Le Quotidien du 8 novembre 2024

Le Quotidien

Éditorial

[A la une] L’avocat, défenseur des droits humains au-delà des prétoires

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par Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, médiateur, Oratorik, Ancien membre du Conseil national des barreaux

Le 07 Novembre 2024

 

Pour un rôle accru de l’avocat au soutien du respect du devoir de vigilance dans les entreprises

 

L’avocat est, par essence, le défenseur des droits humains. Nous le sommes déjà pour nos clients et leurs droits dans les tribunaux. Mais notre mission s’étend au-delà des juridictions. Outre notre participation à la résolution des litiges à l’amiable, par la négociation ou la médiation par exemple, d’autres champs d’activités sont ouverts aux avocats pour la défense des droits humains, cette fois-ci en dehors des tribunaux, au sein des entreprises. Cela concerne les missions que celles-ci nous confient pour les aider à respecter leur devoir de vigilance.

Ce devoir s’est récemment étendu grâce à l’adoption d’une Directive européenne qui appelle une forte intervention des avocats pour que soit réussie l’effectivité de sa mise en œuvre.

La Directive européenne (UE) n° 2024/1760, du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, va considérablement élargir le champ d’application du devoir de vigilance par rapport aux législations nationales existantes, comme la loi française n° 2017-399, du 27 mars 2017, en abaissant les seuils et en incluant davantage d’entreprises. Elle a un effet extraterritorial, car elle vise aussi des entreprises non européennes, mais qui réalise un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros au sein de l’Union.

Elle va obliger de nombreuses sociétés à mettre en place pour la première fois des procédures de vigilance sur leurs chaînes d’activités. Le mécanisme de sanctions prévu, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial, incite fortement les entreprises à prendre au sérieux ces nouvelles obligations. Les sociétés concernées vont devoir rapidement adapter leur gouvernance et leurs processus internes pour se mettre en conformité dans un calendrier restreint – la transposition de la directive dans les droits nationaux étant fixée au plus tard le 26 juillet 2026.

Par capillarité et par ruissellement, ce devoir de vigilance va s’étendre, grâce aux techniques contractuelles, de droit dur et de droit souple, à toutes les petites et moyennes entreprises en amont ou en valeur de la chaine d’activités de celles directement visées. La jurisprudence s’est déjà exprimée sur ce point : par un arrêt du 20 novembre 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation reconnait que la violation des obligations de compliance (dans cette affaire des dispositifs anti-cadeaux, de transparence et anticorruption) insérées dans un contrat commercial constitue une faute grave justifiant la rupture dudit contrat sans préavis : « compte tenu des règles fixées par le programme de "compliance" et de l’accord conclu, le manquement de l’[Agent commercial] à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la [Société], était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis » (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.817, F-D N° Lexbase : A4677Z3M). Il en sera de même pour le devoir de vigilance : les entreprises fournisseuses ou sous-traitantes qui ne respecteront pas les clauses contractuelles relatives au devoir de vigilance seront en risque dans leurs relations contractuelles avec leurs partenaires commerciaux.

Ces obligations, si elles constituent un défi organisationnel et financier, sont aussi une opportunité pour renforcer la gestion des risques et la durabilité des modèles d'affaires. C'est ici que l'avocat intervient comme un véritable partenaire des entreprises et des parties prenantes pour le respect des droits humains, à la fois conseiller, formateur, auditeur, négociateur, médiateur ou défenseur stricto sensu.

 

Architecte du plan de vigilance

Le rôle de l'avocat commence avec la conception et la mise en place des processus de vigilance. Si la Directive n'évoque pas explicitement les termes de « plan de vigilance », elle impose aux entreprises des obligations claires de prévention et de détection des atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l'environnement. L'avocat est alors l'architecte de ces plans de vigilance, aidant les entreprises à comprendre les risques liés à leurs activités et à établir des procédures conformes et adaptées. Il conçoit également les processus d'alerte internes, essentiels pour une détection rapide des problèmes.

 

Formateur

Par des actions de formation, l'avocat joue un rôle pédagogique fondamental. Former les équipes aux enjeux du devoir de vigilance ne se limite pas à des présentations techniques : il s'agit d'insuffler une culture de responsabilité sociétale au sein de l'entreprise, de sensibiliser les salariés et les dirigeants aux risques et aux comportements à adopter. En développant cette culture, l'avocat participe activement à prévenir les violations et à ancrer le respect des droits humains dans le quotidien de l'entreprise.

 

Auditeur ou enquêteur interne

L’avocat peut être sollicité pour réaliser des audits internes, afin d’évaluer l’efficacité du plan de vigilance mis en place. Il identifie les éventuelles lacunes et propose des améliorations pour renforcer les dispositifs existants. Cette évaluation continue est essentielle pour s’assurer que le plan de vigilance reste adapté aux évolutions législatives et aux spécificités des activités de l’entreprise. Il peut aussi intervenir, de manière objective et impartiale, comme enquêteur interne en cas d’alerte ou de plainte interne.

 

Négociateur ou médiateur avec les parties prenantes

Les entreprises seront souvent confrontées à des préoccupations exprimées par les syndicats, les ONG, ou d'autres parties prenantes. Dans ces situations, l'avocat endosse un rôle de négociateur, cherchant à régler les conflits en dehors des tribunaux. S'il est nécessaire de recourir à une médiation, un autre avocat peut intervenir comme médiateur pour faciliter un dialogue constructif. Cette approche pragmatique est essentielle pour trouver des solutions qui respectent à la fois les exigences légales et les attentes des parties prenantes.

 

Défenseur en cas de contentieux

En cas de mise en cause de l’entreprise pour manquement à son devoir de vigilance, l’avocat de l’entreprise assure sa défense devant les juridictions compétentes. Il développe une stratégie adaptée pour contester les allégations ou, le cas échéant, négocier des solutions amiables. Sa connaissance approfondie du cadre légal et jurisprudentiel est un atout majeur pour protéger l’entreprise contre les risques juridiques et financiers.

 

Un rôle essentiel pour le respect des droits humains dans les entreprises

Ainsi, les multiples facettes du rôle de l'avocat dans le respect du devoir de vigilance sont autant de contributions à l'effectivité de cette obligation. En accompagnant les entreprises dans la mise en œuvre de leur devoir de vigilance, les avocats participent activement à renforcer leur responsabilité sociétale et à prévenir les risques juridiques, réputationnels et sociétaux de leurs clients. En tant qu’avocats, il nous appartient de nous approprier pleinement ces nouvelles responsabilités, et ainsi de confirmer notre rôle central dans la défense et la promotion des droits humains, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prétoires.

 

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Bancaire

[Brèves] Précisions sur le droit applicable en cas de fraude au faux conseiller

Réf. : Cass. com., 23 octobre 2024, n° 23-16.267, FS-B N° Lexbase : A76966BN

Lecture: 8 min

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR à l'Université de Strasbourg

Le 07 Novembre 2024

► Aucune négligence grave au sens de l'article L. 133-19 du Code monétaire et financier ne peut être imputée au titulaire d’un compte qui, contacté téléphoniquement par une personne se faisant passer pour un préposé de sa banque dont le numéro s’affichait, utilise à sa demande le dispositif de sécurité personnalisé pour supprimer puis réinscrire des bénéficiaires de virements dans le but d'éviter des opérations malveillantes.

Aujourd’hui, la fraude au faux conseiller bancaire inquiète tout particulièrement. Le processus commence à être connu. Un (faux) conseiller, ou un soi-disant responsable du service « fraude » de la banque, alerte un client par téléphone sur une opération qui lui paraît frauduleuse sur son compte. Pour l’annuler, il demande à sa victime d’agir directement sur son téléphone ou de lui transmettre diverses informations (code d’accès à l’espace numérisé sur le site de la banque, cryptogramme visuel de la carte bancaire, code de validation reçu par SMS, etc.). Or, en procédant de la sorte, le client réalise sans le savoir une opération de paiement au profit de l’escroc, ou lui transmet toutes les informations utiles pour la passer lui-même. On parle parfois, dans ce cas, de « spoofing » (attaque par usurpation d’identité).

Les cas sont nombreux. Il est vrai que certains escrocs savent se montrer particulièrement convaincants, notamment en s’appuyant sur des informations intéressant leurs victimes qu’ils sont parvenus à obtenir préalablement, par exemple sur les réseaux sociaux. Parfois, ils vont jusqu’à « pirater » le numéro de téléphone de la banque qui apparait sur le téléphone portable du client qui est alors mis en confiance, pensant parler avec un préposé de sa banque.

Or, il résulte de l’article L. 133-19, IV, du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5118LGN qu’en matière d’opération de paiement par carte, par virement ou par prélèvement, le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si elles résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou si ce même payeur n’a pas « satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations prescrites par les articles L. 133-16 et L. 133-17 [du Code monétaire et financier] », c’est-à-dire, respectivement, l’obligation de préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées et celle d’informer sans tarder son prestataire (ou l’entité désignée par celui-ci) de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées. Ainsi, dans l’un de ces cas, la charge totale de l’opération pèsera sur le seul payeur.

La notion de « négligence grave », visée par cet article L. 133-19, IV, a donc une importance considérable. Elle est au cœur de la décision sélectionnée.

Faits et procédure. Les faits étaient les suivants. Le 31 mai 2019, M. J. avait constaté que plusieurs virements frauduleux avaient été réalisés pour un montant de 54 500 euros sur son compte ouvert dans les livres de la banque X. L’intéressé avait alors alerté la banque le jour même, soutenant avoir été contacté par téléphone par une personne se faisant passer pour une préposée de l’établissement lui demandant d’ajouter, grâce à ses données personnelles de sécurité, cinq personnes sur la liste des bénéficiaires de virements. M. J. avait alors assigné la banque en remboursement de ces sommes.

Par une décision remarquée du 28 mars 2023, la cour d’appel de Versailles avait condamné la banque à payer à M. J. la somme de 54 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2019, ainsi que la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral avec intérêts au taux légal (CA Versailles, 28 mars 2023, n° 21/05299 N° Lexbase : A89319LD).

Pourvoi. La banque avait alors formé un pourvoi en cassation. Elle rappelait, par ce dernier, que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’une négligence grave de sa part. Or, commet une négligence grave, le payeur qui valide à distance et sans la vérifier, une opération dont il n'est pas l'auteur. Dès lors, en retenant que M. J. n’avait pas été gravement négligent, quand celui-ci avait validé des opérations dont il n’était pas l'auteur sans en vérifier toutes les données, la cour d'appel, qui n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations, aurait violé l’article L. 133-19 du Code monétaire et financier.

Décision. Ce moyen ne parvient pas à convaincre la Haute juridiction.

La Cour de cassation commence par reprendre les différents constats des magistrats de la cour d’appel de Versailles. D’abord, il était exactement énoncé qu’il incombe au prestataire de services de paiement de rapporter la preuve d’une négligence grave de son client. Ensuite, les magistrats versaillais avaient noté que le numéro d’appel apparaissant sur le téléphone portable de M. J. s’était affiché comme étant celui de Mme Y., sa conseillère de la banque X. et retenu que l’intéressé croyait être en relation avec une salariée de la banque lors du réenregistrement et nouvelle validation qu’elle sollicitait de bénéficiaires de virement sur son compte qu’il connaissait et qu'il avait cru valider l’opération litigieuse sur son application dont la banque assurait qu’il s’agissait d’une opération sécurisée. Enfin, la cour d’appel avait considéré que le mode opératoire par l’utilisation du « spoofing » avait mis M. J. en confiance et avait diminué sa vigilance, inférieure, face à un appel téléphonique émanant prétendument de sa banque pour lui faire part du piratage de son compte, à celle d’une personne réceptionnant un courriel, laquelle aurait pu disposer de davantage de temps pour s'apercevoir d'éventuelles anomalies révélatrices de son origine frauduleuse.

Dès lors, pour la Haute juridiction, de ces constatations et appréciations, la cour d'appel avait pu déduire que la négligence grave de M. J. n’était pas caractérisée. Le pourvoi est alors rejeté.

Observations. Cette décision, qui emporte notre conviction, ne doit pas se voir conférer une portée trop étendue.

En l’occurrence, une circonstance particulière fondait manifestement la solution retenue : le fait que le numéro de la conseillère bancaire s’était affiché sur le téléphone portable du client. Cela avait alors diminué la vigilance de l’intéressé.

En revanche, à défaut d’une telle subtilisation du numéro de la banque, il appartiendra, au cas par cas, aux juges de décider si l’attitude du client est constitutive d’une négligence grave au sens de l’article L. 133-19, IV, du Code monétaire et financier. Tout dépendra des circonstances de fait et/ou de la personnalité de la victime. On peut penser que les magistrats feront preuve de moins de tolérance, et ce, d’autant plus que plusieurs campagnes publicitaires récentes ont cherché à communiquer sur, notamment, cette fraude au faux conseiller.

Ainsi, depuis plusieurs mois, la Fédération bancaire française (FBF) a déployé une campagne d’information nationale opérée sur différents supports (presse écrite, radio et internet). Les établissements de crédit mènent également des actions pour sensibiliser leurs propres clients aux différents gestes de protection.

On signalera, pour terminer, que de telles subtilisations du numéro de téléphone de la banque devraient logiquement disparaître dans un avenir proche. La loi « Naegelen » du 24 juillet 2020 (loi n° 2020-901, du 24 juillet 2020, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux N° Lexbase : Z481199X), qui a pour objectif de combattre les pratiques abusives du démarchage téléphonique, est en effet venue imposer aux opérateurs téléphoniques la mise en place d’une solution d’authentification des numéros, avec une coupure obligatoire des appels non authentifiés. Les opérateurs doivent dès lors désormais vérifier la conformité des numéros téléphoniques au plan de numérotation de l’Arcep (régulateur du secteur), tant du côté de l’appelant que de l’appelé. Les appels non authentifiés sont systématiquement interrompus. Or, le dispositif technique en question, qui ne concerne pour l’heure que les numéros de téléphone fixes, est entré en application le 1er octobre dernier.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le droit des opérations de paiement (cartes, virements, prélèvements), Les effets de la contestation, in Droit bancaire (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E8911B4S).

 

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Contentieux

[Brèves] Compétence exclusive du TJ pour statuer sur le contentieux d’une rémunération supplémentaire résultant d’une invention

Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2024, n° 22-19.700, FS-B N° Lexbase : A76976BP

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par Laurence Fin-Langer, Professeur agrégé, Université Caen Normandie, ICREJ

Le 07 Novembre 2024

La Cour de cassation confirme que relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, le contentieux relatif au paiement de la rémunération d’un salarié inventeur d’une invention relevant du droit des brevets ; cette solution n’est pas sans soulever des interrogations quant à son sort en raison de l’ouverture d’une procédure collective.

Contextualisation. Le conseil des prud’hommes est compétent pour trancher tous les litiges individuels opposant un salarié à son employeur, cette compétence étant d’ordre public et exclusive (C. trav., art. L. 1411-4 N° Lexbase : L1883H9M). Mais, elle n’est pas totale et elle peut entrer en conflit avec la compétence exclusive d’autres juridictions. Tel est le cas des contentieux relatifs au droit des logiciels (CPI, art. L. 113-9 N° Lexbase : L0392LTP) ou des brevets, comme en témoigne l’arrêt publié rendu le 23 octobre dernier. L’article L. 615-17 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L0407LTA attribue en effet cette compétence exclusive au tribunal judiciaire de Paris (auparavant le TGI de Paris), en raison du caractère technique et spécifique de ce contentieux qui a été uniformisé et étendu, notamment par une loi du n° 2014-315, du 11 mars 2014 N° Lexbase : L6897IZH, aux contentieux opposant un salarié à son employeur, relatif à l’article L. 611-7 N° Lexbase : L0424LTU. Ce texte prévoit que les inventions réalisées par un salarié dans le cadre de sa mission incluant une partie inventive appartiennent à l’employeur, en contrepartie d’une rémunération fixée par accord collectif ou par le contrat de travail, et à défaut par la commission nationale des inventions des salariés ou par le tribunal judiciaire. Les inventions hors missions ne peuvent appartenir à l’employeur que si elles lui sont attribuables et moyennant le paiement d’un juste prix.

Espèce. Dans cette affaire, un salarié engagé comme ingénieur en 1990 assigne devant le conseil des prud’hommes son employeur pour obtenir l’annulation de son licenciement notifié en 2017, un complément de rémunération au titre d’inventions et une indemnisation pour violation de son droit à l’image. L’entreprise est soumise à la Convention collective de branche des industries chimiques, complétée par un avenant spécifique aux cadres. Toute la question était de savoir si cette rémunération était subordonnée à la prise d’un brevet ou à son exploitation. En octobre 2020, la société est placée en liquidation judiciaire. La cour d’appel de Paris, en 2022 (CA Paris, 6-3, 1er juin 2022, n° 19/01249 N° Lexbase : A66547Y4), rejette les demandes du salarié, estimant notamment que le conseil des prud’hommes n’est pas compétent, le contentieux relevant de la compétence exclusive du TGI, sur le fondement de l’article L. 615-17 du Code de la propriété intellectuelle, y compris pour les cas prévus par l’article L. 611-7.

Solution. La Cour de cassation considère que « c’est à bon droit que la cour d’appel a déclaré le conseil des prud’hommes incompétent pour statuer sur ce chef de demande ». Au fond, elle rejette aussi la demande de dommages-intérêts, estimant que l’employeur n’avait fait qu’appliquer le contrat de travail qui prévoyait la cession de son droit à l’image. Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation reconnait la compétence exclusive du TGI dans ce cadre-là, même si cela revient à appliquer une convention collective pour déterminer la rémunération du salarié inventeur (Cass. soc., 18 février 1988, n° 85-40.213 N° Lexbase : A6722AA9). Le contentieux peut concerner le lien entre la mission et l’invention, le montant de la rémunération, le caractère éventuellement brevetable, qui n’est cependant pas une condition d’application de l’article L. 611-7 pour obtenir une rémunération supplémentaire. Le conseil des prud’hommes peut cependant conserver sa compétence si c’est une convention collective qui prévoit, en dehors de ce texte, une rémunération du salarié pour une innovation, qui n’est pas, au sens de ce texte, une invention (Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-25.067, FS-P+B N° Lexbase : A4426XMU : S. Tournaux, Régime des inventions du salarié : compétence judiciaire et impact des stipulations contractuelles ou conventionnelles, Lexbase Social, mai 2018, n° 741 N° Lexbase : N3959BXW ; D., 2018, p. 1513). Il en est de même en droit d’auteur, faute de dérogation expresse, en ce qui concerne la qualité de coauteur d’une œuvre littéraire (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-17.516 N° Lexbase : A5126DCT : S. Martin-Cuenot, Compétence du conseil de prud'hommes en matière de créations de salariés, Lexbase Social, juin 2004, n° 126 N° Lexbase : N2041AB9) ou les actions en contrefaçon d’une œuvre littéraire (Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-15.462, FS-P+B N° Lexbase : A7124D8D : RDT, 2008, p. 472).

Enjeux en raison de l’ouverture de la procédure collective. La question soulevée, au-delà de la compétence de la juridiction, concerne aussi le sort de l’instance en cours en raison de l’ouverture de la procédure collective. En effet, selon l’article L. 625-3 du Code de commerce N° Lexbase : L3458IC3, seules les instances en cours devant le conseil des prud’hommes sont poursuivies de plein droit, dérogeant ainsi à la solution relative aux autres instances visant à obtenir le paiement d’une créance soumise aux dispositions de l’article L. 622-22 du Code de commerce N° Lexbase : L7289IZY : l’instance est interrompue en raison de l’ouverture de la procédure collective et elle ne peut être reprise qu’après déclaration par le créancier de sa créance et mise en cause des organes de la procédure. Ce texte aboutit cependant à une impasse, en cas d’application au TGI, compétent pour statuer sur la rémunération supplémentaire due au salarié inventeur, puisque les salariés sont dispensés de déclarer toutes leurs créances (C. com., art. L. 625-1 N° Lexbase : L3315ICR ; Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-45.144 N° Lexbase : A6657A7P : S. Tournaux, Qui a la charge de convoquer les organes de la procédure collective à l'instance prud'homale en cours ?, Lexbase Social, mars 2011, n° 433 N° Lexbase : N7556BRB).  

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les compétences du conseil de prud’hommes, Les litiges liés à l'exécution du contrat de travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3725ET7.

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Contrats administratifs

[Brèves] Résiliation anticipée d'un contrat d'affermage : indemnisation de la part non amortie par le délégataire

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 31 octobre 2024, n° 487995, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A32506DQ

Lecture: 3 min

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par Yann Le Foll

Le 07 Novembre 2024

► La résiliation anticipée d'un contrat d'affermage avec travaux prévoyant le versement d'une redevance initiale de mise à disposition des biens implique le droit à l'indemnisation de la part non amortie du délégataire.

Rappel. Il résulte de l'article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7650IMB qu'une convention de délégation de service public peut légalement prévoir le versement par le délégataire de redevances ou de droits d'entrée à la condition que ces sommes, que la convention doit justifier, ne soient pas étrangères à l'objet de la délégation

Lorsque la convention prévoit que ces sommes correspondent à la mise à disposition de biens, évalués nécessairement à la valeur nette comptable, et qu'elle est résiliée par la collectivité délégante avant son terme normal, le délégataire a droit, sauf si le contrat en stipule autrement, à l'indemnisation par la collectivité délégante de la part non amortie de telles sommes correspondant, à la date de la résiliation, à la valeur nette comptable des biens ainsi mis à disposition, si ces biens font retour à la collectivité ou sont repris par celle-ci. 

Il résulte de l'article L. 1411-2 précité que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

Application. A fait l’objet d’une résiliation anticipée, un contrat d'affermage avec travaux de parcs de stationnement, prévoyant le versement d'une redevance initiale de mise à disposition des biens. Ces stipulations mettent à la charge du délégataire une somme qui constitue, selon leurs termes mêmes, la contrepartie de la mise à disposition de biens, qui ont été remis à la collectivité délégante ou repris par celle-ci au terme de la convention. 

Ainsi, cette somme doit être regardée comme une dépense d'investissement pour le délégataire, prise en compte pour évaluer la durée nécessaire pour qu'il puisse couvrir ses charges. Le délégataire est par suite fondé à demander à être indemnisé de la part non amortie de cette somme à la date d'effet de la résiliation (rejet pourvoi contre CAA Paris, 6ech., 4 juillet 2023, n° 20PA02799 N° Lexbase : A370698R).

Pour aller plus loin : Lire O. Garreau, Sur l'indemnisation du préjudice financier du cocontractant de l'administration à la suite de l'annulation contentieuse du contrat de concession et l'application dans le temps de l'ordonnance du 29 janvier 2016, Lexbase Public, n° 496, mars 2018 N° Lexbase : N3268BXC.

newsid:490857

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et omission de déclaration dans les délais prescrits

Réf. : CE, 3e-8e ch.-r., 9 octobre 2024, n° 490111, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A456559X

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par Marie-Claire Sgarra

Le 08 Novembre 2024

L’omission de déclaration du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dans les délais prescrits ne fait pas obstacle à ce que le contribuable en sollicite, dans le délai de réclamation applicable à chacun des exercices concernés, l’imputation ou la restitution

Faits. Une SARL a sollicité le remboursement d'une créance de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dont elle s'estimait titulaire à raison de rémunérations versées en 2013.

Procédure. Décision implicite de rejet de l'administration. La société a réitéré cette demande auprès du TA de la Guadeloupe. La CAA de Bordeaux a annulé l’ordonnance par laquelle le président de la 2e chambre du tribunal a rejeté la demande de la société et d’autre part, a ordonné la restitution du crédit d’impôt sollicité (CAA Bordeaux, 17 octobre 2023, n° 21BX01373 N° Lexbase : A78371NL).

Solution du Conseil d’État. Il ne résulte ni des termes de l'article 244 quater C du Code général des impôts N° Lexbase : L5694MA7, ni de ceux de l'article 220 C N° Lexbase : L2466LPZ, ni du I de l'article 199 ter C du même Code N° Lexbase : L9191LNQ, que l'obligation déclarative découlant de l'article 49 septies Q de l'annexe III au Code général des impôts N° Lexbase : L4424K7Y serait prescrite à peine de perte du droit au bénéfice du CICE.

L'omission de déclaration de ce crédit d'impôt dans les délais prescrits ne fait par suite pas obstacle à ce que le contribuable en sollicite, dans le délai de réclamation applicable à chacun des exercices concernés, l'imputation ou la restitution dans le respect des règles qui résultent des mêmes articles du Code général des impôts, ainsi que de l'article 49 septies P de son annexe III N° Lexbase : L1156IZT.

La CAA de Bordeaux après avoir relevé par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation que la société au litige n'avait pas été, en raison de sa situation déficitaire, en mesure d'imputer sa créance de CICE sur les impositions dues au titre des exercices clos les 30 avril 2014 à 2017, a jugé sans erreur de droit :

  • d'une part, que cette société était en droit d'en obtenir la restitution à compter du 30 avril 2017 et ;
  • d'autre part, qu'elle était recevable à demander le bénéfice de ce droit jusqu'au 31 décembre 2019.
Pour aller plus loin : S’agissant de la possibilité, sauf disposition contraire, de solliciter, dans le délai de réclamation, le bénéfice d’un avantage fiscal soumis à déclaration, le Conseil d’État a jugé que la demande tendant au bénéfice du prélèvement forfaitaire libératoire peut être formée par le contribuable par voie de réclamation, jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article R. 196-1 du LPF, sans que puisse lui être opposée la circonstance qu'il a omis de mentionner la prestation de retraite servie en capital dans la déclaration de revenus au titre de l'année au cours de laquelle il l'a perçue (CE, 3e-8e ch.-r., 14 juin 2017, n° 397052, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6886WHI).

 

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Procédure pénale

[Brèves] Anticor : le renouvellement de son agrément pour se constituer partie civile était illégal

Réf. : CE, 5e-6e ch. réunies, 6 novembre 2024, n° 490435 N° Lexbase : A11416EY

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N0886B39

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par Pauline Le Guen

Le 07 Novembre 2024

► Le Conseil d’État rejette le pourvoi de l’association « Anticor » et confirme l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel, jugeant que le renouvellement de son agrément, délivré par le Premier ministre en 2021 pour se constituer partie civile, était illégal.

Rappel de la procédure. Un membre et un ancien membre de l’association française anticorruption « Anticor », créée en 2002, ont saisi le tribunal administratif d’une demande en annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 2 avril 2021, par lequel le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des Sceaux, avait renouvelé son agrément pour se constituer partie civile dans certaines affaires de corruption.

Le tribunal administratif avait annulé l’arrêté, jugeant que le Premier ministre ne pouvait pas légalement considérer que la condition tenant au caractère désintéressé et indépendant des activités de l’association (nécessaire pour l’obtention de l’agrément) n’était pas remplie et délivrer tout de même l’agrément en se contentant d’engagements pris par l’association qui avait manifesté l’intention de se doter à l’avenir d’un commissaire aux comptes pour plus de transparence. La cour administrative d’appel, saisie de l’appel de l’association, avait confirmé cette décision. 

Objet du pourvoi. L’association a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation tendant à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel, demandant de faire droit à ses conclusions de première instance et de mettre à la charge des requérants la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.

Décision. Le Conseil d’État rappelle qu’au titre de l’article 2-23 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2552LB7, une association agréée a la possibilité de se constituer partie civile devant le juge pénal en matière de lutte contre la corruption. Cet agrément, délivré pour une durée de trois ans, est soumis à certaines conditions, notamment à celle tenant au caractère désintéressé et indépendant des activités de l’association, appréciée en fonction de la provenance de ses ressources. 

En l’espèce, le Premier ministre avait relevé certains éléments de nature à faire naître un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités d’Anticor (notamment l’absence de transparence quant à un don qu’elle avait reçu). 

Dès lors, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel en validant son raisonnement ainsi que celui du tribunal administratif, jugeant illégal l’arrêté du Premier ministre contesté. En effet, ce dernier ne pouvait à la fois considérer que les conditions d’obtention de l’agrément tenant au caractère désintéressé et indépendant des activités n’étaient pas remplies et délivrer tout de même l’agrément en se satisfaisant d’engagements pris par Anticor de prendre des mesures correctives pour l’avenir. La Haute juridiction confirme ainsi l’annulation rétroactive et définitive de l’arrêté. 

Néanmoins, indépendamment de cette procédure, le Premier ministre avait délivré le 5 septembre 2024 un nouvel agrément à l’association, après que le juge des référés du tribunal administratif l’ait enjoint de ne plus attendre et de statuer sur cette demande. Il revient dès lors au juge pénal de se prononcer sur la portée de cette annulation pour la période antérieure au 5 septembre 2024. 

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