  • la modification de la composition du collège ordinal dans les deux circonscriptions territoriales avec trois options :
    • option 1 : les Bâtonniers, membres du conseil de l’Ordre, anciens Bâtonniers, et anciens membres du conseil de l’Ordre composent le collège ordinal (loi du 31 décembre 1971, art. 21-2)
    • option 2 : l’ensemble des avocats inscrits et honoraires élisent les membres du collège ordinal du CNB qui sont choisis parmi les Bâtonniers et les membres du conseil de l’Ordre, les anciens Bâtonniers et anciens membres du conseil de l’Ordre (loi du 31 décembre 1971, art. 21-2)
    • option 3 : tous les avocats inscrits sont électeurs pour l’élection des membres du collège ordinal du CNB qui sont choisis parmi les Bâtonniers et les membres du conseil de l’Ordre, les anciens Bâtonniers et anciens membres du conseil de l’Ordre (loi du 31 décembre 1971, art. 21-2)
  • la suppression des avocats honoraires de la liste des électeurs aux élections du CNB (loi du 31 décembre 1991, art. 21-2)

Il propose également des réformes de niveau législatif avec :

  • l’augmentation du seuil à partir duquel une liste peut être élue au sein du collège général du CNB (décret du 27 novembre 1991, art. 29)
  • après deux mandats électifs de trois ans chacun, la possibilité de se représenter à l’issue seulement d’une période correspondant à la durée de ces deux mandats (décret du 27 novembre 1991, art. 19)
  • la modification du mode de scrutin au sein du collège ordinal consécutivement à la modification de la composition du collège ordinal avec deux options :
    • option 1 : les membres du collège ordinal sont élus au scrutin uninominal à un tour (décret du 27 novembre 1991, art. 22)
    • option 2 : les membres du collège ordinal et les membres du collège général sont élus au scrutin de liste proportionnel (décret du 27 novembre 1991, art. 22).

II. L’actualité de la pratique professionnelle

A. En procédure civile

Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 23-12.176, F-B N° Lexbase : A80526BT : lorsqu’une déclaration d'appel porte la mention « Objet de l'appel : appel total », et ne renvoie pas expressément à un document annexe contenant les chefs critiqués du jugement, la cour d’appel doit rechercher, lorsqu’elle y est invitée, si, même en l'absence de renvoi exprès dans la déclaration d'appel, une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués n'est pas jointe à celle-ci.
par Yannick Ratineau

Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.682, F-B N° Lexbase : A80546BW : le point de départ de l'opposition à une ordonnance portant injonction de payer qui n'a pas été signifiée à personne est, en cas d'intervention d'un créancier à une procédure de saisie des rémunérations, la date de notification de l'intervention au débiteur.

par Yannick Ratineau

Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.908, FP-B N° Lexbase : A80556BX : dans la procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen relevé d'office par le juge a été débattu contradictoirement dès lors que l’une des parties, dispensée de comparaître, n'était pas présente à l'audience et qu'il ne ressort pas de la décision qu'elle ait été, au préalable, invitée à formuler ses observations.

par Yannick Ratineau

Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-16.073, F-B N° Lexbase : A80536BU : n’est pas recevable la tierce-opposition d’un débiteur qui ne tend pas à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque, mais vise seulement, en prévision d'un éventuel recours du créancier à son encontre, à fixer le montant de sa dette.

par Yannick Ratineau

Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 22-17.438, F-B N° Lexbase : A54356GE : selon les articles 2241 et 2243 du Code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ; l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée. Il en résulte que l'effet interruptif de prescription subsiste jusqu'à la date à laquelle la décision rejetant la demande devienne définitive.

par Alexandra Martinez-Ohayon

Cass. civ. 2, 21 novembre 2024, n° 22-16.763, F-B N° Lexbase : A95886HL : la Cour de cassation précise que la partie défenderesse à une demande de mesure d'instruction, ordonnée sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, ou demanderesse à la rétractation d'une telle mesure, ne peut être considérée comme la « partie perdante » au sens de l'article 696 du code précité ; cette mesure d'instruction n'étant pas destinée à éclairer le juge d'ores et déjà saisi d'un litige mais n'étant ordonnée qu'au bénéfice de celui qui la sollicite en vue d'un éventuel futur procès au fond.

par Alexandra Martinez-Ohayon

E. En procédure pénale

Cass. crim., 6 novembre 2024, n° 24-82.023, F-B N° Lexbase : A96386DC : la Chambre criminelle indique qu’au cours d’une garde à vue sur commission rogatoire, les questions posées concernant un fait antérieur à la prévention sont irrégulières ; si le juge d’instruction acquiert la connaissance de faits nouveaux, il doit en informer le procureur de la République.

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 23 octobre 2024, n° 24-80.331, F-B N° Lexbase : A77066BZ : la bonne administration de la justice ne permet pas, en matière criminelle, que l’accusé, qui aurait limité son appel à la seule peine prononcée, puisse revenir sur la limitation de cet appel lors de l’ouverture des débats, sauf à contraindre au renvoi de l’affaire et à l’allongement du délai de jugement. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 6 novembre 2024, n° 23-84.530, FS-B N° Lexbase : A96376DB : la Chambre criminelle rappelle que lorsque la peine de confiscation d’une arme n’est pas obligatoire, il appartient au juge qui souhaite la prononcer de motiver sa décision, notamment au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de l’auteur. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 14 novembre 2024, n° 23-86.166, F-B N° Lexbase : A54466GS : la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’en matière correctionnelle, la chambre des appels correctionnels ne peut refuser l’audition de témoins régulièrement cités par le prévenu, à moins que ces derniers aient été entendus en première instance ; par ailleurs, aucune disposition n’impose au prévenu d’aviser le ministère public de la citation de témoin avant l’audience d’une juridiction correctionnelle. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 6 novembre 2024, n° 23-84.265, F-D N° Lexbase : A68196EB : la Chambre criminelle rappelle que la saisie d’une somme sur un compte bancaire n’est subordonnée ni à la mise en examen de son propriétaire ou titulaire, ni à l’existence d’un risque de dissipation des biens, de sorte qu’il appartient aux juges de motiver leur décision au regard de l’existence d’indices de commission d’une infraction, de nature à justifier la saisie. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 19 novembre 2024, n° 23-81.584, FS-B N° Lexbase : A43496HK : lorsque les juges se sont prononcés avant dire droit sur la compétence et que l’appel de la partie civile contre cette décision n’a pas été déclaré immédiatement recevable, la cour d’appel se trouve saisie, par le seul appel de la partie civile du jugement rendu ultérieurement sur le fond, de l’action civile et de l’action publique qui a continué de subsister ; elle est dès lors tenue de régler la question de la compétence et statuer, le cas échéant, sur l’action publique et l’action civile.

par Pauline Le Guen

B. En procédure administrative

CE Ass., 24 octobre 2024, n° 465144, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A09946CS : peut être accueillie une demande d’indemnisation pour des préjudices résultant de décisions non détachables de la conduite des relations internationales de la France au titre de la « responsabilité sans faute » de l’État, dès lors que le préjudice affecte, de façon particulièrement grave, la personne ayant subi des effets collatéraux d’une telle décision.

par Yann Le Foll

CE, 2°-7° ch. réunies, 21 octobre 2024, n° 491665, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70216BN : une personne qui n'a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits, y compris lorsque cette décision fait déjà l'objet d'un pourvoi en cassation ; le pourvoi formé par cette personne doit dès lors être regardé comme une requête en tierce opposition qu'il y a lieu de renvoyer à la juridiction compétente pour en connaître.

par Yann Le Foll

C. En procédure fiscale

CE, 3e-8e ch. réunies, 9 octobre 2024, n° 490195, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A456359U :  la notification de rehaussements à une société membre d’un groupe intégré interrompt la prescription à l’égard de la société mère uniquement pour les impositions correspondant au résultat individuel de la société redressée. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 9 octobre 2024.

par Marie-Claire Sgarra

newsid:491168

Avocats

[Le dessin du mois] Audience de comparution immédiate du 25 décembre

Lecture: 1 min

N1028B3H

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par Davy Aouizerate, Avocat au Barreau de Paris

Le 21 Novembre 2024

 

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Avocats/Accès à la profession

[Brèves] Rehaussement du niveau de diplôme pour accéder à la profession d'avocat : le décret est paru

Réf. : Décret n° 2024-1049 du 21 novembre 2024 portant diverses mesures relatives aux professions judiciaires ou juridiques N° Lexbase : L5944MRL

Lecture: 2 min

N1107B3E

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par Marie Le Guerroué

Le 28 Novembre 2024

► Le décret n° 2024-1049 du 21 novembre 2024 portant diverses mesures relatives aux professions judiciaires ou juridiques, publié au Journal officiel du 23 novembre 2024, introduit notamment la nouvelle condition de diplôme d’un Master en droit pour se présenter à l'examen du certificat d'aptitude à la profession d'avocat.

Le décret n° 2024-1049 du 21 novembre 2024 portant diverses mesures relatives aux professions judiciaires ou juridiques, publié au Journal officiel du 23 novembre 2024, vient modifier plusieurs dispositions statutaires des professions de commissaire de justice, notaire et avocat.

S’agissant de ces derniers, il vient donc aménager les dispositions d'application de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L2962MKW relatives au rehaussement du niveau de diplôme pour accéder à la profession du Master I au Master II.  

Le décret supprime la condition de diplôme pour se présenter à l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle (CRFPA) désormais inscrite à l'article 12 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ (D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 52 N° Lexbase : L8168AID) et introduit la nouvelle condition de diplôme d’un Master en droit pour se présenter à l'examen du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents) (D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 68).

Lire, sur le sujet :

  • M. Le Guerroué, CRFPA : le CNB adopte un avis favorable à la publication d'un arrêté relatif aux modalités de l'examen, Lexbase Avocats, octobre 2024 N° Lexbase : N0247B3K
  • J.B. Thierry, L’œil, la poutre et la paille : le décret n° 2023-1125 du 1er décembre relatif à la formation professionnelle des avocats, Lexbase Avocats, janvier 2024 N° Lexbase : N7854BZW.
  • P.-L. Boyer, Un maître sans maîtrise, ou la fin du concours d’entrée au niveau Master 1 pour les écoles d’avocats, Lexbase Avocats, avril 2023 N° Lexbase : N4744BZQ.

Le nouveau texte prévoit également le traitement de l'élève avocat qui a accompli les trois périodes de formations en CRFPA sans être encore titulaire du Master lors du passage du CAPA. Le nouvel article 70-1 précise ainsi que « Dans le cas où à l'issue des trois périodes de formation définies aux articles 57 et 58, l'élève n'est pas titulaire d'un des titres ou diplômes prévus à l'article 68, celui-ci est admis à se présenter à l'une des deux prochaines sessions de l'examen du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. Il justifie alors du titre ou diplôme requis et garde le bénéfice de ses notes de contrôle continu ».

newsid:491107

Avocats/Accès à la profession

[Brèves] CRFPA : l’arrêté réformant les modalités de l'examen d'accès a été publié

Réf. : Arrêté du 7 novembre 2024, modifiant l'arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats N° Lexbase : L3115MRS

Lecture: 2 min

N0947B3H

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par Marie Le Guerroué

Le 15 Novembre 2024

► A été publié au Journal officiel du 10 novembre 2024, l’arrêté du 7 novembre 2024 modifiant l'arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats ; le nouveau texte vient simplement adapter des dispositions devenues obsolètes depuis l’adoption de la loi de programmation Justice du 20 novembre 2023.

Pour rappel, à la suite de l’adoption de la loi de programmation Justice du 20 novembre 2023 N° Lexbase : L2962MKW, et notamment de son article 49, les articles 11 et 12 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ ont été modifiés. Désormais, le niveau master sera exigé pour devenir avocat à partir du 1er janvier 2025 (article 11). Il est désormais également inscrit dans la loi que, pour être admis à se présenter au CRFPA, il faut être titulaire des 60 premiers crédits d'un master en droit (article 12).

Le nouveau texte, approuvé par le CNB lors de son assemblée générale du 5 septembre dernier, vient donc simplement adapter des dispositions devenues obsolètes depuis l’adoption de la loi de programmation Justice, du 20 novembre 2023 (lire M. Le Guerroué, CRFPA : le CNB adopte un avis favorable à la publication d'un arrêté relatif aux modalités de l'examen, Lexbase Avocats, octobre 2024 N° Lexbase : N0247B3K).

Le texte modifie donc l’article 2 de l’arrêté du 17 octobre 2016, relatif aux modalités d’inscription à l’examen du CRFPA N° Lexbase : L5947LAI. La précision selon laquelle « le candidat ne peut se présenter à l'examen que s'il obtient, au cours de l'année universitaire, s'ils n'ont été obtenus antérieurement, les 60 premiers crédits d'un Master en droit ou l'un des titres ou diplômes prévus au 2° de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971 » est supprimée.

Pour être admis à se présenter à l'examen d'accès, les candidats devront déjà justifier de l'obtention des soixante premiers crédits d'un master en droit ou de l'un des titres ou diplômes reconnus comme équivalents par arrêté conjoint du ministre de la Justice et du ministre chargé des universités.

Les dispositions transitoires, qui étaient applicables jusqu’à la session de 2020, relatives aux langues vivantes étrangères, sont également supprimées (arrêté du 17 octobre 2016, art. 2 ; art. 12).

newsid:490947

Avocats/Déontologie

[Focus] L'avocat peut-il dénoncer le client qui l'informe de son intention de commettre un crime ?

Lecture: 24 min

N1136B3H

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par Tom Bonnifay et Thomas Leone

Le 20 Décembre 2024

Mots-clés : focus • avocat • secret professionnel • dénonciation • infraction • conscience 

L’avocat peut être confronté à la délicate situation d'avoir à choisir entre respecter le secret professionnel et dénoncer une infraction. Il est libre de lever le secret professionnel, tout comme il peut garder le secret de son client. Quelle que soit la décision prise, le Code pénal lui reconnaît un fait justificatif. On parle alors doption de conscience.

Le sujet va au-delà de la sphère juridique. Il s’agit d’un dilemme éthique mettant en tension le secret professionnel à la protection des personnes et de la société. Quand la société fait face à un danger réel, jusqu’où doit aller la loyauté envers le client ? À quel moment le bien collectif doit-il primer sur le secret professionnel de l’avocat ? Comment l’avocat peut-il se délier du secret sans miner totalement son rôle de défenseur et sa crédibilité ? La notion d’option de conscience, consacrée par le droit français, laisse lavocat totalement libre et parfois démuni. Entre ces injonctions contradictoires, il existe un chemin que la présente étude tentera d’arpenter.


 

Il est 20 heures. Le logo de BFM TV se dissout dans un fondu, discret comme un chat sur un tapis. Une caméra fixe cadre un homme. Son visage est tiré, comme si sa cravate à pois flambant neuve cherchait à l’étrangler. Il regarde droit devant lui, semblant scruter un point invisible à lhorizon. En bas de l’écran, un bandeau annonce avec une emphase dramatique : « Meurtre de Samantha : l’avocat du suspect brise le silence ». 

Débit de parole maîtrisé, propos mêlant gravité et fierté contenue, il gère le début de linterview avec lassurance dun habitué des plateaux. Lunettes à gros cercles mal ajustées sur le bout du nez, sourire faussement bonhomme de celui qui joue à être plus simple quil ne lest, le journaliste attend son moment, lair compatissant. Subitement, son regard change, devenu grave. Il prend une inspiration. La question fend le silence, comme une lame : « Maître, est-ce que vous saviez ? ».

Sur X, les réactions fusent comme des allumettes dans un incendie. Les mots-clés #Complice et #JusticePourSamantha grimpent déjà dans les tendances. Une internaute sindigne : « Alors quoi, si les avocats protègent les criminels, qui protège les victimes ?!!!! » Quatre points dexclamation, comme si le sort de la Justice en dépendait. Son commentaire obtient 254 likes.

Pendant ce temps, sur le plateau, lavocat déglutit avant de parler, comme si les mots étaient coincés dans le col étroit de sa chemise. Ses doigts effleurent brièvement la table. Ses yeux se plissent, juste assez pour trahir une hésitation. Puis il répond, enfin : « Je ne peux rien vous dire. Le secret professionnel nest pas une option. Cest une obligation ».

Le journaliste hoche la tête. Un hochement simple, presque neutre, mais qui laisse flotter une ambiguïté : approbation ou scepticisme ? La caméra sapproche du visage de lavocat. Sur les réseaux, une internaute écrit : « Pourquoi il a dit ça en fronçant les sourcils ? Ça veut dire quil sait, non ? » Elle obtient 423 likes avant d’avoir le temps d’écrire une suite.

Les termes du débat

Dans le débat public, lavocat pénaliste est fréquemment mis à l’épreuve dune question qui, pour lamour du débat, ou de la discorde, revient inlassablement : comment peut-il plaider l’innocence de celui qu’il sait coupable ? Cette interrogation, formulée avec un mélange de curiosité et de réprobation morale semble aussi ancienne que la profession elle-même.

L’hypothèse d’un dilemme plus extrême est à envisager. Si, dans un moment de confidence, un client avouait son intention de commettre un crime ? Face à cette hypothèse extrême, la question devient : lavocat doit-il respecter le secret qui le lie à son client ou se défaire de ce devoir pour prévenir une tragédie à venir ?

L’avocat, par le serment qu’il prête en entrant au barreau, s’engage à agir avec conscience. Sa maîtrise de l’éthique judiciaire est indispensable, notamment en matière pénale, sa fonction le conduisant à défendre des criminels, accomplis ou potentiels. Libre, il accepte ou refuse d’ouvrir un dossier. Indépendant, il dicte la pratique qui est la sienne et ne peut être contraint par son client à agir contre son gré. Par sa fonction, il devient le confident nécessaire de celui qui l’interroge, même un court instant, et partant est tenu de respecter le secret.

Le thème est stimulant et dangereux pour les avocats. En 1987, l’avocat de Georges Ibrahim Abdallah, chef de la Fraction armée révolutionnaire libanaise, avait été radié de l’Ordre des avocats pour avoir rompu le secret en transmettant à la DGSE des informations sur des attentats en préparation. Cette sanction d’exclusion du barreau, décidée par le conseil de l’Ordre des avocats avait ensuite été réduite par la cour d’appel de Paris, à trois ans d’interdiction d’exercer. À l’époque, ainsi que le rapporte la journaliste Patricia Tourancheau, l’avocat, devenu « agent noir » du service d’espionnage français, expliquait avoir été au courant de crimes à venir et avoir voulu « enrayer la mécanique, essayer d’influer sur le cours des choses »[1].

L’objet de cette étude n’est pas de traiter des principes fondamentaux qui justifient de l’existence du secret professionnel des avocats, prévue à larticle 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, ou de revenir sur la fragilisation de ce secret, au motif de l’objectif légitime de répression des infractions [2]. Il s’agit de tenter de donner une vision claire des situations dans lesquelles l’avocat peut révéler une confidence dont il a été le dépositaire, portant ainsi une atteinte majeure au secret de sa profession en choisissant de dénoncer son client dans un objectif de prévention des infractions. Les situations qui le justifient et la manière d’y procéder doivent donc être pensées. 

I.  Le dilemme éthique

A. Le devoir de garder le secret

A priori, la réponse au dilemme posé par le sujet semble relever de l’évidence.

Depuis l’ancien Code pénal de 1810, la loi sanctionne : « les médecins, les chirurgiens, et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes, et toutes autres personnes dépositaires par état ou par profession, ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets quon leur confie (…) qui auront révélé ces secrets. » (C. pén. anc., art. 378).

À l’époque, la profession davocat ne figure pas dans cette disposition. En 1790, l’Assemblée nationale a dissout le barreau, « cet ordre accapareur de toutes les causes, exerçant le monopole de la parole, prétendant exploiter exclusivement toutes les querelles du royaume » selon les mots de Camille Desmoulins (4 août 1789). Ce nest que plus tard que les avocats, en particulier Émile Garçon, sempareront de l’article 378 pour y trouver un fondement à leur propre obligation de secret. Sa réflexion, toujours dactualité, éclaire le rôle central de cette obligation qu’il qualifie de « discrétion » ou de « silence » [3].

Le secret professionnel est donc, en priorité, une obligation de discrétion, voire de silence absolu.

Avec lentrée en vigueur du nouveau Code pénal, larticle 226-13 N° Lexbase : L5524AIG a repris ce principe en l’élargissant à toute personne dépositaire dune information confidentielle dans le cadre de son activité professionnelle, de ses fonctions ou dune mission. Cette évolution reflète une vision élargie du champ dapplication du secret, qui ne se limite plus à la simple protection de confidences, mais englobe toute information sensible découverte dans le cadre professionnel [4]. Le professionnel est passible dun an demprisonnement et de 15 000 euros damende. 

La déontologie de l’avocat lui interdit également de divulguer les confidences de son client [5]  ou d’attester sur des faits appris dans le cadre de sa mission (Comm. déont. Paris, avis n°122/20.6002, 30 avril 2011).

Même en cas denquête pénale, cette obligation demeure absolue. Devant les enquêteurs ou le juge dinstruction, lavocat doit préserver le secret (Comm. déont. Paris, avis n° 122/20.9966, 5 oct. 2010). Par exemple, il ne peut fournir ladresse dun client (Comm. déont. Paris, avis n°19.9097, 9 déc. 2009) ou l’identifier sur une photographie (Comm. déont. Paris, avis n° 122/23.2621, 24 juill. 2012). La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) soutient d’ailleurs que l’avocat ne serait pas en mesure d'assurer sa mission de manière adéquate si, dans le cadre d'une procédure judiciaire ou de sa préparation, il était obligé de coopérer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations obtenues lors des consultations juridiques ayant eu lieu dans le cadre d'une telle procédure [6]

On le voit, le secret professionnel est synonyme de silence.

B. Le droit de révéler

Au droit de garder le silence, existe-t-il en miroir la reconnaissance d'un droit de parler lorsque l’avocat apprend des faits graves dans le cadre de ses fonctions ?

Il est évident qu’un avocat ne révélera un secret que s’il bénéficie de garanties, à savoir d’être exonéré de poursuites pénales ou disciplinaires pour violation du secret professionnel.

Or, le secret professionnel est « dordre public, général, absolu et illimité dans le temps » [7]. Cela signifie que lavocat ne peut en disposer librement. Il ne peut s’en délier ni à la demande de son client (Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245 N° Lexbase : A8219DBZ) ni encore par une instance professionnelle, que ce soit le délégué aux questions déontologiques (Avis Comm. déontologique Paris, Secret professionnel et confidentialité, n° 122:23.2621, 24 juill. 2012), ou le Bâtonnier (Avis Comm. déontologique Paris, Secret professionnel et confidentialité, n° 122:25.4879, 11 juin 2014 ; n° 122/27.7067, 17 mars 2016). 

Pourtant, à partir de l’ordonnance du 25 juin 1945, le législateur va introduire l’obligation de dénoncer certains crimes ou de porter secours à une personne en danger (art. 62 et 63), notamment lorsqu’il s’agit de sévices ou privations infligés à des mineurs de moins de 15 ans [8].

Quid dans ce cas-là du secret professionnel ? Les professionnels astreints au secret doivent-ils être soumis aux mêmes obligations que tout citoyen, ou peuvent-ils invoquer le secret pour justifier leur abstention ? Les textes ne disaient rien. La doctrine était divisée, une partie de celle-ci soutenant que le secret était inviolable, l’autre affirmant le contraire au motif que les personnes tenues au secret professionnel étaient les mieux placées pour informer et donc susciter une mesure de protection efficace[9].

Conscient de ces incertitudes, le ministre de la Justice avait laissé aux professionnels la faculté de déterminer en conscience l'attitude à prendre.

Le législateur a consacré cette solution. 

L’article 226-14 du Code pénal N° Lexbase : L3283MMK et les recueils déontologiques de la profession d’avocat [10], reprennent la règle posée par l’ancien article 378, à savoir que les personnes soumises au secret professionnel ne sont tenues à leur obligation de confidentialité que si la loi ne les contraint pas ou ne les autorise pas explicitement à se porter dénonciateurs. Ainsi, la personne qui divulgue des informations confidentielles ne peut être tenue pénalement responsable du chef de violation du secret professionnel si la loi « impose ou autorise » une telle révélation. Il s'agit donc d'une permission de la loi au sens de l’article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal N° Lexbase : L7158ALP.

En clair, le législateur a laissé aux professionnels la liberté de choisir entre parler ou se taire dans les cas suivants.

D’abord, l’article 224-14 du Code pénal dresse une liste d’infractions autorisant les professionnels à se délier du secret. La plupart de ces exceptions concernent les professions médicales, une seule étant rédigée de manière suffisamment générale pour englober les avocats. Ainsi, le droit de parler est notamment offert à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de maltraitance, de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique (C. pén. art. 224-14 1°).

Ensuite, les articles 434-1, 434-3 et 434-11 imposent lobligation de signaler un crime, de dénoncer les mauvais traitements ou privations infligés à un mineur de moins de 15 ans ou à une personne vulnérable, ainsi que de témoigner en faveur dun innocent. Ils prévoient une exemption explicite pour les personnes soumises au secret professionnel. Elles bénéficient ainsi dun droit à ne pas dénoncer, même dans des cas graves, tels que des actes de terrorisme (C. pén., art. 434-2).

Enfin, certains textes sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, tout en restant silencieux sur la question. Il en va ainsi de :

-    larticle 223-6 du Code pénal N° Lexbase : L6224LL4 édictant l’incrimination d’omission de porter secours à une personne en péril ;

-    larticle 434-4-1 du Code pénal N° Lexbase : L8765HWK incriminant le fait pour une personne, ayant connaissance dune disparition dun mineur de quinze ans, de ne pas en informer les autorités.

Toutefois, rien n’empêchait le législateur de déroger expressément au secret, afin d'obliger les professionnels, dépositaires de celui-ci, à dénoncer les faits dont elles ont la connaissance. Force est de constater qu’il ne l’a pas fait.

Dans ces trois situations, l’état de la législation revient à nincriminer ni le défaut de dénonciation quand il est motivé par le secret, ni la violation du secret quand elle est due à une dénonciation. En effet, en l’état d’une contradiction de textes, l’avocat pourra toujours se défendre en invoquant l’ordre ou l’autorisation de la loi de l’article 122-4 du Code pénal dans la mesure où d’un côté, la loi lui impose de dénoncer tandis que de l’autre, elle lui commande de garder le secret professionnel. Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, ainsi que les exigences de clarté et de prévisibilité pourraient également être mobilisés. La doctrine parle de « jeu de neutralisation réciproque des comportements », la dénonciation servant de « justification à la violation du secret, et le secret de justification à la non-dénonciation » [11].

Il s’agit de la fameuse « option de conscience », qu’on pourrait définir comme la liberté morale dont bénéficie l’avocat pour résoudre le conflit de valeurs entre dénoncer ou garder le secret dont il est dépositaire.

II. Résoudre le dilemme

AÉtape 1 : les conditions juridiques de l’option de conscience sont-elles remplies ?

Pour choisir entre révéler ou taire le secret, l’avocat doit avant tout s’assurer que les conditions juridiques de l’option de conscience sont remplies.

Tout d’abord, il faut que l’avocat ait été dépositaire du secret du fait de son état ou de sa profession.

Si l’avocat reçoit les confidences dans un cadre amical, familial ou conjugal, il n’est pas tenu au secret (AD, n° 303855, 30 avr. 2019). Au contraire, il doit dans ce cas dénoncer comme tout citoyen. Ce principe a été consacré dans un jugement du tribunal de grande instance de Caen du 4 septembre 2001, décision relative à la condamnation très médiatisée de lévêque de Bayeux sur le fondement de larticle 434-3 du Code pénal. L’évêque était poursuivi pour non-dénonciation d'actes de pédophilie commis par un prêtre de son diocèse, lequel a d'ailleurs été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle par la cour d'assises du Calvados. Les juges du fond ont estimé que les circonstances ne permettaient pas au prévenu de se placer dans une situation de confidence puisqu’il avait été informé de la situation par un tiers [12]

De la même manière, une avocate a pu divulguer les activités illicites auxquelles une consœur, par ailleurs son associée, s'était livrée avec des membres de sa famille. En effet, elle avait appris les faits révélés à la faveur de liens d'amitié noués avec cette consœur, et non dans un cadre professionnel (Cass. crim., 2 mars 2010, n° 09-88.453, F-P+F N° Lexbase : A0756EWW). 

À l’inverse, l’option de conscience se pose lorsque l’avocat était également l’ami de son client mais que les propos qu’il dénonçait avaient été recueillis à l’occasion d’un rendez-vous professionnel (CA Aix-en-Provence, 27 février 2019, n° 16/17731 N° Lexbase : A1124YZN).

Ensuite, la question ne se posera que dans l’hypothèse où un client fait part d’un projet à venir.

Naturellement pour les actes passés, l’avocat sera toujours tenu au secret professionnel et devra respecter le mandat du client, s’ils tombent d’accord sur les conditions de son intervention. 

Enfin, il faut à notre sens savoir distinguer les paroles impulsives des projets concrets. 

L’avocat sait que les mots de son client dépassent parfois sa pensée. Dans la chaleur du récit qu’il livre au cabinet, il peut lui arriver de ponctuer ses phrases de « Maitre, je vais le tuer ! ».   L’appel au calme de l’avocat n’est pas toujours suffisant. Cependant, l’intention de commettre un crime n’est pas sanctionnée en droit pénal. Le cheminement criminel (« l’iter criminis ») d’un individu n’est incriminé qu’à partir du moment où celui-ci a commis des actes préparatoires [13]. Dans la même logique, il ne peut y avoir omission de porter secours à une personne en danger, que s’il existe des motifs sérieux de croire qu'un crime ou qu'un délit va être commis. La question d’une dénonciation ne se posera que si un client nous fait état d’un projet précis et que l’on a la certitude du passage à l’acte prochain. 

B. Étape 2 : comment démêler les principes éthiques en jeu ?

Pour résoudre loption de conscience, lavocat ne peut résonner exclusivement en juriste. Les règles déontologiques strictes de sa profession, comme le secret professionnel ou le devoir de loyauté, peuvent avoir le confort des dogmes. Elles l’enferment dans un silo moral, l’isolant de considérations sociales ou morales plus larges. 

Lavocat ne peut sexonérer a priori des implications éthiques de son inaction en estimant que ces responsabilités incombent à d'autres (police, justice, société). Cette solution rejoint la philosophie d’Hannah Arendt. Dans Responsabilité et jugement, elle explore les dilemmes éthiques des professionnels confrontés à des choix moraux pour souligner l’importance de ne pas déléguer entièrement sa responsabilité à une institution ou à une norme extérieure. Il s’agit au contraire pour le professionnel de réfléchir personnellement, d’émettre un jugement puis de prendre ses responsabilités. Après tout, l’avocat a prêté serment d’exercer avec indépendance.

            Réfléchir en moraliste

L’avocat ne peut faire l’économie de quelques réflexions morales : faut-il sacrifier le secret professionnel, ou ne rien faire, au risque de laisser le mal se produire ? Faut-il dénoncer son client au risque d’affaiblir la confiance légitime des justiciables dans l’ensemble de la profession d’avocat ?

La réponse repose sur un équilibre fragile entre la raison et l’émotion, le devoir et la conséquence.

D’un côté, il y a la manifestation de la vérité, prise dans son versant le plus extrême, à savoir sa capacité à prévenir un crime imminent.

Il ne s’agit pas uniquement de transparence, dont on connait la critique féroce, et justifiée, portée par un certain nombre de confrères et d’intellectuels quant à la place qu’elle occupe aujourd’hui dans notre société, le droit à linformation et à la sécurité tendant à devenir des droits absolus, réduisant le secret professionnel à peau de chagrin [14].

Ici, lexigence de transparence prend la forme du devoir de justice et d’humanité. Il s’agit de protéger d’autres vies humaines.

Face à cette exigence, les paroles qui se disent sous le sceau de la confidence font a priori pâle figure. C’est oublier la raison d’être du secret professionnel.

Historiquement, le secret professionnel est lié aux figures du médecin, du prêtre et de lavocat. À travers ces trois personnages, on comprend que ce secret est au croisement du savoir et de la dépossession. Incapables de guérir leurs corps, de résoudre les énigmes de la foi ou de démêler les complexités du droit, les hommes se sont tournés vers des professionnels investis dun savoir inaccessible. Pour obtenir leur aide, ils ont dû sabandonner à eux, livrant leurs failles et leurs confidences les plus intimes. Le professionnel devient un miroir des fragilités humaines et un gardien des vérités que lon ne peut affronter seul.

Le secret professionnel n’est pas une simple règle juridique ou déontologique : il est un pacte, né de la vulnérabilité et de la confiance. En devenant ce « double » du client [15], détenteur dun savoir qui lui échappe, le professionnel est lié de manière inextricable par la confiance de son client.

La jurisprudence dit d’ailleurs que le secret professionnel de l’avocat n’est pas fait pour l’avocat, il n‘a rien de corporatiste, il est institué dans l'intérêt du client [16]. Il est lié au procès équitable, en ce quil comprend le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination [17].

En trahissant le secret professionnel, l’avocat porte atteinte non seulement à sa crédibilité mais aussi à la confiance légitime qu’un client est en droit d’attendre d’un avocat.

Il incombe à l’avocat de peser minutieusement ces intérêts contradictoires pour les hiérarchiser, avant de prendre une décision.

            Les solutions possibles

Pour procéder à cette balance d’intérêts, l’avocat doit mobiliser ses convictions philosophiques et éthiques personnelles.

Nous lui conseillons de s’inspirer du dilemme du tramway. Ce célèbre exercice de pensée permet d'explorer les tensions entre différents cadres éthiques : conséquentialisme, déontologie, et vertu. Pour rappel, une rame de tramway se dirige vers cinq personnes attachées sur les rails et qui ne peuvent pas s'échapper. Vous avez la possibilité de détourner la rame sur une voie secondaire où une seule personne est attachée. Que faites-vous ? Ce dilemme a donné lieu à des variantes, mais l'idée centrale reste la même : faut-il sacrifier une personne pour en sauver plusieurs, ou ne rien faire, au risque de laisser le mal se produire ?

L'avocat, lorsqu'il est informé par son client d'une intention criminelle, se trouve dans une situation similaire. Le tramway, est le crime qui va se produire si rien n’est fait. L’acte de dévier le tramway représente la dénonciation ou la brisure du secret professionnel : une action qui sacrifie la confiance du client et le secret professionnel pour tenter de prévenir un crime.

 

Les écoles philosophiques offrent des réponses divergentes :

•           Le conséquentialisme, inspiré par Bentham, privilégie les conséquences : si dénoncer un client peut sauver des vies ou prévenir un crime grave, un avocat devrait le faire, car le bien collectif l'emporte sur le respect individuel du secret professionnel.

•           La déontologie kantienne attribue une valeur intrinsèque aux principes, indépendamment des résultats : briser ce principe pour des raisons utilitaires pourrait affaiblir la confiance dans l'ensemble du système judiciaire.

•           L’éthique de la vertu aristotélicienne invite à un équilibre, où lavocat pourrait tenter de dissuader son client sans sacrifier aveuglément le secret professionnel.

Le choix de lavocat dépendra de limportance quil accorde au respect absolu des règles versus aux conséquences potentielles de son inaction. Les recherches neuroscientifiques [18] montrent que la réponse dépendra également du fonctionnement de chacun de nos cerveaux. En effet, lamygdale et le cortex préfrontal ventromédian, qui gèrent l’émotion et l’empathie, entrent en conflit avec cortex préfrontal dorsolatéral, impliqué dans la pensée analytique et le calcul utilitariste. Les décisions morales résultent dune interaction, voire d’une tension, entre ces deux systèmes.

Notre amour du juste milieu nous conduit à suivre la proposition hybride appelée « éthique de la vertu ».

C. Étape 3 : quel processus suivre ?

À notre sens, la voie du juste milieu pourrait se décliner comme il suit.

D’abord, l’avocat tenterait en priorité de dissuader le client.

Si l’avocat n’est pas un « gardien moral » au service de l'État, il est a minima un « médiateur éthique ». Cela signifie quil doit avant tout alerter son client des conséquences légales et morales de ses actes, avant d’envisager, en ultime recours, de trahir le secret.

Cette attitude est en conformité avec la loi. L’intervention prévue par l'article 223-6 tend à empêcher un crime ou à aider une personne en péril. Elle n'implique pas nécessairement que l'on porte atteinte au secret professionnel en dénonçant les faits, puisqu'il suffit d'agir. 

Ajoutons que l’avocat ne doit évidemment jamais aider le client dans son projet. On pense au cas, moins caricatural, des conseils donnés au client en matière de criminalité financière, notamment à l’occasion de montages économiques complexes. Ces derniers ne doivent jamais constituer une aide ou une assistance, au risque de se rendre complice de l’infraction reprochée au client.

Ensuite, il s’agirait de prévenir son Bâtonnier en cas de crainte justifiée, et de lui demander d’informer les autorités publiques en cas de risque avéré pour la sécurité publique. 

Un signalement ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions, sous n’importe quelle forme, il importe de suivre un processus et un formalisme précis [19]

Le signalement devrait dans la mesure du possible préserver l’anonymat de son client. Il nous semble que l'obligation de dénonciation porte sur des faits sans que l'identité de l’auteur doive être nécessairement révélée. En effet, la loi n'oblige pas à dénoncer une personne, mais un crime, ce qui revient à dire qu'il ne faut pas confondre dénonciation et délation [20]. Il appartient ensuite aux autorités judiciaires de diligenter les enquêtes propres à l'identification tant des auteurs d'infractions que de leurs victimes.

Enfin, l’avocat devrait se retirer du dossier.

Il est inconcevable que l’avocat continue de défendre son client lorsqu’il s’est délié du secret professionnel pour révéler ses confidences. C’est d’ailleurs ce point qui avait été particulièrement reproché au conseil de Georges Ibrahim Abdallah.

En résumé, une réaction graduée et proportionnée - d’abord dissuader -, suivant un formalisme précis - le filtre du Bâtonnier - et respectant au mieux les autres obligations déontologiques dont celle de loyauté - anonymat, abandon du dossier -, nous parait être une bonne pratique lorsqu’il s’agit de dénoncer l’intention criminelle d’un client.

Conclusions : Des pistes de réflexion

Finalement, le sujet va au-delà de la sphère juridique.

Contrairement à d’autres systèmes juridiques, le droit français ne prévoit rien. Aux État-Unis, l'American Bar Association (ABA) autorise un avocat à divulguer des informations pour prévenir un crime imminent [21]. Le droit anglais a consacré la règle selon laquelle « There is no confidence as to the disclosure of an iniquity », c’est-à-dire que les communications entre un avocat et un client ne sont pas couvertes par le privilège lorsque leur but principal est illégal (affaire R. v. Cox and Railton de 1884).

Une clarification législative permettrait non pas de donner une réponse unique, qui relève de la conscience personnelle de l’avocat, mais de disposer d’une structure rationnelle claire pour gérer ce dilemme. Il s’agirait d’encadrer les cas exceptionnels en consacrant une procédure d’alerte spécifique. Le « secret partagé » avec le Bâtonnier, limité au strict nécessaire, en cas de doute légitime, serait consacré.

De la même manière, les Ordres et les écoles d’avocats pourraient se saisir du sujet pour sensibiliser les avocats aux dilemmes éthiques, en évoquant les risques juridiques et les réflexions issues de la philosophie morale. Il s’agirait de former les participants à l’option de conscience. En développant cette culture du « flair éthique », les avocats pourraient réagir de manière adéquate à des situations particulièrement délicates.

 

[1] P. Tourancheau, La déchirure de l’avocat, Libération, 20 juillet 2001 .

[2] V., sur le sujet : M. Boissavy, Le secret des confidences entre un avocat et son client en matière de conseil et la répression des infractions, Lexbase Avocats, octobre 2021 N° Lexbase : N9031BY7.

[3] « Le secret professionnel a uniquement pour base un intérêt social ; sans doute sa violation peut créer un préjudice au particulier, mais cette raison ne suffirait pas pour en justifier lincrimination. La loi la punit parce que lintérêt général lexige. Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur, un défenseur, le catholique, un confesseur, mais ni le médecin, ni lavocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées dun secret inviolable. Il importe donc à lordre social que ces confidences nécessaires soient astreintes à la discrétion et que le silence leur soit imposé, sans condition ni réserve, car personne noserait plus sadresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ainsi, larticle 378 a moins pour but de protéger la confidence dun particulier que de garantir un devoir professionnel indispensable à tous. Ce secret est donc « absolu et dordre public » ».

[4] Pradel et Danti-Juan, Droit pénal spécial, 1995, 1re éd., Cujas, p. 223.

[5] Cass. crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513, FS-P+F N° Lexbase : A8547DDW.

[6] CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05 N° Lexbase : A9284DWR), JCP, 2007, I., 206, n°8, obs. Lévy D..

[7] RIN N° Lexbase : L4063IP8 ; Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245 N° Lexbase : A8219DBZ ; Cass. crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513, FS-P+F N° Lexbase : A8547DDW ; Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245 N° Lexbase : A8219DBZ.

[8] Loi n° 80-1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs [en ligne].

[9] F. Alt-Maes, Un exemple de dépénalisation : la liberté de conscience accordée aux personnes tenues au secret professionnel, RSC, 1998 p. 301 ; Chomienne et Guéry, Secret, révélation, abstention, ou les limites de la liberté de conscience du professionnel dans le nouveau Code pénal, ALD, 1995, Comm. 85.

[10] Décret n° 2023-552 du 30 juin 2024, art. 4 N° Lexbase : L3126MN4 ; RIN, art. 2.1 N° Lexbase : L4063IP8.

[11] B. Py, Secret professionnel – Révélation licite, Répertoire Dalloz, §147.

[12] Y. Mayaud, La condamnation de l'évêque de Bayeux pour non-dénonciation, ou le tribut payé à César…, Recueil Dalloz, 2001, p. 3454.

[13] Association de malfaiteurs, article CP.

[14] Th. Massis, La transparence et le secret, Revue Etudes, juin 2001, pages 751 à 761 ; J. Chamarre, Secret professionnel de lavocat et incitation à la dénonciation, Gaz. Pal., 2002, 1, Doctr. 782 et s. ; A. Damien, Secret professionnel et secret de la confession. À propos d'un arrêt récent de la Cour de cassation, Esprit et Vie ; C. Perelman, Lusage et labus de notions confusesin Etudes de logique juridique, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 3.

[15] G. de Lagasnerie, Intervention à l’Institut de Défense Pénale.

[16] Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-19.285, FS-B N° Lexbase : A6695174 ; cf. également M. Benichou et F. Teitgen, Le rôle des Ordres dans la lutte contre le blanchiment et la sauvegarde du secret professionnel, Gaz. Pal., 21 et 24 avril 2000, p. 2.

[17] CEDH, 6 décembre 2012, n° 12323/11, Michaud c/ France N° Lexbase : A3982IY7, §§ 118-119 ; CEDH, Fiche thématique - Secret professionnel des avocats, juin 2024) ou du droit de préparer sa défense de manière effective (CEDH, M. c. Pays-Bas, 25 juillet 2017, Req. 2156/10, disponible en anglais.

[18] Cf. les travaux de Joshua Greene.

[19] CE 1e-4e ch. réunies, 15 octobre 2024, n° 472072, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57906AP.

[20]Cass. crim., 2 mars 1961, Bull. crim., n° 137 ; D., 1962, Jur. p. 121, note Bouzat ; JCP, 1961, II, n° 12092, note Larguier. - Rappr. 26 févr. 1959, Bull. crim., n° 139 ; D., 1959, Jur. p. 301 ; S., 1959, p. 108 ; Rev. science crim.,1959, p. 848, obs. Hugueney ; 27 déc. 1960, Bull. crim., n° 624 ; Rev. science crim., 1961, p. 345, obs. Hugueney.

[21] Model Rules of Professional Conduct, règle 1.6.

newsid:491136

Avocats/Droit à l'avocat

[Brèves] Possibilité pour un établissement public de refuser la présence d'un avocat lors d'un entretien de rupture conventionnelle

Réf. : TA Amiens, du 31 octobre 2024, n° 2404265 N° Lexbase : A34516EK

Lecture: 2 min

N1108B3G

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par Marie Le Guerroué

Le 02 Décembre 2024

► La décision d’un établissement public de ne pas autoriser un avocat à assister à l'entretien de rupture conventionnelle de sa cliente ne met pas en cause le droit pour celui-ci d'exercer ses fonctions d'avocat.

Faits et procédure. La requérante, cadre socio-éducative affectée au pôle management et services support de l'établissement public de santé mentale départementale de l'Aisne, avait sollicité de son employeur une rupture conventionnelle prévue par l'article 72 de la loi du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique N° Lexbase : Z60265TP. Son avocat a demandé à pouvoir assister à cet entretien, prévu le 31 octobre 2024, si besoin par visioconférence. Par deux courriers électroniques des 25 et 28 octobre 2024, l'établissement public de santé mentale départementale de l'Aisne a refusé de faire droit à sa demande. La requérante sollicite l'annulation de ces décisions et à ce qu'il soit enjoint à son employeur d'autoriser la présence de son avocat lors des entretiens de rupture conventionnelle.

Réponse du tribunal. Le tribunal précise, d'une part, que la possibilité d'être assisté par un avocat devant les administrations publiques, prévue par les dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ ne constitue pas par elle-même l'une des libertés fondamentales dont la méconnaissance peut être invoquée au titre de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT. Par ailleurs, en application de l'article 3 du décret du 31 décembre 2019, relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique N° Lexbase : L3781LUL, la requérante conserve la possibilité de solliciter des organisations syndicales, représentatives ou non, la désignation d'un conseiller aux fins de l'assister durant la procédure de rupture conventionnelle. En outre, il n'est pas fait obstacle à ce que la requérante informe son avocat de la teneur de l'entretien et de lui demander conseil. D'autre part, la décision ne l'autorisant pas à assister à l'entretien de rupture conventionnelle de sa cliente ne met pas en cause le droit pour son conseil d'exercer ses fonctions d'avocat.

Rejet. La requête est donc rejetée.

 

newsid:491108

Avocats/Discipline

[Brèves] Procédure disciplinaire ouverte devant le Conseil de l'Ordre : les pièces ne sont pas communicables

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 19 novembre 2024, n° 474435, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83526HS

Lecture: 3 min

N1025B3D

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par Marie Le Guerroué

Le 13 Janvier 2025

► Les documents qui conduisent à la saisine des instances disciplinaires des avocats mentionnées à l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite se rattachent à la fonction juridictionnelle et n'ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs ;

Il en va de même du signalement ou de la plainte dont le Bâtonnier est saisi et des documents établis, le cas échéant, dans le cadre de l'enquête déontologique qu'il peut décider de diligenter avant de saisir, s'il y a lieu, l'instance disciplinaire, qui constituent les premières étapes de la procédure disciplinaire, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le Bâtonnier décide ou non de saisir l'instance disciplinaire ;

► Ces documents n'entrant pas dans le champ du droit de communication prévu par les dispositions du Code des relations entre le public et l'administration, ils ne sont pas communicables.

 

Faits et procédure. Une requérante avait demandé au Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris la communication des éléments administratifs et disciplinaires à caractère personnel ou professionnel la concernant dans la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'Ordre à l'encontre d’un avocat, en particulier les pièces versées par un cabinet avant l'ouverture de l'enquête déontologique préalable à cette procédure, les procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'Ordre dans le cadre de cette même procédure et les allégations de l’avocat contestant ses propres déclarations. Elle se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet du Bâtonnier et à ce qu'il lui soit enjoint de lui communiquer les documents demandés. Elle demande au Conseil d'État d'annuler ce jugement.

Réponse du CE. Les documents qui conduisent à la saisine de l'instance disciplinaire et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite se rattachent à la fonction juridictionnelle et n'ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs. Il en va de même du signalement ou de la plainte dont le Bâtonnier est saisi et des documents établis, le cas échéant, dans le cadre de l'enquête déontologique qu'il peut décider de diligenter avant de saisir, s'il y a lieu, l'instance disciplinaire, qui constituent les premières étapes de la procédure disciplinaire, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le Bâtonnier décide ou non de saisir l'instance disciplinaire.

Le Conseil relève que la requérante a sollicité du Bâtonnier de Paris la communication, d'une part, des pièces versées par le cabinet d’avocat ayant donné lieu à l'ouverture de l'enquête déontologique par le Bâtonnier, d'autre part, des procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'Ordre après l'ouverture de la procédure ainsi que, enfin, des documents retraçant les allégations de l’avocat contestant ses propres déclarations. Ces documents, quel que soit le stade de la procédure auquel ils ont été établis, doivent être regardés comme des pièces de la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'Ordre à l'encontre de l’avocat et se rattachent, par suite, à la fonction juridictionnelle dont est investi le conseil de l'Ordre du barreau de Paris. Il s'ensuit que ces documents, qui n'ont pas le caractère de documents administratifs, n'entrent pas dans le champ du droit de communication prévu par les dispositions du Code des relations entre le public et l'administration.

Rejet. La requérante n'est donc, pour la Haute juridiction administrative, pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris qu'elle attaque. Son pourvoi est rejeté.

newsid:491025

Avocats/Formation

[Brèves] Contribution des Ordres au financement des CRFPA pour 2025 : le montant est fixé

Réf. : CNB, Résolutions, 15 novembre 2024

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N1106B3D

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par Marie Le Guerroué

Le 28 Novembre 2024

► Le Conseil national des barreaux fixe le montant de la contribution des Ordres au financement des CRFPA pour 2025 à la somme de 11,6 millions d'euros ; il demande également à l'État une augmentation de sa contribution et du plafond des frais pédagogiques acquittés par les élèves.

L’assemblée générale a déterminé le montant de la contribution des Ordres au financement des CRFPA pour l’année 2025. Elle a porté ce montant à 11 600 000 euros, soit une augmentation de 4 %. Les Ordres régleront ce montant, via les produits des CARPA, au prorata de leurs effectifs.

Les difficultés prévisionnelles de trésorerie des CRFPA ont également justifié le vote, par l’assemblée générale, d’une demande d’augmentation par l’État du plafond des frais pédagogiques acquittés par les élèves avocats et de la contribution financière de l’État.

Plafond des droits d’inscription.

L’assemblée générale a demandé, dans une première résolution, au ministère de la Justice une augmentation de 75 euros du plafond des droits d’inscription pouvant être exigés des élèves avocats, soit un montant total de 1 900 euros applicable à compter de la promotion 2026-2027.

Contribution de l’État.

L’assemblée générale demande ensuite, dans une seconde résolution, au ministère de la Justice une augmentation d’au moins 80 000 euros du montant de la contribution de l’État au financement des CRFPA, soit un montant total de 1,75 million d’euros.

 

newsid:491106

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Délais de saisine du premier président en matière de contestation des honoraires d’avocat : fin de non recevoir opposée par le défendeur comparant au demandeur non-comparant

Réf. : Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-18.471, FP-B N° Lexbase : A80496BQ

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N1114B3N

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par Gaëlle Deharo, Full Professor – Droit privé ESCE International Business School CRJP – IRJS Paris 1 Panthéon Sorbonne Omnes Education Research Center Abstract

Le 29 Décembre 2024

Mots-clés : avocat • honoraires • contradiction • procédure orale • fin de non recevoir • délais

Ne méconnait pas le principe de la contradiction le juge qui, dans une procédure orale, accueille la fin de non recevoir opposée au demandeur non comparant et non dispensé de comparaitre, régulièrement convoqué à l’audience, celui-ci ayant été mis en mesure de discuter les éléments qui pouvaient être soulevés à l’audience. 

C’est, également, sans méconnaître les termes du litige que le premier président, qui ne pouvait se fonder sur les pièces produites par le demandeur, absent lors de l'audience sans avoir été dispensé de comparaître, a souverainement analysé la lettre de saisine, retenu qu'elle faisait suite à la première contestation reçue par le Bâtonnier et en a exactement déduit que la saisine était irrecevable comme tardive.


 

En l’espèce, un client avait confié la défense de ses intérêts à un avocat [1]. À l’occasion de cette relation, une contestation s’était élevée sur le montant des honoraires de l’avocat. Conformément aux dispositions des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : C29048U4, le client avait saisi le Bâtonnier de l’Ordre auquel appartenait l’avocat, compétent en la matière. Celui-ci avait accusé réception de la demande mais n’avait pas statué dans le délai de quatre mois. Le client avait alors saisi le premier président de la cour d’appel [2] qui avait déclaré le recours du client irrecevable comme tardif. 

C’est sur ce point que s’élève le litige. 

Critiquant cette décision, le client avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Le premier moyen ayant été écarté par la deuxième chambre civile, ce sont les trois branches du deuxième moyen qui sont soumises à la Haute Cour. La première branche du moyen critiquait l’ordonnance du premier président qui n’aurait, selon le demandeur à la cassation, pas fait respecter la contradiction. Les deuxièmes et troisièmes branches du même moyen tendaient, quant à elle à démontrer que le demandeur à la cassation aurait formé deux recours successifs devant le Bâtonnier, ce qui aurait eu pour effet de reporter le point de départ du délai de saisine du premier président. En déclarant le recours irrecevable comme tardif, le premier président aurait, selon le demandeur à la cassation, violé, d’une part, l’article 4 du code de procédure civile et, d’autre part, les articles 175 N° Lexbase : C29078U9 et 176 du même code. 

Ces arguments sont rejetés par la Cour de cassation. Selon la deuxième chambre civile, « c’est sans méconnaitre le principe de la contradiction que le premier président, après avoir énoncé que le défendeur, comparant à l’audience, concluait à l’irrecevabilité de la saisine, a constaté le caractère tardif de celle-ci ». Le demandeur, régulièrement convoqué à l’audience, avait été mis en mesure de discuter les éléments qui pouvaient être soulevés à l’audience. C’est également « sans méconnaitre les termes du litige que le premier président, qui ne pouvait se fonder sur les pièces produites par le demandeur, absent lors de l’audience sans avoir été dispensé de comparaitre, a souverainement analysé la lettre de saisine, retenu qu’elle faisait suite à la [première] contestation reçue par le Bâtonnier (…), et en a exactement déduit que la saisine était irrecevable comme tardive ».

Plusieurs questions s’évincent de cette décision : critiquant l’ordonnance prononçant l’irrecevabilité de la saisine du premier président, le pourvoi interroge en premier lieu la tardiveté de la saisine (I). Il questionne encore les conséquences de l’absence à l’audience du demandeur, non dispensé de comparaitre, en particulier au regard de la référence aux pièces produites dans le cadre d’une procédure orale (II). 

I. Le caractère tardif de la saisine du premier président 

Au terme des articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, le Bâtonnier de l’Ordre doit rendre sa décision sous un délai de quatre mois [3], éventuellement prorogeable une fois [4], sous peine d'être définitivement dessaisi de la contestation [5] au profit du premier président. Il revient au demandeur de saisir ce dernier dans le délai d’un mois afin qu’il statue en premier et dernier ressort sur la contestation. C’est sur ce point que se cristallisait le litige : le demandeur à la cassation entendait en effet démontrer que deux demandes avaient été formées devant le Bâtonnier, si bien que le délai d’un mois pour saisir le premier président ne commençait à courir qu’à l’expiration des délais après la deuxième demande dont arguait le demandeur à la cassation (A). Rejetant cette analyse, la Cour de cassation fait une lecture formelle de la situation et rejette le pourvoi (B).

A. L’argumentation du pourvoi : la violation des termes du litige 

Le demandeur à la cassation faisait grief à l’ordonnance du premier président d’avoir prononcé l’irrecevabilité de son recours considéré comme tardif. Celui-ci, conformément à la procédure spéciale en contestation des honoraires [6], avait été formé devant le premier président après que le Bâtonnier, préalablement saisi [7], ne s’était pas prononcé dans le délai de quatre mois. À l’issue de ce délai, le demandeur disposait alors d’un délai d’un mois pour saisir le premier président. 

Convoquant la théorie de l’action, le demandeur à la cassation soutient qu’il aurait formé deux demandes successives, le délai ne commençant à courir qu’à partir de l’expiration des délais de la deuxième demande. Plus spécifiquement, le demandeur, n’ayant pas obtenu de réponse du Bâtonnier, aurait fait usage d’un droit de reprendre la procédure ab initio par une nouvelle demande. Celle-ci aurait fixé les termes du litige, lié le juge et constitué le point de départ des délais. L’ordonnance aurait donc violé les articles 4 N° Lexbase : L1113H4Y et 5 N° Lexbase : L1114H4Z du Code de procédure civile en ne respectant pas les termes du litige fixés par les prétentions du demandeur dans la seconde demande. 

Selon la troisième branche du moyen, la saisine du premier président sur recours ne constituerait qu’une faculté pour le demandeur, et non une obligation, dès lors que celui-ci disposait de l’alternative de reprendre l’ensemble de la procédure. Il s’appuie, pour cette démonstration, sur la nullité de la procédure antérieure qui n’aurait pas affecté le droit d’action du demandeur. Aussi, le demandeur n’aurait fait qu’user de cette faculté et l’ordonnance du premier président aurait donc violé les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. 

L’argumentation laisse perplexe. D’une part, parce qu’elle signifierait que le justiciable pourrait saisir deux fois le juge pour une même demande. D’autre part parce qu’elle ne semble pas conforme à la jurisprudence classique en la matière. 

Si la Cour de cassation impose aux juges du fond de rechercher la date de saisine du Bâtonnier [8] comme celle de l’émission du recours [9], la jurisprudence a précisé que, en matière de contestation d'honoraires, le Bâtonnier est saisi par la lettre du client ou de l'avocat [10]. Si bien que le formalisme imposé par l’article 175 du décret du 27 novembre 1991 facilite la détermination de la date de la saisine. Selon cette disposition, en effet, « les réclamations sont soumises au bâtonnier par toutes parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé. Le Bâtonnier accuse réception de la réclamation et informe l'intéressé que, faute de décision dans le délai de quatre mois, il lui appartiendra de saisir le premier président de la cour d'appel dans le délai d'un mois ». En l’espèce, l’ensemble du formalisme avait été respecté dès la première demande sans que le défaut de réponse n’ait pour effet d’annuler la saisine du juge de l’honoraire.  

Dans le même sens, la Cour de cassation a précisé que « les parties peuvent contester la décision du bâtonnier statuant hors délai sur la fixation des honoraires. Si le recours formé plus d'un mois après la notification de la décision du bâtonnier est irrecevable comme tardif, tel n'est pas le cas lorsque la notification ne précise pas le délai de recours [11] ». Or, en l’espèce, le Bâtonnier avait accusé réception du recours et informé le demandeur des délais de quatre mois pour rendre la décision et d’un mois suivant ce délai pour saisir le premier président [12]

Enfin, si la jurisprudence reconnait la nullité de plein droit de la décision tardive rendue par le Bâtonnier, dessaisi de la réclamation après l'expiration du délai [13], « l'irrégularité dont peut être entachée la décision du Bâtonnier prononcée après l'expiration des délais prévus par l'article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 n'a pas pour effet de modifier les conditions d'exercice du recours prévu par l'article 176, alinéa 1, de ce décret »[14]. Dans ce cas, le premier président statue dans le cadre de sa propre saisine et ne peut confirmer la décision prononcée, ce qui aurait pour effet de lui conférer force exécutoire [15]. Il peut cependant constater l’irrecevabilité du recours tardif.   

L’argumentation du pourvoi est donc logiquement rejetée par la Cour de cassation.  

B. La solution de la Cour de cassation : l’appréciation souveraine du premier président 

Le rejet du pourvoi par la deuxième chambre civile intervient au terme d’un syllogisme classique : dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle le mécanisme des articles 175 et 176 du décret de 1991 : selon ces dispositions, « lorsque le Bâtonnier, saisi d’une contestation d’honoraires, n’a pas pris de décision dans le délai de quatre mois, prorogeable une fois par décision motivée, le premier président doit être saisi de cette contestation dans le mois qui suit l’expiration du délai imparti au Bâtonnier ».

Elle constate, dans un second temps, que la saisine du Bâtonnier était intervenue par la première lettre du client dont le Bâtonnier avait accusé réception en rappelant les modalités de saisine du premier président, que le juge de l’honoraire n’avait pas statué dans le délai de quatre mois et que le demandeur n’avait pas saisi le premier président dans le délai d’un mois à l’expiration de ce délai. 

Le troisième temps est consacré à la conclusion de ces prémisses : « c’est sans méconnaitre les termes du litige que le premier président, qui ne pouvait se fonder sur les pièces produites par le demandeur, absent lors de l’audience sans avoir été dispensé de comparaitre, a souverainement analysé la lettre de saisine, retenu qu’elle faisait suite à la [première) contestation reçue par le Bâtonnier (…), et en a exactement déduit que la saisine était irrecevable comme tardive ».  

On observe que ce syllogisme correspond à l’exercice d’un contrôle normatif lourd de la Cour de cassation exprimé par ce que le premier président « en a exactement déduit » que la saisine était tardive. Toute l’argumentation du pourvoi reposait en effet sur la prétention qu’il existait une deuxième lettre qui constituerait la lettre de saisine du Bâtonnier. Le point de départ du délai s’en trouverait donc reporté. Pourtant, la Cour de cassation souligne, par une incise, que « le premier président ne pouvait se fonder sur les pièces produites par le demandeur, absent lors de l’audience sans avoir été dispensé de comparaitre ». En d’autres termes, les conséquences de la mise en œuvre de la contradiction dans une procédure orale ne permettent pas de prendre en compte la seconde lettre, qui n’a pas été débattue à l’audience en raison de l’absence du demandeur. En conséquence, c’est donc la première lettre qui doit être prise en considération et, dans cette perspective, l’appréciation de la lettre relève du pouvoir souverain des juges du fond.   

 

II. L’absence à l’audience du demandeur 

Dans la première branche du deuxième moyen, le demandeur à la cassation soutenait que le premier président avait méconnu le principe de la contradiction (A). Rejetant l’argumentation, la Cour de cassation vient juger que ne méconnait pas le principe de la contradiction le premier président qui, après avoir énoncé que le défendeur, comparant à l'audience, concluait à l'irrecevabilité de la saisine, a constaté le caractère tardif de celle-ci (B).

A. L’argumentation du moyen : la violation du principe de la contradiction 

En l’espèce, le demandeur à la cassation faisait grief à l’ordonnance de déclarer irrecevable le recours formé devant le premier président. Le moyen, après avoir rappelé le principe selon lequel « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction », entendait en tirer les conséquences en matière de procédure orale : « en procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen soulevé par la partie comparante a été débattu contradictoirement dès lors que la partie adverse n'était pas présente à l'audience ». En d’autres termes, l’absence du demandeur à l’audience devant le premier président ne permettait pas de présumer qu’un débat avait eu lieu. La deuxième branche du moyen concluait ainsi à la violation du principe de la contradiction prévu par l’article 16 du Code de procédure civile. 

La démonstration trouvait ancrage dans l’exigence du respect de la contradiction qui s’impose dans toute procédure, qu’elle soit écrite ou orale, et, en particulier, dans la procédure de contestation des honoraires d’avocat [16]

Plus spécifiquement, dans les procédures orales, le principe de la contradiction impose aux parties de se communiquer spontanément les pièces dont elles font état en temps utile sans que cette communication puisse intervenir après les débats de l’affaire [17]

De jurisprudence constante, il existe une présomption de débat contradictoire [18], excepté lorsque l’une des parties n’était pas présente à l’audience. En ce sens, dans une précédente décision[19], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir rappelé que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction » et qu’ « il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations », avait relevé que « en procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen relevé d'office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu'une partie n'était pas présente à l'audience ».  

C’est sur ce fondement que le demandeur à la cassation concluait à la violation du principe de la contradiction. Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation distingue selon que la partie absente à l’audience avait ou non été dispensée de comparaitre. C’est une nouvelle fois sur le fondement de cette distinction que le rejet du pourvoi est prononcé en l’espèce. 

B. La réponse de la Cour de cassation : la convocation régulière du demandeur non comparant et non dispensé de comparaitre 

Une fois encore, on relève l’œuvre didactique de la décision prononcée, exprimée sous la forme d’un impeccable syllogisme. Le premier paragraphe rappelle le droit en la matière, en exposant d’abord la règle de principe : « selon l'article 16 du Code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ». Le même paragraphe fournit l’explication de cette règle : le premier président « ne peut retenir, dans sa décision, les moyens les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. » Il en résulte qu’ « il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a soulevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ». 

Le second paragraphe constate, quant à lui, que le client avait « été régulièrement convoqué et ainsi mis en mesure de débattre contradictoirement des moyens qui pouvaient être soulevés à l’audience ». Il en résulte, selon le contrôle exercé par la deuxième chambre civile que « c’est sans méconnaitre le principe de la contradiction que le premier président, après avoir énoncé que le défendeur, comparant à l’audience, concluait à l’irrecevabilité de la saisine, a constaté le caractère tardif de celle-ci ». 

Conforme à la jurisprudence antérieure, la décision du 24 octobre 2024 doit être lue et comprise en cohérence avec une deuxième décision, prononcée le même jour [20] : au terme de cette deuxième décision, en procédure orale, méconnait le principe de la contradiction le juge qui relève un moyen d’office, tiré de l’irrecevabilité de la demande, sans inviter la partie demanderesse, absence à l’audience et dispensée de comparaitre, à formuler ses observations ou moyens. 

En d’autres termes, ces deux décisions viennent préciser l’articulation du principe de la contradiction avec le régime de l’oralité. Plus précisément, la deuxième chambre civile vient confirmer sa jurisprudence antérieure qu’elle confirme au regard de la comparution des parties. Ainsi : 

  • Le principe de la contradiction [21] s’applique incontestablement en procédure orale comme dans toute autre procédure [22] ; 
  • La présomption de débat contradictoire s’applique y compris sur les moyens soulevés d’office mais uniquement lorsque les parties sont comparantes [23] ; 
  • Lorsque l’une des parties est non comparante : 
  • si la partie non comparante a été dispensée de comparaitre, elle doit être invitée à formuler ses observations sur les moyens discutés à l’audience [24].
  • Si la partie n’a pas été dispensée de comparaitre, qu’elle a été régulièrement convoquée à l’audience et mise en mesure de discuter les moyens qui pouvaient y être soulevés, le principe de la contradiction n’est pas méconnu. Les conséquences en sont lourdes en l’espèce puisque c’est sans méconnaitre le principe de la contradiction que le premier président, après avoir constaté que le défendeur concluait à l’audience à l’irrecevabilité de la saisine, pouvait constater le caractère tardif de celle-ci.  

 

 

[1] M. Le Guerroué, [Brèves] Contestation d’honoraires : principe de la contradiction et respect des délais de saisine, Lexbase Avocats, novembre 2024 N° Lexbase : N0840B3I.

[2] D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 176 N° Lexbase : C29088UA

[3] Sur l’absence d’effet juridique d’une ordonnance de taxe prononcée tardivement :  Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-10.518 N° Lexbase : A5416NIG ; G. Royer, Recevabilité d'un recours contre une ordonnance de taxe rendue hors délais, La lettre juridique, juin 2015 N° Lexbase : N7886BUM ; G. Deharo, Contestation des honoraires de l’avocat : ordonnance du Bâtonnier prononcée hors délai, Lexisnexis, actualité, 5 juin 2015.

[4] Cass. civ. 2, 5 février 2009, n° 06-21.479, F-D N° Lexbase : A9442ECP.

[5] G. Royer, op. cit. et loc. cit. – V. également, Cass. civ. 2, 5 mars 2020, n° 19-10.751, F-P+B+I N° Lexbase : A04283HC.

[6] D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 174 s..

[7] D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 175. [Brèves] Contestation d'honoraires : la date du recours, formé par voie postale, est celle de l'expédition de la lettre figurant sur le cachet du bureau d'émission, Lexbase Avocats, octobre 2016 N° Lexbase : N4720BWQ.

[8] Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-28.755, F-D N° Lexbase : A9934TRD.

[9] Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-21.735, F-D N° Lexbase : A7119R4G . – Adde Cass. civ. 2, 13 janvier 2011, n° 09-15.620, F-D, N° Lexbase : A9650GP4.

[10] Cass. civ. 2, 20 juin 2024, n° 22-23.189, F-B N° Lexbase : A97165IP - Cass. civ. 2, 31 août 2022, n° 20-22.964, F-D N° Lexbase : A92568GW.

[11] Cass. civ. 2, 12 décembre 2019, n° 18-24.116, F-D N° Lexbase : A1488Z8M.

[12] V. déjà  Cass. civ. 2, 9 octobre 2008, n° 06-16.847, F-P+B N° Lexbase : A7152EA7.

[13] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-20.247, F-P+B N° Lexbase : A3241XRH ; Cass. civ. 2, 17 février 2005, n° 04-12.768, F -D N° Lexbase : A7470DGR.

[14] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-20.247, F-P+B N° Lexbase : A3241XRH.

[15] Cass. civ. 2, 17 février 2005, n° 04-12.768, F -D N° Lexbase : A7470DGR.

[16]  Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-12.190, F-B N° Lexbase : A792974G ; A. Martinez-Ohayon, [Brèves] Procédure orale sans représentation obligatoire : le juge doit inviter les parties à s’expliquer sur l’absence d’une pièce mentionnée dans des conclusions écrites !, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 910 N° Lexbase : N1856BZR.

[17]Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-28.828, F-P+B N° Lexbase : A9748YUL ; A. Seid Algadi, Communication des pièces dans le cadre d’une procédure orale et respect du principe de la contradiction, N° Lexbase : N7520BXS.

[18] CA Aix-en-Provence, 5 octobre 2017, n° 16/13528 N° Lexbase : A9370WT9.

[19] Cass. civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.985 N° Lexbase : A86503YZ.

[20] Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.908, FP-B N° Lexbase : A80556BX.

[21] C. proc. civ., art. 16.

[22] D. n° 91-1197 du 27 nov. 1991, art. 177 N° Lexbase : Z35971UE - G. Deharo, Procédure orale : les conclusions écrites d’une partie réitérées verbalement à l’audience saisissent valablement le juge, Lexisnexis, actualités, 15 mars 2012.

[23] Cass. civ. 2, 9 février 2012, n° 10-28.197, F-P+B N° Lexbase : A3547ICD.

[24] Y. Ratineau, [Brèves] Procédure orale : présomption de débat contradictoire et moyen soulevé d’office par le juge, Lexbase Droit privé, novembre 2024, n°1002 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 112613207, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Br\u00e8ves] Proc\u00e9dure orale : pr\u00e9somption de d\u00e9bat contradictoire et moyen soulev\u00e9 d\u2019office par le juge", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N0934B3Y"}}.

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Avocats/Honoraires

[Le point sur...] L’acceptation tacite de la convention d’honoraires

Lecture: 14 min

N1130B3A

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par Benoît Chaffois, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université Havre, membre du CERMUD

Le 04 Décembre 2024

Mots-clés : avocat • honoraires • convention • acceptation tacite • accord de volontés

Bien que le contentieux relatif à l’existence d’un contrat ne soit pas le plus fréquent, il demeure loin d’être anecdotique. Il n’est pas rare, par exemple, qu’au cours d’une phase de négociation contractuelle, l’une des parties ait un intérêt manifeste à voir reconnaître l’existence du contrat, tandis que l’autre s’efforce de démontrer le contraire. Cela peut notamment se produire lorsqu’un bien ou un service fait l’objet d’une double négociation.

Une problématique analogue se rencontre fréquemment à l’égard de la profession d’avocat lorsqu’un client invoque l’inexistence d’une convention d’honoraires pour appuyer une action en contestation d’honoraires. Cette situation amène les juges à résoudre une question particulièrement délicate : déterminer si un accord de volontés a été réellement formé. En cas de réponse affirmative, il leur reviendra ensuite de préciser le contenu de la convention d’honoraires.


 

 

2.         En droit commun des contrats, l’accord de volontés repose sur la rencontre d’une offre et d’une acceptation, par laquelle « les parties manifestent leur intention de s’engager ». Cette volonté peut « résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de l’une des parties » [1]. Si, au plan théorique, la règle semble simple : un contrat exige qu’au moins deux personnes, juridiquement capables, s’accordent sur un programme normatif. En pratique, les difficultés apparaissent fréquemment lorsque l’opération envisagée est lourde ou complexe (par sa durée, les coûts qu’elle implique, les contraintes qu’elle impose, etc.). Ces éléments rendent nécessaire un processus de négociations qui s’étale sur une durée variable. Pendant ce laps de temps, les volontés respectives des parties s’expriment de diverses manières au sujet des aspects du contrat en cours d’élaboration, de sorte qu’en dépit de l’absence de formalisation définitive du contrat sous forme d’un instrumentum (un écrit relatant un acte juridique), une convergence de volontés semble parfois acquise au sein d’un negotium (l’acte juridique). 

3.         Par principe, les contrats sont consensuels[2]. L’absence d’instrumentum, ou son irrégularité résultant de l’irrespect d’un formalisme ad probationem (à titre de preuve), sera ainsi sans effet sur la validité du negotium[3]. C’est pourquoi, lorsqu’un différend éclate quant à l’existence d’un negotium, les parties cherchent quelquefois à démontrer que l’offre et l’acceptation se sont rencontrées de façon tacite en dehors de tout instrumentum. Il leur faudra alors démontrer que cette rencontre est le résultat « d’un comportement d’où l’on peut raisonnablement induire la volonté de contracter »[4]

Par exception, le législateur impose occasionnellement que le contrat soit solennel, ce qui signifie qu’il est soumis à « un certain formalisme pour sa validité »[5], un formalisme ad validitatem. En présence d’un acte juridique solennel, la distinction entre l’instrumentum et le negotium tend naturellement à s’effacer. L’instrumentum devient indispensable à la formation complète du negotium, puisque l’acte formel conditionne l’existence juridique de l’accord[6]. Cette interdépendance est parfaitement résumée par l’adage latin "Forma dat esse rei", signifiant que la forme confère l’existence à la chose. Il résulte de cette relation que le caractère solennel d’un acte juridique se prête mal à l’acceptation tacite, la perfection d’un tel acte exigeant généralement une acceptation expresse matérialisée par une signature pour exprimer l’intention de son auteur d’adhérer au « contenu intellectuel de l’instrumentum écrit »[7].

4.         S’agissant de la convention d’honoraires d’avocat, le législateur était à l’origine d’une incertitude quant à sa nature après l’adoption de la loi du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC. La loi est ainsi rédigée qu’elle impose par principe la conclusion d’une convention écrite au contenu précis avec le client, sans pour autant déterminer la sanction issue de l’irrespect de cette forme. Aux termes de l’article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 tel que modifié par la loi du 6 août 2015, « Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui indique, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés »[8] .

Faute de précisions du législateur, la jurisprudence a déterminé la sanction attachée au non-respect du formalisme prévu par l’article 10. Les juges ont ainsi dû trancher la question de savoir si ce formalisme était requis à titre probatoire (ad probationem) ou pour la validité même de l’acte (ad validitatem). 

Le choix opéré par la Cour de cassation est connu. Prenant acte de la nature historiquement consensuelle de la convention d’honoraires[9], les juges n’ont pas modifié leur analyse après l’intervention du législateur en 2015. Aussi, a-t-il été décidé qu’en l’absence de convention écrite répondant aux exigences de l’article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, il n'y a pas lieu d’interdire à l'avocat de solliciter une rémunération au titre des diligences accomplies[10]

5.         En conséquence de cette jurisprudence, le negotium de la convention d’honoraires peut découler d’un accord tacite, conformément aux principes du droit commun des contrats[11], notamment ceux relatifs au mandat[12]. Toutefois, l’avocat confronté à cette situation rencontrera une double difficulté probatoire. Premièrement, il devra établir l’existence d’un contrat pourtant conclu en violation d’obligations déontologiques, deuxièmement, celle de son contenu. 

Sur la base de cette dichotomie, nous étudierons, en premier lieu, la preuve de l’existence de la convention d’honoraires (I), en second lieu, la preuve du contenu de la convention d’honoraires (II). 

I. La preuve de l’existence de la convention d’honoraires

6.         Comme exposé précédemment, le formalisme imposé par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n’est pas un formalisme à titre de validité, mais un formalisme à titre de preuve. Il en résulte qu’en l’absence de convention écrite conforme à l’article 10 ayant fait l’objet d’une acceptation express par le client, l’existence d’une acceptation tacite pourra théoriquement être démontrée. Dans une telle hypothèse, une double mise en garde s’impose. 

Premièrement, l’avocat ne rédigeant pas de convention écrite avec son client répondant aux exigences de l’article 10 commettra une faute déontologique puisque les exigences formelles issues de cette disposition constituent une obligation déontologique[13]. En conséquence, il est tout à fait concevable qu’une sanction déontologique soit prononcée. 

Deuxièmement, l’irrespect de l’article 10 suppose que le client n’ait pas signé de convention puisque le texte impose de conclure “par écrit avec son client une convention d'honoraires[14]. Or, la signature revêt une importance capitale en ce qu’elle témoigne de l’intention de son auteur de consentir à l’acte juridique. En l’absence de convention écrite signée, la preuve de l’existence d’un accord sera d’une grande difficulté. 

7.         S’agissant des modes de preuves admis, sauf si l’acte juridique concerne une somme inférieure à 1 500 euros[15], la preuve de son existence doit en principe être rapportée par écrit[16]. Cette règle découle de l’article 1359, alinéa 1er, du Code civil, la preuve de l’acte juridique résulte par principe de l’écrit qui le constate. 

Dans le cas de l’absence de convention écrite signée par le client, et sous l’empire du droit antérieur à l’exigence d’une convention écrite, la Cour de cassation avait considéré que l’existence d’une convention pouvait être démontrée à partir d’un échange de courriers à condition qu’ils attestent de l’accord du client sur le principe des honoraires[17]. Dans cette espèce, la volonté du client était non équivoque puisqu’il était à l’origine de la proposition de paiement d’un honoraire de résultat. Il y avait là un commencement de preuve par écrit, lequel permet de compenser l’absence d’écrit exigé par l’article 1359 du Code civil N° Lexbase : L1007KZC pour prouver l’existence d’un acte juridique[18]

Toutefois, il serait imprudent de considérer que tout échange de courriers suffit à établir un accord. Pour prouver l’acceptation d’une convention d’honoraires à partir d’un commencement de preuve par écrit, il est indispensable que ce mode de preuve émane « de celui qui conteste un acte ou de son représentant » et qu’il rende « vraisemblable ce qui est allégué » [19]. Par conséquent, seul un courrier émanant du client, rendant vraisemblable l’existence de la convention d’honoraires pourra être retenu.

8.   En l’absence d’écrit ou de commencement de preuve par écrit permettant de démontrer l’existence d’une convention d’honoraires, l’avocat n’est pas nécessairement dans une impasse. Bien que cela suscite des critiques au regard de la lettre de l’article 1359 du Code civil[20], il est admis que l’acceptation d’un contrat consensuel puisse résulter de divers éléments factuels. L’acceptation est alors dite tacite en ce qu’elle est déduite d’un comportement permettant raisonnablement d’inférer la volonté de contracter. Une précision s’impose à l’égard du silence. En principe, tant en droit commun des contrats[21], qu’à l’égard de la convention d’honoraires, le silence ne vaut pas acceptation. Il a ainsi été jugé que le silence d’un client après la réception d’une note d’honoraires et d’un projet d’assignation rédigé par son avocat à la suite d’une mise en demeure restée infructueuse ne suffit pas à établir que l’avocat a été chargé de la rédaction de ce projet[22]

Pour que l’acceptation tacite soit retenue, il est nécessaire que le destinataire de l’offre mette en œuvre l’exécution du contrat proposé[23]. À titre d'exemple, il est courant d’enseigner qu’en expédiant les marchandises commandées, un commerçant manifeste tacitement son acceptation de l’offre d’achat qui lui a été adressée[24]. À l’égard de la convention d’honoraires, l’exécution du client peut être envisagée à partir de deux hypothèses. D’une part, lorsqu’à la suite d’un premier contact entre l’avocat et son client ce dernier transmet les pièces du dossier afin que l’avocat réalise son travail[25]. D’autre part, lorsque le client paye l’honoraire, étant précisé qu’il a été jugé qu’un paiement partiel d’honoraires accompagné d’une convention non signée ne permet pas de suppléer à l’écrit[26].

En l’absence de convention écrite, démontrer l’acceptation tacite d’une convention d’honoraires s’avère donc particulièrement ardu. Cependant, franchir cet obstacle ne met pas un terme aux difficultés rencontrées par l’avocat. Après avoir établi l’existence de la convention, il lui incombe d’en prouver le contenu.

II. La preuve du contenu de la convention d’honoraires

9.         Une fois l’existence de l’acte juridique établie, il reste à en déterminer le contenu. Il y a là un aspect central du litige car le contenu de la convention permettra de justifier du type d’honoraire facturé[27]. Or, sauf à ce que le client ait réglé un honoraire après service rendu, hypothèse sur laquelle nous reviendrons[28], en l’absence de preuve du contenu de la convention le juge autorisera uniquement l’avocat à réclamer un honoraire au titre des diligences utiles[29]. Ces honoraires seront déterminés sur la base des critères fournis par les articles 10, alinéa 4, de la loi du 31 décembre 1971, et 10, alinéa 3, du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, à savoir « selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci »[30].

10.       S’agissant de la preuve du contenu d’une convention d’honoraires, celle-ci n’est pas libre car la convention constitue un acte juridique. Si la Cour de cassation a, un temps, admis la preuve par tous moyens du contenu d’un acte juridique lorsque son existence n’était pas contestée[31]. Aujourd’hui, les juges privilégient la preuve écrite[32]. Les arguments sont nombreux pour défendre cette solution. Pour un auteur, l’application de l’article 1359 du Code civil se justifie dès lors que la contestation relative au contenu d’un contrat est « présentée comme une remise en question de l’existence même de l’engagement d’une partie, telle que l’obligation de payer un prix dont le montant est discuté » [33]

La nécessité d’un écrit est d’autant plus fondée que l’article 10, alinéa 1re du décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats impose à l’avocat d’informer « son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles et de l'ensemble des frais, débours et émoluments qu'il pourrait exposer. L'ensemble de ces informations figurent dans la convention d'honoraires conclue par l'avocat et son client »[34]. En application de ce texte, les modalités de détermination de l’honoraire doivent figurer dans un écrit accepté par le client, étant précisé qu’il s’agit là d’une obligation déontologique dont la violation constitue une faute. 

10.       En conséquence de ce qui vient d’être exposé, en l’absence de convention écrite expressément acceptée par le client, il est nécessaire de s'interroger sur les modes de preuves pouvant être employés. Au-delà de l’hypothèse déjà éprouvée d’un échange de courriers constitutif d’un commencement de preuve par écrit[35], il faut songer aux factures ayant fait l’objet d’un règlement par le client. 

Dans cette hypothèse, l’acceptation du contenu de la convention résulterait de son exécution par le client, c’est-à-dire du paiement des factures. À cet égard, une distinction s’impose. Soit les factures sont réglées après service rendu, soit elles ne le sont pas, étant précisé que le paiement de factures ne mentionnant pas les diligences accomplies ou ne respectant pas les exigences de l’article L. 441-9 du Code de commerce N° Lexbase : L0503LQP ne constitue pas un paiement d’honoraires effectué librement après service rendu[36].

Lorsque les factures sont payées après service rendu, il est de jurisprudence constante que la réduction des honoraires est impossible[37]. À rebours, si les factures ne sont pas payées après service rendu, la réduction des honoraires est possible. Dans ce cas, et en l’absence de convention écrite, le litige se cristallisera sur les modalités de détermination des honoraires, c’est-à-dire sur la preuve du contenu de la convention d’honoraires.

11.       En l’absence de convention écrite et lorsque les factures n'ont pas été réglées après service rendu, la preuve du contenu de la convention sera particulièrement complexe, car en l’état de la jurisprudence les factures seules ne suffiront pas[38]. Il sera nécessaire de présenter un autre écrit qui atteste de ce que le client avait accepté les modalités de détermination des honoraires. À défaut, la preuve du contenu de la convention ne pourra pas être apportée. Eu égard à ce qui vient d’être exposé, à l’exception d’un échange de courrier valant commencement de preuve par écrit, la preuve du contenu de la convention d’honoraires risque bien de s’avérer diabolique.

C’est pourquoi sommes-nous d’avis qu’en dehors des exceptions légales autorisant de passer outre la conclusion d’une convention d’honoraires formalisée dans un écrit dûment signé par le client, cette exigence ne doit jamais être négligée[39]. En pratique, la conclusion d’une convention d’honoraires écrite signée du client reste essentielle pour éviter un litige ultérieur.

 

[1] C. civ., art. 1113 N° Lexbase : L0841KZ8

[2] C. civ., art. 1172 N° Lexbase : L0890KZY.

[3] Pour une étude de qualité sur le sujet : M. Grimaldi, C. Gisberg, Negotium et instrumentum, RTD Civ., 2024 p.577.

[4] F. Chénedé, Y. Lequette, P. Simler, F. Terré, Droit civil - Les obligations, Précis, Dalloz, 2022, 13e éd., n°185 b).

[5] Y. Gaudement, A. Bénabent, Dictionnaire juridique 2025, LGDJ, V° « Contrat solennel ».

[6] Ceci sous réserve de la possible régularisation de l’instrument : C. civ., art. 1172, al. 2nd

[7] L. Grynbaum, Droit des activités numériques, Précis Dalloz, 2023, n°43 ; C. civ., 1367 N° Lexbase : L1033KZB. Pour les actes notariés, la signature du notaire peut établir le consentement des parties : M. Grimaldi, C. Gisberg, Negotium et instrumentum, RTD Civ., 2024 p. 577, n°6.

[8] V. aussi : Décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats, art. 10 N° Lexbase : L0651MIX.

[9] Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.913, n° 16/01653 N° Lexbase : A4379TC8 ; Cass. civ. 1, 19 mai 1999, n° 97-13.984 N° Lexbase : A1410CI3.

[10] Cass. civ. 2, 7 février 2019, n° 18-13.396, F-D N° Lexbase : A6149YWN ; Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-18.787, F-D N° Lexbase : A2890ZIU ; Cass. civ. 2, 21 novembre 2019, n° 17-26.856, F-D N° Lexbase : A4761Z3Q ; Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-19.709, F-P+B+I N° Lexbase : A9312XQX ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-20.115, F-D N° Lexbase : A92963DN ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-24.518, F-D N° Lexbase : A93293DU.

[11] C. civ., art. 1113.

[12] C. civ., art. 1985, al. 2nd N° Lexbase : L2208ABE.

[13] V. aussi : Décret du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats, article 10.

[14] Souligné par nos soins.

[15] C. civ., art. 1359 N° Lexbase : L1007KZC (La valeur de 1 500 euros visée par l’article résulte du décret n°80-533 du 15 juillet 1980 pris pour l'application de l'article 1341 du Code civil N° Lexbase : L0997KZX, art. 1, modifié par Décret n°2016-1278 du 29 septembre 2016 N° Lexbase : L3113LAK).

[16] Sous réserve des exceptions découlant des articles 1360 et suivant du Code civil.

[17] Cass. civ. 2, 17 janvier 2019, n° 18-10.198, F-P+B N° Lexbase : A6592YTC. L’échange de courriers a eu lieu le 10 février 2015, soit avant l’exigence d’une convention écrite issue de la loi du 6 août 2015.

[18] C. civ., art. 1362 N° Lexbase : L1004KZ9.

[19] C. civ., art. 1362.

[20] Dans un sens nettement critique : G. Lardeux, Rep. Civ., V° « Preuve : modes de preuve », octobre 2019, n°50.

[21] C. civ., art. 1120 N° Lexbase : L0834KZW.

[22] Cass. civ. 2, 24 mai 2018, n° 17-19.670, F-D N° Lexbase : A5313XPH. Plus généralement sur le silence : F. Chénedé, Y. Lequette, P. Simler, F. Terré, Droit civil - Les obligations, Précis, Dalloz, 2022, 13ème éd., n°186 et suivant.

[23] Pour l’exécution d’un mandat permettant d’en démontrer l’acceptation tacite : 

Cass. civ. 1, 24 novembre 1976, n° 75-11.696, publié N° Lexbase : A7143AGN.

[24] F. Chénedé, Y. Lequette, P. Simler, F. Terré, Droit civil - Les obligations, Précis, n°185, b).

[25] En ce sens, Cass. civ. 2, 7 janvier 2010, n° 08-18.890, FS-D N° Lexbase : A2106EQ3.

[26]  Cass. civ. 2, 9 févier 2023, n° 21-10.622, FS-B N° Lexbase : A44839CZ.

[27] Sur les différents types d’honoraires : J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio, K. Moya, Déontologie de la profession d'avocat, (dir. T. Revet), 8e éd., 2025, LGDJ-Lextenso, EFB, coll. « La bibliothèque de l’avocat », n°719 et s..

[28] Infra, n°11.

[29] Dans le cadre de sa mission de fixation des honoraires, le Bâtonnier, et sur recours, le premier président de la cour d’appel, peuvent refuser de prendre en compte les diligences manifestement inutiles de l’avocat : Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 15-26.683, F-D N° Lexbase : A3804SPL ; Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 14-10.787, FS-P+B N° Lexbase : A9378N3Q.

[30] Cass. civ. 2, 7 février 2019, n° 18-13.396, F-D N° Lexbase : A6149YWN ; Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-18.787, F-D N° Lexbase : A2890ZIU ; Cass. civ. 2, 21 novembre 2019, n° 17-26.856, F-D N° Lexbase : A4761Z3Q ; Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-19.709, F-P+B+I N° Lexbase : A9312XQX ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-20.115, F-D N° Lexbase : A92963DN ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-24.518, F-D N° Lexbase : A93293DU.

[31] Cass. civ. 3, 22 janvier 1970, n° 68-14155 N° Lexbase : A4937CIP ; Cass. civ. 3, 6 décembre 1977, n° 76-13.110, N° Lexbase : A3280AGL.

[32] Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.964, FS-P+B N° Lexbase : A2037DCG ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 04-15.314, F-P+B N° Lexbase : A9361DIK ; Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 11-10.130, F-D N° Lexbase : A3191IDK.

[33] G. Lardeux, Rep. Civ., V° « Preuve : modes de preuve », octobre 2019, n°53.

[34] Souligné par nos soins.

[35] Supra, n°7.

[36] Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.354, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7768WLB ; Cass. civ. 2, 21 avril 2022, n° 20-21.415, F-D N° Lexbase : A59537UZ. aussi, s’agissant de factures forfaitaires mensuelles : Cass. civ. 2, 4 avril 2024, n° 22-17.123, FS-B N° Lexbase : A63322ZK.

[37] Cass. civ. 2, 21 novembre 2019, n° 18-21.811, F-D N° Lexbase : A4778Z3D.

[38] Cass. civ. 2, 9 février 2023, n° 21-10.622, FS-B N° Lexbase : A44839CZ. V. aussi : CA Paris, 6 juillet 2020, n° 16-00338.

[39] Dans le même sens : S. Tandeau De Marsac, Gaz. Pal., 13 mars 2008, p. 7.

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Avocats/Institutions représentatives

[Jurisprudence] Le scrutin binominal paritaire aux élections aux conseils de l’Ordre des barreaux n’est pas contraire au principe d’égalité

Réf. : CA Grenoble, 18 juillet 2024, n° 23/04116 N° Lexbase : A93125SP

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N1115B3P

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par Delphine Tharaud, Professeure de droit privé Université de Limoges, OMIJ

Le 20 Décembre 2024

Mots-clés : Égalité • Égalité entre les femmes et les hommes • parité • mixité • discrimination directe (non) •  Discrimination positive • Proportionnalité

En tant que discrimination positive, n’a pas de caractère disproportionné au regard du principe d’égalité le mode de scrutin binominal paritaire aux élections des membres des conseils de l’Ordre, même s’il empêche la candidature de duos féminins dans une profession très féminisée.


Égalité de traitement entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations en raison du sexe, mixité, parité, représentation équilibrée sont autant de déclinaisons de l’idée d’une égalité dans les faits entre les femmes et les hommes. Le modèle simple d’une identité de traitement afin de garantir l’égalité est aujourd’hui devenu une solution parmi d’autres, même si elle reste le principe. L’égalité, devenue complexe et technique, nécessite une lecture fine de chaque dispositif mis en œuvre.

Depuis la difficile acceptation de la discrimination positive[1], pour laquelle une modification de la Constitution[2] a été nécessaire afin d’intégrer un alinéa au sein l’article 1er, les actions dédiées à une représentation paritaire des femmes et des hommes lors de différentes élections politiques et professionnelles, voire concernant les responsabilités professionnelles, se sont multipliées. La profession d’avocat ne fait pas exception à cette dynamique d’ensemble. Ainsi, aux termes de l’article 15 de la loi du 31 décembre 1971[3],  les élections au Conseil de l’Ordre de chaque barreau sont soumises à un scrutin binominal majoritaire à deux tours. Afin de répondre aux exigences paritaires, chaque duo doit présenter une personne de chaque sexe. 

En méconnaissance manifeste de cette règle, deux avocates se sont présentées ensemble aux élections au conseil de l’Ordre du barreau de Grenoble. Leur candidature jugée irrecevable, elles contestent la décision de refus émanant du conseil de l’Ordre devant la cour d’appel de Grenoble qui s’est prononcée le 18 juillet 2024[4]  en rejetant leur demande. Le refus de leur candidature n’étant qu’une application littérale des règles applicables en la matière, il fallait hisser le contentieux sur un plan plus élevé, autrement dit en agissant sur le contenu même de la règle appliquée et ses contradictions avec le principe d’égalité. Malgré la diversité des fondements nationaux et supranationaux mobilisés, la cour d’appel juge que le mode de scrutin respecte le principe d’égalité, ce qui la conduit à rejeter les prétentions des deux avocates. Le contentieux, selon ce qui ressort de la presse, avait surtout une visée stratégique[5], les candidates ayant voulu mettre en lumière l’injustice de la règle[6].

Pourtant, l’arrêt de la cour d’appel est intéressant à plusieurs titres. Tout d’abord, il permet de comprendre qu’un mode de scrutin imparfait sur le plan de l’égalité (I) peut cependant être validé tant qu’il s’agit d’une discrimination positive proportionnée (II).

I. Le scrutin binominal paritaire, un mode de scrutin imparfait sur le plan égalitaire

Il peut paraître paradoxal d’affirmer qu’un scrutin qui assure la parité n’est pas pour autant parfaitement égalitaire. Cette tension provient du fait que la parité électorale s’applique dans un contexte où il existe une forte féminisation de la profession. La mixité n’est ainsi pas prise en considération dans le dispositif paritaire (A). Pour autant, un tel mode de scrutin n’est pas, en tant que tel, contraire au principe d’égalité (B).

A. Le scrutin binominal, reflet de la parité, mais pas de la mixité professionnelle

La parité est dorénavant déclinée sous différentes formes selon le mode de scrutin concerné. Le législateur, dans le domaine des élections politiques, a envisagé la parité dans divers processus électoraux[7]. Ainsi, concernant les scrutins de liste, un nombre équivalent d’hommes et de femmes présents sur la liste des candidats avec une alternance de candidats de chaque sexe permet de réaliser la parité, autrement dit la présence égale de chaque sexe dans le panel de candidats conduit à la réalisation de l’égalité[8]. Concernant les scrutins uninominaux, l’individualisme de ce mode électoral fait remonter l’obligation paritaire au niveau des partis politiques[9]. Quant au scrutin binominal, la parité est assurée au sein de chaque candidature par la présence d’une personne de chaque sexe[10].

L’égalité est ici lue à un double niveau. Tout d’abord, la présence assurée de femmes dans les candidats. La parité est, à cette étape, un objectif aussi bien qu’un résultat réel atteint dans les faits[11]. Ensuite, concernant les personnes élues, le scrutin est censé assurer la présence d’un minimum de femmes victorieuses. À ce stade, la parité n’est plus qu’un objectif à atteindre qui ne se traduit pas nécessairement dans les faits, sauf scrutin binominal où, mécaniquement, il y a autant d’élus femmes qu’hommes. Les élections politiques se prêtent bien à ce cadre paritaire au sens où la population étant répartie à peu près pour moitié dans chaque sexe, la représentation politique de la société, quelle que soit son échelle, répond effectivement à cette répartition naturelle. 

Le cadre des fonctions professionnelles, autre sphère d’application de l’article 1er de la Constitution, répond moins bien à cette parité. En effet, le degré de mixité varie énormément selon des dynamiques sociales, elles-mêmes le produit de biais discriminatoires. Les parois de verre empêchent ainsi certains métiers ou certaines activités d’être réellement féminisés, tandis que d’autres le sont particulièrement[12]. La profession d’avocat entre dans cette deuxième catégorie.

Afin de s’adapter à cette réalité de départ, les règles paritaires peuvent se transformer en règles de représentation équilibrée. C’est le cas dans les élections professionnelles où les listes de candidats doivent refléter le taux de mixité du collège électoral[13]. Ainsi, si l’alternance entre chaque sexe reste de mise, elle doit être réalisée jusqu’à épuisement du sexe le moins représenté.

Or, c’est le point central de l’action menée par les candidates malheureuses, ce type d’aménagement n’est pas présent dans le cas des élections aux conseils de l’Ordre. Le mode de scrutin binominal paritaire, qui dans le contexte des élections politiques produit une égalité des chances et de résultat, se révèle inadapté dans le contexte professionnel. La composition de duos présentant un candidat de chaque sexe répond bien à la parité, des candidats et des élus, mais rend impossible l’adaptation que l’on rencontre dans un scrutin de liste où la composition de la candidature est le reflet de la mixité de la profession ou du collège électoral concerné. Le scrutin binominal oblige à la binarité : soit la candidature est paritaire, soit elle est non mixte en présentant uniquement des candidats d’un même sexe. 

Les appelantes font donc valoir la nécessité d’une mise à l’écart de cette règle et d’un changement de mode de scrutin, en accord d’ailleurs avec une proposition du Conseil National des Barreaux[14], et mettent pour cela en lumière le mode de scrutin pour les élections à ce dernier qui inclut des sièges réservés selon le sexe. Cependant, nous soulignerons que ce mode d’élection ne parvient pas à créer un miroir de la mixité de la profession, la répartition des sièges étant purement paritaire.

Quoi qu’il en soit, cette imperfection conduit le juge à devoir trancher la conformité de ce type de dispositif avec les principes d’égalité et de non-discrimination.

B. La conformité du scrutin binominal paritaire avec les principes d’égalité et de non-discrimination

En élevant le contentieux au niveau du mode de scrutin utilisé sans discuter de son interprétation par le conseil de l’Ordre, les prétentions des avocates posent la question de la conformité de la règle au principe d’égalité. Pour cela, elles ont choisi de s’appuyer sur le droit interne, avec le bloc de constitutionnalité, et sur le droit européen protecteur des droits de l’Homme par la mobilisation du droit de l’Union et de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le premier inclut des directives sur les discriminations[15], supports d’une demande de question préjudicielle, et l’article 21 de la Charte des Droits fondamentaux N° Lexbase : L8117ANX. Quant à la CESDH, sont mobilisés l’article 14 N° Lexbase : L4747AQU et le protocole n° 12. Il faut immédiatement préciser, même si cela n’est pas souligné par la cour d’appel, que le texte additionnel à la Convention ne constituait pas un fondement recevable faute d’avoir été signé par la France.

Concernant l’assise constitutionnelle, comme indiqué par le conseil de l’Ordre, partie au procès, elle ne devrait pas être analysée par la cour d’appel. En effet, la constitutionnalité d’une disposition législative reste de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel et les appelantes auraient dû présenter, par voie incidente, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) afin de voir leurs prétentions tranchées sur ce fondement. Cependant, la cour d’appel accepte de répondre sans discuter de ses prérogatives et va, en toute logique, assoir son propos sur des décisions du Conseil constitutionnel rendues sur des modes de scrutin identiques[16] ou montrant une logique paritaire similaire[17]. Elle estime alors que le scrutin binominal est conforme à la Constitution. En effet, l’article 1er de celle-ci affirme la possibilité pour le législateur de mettre en place des actions permettant de progresser vers l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. L’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 N° Lexbase : L6821BH4, également cité, laisse entrevoir cette dynamique égalitaire en indiquant que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».

Reste donc à explorer la voie européenne. Concernant l’application du droit de l’Union, les juges grenoblois estiment que le renvoi préjudiciel demandé par les avocates n’a pas à être transmis, la CJUE ayant déjà tranché, selon eux, le sort de ce type d’action.

Ne subsiste donc que l’appui de la Convention européenne des droits de l’Homme. Mais sur ce point comme finalement sur les autres, ce n’est pas le principe même des actions paritaires qui est finalement mis en jeu, l’article 14 permettant des différences de traitement, mais son caractère proportionné.

II. Le scrutin binominal paritaire, une discrimination positive proportionnée

Le mode de scrutin mis en place dans les élections au sein des Conseils de l’Ordre répond à un objectif de réalisation de l’égalité dans les faits. Cette discrimination positive est donc à replacer au sein des actions de lutte contre les discriminations (A), pour lesquelles l’analyse se concentre sur la proportionnalité de la mesure (B).

A. Une action de lutte contre les discriminations

La cour d’appel de Grenoble affirme avec force que le mode de scrutin binominal paritaire relève d’une « discrimination positive ». L’emploi de cette expression, rare de la part des juridictions françaises[18], oblige à reprendre l’ensemble du mécanisme égalitaire pour comprendre l’analyse qui est effectuée.

Tout d’abord, l’égalité est avant tout formelle. Elle suppose alors que toutes les situations soient traitées de la même manière. Cette forme d’égalité est celle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen en son article 1er. Ensuite, dans un élan matériel et concret, et seulement à titre dérogatoire comme rappelé par les juges grenoblois, le droit français accepte que le législateur puisse, et non doive, traiter des situations différentes de manière différente[19].

Les discriminations positives entrent dans ce champ dérogatoire car ce sont des mesures qui visent à introduire une différence de traitement en raison de la différence de situations existant entre une catégorie discriminée et une catégorie non discriminée[20]. Cette différence constatée est le produit d’ « inégalités de faits[21] » et répond aux « réalités de la vie sociale[22] ». Elles sont possibles[23] et sont même particulièrement envisagées concernant l’égalité entre les femmes et les hommes par l’intermédiaire de l’article 1er de la Constitution de 1958 N° Lexbase : L7403HHN. C’est la raison pour laquelle c’est ce texte qui est au cœur des fondements utilisés par les appelantes et non l’article 1er de la DDHC N° Lexbase : L1365A9G.

Il faut dès lors envisager la nette distinction à faire entre les discriminations négatives directes, qui constituent une rupture de l’égalité formelle et réelle, et les discriminations positives, qui rompent de manière justifiée avec l’égalité formelle pour parvenir à une égalité réelle. Le scrutin binominal paritaire entre dans la deuxième catégorie.

Sur le plan supranational, si l’on en croit la cour d’appel, les appelantes auraient indiqué que la discrimination positive serait « inconventionnelle par principe ». Or, comme les juges d’appel l’indiquent, ce n’est pas le cas. La CEDH est d’ailleurs plus ouverte que le droit national en accueillant facilement les différences de traitement qu’elle peut faire reposer sur les obligations positives de l’État[24]. L’égalité a alors une double facette : le traitement identique de situations semblables et le traitement différent de situations différentes[25]. Il est regrettable de ce point de vue que la cour d’appel ne cite pas uniquement des jurisprudences strasbourgeoises spécifiquement dédiées aux discriminations positives[26] qui constituent des différences de traitement spécifiques et dont la proportionnalité obéit à un régime propre. Car il s’agit bien de l’enjeu central de la décision.

Si la question de la proportionnalité de la mesure est essentielle, son traitement par les appelantes et la cour reste relativement nébuleux. Pour commencer, les demandeuses s’appuient sur le fait qu’elles sont victimes d’une discrimination directe et non d’une discrimination indirecte. Selon elle, jurisprudence de la CJUE à l’appui, cette forme de discrimination neutralise toute analyse de sa proportionnalité. Il y a dans leur argumentation une double contradiction. En premier lieu, la rédaction de leur question préjudicielle fait apparaitre l’idée d’ « effet » de la mesure en termes discriminatoires. Cette logique se retrouve habituellement pour les discriminations indirectes dont la lecture relève essentiellement d’éléments factuels, peu important la volonté de l’auteur de la discrimination[27]. Dès lors, la proportionnalité est bien sous-jacente à cette demande. En second lieu, la proportionnalité se retrouve plus loin lorsqu’elles évoquent le fait que le mode de scrutin « ne répond pas aux critères de proportionnalité » afin de démontrer l’existence d’une discrimination liée au sexe et sur les opinions politiques. En effet, l’irrecevabilité de leur candidature restreint de fait l’offre politique et les empêche d’exprimer leurs positions[28]

Cependant, peu importe finalement le caractère direct ou indirect de la discrimination puisque la mesure contestée relève d’une discrimination positive. Dans ce cadre, l’analyse de la proportionnalité doit être effectuée selon des considérations propres à ce type d’action.

La proportionnalité est avant tout envisagée sur le plan quantitatif[29]. Il s’agit de rétablir une égalité dans les faits qui est actuellement absente, sans pour autant basculer dans une forme inverse de discrimination négative en excluant de manière non justifiée des personnes issues de la catégorie non discriminée. Ainsi, la plupart des actions en justice sur les discriminations positives en faveur des femmes sont portées par des hommes qui s’estiment injustement exclus[30]. Il est dommage que la cour d’appel de Grenoble ne se soit pas véritablement attachée à établir l’équilibre entre les deux sexes réalisé, ou non, par le mode de scrutin. En effet, elle se contente d’identifier les modulations apportées par la législation concernant les petits barreaux avec la mise en place d’un scrutin uninominal afin de pallier les difficultés pratiques pour trouver des candidats hommes. Mais le barreau de Grenoble n’est pas concerné. Elle poursuit la même logique pratique en indiquant que d’autres barreaux sont moins féminisés que celui de Grenoble, sous-endentant par là qu’il y a moins de difficultés pour trouver des avocats désirant se présenter aux élections du conseil de l’Ordre. Ces éléments ne fournissent aucune indication sur les effets réels du mode de scrutin.

Pour lire véritablement la proportionnalité quantitative de la discrimination positive, il aurait fallu revenir au moteur de l’action en justice. De manière inhabituelle, l’action est portée par des femmes qui se plaignent bien d’une forme d’exclusion qui leur est faite : cette règle binominale paritaire entrave la recevabilité de leur candidature purement féminine. 

Cette excentricité judiciaire s’explique par le fait que, contrairement à des hommes, elles ne contestent pas le trop de l’action, mais le trop peu. Elles auraient voulu que leur candidature soit recevable, et même « prioritaire », dans le contexte d’une profession majoritairement exercée par des femmes. Il aurait donc fallu faire plus. Or, l’efficacité restreinte d’une discrimination positive ne peut jouer contre elle puisqu’elle a pour but d’éliminer ou simplement de réduire les inégalités de fait [31].

C’est bien de cela dont il s’agit. En effet, il est intéressant de comparer la parité parfaite au sein des conseils de l’Ordre avec les résultats obtenus aux élections des bâtonniers où aucune discrimination positive n’existe. Alors que le panel d’électeurs est le même, les bâtonniers restent majoritairement des hommes (à plus de 57 %[32]). Autrement dit, même imparfaite, la discrimination positive appliquée aux élections aux conseil de l’Ordre semble réduire factuellement les inégalités dans les résultats aux élections.

Cela prouve également que la mesure est bien une discrimination positive au bénéfice des femmes : même dans une profession fortement féminisée, les résultats d’élections sans attention portée à l’égalité risquent de rester au bénéfice des hommes.

A retenir : 

  • Le principe du scrutin binominal paritaire appliqué aux élections aux Conseils de l’Ordre n’est pas contraire au principe d’égalité français et est conforme aux textes européens garantissant celui-ci.
  • Ce mode de scrutin constitue une discrimination positive qui, même si elle ne permet pas de refléter la composition du corps électoral, n’a pas de caractère disproportionné.
 
 

[1] Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé les actions de discrimination positives (Cons. const., Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999 N° Lexbase : A8778AC4 ; Cons. const., décision n° 2001-445 DC, du 19 juin 2001 N° Lexbase : A5371AT4 et Cons. const., décision n° 2006-533 DC, du 16 mars 2006 N° Lexbase : A5902DNW), avant que  leur principe ne soit explicitement inscrit dans la Constitution (Réforme constitutionnelle du 8 juillet 1999) et a fait preuve par la suite d’une lecture réductrice en cantonnant cette possibilité à la liste des exemples donnés par la Constitution (pour les élections professionnelles avant leur intégration au sein de l’article 1er de la Constitution : CC, 16 mars 2006, préc.).

[2] Une première fois en identifiant uniquement les élections politiques et en l’intégrant dans la Constitution par son article 3 (Réforme constitutionnelle du 8 juillet 1999) ; la deuxième en élargissant l’assiette de la discrimination positive aux élections et responsabilités professionnelles et en faisant glisser cette affirmation de l’article 3 à l’article 1er de la Constitution (Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008).

[3] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ.

[4] CA Grenoble, 18 juillet 2024, n° 23/04116.

[5] Au sens où il permet de médiatiser une problématique sans nécessairement l’espoir que le contentieux aboutisse positivement sur le plan judiciaire. Sur cette notion : C. Boyer-Capelle et E. Chevalier (Dir.), Contentieux stratégiques, LexisNexis, 2021. 

[6] Ainsi, ont-elles déclaré que leur candidature répondait à un « un geste militant, pour dénoncer le côté absurde de cette règle » [en ligne] https://mesinfos.fr/38000-grenoble/grenoble-deux-avocates-deboutees-apres-avoir-denonce-un-systeme-electoral-discriminatoire-202842.html

[7] Pour la première : Loi n° 2000-493 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives N° Lexbase : L0458AIS.

[8] C’est le cas pour les élections municipales.

[9] Par exemple, chaque parti politique doit présenter un nombre égal de candidats et de candidates aux élections législatives.

[10] C’est le cas pour les élections départementales.

[11] A moins, comme c’est souvent le cas, que les partis politiques ne respectent pas cette obligation. Ils sont alors soumis à des pénalités financières.

[12] Comme les professions relevant du care par exemple.

[13] Loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi N° Lexbase : L2618KG3.

[14] Résolution adoptée en assemblée générale du CNB le 9 octobre 2020.

[15] Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité des chances et de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (N° Lexbase : L4210HK7 ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4.

[16] Cons. const., décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 N° Lexbase : A4405KDI.

[17] Cons. const., décision n° 2017-686 QPC du 19 janvier 2018 N° Lexbase : A8637XA7 à propos des élections professionnelles.

[18] Qui plus est lorsque le droit de l’Union est mobilisé car celui-ci préfère identifier des « actions positives »

[19] Cons. const., décision n° 2003-487 DC, du 18 décembre 2003 N° Lexbase : A5371DA8.

[20] Sur ce point : G. Calvès, La discrimination positive, PUF, Coll. Que sais-je ?, 2024 ; D. Tharaud, Contribution à une théorie générale des discriminations positives, PUAM, 2013.

[21] CEDH, 6 juillet 2005, Req.  65731/01, Stec et autres c. Royaume-Uni N° Lexbase : A4356KLW.

[22] CJUE, 30 septembre 2010, aff. C-104/09, Roca Alvarez N° Lexbase : A6577GAT.

[23] Exception faite des motifs de la race, de la religion et de l’origine pour lesquels l’art. 1er de la Constitution prohibe toute « distinction ».

[24] CEDH, 6 avril 2000, Req. n° 34369/97 (N° Lexbase : A7586AWU.

[25] Id.

[26] Ainsi, l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (CEDH, 28 mai 1985, n° 9214/80) traite d’une discrimination négative subie par les femmes.

[27] M.-T. Lanquetin, Discrimination – Construction du droit de la non-discrimination, Répertoire de droit du travail, Dalloz, 2024.

[28] Cependant, cette discrimination n’est que la conséquence des règles relatives au sexe, elle n’a donc pas de caractère direct. Et la Cour de cassation a déjà pu trancher concernant les élections professionnelles que ce type de conditions liées à l’égalité des sexes n’induit pas une atteinte à la liberté syndicale. Le parallèle peut être fait avec la discrimination relative aux opinions politiques : Cass. soc. 13 février 2019, n° 18-17.042, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8601YWH.

[29] Ce qui peut être critiqué car le caractère adéquat de la mesure afin de parvenir à une égalité concrète est un élément essentiel de l’efficacité égalitaire de la norme. Pour un exemple d’absence regrettable de prise en compte de ce caractère adéquat : Cass. soc., 12 juillet 2017, n° 15-26.262, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6549WMI, obs. M. Peyronnet, Congé pour le 8 mars : l’art non maîtrisé de la “discrimination positive”, D. actu, 17 juillet 2017.

[30] Pour les premières affaires : CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93 N° Lexbase : A7261AHE ; CJCE, 11 novembre 1997, C-409/95 (N° Lexbase : A0325AWX.

[31] CJUE, 30 septembre 2010, Roca Alvarez, préc..

[32] Selon un décompte réalisé le 26 novembre 2024 à partir des données disponibles sur le site internet de la Conférence des Bâtonniers.

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Avocats/Procédure

[Brèves] Non-renvoi d'une QPC portant sur l'inapplicabilité des règles de la postulation devant le tribunal de commerce

Réf. : Cass. civ. 2, 14 novembre 2024, n° 24-14.167, FS-B, QPC N° Lexbase : A54456GR

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N1013B3W

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par Marie Le Guerroué

Le 20 Novembre 2024

► Les dispositions permettant à un justiciable d'être représenté devant la cour d'appel par le même auxiliaire de justice que devant le tribunal judiciaire, devant lequel s'appliquent les règles de la postulation obligatoire territorialement limitée, tandis que les règles de la postulation ne s'appliquent pas devant le tribunal de commerce, devant lequel les parties peuvent se faire représenter par tout avocat ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la justice.

Faits et procédure. Une justiciable a assigné une société devant un juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre et a comparu par une avocate inscrite au barreau de Paris. Elle a relevé appel de l'ordonnance rendue le 27 juin 2023, par déclaration du même jour et l'intimée a soulevé devant la cour d'appel la nullité de cette déclaration, pour avoir été formée par une avocate inscrite au barreau de Paris en méconnaissance des articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ.
QPC. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 29 février 2024 par la cour d'appel de Versailles, la justiciable a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L'article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est-il contraire aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789  N° Lexbase : L1372A9P en ce qu'il résulte de ce texte que les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal judiciaire de Nanterre, mais pas quand ils ont officié au titre de la représentation obligatoire devant le tribunal de commerce de Nanterre ? ».
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité. La Cour précise que la question n’est pas nouvelle et les raisons pour lesquelles la question n’est pas sérieuse. Selon l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifié par l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 N° Lexbase : L4046LSN, les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article 4. Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel. Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l'aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie. Ainsi, l'article 5 institue un principe de représentation obligatoire devant les tribunaux judiciaires et un monopole de représentation par les avocats, auquel s'attache, sauf exceptions, la postulation territoriale dans les limites du ressort de la cour d'appel dans lequel est établie leur résidence professionnelle. Par dérogation à cette postulation ainsi délimitée, la disposition contestée de l'article 5-1, dans un objectif de bonne administration de la justice et de simplification de la procédure, permet aux avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre de postuler auprès de chacune de ces juridictions, et, s'ils ont postulé auprès de l'un des trois premiers de ces tribunaux judiciaire, devant la cour d'appel de Paris, ou auprès du dernier, devant la cour d'appel de Versailles. Or, devant le tribunal de commerce, il résulte de l'article 853 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5414L8Z, modifié par le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 N° Lexbase : L4794L83 que si les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat, notamment dans les contentieux à valeur supérieure à la somme de 10 000 euros, les règles relatives à la territorialité de la postulation n'ont pas vocation à s'appliquer, l'article 5 ne visant que les tribunaux judiciaires. Ainsi, les dispositions contestées permettent-elles à un justiciable d'être représenté devant la cour d'appel par le même auxiliaire de justice que devant le tribunal judiciaire, devant lequel s'appliquent les règles de la postulation obligatoire territorialement limitée, tandis que les règles de la postulation ne s'appliquent pas devant le tribunal de commerce, devant lequel les parties peuvent se faire représenter par tout avocat.
Pour les juges du droit, la différence de situation justifie la différence de traitement, sans que la disposition contestée porte atteinte au principe d'égalité devant la justice.
Par ailleurs, précise la Cour, la disposition contestée permet de simplifier les règles de postulation devant les tribunaux judiciaires concernés, et devant les cours d'appel de Paris et Versailles, sans affecter les conditions d'accès au service public de la justice, ni l'objectif de bonne administration de la justice.
Non-renvoi. La Cour de cassation estime donc qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

 

newsid:491013

Avocats/Procédure pénale

[Brèves] Perquisition sur le fondement de l’article 56-1-1 CPP : un autocollant « confidentiel communications avocat client » ne suffit pas

Réf. : Cass. crim., 13 novembre 2024, n° 24-82.222, F-B N° Lexbase : A30496GZ

Lecture: 4 min

N1023B3B

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par Marie Le Guerroué

Le 05 Décembre 2024

► La procédure prévue à l'article 56-1-1 du Code de procédure pénale, relative à la saisie, réalisée lors d'une perquisition dans un lieu autre que ceux mentionnés à l'article 56-1 dudit code, de documents ou objets susceptibles de relever de l'exercice des droits de la défense et d'être couverts par le secret de la défense et du conseil prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, n'est applicable qu'en cas de découverte d'un tel objet ou document.

Faits et procédure. Un mis en examen avait déposé une requête en annulation de la perquisition et des saisies réalisées à son domicile. Il a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris qui, dans l'information suivie contre lui, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Sur le premier moyen. La Cour de cassation précise d’abord que le grief pris du refus de mise en œuvre de la procédure de l’article 56-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1315MAX, qui ne trouve son fondement que dans la saisie, n'est pas de nature à entraîner la nullité de la perquisition elle-même, par ailleurs exempte de critique. 

Sur le second moyen/En cause d’appel. Pour rejeter le moyen de nullité de la saisie du disque dur, l'arrêt attaqué énonce que l'article 56-1-1 du Code de procédure pénale est applicable en cas de découverte d'un document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : Z80802KZ. Les juges constatent que, selon les mentions du procès-verbal de perquisition, il n'a pas été découvert un tel document, dès lors qu'est apparue une page vide quand le requérant a inscrit son mot de passe. Ils ajoutent que le seul fait d'avoir apposé, sur ce disque dur, un autocollant « confidentiel communications avocat client » n'est pas de nature à induire la mise en œuvre des dispositions de l'article 56-1-1 du code précité.

Sur le second moyen/Réponse de la Cour. Dès lors, pour la Chambre criminelle, en statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen. En effet, conformément à la lettre de l'article 56-1-1 du Code de procédure pénale, la procédure de saisie spécifique aux documents et objets susceptibles de relever de l'exercice des droits de la défense et d'être couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil est applicable en cas de découverte d'un tel document ou objet. Il en résulte que le droit de la personne concernée de s'opposer à la saisie et l'obligation subséquente qui pèse sur la personne procédant à cette saisie de placer le document ou l'objet sous scellé fermé en vue de sa transmission au juge des libertés et de la détention, compétent pour statuer sur la contestation, ne sont constitués qu'une fois découvert un tel document ou objet.

Tel n'était pas le cas en l'espèce, la tentative de l'officier de police judiciaire, qui dispose du droit, lors de la perquisition, de prendre connaissance des documents et données informatiques avant de procéder à leur saisie, de lire le contenu du disque dur litigieux ayant échoué, et le seul fait que cet objet soit étiqueté comme contenant des communications entre le requérant et son avocat ne suffisant pas à entraîner la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 56-1-1. Il s'ensuit qu'en l'absence de découverte d'élément pouvant être couvert par le secret, l'opposition du requérant à la saisie ne pouvait ainsi, à elle seule, entraîner l'obligation, pour l'officier de police judiciaire, de placer l'objet sous scellé fermé en vue de sa transmission au juge des libertés et de la détention.

Cassation. La Chambre criminelle écarte donc les deux moyens.

newsid:491023

Avocats/Procédure pénale

[Brèves] Droit de reproduction des pièces du dossier : le CNB soutient une proposition de loi et revendique une modernisation de la communication électronique pénale

Réf. : CNB, AG, Communiqué, 15 novembre 2024

Lecture: 2 min

N1029B3I

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par Marie Le Guerroué

Le 26 Novembre 2024

► Lors de son assemblée générale du 15 novembre 2024, le CNB a soutenu la proposition de loi visant à réintroduire dans le Code de procédure pénale un droit explicite de reproduction des pièces du dossier pour les avocats et a insisté sur la nécessité de mettre en place un système de communication électronique généralisé pour l’ensemble de la procédure pénale.

Rappel. Le décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 N° Lexbase : L3646MCZ avait permis aux avocats de reproduire des pièces des dossiers pénaux (v. M. Le Guerroué, Consultation du dossier pénal : les avocats vont pouvoir (officiellement) le photographier !, Lexbase Avocats, mai 2022, n° 903 N° Lexbase : N1171BZE). L’article 10 du décret autorisant cette reproduction avait toutefois été annulé par le Conseil d’État en juillet dernier (CE, 5e-6e ch. réunies, 24 juillet 2024, n° 464641 N° Lexbase : A53675TX).

Proposition de loi. Le sénateur Francis Szpiner avait, par la suite, déposé en octobre 2024 une proposition de loi pour réintroduire dans le Code de procédure pénale un droit explicite de reproduction des pièces du dossier pour les avocats. Le texte propose l'insertion d'un nouvel article 230-54 dans le Code de procédure pénale, permettant aux avocats de copier les pièces des dossiers pour leur usage professionnel. 

Proposition du CNB. Le CNB soutient cette initiative et propose d’en simplifier la rédaction pour éviter des erreurs futures qui seraient engendrées par des réformes successives. Il recommande également de repenser l’emplacement de cet article dans le Code de procédure pénale pour une meilleure clarté et accessibilité.

Le CNB plaide également pour la suppression de la dichotomie entre « consultation » et « copie », en faveur d’un droit inconditionnel pour les avocats de recevoir la copie complète et actualisée des dossiers, condition essentielle pour une défense de qualité.

Communication électronique pénale. Le CNB insiste enfin sur la nécessité de mettre en place un système de communication électronique généralisé pour l’ensemble de la procédure pénale pour que les échanges entre avocats et juridictions se fassent de manière totalement dématérialisée. L'institution recommande, à cette fin, d’amender les articles du Code de procédure pénale relatifs à la communication avec les avocats. 

newsid:491029

Avocats/Périmètre du droit

[Brèves] La fonction de référent déontologue de l'élu local ne contrevient pas au périmètre du droit

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 23 octobre 2024, n° 474661, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A81796BK

Lecture: 2 min

N1026B3E

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par Marie Le Guerroué

Le 13 Janvier 2025

► La création du référent déontologue de l'élu local répond à une visée préventive d'aide et d'accompagnement des élus locaux dans l'application et le respect des principes déontologiques fixés par la charte de l'élu local, le législateur, en créant un régime propre au référent déontologue, n'a pas entendu soumettre ce dernier, dans son domaine de compétence, aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971.

 

Faits et procédure. Le demandeur au pourvoi avait saisi la Première ministre, le 30 janvier 2023, d'un recours gracieux tendant au retrait du décret du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l'élu local N° Lexbase : L0502MGP. Il demandait au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision de refus implicite de la Première Ministre de faire droit à sa demande ainsi que l'annulation de ce décret.

Rappel. Le décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l'élu local permet aux personnes désignées pour remplir la fonction de délivrer des consultations juridiques sans remplir les conditions requises pour cela par les dispositions des articles 54 et 55 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ

Réponse du CE. La création du référent déontologue de l'élu local répond à une visée préventive d'aide et d'accompagnement des élus locaux dans l'application et le respect des principes déontologiques fixés par la charte de l'élu local, le législateur, en créant un régime propre au référent déontologue, n'a pas entendu soumettre ce dernier, dans son domaine de compétence, aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971. Le demandeur n'est donc, pour le Conseil d'État, pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait illégal.

 

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Avocats/Structure d'exercice

[Le point sur...] Quel avenir pour les sociétés commerciales d’avocats ?

Lecture: 7 min

N1133B3D

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par Jean-Jacques Daigre, Professeur émérite de l’Ecole de droit de La Sorbonne, Avocat et Vincent Maurel, Avocat associé, Ancien Bâtonnier du Barreau des Hauts-de-Seine, Membre du CNB, KPMG Avocats.

Le 12 Décembre 2024

Mots-clés : avocats • sociétés commerciales • SCP • SEL • ordonnance du 8 février 2023

 

Jean-Jacques Daigre, Professeur émérite de l’Ecole de droit de La Sorbonne, Avocat et Vincent Maurel, Avocat associé, Ancien Bâtonnier du Barreau des Hauts-de-Seine, Membre du CNB s'interrogent dans cet article sur l'avenir des sociétés commerciales d'avocats à la suite de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées.


 

Des avocats longtemps rétifs à l’exercice en groupe

Diverses professions libérales pouvaient être exercées depuis longtemps sous forme de sociétés commerciales, ce qui relevait en général de leur histoire, en particulier celles d’experts-comptables[1], de commissaires aux comptes[2], de pharmaciens[3], de géomètres-experts[4], d’architectes[5], de conseils en propriété industrielle[6], d’agent d’assurance[7]. Mais ces situations étaient considérées comme des exceptions, voire des anomalies par les tenants d’une conception radicale de la profession libérale, dont les avocats au premier chef, conception qui reposait en particulier sur le principe du désintéressement, principe qui s’opposait à toute proximité avec les activités commerciales[8].

Les avocats, qui se sont traditionnellement vécus comme le modèle de la profession libérale, s’interdirent même longtemps toute forme d’exercice en groupe au nom d’un autre principe, celui du lien personnel avec le client. Ils n'ont accepté qu'une première brèche qu’en 1954, en permettant la création de prétendues “associations”, qui étaient et sont en réalité des sociétés non immatriculées[9] mais cela préservait les apparences. Ils n’ont officiellement admis la constitution de sociétés entre eux qu’en 1966, par l’adoption d’une forme spécifique, la société civile professionnelle[10]. Ce type particulier était ouvert à toutes les professions libérales réglementées, pourvu qu’un décret le permette et en précise les modalités. La SCP était et reste, car elle a survécu, une société de personnes de nature civile, dans laquelle les associés sont tous des professionnels actifs personnellement responsables de leurs actes. C’est une société dont l’objet n’est pas fondamentalement la recherche de bénéfices, mais l’exercice en commun de la profession.

L’introduction par étape des formes commerciales classiques : des SEL aux sociétés commerciales de droit commun

L’évolution des conditions d’activité de différentes professions libérales les a peu à peu conduites à rechercher les avantages des sociétés commerciales, en particulier pour financer des investissements de plus en plus lourds pour certaines. Pour les avocats, le déclencheur en vint de leur fusion avec les conseils juridiques en 1990, ces derniers en ayant conditionné le principe à la possibilité de pouvoir continuer d’exercer leur activité au sein de sociétés de capitaux, outre le salariat. Aussi, les professions qui, traditionnellement, ne pouvaient pas constituer des sociétés commerciales classiques ont obtenu du législateur la création en 1990 d’un nouveau type particulier de société, les sociétés d’exercice libéral, qui se présentaient comme des sociétés spécifiques respectant les canons fondamentaux de la profession libérale, tout en empruntant le moule des SARL, SA, SCA et SAS. Puis, dans un second temps, sous l’impulsion d’un ministre volontaire, une loi du 6 août 2015 est venue imposer aux plus réticentes, dont les professions juridiques et judiciaires et donc d’avocat, la possibilité de constituer également des sociétés commerciales de droit commun, avec quelques aménagements, mais à l’exception des formes qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant (sociétés en nom collectif et en commandite)[11].

Les sociétés de professions libérales réglementées de l’ordonnance du 8 février 2023

Tout cela devenait peu lisible et inutilement compliqué. Aussi, une ordonnance du 8 février 2013[12] a-t-elle pris soin de réformer l’ensemble du droit des sociétés des professions libérales réglementées. À cette occasion a été officialisée une distinction, qu’il faut avoir à l’esprit : toutes les activités libérales ne sont pas organisées et s’en dégage un groupe particulier, celles qui sont aujourd’hui officiellement dénommées « professions libérales réglementées ». Les critères en sont donnés par l’ordonnance : “personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées”[13]. Comme dans la loi sur les SEL, elles sont classées en trois grandes familles : les professions de santé, les professions juridiques et judiciaires et les professions techniques et du cadre de vie ; les premières sont celles relevant du Code de la santé publique, les deuxièmes celles prévues par décret, dont les avocats, et les dernières constituent une catégorie ouverte, même si plusieurs d’entre elles sont connues depuis longtemps, par exemple celles d’expert-comptable, de commissaire aux comptes ou de conseil en propriété industrielle. Ce sont toutes ces professions qui ont vu le régime de leurs sociétés spécifiques modernisé par l’ordonnance de 2023. Ce texte est un véritable code des sociétés des professions libérales réglementées. 

Que deviennent les sociétés commerciales de droit commun ?

Existe-t-il encore de la place pour les sociétés commerciales du Code de commerce, que des textes professionnels particuliers admettaient traditionnellement pour certaines professions ou que la loi "Macron" avait autorisée aux autres, aux avocats en particulier ? Précisément, ces professions peuvent-elles encore constituer des SARL, des SA et des SAS ou doivent-elles désormais se limiter aux seules SELARL, SELAFA, SELCA ou SELAS ? L’ordonnance règle la question selon une distinction fondamentale.

De la survie purement formelle des sociétés commerciales de droit commun pour les professions juridiques et judiciaires, en particulier pour les avocats

L’article 41 indique de manière générale que les dispositions relatives aux SEL « ne font pas obstacle à l’exercice des professions libérales réglementées en société selon les modalités prévues par des textes particuliers à chacune d’elles ». C’est ce que continue de permettre pour les avocats l’article 8 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée. Mais l’article 132 de l’ordonnance impose un régime particulier aux sociétés de droit commun des avocats, avocats aux conseils, administrateurs et mandataires judiciaires : elles sont également soumises aux dispositions relatives aux SEL, à l’exception de l’obligation de les dénommer « SEL ». Autrement dit, l’enveloppe est celle d’une société de droit commercial de droit commun, mais le contenu celui des SEL. Et cela vaut pour le passé - les sociétés existantes doivent se mettre en conformité - et pour l’avenir.

De la survie substantielle des sociétés commerciales de droit commun pour d’autres professions libérales réglementées

En revanche, les sociétés commerciales de droit commun autorisées pour d’autres professions libérales réglementées, comme certaines professions de santé (par exemple les pharmaciens) ou certaines professions techniques (experts-comptables et commissaires aux comptes entre autres), continuent d’obéir aux règles du Code de commerce, sous réserve de quelques aménagements que précise leur réglementation professionnelle.

Entrée en vigueur

Selon l’article 134 de l’ordonnance du 8 février 2023, les dispositions nouvelles sont entrées en vigueur le 1er septembre 2024 et les sociétés existantes disposent d’un an pour se mettre en conformité, soit jusqu’au 1er septembre 2025, en particulier s'agissant de la répartition du capital et des droits de vote et de la composition des organes dirigeants.

Mais quel sera le sort des sociétés qui ne se seront pas mises en harmonie à cette date ? Pourront-elles invoquer l’article 53 de l’ordonnance qui prévoit qu’à défaut tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société, que le tribunal peut accorder un délai maximal de six mois pour régulariser et que la dissolution ne peut être prononcée si, au jour où il statue sur le fond, la régularisation a eu lieu ? Ce serait logique, mais rien n’est malheureusement sûr, car ce texte n’est édicté que pour la mise en harmonie interne des statuts des sociétés revêtant la forme de SEL, non pour celles ayant adopté la forme de société commerciale de droit commun, ce qui est regrettable. Or, s’agissant d’une réglementation d’ordre public, le risque est celui de la dissolution. 

 

[1] Ord. n° 45-2138 du 19 sept. 1945, art. 7 N° Lexbase : L8059AIC.

[2] L. n° 66-537 du 24 juillet 1966, art. 218, aujourd’hui art. L. 821-16 C. com. N° Lexbase : L5428MKA

[3] CSP, anc. art. L. 575 N° Lexbase : L9915DKG, aujourd’hui art. L. 5125-11 N° Lexbase : L9021LHL.

[4] L. n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'Ordre des géomètres experts, art. 6-1, 

[5] L. n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, art. 12 N° Lexbase : L6905BH9.

[6] CPI, art. R. 422-40-1.

[7] Décret n°96-902 du 15 octobre 1996 portant approbation du statut des agents généraux d'assurances, Annexe, art. 1 N° Lexbase : L7848H33.

[8] J. Savatier, La profession libérale, Etude juridique et pratique, LGDJ, 1947.

[9] Cass. civ. 1, 17 février 2021, n° 19-22.964, FS-P N° Lexbase : A61274HE ; Cass. civ. 1, 8 mars 2023, n° 20-16.475, FS-B N° Lexbase : A08969HN ; Cass. civ. 1, 24 avril 2024, n° 22-24.667, FS-B N° Lexbase : A7822289.

[10] L. n° 66-879 du 29 novembre 1966 N° Lexbase : L3146AID.

[11]  L. n° 2015-990 du 6 août 2015 (huissiers de justice, notaires, commissaires-priseurs, avocats, avocats aux conseils, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires), art. 63.

[12] Ord. n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées N° Lexbase : L3215MBP.

[13] Ord. n° 2023-77 du 8 février 2023, art. 1er.

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Intelligence artificielle

[A la une] Dossier spécial : L'Intelligence artificielle appliquée au Droit

Lecture: 2 min

N1170B3Q

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Le 05 Décembre 2024

Pour sa dernière édition de l'année 2024, la revue Lexbase Avocats vous propose un dossier spécial consacré à l'intelligence artificielle appliquée au Droit. À travers le regard des professionnels qui œuvrent quotidiennement pour intégrer le droit et la justice dans l'ère de l'intelligence artificielle, les lecteurs pourront découvrir un dossier original qui aborde le sujet non pas d'un point de vue strictement juridique, mais avec une perspective pragmatique et fonctionnelle, entre enthousiasme et réalité.

Éditorial.  F. Papa Techera, Éditorial, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N1119B3T.

I. Le regard des universitaires

Y. Meneceur, Intelligence artificielle, État de droit et œuvre de justice : regard prospectif sur l’évolution de la justice à l’ère de l’hyperindividualisme et de la transition numérique, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N0975B3I.

E. Vergès et G. Vial, Vers une intelligence juridique artificielle ou comment l'IA transforme les professions juridiques, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N0988B3Y.

II. Le regard des avocats

O. Chaduteau, Quand l’IA générative transforme le modèle des cabinets d’avocats, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N0972B3E.

M. Le Guerroué, "Les promesses de l’IA font rêver !" - Questions à Frédéric Nouel, Senior Partner de Gide, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N1151B3Z.

M. Le Guerroué, "L’avocat est de plus en plus « augmenté », mais cela ne signifie pas que sa pratique requière de moins en moins d’humain" - Questions à Louis Degos, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N1153B34.

IV. Le regard des magistrats

S. Zientara-Logeay, Quel usage de l’Intelligence artificielle à la Cour de cassation ?, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N0991B34.

T. Lakssimi, L'intelligence artificielle et le juge judiciaire : enjeux et perspectives, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N0974B3H.

V. Le regard du chercheur

Raphaël David Lasseri, Le paradoxe du langage juridique à l'ère de l'IA : repenser la représentation du droit, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N1132B3C.

VI. Le regard du législateur

M. Le Guerroué, "L’accès à l’intelligence artificielle générative, s’il est mal encadré, pourrait accentuer les inégalités déjà existantes et renforcer certains biais" - Questions à Marie-Pierre de La Gontrie, Lexbase Avocats, décembre 2024 N° Lexbase : N1120B3U.

VII. Le regard du DSI

Ph. Agazzi, Les défis des systèmes d'information dans les cabinets d'avocats et l’impact de l’IA, Lexbase Avocats, décembre 2024N° Lexbase : N1128B38.

newsid:491170

Intelligence artificielle

[A la une] Décryptage de l'IA appliquée au Droit - Éditorial

Lecture: 7 min

N1119B3T

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par Fabrizio Papa Techera, Membre du Directoire Lexbase, Directeur Produit & Innovation

Le 04 Décembre 2024

Nous avons l’honneur, dans ce dossier spécial IA de la revue Lexbase Avocats, d’avoir reçu la contribution de certains des plus grands spécialistes de l’IA appliquée au Droit, qu’ils soient professionnels du droit ou professionnels de l’algorithmie informatique.

C’est bien là la spécificité de ce numéro : l’idée n’était pas de faire un traitement juridique de la question de l’intelligence artificielle (avec la réglementation autour de l’IA Act ou du RGPD), mais au contraire, d’en faire un traitement pragmatique, fonctionnel, avec tous ceux qui mettent en place et utilisent les outils d’IA destinés aux professionnels du Droit et aux justiciables.

Il s’agit là d’un pluralisme inédit des points de vue de ceux qui font l’IA appliquée au Droit : Législateur, Magistrats, Avocats, Juristes, Direction des systèmes d’information, Data Scientists, etc.. Avec leurs espoirs, leurs interrogations, leurs tâtonnements et leurs succès au quotidien.

Notre parti pris est de considérer que ce sont autant les fonctionnalités pensées par les professionnels du Droit (i), les avancées technologiques proposées par les informaticiens (ii), que la réglementation qui encadre ces innovations (iii) qui feront le quotidien de la pratique juridique de demain.

Or, le Droit comporte de nombreuses spécificités qui lui sont propres et consubstantielles (et qui rendent cette tâche ardue), parmi lesquelles :

  • Le Droit doit respecter le syllogisme : il doit toujours revenir à la source, que ce soit un texte ou une décision de justice. Cette source est considérée à l’aune de la hiérarchie des normes. Cette source doit être intègre (elle doit exister et ne doit pas être modifiée), elle doit être culturellement adaptée à notre système juridique et, si possible, elle doit être en vigueur.
  • Le Droit est un langage structuré. À la fois souple pour que ses concepts englobent la complexité de la vie sociale humaine. Et précis, puisqu’en Droit, le diable est dans le détail.

De surcroît s’ajoutent les spécificités de l’intelligence artificielle :

  • Il s’agit d’une science probabilistique (et parfois péremptoire) qui s’applique à la donnée qu’on lui demande de traiter. Concrètement, en Droit, la donnée juridique est une donnée sémantique. Son traitement est bien plus complexe que celui de l’image, du son ou du chiffre. Aussi, l’IA va prévoir le mot suivant le plus probable, ce qui ne constitue en rien une vérité, mais simplement une probabilité en fonction des algorithmes et des données d’entrainement.
  • La donnée juridique s’appuie sur 3 grandes typologies de sources :
    • La donnée publique (textes de loi, décisions de justice, etc.) ;
    • La donnée privée de l’éditeur (ouvrages, revues, infographies, etc.) ; et
    • La donnée privée du professionnel du droit (contrat, consultations, etc.).

Ensuite, il convient de marier l’ensemble de ces spécificités, d’une manière à la fois holistique et rigoureuse. Facile à dire. Dur à faire.

J’aime à le rappeler : It takes two to Tango. La Technologie et le Droit. Sans qu’il y ait de réel guideur/leader ou de suiveur/follower. Il s’agit là d’un dialogue incessant entre l’un et l’autre qui s’enrichissent mutuellement.

Sur cette base, tous les contributeurs de ce numéro reviennent sur plusieurs constats communs :

Côté professionnels du Droit 

La clé résidera dans la formation : savoir utiliser l’outil.  Savoir poser de bonnes questions dans l’outil. Savoir poser les bonnes questions sur l’outil avant de l’utiliser. Et ainsi, en connaître les avantages et les limites.

Je rajouterais un point clé : ne pas externaliser son « cœur de métier », à savoir le raisonnement juridique. Il est souvent dit que l’utilisateur de l’IA doit savoir « prompter » (ou poser une bonne question à l’IA) et vérifier la réponse de l’IA. Mais, ce faisant, on oublie l’essentiel : construire soi-même le raisonnement juridique et se l’approprier. Ce point sera d’autant plus important pour les nouvelles générations qui seront native IA.

Dans tous les cas, pour l’utilisateur, s’il y a un risque à utiliser l’intelligence artificielle, il y a aussi un risque à ne pas l’utiliser. Et à se faire distancer par d’autres pratiques qui l’auraient adoptée.

Côté concepteur du produit d’intelligence artificielle 

L’objectif est de garder en tête les spécificités du Droit en ayant une forte expertise métier.

Les choix du concepteur seront nombreux, parmi lesquels :

  • Utiliser une IA généraliste ou utiliser une IA pensée et entrainée pour chaque typologie de contenu (différente pour les textes de loi, les décisions de justice, les ouvrages… comme les règles d’un moteur de recherche) ;
  • Utiliser une IA open source (où on maîtrise le code et le choix des serveurs) ou une IA privée (de type Open AI, prête à l’usage) ;
  • Utiliser les données publiques, les données éditoriales et/ou les données privées des utilisateurs, etc.. Ce dernier point montre d’ailleurs une convergence naissante des fonctionnalités entre les Legaltechs, les éditeurs juridiques et les éditeurs de logiciel métier (CRM, ERP).

En tout état de cause, il s’agit toujours de sécuriser les pratiques de l’utilisateur et de ne pas préempter ses choix.

Côté législateur 

Le législateur a la lourde tâche de réglementer au plus vite ces technologies qui évoluent de jour en jour. Sans pour autant être trop précis, car justement, ces évolutions sont rapides et l’innovation ne doit pas être contrainte dans un cadre trop strict.

En outre, la législation ne peut se cantonner au plan national. Les problématiques de l’Intelligence artificielle, à l’instar de celles de l’environnement ou de la prolifération des armes, exigent une coordination mondiale.

À ce stade, la priorité doit être déjà d’inciter les utilisateurs et éditeurs à conserver de bonnes pratiques, dans ce qui pourrait être un nouveau far west sans aucune ligne directrice : piratage de données, fin du monopole pour rédiger des consultations et des actes juridiques pour les avocats, justice prédictive, etc..

Au demeurant, si les innovations avancent vite, il faut raison garder :

  • En 2017, les avocats me demandaient s’ils allaient disparaitre avec l’IA ;
  • En 2022, les avocats me demandaient si les éditeurs allaient disparaitre avec l’IA ;
  • Aujourd’hui, ils me demandent si les logiciels métier qui gèrent leurs documents vont disparaître.

Rien de tout cela ne s’est avéré dans la réalité. Si on regarde l’évolution de la profession d’avocat, chaque année, le France compte plus d’avocats. Avec une proportion assez stable entre ceux qui tirent des revenus conséquents de leur profession et ceux qui n’y arrivent pas. Ces derniers auront d’ailleurs encore plus de difficulté à s’équiper d’outils d’intelligence artificielle dédiés au Droit.

C’est pourquoi, la principale question qui doit se poser est bien celle de l’égalité des armes et de la fracture numérique : au sein d’une profession juridique mais aussi, entre les professions juridiques.

Nul doute que Lexbase est pionnier sur ce sujet en permettant à 42 000 avocats en France d’accéder à une bibliothèque virtuelle incluant les fonctionnalités d’IA dans le cadre de contrats mutualisés avec plus de 100 barreaux en France. C’est aussi le cas pour les élèves avocats et les auditeurs de l’ENM.

C’est ainsi qu’une petite structure d’avocat en région pourra accéder exactement aux mêmes fonctionnalités d’intelligence artificielle que des structures importantes parisiennes.

Et c’est dans ce cadre que cette technologie, à l’instar du fax, du mail, du moteur de recherche, ou de toute autre innovation, permettra à tous d’échanger et de traiter plus de données. Ce qui n’est pas illogique puisque les données juridiques sont de plus en plus complexes et nombreuses. Et puisque les domaines du droit interagissent toujours plus entre eux.

Enfin, rappelons-nous que les prophètes de la technologie sont souvent très positifs sur l’avancée de leurs propres innovations. Ne serait-ce que pour lever des millions ou des milliards d’euros. C’est ainsi qu’en 2009, "Uber" prévoyait l’avènement de la conduite autonome et la fin des chauffeurs pour 2016. On en est encore loin. Car la technologie, dès qu’elle touche un secteur vital pour l’homme, n’a pas le droit à l’erreur ou à l’approximation. Et c’est aussi l’exigence qui doit s’appliquer aux technologies qui touchent au droit : il en va du bon fonctionnement de la justice et de la démocratie.

newsid:491119

Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Intelligence artificielle, État de droit et œuvre de justice : regard prospectif sur l’évolution de la justice à l’ère de l’hyperindividualisme et de la transition numérique

Lecture: 12 min

N0975B3I

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par Yannick Meneceur, Magistrat, Maître de conférences associé à l’Université de Strasbourg, Chercheur associé au CRLD et Doctorant à l’Université de Paris-Saclay.

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu de notre dossier spécial consacré au "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Yannick Meneceur, magistrat, maître de conférences associé à l’Université de Strasbourg, chercheur associé au CRLD et doctorant à l’Université de Paris-Saclay – Auteur de L’intelligence artificielle en procès (Bruylant, 2020, prix du Cercle Montesquieu 2021) et de Intelligence artificielle générative et professions du droit (LexisNexis, 2024, à paraître) a accepté de nous livrer son regard prospectif sur l’évolution de la justice à l’ère de l’hyperindividualisme et de la transition numérique.

Il nous rappelle les bénéfices et les risques des divers systèmes d’intelligence artificielle débattus et opposés en profondeur, notamment à l’occasion de l’adoption de textes juridiques contraignants au niveau européen en 2024, mais sans pour autant toujours parvenir à éclairer de manière convaincante la nature intrinsèque de cette technologie. L'étude se propose de traiter, de manière prospective et concrète, des effets de l’introduction de cette technologie en matière de règlement de litiges. Il n'est pas question de délimiter les frontières entre de bons ou de mauvais usages pour la justice, mais de rappeler que l’une des caractéristiques de cette technologie est de produire des effets normatifs, entrant potentiellement en concurrence avec le droit et les institutions y étant attachées.

 

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

Si « l’IA [1] » fait depuis le début des années 2010 l’objet d’un très vif engouement pour ses promesses sans cesse renouvelées [2], elle fait, dans le même temps, l’objet de sévères critiques pour les très nombreux risques qu’elle ferait peser sur notre société. L’adoption en 2024 de textes juridiquement contraignants au niveau européen [3] pour en réguler les usages constitue l’une des réponses les plus significatives à ces préoccupations. Toutefois, pour les profanes, les discussions paraissent trop souvent se polariser entre néo-Anciens et pseudo-Modernes, opposant des « croyances » au lieu de s’appuyer sur la simple objectivité des faits.

Parmi ces faits, souvent têtus et sous-estimés, se trouvent pourtant des questions essentielles qui touchent au fonctionnement le plus profond de nos sociétés. Il pourrait ainsi être évoqué l’examen détaillé de l’affordance [4](potentialités) de cette technologie qui permet pourtant de dissiper la confusion, trop souvent réalisée, entre la polyvalence des applications de « l’IA » et leur  prétendue neutralité en tant qu’outils.  Car, les algorithmes, de manière générale, ne sont pas neutres ; il n’est pas seulement question d’un bon ou d’un mauvais usage. Ils emportent une part incompressible de normativité qui a pu être décrite par les concepts de « gouvernementalité algorithmique [5] », « d’algocratie [6] » ou « d’État des algorithmes [7] », et qui mettrait en danger l’État de droit, au gré de ce qui a pu être qualifié de « coup data [8] » ou de « tech coup [9] ». Des auteurs y perçoivent même la fin du politique, car les technologies numériques comme « l’IA » chercheraient à en remplir les promesses sans en adopter les modalités [10].  

Même s’il convient bien de ne pas céder à un alarmisme excessif sur un plan individuel, il n’est pas déraisonnable de considérer sur un plan collectif, dans une démarche rigoureuse et prospective, les inévitables évolutions de l’une de composante les plus centrales de l’État de droit : l’œuvre de justice elle-même. Est-ce que ce mécanisme de régulation aux équilibres devenus si subtils continuerait à faire sens, alors que la primauté du droit est remise en doute comme clé de voûte de l’organisation de nos sociétés ? Avec la masse de données accumulées et le niveau de sophistication algorithmique que nous avons atteint, le calcul ne deviendrait-il pas une modalité plus efficace, rapide et non conflictuelle pour imposer une solution à un litige ?

Pour chercher à esquisser quelques premières pistes de réflexion, il peut être repris le fil de l’histoire, de l’avènement de l’individu et de l’État de droit jusqu’aux dernières évolutions contemporaines.

I. L’émancipation de l’individu et l’avènement de l’État de droit

L’Autoportrait en fourrure ou l’Autoportrait à la pelisse d’Albrecht Dürer, peint en 1500, est souvent présenté comme l’une des toutes premières affirmations, au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance, de l’individu. Dans une figure christique préfigurant nos selfies, le peintre affirme l’être humain pour lui-même et marque le tout début de la transformation de la vision du monde, architecturant nos sociétés actuelles. 

La Réforme de l’église, les Lumières et les régimes juridiques occidentaux contemporains placeront progressivement l’individu et l’autonomie de sa volonté au centre d’un tout nouveau pacte social. Ce sont bien aujourd’hui des règles strictes, générales et impersonnelles de portée collective qui garantissent la protection des intérêts individuels, notamment au travers de textes de haut niveau comme la Convention européenne des droits de l’Homme. 

Faisant leur chemin au travers des multiples contractions de l’histoire, les droits humains, la démocratie et l’État de droit ont fini par imposer leur temporalité au soutien de l’émancipation de l’individu.   

II. La primauté de l’individu contre l’État de droit

Loin de s’en arrêter à ces progrès, l’affirmation de la primauté de l’individu s’accélère encore aujourd’hui jusqu’au vertige, portée par les nouvelles opportunités offertes par le numérique. Nés de la généralisation de l’Internet, les réseaux sociaux ont en effet autant bouleversé la manière de fabriquer des opinions que les mass media au XXème siècle. La massification des échanges et l’abondance de l’information n’ont pas conduit au saut qualitatif et universaliste tant fantasmé par la contre-culture californienne des années 60-70 [11]. La recherche permanente de publicité magnifiée de sa personne, démultipliant avec une force inédite l’expression de soi de Dürer, a plutôt installé une ère des égos n’ayant rien d’un âge d’or éclairé d’un « vivre ensemble ».

Sur les réseaux, les débats se polarisent au gré d’algorithmes avides de l’attention des utilisateurs et laissant apparaître l’émergence d’une forme moderne de Bellum omnium contra omnes. La stigmatisation de l’autre, l’opposition sans contre-projet concret et l’indignation de l’instant dominent les argumentaires au détriment de l’éclairage de la complexité des choses, des paradoxes et des injonctions contradictoires de notre époque. En d’autres mots, l’idéal démocratique nourri par la contradiction fertile des débats d’idées et la recherche, en réponse, d’un consensus d’intérêt général ne paraissent plus en mesure de faire émerger des solutions pour réduire des inégalités toujours aussi criantes. L’histoire même et les faits avérés sont réécrits à la lecture des subjectivités et des stratégies d’influence à court terme.

Le succès de « l’IA » comme outil de prise décision est à lire dans cet exact climat. Alors que tout devient relatif pour des citoyens désenchantés et désengagés d’institutions perçues comme dysfonctionnelles, il devient de plus en plus courant d’entendre que la société serait probablement rendue plus juste par une mathématisation de ses processus décisionnels, même les plus sensibles. La disponibilité de « l’IA » est l’occasion d’assumer une défiance à l’encontre du droit comme instrument central d’organisation sociale, en y préférant des micro-mécanismes circonstanciels, instantanés et efficaces. 

III. Vers l’hyperpersonnalisation de la résolution des litiges ?

Nombre d’individus attendent aujourd’hui, en tout domaine, des décisions sans délai et sur mesure, aussi précises que leur profil de cible publicitaire de Google ou de Facebook pourraient l’être. La statistique et les probabilités, pourtant si difficiles à manier et à interpréter, sont devenues à la faveur de la vulgarisation des algorithmes d’apprentissage automatique les instruments idéaux d’une société qui pourrait préférer à toute forme de délibération des décisions contingentes, représentatives des équilibres de l’instant, ne servant que les parties en présence. Dans un contexte sociotechnique rendant possible cette hyperpersonnalisation, à quoi bon continuer de maintenir une très coûteuse fonction de juger interprétant des règles de droit générales critiquées tant sur la forme (l’inflation législative) que sur le fond (des règles étant le résultat de consensus ne satisfaisant en réalité personne) ? En pleine confusion entre corrélation et causalité [12], pourquoi continuer de rechercher des causes et à imputer des responsabilités si l’on parvient à induire de grands jeux de données hétéroclites des indemnisations tout à fait acceptables pour les parties en présence ? 

L’ambition aurait pu paraître totalement déraisonnable il y a quelques décennies. Mais la progressive constitution d’un jumeau numérique de notre entière société, manipulable et calculable à l’envi, établit les fondements d’une telle réalité. Et nous sommes déjà contemporains des prémices de cette possible dystopie : les larges modèles de langage ont le potentiel de massifier dans le même temps la production d’écritures judiciaires et la réponse à ces écritures. Somme toute, une justice où les machines se parleraient entre elles au travers d’humains cédant progressivement au biais d’automatisation.

Certains auteurs dénoncent déjà la machinisation de nos institutions, assimilant la bureaucratie en un immense logiciel impossible à gouverner [13]. La perspective de l’implémentation d’automatismes de plus en plus invasifs dans les processus de décision judiciaire pourrait être encore plus radicale : réduite à sa portion congrue d’arbitrages des équilibres entre des principes de haut niveau, potentiellement paramétrables dans des algorithmes, la « justice humaine » délaisserait le traitement de la masse des litiges à une « justice numérique », composée d’une masse de petits algorithmes produisant en un clic des propositions d’indemnisation. L’acceptabilité sociale d’un tel projet est déjà bien implantée dans les esprits : l’idée qu’il ne vaudrait peut-être mieux être moins bien indemnisé maintenant plutôt que potentiellement très bien indemnisé dans des années n’est plus incongrue [14]. Il est d’ailleurs très révélateur de constater qu’aujourd’hui, dans la confidence des salles de pas perdus, nombre de professionnels du droit eux-mêmes ne souhaitent pas avoir affaire avec les tribunaux pour régler un litige.

IV. Un transfert de gouvernance installant un totalitarisme au vernis cool et au fonctionnement chaotique ?

Le glissement décrit nous conduit à une interrogation tout à fait centrale, celle du transfert de gouvernance : qui déterminerait alors les équilibres de tels algorithmes décisionnels ? Les ambitions d’entreprises majeures comme GoogleMetaMicrosoft ou OpenAI (pour ne citer qu’elles), qui inspirent tant de startups et de legaltechs, nous offrent des premiers éléments de réponse. Les dirigeants de ces entreprises portent au grand jour depuis des décennies un projet de société libertarien, dynamitant toute forme d’État et imposant leurs valeurs. Rappelons-nous du slogan de Google, abandonné depuis : « Don’t be evil » (Ne soyez pas malveillants). Mais est-ce que l’industrie numérique est légitime, en dehors de tout mandat démocratique, à imposer ainsi ses visions et ses valeurs ? Visions et valeurs d’ailleurs de plus en plus politisées, soutenant sous le vernis d’un discours cool et disruptif des projets aux relents tout à fait totalitaires [15].

De citoyens, unis par un pacte social commun et solidaires dans leur destin, nous deviendrions donc progressivement, et avant tout, des consommateurs hyperindividualistes, composant au gré de nos besoins et de nos humeurs la mosaïque d’applications organisant notre quotidien. Chacun en arriverait ainsi à dépendre non pas du droit interne d’un État dont la cohérence serait garantie par un système judiciaire, mais plutôt d’un patchwork contractuel composé de la juxtaposition des conditions générales d’utilisation des logiciels employés et des mécanismes internes de résolution de litiges y étant attachés. Achats de biens et services, actes médicaux, transports, loisirs, informations, choix d’un partenaire de vie : tous les pans de notre vie pourraient être intermédiés via des plateformes possédant leurs propres instances régionales ou mondiales. Le comité de surveillance (oversight board) de Meta n’installe pas autre chose que cela.

Or, accepter des conditions générales d’utilisation n’emporte en réalité que l’illusion du consentement : l’asymétrie est totale pour des entreprises abusant sans état d’âme de leurs positions dominantes[16]. De plus, ainsi disloquée et atomisée, une telle société ne laisserait progressivement plus d’espace pour une œuvre de justice indépendante, impartiale et garantissant l’intérêt général. Somme toute, cet « État des algorithmes » nous conduirait certainement plus vers le chaos [17] d’un individualisme forcené qu’à un Big Brother centralisé unifiant les comportements et la pensée. 

*

Voilà pourquoi saisir l’affordance d’une technologie comme « l’IA » et les champs du possible qu’elle ouvre importe : comme, très probablement, tout ce qui pourra être fait techniquement le sera[18], les professionnels du droit devraient investir avec beaucoup de discernement les transformations en cours [19]

La question se pose d’ailleurs moins au niveau de l’expérience individuelle vécue (comme c’était déjà le cas avec l’informatique, où l’on a concrètement gagné du temps en passant de la machine à écrire au traitement de texte) qu’à un niveau collectif. C’est à ce niveau plus global qu’il peut être mis en évidence les tensions entre les principes de haut niveau organisant et protégeant nos sociétés démocratiques, qui n’ont rien d’obsolète, et les ambitions de divers et puissants opérateurs économiques de l’industrie numérique, pour qui le droit n’est qu’une externalité parmi d’autres.

Céder inconditionnellement à une justice mathématisée et à une société algorithmisée n’a donc rien d’une posture « moderne » : même si certains manifestent avec un brin d’arrogance leur sentiment d’être du côté du sens de l’Histoire, il s’agirait plutôt d’une manifestation assez radicale et réactualisée d’antihumanisme [20], amnésique des acquis des Lumières et des combats contre les diverses formes de totalitarisme. 

À retenir : 

  • Dans  un contexte sociétal d’hyperindividualisme et de désenchantement des institutions, les systèmes d’intelligence artificielle installent une nouvelle forme de normativité, tendant à substituer à l’interprétation du droit des modalités sophistiquées de calcul.
  • De manière prospective, il pourrait être craint une atomisation progressive de la fonction de justice au profit d’une multiplicité de dispositifs sectoriels autonomes, produisant des décisions contingentes, représentatives des équilibres de l’instant et ne servant que les parties en présence.
  • Si l’adoption de ces systèmes d’intelligence artificielle par les professions du droit devrait s’opérer sans alarmisme excessif à un niveau individuel, un important discernement reste indispensable sur un plan plus collectif, afin de ne pas fragiliser les fondations de notre État de droit.
 

[1] Afin de se garder de tout anthropomorphisme et par commodité éditoriale, le terme d’intelligence artificielle sera présenté sous la forme de son acronyme et entre guillemets. Cette présentation a été choisie en remplacement des termes, plus appropriés, de « systèmes d’intelligence artificielle » ou « d’applications de l’intelligence artificielle ».

[2] Sur le rôle de « l’IA » dans la compétitivité européenne, V., V. Malingre, Le cri d’alarme de Mario Draghi sur l’économie européenne, condamnée à « une lente agonie » si elle ne change pas, Le Monde, 9 septembre 2024 [en ligne] (consulté le 11 septembre 2024).

[3] Règlement (UE) n° 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle et modifiant les règlements (CE) n° 300/2008, (UE) n° 167/2013, (UE) n° 168/203, (UE) n° 2018/858, (UE) n° 2018/1139 et (UE) n° 2019/2144 et les Directives 2014/90/UE, (UE) 2016/797 et (UE) 2020/1828 (règlement sur l’intelligence artificielle) N° Lexbase : L1054MND et Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur l'intelligence artificielle et les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit (STCE n°225)

[4] L’affordance est un concept qui a été proposé par le psychologue américain James Gibson dans les années 1960. Il qualifie la faculté des êtres vivants à guider leurs actions selon ce que l’environnement offre en termes de potentialités d’actions. L’affordance est, comme l’exprime James Gibson : « une structure relationnelle multiface entre un objet/une technologie et l’usage et les comportements que celui-ci permet ou contraint dans un contexte donné ».

[5] A. Rouvroy et T. Berns, Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation : Réseaux, 2013/1, n°177, 2013, pp163-196.

[6] P. Gueydier, Pouvoir régalien et algorithmes, vers l'algocratie ? , Optic, 2018.

[7] Y. Meneceur, L’intelligence artificielle en procès – Plaidoyer pour une réglementation internationale et européenne, Bruylant, 2020 et R. Batko, J. Kreft, The Sixth Estate – The Rule of Algorithms, Problemy Zarzadzania, University of Warsaw, Faculty of Management, vol. 15(68), 2017, pages 190-209.

[8] A. Basdevant, J-P. Mignard, L’empire des données, Essai sur la société, les algorithmes et la loi, Don Quichotte, 2018.

[9] M. Schaake, The Tech Coup: How to Save Democracy from Silicon Valley, Princeton University Press, 2024.  

[10] A. Garapon, J. Lassègue, Justice digitale - Révolution graphique et rupture anthropologique : PUF, 2018, p. 90.

[11] Sur l’histoire de la contre-culture américaine et de son influence sur l’émergence du web, V. par exemple D. Cardon, Culture numérique, Presses de SciencePo, 2019, p. 46-55.  

[12] Dans un autre registre, il peut être rappelé l’article de Chris Anderson qui avait prophétisé la fin de la théorie scientifique avec l’avènement du Big Data : Ch. Anderson, The End of Theory : The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete, Wired, 23 juin 2008, [en ligne] (consulté le 13 septembre 2024).

[13] A. Billon, Sous le règne des machines à gouverner, le droit entre intelligence artificielle et intelligence naturelle, Bruylant, 2022.

[14] De manière générale entre 2020 et 2023, la confiance dans la justice en France a reculé, passant de 51 % de répondants ayant confiance à 43 % [en ligne] (consulté le 15 septembre 2024).

[15] D. Gilbert, Trump’s New Silicon Valley Supporters Really Want You to Forget He Called Nazis ‘Fine People’, Wired, 23 août 2024 [en ligne] (consulté le 13 septembre 2024).

[16] A. Farache, Google Shopping : l’abus de position dominante et l’amende de 2,4 milliards d’euros confirmés, Actu-juridique.fr, 11 septembre 2024 [en ligne] (consulté le 12 septembre 2024) 

[17] Sur le fait qu’un chaos nait plutôt de la somme des mécanismes algorithmiques, V. M. Hildebrandt, Smart technologies and the end (s) of law: novel entanglements of law and technology, Edward Elgar Publishing, 2015.

[18] « Loi de Gabor » : Dennis Gabor, prix Nobel de physique en 1971, avait déclaré « ce qui peut être fait doit l’être, inéluctablement », caractérisant que tout ce qui était techniquement faisable par l’humain serait réalisé, même contre la morale ou l’éthique.

[19] En contre-exemple, V. la vision de Richard Susskind, qui envisage un modèle pour des tribunaux totalement dématérialisé, inspirant nombre de travaux au-delà du Royaume-Uni. R. Susskind, The Future of Courts, Harvard Law School, Juil./août 2020 [en ligne] (consulté le 15 septembre 2024).

[20] Sur la posture antihumaniste résultant de l’émergence de « l’IA », V. par exemple E. Sadin, L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle, Anatomie d’un antihumanisme radical, L’échappée, 2018.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Vers une intelligence juridique artificielle ou comment l'IA transforme les professions juridiques

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par Etienne Vergès et Géraldine Vial

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu du dossier spécial "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes et Géraldine Vial, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes ont menés des travaux, en collaboration avec le département Recherche et documentation de l’ENM, sur l’impact des algorithmes sur les décisions de justice des magistrats, au pénal et au civil.

Ils nous proposent dans cette contribution un parcours initiatique dans le monde réel de l’intelligence artificielle, du juriste "assisté" au juriste "augmenté".

 

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

 

À la fin de l’année 2021, on pouvait lire dans différents titres de la presse internationale [1] que des scientifiques chinois avaient créé une intelligence artificielle capable d’exercer des poursuites pour huit délits. Le système se fonderait sur des critères incluant la qualité des preuves ou la dangerosité du suspect pour orienter la procédure. Au mois de janvier 2023, un site internet américain intitulé DoNotPay annonçait qu’il allait proposer à ses utilisateurs un service de conseil juridique susceptible d’aider les justiciables à répondre aux questions d’un juge durant une audience pénale [2]. Depuis 2019, on trouve sur le site Amazon.com, la commercialisation d’une application dénommée Kids Court couplée avec l’enceinte connectée Alexa. Cette application permet à Lexy, une juge virtuelle, de régler des conflits familiaux en tenant audience, en organisant la présentation des preuves et en écoutant les réquisitoires et plaidoiries des parties. Cette intelligence artificielle rend des verdicts et prononce des sanctions. Certes, il s’agit d’une application cabotine – qui condamne un mari, car il préfère les frites froides ou qui sanctionne une sœur parce qu’elle aurait cassé un jouet – mais sa commercialisation montre plus sérieusement que l’IA est aujourd’hui en mesure de simuler une audience, depuis la plainte jusqu’à la sentence.

Depuis quelques années, l’IA s’est immiscée dans le monde des professions juridiques et elle est en train de bouleverser cet univers par ses applications disruptives. L’IA fascine autant qu’elle effraie. Certains annoncent la disparition des professions juridiques, alors que d’autres jurent que l’IA ne pourra jamais les remplacer. Loin des controverses et des coups d’éclat, loin des discours péremptoires et alarmistes sur les dangers de l’IA, les legaltechs croissent et se multiplient. 

Dans cette étude, nous proposons un parcours initiatique dans le monde réel de l’intelligence artificielle. Ce monde est en construction, mais il a déjà connu des révolutions. Les premières entreprises qui ont développé des outils de quantification de l’aléa juridictionnel ont particulièrement marqué les esprits et ouvert le débat sur la possibilité de prédire des décisions de justice. Ainsi, en 2016, la justice prédictive symbolisait le renouveau de l’usage de l’intelligence artificielle en matière juridique [3], mais elle l’enfermait également dans un univers cloisonné. Si certaines entreprises parviennent à créer des modèles prédictifs précis, de nombreuses tentatives échouent devant l’ampleur de la tâche. On se souvient ainsi de l’arrêt du projet public Datajust, qui visait à créer un outil d’évaluation des préjudices corporels [4]. En marge des premières applications commerciales, la Cour de cassation a conduit un ambitieux projet de pseudonymisation des décisions de justice, qui a débouché sur la création d’une IA performante [5]. Dans le même temps, l’institution a développé avec succès un algorithme qui permet d’orienter les pourvois devant les différentes chambres civiles de la Cour en se fondant sur des extraits de texte issus des mémoires ampliatifs [6].

L’apparition des agents conversationnels à la fin de l’année 2022 a constitué une véritable rupture dans le développement de l’IA juridique. Jusqu’à cette période, les techniques d’IA étaient utilisées pour analyser du texte, rechercher des informations ou établir des liens entre des documents. Dans les cas les plus ambitieux, ils permettaient de modéliser les processus de décision des juges. Avec l’irruption de ChatGPT, puis de ses concurrents, les facultés de l’IA générative ont permis d’envisager des tâches plus diversifiées, basées sur la rédaction de contenus textuels.

En quelques mois, des start-ups ont fait leur apparition, les legaltechs déjà installées ont développé leurs propres outils et les grands éditeurs juridiques ont imaginé une nouvelle manière d’exploiter leurs immenses fonds documentaires. On dénombre aujourd’hui plus d’une dizaine de legaltechs françaises qui utilisent l’IA générative au service des professionnels du droit. À titre d’exemple, on peut citer « Assistant » de Predictice,JiminiAIOrdalieDoctrineLegiGPT, sans oublier les outils d’IA développés par les grands éditeurs juridiques (GenIAL de Dalloz, LexisAI de LexisNexis ou JP Intelligence de Lexbase). Les différentes plateformes ne proposent pas toutes les mêmes fonctionnalités et certaines sont plus spécialisées : HyperLexTomoro ou Leewaysont dédiées à la rédaction et la gestion de contrats, tandis que Jarvis Legal est spécialisée dans la gestion des cabinets d’avocats, LegalStart dans la création d’entreprises, JusMundi dans le droit international et l’arbitrage et GoodLegal dans la rédaction de fiches d’arrêts et autres exercices juridiques pour les étudiants des facultés de droit. 

L’IA générative a conduit à une explosion de services juridiques très différents, qui sont venus concurrencer ceux existants. Ces outils peuvent être classés dans deux grandes catégories. Certains ont pour fonction de réaliser des tâches juridiques à la place des juristes. Ils jouent ainsi un rôle d’assistants (I). D’autres outils ont des objectifs plus ambitieux, qui consistent à offrir aux juristes des informations qu’ils ne peuvent rechercher par eux-mêmes. Il est alors possible de parler, au sens strict de « juriste augmenté » (II).  

I. Le juriste assisté par l’IA

Nous présentons ici des tâches très courantes qui sont développées actuellement par des systèmes d’IA. 

Analyser des contrats

Les premières tentatives d’analyse des contrats ont été rendues publiques par une entreprise israélienne appelée Lawgeex, qui a développé un outil de lecture et d’analyse des contrats commerciaux courants (accords de confidentialité, prestations de service, achats). Cette entreprise s’est fait connaître en 2018 en publiant les résultats d’une compétition qu’elle avait organisée entre son outil d’IA et vingt juristes. Chacun devait analyser trente clauses standards dans plusieurs accords de confidentialité et en extraire le sens. Par exemple, il s’agissait d’identifier la loi applicable, de définir les informations couvertes par la confidentialité ou encore le régime de responsabilité [7]. L’IA s’est illustrée avec brio dans cette compétition, en obtenant un taux de réussite plus élevé que le taux moyen des juristes pour chacun des contrats (91 % à 100 % contre 83 % à 86 %). Rappelant la victoire de Deep blue sur Garry Kasparov et celle d’AlphaGo contre Ke Jie [8], le match de Lawgeex ravivait l’idée que l’IA était susceptible de réaliser des tâches intelligentes mieux que les humains. Cette victoire de l’IA juridique fut importante, car elle confortait l’idée que l’activité des juristes était, au moins pour partie, délégable à des systèmes automatisés. Elle demeurait relative, car les fonctions de Lawgeex se limitaient, à cette époque, à la lecture de documents juridiques et à la restitution de leur contenu. 

Un projet académique mené au European University Institute en Italie illustre les avancées de l’IA en matière d’expertise juridique. Ce projet dénommé Claudette [9], porte sur l’analyse juridique de clauses issues des conditions générales d’utilisation de services numériques courants, tels que GoogleFacebook ou Twitter. L’objectif de ce projet consiste à détecter des clauses illicites dans les contrats. Fondé sur une phase d’annotation humaine, Claudette apprend à relier certaines expressions (ou phrases) du langage juridique à une cause d’illicéité. Par exemple, l’IA est capable d’identifier une clause limitative de responsabilité et de lui associer un degré d’illicéité. L’intérêt du projet Claudette réside dans la capacité de l’IA à produire une opinion juridique sur un texte, simulant ainsi une activité humaine relevant de la compétence des juristes.

Identifier les décisions de justice pertinentes

La recherche de jurisprudence est une tâche intimement associée à l’intelligence juridique. Durant plusieurs siècles, cette tâche a été réalisée à la main, sur la base d’index de revues. Seuls étaient visibles les arrêts publiés ou commentés. L’informatique juridique a permis de développer à la fois le contenu des bases de jurisprudence, mais également la recherche booléenne, utilisant mots clés et opérateurs (et/ou). L’open data des décisions de justice, issue de la loi pour une république numérique, [10] a transformé le paysage jurisprudentiel. En ouvrant l’accès aux décisions des juridictions du fond, cette loi a redéfini la fonction même de la publication des décisions de justice. À côté des arrêts faisant jurisprudence, apparaissent les décisions ordinaires, qui présentent des similarités avec l’affaire dont un avocat ou un juge est saisi. L’idée qu’une situation similaire appelle une décision similaire est très prégnante dans l’univers juridique. L’effet de « précédent » n’est pas seulement une règle réservée à la Common law. Il s’agit d’un réflexe juridique, somme toute assez naturel. Tout juge peut-être amené à s’appuyer sur des décisions précédentes pour rendre son propre jugement. L’effet de précédent est à la fois porté par l’idée d’un traitement égal des justiciables, mais également par une volonté d’harmoniser les décisions de justice. 

 Toutefois, la question demeure pour un professionnel du droit, de savoir comment identifier et extraire une décision similaire dans une masse disponible de plusieurs millions de jugements et d’arrêts rendus chaque année. L’IA se révèle ici un assistant utile et potentiellement efficace. Les outils « Décisions similaires » de Dalloz et « JP Intelligence » de Lexbase, poursuivent cet objectif. Le premier sélectionne à partir d’un arrêt les décisions de justice les plus proches. Le second permet à l’utilisateur de décrire les faits de son dossier et d’obtenir une sélection de décisions dont les faits sont proches, avec un indicateur de proximité. Comme c’est le cas pour l’analyse des contrats, l’IA est utilisée pour réaliser une tâche courante et elle le fait plus rapidement et plus précisément qu’un juriste.

Apporter des conseils juridiques 

Le conseil juridique présente un degré de complexité plus élevé que la recherche de contenus juridiques. Cette fonction peut être confiée à des systèmes experts, susceptibles de répondre à des questions très précises, mais très limitées. Par exemple, les systèmes experts du site Service public.fr renseignent les justiciables sur de nombreux domaines du droit en se basant sur un mécanisme de questions/réponses qui conduisent vers l’application d’une règle de droit précise.

L’apparition de l’IA générative a révolutionné le conseil juridique assisté. L’IA se voit confier la tâche d’aller chercher une information dans une base de données juridiques et de formuler une réponse intelligible à la question qui lui est posée. Les prouesses réalisées sont fascinantes, même si elles demeurent aujourd’hui aléatoires. En voici quelques illustrations. 

Au début de l’année 2022, à la suite de l’apparition de ChatGPT, un chatbot juridique nommé LegiGPT a été mis en ligne. Cet outil a assimilé l’intégralité des articles contenus dans les codes français. Interrogé sur la définition de la notion de clause abusive, LegiGPT est capable de définir le sens de cette expression juridique avec des mots simples : « c’est une clause qui désavantage trop le consommateur et qui n’est pas clairement expliquée ». Interrogée plus spécifiquement sur une clause limitative de la responsabilité d’un architecte, l’IA est capable de dire que cette clause « lui semble abusive », car elle « vise à écarter ou limiter la responsabilité de l’architecte ».

Quelques mois plus tard, la société Predictice fut la première à lancer un chatbot qui analyse non seulement l’information issue des sources juridiques, mais encore celle présente en source ouverte sur des blogs juridiques sélectionnés. L’outil s’avère capable de fournir des informations juridiques générales, mais également de traiter des cas particuliers. Par exemple, questionné sur les options qui s’offrent au procureur de la République pour apporter une réponse pénale à une infraction, l’IA énonce les différentes formes de réponse pénale (poursuites, réponses alternatives, etc.). Interrogée sur le cas particulier d’un voleur récidiviste, l’IA estime que le procureur choisirait de poursuivre la personne mise en cause. Elle est également capable d’indiquer que cette option est déterminée par l’état de récidive du suspect. L’IA précise ainsi qu’« une répétition de comportements délictueux peut indiquer que les mesures alternatives aux poursuites ou les compositions pénales précédentes n’ont pas eu l’effet dissuasif souhaité, ce qui pourrait inciter le procureur de la République à poursuivre ». Si la question posée demeure simple, le niveau d’analyse et de raisonnement juridique de l’IA est incontestable. L’IA connaît les règles applicables, elle est capable de les appliquer à un cas concret et elle motive sa décision par un raisonnement convaincant. En d’autres termes, l’IA reproduit ou simule les principales caractéristiques de l’intelligence humaine dans le domaine juridique. Toutefois, en matière d’IA générative, il convient de garder une certaine distance et de ne pas se laisse emporter par la qualité de certaines analyses ou de certains raisonnements. L’IA générative commet, de façon fréquente, de grossières erreurs.

Les erreurs de l’IA Générative

En mai 2023, un avocat new-yorkais a soumis un dossier contenant des références à des affaires judiciaires fictives générées par ChatGPT, sans se rendre compte que ces références étaient inventées [11]. Ces fausses décisions ont été citées dans une affaire concernant une plainte pour blessure corporelle devant le tribunal fédéral de New-York. Lors de l'audience, l'avocat a admis qu'il avait utilisé ChatGPT pour faire ses recherches juridiques et qu’il n'avait pas vérifié les sources fournies par l'IA. Il a été sanctionné par le juge pour manquement à ses devoirs professionnels. Un juge colombien [12] et un juge brésilien [13] ont utilisé cette même IA générative pour rédiger une partie de leurs décisions. Pour le juge brésilien, les erreurs commises par l’IA l’ont conduit devant le Conseil national de justice. Ces affaires ont mis en lumière les dangers de l’utilisation de l’IA dans le domaine du droit sans supervision humaine rigoureuse. Les chatbots, généralistes comme juridiques, présentent en effet des limites qui peuvent affecter leur fiabilité dans les conseils et services qu’ils fournissent.

Les principales lacunes identifiées concernent d’une part, le manque de précision des réponses apportées. Les réponses s’avèrent parfois trop générales et ne permettent pas de résoudre précisément le problème juridique posé. À titre d’exemple, nous avons interrogé un chatbot juridique français sur un problème de droit précis : le mariage d’un mineur. A la question, « le mariage d’un mineur est-il autorisé en droit français ? », il a répondu que « non, le mariage d’un mineur n’est pas autorisé en droit français ». Cette réponse est très générale. Elle n’a pas fait mention de la dispense du procureur de la République qui est une condition permettant la réalisation de ce mariage. Les réponses apportées par l’IA générative peuvent également apparaître contradictoires. Reprenant notre exemple du mariage du mineur, nous avons reformulé la question en demandant au chatbot si le mariage d’un mineur est autorisé, non plus « en droit français », mais simplement « en France ». Sa réponse s’est alors modifiée : le mariage du mineur est devenu possible à la condition d’obtenir le consentement de ses parents et l’autorisation du juge des tutelles. En plus d’être contradictoire au regard de la réponse précédente, cette affirmation est inexacte puisqu’elle confond autorisation du juge des tutelles et dispense du procureur. Cet échange met en lumière l’importance de la formulation de la question posée à l’IA (encore appelée « prompt »).

L’IA peut d’autre part, générer des contenus présentés comme certains, mais manifestement faux. On dit alors que l’IA hallucine, c’est-à-dire qu’elle produit des résultats entièrement fictifs. Dans une étude récente, des chercheurs du Stanford RegLab et de l’Institute for Human-Centered AI [14] ont démontré que les hallucinations des IA sont fréquentes dans le domaine juridique (les taux d’hallucination de GPT 3.5, PaLM 2 et Llama 2 seraient respectivement de 69 %, 72 % et 88 % en réponse à des requêtes juridiques spécifiques). Ces hallucinations ne sont pas réservées aux IA généralistes. Les IA spécialisées dans le domaine du droit et entraînées sur des sources juridiques hallucinent également. Au cours de plusieurs tests que nous avons réalisés sur différents chatbots, nous avons constaté que certaines IA inventent des textes de loi qui n’existent pas, mais qui présente les apparences de textes officiels (date, titre et numérotation crédibles). À l’inverse, d’autres peuvent affirmer qu’un texte ou une disposition législative n’a jamais existé ou a été supprimé, alors qu’il n’en est rien. Par exemple, nous avons demandé à un chatbot de définir la notion de bien par détermination de la loi. La définition apportée était floue et éloignée de la définition légale de l’article 529 du Code civil. Nous avons donc demandé à l’IA de nous indiquer le contenu de cette disposition. En réponse, l’IA nous a affirmé que l’article 529 n’existait pas. Pourtant, cet article n’a jamais disparu du Code civil depuis sa création. L’IA crée ainsi une information vraisemblable, susceptible de faire douter le juriste, mais se révélant en définitive inexacte. 

Nous développons actuellement des procédures standardisées pour évaluer les performances des IA génératives. Ces procédures sont en test avec des étudiants de Master 2 dans le cadre d’enseignements dédiés à la pratique de l’IA. Elles nous permettent de quantifier le niveau de compétence pour fournir des réponses exactes à certaines questions juridiques ou pour effectuer des recherches performantes de jurisprudence. Nous pouvons ainsi constater que la compétence des IA augmente régulièrement. Dans un test récent mené en octobre 2024, une IA a obtenu une moyenne de 15/20 sur une série de plus de trente questions juridiques posées. Après un dialogue entre le juriste et l’IA par l’intermédiaire de prompts, la moyenne s’est encore élevée (proche de 16/20), ce qui signifie que plus l’IA échange avec le juriste, meilleure est la qualité de sa réponse. En recherche de jurisprudence, la moyenne obtenue est plus faible (13.2) et surtout, l’écart de notes est plus élevé (allant de 0 à 20). Cela signifie que l’IA est parfois capable de trouver exactement la décision recherchée, alors qu’elle se révèle d’autres fois incapable d’identifier l’arrêt pertinent. 

Ces premiers tests normalisés décrivent, d’un côté, les progrès considérables réalisés par l’IA dans le domaine de l’apprentissage de la langue juridique et de la génération de textes, et d’un autre côté les limites de ces outils. À l’heure actuelle, les analyses fournies par les IA n’ont d’intérêt que si le juriste humain est en mesure d’en vérifier l’exactitude. L’IA fournit un travail préparatoire précieux dans la recherche d’information et le raisonnement juridique, mais le résultat fourni par l’IA doit rester sous le contrôle de l’humain. C’est la raison pour laquelle les outils les plus efficaces demeurent, pour le moment, ceux dédiés à la rédaction d’actes juridiques. 

La rédaction d’actes juridiques

Les avancées en intelligence artificielle permettent aujourd’hui de concevoir des systèmes capables de rédiger divers actes juridiques, en intégrant une analyse rapide et précise de la jurisprudence, de la doctrine et des éléments de droit applicables. Certaines IA sont spécialement conçues pour élaborer des documents juridiques, plus ou moins complexes, tels que des procès-verbaux d’assemblées générales, des convocations, des clauses spécifiques ou encore des contrats entiers. Les systèmes d’IA générative se montrent efficaces pour créer de toutes pièces des contrats complexes, même s’ils sont très spécialisés. Par exemple, nous avons testé l’outil de génération de contrats d’Ordalie pour créer un contrat de collaboration scientifique entre une université et une entreprise spécialisée en fabrication de lentilles optiques. En quelques secondes, l’outil a créé un contrat contenant huit clauses énumérant les principaux points clés d’une collaboration scientifique : l’objet et la durée de la collaboration, la contribution de chacune des parties (mise à disposition de locaux, de personnels, modalités financières…), le partage des droits de propriété intellectuelle, la confidentialité des informations scientifiques, ainsi que les clauses finales (résiliation, compétence juridictionnelle). L’intérêt de ce type d’outil consiste à fournir une base de travail au juriste qui est plus adaptée qu’un modèle de contrat. D’une part, le chatbot de génération de contrat permet au juriste de préciser ses besoins et d’obtenir en temps réel la modification de certaines clauses. D’autre part, l’IA est capable d’identifier les spécificités de l’opération contractuelle. De sa propre initiative, elle intègre des éléments tels que la fourniture de machines de polissage ou de substrats optiques. En d’autres termes, l’IA est créative. Elle suggère un contenu spécialisé propre au contrat envisagé. L’IA peut encore améliorer sa performance en analysant la base de données de contrats de l’entreprise ou du cabinet d’avocat. Elle peut être installée directement sur les serveurs du client et préserver son secret professionnel en évitant toute fuite de données.

De façon plus ambitieuse encore, dans un article intitulé In AI we trust, Part II [15], Adam Unikowsky, un juriste américain, explore les capacités du chatbot Claude 3 Opus, de trancher des affaires qui ont été portées devant la Cour suprême des États-Unis et de rédiger les décisions. Pour cela, il a soumis à cette IA tous les mémoires et arguments présentés par les parties pour les affaires traitées au cours d’une législature. Claude 3 a ensuite rédigé les décisions, dont 72 % s’avéraient concorder avec celles des juges humains (27 décisions sur 37 cas). Lorsque l’IA divergeait, ses raisonnements apparaissaient néanmoins justifiés et raisonnables. Cet auteur en a conclu qu’avec une formation supplémentaire (par exemple, en lui enseignant l'intégralité de la jurisprudence américaine), cette IA pourrait devenir un assistant efficace pour les juges, en produisant des décisions argumentées en un temps record (environ 5 000 fois plus rapide qu’un humain).

Inspirés par cette expérience, nous avons entrepris une démarche similaire en utilisant l’outil généraliste MistralAI. En lui exposant les faits d’un cas réel de séparation d’un couple, nous lui avons demandé de déterminer la résidence habituelle d’un enfant, ainsi que le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, et de formuler sa réponse sous la forme d’un jugement. Le résultat de cette expérience a été concluant, tant sur le fond que sur la forme. MistralAI a pris une décision qui correspondait à celle du juge humain dans le cas réel de référence : il a non seulement fixé la résidence habituelle de l'enfant de la même manière, mais a également statué sur le droit d’hébergement de l’autre parent en prévoyant un aménagement progressif, comme dans la décision originale. De manière inattendue, le chatbot a aussi statué sur les frais de l'article 700 du Code de procédure civile, bien que cela ne lui ait pas été demandé ; ce qui témoigne de son niveau d’apprentissage et de sa capacité à trancher des prétentions non explicitement formulées. Sur le plan formel, MistralAI a structuré le jugement, en séparant clairement les "motifs" de la décision elle-même, bien que la structure de ce document se distingue de la trame rigoureuse des décisions de justice (faits, procédure, argumentation des parties, motifs, dispositif). Cette expérience ne permet pas de conclure que l’IA rend la même décision que la juridiction saisie. Elle ne garantit pas non plus que le raisonnement juridique de l’IA soit systématiquement juste. En revanche, elle permet d’imaginer qu’avec une étape d’apprentissage suffisante, les systèmes seront capables de rédiger, au moins pour partie, des actes juridiques aussi complexes que des décisions de justice. En particulier, on peut penser que ce type d’outils pourraient être capables de générer la partie non décisionnelle (faits, procédure, argumentations des parties), en laissant au juge le soin de prendre la décision et de la motiver. Une telle perspective montre que les fonctions d’assistance que l’on peut attendre des IA se sont considérablement multipliées en quelques années. Leur usage tend, aujourd’hui, à supplanter les premiers outils dédiés à la quantification de l’aléa judiciaire.

II. Le juriste augmenté : quantifier l’aléa judiciaire

Le renouveau de l’IA dans l’univers juridique est apparu sous la forme d’études académiques ayant recours aux techniques de traitement des langues naturelles (TAL) à des fins de prédiction. En mai 2016, l’une de ces études a fait grand bruit. Des chercheurs sont parvenus, grâce à une méthode de TAL assez élémentaire, à prédire les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme avec une précision allant jusqu’à 79 % [16]. Quelques années plus tard, des chercheurs canadiens sont parvenus à prédire avec une précision de 93,7 % des décisions d’une juridiction spécialisée dans le contentieux des baux d’habitation [17]. Plus proches de nous encore, des chercheurs européens ont réussi à prédire les dispositifs d’arrêt de la Cour de cassation avec une précision de 98,6 %[18]. Ces recherches, si elles affichent des performances étonnantes, doivent être mises en perspective. Ces prédictions reposent sur la fréquence de certains mots ou groupes de mots dans les décisions. Elles ne relient pas à proprement parler, les faits d’une espèce à la décision de justice. Toutefois, elles ont ouvert un champ d’études sur la modélisation des processus de décisions des juges.

Ces travaux ont pris des formes concrètes lorsque des legaltechs ont investi ce champ expérimental pour élaborer des outils capables de quantifier l’aléa judiciaire, autrement dit, d’évaluer les chances de succès d’une action en justice. Predictice, qui a été l’une des premières entreprises à investir le marché, délivre des informations générales sur le taux d’acceptation en justice de différents chefs de jugement. Il est ainsi possible de savoir qu’en matière de caducité du contrat, le taux d’acceptation est jugé élevé, puisque plus de 60 % des demandes sont « acceptées » par les juges. Cet outil met en relation des chefs de prétentions avec des chefs de jugements. Il n'individualise pas les affaires en fonction des caractéristiques propres à chaque espèce (notamment les faits du litige).

Des solutions plus précises ont été développées, notamment par Case law analytics [19] sur plusieurs domaines du droit et, dans le domaine spécialisé des indemnités de licenciement, par Legalquantum [20]. La quantification de l’aléa judiciaire constitue une tâche hautement complexe. Il s’agit de mettre en relation les données factuelles d’une affaire avec les différentes options qui s’offrent au juge. Pour cela, l’apprentissage machine repose sur un travail très précis d’annotation et de structuration des faits à partir de l’analyse, par des personnes humaines, de décisions de justice. Chaque décision est intégrée dans une grille. Par exemple, pour modéliser les décisions rendues en matière de prestation compensatoire, la grille d’analyse doit comprendre des informations sur les revenus des époux, sur leur patrimoine, sur leur âge, ou encore sur les sacrifices professionnels réalisés pendant la durée du mariage. Pour modéliser les décisions sur les indemnités de licenciement, il faut identifier le temps passé dans l’entreprise, le salaire, l’âge du salarié, la taille de l’entreprise, etc.. Le modèle apprend ainsi à partir de plusieurs centaines (et parfois milliers) de décisions de justice, comment les juges tiennent compte de critères factuels pour prendre leur décision. Il est ensuite capable de combiner ces critères et de déterminer les différentes solutions que les juges donneraient à un litige particulier. À chaque solution est associée une probabilité. Par exemple, dans un dossier de prestation compensatoire, l’IA peut déterminer que 30 % des juges seraient susceptibles d’octroyer 22 000 euros à l’époux demandeur, 20 % des juges lui accorderaient 25 000 euros, etc.. L’avocat et son client peuvent alors mesurer leur chance d’obtenir un certain montant. 

Ces modèles d’IA dits « prédictifs » sont susceptibles d’intéresser les professionnels du droit de plusieurs manières. D’abord, il s’agit d’outils d’évaluation des chances de succès d’une prétention. Ils permettent à l’avocat et à son client d’élaborer une stratégie contentieuse ou amiable. Ensuite, les résultats produits par l’IA constituent des instruments essentiels dans la conduite des procédures amiables. L’outil d’IA pose une ligne de partage dans la négociation, qui sert de référence aux parties. Enfin, ces outils peuvent être utilisés à titre d’expertise privée dans des procédures. Les dossiers d’IA peuvent être produits en justice et leur influence s’avère parfois significative, comme l’a montré l’étude que nous avons réalisée à propos de l’impact des algorithmes sur la décision de justice [21].

La quantification de l’aléa judiciaire est une fonction très avancée en matière d’IA. Elle permet aux professionnels du droit d’aborder leurs dossiers avec une approche quantitative. Elle met également en avant le rôle essentiel joué par les faits dans la solution d’un litige. Alors que les raisonnements juridiques traditionnels font la part belle aux règles de droit, l’approche quantitative et probabiliste conduit nécessairement à prendre les faits au sérieux [22], c’est-à-dire à les remettre au premier plan. Toutefois, le travail de préparation des bases de données est fastidieux. Par ailleurs, les chefs de jugement ne se prêtent pas tous à la modélisation et donc à la prédiction. Il est parfois impossible d’établir un lien entre les faits du litige et la décision du juge. Certaines décisions sont peu motivées, d’autres ne sont pas accessibles (non publiées). Les éléments qui déterminent la décision du juge ne figurent pas tous dans les motifs du jugement ou de l’arrêt. Le temps d’annotation des décisions de justice est considérable et il représente un coût important en ressources humaines. La quantification de l’aléa judiciaire est ainsi aujourd’hui limitée à un nombre restreint de domaines juridiques. 

***

En définitive, ce tour d’horizon des grands développements de l’IA dans l’univers juridique montre à la fois les progrès très rapides des technologies et leurs limites. Les outils qui existent sur le marché et les expérimentations réalisées dans le monde académique montrent que les tâches de l’intelligence juridique ne sont pas réservées à l’intelligence naturelle, c’est-à-dire aux personnes humaines. L’IA a déjà fait preuve de ses capacités de simuler des raisonnements humains et de traiter des problèmes juridiques. C’est surtout sur le terrain de la fiabilité que se joue actuellement l’avenir de l’IA. En particulier, pour les acteurs de la Legatech, il faudra rapidement convaincre que l’IA générative est en mesure de délivrer une information systématiquement juste, alors même que cette IA a la réputation d’être « agnostique à la vérité ».  

 

[1] Chinese scientists develop AI ‘prosecutor’ that can press its own charges, South China Morning Post, 26 décembre 2021 [en ligne]. 

[2] Ce service n’a jamais été mis en œuvre, car le créateur de cet outil a été poursuivi en justice pour exercice illégal de la profession d’avocat, lire, IA : le robot-avocat DoNotPay poursuivi en justice pour son absence de diplôme, Les numériques, 13 mars 2023 [en ligne].

[3] A. Garapon, Les enjeux de la justice prédictive, JCP G, p. 31. 

[4] Le ministère de la Justice renonce à son algorithme DataJust, Acteurspublics, 14 janvier 2022 [en ligne].

[5] V., sur le site Github. 

[6] J.-M. Sommer, La Cour de cassation à l’épreuve du numérique et de l’intelligence artificielle, Vie publique, 9 février 2021 [en ligne]. 

[7] V., le site Superlegal. 

[8] L’intelligence artificielle AlphaGo bat une nouvelle fois le champion du monde de go, Le Monde, 25 mai 2017.

[9]V. le site Claudette. 

[10] Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique N° Lexbase : L4795LAT.

[11] P. Sugy, À cause de ChatGPT, un avocat américain cite des arrêts... qui n'ont jamais existé, 29 mai 2023, Le Figaro [en ligne].  

[12] E. Duval, ChatGPT : un juge colombien tranche une affaire à l’aide du logiciel d’intelligence artificielle, 3 février 2023, Libération [en ligne].

[13]Erreur de code. Un juge brésilien s’aide de l’IA et rend une sentence pleine de fautes, Liberation, 14 novembre 2023 [en ligne].

[14] M. Dahl, V. Magesh, M. Suzgun et D. E. Ho, Large Legal Fictions : Profiling Legal Hallucinations in Large Language Models, juin 2024.

[15] A. Unikowsky, In AI we trust, part II, Adam's Legal Newsletter [en ligne].

[16] N. Aletras, D.Tsarapatsanis, D. Preotiuc-Pietro, V. Lampos, Predicting judicial decisions of the European Court of Human Rights: A natural language processing perspective, PeerJ Computer Science, 2016, 2.

[17] O. Salaün, Ph. Langlais, A. Lou, H. Westermann, K. Benyekhlef, “Analysis and Multilabel Classification of Quebec Court Decisions in the Domain of Housing Law”, Natural Language Processing and Information Systems (International Conference on Applications of Natural Language to Information Systems), 2020, pp.135-143.

[18] O. Sulea, M. Zampieri, Sh. Malmasi, M. Vela, L. Dinu, J. van Genabith, Exploring the Use of Text Classification in the Legal Domain, Proceedings of the 2nd Workshop on Automated Semantic Analysis of Information in Legal Texts (ASAIL 2017). 

[19] Rachetée en 2023 par Lexisnexis, la solution Caselawanalytics est aujourd’hui distribuée sous la forme d’un « simulateur de décisions de justice ». 

[20]V. le site Legal Quantum qui propose une solution dite de « pricing de la rupture du contrat de travail au service de l’amiable ».

[21] E. Vergès, Le juge face à la boîte noire : l’intelligence artificielle au tribunal, Recueil Dalloz, 2022, p. 1920 ; G. Vial, Prise en main d’un outil d’intelligence artificielle par des auditeurs de justice : l’office du juge sous l’influence des algorithmes, Recueil Dalloz, 2022, p. 1928.

[22] W. Twinning, Taking Facts Seriously, Journal of Legal Education, 1984, vol. 34, p. 22.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Quand l’IA générative transforme le modèle des cabinets d’avocats

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par Olivier Chaduteau, Associé, PwC Legal Business Solutions

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu de notre dossier spécial consacré au "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Olivier Chaduteau est associé chez PwC Legal Business Solutions, Global Leader de la pratique « Legal Department Consulting » au sein du réseau PwC Legal Business Solutions et en charge de la personnalisation d’Harvey en France. Il conseille également de nombreuses directions juridiques de sociétés du CAC 40.

Il a accepté de nous livrer ses réflexions sur l'impact de l'intelligence artificielle générative sur le modèle des cabinets d'avocats.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

La rupture technologique que représente l’intelligence artificielle (IA) impacte l’ensemble de l’économie, des métiers et des marchés sans pour autant générer un gain de productivité immédiat.

Toutefois, l’intelligence artificielle comporte bien les trois caractéristiques incontournables d’une technologie générique ainsi défini : « ampleur de la diffusion, s’améliore avec le temps et donc réduit les coûts des utilisateurs, et est générateur d’innovation » [1]. L’IA va permettre non seulement des gains de productivité à moyen/long termes mais surtout générer un changement de paradigme digne de toutes les dernières révolutions industrielles. Seulement aujourd’hui, comme le dit Roy Amara, scientifique et futuriste, « we tend to overestimate the effect of a technology in the short run and underestimate the effect in the long run. » Connue uniquement par le grand public en novembre 2022 avec le lancement de ChatGPT par OpenAI, l’intelligence artificielle générative, mise en exergue par des ingénieurs de Google en 2017 dans leur papier désormais célèbre « Attention is all you need » [2] se focalise sur le langage humain et comment une machine peut passer le test de Turing [3] imaginé par le chercheur britannique éponyme en 1950. Et le langage juridique, si précis et si structuré, n’est-il pas un terrain de jeux idéal pour l’IA générative lorsque des millions de documents, règlements, textes, lois, articles, jugements deviennent disponibles en Open data ? Comment ce changement de paradigme de la société va-t-il impacter le marché du droit qui, historiquement, « vendait son temps » [4] maintenant que le temps se réduit ? Et qu’en disent les principaux clients des cabinets d’avocats ? 

Dans l’étude PwC « L’IA Générative & Directions Juridiques : créer le monde de demain ! » sortie en juillet 2024, les 80 directions juridiques interrogées décrivaient clairement leurs attentes vis-à-vis des cabinets d’avocats selon 5 axes : 

- Pour 67 % une réduction des honoraires

- Pour 36 % plus de transparence

- Pour 35 % plus d’innovation

- Pour 27 % plus de conseils stratégiques

- Pour 18 % un meilleur partage d’expérience sur leurs projets de Gen-AI

Reprenons chacun de ces éléments et essayons d’analyser l’impact pour les cabinets d’avocats.

I. Réduction des honoraires

L’inventeur du « taux horaire » et des « feuilles de temps », Reginald Heber Smith avait popularisé en 1919 [5] aux Etats-Unis son approche dans un article qu’il rédigea par la suite en 1940 pour l’ABA Journal [6], et dans lequel il incitait ses confrères à professionnaliser leur cabinet et à vendre leur connaissance et savoir en vendant du « temps ». « The service the lawyer renders is his professional knowledge and skill, but the commodity he sells is time, and each lawyer has only a limited amount of that » [7]. Il ajoutait un peu plus loin un élément très intéressant : « The great aim of all organization is to get a given legal job properly done with the expenditure of the fewest possible hours ». [8] Avec la transformation digitale, le temps n’est plus un élément facturable puisque la promesse de valeur repose justement sur le gain de temps et l’obtention en temps réel d’information, de données, de documents ou d’analyses. Le « temps » n’est donc plus à vendre mais à gagner. Cette « immédiateté du service » bouleverse tous les modèles et les comportements des professionnels du droit. Mais cette accélération impose de réaliser une dichotomie entre les tâches industrialisables et automatisables qui doivent permettre ainsi de ramener à un temps de traitement quasiment nul pour transformer ce gain de temps en temps d’analyse, d’innovation juridique et de réflexion sur des sujets à forte valeur ajoutée (voir infra. « Plus de conseil stratégique »). Concernant l’IA générative et les cabinets d’avocats, les directions juridiques expriment une attente claire pour une révision de leur modèle de facturation. La réduction des honoraires est envisagée à travers une stratégie de prix axée sur la valeur apportée plutôt que sur le temps passé. Ce qui nécessiterait de passer d’une stratégie de « Cost + » connu depuis Reginald Heber Smith, vers une stratégie que les anglo-saxons appellent de « value pricing ». Les clients souhaitent que l'IA générative soit utilisée pour les tâches à faible valeur ajoutée et que ces tâches ne soient pas facturées, afin de concentrer les coûts sur les services à forte valeur ajoutée… et pourquoi pas facturés plus chers que ce que représenteraient le total des heures passées multipliées par un taux horaire arbitrairement créé. En réalité, le sujet est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait car demande une réflexion poussée sur la stratégie du cabinet d’avocats permettant d’adopter tel ou tel business model et donc tel ou tel mode opératoire avec plus ou moins d’IA générative, justement en fonction du positionnement souhaité. A l’instar de leurs clients, les cabinets d’avocats doivent réaliser une BMR, « Business Model Reinvention » afin de s’assurer de la pérennité de leur model à moyen / long terme. En effet, la dernière CEO survey de PwC analysait que « près de 40 % des dirigeants mondiaux et 45 % des dirigeants français pensent que leur entreprise ne sera économiquement plus viable dans une décennie s'ils continuent sur leur voie actuelle » [9]. Qu’en est-il des cabinets d’avocats aujourd’hui qui s’appuient tous sur un business model créé il y a plus de 100 ans ?

L’offre de marché, qui s’est déjà beaucoup diversifiée ces 20 dernières années [10], va continuer sa mue et il y a fort à parier que le marché des cabinets d’avocats va se segmenter bien davantage et que les business models vont être multiples et variés. L’intérêt ici n’est pas de facturer moins, mais de facturer mieux en prenant en compte la marge plutôt que simplement le chiffre d’affaires. N’oublions pas que les coûts de mise en place et de maintenance technique et humaine de l’intelligence artificielle générative ne sont pas indolores. Car si le temps passé par les avocats pour produire la réponse grâce à l’IA Générative est drastiquement diminué, il s’accompagne d’un investissement conséquent du cabinet dans cette technologie qui va devoir se répercuter sur la facturation. 

II. Plus de transparence 

Cette exigence de clarté se manifeste notamment par la volonté de connaître l'usage précis de l'IA générative, la technologie utilisée, les règles de sécurité informatique, la confidentialité des documents clients utilisés, l’entrainement ou non des IA avec les données clients... Les directions juridiques souhaitent être informées explicitement lorsque l’IA générative est utilisée, allant jusqu'à intégrer des clauses contractuelles qui obligent les cabinets à divulguer l'utilisation de telles technologies. Il suffit de regarder les derniers RFP lancés sur le marché en France et les renouvellements de panels notamment pour avoir une bonne idée de l’évolution de la demande. Ce point, capital pour les clients, est également capital pour les avocats dont l’ADN, au-delà même de l’obligation professionnelle, est bien le respect de la confidentialité de leurs clients et de leurs avis. Ce point nous semble correspondre à un alignement parfait des visions et des enjeux entre les cabinets et leurs clients. Toutefois, pour revenir au point précédent, cela ne se fera pas sans générer des coûts, une fois encore financiers et humains.

III. Plus d’innovation

Facile à dire, plus compliqué à faire et à valoriser ! L’innovation, qu’elle soit incrémentale ou disruptive est intimement liée à la pratique du droit dans le monde. Au-delà de la rupture digitale, il faut également parler de la rupture réglementaire avec sa croissance normative ininterrompue. L’IA générative peut être un atout puissant pour les professionnels du droit car une aide précieuse pour appréhender la volumétrie croissante de règles, lois, directives… produites par les législateurs au sens large. Elle peut aussi aider les cabinets d’avocats à faire des newsletters plus personnalisées, des formations, des conférences permettant d’être plus rapidement présents sur le marché dès qu’une nouvelle réglementation voire projet de loi pointe son nez ! Si une réglementation peut être perçue comme un risque, un frein, un poids, elle peut également être vue comme une opportunité à qui saura anticiper l’impact positif, et pas seulement négatif pour son client. Le temps gagné en déployant l’IA générative sur des processus simples (contrats simples, revue de documentations, facturations, tâches administratives, formations, synthèse de textes, comparaison de transpositions…) permet aux avocats de se concentrer pour innover davantage. Et au-delà de la réglementation, l’innovation peut également concerner la façon dont les prestations juridiques sont délivrées, facturées, valorisées. Et de ce point de vue, il y a une forte attente des clients sur la capacité des cabinets d'avocats à innover et à s'adapter aux changements induits par l’IA générative pour rester compétitifs. L’innovation est perçue comme le moyen d'offrir une plus grande pertinence, une force de frappe accrue et des délais d'exécution réduits. 

IV. Plus de conseil stratégique

Et fort heureusement, l’IA générative n’est pas là pour remplacer l’avocat mais bien là pour l’aider, l’augmenter et le sublimer ! La valeur ajoutée en droit est bien l’apanage du cerveau humain juridique et non des algorithmes de la machine. Les directions juridiques attendent des cabinets d'avocats qu’ils fournissent un conseil stratégique plus poussé, des analyses plus approfondies et plus documentées, des interprétations plus fiables des textes de loi et de la jurisprudence. L’IA générative sera un très bon outil permettant aux avocats de consulter davantage de documents, analyses, benchmarks, précédents, réglementations, études de marché et ainsi d’être mieux éclairés sur un sujet précis pour apporter davantage de valeur à leurs clients. Le temps gagné est aussi un temps à passer à parfaire ses propres analyses ou à échanger plus longuement avec son client et son écosystème. Plus stratégique signifie également plus de valeur, donc un bon moyen d’élever le prix de la prestation vendue. Là encore, le temps passé aura moins d’importance que la valeur créée. 

V. Un meilleur partage d’expérience sur les projets d’IA générative

Il faut rester ouvert et modeste, les entreprises ou les cabinets n’ont même pas deux ans de recul sur l’IA générative. Des projets échouent chaque jour, il est important d’apprendre de ses erreurs mais aussi des erreurs des autres. Il en de même des succès ! Nous avons coutume de dire qu’en matière d’IA générative, il est urgent d’aller doucement. Urgent d’appréhender et comprendre la technologie, ses impacts, ses risques et ses possibilités pour ensuite prendre le temps de l’analyse du réel impact sur sa chaine de valeur. Les cabinets d’avocats doivent faire de même, l’impact ne sera pas équivalent pour tous les cabinets ou tous les avocats, et même au sein de la même expertise, plusieurs variables étant à prendre en considération. Il sera intéressant de voir comment l’initiative du Barreau de Paris avec Lefebvre Dalloz ou encore avec Doctrine pour offrir gratuitement l’accès à un outil d’IA Générative à 14 000 avocats de la capitale d’ici le 31 décembre 2025 sera appréhendée. Comment ces cabinets intégreront cet outil dans leur chaine de valeur et repenseront leur modèle et leur prix. Une analyse rigoureuse, étape par étape, tâche par tâches des processus de production de la prestation de service juridique doit être faite puis une mesure du retour ou non sur investissement doit être calculée. Alors et alors seulement il s’agira de mettre en place doucement puis de passer à l’échelle par la suite en veillant à assurer un accompagnement humain important. Acheter des licences et lancer son projet est voué à l’échec sans analyse et accompagnement. Sur ces projets, « proof of concept », tests, tentatives… les directions juridiques attendent que les cabinets d’avocats soient des partenaires dans la co-création de solutions et qu'ils partagent leurs connaissances et leur expérience quant à l’usage de l’IA générative. Partager ses expériences en IA générative est un moyen facile et efficace d’être plus près et plus souvent de ses clients. Les avocats, soucieux, à juste titre, de conserver le fameux intuitu personae, devraient y réfléchir à deux fois avant d’opposer relations humaines et IA.

« La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer » nous indiquait Peter Drucker. Et plus récemment, la Commission de l’intelligence artificielle, indiquait qu’il fallait « dédiaboliser l’IA sans pour autant l’idéaliser » [11]. Le monde de demain démarre aujourd’hui, aux professionnels du droit de s’emparer de ces enjeux pour construire un nouveau modèle plus efficient, plus éthique, plus rentable, mais également plus humain.

 

[1] Bresnahan, T.& Trajtenberg, M. General purpose technologies ‘Engines of growth’, Journal of Econometrics, Elsevier, volume 65, n° 1, pages 83 108, 1995.

[2] A.Vaswani, N. Shazeer, N. Parmar, J. Uszkoreit, L. Jones, A. N. Gomez, Ł. Kaiser, I. PolosukhinAttention Is All You Need, Part of Advances in Neural Information Processing Systems 30 (NIPS 2017) [en ligne].

[3] A. M. Turing, I.- Computing machinery and intelligence, Mind, Volume LIX, Issue 236, October 1950, Pages 433–460.

[4] Reginald Heber Smith, The Law Office Organization, American Bar Association Journal, Vol. 26, No. 5 (MAY 1940), pp. 393-396.

[5] Reginald Heber Smith, Justice And The Poor : A Study Of The Present Denial Of Justice To The Poor And

Of The Agencies Making More Equal Their Position Before The Law, 1919.

[6] Reginald Heber Smith, The Law Office Organization, American Bar Association Journal, Vol. 26, No. 5

(MAY 1940), pp. 393-396

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] PwC France, Communiqué de Presse, 16 janvier 2023 [en ligne].

[10] O. Chaduteau, L’impact de l’innovation digitale sur la transformation du marché du droit et des directions juridiques des entreprises. Paris 2 Assas-Panthéon, Thèse (2020) sous la Direction du Professeur Bruno Deffains.

[11] Rapport « IA : Notre Ambition pour la France » - Commission de l’Intelligence Artificielle présidée par Philippe Aghion et Anne Bouverot, mars 2024.

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Intelligence artificielle

[Questions à...] "Les promesses de l’IA font rêver !" - Questions à Frédéric Nouel, Senior Partner de Gide

Lecture: 9 min

N1151B3Z

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par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Avocats

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu de notre dossier spécial consacré au "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Frédéric Nouel, Senior Partner de Gide, a accepté de nous livrer son regard sur l'impact de l'intelligence artificielle générative sur le cabinet et ses attentes en la matière.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

Lexbase Avocats : Est-ce que l'IA fait déjà partie intégrante de votre quotidien professionnel ?

Frédéric Nouel : Nous utilisons bien sûr des outils intégrant des solutions d’IA (par exemple en matière de traduction), mais l'intelligence artificielle générative ne permet pas encore aujourd’hui de travailler sur le cœur des sujets qui préoccupent nos clients.

Bien que ce soit un outil formidable pour guider une première recherche, les solutions IA disponibles ne sont pas encore suffisamment pertinentes pour répondre aux exigences de précision et de rigueur d'une recherche de solution juridique.

L'IA générative peut fournir des réponses et même, dans ses dernières versions, tenter de structurer un raisonnement. C'est un gain de temps appréciable quand on découvre un sujet – notamment pour nos clients – et pour nous, lorsque nous le maitrisons, pour se remémorer l'approche générale de la problématique et le résumé de la solution communément admise.

Cependant, en l'état, elle n'offre que des réponses "majoritaires" ce qui peut être dangereux. Le raisonnement majoritaire n'est pas toujours exact et ne constitue pas nécessairement la meilleure solution… Nous, avocats, ne somment pas sollicités pour simplement répéter des solutions usuelles à des problèmes communs disponibles sur internet ou dans des ouvrages. Les clients et justiciables font appel à leur avocat pour explorer des solutions adaptées à leur situation personnelle et pour identifier les exceptions aux principes dont ils pourront tirer parti dans la défense de leurs intérêts.

Lexbase Avocats : L’accès à l’intelligence artificielle ne devrait donc pas diminuer le recours aux avocats ?

Frédéric Nouel : L'idée que l'IA pourrait réduire le recours aux avocats ou banaliser la prestation juridique est en contradiction avec la nature même du droit. Le droit, en tant qu'ensemble de règles consensuelles, organise la société et son respect assure l'ordre public. Le rôle de l'avocat est d'en être le médiateur, partageant cette responsabilité avec les professeurs et les magistrats. De Gutenberg à l'IA, tout outil qui facilite la diffusion et la compréhension du droit est bienvenu. Cependant, la simple connaissance n'est pas suffisante pour appliquer et faire respecter la loi. Les conflits sont nombreux et doivent être tranchés par un juge qui est toujours saisi par des thèses opposées. Dans ce système universel, convaincre, est essentiel et tant qu'il s'agira de convaincre un juge ou un tribunal, et non une intelligence artificielle, ce sont des avocats qui iront plaider.

Lexbase Avocats : Comment l'intelligence artificielle peut-elle être utile aux avocats ?

Frédéric Nouel : L'intelligence artificielle peut apporter une aide précieuse aux avocats en améliorant leur capacité à identifier plus rapidement des solutions efficaces. Par exemple, lorsqu'ils effectuent une recherche de jurisprudence, les avocats respectent la hiérarchie des juridictions en recherchant d'abord les décisions de la Cour de cassation. La solution est toutefois moins évidente lorsque celle-ci ne s'est pas prononcée. Grâce à l'IA générative, il est désormais possible pour certains éditeurs juridiques d'envisager de proposer des outils qui permettraient aux avocats de repérer, dans un nombre très important de décisions de première instance, la solution la plus fréquemment appliquée à des situations sensiblement identiques. L'IA a manifestement la capacité exceptionnelle d'analyser rapidement des volumes importants de décisions pour détecter celles qui présentent des similitudes et en extraire des orientations pertinentes.

Lexbase Avocats :  Aujourd'hui, constatez-vous déjà l'impact de l'IA dans votre cabinet ?

Frédéric Nouel : Nous ne voyons pas encore d'impact très significatif mais beaucoup nous l'annoncent ! Nous apprenons à utiliser les outils que commencent à nous proposer les éditeurs. Toutefois la plupart sont encore en cours de développement. Lorsqu'ils seront paramétrés et disponibles, nous pourrons certainement gagner beaucoup de temps en détectant plus vite les tendances jurisprudentielles et en rédigeant et adaptant plus vite nos contrats. L’IA viendra enrichir notre boîte à outils sans remettre en cause notre raison d'être qui reste toujours de convaincre que notre approche est la bonne, qu'il s'agisse d'une transaction ou d'un contentieux. Il est de notre devoir d'encourager les éditeurs à mettre au point des outils efficaces et d'apprendre rapidement à les utiliser pour mieux servir nos clients.

Lexbase Avocats : Compte tenu de la force de frappe de votre cabinet, avez-vous pensé à faire des développements IA en interne ?

Frédéric Nouel : Nous sommes engagés à plusieurs niveaux.

Le premier niveau consiste à rester attentifs aux nouveautés et développements sur le marché. Nous ne voulons pas manquer les nouveaux outils et souhaitons être capables d'en tirer le meilleur parti. Bien que ces outils soient encore évolutifs, nous n'attendrons pas qu'ils soient optimaux ou utilisés par tous pour les adopter, nous prenons le risque d'en tester un nombre important. Nous travaillons avec tous les éditeurs pour connaître leurs développements et les soutenir.

Le deuxième niveau concerne les prestataires d'IA offrant des services d'automatisation et d'amélioration de la production documentaire. Des services comme « Henchman » fournissent des outils élaborés pour accélérer la rédaction de contrats et la mise à jour des documents. Ces outils pourraient nous faire gagner beaucoup de temps pour les documents standardisés. Bien que certains tests, ne soient pas encore tous concluants, le potentiel de gain de temps est important.

Enfin, le troisième niveau viendra lorsque les éditeurs offriront les modules d'analyse de leurs bases, offrant ainsi aux cabinets des outils pour mieux utiliser leur propre savoir faire. Nous espérons voir ces produits arriver rapidement.

Pour ce qui concerne notre cabinet, nous disposons d'une base de savoir faire qui est à la fois très riche et très spécifique, car nous avons vocation à traiter les cas particuliers. C'est donc toujours difficile de réutiliser de la documentation, elle n'est jamais exactement transposable. Cependant, disposer d'une base documentaire bien classée au terme d'une analyse par l'IA, permettant de retrouver des situations et des mécanismes, au-delà des simples mots-clés, nous sera extrêmement utile. C’est ce que les éditeurs tentent aujourd'hui de proposer pour exploiter leurs propres bases de données et nous pourrons nécessairement en bénéficier à terme.

Pour se préparer, il faut apprendre à se servir des nouveaux outils. Concevoir un prompt sur une IA générative diffère d'une recherche par mots clés dans Google.

Lexbase Avocats : La formation devient-elle donc la clé de cette évolution ?

Frédéric Nouel : La formation est effectivement indispensable, mais en réalité, les générations montantes ont déjà intégré l'utilisation de ces IA génératives. Il faut surtout sensibiliser les autres à leur utilisation. Actuellement, nous avons plus de 100 avocats qui testent des applications d'intelligence artificielle de manière quasi permanente. Je préfère garder confidentiels les montants investis, mais ils sont significatifs."

Lexbase Avocats : Vous êtes un cabinet français avec des clients français de l’armement, de l’aéronautique ou d’autres secteurs où la souveraineté et la confidentialité sont clés ; est-ce que vous craignez tout particulièrement des atteintes au secret professionnel et à la confidentialité des échanges avec l’utilisation des IA Generative ?

Non car tous les avocats et plus généralement tous les membres du cabinet sont sensibilisés et formés à l’accès et au traitement des données sensibles de nos clients. Ils savent correctement utiliser les outils mis à leur disposition.

Lexbase Avocats : Voyez-vous l'IA comme un facteur d'harmonisation des règles juridiques internationales ?

Fréderic Nouel : Oui, mais uniquement dans une perspective à long terme et sans que cela soit lié à l'IA générative. L'harmonisation résulte des exigences du commerce mondial qui conduisent à l'uniformisation des règles. Qu'apporte l'IA à ce processus ? Elle peut être un facteur d'accélération de cette uniformisation, tout comme l'ont été avant elle l'imprimerie puis Internet. L'IA représente le dernier avatar du progrès de l'intelligence, facilitant l'accès à l'information, au savoir, et au raisonnement.

Dans cette perspective, cela devient très compliqué - dans un environnement démocratique qui garantit l'accès libre à l'information et au savoir - de préserver des bulles de règles dérogatoires non alignées pas sur des principes et règles communément admises.

Lexbase Avocats : Est-ce finalement un nouveau défi pour les avocats ?

Fréderic Nouel : Autrefois, on consultait un avocat pour connaître la règle ; désormais, on le consulte pour savoir comment l'appliquer et identifier la bonne solution à des cas toujours plus particuliers. Le niveau de sophistication s'accroit constamment et il faut s'en réjouir. En cela l'IA n'est pas plus un défi pour les avocats qu'elle ne l'est pour les médecins. Nous l'abordons avec énormément d'enthousiasme ; l'intelligence artificielle va nous faire gagner du temps, simplifier certaines tâches plutôt pénibles, fiabiliser nos recherches, et nous permettre d'échanger plus vite entre nous et avec nos clients sur des sujets plus intéressants.

L’intelligence artificielle va stimuler l'imagination, et c'est formidable. D’ailleurs, on ne parlerait pas de révolution s'il n'y avait pas cet engouement général : les promesses de l’IA font rêver !

Lexbase Avocats : Alors, dans combien de temps pourrions-nous publier un nouveau numéro spécial pour faire le bilan et évaluer cet impact ?

Fréderic Nouel : Au rythme où vont les choses, sachant que Chat GPT a deux ans, on pourrait peut-être appliquer à l'IA à la loi de Moore. Ceci signifierait un doublement de la puissance tous les dix-huit mois.  Essayons cela et faisons le point dans dix-huit mois. Le paysage sera peut-être très différent : tous les éditeurs devraient avoir sorti leurs outils que nous n'allons pas indéfiniment tester… Dans dix-huit mois, nous serons peut-être passés à quelque chose de complètement différent. Avec l’IA qui stimule l'imagination, il est bien difficile de prédire la suite de l'histoire !

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Intelligence artificielle

[Questions à...] "L’avocat est de plus en plus « augmenté », mais cela ne signifie pas que sa pratique requière de moins en moins d’humain" - Questions à Louis Degos

Lecture: 11 min

N1153B34

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par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Avocats

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu de notre dossier spécial consacré au "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Louis Degos est avocat au Barreau de Paris. Il dirige la pratique Contentieux et Arbitrage au sein du bureau parisien de K&L Gates. Durant ses six années de mandat au Conseil National des barreaux, il a notamment été Président de la Commission « Prospective et Innovation ».

Il a accepté de nous livrer son regard sur l'impact de l'intelligence artificielle générative sur la profession d’avocat et particulièrement dans le domaine spécifique de l’arbitrage.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

Lexbase Avocats : Comment l'IA générative va-t-elle, selon vous, redéfinir les rôles au sein des cabinets d'avocats ? Peut-on anticiper une réduction du personnel, notamment concernant les élèves avocats et les jeunes collaborateurs souvent chargés de tâches de recherche et de rédaction ?

Louis Degos : Il est évident que l'intégration de l'IA, et plus spécifiquement de l'IA générative, aura un impact sur la gestion des cabinets, ce qui est déjà observable aujourd'hui.

Cependant, je ne suis pas certain que cet impact se limite aux jeunes avocats. La recherche d'informations sera évidemment l'une des activités les plus impactées, l’IA étant capable de réaliser des recherches potentiellement plus exhaustives, mais peut-être moins structurées qu'un juriste. L'IA pourrait accorder une importance excessive aux détails, tandis qu'un juriste professionnel peut affiner et prioriser les informations. Cela aura effectivement des conséquences, mais il faut noter que la nouvelle génération est généralement mieux formée à l'utilisation de ces outils technologiques.

Je ne pense pas que l'impact se traduira par une réduction de personnel, -il ne s’agit pas toujours de personnel salarié-, mais plutôt par une translation dans les activités.

L’avocat est de plus en plus « augmenté », mais cela ne signifie pas que sa pratique requière de moins en moins d’humain.

Par exemple, même si la recherche peut être automatisée, la notation de cette recherche sera importante et requerra toujours un juriste. Une erreur humaine peut entraîner une mauvaise réponse de l’IA donc il sera nécessaire d’améliorer le prompt pour obtenir des résultats plus appropriés, utiles et plus précis et surtout éviter les hallucinations et autres mauvaises compréhensions.

Je crois donc que l’impact ne sera pas quantitatif, mais qualitatif. Autrement dit, un changement dans les activités que l’on va demander aux jeunes avocats. 

Lexbase Avocats : La formation va donc être au cœur de cette « translation d’activité ». Quelles formations vous semblent prioritaires et comment envisagez-vous leur mise en place ?

Louis Degos : Selon moi, il est essentiel de proposer à la fois une formation pratique sur ces nouveaux outils et une formation critique concernant ces nouvelles technologies.

Ces formations devront être instaurées, et je pense notamment que les écoles d’avocats joueront un rôle clé à cet égard. Nous avons prévu dans notre programme d'action[1] de proposer à l'EFB des formations supplémentaires qui vont au-delà du parcours obligatoire, que nous jugeons quelque peu dépassé. Il est impératif, selon nous, d'inclure des formations portant sur l'usage des outils d'IA, leurs caractéristiques, et les points d’attention à surveiller. En outre, il est crucial d'apprendre à évaluer ces outils tout en conservant un esprit critique.

Nous cherchons à utiliser des outils professionnels, et il est donc primordial d'adopter une approche tout aussi professionnelle à leur égard. 

La question ne doit pas se limiter au confort d'utilisation, mais doit également porter sur la fiabilité, la précision et la pertinence des résultats fournis. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'outils dits « grand public » qui offrent des résultats approximatifs. Bien que nous ne soyons plus aux premiers pas de l'IA, les outils continuent de s'améliorer, et je perçois une marge significative de progression à cet égard.

Lexbase Avocats : Pour intégrer l’IA et optimiser les coûts, les cabinets vont nécessairement devoir adapter leur modèle économique. Craignez-vous la fameuse fracture numérique entre « petits » et « grands » cabinets ? 

Louis Degos : Il est certain que certains cabinets seront mieux équipés que d'autres. Cela ne signifie pas que les cabinets peut-être moins équipés ne pourront pas fonctionner. Je me souviens, lorsque j'étais président de la commission « prospective innovation » au CNB, avoir réalisé une étude comparant l'ubérisation de l'industrie hôtelière avec celle des marchés des avocats et des services juridiques. Mais, la présence de palaces cinq étoiles n'empêche pas l'existence d'hôtels trois étoiles. 

Dans le cadre de l'ubérisation et de la numérisation, les grands schémas restent assez similaires. 

Sur le plan macroéconomique, les « petits » cabinets  ne vont pas disparaître, mais ils ne disposeront pas des mêmes services en matière d'IA comparé aux « grands cabinets ». Cela étant, cette situation n'est pas nouvelle : les plus « grands cabinets » ont toujours eu accès à des ressources, abonnements et documentations supérieurs à ceux des plus petits, et ils n'ont pas non plus la même clientèle. Les clients des grands cabinets ont généralement des besoins et des ressources plus importantes que ceux des plus petits cabinets. Par « moyens », je ne fais pas référence aux honoraires, mais aux services juridiques étendus, aux ressources informatiques, aux documentations, à l'IA, etc..

Le niveau d'équipement et donc les attentes des clients de grands cabinets ne sont pas comparables à celles d'un particulier souhaitant, par exemple, divorcer.

Je ne suis donc pas inquiet à ce sujet. C'est un marché très diversifié, avec des offres et des demandes qui s'adaptent. Il ne s'agit pas de doter tout le monde d'une « Ferrari » utile seulement sur circuit, mais incapable de circuler en ville ou sur des chemins. Or il faut aller partout pour l’accès au droit.

Quant au modèle économique, je pense que l'offre va se diversifier et s'adaptera à la demande. Certains cabinets chercheront des solutions toujours plus sophistiquées, notamment en matière d'IA, alors que d'autres n'en verront pas l'utilité. Le marché va s'élargir, et je ne crains pas que certains cabinets restent au bord du chemin. Ce que Pierre Hoffmann a initié est très bien, car cela offre aux avocats, même peu équipés, une introduction et une découverte de l'IA. 

Lexbase Avocats : Dans le domaine spécifique de l'arbitrage, que peut apporter l'intelligence artificielle ?

Louis Degos : En matière de documentation juridique, je pense que l'arbitrage international va connaître un grand bond grâce à l'IA. L'IA est dépourvue de nationalité et, j’irais presque plus loin, elle n'a pas de langue propre puisqu'elle les maîtrise toutes.

L'IA sera donc d'une grande utilité. Elle pourrait agir comme un jeune collaborateur juriste, capable d'être parfaitement polyglotte et d'atteindre un niveau de compétence peut-être pas parfait, mais acceptable. 

En ce qui me concerne, dans 70 à 80 % des dossiers d'arbitrage que je traite, je n'utilise ni la langue française ni le droit français. Dès lors, quand il s'agit d'appliquer le droit d'autres pays, l'IA constitue pour moi une aide non négligeable. Se pose toutefois toujours le problème de ce que l’IA va pouvoir trouver. Cela nous ramène au problème crucial des datas, qui représente un point d'attention critique. 

Toutefois, il est certain que le secteur de l'arbitrage est particulièrement propice à l'utilisation de l'IA.

Lexbase Avocats : Est-ce que l’IA va en ce sens participer à une globalisation et à une uniformisation du droit ? 

Louis Degos : Effectivement, il ne reste aujourd’hui que le droit pour changer en traversant les frontières. L'IA et le numérique, n'ayant ni frontières ni nationalité, vont sans doute accélérer ce processus d'uniformisation du droit. Cependant, nous devons aussi être conscients de la guerre techno-juridico-économique sous-jacente. Les algorithmes et les IA développés dans un contexte de common law ne sont pas nécessairement les mieux équipés pour défendre notre conception romano-germanique du droit civil continental. Cela souligne la nécessité pour notre vieux continent européen de se mettre à niveau en la matière.

Lexbase Avocats : Faut-il également craindre des atteintes au secret professionnel et à la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client avec l’utilisation des IA Generative ? Les avocats auront-ils réellement les moyens de limiter ce risque ? 

Louis Degos : L'utilisation de l'IA générative soulève effectivement des questions concernant la technologie employée. Si cette fonctionnalité implique de transmettre des informations à l'étranger ou sur des serveurs non contrôlés où la confidentialité ou la cybersécurité ne sont pas garanties, il existe un risque significatif de rupture de confidentialité et, par conséquent, de violation du secret professionnel.

Pour limiter ce risque, les avocats doivent s’astreindre à une discipline en s'abstenant d'envoyer à l'IA générative des informations confidentielles, couvertes par le secret ou sensibles, et s'assurer que les données partagées sont anodines. Certains confrères ou stagiaires ont pu scanner et soumettre à l'IA générative des conclusions adverses, ce qui présente un risque réel, car les localisations, le type d'entreprise, d'activité et les dates ne sont pas anonymisés. Ces informations pourraient être accessibles par un opérateur via une IA sans contrôle sur leur confidentialité.

Bien entendu, cela risque, en contrepartie, de rendre les informations retournées par l'IA un peu inodore et sans saveur. Il faudra donc trouver un équilibre, et c'est l'un des défis à relever demain.

Lexbase Avocats : Vous évoquez certaines pratiques à risque pour les avocats. Selon vous, le Règlement Intérieur National (RIN) devrait-il être modifié pour réguler plus spécifiquement l'utilisation des IA génératives ?

Louis Degos : Je pense que la réglementation actuelle est suffisante en la matière. Les grands principes, la confidentialité, notre intégrité professionnelle et le secret professionnel, suffisent très largement. Il est par ailleurs difficile d'entrer davantage dans le détail pour les règles professionnelles, car la technologie et les services proposés évoluent constamment. Il me semblerait donc contreproductif de demander au CNB ou à l’Ordre des avocats de réfléchir à des règles plus précises, car au moment où nous les fixerions, quelques mois plus tard, la technologie aurait déjà évolué.

Je pense que c'est à nous, avocats, de formuler des exigences claires vis-à-vis des prestataires de services informatiques pour qu'ils garantissent notre cybersécurité. Cela encouragera les différents acteurs à trouver des solutions et à les contractualiser. Ces éléments feront partie des négociations et des services à fournir. Dans cette optique, nous devrons utiliser des services de plus en plus professionnels, dotés de fonctionnalités à la fois pertinentes et sécurisées, avec des garanties renforcées en matière de cybersécurité et de confidentialité. 

Lexbase Avocats : Les clients, qui auront eux aussi accès aux outils d'intelligence artificielle et à la donnée juridique, deviendront-ils demain les véritables challengers de leurs avocats et pratiqueront-ils l'« auto-juridication » ?

Louis Degos : L'avocat sera effectivement augmenté par ces nouveaux outils, tout comme le client, ce qui est déjà en partie le cas. Le véritable changement, selon moi, interviendra au niveau d'une population actuellement peu informée, ayant accès à Internet, à Google et à des articles de vulgarisation, mais pas à un savoir professionnel. 

On imagine difficilement aujourd'hui un non-initié se présenter chez son avocat en disant « j'ai un contrat de prêt qui est nul pour défaut de mention », comme une personne pourrait se rendre chez son médecin avec un premier diagnostic.

Avec l'IA, le grand public aura un meilleur accès à l'information et se considérera mieux informé, mais avec les pièges que cela représente. Par exemple, une personne pourrait croire être en présence d'un contrat de vente alors qu'il s'agit en réalité d'un contrat de leasing. Je pense donc qu'il y aura des changements pour les particuliers.

En ce qui concerne les clients-entreprises qui disposent déjà de services juridiques, je ne pense pas que cela changera beaucoup, si ce n'est que, étant optimiste, je crois que cela pourrait ajouter une dimension plus humaine à nos relations. Ces clients auront accès à l'IA générative et à des systèmes « maison » qui traiteront à la fois des données externes et des données internes à l'entreprise. Les cabinets disposeront de la même capacité, ce qui mènera à des discussions avec le client pour comparer nos solutions IA. Cela se fait déjà aujourd'hui, mais avec nos propres neurones, chacun dans son domaine, tout en utilisant le même langage.

 Je pense qu'à ce stade, et encore une fois en raison de mon optimisme, nous allons introduire une dimension humaine dans nos discussions stratégiques, au lieu de nous concentrer uniquement sur des questions de ressources qui monopolisent souvent les réunions actuelles.


[1] Louis Degos est candidat au Bâtonnat de l’Ordre du barreau de Paris, en binôme avec Carine Denoit-Benteux, candidate au vice-bâtonnat pour la mandature 2026-2027.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Quel usage de l’Intelligence artificielle à la Cour de cassation ?

Lecture: 14 min

N0991B34

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par Sandrine Zientara-Logeay, Présidente de chambre à la Cour de cassation, Directrice du service de documentation, des études et du rapport

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu de notre dossier spécial consacré au "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

 

Sandrine Zientara-Logeay, Présidente de chambre à la Cour de cassation, Directrice du service de documentation, des études et du rapport a accepté de nous expliquer comment la Cour de cassation envisage aujourd’hui l’intelligence artificielle. Elle fait le point sur les programmes d’IA déjà mis en œuvre à la Cour, notamment pour les besoins de la diffusion des décisions en open data et montre comment, forte de son haut niveau expertise technique et juridique, la Cour entend développer de nouveaux cas d’usage, de manière résolue et pragmatique, dans le souci de faciliter le travail du juge, mais sans d’aucune manière altérer son office.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

Nul n’ignore désormais que l’intelligence artificielle (IA) est devenue incontournable pour les professions du droit. 

Après les systèmes experts à base de règles, puis les systèmes d’apprentissage automatique, avec l’arrivée de Chat GPT et des robots conversationnels, chacun a pris la mesure des potentialités de l’IA générative [1]. Alors même que nous ne sommes certainement qu’aux prémices de cette nouvelle ère, puisque certains estiment qu’on ne connaît que 1 % des effets possibles de l’IA générative,  cette nouvelle révolution technologique suscite d’intenses débats, scientifiques ou philosophiques, entre technophiles ou technophobes,  entre ceux qui  prônent une théorie des droits de l’Homme numérique, un humanisme numérique, une IA éthique et ceux qui, au contraire, rêvent d’un homme augmenté, dans une société régulée, non plus par la norme étatique verticale mais par la norme immanente, horizontale des réseaux, dans le monde formalisé des algorithmes et des datas.

Dans le domaine du droit, l’IA générative, nourrie désormais par la diffusion en open data des décisions de justice [2] qui en constituent l’un des carburants, se développe de manière exponentielle, en particulier chez les éditeurs et les legaltech qui proposent des outils de recherche en constant progrès et dans les grands cabinets d’avocats qui créent leurs outils d’intelligence artificielle à partir de leur propre fonds documentaire. 

Dans le domaine de la justice, le développement des usages de l’IA apparait désormais comme une nécessité, tant il serait dommageable pour l’institution de se priver des potentialités exceptionnelles de ces outils qui constituent une opportunité remarquable pour rationaliser et enrichir le travail du juge. 

Néanmoins, si le déploiement de l’IA dans les juridictions doit certainement intervenir désormais rapidement, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ce qui peut -et ce qui ne peut pas- être confié à une intelligence artificielle, tant d’un point de vue technique, économique, et juridique, qu’au regard des impacts éthiques, déontologiques et épistémologiques des usages. L’enjeu pour les magistrats, comme pour toutes les professions juridiques, est donc de réinterroger ce qui fait le cœur de leur office, et qui serait, à ce titre, irréductible à toute intelligence artificielle.

Actuellement, le ministère de la Justice travaille au recensement des besoins des juridictions et explore les cas d’usage possibles tels que l’aide à l’analyse de documents, la traduction ou la retranscription d’entretiens. L’Ecole de la magistrature a d’ores et déjà intégré dans ses programmes pédagogiques la nécessité de former les juristes aux usages de l’IA. 

De son côté, la Cour de cassation a décidé de s’engager résolument dans la voie du développement de l’IA pour l’usage des magistrats de la Cour.   

Pourquoi et comment la Cour entend arrêter un programme de développement de l’IA et quelles sont les perspectives à court et moyen terme ? Quelles réflexions sont, actuellement, en cours pour garantir le déploiement d’une IA raisonnée et utile, qui n’altère en rien l’office du juge de cour suprême mais lui permette au contraire de se concentrer sur celui-ci ?  

I. Les atouts de la Cour de cassation pour développer les usages de l’IA

A. Des programmes d’IA déjà réalisés, associés à un haut niveau d’expertise scientifique 

La Cour de cassation bénéficie d’une expertise ancienne en matière d’intelligence artificielle. Depuis 2019, elle a en effet développé, dans le cadre de la mise en œuvre du projet de diffusion en open data de toutes les décisions rendues publiquement et grâce à son laboratoire d’innovation composée à ce jour de 8 scientifiques dont plusieurs data scientists, différents programmes qui ont été un vrai succès, très largement reconnu en Europe.

La Cour a ainsi développé un algorithme de pseudonymisation des décisions de justice diffusées en open data, dont l’efficacité sur les noms propres avoisine les 99 %. Ce modèle repose sur le machine learning et sur le travail d’une cellule de 20 agents annotateurs qui assurent la relecture avant diffusion de certaines décisions aux fins de contrôle et d’entrainement de l’algorithme.  Le processus de pseudonymisation sera prochainement enrichi d’un second algorithme d’intelligence artificielle dit de fiabilité qui permettra de repérer de manière automatique certaines décisions pour lesquelles une relecture humaine sera jugée nécessaire en raison d’un doute sur le résultat de la pseudonymisation automatique.

Le laboratoire d’innovation a aussi développé un algorithme de reconnaissance et de tri par une intelligence artificielle des mémoires ampliatifs déposés par les avocats aux conseils.  Cela permet   de pré-orienter les pourvois vers les bureaux du SDER dit miroirs des chambres compétentes, avec un taux de succès de plus de 90 %. 

Enfin, la Cour a développé un projet de recherche très innovant visant à faciliter les détections de divergences de jurisprudence entre les chambres de la Cour, en partenariat avec une équipe de l’INRIA. Les résultats ont été très prometteurs, notamment sur l’analyse sémantique des décisions de justice, et en matière de réalisation automatique de titrage des arrêts. 

La Cour est aussi associée, comme partenaire, au projet PostGenAI@Paris (« intelligence artificielle post-générative ») porté par le SCAI (Sorbonne Center for Artificial Intelligence), qui vient récemment de remporter un très gros appel à projets. Le programme « utilisation de l’IA dans le système judiciaire » est une des composantes de ce vaste projet. 

B. Des données massives et de qualité, associés à un haut niveau d’expertise juridique 

A ce jour, la Cour n’a développé de projet d’IA qu’en lien avec les besoins de la diffusion des décisions en open data ou de l’orientation des pourvois, mais elle pourrait désormais, forte de cette expérience, se tourner vers l’IA documentaire, d’aide à la décision ou d’aide à la rédaction pour les magistrats de la Cour.  Il convient de relever à cet égard qu’elle gère des bases de données des décisions, rendues publiquement ou non, de l’ensemble des juridictions, accessibles au public (Judilibre) ou non accessibles (Jurinet et Jurica).  Ajoutées aux rapports des conseillers de la Cour et aux avis des avocats généraux, ces décisions constituent des données massives et de très grande qualité, qui pourraient permettre de développer, avec le recours à des technologies de préférence en open source, des outils de recherche internes. 

De surcroît, le haut niveau d’expertise juridique des magistrats de la Cour qui sont spécialisés dans les contentieux qu’ils traitent leur permet de tester la fiabilité et la robustesse des outils de recherche qui existent sur le marché, à l’état de l’art, afin de déterminer l’usage qui pourrait en être fait. 

Par ailleurs, et pour donner un dernier exemple, la qualité et le caractère normé des mémoires ampliatifs déposés par les avocats aux conseils permettent d’envisager de développer des outils algorithmiques de tri et de repérage des questions de droit nouvelles, identiques ou similaires, au moment de l’orientation des pourvois vers les chambres de la Cour. Un tel repérage permettrait à la Cour de traiter de manière plus efficace et coordonnée ces questions, dont la résolution rapide et exhaustive contribue au renforcement de la prévisibilité du droit. 

II. Le choix d’une méthode pragmatique et réfléchie

A. L’instauration d’un groupe de travail opérationnel

 Le premier président de la Cour de cassation et le procureur général ont missionné un groupe de travail interne pour proposer des cas d’usage de l’IA, qui pourraient être développés à la Cour de cassation.

Après avoir recensé les cas d’usage possibles en fonction des besoins exprimés par les magistrats de la Cour, le groupe de travail procédera à leur évaluation, en fonction de leur intérêt pour la Cour, de leur faisabilité technique et budgétaire mais aussi de leurs risques éventuels juridiques, éthiques, voire épistémologiques.

Les cas d’usage des outils d’IA sont en effet de types très divers, qu’il s’agisse d’outils d’aide documentaire et d’aide à la recherche, voire d’aide à la rédaction, pouvant aller jusqu’à l’automatisation d’un projet de décision, ou encore d’outils d’aide à l’appréhension d’une très grande masse de décisions du fond, permettant d’identifier des tendances jurisprudentielles ou des jurisprudences moyennes. 

Le groupe de travail, qui a commencé ses travaux en septembre, réunit des magistrats du siège et du parquet général des chambres de la Cour, du Service de documentation des études et du rapport et des data scientists de son laboratoire d’innovation. Il procédera à différentes auditions, de spécialistes de l’IA, de chercheurs, de magistrats et de représentants d’autres professions juridiques et à diverses études notamment sur les usages de l’IA dans d’autres cours suprêmes. 

Les travaux de cette mission de réflexion sur l’IA devront ainsi aboutir à des propositions concrètes de cas d’usage à développer à la Cour, rapidement ou à moyen terme, de manière généralisée ou expérimentale, précisant les modalités de financement et les conditions préalables éventuelles d’usage. Ils auront aussi une visée davantage théorique d’analyse de ce que peut faire -ou ne peut pas faire- l’IA, des limites et risques inhérents à son usage.

B. Une réflexion concomitante sur les limites de l’IA et les risques

Les limites à l’usage de l’IA dans l’activité juridictionnelle sont d’abord techniques, car l’IA, à l’état de l’art, et au regard du haut niveau d’exigence qui est celui de la Cour, n’a pas toujours les résultats escomptés, soit qu’elle hallucine, soit qu’elle commette des erreurs par défaut de capacités de compréhension réelle du sens, au-delà du calcul de fréquence des mots.

Elles sont aussi juridiques. 

Le règlement IA [3] classe dans la catégorie des IA à risque « les Systèmes d'IA destinés à être utilisés par une autorité judiciaire ou en son nom pour aider une autorité judiciaire à rechercher et à interpréter les faits et le droit en appliquant la loi à un ensemble concret de faits ou utilisés de manière similaire dans le cadre de modes alternatifs de règlement des litiges. ». S’agissant des modèles d’IA directement impliqués dans le processus décisionnel du juge ou ayant un impact sur les droits des parties, il convient de les distinguer suivant qu’ils influencent plus ou moins sensiblement la prise de décision. Selon le règlement IA, « l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle peut soutenir le pouvoir décisionnel des juges mais ne doit pas le remplacer, car la prise de décision finale doit rester une activité et une décision pilotées par l'homme ». 

 La prise en compte du droit en construction de la régulation de l’IA constituera une première approche préalable au développement des cas d’usage, et devra intégrer le respect de la protection des droits de l’Homme, de l’intégrité des processus démocratiques et de l’État de droit [4].

Au-delà, une réflexion mérite certainement d’être conduite sur les risques de transformation de la fonction de juger par l’usage de l’IA, et de leur acceptabilité. 

Pour les juridictions du fond cette approche parait indispensable.  

Si on envisage, par exemple,  la justice civile ou pénale dans sa finalité longue, symbolique et réparatrice ou pacificatrice, chère à Paul Ricoeur, force est de constater qu’elle  requiert des qualités relationnelles et humaines, des qualités émotionnelles et d’empathie, une capacité d’écoute et de considération de la personne du justiciable, qui s’expriment notamment lors d’une audience en présentiel, et qu’on ne peut attendre d’un juge-robot et d’un traitement strictement algorithmique des affaires. Tom Tyler dans ses théories sur la justice procédurale a montré à cet égard que le sentiment d’avoir été traité avec considération et d’avoir été écouté participe, autant que le résultat, à l’acceptabilité de la décision et constitue un facteur de la légitimité du juge. 

L’usage de l’IA parait davantage fondé s’il s’agit de déterminer des jurisprudences moyennes (dans des domaines où une solution prévisible et harmonisée est a priori souhaitable, comme les  pensions alimentaires, les indemnités de licenciement, l’indemnisation des dommages corporels, voire la  sanction des infractions au code de la route), pour éviter les biais du juge et assurer une égalité de traitement du justiciable grâce à une application rigoureusement identique de la règle de droit aux situations de faits identiques. Néanmoins pour que l’office du juge ne soit pas altéré, sa faculté de choisir de s’écarter d’une jurisprudence moyenne doit être préservée, non seulement par principe mais de manière effective.  

Par ailleurs, en matière pénale, il ne me paraît pas envisageable de déterminer une peine en fonction d’un calcul algorithmique du risque de récidive : cette logique actuarielle et déterministe heurte de plein fouet les fondements du droit pénal moderne, qui fait reposer la responsabilité sur le libre arbitre. 

 Si la Cour de cassation, qui n’est pas juge du fait, n’est pas concernée directement par ces risques, elle est confrontée dans son office consistant à dire le droit, à d’autres limites, notamment de nature épistémologique.  

Le doyen Carbonnier disait déjà que le juge n’est pas « une machine à syllogismes » [5]. On sait que le rôle normatif de la Cour s’est accru sur fond de constitutionnalisation du droit. Pour exercer cet office normatif, le juge de cour suprême ne peut aborder le raisonnement juridique comme un pur syllogisme, un calcul objectif et prévisible, modélisable par l’IA. L’approche d’une question juridique nouvelle suppose souvent un esprit d’ouverture, une capacité au doute (alors que la machine est précisément entraînée à ne pas être sceptique), une approche interdisciplinaire et contextuelle, et une mise en balance des valeurs, toutes tâches que seul l’humain pourrait réaliser.  En outre, les solutions produites par l’IA, reposent, par hypothèse, sur l’analyse des décisions déjà rendues de sorte que le risque de voir se figer la jurisprudence du fait d’un usage non contrôlé de l’IA est bien réel.  Il convient ainsi de mesurer le risque, avec l’utilisation de l’IA pour l’élaboration de la décision, d’appauvrissement du raisonnement juridique, de retour à un positivisme dépassé et surtout d’immobilisme de la jurisprudence qui perdrait de ce fait sa capacité d’adaptation aux évolutions sociales, sociétales ou économiques, capacité que la Cour se doit de garantir. 

De la même manièrel’analyse d’une grande masse de décisions du fond, sur certains contentieux, par des algorithmes, dont la Cour garantirait la fiabilité et l’absence de biais, comporte le risque de conduire à la définition d’une norme par le nombre. Selon le professeur Zenati-Castaing [6]  le risque serait que l’unification du droit ne se fasse plus par la contrainte de la loi, telle qu’interprétée par la Cour de cassation, mais par l’autorité qui se dégagera de la prévalence des solutions majoritairement adoptées par les juridictions du fond. Si la Cour s’engageait dans cette voie, il lui appartiendrait certainement de veiller à ce que l’usage de ces outils (à supposer leur réalisation possible à l’état de l’art) puisse contribuer à l’unification des pratiques, sous son contrôle, qu’elle peut moduler et dans le souci du renforcement du dialogue des juges, horizontal et vertical.

En conclusion, il s’agit pour la Cour d’avancer de manière à la fois résolue et pratique pour utiliser l’IA au mieux de ses potentialités pour assister le juge et renforcer son office de cour suprême. 

Le défi qui se pose aujourd’hui à la Cour, comme à l’institution entière, est de développer l’IA au maximum de ses capacités tout en la maitrisant et en la laissant à sa juste place.

 

[1] On entend par IA générative une IA capable de créer des contenus originaux (texte, images, vidéo, audio et/ou code logiciel) en réponse à l’invite ou à la requête d’un utilisateur. L’IA générative s’appuie sur des modèles sophistiqués de machine learning, appelés modèles d’apprentissage profond ou deep learning, c’est-à-dire des algorithmes qui simulent les processus d’apprentissage et de prise de décision du cerveau humain.

[2]  A ce jour 1 000 317 décisions de la Cour de cassation, décisions civiles, sociales et commerciales des cours d’appel et des tribunaux judiciaires sont diffusées sur le site Judilibre de la Cour de cassation. A terme, plus de 2 millions de décisions, intégrant les décisions pénales, celles des tribunaux de commerce et des conseils de prud'hommes devraient être mis en ligne chaque année.

[3] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle N° Lexbase : L1054MND.

[4] Voir à cet égard la convention cadre du conseil de l’Europe du 17 mai 2024, comme précédemment la charte éthique de la CEPEJ de décembre 2018.

[5] J. Carbonnier, Droit civil – Vol 1 : Introduction, Presses universitaires de France (PUF), collection Quadrige, 2004, p. 23.

[6] F. Zenati-Castaing, La jurisprudence électronique est susceptible de révolutionner la cassation et à terme de provoquer rien de moins que sa disparition, La Semaine Juridique, éditions générales, supplément au numéro 7-8, 19 février 2024.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - L'intelligence artificielle et le juge judiciaire : enjeux et perspectives

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par Tarik Lakssimi, Agrégé des facultés de droit, Chef du département recherche de l’Ecole Nationale de la Magistrature

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu du dossier spécial "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Tarik Lakssimi, Agrégé des facultés de droit, Chef du département recherche, notamment sur l’IA, de l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a accepté de nous présenter les initiatives prises par l'ENM pour intégrer l'IA dans ses formations, tout en examinant les défis et l’évolution potentielle que soulève cette intégration. Pour comprendre les orientations et les évolutions de la formation des magistrats à l’heure du règlement sur l'IA et des intelligences artificielles génératives.

 

 

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

L'avènement de l'intelligence artificielle (IA) bouleverse de nombreux domaines et le monde juridique n'y fait pas exception. Face à cette révolution numérique, l'École Nationale de la Magistrature (ENM) se trouve au cœur des enjeux liés à la formation des futurs magistrats et à l'adaptation des pratiques judiciaires des magistrats déjà en poste [1]. Cet article se propose de présenter les initiatives prises par l'ENM pour intégrer l'IA dans ses formations, tout en examinant les défis et l’évolution potentielle que soulève cette intégration. Cela permet de comprendre les orientations et évolutions de la formation des magistrats à l’heure de l’IA Act et des intelligences artificielles génératives. Ces dernières formes d’intelligences artificielles permettent, on le sait, d’accélérer certains processus parfois chronophages comme l’analyse, la synthèse, la comparaison ou encore la rédaction de document, y compris juridiques (actes de procédure, voire jugement). Mais l’acte de juger étant un mécanisme complexe aux répercussions importantes dans la vie des justiciables, l’ENM s’est très tôt interrogée sur l’usage et l’encadrement de ces outils au sein de la magistrature. L’IA générative, qui évolue à une vitesse impressionnante, n’est, en outre, pas la seule forme d’IA à laquelle l’ENM reste attentive. De plus en plus d’outils d’aide à la décision, tendant vers une justice prédictive, qui n’est pour l’heure pas tout à fait satisfaisante, voient le jour chez différents opérateurs privés. Parce que ces outils tentent d’apporter des aides à la prédiction de décision de justice, l’ENM s’intéresse également à ces évolutions afin d’anticiper au mieux leur potentielle utilisation qui reste en tout hypothèse assez encadrée [2]. L’IA générative, couplée aux tentatives d’IA tendant vers des outils de justice prédictive, constitue donc pour l’ENM un sujet important aussi bien sur le plan de la formation (I) que de la recherche (II).

I. La formation à l’IA

Dans un premier temps, l'ENM a adopté une approche axée essentiellement sur la sensibilisation aux enjeux de l'IA. Cette phase s'est notamment caractérisée par une formation centrée sur les risques et les enjeux éthiques de l'IA, d’une part, une attention particulière portée au cadre réglementaire [3], d’autre part et une sensibilisation aux usages délictuels potentiels, tels que les « deepfakes » et les « fake news », enfin. Cette approche, bien que nécessaire, restait toutefois limitée dans sa portée opérationnelle et se contentait d’ouvrir aux magistrats l’accès à une compréhension de certaines manifestations du phénomène IA au sein de la société. Reconnaissant la nécessité d'une approche plus dynamique, l'ENM a alors progressivement évolué vers une stratégie plus engagée. Cette évolution s'est manifestée par la mise en place d'expérimentations concrètes (1), le développement de formations techniques spécifiques (2) ou encore la création d'un groupe de travail dédié à l'IA générative (3).

S’agissant, d’abord, des expérimentations concrètes (1), l’ENM a mené, entre 2019 et 2022, une expérience en collaboration avec l'université de Grenoble, impliquant 250 auditeurs de justice et magistrats [4]. L’étude consistait à mesurer l'influence de résultats produits par des algorithmiques sur des décisions judiciaires en matière civile et pénale.

L’on a pu constater une influence significative de l'algorithme sur les décisions en matière civile, avec une conformité majoritaire aux indications algorithmiques. Cela s’explique par le fait qu’il était question de fixer le montant d’une prestation compensatoire, ce qui se prête bien au traitement algorithmique eu égard aux critères d’entrée et de sortie attendus dans ce type d’exercice de détermination d’un montant de prestation compensatoire.

En revanche, en matière pénale, l’utilisation d’algorithme n’avait qu’un effet négligeable sur les décisions de culpabilité : l’intime conviction semblait ici l’emporter sur les propositions algorithmiques. Cette expérience, en réalité plus sociale que juridique [5], souligne toutefois la complexité de l'interaction entre l'IA et le processus décisionnel judiciaire, mettant en lumière la nécessité d'une formation approfondie des magistrats non seulement sur ces questions d’intelligence artificielle en particulier, mais aussi sur l’environnement numérique dans lequel l’IA évolue.

Pour ce qui est, ensuite, des formations spécifiques (2), outre les projets contribuant à la réflexion de l’IA à l’échelle européenne auxquels participe l'ENM, cette dernière a développé une formation prenant la forme d’un cycle approfondi du numérique [6] d'un an organisé en partenariat avec l'École des Mines de Paris et le Campus du numérique public de la DINUM [7]. Ce programme vise non seulement à développer une culture numérique pour soutenir la modernisation de la Justice, mais aussi à comprendre les enjeux numériques et à acquérir des outils de gestion de programmes numériques. Le programme permet aussi d’explorer les nouvelles technologies (machine learning, blockchain, IA) et leur impact sur la justice. L’objectif du cycle tend, dans ce contexte, à renforcer les synergies entre les métiers de la justice et les acteurs de la transformation numérique de l'État. Cette initiative contribue à former des magistrats capables de comprendre les technologies numériques dans leur pratique professionnelle et d’interagir avec.

En ce qui concerne, enfin, la création d’un groupe de travail (3), l’ENM a très rapidement remarqué l'importance croissante de l'IA générative et créé un groupe de travail dédié, présidé par le rapporteur général du comité interministériel sur l'IA. Ce groupe vise notamment à améliorer les enseignements sur l'IA ou encore à comprendre les limites de l'IA générative, et même à développer un code de conduite pour l'utilisation de l'IA et former les formateurs de l'ENM à l'IA générative. Cette initiative démontre une prise de conscience de l'impact potentiel de l'IA générative sur la pratique juridique et la nécessité de préparer les magistrats à cette nouvelle réalité. Le groupe de travail rendra prochainement ses conclusions.

II. La recherche sur l’IA

Malgré les avancées significatives réalisées par l’ENM dans l'intégration de l'intelligence artificielle (IA) à son cursus, plusieurs défis majeurs restent à relever et anticiper pour une intégration efficace de l'IA dans la formation des magistrats et la pratique judiciaire. L’ENM participe activement à la recherche juridique sur ces thématiques. La question ici n’est plus tant d’intégrer, dans l’immédiat, l’usage de l’IA dans le processus de formation ou dans le travail quotidien du magistrat [8], que de penser les potentialités d’une IA de justice prédictive couplée à l’IA générative [9] et de son intégration dans le paysage judiciaire [10]. Cette recherche laisse apparaître trois principaux aspects qui pourraient soulever des difficultés dans l’acte de juger : l’accès aux données (1), d’une part, l’évolution du raisonnement juridique (2), d’autre part et le contrôle du résultat produit par l’algorithme (3), enfin.

La question de l'accès aux données juridiques est cruciale pour le développement d'une IA efficace (1). L'efficacité des algorithmes d'IA dépend en effet largement de la qualité et de l'exhaustivité des données sur lesquelles elles sont entraînées et des données qu’elles reçoivent en entrée. Dans le domaine juridique, cela implique l'accès non seulement aux différents textes normatifs juridiques [11] et à l'ensemble des décisions de justice rendues sur le fondement de ces textes, mais aussi à leur analyse doctrinale qui est, le plus souvent, éparpillée entre les différents éditeurs juridiques privés, lesquels développent des IA sur le fondement de leur propre base de données [12]. Le libre accès aux textes normatifs juridiques et aux décisions de justice, à travers l’Open data, devrait faciliter le développement des IA juridiques à cet égard. En revanche, l’analyse doctrinale de ces textes et décisions, qui contribue aussi bien à l’explication et à la compréhension du droit que, parfois, à sa création [13] soulève davantage de difficultés en raison de l’éclatement de l’œuvre doctrinal entre les différents éditeurs juridiques qui possèdent des propriétés intellectuelles sur ces œuvres [14]. Cette situation pose un défi majeur pour le développement d'une IA (prédictive ou générative) fiable et représentative de la réalité juridique. Ce défi soulève la question de la rémunération équitable des éditeurs afin de permettre l'utilisation de ces données juridiques. Si l'on se souvient que la justice est d'intérêt public [15], une IA juridique fiable, quel qu’en soit le fabricant [16] ou l’utilisateur [17], utilisée par les magistrats ne pourra véritablement voir le jour tant que l’on ne tient pas compte de la pertinence et de l’exhaustivité des données utilisées par les algorithmes. Cela pourrait impliquer la mise en place de nouveaux modèles de collaboration entre le secteur public et le secteur privé, voire l'élaboration de nouvelles dispositions légales pour faciliter l'accès aux données tout en préservant les intérêts légitimes des éditeurs. Par ailleurs, le développement des blogs, sites d’actualité juridique ou autres canaux numériques modernes [18] facilite la mise en ligne et la diffusion de données juridiques en libre accès, ce qui pourrait constituer, peut-être, les prémices d’un open source de la donnée juridique. Mais on est encore très loin de l’efficacité et de l’étendue que couvrent les éditeurs juridiques classiques [19].

Au vrai, même à supposer que des données fiables et complètes venaient à être accessibles, l'évolution du contentieux et du raisonnement juridique (2) pose des défis spécifiques pour le développement d'algorithmes efficaces que l’IA générative ne parvient pas, pour l’heure, à surmonter. La complexification du raisonnement juridique à travers, notamment, la fondamentalisation du droit, la multiplicité des sources (CEDH, UE...) et l'incertitude qui apparaît parfois dans la hiérarchie des normes [20] ou des juridictions rendent le raisonnement juridique de plus en plus complexe en paraissant peu accessible aux algorithmes du moment. Ces évolutions posent un défi majeur pour les systèmes d'IA, qui doivent être capables de prendre en compte ces multiples sources et juridictions tout en les hiérarchisant de manière pertinente. Le coût que représenterait la mise en place de tel système d’IA est à mettre en corrélation avec le bénéfice que pourraient en tirer les acteurs économiques impliqués, lesquels érigeront mathématiquement comme limite à leur investissement le bénéfice potentiel. Ceci explique notamment, en partie, l’une des raisons pour lesquelles le marché de l’IA en matière médicale connait un fort investissement. Outre les aspects liés à l’importance du secteur de la santé, les enjeux économiques y sont considérables. De plus, le développement des modes alternatifs de règlement des différends et l'émergence de nouveaux types de contentieux (comme ceux liés à l'environnement [21] ou au numérique) ajoutent une couche supplémentaire de complexité en ce que le juge est de plus en plus invité à laisser s’échapper le contentieux vers des modes de règlement plus consentis [22] ou à traiter des contentieux par un raisonnement juridique qui n’emprunte pas tout à fait la méthode du syllogisme classique [23].

Enfin, la question du contrôle humain sur les résultats produits par l'IA est fondamentale en matière de justice (3). Elle implique une classification des contentieux selon leur nature et leur enjeu [24]. Il est en effet nécessaire de développer une typologie fine des contentieux, prenant en compte non seulement la nature du litige, mais aussi son enjeu social, économique ou humain. Cette classification permettrait de déterminer le degré d'intervention acceptable de l'IA et le niveau de contrôle humain nécessaire pour chaque type de contentieux lorsqu’une IA quelle qu’elle soit est utilisée dans le processus de jugement. L’IA Act, à travers la classification des IA en fonction du niveau de risque, apparaît comme une première boussole dans cette entreprise. Ceci soulève en outre des questions, plus théoriques et philosophiques, sur ce qu’est la justice ou encore sur le rôle du juge au sein de la société. L’un des arguments critiques qui reviennent le plus souvent contre les IA juridiques réside en effet dans son incapacité à comprendre l’aspect humain et émotionnel des contentieux. Pourtant, l’aspect humain et émotionnel n’est pas censé être la boussole du juge. Certes, le juge a toujours cherché à adapter sa décision aux spécificités des espèces en tenant compte de l’humanité de la personne impliquée par la décision. Le juge n’est précisément pas un robot inhumain dénué de sentiment. Mais la boussole judiciaire reste la règle de droit. La justice est censée être aveugle. Or, c’est précisément ce que l’on reproche parfois à l’IA… Voici une vertu traditionnelle de la justice qui se mue en défaut comme par enchantement. Aussi, au lieu de simplement rejeter l’IA en pointant son défaut d’humanité, il convient peut-être davantage de l’accompagner en repensant, au besoin, la philosophie du procès et de la justice pour un usage efficace et éthique de l’IA dans les processus de jugement.

En définitive, l'intégration de l'IA dans la formation des magistrats et dans la pratique judiciaire, d’une part, et la réflexion autour des problématiques que soulève l’IA, d’autre part, ouvre la voie à une transformation profonde de notre système de justice. Cette transformation, si elle est menée avec discernement et dans le respect des valeurs fondamentales de notre droit, pourrait conduire à une justice plus efficace, plus transparente et plus équitable. Toutefois, elle nécessite une vigilance constante et un dialogue continu entre les différents acteurs impliqués.

L'ENM, en tant que creuset de la formation des futurs magistrats, a un rôle crucial à jouer dans cette évolution. En préparant les juges de demain à maîtriser ces nouvelles technologies tout en préservant l'essence de leur mission, elle contribue à façonner une justice du 21ème siècle, à la fois ancrée dans ses valeurs fondamentales et résolument tournée vers l'avenir.

A retenir : 
  • L'ENM a mis en place des expérimentations concrètes, des formations techniques spécifiques et un groupe de travail dédié à l'IA générative pour préparer les magistrats aux enjeux de l'IA.
  • L'intégration de l'IA dans la justice soulève des défis majeurs, notamment en termes d'accès aux données juridiques, d'évolution du raisonnement juridique et de contrôle humain sur les résultats produits par l'IA.
  • La transformation du système judiciaire par l'IA nécessite une vigilance constante et un dialogue continu entre les différents acteurs pour préserver les valeurs fondamentales de la justice tout en bénéficiant des avancées technologiques.
 
 

[1] Je remercie Monsieur Haffide Boulakras, directeur adjoint de l’ENM en charge de la formation continue, des formations professionnelles et spécialisées et du département international pour les informations fournies relative à la formation des magistrats à l’IA.

[2] Cf. not. COJ, art. L. 111-13 N° Lexbase : L7368LPL, ou encore RGPD, art. 22 N° Lexbase : L0189K8I.

[3] Ceci qui inclut désormais l'IA Act du 13 juin 2024.

[4] G. Vial, Prise en main d'un outil d'intelligence artificielle par des auditeurs de justice : l'office du juge sous l'influence des algorithmes, D., 2022, p. 1928.

[5] Il en ressort par exemple que les auditeurs de justice étaient plus enclins à refuser de prononcer une prestation compensatoire que les magistrats déjà en poste.

[6] V., le site de l'ENM.

[7]  « Service du Premier ministre, placé sous l’autorité du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, la direction interministérielle du numérique (DINUM) qui a pour mission d’élaborer la stratégie numérique de l’État et de piloter sa mise en œuvre avec pour objectif un État plus efficace, plus simple et plus souverain grâce au numérique » , v. la présentation sur le site numérique.gouv.fr.

[8] Recherche juridique, rédaction de jugement, analyse, comparaison ou synthèse de document à travers des systèmes d’IA.

[9] On rappellera l’article L.111-13 du COJ et 22 du RGPD qui encadre strictement la justice prédictive.

[10] Tous les grands éditeurs juridiques proposent désormais des systèmes d’IA ayant pour objectif de guider l’utilisateur vers la solution juridique la plus pertinente.

[11] Convention internationale, Constitution, loi, règlement, décret…

[12] Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction au droit, LGDJ, 10ème éd., n°141 et 142.

[13] Des matières telles que le droit international privé (du moins avant son européanisation) sont le fruit d’une œuvre à la fois jurisprudentielle et doctrinale.

[14] T. Lakssimi, L’Accès aux données : clés de voûte de l’IA juridique, D., 2024, n°37, éditorial.

[15] On rappellera que la justice est un service public.

[16] Éditeurs privés, cabinet d’avocat, établissement public comme la Cour de cassation à travers le SDER qui dispose d’un pôle diffusion de la jurisprudence et open data [en ligne].

[17] La conformité à l’IA Act eu égard aux catégories de personnes visées par le texte sera alors à considérer.

[18] On pense par exemple aux plateformes CAIRN ou HAL.

[19] On citera toutefois à titre d’exemple le très intéressant site du Pr. C. Grimaldi et son ouvrage de Droit des contrats.

[20] Le développement du contrôle de proportionnalité rend parfois le droit imprévisible.

[21] M.-A. Chardeaux, La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique, Actu Juridique [en ligne] .

[22] ARA, conciliation, médiation, procédures participatives, ceci sans compter le cas particulier de l’arbitrage.

[23] On relèvera à ce titre la création en septembre 2024 de la 34ème chambre du TJ de Paris consacrée au contentieux de la régulation sociale, économique et environnementale.

[24] Le contentieux des injonctions de payer ne doit pas être traité de la même manière que celui des privations de libertés ou de l’intérêt supérieur de l’enfant par exemple.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Le paradoxe du langage juridique à l'ère de l'IA : repenser la représentation du droit

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par Raphaël David Lasseri, Doctorant, Président et fondateur de "Magic Lemp", Expert Numérique France2030, Chercheur, Docteur en Physique Théorique ENS

Le 16 Décembre 2024

Le présent article est issu du dossier spécial "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

 

Raphaël David Lasseri est Doctorant, Président et fondateur de "Magic Lemp", Expert Numérique France2030, Chercheur, Docteur en Physique Théorique ENS. Il  est en pointe sur la R&D de l’IA appliquée au Droit avec des modèles souverains. En tant que physicien de formation, désormais engagé dans le domaine de l'intelligence artificielle appliquée au droit, il aborde ce dernier avec une perspective singulière. Là où ses collègues juristes voient des textes, des interprétations et des précédents, il y perçoit des systèmes complexes, des modèles de représentation et des opportunités d'optimisation. Cette vision différente, loin d'être un obstacle, s'avère, selon lui, particulièrement adaptée à l'heure où l'IA interpelle les fondements mêmes de la pratique juridique.

Dans ce contexte, des collaborations entre experts IA et juristes, comme celles qu'il a pu développer avec des acteurs du monde juridique, permettent d'explorer de nouvelles approches pour rendre le droit plus accessible, tout en préservant sa richesse et sa complexité intrinsèques.

 

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


 

I. Le langage juridique : entre précision et ambiguïté nécessaire

A. La quête historique de précision dans le droit

Depuis des siècles, le droit poursuit un objectif apparemment simple : établir avec la plus grande précision possible les règles qui régissent la société. Les Codes, les lois et les règlements sont rédigés avec une minutie extrême pour éviter toute ambiguïté susceptible de conduire à des interprétations divergentes. Cette précision est essentielle pour garantir la sécurité juridique et l'égalité devant la loi.

Cependant, cette quête de précision se heurte à une limite inhérente : le langage naturel. Les mots sont polysémiques, les contextes varient, et les situations humaines sont infiniment diversifiées. Par exemple, le terme "cause" peut désigner la raison d'un contrat, un élément de responsabilité ou un événement générateur d'un préjudice. Malgré tous les efforts pour définir précisément les termes juridiques, une part d'ambiguïté subsiste inévitablement.

B. L'ambiguïté comme outil d'adaptation

Paradoxalement, cette ambiguïté n'est pas une faiblesse du droit, mais une de ses forces. Elle permet au droit de s'adapter aux évolutions sociales, économiques et technologiques. Prenons l'exemple du concept de "bon père de famille", remplacé par celui de "personne raisonnable" dans le Code civil. Ce terme, volontairement large, permet aux juges d'apprécier le comportement attendu d'un individu dans des circonstances données, en tenant compte des normes sociales contemporaines.

De même, des notions comme "ordre public" ou "bonne foi" sont délibérément ouvertes à l'interprétation. Elles offrent aux juges la flexibilité nécessaire pour appliquer la loi de manière équitable, en prenant en compte les spécificités de chaque cas. Cette capacité d'adaptation est essentielle pour assurer que le droit reste pertinent face à des situations nouvelles et imprévues.

Comme pourrait le dire un mathématicien facétieux : "Le droit est précis grâce à son imprécision" (ne cherchez pas la citation, je viens de l'inventer). Cette phrase illustre bien le paradoxe du langage juridique : c'est en acceptant une certaine ambiguïté que le droit parvient à maintenir sa cohérence et son efficacité.

II. Repenser la représentation du droit

A. Les limites du langage naturel

Comme nous l’avons vu, malgré, (ou grâce) à sa richesse, le langage juridique est contraint par les limites du langage naturel. Un même terme peut avoir plusieurs significations selon le contexte, et des concepts similaires peuvent être exprimés par des termes différents. Cette complexité linguistique pose des défis majeurs pour la modélisation du droit à l'aide de l'IA.

Par exemple, le mot "contrat" peut renvoyer à un accord écrit formel, mais aussi à des conventions verbales ou même à des engagements implicites. De plus, des termes comme "résolution" et "résiliation" désignent des modes de dissolution de contrats, mais avec des implications juridiques différentes. Les modèles informatiques traditionnels, qui reposent sur une lecture linéaire et littérale du texte, peinent à saisir ces subtilités.

Nous tentons de faire tenir un espace conceptuel multidimensionnel dans une structure unidimensionnelle de mots et de phrases. C'est un peu comme essayer de représenter une sculpture complexe à l'aide d'une simple description textuelle : possible, mais terriblement inefficace.

B. La dimensionnalité du sens : au-delà des mots

Pour surmonter ces limites, il est nécessaire de repenser la manière dont nous représentons le droit. Imaginons que nous puissions modéliser chaque concept juridique, non pas comme un simple mot ou une phrase, mais comme un point dans un espace à plusieurs dimensions. Dans cet espace, la distance entre deux points refléterait la proximité sémantique des concepts correspondants. Les relations entre concepts – telles que "est une sous-catégorie de", "est opposé à", "implique" – seraient représentées par des vecteurs et des directions mesurables.

Cette approche est plus proche de la manière dont les juristes expérimentés naviguent dans le droit. Lorsqu'un avocat cherche des précédents pertinents, il ne se limite pas aux mots-clés exacts, mais considère les concepts sous-jacents, les principes juridiques applicables et les analogies avec d'autres domaines du droit.

Par exemple, face à un cas de responsabilité médicale, un juriste pourra s'inspirer de principes développés en droit de la responsabilité civile générale, voire en droit pénal général, pour éclairer son analyse. Une représentation multidimensionnelle permettrait de capturer ces liens implicites et de faciliter l'exploration de ces connexions.

III. Le défi de la représentation optimale du langage juridique

A. La question de la granularité

L'un des défis majeurs de cette approche est de déterminer le niveau de détail approprié pour la représentation des concepts juridiques. Comment concilier la nécessité de représenter des principes généraux du droit avec celle de modéliser des règles spécifiques et des cas particuliers ?

Par exemple, le concept de "propriété" est un principe fondamental du droit, mais il englobe une multitude de situations spécifiques : propriété mobilière, immobilière, intellectuelle, etc. Chacune de ces catégories comporte ses propres règles et exceptions. Une représentation efficace doit pouvoir naviguer entre ces différents niveaux de détail.

La solution réside dans une approche hiérarchique et multi-échelle. En créant des modèles capables de représenter les concepts juridiques à différents niveaux d'abstraction, on peut permettre une navigation fluide entre les principes généraux et les cas particuliers.

B. La robustesse comme exigence fondamentale

Un autre défi essentiel est de garantir la robustesse de la représentation du droit. Le langage évolue, les lois sont modifiées, de nouveaux concepts juridiques apparaissent, et les interprétations jurisprudentielles changent au fil du temps. Pour que le modèle reste pertinent, il doit être capable de s'adapter à ces évolutions tout en préservant la cohérence des concepts.

La robustesse implique également de gérer les incertitudes inhérentes au droit. Les décisions judiciaires ne sont pas toujours prévisibles, et des cas similaires peuvent aboutir à des résultats différents en fonction du contexte, de la juridiction ou de l'interprétation du juge. Il est donc crucial que les modèles puissent intégrer ces incertitudes et les refléter dans leurs analyses. In fine, ce sont bien les professionnels du droit qui gardent la main sur l’interprétation du droit et l’application concrète du droit.

Par exemple, en matière de recherche de l'issue d'un litige par rapport à des faits, un modèle robuste ne doit pas se contenter de fournir une réponse binaire (gagner ou perdre), mais doit être capable d'interpréter le degré de probabilité associé à chaque résultat, en tenant compte des variables pertinentes.

IV. Vers un nouveau paradigme d'analyse juridique

A. La multidimensionnalité du raisonnement juridique

L'adoption d'une représentation multidimensionnelle du droit, de fait, déjà pratiquée par les professionnels du droit, ouvre de nouvelles perspectives pour l'analyse juridique par un modèle algorithmique. Elle permet de visualiser les interconnexions complexes entre les différents domaines du droit, de détecter des relations inattendues et d'explorer le corpus juridique de manière plus intuitive.

Par exemple, un juriste travaillant sur un litige en droit du travail pourrait (re)découvrir, grâce à cette approche, des jurisprudences pertinentes en droit de la santé ou en droit européen, qui n'auraient pas été identifiées avec une recherche traditionnelle. Cela favorise une approche plus holistique du droit, que ce soit au niveau humain ou informatique, où les barrières entre les disciplines sont estompées.

De plus, cette approche facilite la détection d'incohérences ou de contradictions dans le corpus juridique. En visualisant les concepts dans un espace multidimensionnel, il devient possible d'identifier des zones où les définitions sont floues, où les interprétations divergent ou où des lacunes existent dans la législation ou dans son interprétation judiciaire.

B. Applications concrètes et perspectives

Plusieurs applications concrètes émergent déjà de cette approche. Des outils d'analyse juridique assistée par l'IA permettent de réaliser des recherches sémantiques approfondies, d'identifier des jurisprudences pertinentes et de visualiser les relations entre différents textes juridiques.

Par exemple, lors de la rédaction d'un contrat complexe, un avocat peut utiliser un outil d'IA pour identifier rapidement les clauses standards, détecter les risques potentiels et consulter les jurisprudences associées. 

Ces outils ne sont pas destinés à remplacer le juriste, mais à augmenter ses capacités d'analyse. Ils permettent de gagner en efficacité, de réduire les erreurs potentielles et d'explorer de nouvelles pistes de réflexion.

V. La fiabilité du droit à l'ère de l'IA : gérer l'incertitude

L'introduction de l'IA dans le domaine juridique soulève également des questions sur la fiabilité des modèles et la gestion de l'incertitude dans les prédictions. Le droit n'est pas une science exacte, et les décisions judiciaires peuvent être influencées par de nombreux facteurs subjectifs. Il est donc essentiel que les outils d'IA prennent en compte cette dimension et ne donnent pas une illusion de certitude là où l'incertitude prévaut.

Cela permet aux utilisateurs de prendre des décisions éclairées, en connaissance des marges d'incertitude et en réinterrogeant le raisonnement juridique algorithmique par le raisonnement juridique humain.

C’est pourquoi, il est important de garantir la transparence des modèles utilisés. Les algorithmes doivent être explicables, afin que les juristes puissent comprendre les raisons derrière les prédictions ou les suggestions proposées. Cela renforce la confiance dans les outils et permet de détecter et corriger les éventuels biais. À ce stade l’interprétabilité des modèles (et en particulier des grands modèles de langues) et un vœu pieux ! Toutefois nous avons pu développer un certain nombre d’approches permettant d’estimer le taux d’incertitude du modèle dans sa réponse. Le concept est fondamentalement simple, lorsqu’un modèle « hallucine » il explore une zone de l’espace possible des réponses qui correspond à une zone « improbable » dans l’espace des représentation évoqués précédemment. En conséquence en combinant un ensemble de prédictions (on parle d’un comité de réseaux de neurones), on peut, sous certaines conditions, estimer la vraisemblance de la prédiction, sans pour autant connaître la « vérité ».

VI. Les enjeux éthiques et humains de l'IA juridique

L'utilisation de l'IA dans le domaine juridique soulève également des enjeux éthiques importants. Il est crucial de veiller à ce que ces technologies soient utilisées de manière responsable, en respectant les principes fondamentaux de justice, d'équité et de respect des droits humains.

Par exemple, la justice prédictive, qui utilise l'IA pour estimer les risques de récidive ou pour orienter les décisions judiciaires, peut conduire à des biais discriminatoires si les modèles sont entraînés sur des données historiques reflétant des inégalités. Il est donc essentiel de garantir la transparence des algorithmes, de contrôler les biais potentiels, d’en encadrer l’usage et de maintenir une supervision humaine.

Les juristes ont un rôle clé à jouer dans ce contexte. Leur expertise est indispensable pour définir les cadres éthiques, juridiques et déontologiques de l'utilisation de l'IA. Ils doivent s'assurer que les technologies développées respectent les principes fondamentaux du droit et qu'elles sont utilisées au service de la justice.

VII. L'importance de la collaboration entre juristes et scientifiques

Le développement de technologies d'IA appliquées au droit nécessite une collaboration étroite entre juristes et scientifiques. Les juristes apportent leur expertise métiers sur les concepts, les principes et les pratiques du droit, tandis que les scientifiques contribuent avec leurs compétences en modélisation, en traitement du langage naturel et en intelligence artificielle.

Cette collaboration permet de créer des outils qui sont à la fois techniquement avancés et juridiquement pertinents. Elle favorise également une meilleure compréhension mutuelle entre disciplines, ouvrant la voie à de nouvelles approches innovantes.

Par exemple, lors du développement d'un modèle d'analyse juridique, les juristes doivent être à l’origine du cahier des charges et peuvent aider à identifier les concepts clés à modéliser, à définir les relations entre eux et à valider les résultats obtenus. Les scientifiques, de leur côté, peuvent adapter les modèles pour mieux prendre en compte les spécificités du langage juridique et améliorer la performance des outils.

***

Le défi qui nous attend est passionnant : repenser la représentation du droit à l'ère de l'intelligence artificielle pour le rendre plus accessible, plus cohérent et plus efficace, tout en préservant sa richesse et sa complexité. Cela nécessite une collaboration étroite entre juristes et scientifiques, entre la rigueur du droit et la précision mathématique.

Les nouvelles technologies offrent des opportunités inédites pour explorer le droit sous de nouveaux angles, faciliter l'accès à la justice et améliorer l'efficacité des pratiques juridiques. Toutefois, il est essentiel de garder à l'esprit les limites et les enjeux éthiques associés à l'utilisation de l'IA.

En conjuguant nos efforts, nous pouvons transformer le paradoxe du langage juridique en une force, en tirant parti de l'ambiguïté pour créer des modèles plus flexibles et adaptés aux réalités complexes du droit. Loin de nous l’idée d'automatiser la justice, il s’agit de renforcer sa capacité à répondre aux besoins de la société en tirant parti des avancées technologiques tout en respectant les valeurs fondamentales qui la sous-tendent.

Dans cette perspective, les collaborations entre experts en IA et professionnels du droit, comme celles que « Magic LEMP » mène avec Lexbase, sont essentielles. Elles permettent de développer des solutions innovantes qui augmentent les capacités des juristes sans les remplacer, un peu comme un microscope augmente celles du biologiste.

Le chemin est encore long, et les défis sont nombreux. Mais en unissant nos compétences et nos perspectives, nous pouvons construire le droit de demain et accompagner le juriste augmenté : un droit qui allie tradition et innovation, précision et flexibilité, justice et efficacité.

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Intelligence artificielle

[Questions à...] "L’accès à l’intelligence artificielle générative, s’il est mal encadré, pourrait accentuer les inégalités déjà existantes et renforcer certains biais" - Questions à Marie-Pierre de La Gontrie

Lecture: 14 min

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par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Avocats

Le 05 Décembre 2024

En juin dernier, la commission des lois du Sénat a mis en place une mission dinformation sur lIA et les professions du droit. Son objectif Évaluer limpact de lintelligence artificielle générative sur les métiers du droit et formuler des propositions visant à garantir lappréhension éthique et déontologique de ces technologies pour les professions du droit.

Le rapport sera publié le 18 décembre prochain.

Marie-Pierre de La Gontrie, Sénatrice de Paris, Rapporteure de ces travaux et ancienne avocate a accepté, pour Lexbase Avocats, de nous partager son analyse.

Le sommaire de ce dossier spécial "L'intelligence artificielle appliquée au Droit" est à retrouver en intégralité ici.


 

Lexbase Avocats : Est-ce que vous pouvez d’abord nous expliquer pourquoi il est apparu nécessaire de diligenter une mission d’information sur l’impact de l’IA générative sur les métiers du droit ?

Marie-Pierre de La Gontrie : Le Parlement légifère, bien entendu, mais il a aussi un rôle de contrôle et de prospective à assumer. L’intelligence artificielle générative est apparue dans nos vies il y a relativement peu de temps mais a d’ores-et-déjà un impact fort sur nos pratiques, professionnelles en particulier, et les métiers du droit ne sont évidemment pas épargnés. Elle va engendrer et engendre déjà des transformations profondes dans le secteur juridique alors même qu’aucun cadre réglementaire ou éthique n’est encore clairement établi. Si ces outils promettent des gains de productivité significatifs, ils soulèvent aussi des questions fondamentales sur la qualité du droit rendu, la confidentialité des données, la responsabilité des utilisateurs ou encore quant à l’égal accès à ces nouvelles technologies.

Notre objectif est donc double : d’une part, comprendre comment ces technologies redéfinissent le rôle des professionnels du droit - avocats, magistrats, greffiers, notaires - et, d’autre part, évaluer les risques et opportunités qu’elles représentent. Il s’agit notamment de garantir que leur intégration dans notre pratique juridique se fasse dans un cadre éthique et réglementaire clair, qui protège à la fois les professionnels et les justiciables.

Cette mission répond à une demande forte des acteurs et nous avons pu constater l’intérêt qu’ont porté les professionnels du droit à nos travaux ainsi que l’attente quant à nos conclusions. Qu’il s’agisse des barreaux, des associations ou des juridictions, tous s’interrogent sur la manière d’intégrer ces outils dans leurs pratiques sans altérer les principes fondamentaux de la justice. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, d’anticiper ces évolutions pour accompagner cette transition tout en préservant les fondements de notre système juridique, et c’est le sens que nous avons donné à cette mission d’information.

Lexbase Avocats : Comment votre rapport évalue-t-il l'impact de l'IA générative sur la pratique quotidienne des professionnels du droit notamment en ce qui concerne la recherche documentaire et la rédaction de documents juridiques ?

Marie-Pierre de La Gontrie : Si je ne peux vous dévoiler le contenu de notre rapport avant de l’avoir présenté à la commission des lois du Sénat, il est clair que nous avons constaté l’impact significatif qu’à d’ores-et-déjà l’intelligence artificielle générative sur la pratique quotidienne des professionnels du droit.

En matière de recherche documentaire, les outils d’IA générative permettent d’automatiser le traitement de grandes quantités d’informations, comme l’analyse de jurisprudences ou de textes législatifs. Cela peut considérablement réduire le temps consacré à ces tâches chronophages, tout en améliorant la précision et l’exhaustivité des recherches. Toutefois, il est nécessaire de souligner que la fiabilité des résultats dépend fortement de la qualité des données utilisées pour entraîner ces outils, ce qui nécessite une vigilance accrue de la part des professionnels pour éviter des erreurs ou des biais.

Concernant la rédaction de documents juridiques, l’IA générative offre la capacité de produire des premières ébauches de contrats ou d’actes. Cela peut libérer les professionnels de certaines tâches et leur permettre de se concentrer sur des activités plus complexes. Cependant, nous mettons en garde contre une utilisation non supervisée de ces outils, qui pourrait compromettre la précision juridique et la personnalisation des documents, indispensables pour répondre aux besoins spécifiques des clients ou des affaires.

Lexbase Avocats : Y a-t-il un point qui vous a particulièrement surpris lors de vos auditions ? Un point auquel vous ne vous attendiez vraiment pas ?

Marie-Pierre de La Gontrie : Tout d’abord, j’ai été étonnée par le peu d’inquiétudes exprimées par les avocats face à la question de l’impact sur l’emploi dans la profession qui ne semblait pas les alarmer. Cela contraste avec les craintes exprimées dans d’autres secteurs.

Par ailleurs, j’ai été frappée par l’attente forte et unanime de la part des professionnels du droit quant aux conclusions de notre mission d’information. Beaucoup voient dans cette démarche, en parallèle du travail mené par les organisations professionnelles, l’occasion de structurer et d’encadrer l’intégration de l’IA générative dans leurs pratiques. Ils attendent des recommandations claires, notamment en matière de régulation, d’accompagnement technique et de formation.

Lexbase Avocats : On le constate dans ce dossier, l’implémentation de l’IA Générative dans les cabinets est en pleine effervescence. De nombreux outils ont déjà été mis sur le marché et proposés aux professionnels du droit en l’espace de quelques mois. 

L’accès à cette technologie ne risque-t-il pas de remettre en cause plus largement la question de l’accès au droit ? Et de l’égalité des armes ? 

Marie-Pierre de La Gontrie : Vous soulevez un point crucial. L’accès à l’intelligence artificielle générative, s’il est mal encadré, pourrait en effet accentuer les inégalités déjà existantes et renforcer certains biais.

D’un côté, ces outils offrent une opportunité formidable de démocratiser l’accès à des services juridiques. En réduisant les coûts et les délais liés à des tâches comme la recherche documentaire ou la rédaction, ils pourraient permettre à des justiciables aux revenus modestes de bénéficier d’un accompagnement juridique de qualité. Cependant, un risque majeur est celui d’un accès inégal à ces technologies. Les grands cabinets d’avocats ou les entreprises ayant les moyens d’investir dans des solutions avancées et bien calibrées bénéficieront d’un avantage compétitif significatif, là où les structures plus modestes pourraient rester à la traîne. 

Si certaines parties dans un litige utilisent des outils d’IA générative pour analyser des milliers de documents ou affiner leurs stratégies, tandis que d’autres ne peuvent s’appuyer que sur des moyens traditionnels, cela crée un déséquilibre évident. L’enjeu est donc de garantir que l’introduction de ces technologies se fasse de manière équitable, par exemple en soutenant financièrement les petites structures ou en rendant certains outils accessibles gratuitement dans le cadre de l’aide juridictionnelle.

De même, l’annonce faite par le barreau de Paris il y a quelques semaines quant à la signature de partenariats avec des plateformes d’IA juridiques est une bonne nouvelle, même s’il demeure un risque d’inégalités entre les différents barreaux du territoire.

Lexbase Avocats : Quelles mesures préconisez-vous de prendre pour garantir l'équité dans l'utilisation de cette technologie ?

Marie-Pierre de La Gontrie : Encore une fois, je ne peux dévoiler nos préconisations avant de les avoir présentées à mes collègues. Toutefois, je peux vous dire qu’il sera évidemment crucial de soutenir les petites structures, comme les cabinets d’avocats individuels ou les associations d’aide juridique, en facilitant leur accès à des solutions d’IA. Cela pourrait passer par la mise en place de subventions publiques, la négociation de licences collectives pour des outils validés, ou encore le développement de plateformes publiques accessibles gratuitement dans le cadre de l’aide juridictionnelle.

Une autre priorité sera de garantir que tous les professionnels du droit aient accès à une formation adaptée, initiale et continue, afin de s’adapter à des outils en constante évolution, pour comprendre et utiliser ces technologies de manière efficace et éthique, tout en étant sensibilisé aux limites de l’IA générative, aux risques de biais et aux enjeux de confidentialité des données.

Pour éviter les usages abusifs ou déséquilibrés, il sera donc essentiel de mettre en place un cadre clair qui définisse les conditions d’utilisation de l’IA générative, notamment en ce qui concerne la transparence des algorithmes, la responsabilité en cas d’erreur et la garantie d’un traitement équitable pour toutes les parties dans une procédure judiciaire.

Il sera donc primordial d'instaurer des standards communs pour s’assurer que les outils utilisés respectent des critères de qualité, d’impartialité et de sécurité.

Enfin, il s’agira d’encourager l’innovation pour développer des outils spécifiquement adaptés aux besoins des petites structures ou des justiciables les plus vulnérables, afin de ne pas concentrer les bénéfices de ces technologies entre les mains de quelques grands acteurs.

Lexbase Avocats : Est-ce que les services et le personnel de Justice, dans le contexte budgétaire difficile que l’on connait, pourront eux aussi y accéder ? 

Marie-Pierre de La Gontrie : L’accès des services et du personnel de Justice à ces outils représente en effet un véritable défi, d’autant plus au regard des difficultés que rencontre déjà le ministère de la Justice concernant ses applications numériques.

Leur déploiement nécessitera des investissements significatifs, non seulement pour acquérir les technologies, mais aussi pour former les personnels et garantir une infrastructure technique adaptée.

Les restrictions budgétaires actuelles pourraient ainsi limiter la capacité du ministère de la Justice à s’engager pleinement dans cette transition technologique. En effet, si le budget de la Justice a certes augmenté ces dernières années, permettant un rattrapage budgétaire, celui-ci est toutefois très loin d’être achevé. 

Ainsi, si les personnes auditionnées nous ont parues pleinement conscientes des enjeux auxquels le ministère de la Justice est confronté sur cette question, il sera nécessaire de déployer un effort budgétaire volontariste sans quoi il est à craindre que les services de la Justice restent en marge de cette évolution technologique.

Lexbase Avocats : La formation des utilisateurs aux IA Generative semble donc être une des clés pour garantir l’accès au droit. Quelles formations préconisez-vous pour les professionnels du droit ?

Marie-Pierre de La Gontrie : La formation des professionnels du droit est effectivement une clé essentielle pour garantir une utilisation efficace, équitable et éthique des outils d’IA générative.

Par exemple, cela pourrait passer par l’intégration de modules spécifiques sur l’intelligence artificielle dans la formation initiale des juristes, avocats et magistrats, ou, pour les professionnels en activité, par des formations continues adaptées.

Ces formations devront être conçues en partenariat avec les écoles professionnelles, les barreaux et les institutions judiciaires, afin de répondre aux besoins spécifiques des différents métiers du droit.

 

Lexbase Avocats : Les professionnels du droit et, particulièrement les avocats, doivent respecter le secret professionnel et protéger leurs données et celles de leur client. Est-ce que de ce point de vue l’utilisation des IA Generative peut présenter des risques ? 

Marie-Pierre de La Gontrie : L’utilisation des IA génératives par les professionnels du droit, et en particulier par les avocats, soulève effectivement des enjeux majeurs en matière de respect du secret professionnel et de protection des données.

La transmission d’informations sensibles ou confidentielles à un outil externe, pouvant être hébergé sur des serveurs non maîtrisés par l’utilisateur, pourrait entraîner des risques de fuites de données ou de violations du secret professionnel. Cela est particulièrement préoccupant dans le cadre des professions réglementées, où le respect de ce secret est une obligation déontologique fondamentale.

D’autre part, il existe un risque lié au potentiel manque de transparence des algorithmes utilisés par ces outils. Si l’origine des données d’entraînement ou les mécanismes décisionnels de l’IA ne sont pas clairs, il peut être difficile pour un avocat de garantir que l’utilisation de ces technologies respecte les normes éthiques et légales de sa profession.

Pour atténuer ces menaces, il y a nécessité d’une vigilance accrue, d’un contrôle renforcé et d’une certaine transparence dans l’élaboration des outils.

Lexbase Avocats : Comment l'IA générative va, selon vous, redéfinir les rôles au sein des cabinets d'avocats et des services juridiques ? Est-ce que les métiers de la Justice doivent s’attendre à des suppressions de poste en raison de l’automatisation de certaines tâches ?

Marie-Pierre de La Gontrie : L’IA générative a le potentiel de redéfinir en profondeur les rôles au sein des cabinets d’avocats et des services juridiques, mais il est important de ne pas surévaluer ses effets. Si elle automatise certaines tâches, elle ouvre aussi des opportunités pour réorienter les métiers vers des activités à plus forte valeur ajoutée. Ce qui est certain, c’est que les métiers du droit semblent particulièrement perméables au développement de l’IA générative.

Néanmoins, peu de recherches récentes ont été conduites sur ce sujet. Si une étude de la North Carolina Law Schooldatant de 2016 affirmait qu’uniquement 13 % des emplois juridiques seraient en danger, de nouveaux travaux universitaires tenant compte de l’arrivée à maturité des technologies d’IAG ont conduit à reconsidérer l’impact qu’elles pourraient avoir sur l’emploi dans les cabinets d’avocats. Une étude de mars 2023 a ainsi estimé que les services juridiques étaient le secteur d’activité le plus directement soumis aux modifications induites par les « large language models ». Une analyse de la banque « Goldman Sachs » de mars 2023 a de même souligné que 44 % des emplois de ce secteur étaient exposés à une automatisation, au moins partielle. Il est donc nécessaire de conduire d'autres études pour mieux appréhender l'impact du développement de l’intelligence artificielle sur les ressources humaines des cabinets d’avocats, d’autant que cet impact est différencié selon les spécialités.

Nous devrons donc être extrêmement vigilant quant à la gestion des ressources humaines dans les métiers du droit au cours des prochaines années. Toutefois, si l’automatisation peut réduire la charge de travail sur certains segments et ainsi conduire à la suppression de postes, elle génère aussi de nouveaux besoins, notamment en termes de gestion et d’encadrement des technologies. Par exemple, des compétences en supervision des algorithmes ou en analyse de données juridiques deviennent de plus en plus importantes. Les cabinets et les services juridiques devront intégrer des profils hybrides, à l’interface entre droit et technologie.

Enfin, nous mettons en garde contre le risque de creuser les inégalités au sein des métiers de la justice. Il est essentiel d’accompagner cette transition technologique par des politiques de formation, de régulation et de soutien financier, afin de préserver l’équilibre et l’accessibilité de la profession. Dans ce cas, l’IA générative pourra être vue comme un outil de complémentarité et non comme une menace pour les emplois.

Lexbase Avocats : L’arrivée de l’IA Generative suscite autant de craintes que d’enthousiasme chez les professionnels. Après ces quelques mois d’enquête, est-ce aussi, et toujours, votre sentiment ?

Marie-Pierre de La Gontrie : L’enthousiasme vient des opportunités indéniables qu’offre l’IA générative. Les professionnels du droit perçoivent ces outils comme une révolution technologique capable de les libérer de nombreuses tâches répétitives, d’améliorer leur efficacité et d’élargir l’accès au droit. Dans certains cabinets et services, des expérimentations montrent déjà des gains de temps significatifs pour la recherche documentaire ou la rédaction d’ébauches de contrats. 

Cependant, les craintes restent bien réelles et parfois exacerbées par la rapidité de ces évolutions. Elles portent notamment sur la fiabilité des outils, la protection des données sensibles, et surtout sur l’impact sur les emplois et les modèles économiques des professions juridiques. Nous avons également constaté une inquiétude grandissante concernant la dépendance technologique, notamment si les acteurs du droit ne parviennent pas à encadrer l’utilisation de ces outils dans des limites éthiques et juridiques claires.

Lexbase Avocats : Quels vont être les prochaines étapes après votre rapport ?

Marie-Pierre de La Gontrie : Nous présenterons le rapport devant la commission des lois le 18 décembre prochain afin de débattre de ses conclusions et recommandations.

À la lumière des conclusions du rapport, nous pourrons envisager des propositions législatives visant à encadrer l’utilisation de l’IA dans les métiers du droit. Toutefois, il me semble qu’à court-terme l’enjeu est plus financier et déontologique que législatif.

Nous poursuivrons ainsi évidemment les échanges avec les barreaux, les juridictions, et les associations pour affiner nos recommandations et accompagner leur mise en œuvre. Ce dialogue est essentiel pour garantir que les solutions proposées répondent aux réalités pratiques des professionnels.

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Intelligence artificielle

[Dossier spécial] Décryptage de l’IA appliquée au Droit - Les défis des systèmes d'information dans les cabinets d'avocats et l’impact de l’IA

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par Philippe Agazzi, DSI de CMS Francis Lefebvre, Global Coordinator IT

Le 05 Décembre 2024

Le présent article est issu du dossier spécial "Décryptage de l’IA appliquée au Droit".

Philippe Agazzi, DSI de CMS Francis Lefebvre et Global Coordinator IT. Il gère le déploiement avec son équipe d’informaticiens de toutes les solutions IA au sein des différents bureaux de CMS. Il a accepté de nous présenter les défis des systèmes d'information dans les cabinets d'avocats et l’impact de l’IA.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici.


Dans un monde de plus en plus numérique, les cabinets d'avocats ne font pas exception à la règle. Ils dépendent des systèmes d'information (SI) pour gérer leurs opérations quotidiennes et répondre à leurs clients.

Face à une concurrence de plus en plus forte ainsi qu’à l’arrivée de l’IA, les avocats doivent bénéficier de solutions leur permettant d’être plus efficients et réactifs.

Par ailleurs, la nature sensible et confidentielle des données qu'ils manipulent rend la gestion des SI particulièrement complexe.

Comment les cabinets d'avocats peuvent relever ces défis… et comment « CMS Francis Lefebvre » a su anticiper cette révolution digitale 

L'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur les cabinets d'avocats est significatif et plein de promesses. Il faut voir l’IA comme un collaborateur précieux plus que comme une menace. Une des difficultés auxquelles font face les cabinets d’avocat est d’évaluer le ROI de ces solutions. En effet, on voit bien les apports de l’IA mais il est encore difficile de bien identifier le temps gagné ou la valeur ajoutée par l’utilisation de ces outils dont les prix restent importants.

L'IA peut transformer les cabinets d'avocats en automatisant les tâches de routine et en simplifiant les flux de travail. Par exemple, elle peut aider à la recherche juridique, et à l'analyse de grandes quantités de données légales, à la création de résumés de plusieurs contrats …

En résumé, l'IA permettra de gagner en efficacité et d'améliorer la précision de leurs analyses juridiques à condition d’en maitriser les fonctionnalités et de bénéficier des meilleures solutions. Aujourd’hui, si l’IA représente des investissements, elle ouvre également de nouvelles voies de croissance et d'innovation dans le domaine juridique. Une des questions qui reste ouverte est de trouver les cas d’usage les plus pertinents pour les clients.

Un autre challenge est de garantir la sécurité des données. Les cabinets d'avocats traitent des informations extrêmement sensibles, telles que des données personnelles de clients, des preuves et des conseils juridiques. La protection de ces données contre les cyberattaques, les fuites de données et les accès non autorisés est fondamentale. En outre, les cabinets doivent se conformer à diverses réglementations sur la protection des données, comme le RGPD en Europe. Cela implique de mettre en place des mesures de sécurité et de contrôle appropriées.

Quelques petits conseils pour les avocats

Pour faire face à ces enjeux technologiques, les avocats peuvent suivre plusieurs axes de digitalisation de leur cabinet. 

Dans un premier temps, il est important de s’assurer du bon niveau de cybersécurité en utilisant des solutions adaptées, mais il est également essentiel de détecter au plus vite les tentatives d’attaques en utilisant les services d’un SOC. Former le personnel aux bonnes pratiques de sécurité informatique est également un point clé. 

Enfin, il est important d’organiser des sessions de formation régulières pour les avocats sur les nouvelles technologies afin qu’ils utilisent au mieux les solutions proposées.

CMS Francis Lefebvre a su faire évoluer sa DSI pour répondre aux nouveaux enjeux de l’IA

Sous l’impulsion de son Directoire, la DSI s’est organisée pour accompagner au plus près les avocats dans l’adoption de ces nouvelles technologies. Tout d’abord dès 2023 la DSI a renforcé ses équipes en intégrant un profil Legal Ops. Muriel Gbegnito, doté d’un master de Fiscalité européenne et internationale et d’un master de Management de l’innovation digitale a rejoint la DSI pour accompagner les avocats au quotidien dans l’usage des solutions technologiques telles que signature électronique, solution de data room et bien entendu adoption de l’IA. Sous l’impulsion de la DSI et en collaboration avec les équipes du « KM », dirigées par Beatriz Chatain, la DSI a créé un comité stratégique IA regroupant une vingtaine d’avocats. Notre démarche est coordonnée avec celle de « CMS » et permet de coordonner nos investissements et de démultiplier les échanges de bonnes pratiques au niveau international. « CMS » travaille sur 3 axes :

·      Les solutions d’IA juridiques : « CMS » a été le premier cabinet à signer un accord avec « Harvey », avec les « Éditions Lefebvre Dalloz ». À ce jour l’ensemble de nos avocats disposent d’un accès à « GenIAL » et également avec « Lexbase ».

·      Les solutions d’IA généralistes : « CMS » fut l’un des premiers cabinets à faire partie du programme « early adopter » de « Microsoft » autour de « Co Pilot ». Aujourd’hui plus de 300 avocats dont 70 en France travaillent avec « Co Pilot » et identifient des use cases leur permettant d’améliorer leur quotidien.

·      Les solutions d’IA personnalisées : « CMS » travaille à intégrer, avec la sécurité nécessaire, une couche d’IA sur sa production de document au travers d’ « Imanage ».

Les principaux défis que la DSI devra relever dans les années à venir résident dans la manière dont ces différentes solutions vont être amenées à dialoguer entre elles ainsi que la sécurité des données qui seront traitées.

L’approche retenue par la DSI de « CMS Francis Lefebvre » s’oriente autour d’une collaboration étroite entre les avocats et les éditeurs afin d’aider ces derniers à adapter leurs solutions aux besoins des avocats et de nous permettre d’en bénéficier parmi les tout premiers.

En conclusion, les années à venir sont fondamentales pour les cabinets d’avocats afin de pouvoir offrir à leurs clients la valeur ajoutée attendue et « CMS Francis Lefebvre » continuera à être innovant pour servir au mieux ses clients et ses avocats.

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