Lecture: 10 min
N0745B3Y
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Étienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Directeur scientifique de la revue Lexbase Droit privé
Le 24 Octobre 2024
1000 numéros !
Voilà un chiffre qui impressionne.
Rétrospectivement, on a du mal à imaginer la masse d’arrêts, de commentaires, ou d’articles de doctrine qui ont été écrits, diffusés et lus tout au long de ces mille numéros.
Si l’on revient en arrière, aux origines de la revue Lexbase Droit privé (qui s’intitulait alors édition privée), on peut se dire qu’il fallait une certaine dose de courage, et peut-être d’inconscience, pour se lancer dans une telle aventure. On pense alors aux écuries d’Augias. Lexbase s’est attaquée à une tâche herculéenne, qui consistait à déplacer le flux juridique du papier vers le numérique, un peu comme le héros mythologique avait déplacé les fleuves.
Ces mille numéros nous en disent autant sur l’évolution du droit, que sur les transformations profondes de l’édition. Comment ne pas être frappé par le regard visionnaire que les créateurs des éditions Lexbase ont porté sur la diffusion et l’analyse du droit ? Comment ne pas être séduit par l’audace de croire dans l’avenir de l’édition numérique, au moment où le world wide web en était à ses balbutiements ?
Plus de vingt ans et 1000 numéros plus tard, ce modèle s’est imposé comme un standard dans la diffusion des savoirs juridiques et la revue Droit privé est parvenue à établir des ponts entre le traitement en continu de l’information juridique et la réflexion approfondie.
Ce millième numéro sonne comme un succès, dont il faut se réjouir, car la revue Droit privé est largement diffusée, lue dans les barreaux, les universités, les écoles d’avocats et de magistrats. Mais ce succès doit également être décrypté. Il est le fruit d’une rencontre entre une équipe éditoriale et un pool d’auteurs. Cette rencontre n’est pas due au hasard. On sent, au sein de l’équipe éditoriale, une envie constante d’avancer, de suivre l’actualité et de l’anticiper. On perçoit dans cette équipe le dynamisme qui définit l’esprit Lexbase, toujours à la recherche d’un sujet nouveau ou d’un nouvel auteur.
Les auteurs sont également l’une des clés du succès de la revue Droit privé. Année après année, la revue a su associer les grands noms de la doctrine française. Ceux qui ont accompagné la réforme du droit des contrats, ceux qui ont porté, et parfois rédigé, les lois en matière familiale ou sur les droits des mineurs, ceux qui ont incarné le renouveau de la pensée en matière de responsabilité civile, ceux qui ont apporté une expertise unique en procédure civile. Il faut encore parler des auteurs Lexbase qui contribuent à la diffusion et à la compréhension de la jurisprudence. La masse d’arrêts rendus par la Cour de cassation ne serait ni accessible, ni intelligible, si elle ne faisait pas l’objet de brèves, qui n’ont d’ailleurs de brèves que le nom. Car, en réalité, il s’agit bien de commentaires et d’analyses des arrêts marquants, que nous livrent tous ces auteurs qui animent les colonnes de la revue Droit privé. On peut certainement parler d’une relation de fidélité entre la revue et ses auteurs, mais il faut également évoquer une certaine complicité. Cette relation est certainement la meilleure explication de la qualité des contributions publiées par la revue.
La qualité des contributions, c’est bien ce qui définit ce 1000e numéro, exceptionnel à bien des égards. En s’éloignant de l’actualité - le temps d’une pause - le lecteur est invité à se plonger dans une rétrospective sur l’évolution du droit tout au long de ces 1000 numéros, et sur les perspectives d’avenir, qui ouvrent un nouveau cycle.
À travers ces contributions au 1000e numéro, on perçoit les grandes lignes de l’évolution du droit privé en ce début de millénaire.
À tout seigneur tout honneur, ce sont les grandes réformes qui émergent du flot continu des textes et de la jurisprudence. Comment ne pas penser à la réforme du droit des contrats, qui a mobilisé une telle énergie et suscité tant de controverses. On ne peut oublier les transformations sociales profondes, provoquées par la création du mariage pour tous, ou encore l’apparition du divorce sans juge. Le Code civil a dû s’adapter à la diversité des modes de conjugalité et de filiation. Parfois, des réformes techniques en apparence ont révélé des enjeux bien plus grands. On apprend ainsi comment les réformes du droit de la copropriété sont guidées par le changement climatique. Ces grandes lois se sont accompagnées d’une transformation assez profonde de l’univers judiciaire et procédural. La profession des avoués, qui existait depuis 1791, a été supprimée. Les tribunaux d’instance et de grande instance ont été fusionnés dans un tribunal judiciaire. Les cours d’appel ont vécu un véritable bouleversement de leur procédure, symbolisé par l’irruption des redoutables « délais Magendie ».
À côté des réformes législatives et réglementaires, la Cour de cassation a joué un rôle majeur depuis le début du 21e siècle. Ce rôle est très visible dans le domaine du droit de la preuve. Cette matière a connu, depuis le début des années 2000, une émancipation que l’on doit à la créativité des juges du Quai de l’horloge. Avec l’arrêt « Nikon » en 2001, la Chambre sociale affirme que la recevabilité d’une preuve est conditionnée par le droit au respect de la vie privée. Quelques années plus tard, c’est la deuxième chambre civile qui consacre le principe de loyauté de la preuve. En contrepoint, à partir de 2012, la première chambre civile affirme que le droit à la preuve doit être concilié avec la loyauté et le droit au respect de la vie privée. Ce combat entre le droit reconnu à chaque partie de produire ou de rechercher une preuve et l’irrecevabilité des preuves illicites va s’achever par un retentissant arrêt d’Assemblée plénière rendu le 23 décembre 2023. Tout au long de ces années, la Cour de cassation a construit un authentique régime juridique de la recevabilité des preuves en justice, et ce régime demeure totalement ignoré tant du Code civil que du Code de procédure civile.
En marge de la législation et de la jurisprudence, l’évolution du droit émane des petites sources du droit, comme le montre la très riche discussion autour de la nomenclature « Dinthillac ». Avec ce texte fondateur, c’est la réparation des préjudices corporels - et plus généralement une grande partie de la responsabilité civile – qui a été transformée.
Ces vingt années sont également marquées par l’essor de l’usage du numérique dans l’univers juridique. La numérisation des documents a entraîné celle de la communication entre les acteurs judiciaires, mais également entre les justiciables. La reconnaissance de l’écrit et de la signature électronique dans le Code civil a rapidement laissé place à la communication électronique, devant les cours d’appel, puis devant les tribunaux. Le réseau privé virtuel des avocats est devenu le principal instrument d’échange en matière contentieuse. Plus qu’un choc culturel, il a provoqué de véritables sagas juridiques, comme celle de l’annexe à la déclaration d’appel. Le numérique étend son spectre dans toutes les branches du droit. On le retrouve dans le stockage et l’accès des documents dans les copropriétés. Plus généralement, la loi pour une République numérique a imposé la diffusion des décisions de justice en open data. Cet accès massif aux décisions des juridictions du fond bouscule les pratiques professionnelles. La jurisprudence de la Cour de cassation est désormais en concurrence avec celle des cours d’appel et les éditeurs tentent de développer des outils de recherche à l’aide de techniques d’intelligence artificielle. On parle désormais d’une hiérarchisation des décisions rendues par les juridictions du fond. Dans le même temps, la Chancellerie tente de numériser les chaînes pénale et civile et d’édifier des juridictions plateformes. Effleurant le rêve d’un accès au droit pour tous, de nombreuses legaltech utilisent l’IA générative et les agents conversationnels pour fournir des conseils ou une aide à la recherche. La planète du droit tremble, lorsqu’un auteur ose poser la question cruciale provoquée par cet essor de l’intelligence artificielle : « ChatGPT peut-il me remplacer ? » (N. Molfessis, JCP G 23 janvier 2023).
Cette rétrospective de vingt ans de droit en 1000 numéros nous rappelle enfin à quel point le droit est vivant, et peut-être même trop vivant. Au fil de la lecture de ce numéro spécial, on mesure la frénésie législative et réglementaire. On prend conscience de l’enchaînement continu des textes. Cette évolution est parfois inconsciente, d’autres fois assumée. En procédure civile, la politique de la Chancellerie est désormais de livrer un nouveau décret tous les six mois. Tout se passe comme si les pouvoirs publics imposaient une forme de révolution permanente, qui contraint les justiciables à un mouvement perpétuel d’adaptation au droit nouveau.
De façon contrastée, certaines grandes réformes du droit privé semblent éternellement bloquées. Si la théorie générale du contrat et le régime des obligations ont été modernisés, des pans entiers du Code civil demeurent dans leur état d’origine, celui du code de 1804. Le droit des contrats spéciaux est tombé en état de désuétude. On trouve encore dans le Code civil des dispositions relatives au contrat de voiturier. Le droit de la responsabilité civile trouve refuge à la Cour de cassation, laquelle poursuit une œuvre politique de plus en plus assumée en faveur des victimes. Les travaux préparatoires à la réforme du droit des biens semblent tombés aux oubliettes.
La pause que nous offre ce 1000e numéro est bienvenue, pour ne pas dire inespérée. C’est un panorama du droit privé qui s’offre à nous. Postés au sommet d’une colline, nous contemplons le renouvellement du paysage juridique, ici bien ordonné et là chaotique. C’est une perspective à la fois historique et géographique qui nous laisse contemplatifs, parfois dubitatifs, mais jamais indifférents.
Sommaire Éditorial Contrats et obligations Copropriété Divorce Droit de la famille Droit rural Procédure civile Responsabilité |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490745
Lecture: 2 min
N0713B3S
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Stéphane Vernac, Professeur de droit privé à l'Université de Picardie Jules Verne et Directeur scientifique de la Revue Lexbase Social
Le 23 Octobre 2024
La revue Lexbase Social publie son millième numéro. Depuis sa première édition, datée du 6 décembre 2001, elle a su trouver sa place parmi les principales revues françaises de droit social. Depuis, le nombre de ses lecteurs, pour moitié praticiens et universitaires, n’a cessé de croître. Si l’heure n’est pas à l’autosatisfecit, il n’est pas injustifié de rappeler combien la revue doit à sa rédactrice en chef, Charlotte Moronval, à ses rédactrices Laïla Bedja et Lisa Poinsot, ainsi qu’aux impulsions décisives de son premier directeur scientifique jusqu’en 2020, le Professeur Christophe Radé. La Revue propose chaque semaine de mettre en lumière les principales actualités législatives et judiciaires comprenant les arrêts publiés ainsi qu’un panorama des arrêts inédits rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Elle accueille également des analyses surplombantes, composées de commentaires et de chroniques dont les thématiques se sont diversifiées (droit du travail et RGPD, droit du transfert d’entreprise, droit syndical, droit du travail et entreprises en difficulté, égalité et discrimination, droit social international et européen, responsabilité civile et pénale de l’employeur en matière de santé et sécurité au travail, droit des contrats de formation professionnelle, etc.). La revue combine ainsi des analyses de « dogmatique juridique » et de « pratique doctrinale », selon les expressions chères à Antoine Jeammaud, les premières dressant une présentation ordonnée du droit social dans ses dernières évolutions tandis que les secondes déploient une réflexion sur la pertinence des questions et des solutions de droit. Les registres d’analyse sont pluriels, à l’image des contributeurs, universitaires et praticiens du droit, qui, occasionnellement ou périodiquement, alimentent les colonnes de la revue. Si elle conserve le souci de la rigueur comme celui de l’exercice critique, la revue connaîtra sans doute nombre d’évolutions dans ses rubriques, afin d’accueillir de nouvelles problématiques juridiques et préoccupations sociétales. Il y a là un défi pour une revue de droit social : suivre, sans jamais se perdre, les incessantes transformations du droit qu’elle se donne pour objet d’examiner.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490713
Réf. : Cass. crim., 25 septembre 2024, n° 23-86.170, F-D N° Lexbase : A999654Y
Lecture: 19 min
N0610B3Y
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le 23 Octobre 2024
Mots-clés : outrage sexuel • sexisme • dignité • harcèlement • injure • réserve d'interprétation • Conseil constitutionnel
Le directeur d’un centre d’entraînement sportif a signalé en 2021 au procureur de la République les agissements d'un kinésithérapeute qui travaillait dans ce centre, après avoir reçu différents témoignages provenant de jeunes gens au sujet de gestes et propos déplacés. Des poursuites furent engagées pour agressions sexuelles (autres que le viol) par personne ayant autorité et pour outrage sexuel ou sexiste. Le tribunal correctionnel a déclaré le kinésithérapeute coupable de l’ensemble de ces faits tout en le condamnant sur l’action publique, pour le délit, à huit mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu’à un an d'interdiction d'exercer sa profession et, pour la contravention, à 150 euros d'amende. Le prévenu a interjeté appel et le ministère public appel incident. La cour a confirmé le jugement sur la culpabilité et la peine, s’agissant des faits d’agression sexuelle ; elle a confirmé le jugement sur la culpabilité s’agissant des faits d’outrage sexuel ou sexiste, tout en portant la peine à 600 euros d’amende. Le prévenu a alors formé un pourvoi contre cette décision qui est écarté sans justification s’agissant des premiers faits, mais avec une réponse motivée s’agissant des seconds.
On apprend ainsi que, devant un témoin, le kiné a dit à une jeune fille : « c'est tout dans les cuisses et le cul », « tu as un beau fessier », « ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée ». Ces faits sont reconnus. En revanche, leur portée a été discutée. Y avait-il là « outrage sexuel ou sexiste » au sens de l’article 611-1 du Code pénal N° Lexbase : L6968K79, alors applicable ? La cour d’appel l’admit en jugeant « que ces paroles évoquent en termes vulgaires l'anatomie de la victime et que les mots employés ont une connotation sexuelle ». Elle ajouta même que « les propos dénoncés, tenus par un homme mature à une jeune fille, sont sexistes et ont porté atteinte à la dignité de la victime et créé à son encontre une situation intimidante, offensante, l'ayant mise mal à l'aise ». Le prévenu l’a contesté en soutenant que de tels propos ne faisaient référence ni au sexe, ni au genre de l’intéressée, qu’ils n’évoquaient nullement une activité sexuelle et n’avaient pas pour but, s’agissant de compliments et de conseils, de porter atteinte à sa dignité. Néanmoins, son pourvoi est rejeté dans l’arrêt commenté.
Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi la cour d’appel « a suffisamment caractérisé tant l'élément matériel qu'intentionnel de l'infraction, résultant de la nature explicitement sexuelle des propos adressés par M. [S] à [Y] [W], alors âgée de 17 ans, qu'il recevait, en sa qualité de professionnel de santé adulte, lors d'une séance de kinésithérapie ostéopathie ». La Haute juridiction ajoute même que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que les juges ont établi que le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 (Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du19 janvier 2023, Loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur N° Lexbase : A936588D) ». Ce qui est en réalité assez confus. Cette motivation alambiquée appelle des réserves en droit (I.) aussi bien qu’en fait (II.).
I. Décryptage de la décision en droit
Il convient de rappeler ici que l’outrage sexuel ou sexiste a subi l’an dernier une modification importante. Simple contravention introduite par une loi n° 2018-703, du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ à l’article 621-1 du Code pénal N° Lexbase : L7582LPI (modifié s’agissant des peines de stage encourues par la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC) [1], il a été réformé par une loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023 N° Lexbase : L6260MGX. Cette réforme s’imposait pour des raisons tant juridiques que pratiques. Juridiquement, la contravention en question était d’une légitimité douteuse, car elle résultait d’une loi, alors que le mécanisme des articles 34 et 37 de la Constitution est désormais compris par tous comme réservant à l’exécutif compétence pour incriminer en matière de police [2]. De toute évidence, le Parlement avait entendu frapper les esprits et donner une force symbolique particulière à cette contravention en arrêtant lui-même son principe, au risque d’empiéter sur le domaine réservé à l’exécutif en matière pénale. Quelques années plus tard, il a tiré prétexte d’une nécessaire aggravation de la répression en la matière pour abroger cette contravention d’origine législative tout en prévoyant que les formes aggravées de la contravention à venir (devant être incriminée, cette fois, par l’exécutif) seraient désormais constitutives d’un délit. Concrètement, l’article 621-1 menaçait initialement cet outrage simple de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe et l’outrage aggravé de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. C’est cette forme aggravée qui a été transformée en délit [3]. En conséquence, la loi du 24 janvier 2023 a abrogé l’article 611-1 et adopté l’article 222-33-1-1 du Code pénal N° Lexbase : L6496MGP. Toutefois, ces innovations n’ont pris effet que trois mois après l’entrée en vigueur de la loi pour permettre à l’exécutif d’intervenir, ce qu’il a fait, le 30 mars 2023, en adoptant le décret n° 2023-227 N° Lexbase : L3248MHR qui a introduit dans le Code pénal un article R. 625-8-3 N° Lexbase : L3437MHR incriminant un outrage sexuel ou sexiste « simple » dans les mêmes termes que précédemment, mais sous la menace désormais de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe [4]. L’ensemble est entré en vigueur le 1er avril 2023.
Si la bonne articulation de ces textes a évité tout vide juridique, il n’en reste pas moins que, au moment où la Cour de cassation a statué dans la présente espèce, l’article 611-1 du Code pénal servant de base aux poursuites n’existait plus, ce qui aurait mérité quelques mots d’explication de sa part. Certes, l’abrogation de ce texte ne témoignait d’aucune volonté de dépénalisation puisqu’il s’agissait simplement de substituer une incrimination réglementaire à l’incrimination législative de l’outrage sexuel ou sexiste « simple ». Par ailleurs, les nouvelles sanctions encourues n’ont pas été appliquées ici. L’abrogation de l’ancien texte coïncidant avec l’entrée en vigueur des nouveaux, il a existé une continuité d’incriminations qui empêcha le contrevenant de se prévaloir de la rétroactivité in mitius ou de dénoncer, s’agissant des peines, une application rétroactive de la loi pénale nouvelle plus sévère. Il n’a donc soulevé aucune contestation sur ce point, mais cela ne dispensait pas les magistrats de s’expliquer dès lors que l’application de la loi pénale dans le temps est d’ordre public et que les juges, y compris la Cour de cassation, sont tenus d’en relever la violation au besoin d’office [5]. Cela suppose qu’ils contrôlent et donc qu’ils motivent leur décision d’appliquer un texte qui a formellement disparu au jour où ils statuent [6]. Ici, il est regrettable qu’ils ne l’aient pas fait en nous laissant le soin d’imaginer quel texte ils ont appliqué. A priori, il ne peut s’agir que de l’article R. 625-8-3, dans la limite des pénalités prévues à l’article 611-1 pourtant abrogé, et non de l’article 222-33-1-1. Peu importe que le comportement poursuivi ait présenté plusieurs circonstances aggravantes prévues par lui. Ce dernier texte plus sévère ne pouvait être appliqué à des faits commis avant son entrée en vigueur. Une explication sur ce point aurait peut-être permis à la Cour d’éviter également la confusion qui suit.
En effet, la motivation de l’arrêt commenté, en plus d’être lacunaire (faute de s’expliquer sur le maintien des poursuites malgré la transformation du texte qui leur est applicable), paraît maladroite, car, pour justifier le rejet du pourvoi, la Haute juridiction s’est crue obligée d’ajouter une référence à la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi du 24 janvier 2023 à l’origine de l’article 222-33-1-1. Était-ce pertinent ici ? Pour mémoire, on rappellera que, dans le recours engagé contre cette loi, les parlementaires d’opposition dénonçaient la différence de traitement (en termes de pénalités) entre l’outrage sexiste aggravé et l’injure publique commise avec un mobile tenant au sexe d’autrui. Mais le Conseil a refusé de voir là une atteinte au principe d’égalité. Il répond que « si les faits d’outrage réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du délit d’injure publique prévu à l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, ils s’en distinguent dès lors que, à la différence de l’injure publique, ils peuvent être commis sans moyen de publicité et prendre la forme non seulement de propos, mais aussi de comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés à une personne déterminée. Il doit en outre être établi que l’auteur de l’outrage a voulu, par ces agissements, porter atteinte à la dignité de la victime ou créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (Cons. const., décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur , § 60). Il n’est pas sûr que le renvoi à une telle décision ait été pertinent ici. En effet, elle répond à une question qui n’était pas posée en l’espèce : s’agissant du respect du principe d’égalité [7]. Pire : cette décision se contente d’écarter un moyen d’inconstitutionnalité présenté sans exprimer aucune réserve d’interprétation. Dans ces conditions, n’est-ce pas exagérer la portée d’une telle décision que de la mentionner ? Pourquoi ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel s’agissant du délit (C. pén., art. 222-33-1-1) devrait-il s’imposer s’agissant de la contravention (C. pén., art. 621-1 ancien ou art. R. 625-8-3 nouveau) ? En toute hypothèse, pourquoi se référer ici à une décision admettant la constitutionnalité d’une disposition inapplicable, car plus sévère que le texte servant de base aux poursuites ? Cela semble parfaitement déplacé. Mais il y a plus grave encore, car cette référence à la décision n° 2022-846 DC n’est pas fidèle. En effet, respectant les termes de l’article 222-33-1-1 contesté devant lui, le Conseil y relève que l’outrage sexuel ou sexiste peut alternativement produire deux résultats : soit porter atteinte à la dignité de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Sa dernière phrase ne cumule pas ces exigences, mais au contraire les distingue en employant la conjonction de coordination « ou » que la Cour de cassation transforme ici en « et ». En effet, elle approuve la cour d’appel pour avoir jugé que « le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 ». La cour d’appel s’était en effet trompée en cumulant des exigences qui sont au contraire alternatives. Mais une telle erreur ne pouvait être couverte par l’interprétation constitutionnelle, car, on vient de le voir, le Conseil ne la légitime pas. L’attitude de la Cour de cassation est donc a minima maladroite, voire malhonnête. Cette référence lui permet de déformer à son tour le texte d’incrimination (en réduisant son champ d’application) tout en laissant entendre que la responsabilité d’une telle déformation incomberait au gardien de la Constitution, ce qui est inexact. Une telle façon de procéder n’est pas acceptable. Elle n’est respectueuse ni du texte faussement appliqué, ni de la décision du Conseil constitutionnel abusivement appelée à la rescousse et dénaturée pour l’occasion.
Mais faisons semblant d’y croire un instant et demandons-nous, sur la base de cette interprétation erronée de l’outrage sexuel ou sexiste, si la cour d’appel a eu raison d’entrer en voie de condamnation et la Cour de cassation d’écarter le pourvoi formé contre son arrêt.
II. Décryptage de la décision en fait
Paradoxalement, la solution approuvée ci-dessus par la Cour de cassation aurait dû être protectrice de la liberté d’expression. En effet, en cumulant des exigences qui ont toujours été alternatives dans les différents textes incriminant l’outrage sexuel ou sexiste, l’interprétation retenue aurait dû être restrictive : elle réduit le champ de cette incrimination en exigeant que l’outrage, tout à la fois, porte atteinte à la dignité de la victime et crée à son encontre une situation intimidante ou offensante. Or, était-ce le cas ici ? Le pourvoi, qui ne contestait pas ce cumul (il n’y avait aucun intérêt), mettait en doute la pertinence d’une telle appréciation. Il soutenait qu’un outrage sexuel ou sexiste ne peut exister sans mépris exprimé envers le sexe ou le genre d’autrui, voir sans connotation sexuelle. Subsidiairement, il prétendait que la preuve de l’atteinte à la dignité de la victime n’était pas rapportée (la cour d’appel s’étant, selon lui, contentée d’une affirmation à cet égard). La Cour de cassation aurait pu se saisir de ces difficultés dans le cadre de son contrôle de qualification et, à tout le moins, dans le cadre de son contrôle disciplinaire (en relevant l’insuffisance de la motivation de l’arrêt attaqué). Or, on l’a dit, elle rejette le pourvoi au terme d’un contrôle des plus légers.
Pourtant, on aurait apprécié qu’elle précise ce qui distingue l’outrage sexuel de l’outrage sexiste et que, définissant chacun de ces termes, elle éclaire le contenu de l’incrimination. La difficulté n’est pas mince. L’incertitude sur ce point affecte jusqu’au nom de l’infraction : si l’intitulé des sections où ils trouvent place parle d’outrage « sexiste et sexuel », les articles R. 625-8-3 et 222-33-1-1 inversent ces adjectifs qu’ils envisagent de manière alternative et non plus cumulative. L’outrage incriminé est-il le même dans les deux cas ou prend-il deux formes différentes ? A priori, il convient de distinguer : ce qui est sexuel renvoie à la sexualité, alors que ce qui est sexiste correspond à une forme de discrimination selon le genre. Ces considérations sont à ce point différentes qu’il n’est pas sûr qu’elles méritaient d’être rapprochées sous prétexte d’outrage. Néanmoins, la cour d’appel a estimé en l’espèce que les propos reprochés présentaient un caractère à la fois sexuel et sexiste. Elle a affirmé, plus qu’elle n’a démontré, d’abord le caractère sexuel du propos. Peut-être, son appréciation sur ce point tient-elle au fait qu’il comporte une référence au « cul » de la jeune femme (« c'est tout dans les cuisses et le cul »). Mais n’était-ce pas évoquer là davantage son derrière que son sexe ? Ce qui le laisse entendre, c’est qu’il n’est question ensuite que de son fessier et de ses fesses (« tu as un beau fessier », « ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée »), lesquels ne sont pas des sexes [8]. Néanmoins, on l’a dit, la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur ce point. Cela ne lui a pas semblé nécessaire dès lors qu’elle a cru pouvoir ajouter que les propos étaient, en toute hypothèse, sexistes, car « tenus par un homme mature à une jeune fille ». Est-ce plus convaincant ? Nous n’en sommes pas sûrs. D’une part, parce que le même propos aurait pu être tenu par un homme envers un homme, ce qui interdit de penser que le genre opposé d’autrui aurait joué un quelconque rôle en l’espèce. D’autre part, parce qu’il semble particulièrement dangereux de considérer que tout propos désagréable adressé par un homme à une femme est nécessairement sexiste. En effet, cela revient à transformer en contravention, voire en délit, tout propos tenu par un homme à l’égard d’une femme lorsqu’il n’est pas élogieux. Autant dire qu’en l’espèce l’affirmation du caractère sexiste n’est pas plus convaincante que l’affirmation du caractère sexuel du propos tenu et il ne suffit pas d’additionner ces deux griefs pour établir, au-delà de tout doute raisonnable, que le propos était au moins l’un ou l’autre et caractériser ainsi l’outrage reproché. Le silence de la Cour de cassation sur ce point équivaut à une démission. Précisément parce qu’il s’agit d’une incrimination nouvelle et délicate, on pouvait s’attendre à une attention redoublée de sa part et à un contrôle approfondi qui fait cruellement défaut. Rappelons qu’en matière de presse, elle s’assure de la bonne qualification des propos tenus et exerce un contrôle qui la transforme quasiment en troisième degré de juridiction [9]. Le respect de la liberté d’expression, qui justifie ce contrôle étendu, commandait de la même façon ici, à la Haute juridiction, de vérifier l’impact des propos tenus. Or, tout en consacrant, on l’a vu, une interprétation de l’incrimination apparemment protectrice de cette liberté, elle admet qu’elle soit restreinte de façon discutable.
En effet, peut-on réellement soutenir qu’il a été porté atteinte à la dignité de la victime en l’espèce ? Parce qu’une telle notion est floue et donc d’appréciation délicate, elle est précisée par tous les textes qui incriminent l’outrage sexuel ou sexiste. En effet, tous indiquent que le propos ou le comportement doit porter atteinte à la dignité d’autrui « en raison de son caractère dégradant ou humiliant ». Or, aucune référence n’était faite à l’un ou l’autre de ces deux caractères dans les décisions des juges du fond et la Cour de cassation elle-même doit passer cette exigence sous silence pour conclure que l’infraction a bien été caractérisée. De plus belle, elle expose ainsi son arrêt à la critique. L’atteinte à la dignité n’a pas été établie correctement ; elle ne pouvait donc justifier la sanction prononcée et l’ingérence dans la liberté d’expression qui en résulte. La solution retenue s’avère incohérente. Elle est incompatible avec le souci initialement affiché de protéger une telle liberté. A minima, une censure de l’arrêt d’appel s’imposait pour défaut de base légale ou insuffisance de motifs. Une telle cassation n’aurait pas nécessairement conduit à la relaxe du prévenu, mais elle aurait permis de mieux justifier sa condamnation, car il y a dans cette affaire un élément de contexte qui n’a jamais été pris en compte, alors qu’il était susceptible de jouer un rôle important dans l’appréciation du propos poursuivi. En effet, on ne saurait oublier que cette poursuite pour outrage sexuel ou sexiste accompagnait une poursuite pour agressions sexuelles autre que le viol (a priori, des gestes déplacés). Il n’est pas impossible que le cumul de ces gestes et propos ait présenté le caractère dégradant ou humiliant requis pour que l’infraction d’outrage soit constituée (voire pour qu’un harcèlement sexuel soit caractérisé au sens de l’article 222-33, I N° Lexbase : L6229LLB) [10]. Encore, aurait-il fallu que les juges du fond l’indiquent pour convaincre de la pertinence de leur décision, ce qu’ils n’ont pas fait. Dans ces conditions, il n’aurait pas été aberrant de demander à une cour de renvoi de le vérifier. Ici la Cour de cassation se paie de mots en rejetant le pourvoi formé contre une décision rendue au terme d’un raisonnement insuffisant, si ce n’est erroné. Elle accepte la sanction de propos dont il n’a pas été correctement démontré qu’ils excèdent les limites admissibles de la liberté d’expression. Fallait-il vraiment dénaturer le texte d’incrimination et une décision du Conseil constitutionnel pour aboutir à un aussi piètre résultat ? Chacun appréciera la pertinence de cet arrêt qui n’est, fort heureusement, pas voué à une publication au Bulletin…
[1] C. Saas, Harcèlement de rue ou le droit à être dans l’espace public, Gaz. Pal., 30 avril 2018, p. 81 [en ligne].
[2] V., sur cette interprétation : E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 2024, 7e éd., n°496, p. 428.
[3] La contravention est transformée en délit lorsque les faits « sont commis 1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 2° Sur un mineur ; 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de son auteur ; 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ; 5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ; 6° Dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou au transport public particulier ou dans un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ; 7° En raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, vraie ou supposée, de la victime ; 8° Par une personne déjà condamnée pour la contravention d'outrage sexiste et sexuel et qui commet la même infraction en étant en état de récidive ».
[4] « Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13, 222-32, 222-33, 222-33-1-1, 222-33-2-2 et 222-33-2-3, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
[5] V., par ex. : Cass. crim., 14 juin 2017, n° 15-86.265, F-D N° Lexbase : A2370WIM : J.-H. Robert, Dr. pén., 2017, comm. 146.
[6] V., sur cette continuité d’incriminations : P.-Y. Gautier, La loi pénale abrogée : du principe de continuité des poursuites, in Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 379.
[7] La Cour fait écho à cette discussion en soulignant que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que… ». Ce qui nous semble incompréhensible. L’illogisme d’un tel raisonnement tient à l’adverbe « néanmoins » qui tend à opposer ces deux membres de phrase. Ce n’est pas parce qu’un propos n’est pas constitutif d’injure qu’il est nécessairement constitutif d’outrage. Il s’agit là d’infractions distinctes et autonomes (l’outrage devant être adressé à la personne qu’il concerne alors que l’injure met en cause une personne devant un public déterminé : E. Dreyer, Droit pénal spécial, Lgdj, 2023, 2e éd., n°686 p. 391). En toute hypothèse, cette observation de la Cour est sans rapport avec la question posée au Conseil constitutionnel et ne justifie pas la référence faite à sa décision.
[8] Comp., s’agissant de propos de « nature explicitement sexuelle » : Cass. crim., 5 mars 2024, n° 22-87.224, F-D N° Lexbase : A02572TP : P. Conte, Dr. pén., 2024, comm. 105 ; A. Lepage, CCE, 2024, comm. 47 ; E. Dreyer, L'emprisonnement justifié au seul motif qu'un prévenu ne reconnaît pas les faits ?, Gaz.Pal., 23 juillet 2024, n° 25, p. 2 [en ligne].
[9] E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2022, 2e éd., n°1736 p. 989.
[10] V. aussi L. Leturmy, La définition des violences sexuelles et/ou sexistes à l’épreuve des principes constitutionnels du droit pénal, in Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, Dalloz, coll. T & C, 2021, p. 129.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490610
Réf. : CE, sect., 14 octobre 2024, n° 472123, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A877459T
Lecture: 3 min
N0724B39
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 23 Octobre 2024
► Les organismes de réflexion (« think tanks ») ne peuvent être considérés comme des représentants d'intérêt, sauf s’ils poursuivent la défense d'un « intérêt ».
Principe. Il résulte des articles 18-1 à 18-10 de la loi n° 2013-907, du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3622IYS, que leurs dispositions s'appliquent, à l'exception des partis et groupements politiques, organisations syndicales de fonctionnaires, de salariés et d'employeurs, associations à objet cultuel, et associations représentatives des élus dans l'exercice des missions prévues dans leurs statuts, aux personnes mentionnées à l'article 18-2 qui représentent un intérêt au sens de la loi, à la condition qu'un ou plusieurs de leurs dirigeants, employés ou membres aient pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire, en entrant en communication avec des décideurs publics.
Un organisme qui se consacre à une activité de réflexion, de recherche et d'expertise sur des sujets déterminés en vue de produire des travaux destinés à être rendus publics, ne saurait, à ce seul titre, être regardé comme un représentant d'intérêts.
Est sans incidence le fait qu'il entrerait régulièrement en contact avec les décideurs publics désignés par l'article 18-2 de la loi pour réaliser ses études ou travaux, faire part de ses conclusions ou promouvoir des propositions de réforme des politiques publiques qui pourraient en découler, une telle activité ne pouvant par elle-même être regardée comme poursuivant un intérêt au sens de la loi.
Nuance. En revanche, si, eu égard aux conditions dans lesquelles il est financé, aux modalités de sa gouvernance et aux conditions dans lesquelles ses études et travaux sont menés, cet organisme de réflexion poursuit la défense d'un intérêt au sens des dispositions de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, il doit alors être regardé comme relevant des dispositions de cette loi, et notamment des obligations déclaratives qu'elle a instituées, dès lors qu'il remplit, par ailleurs, la condition tenant à l'exercice d'une activité principale ou régulière d'influence sur la décision publique.
Décision CE. Un document de portée générale de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qualifiant de représentants d'intérêts les organismes de réflexion à la seule condition qu'ils exercent, à titre principal ou de façon régulière, des actions d'entrées en communication avec un responsable public méconnaît, dans cette mesure, le sens et la portée de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.
Précisions rapporteur public. Dans ses conclusions suivies, Nicolas Agnoux indique ainsi que « l’activité des think tanks révèle davantage une capacité à influencer la sphère décisionnelle, plutôt que, pour reprendre les termes de l’article 18-2, à "influer sur la décision publique", c’est-à-dire à exercer une pression pour orienter la décision dans un sens déterminé. Dans les deux cas, on sensibilise, on alerte, on argumente ; mais dans le premier, pour suggérer, proposer, préconiser, dans le second pour demander, solliciter, revendiquer ».
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490724
Réf. : Ordonnance n° 2024-936, du 15 octobre 2024, relative aux marchés de crypto-actifs N° Lexbase : L0755MRE
Lecture: 4 min
N0702B3E
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Perrine Cathalo
Le 24 Octobre 2024
► Publiée au Journal officiel du 17 octobre 2024, l’ordonnance n° 2024-936 vise à adapter le droit français à l'entrée en application du Règlement n° 2023/1114, du 31 mai 2023, sur les marchés de crypto-actifs, prévue le 30 décembre 2024.
Présenté en septembre 2020 par la Commission européenne, le Règlement « MiCA » N° Lexbase : L8697MHL vise à établir un cadre réglementaire européen harmonisé en matière de crypto-actifs, tout en protégeant le citoyen européen vis-à-vis des risques inhérents à leur utilisation. Ce cadre concerne à la fois les émetteurs de crypto-actifs, dont les stablecoins (jetons de monnaie électronique et jetons se référant à un ou des actifs), et les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA), qui devront être implantés et autorisés dans l'Union européenne pour pouvoir y exercer (v. P. Cathalo, PSCA : possibilité de déposer une demande d’agrément auprès de l’AMF, Lexbase Affaires, septembre 2024, n° 805 N° Lexbase : N0251B3P).
Afin de préparer l'entrée en application du Règlement « MiCA », le III de l'article 6 de la loi « DDADUE 4 » (loi n° 2024-364, du 22 avril 2024 N° Lexbase : L1795MMG, v. P. Cathalo, Loi « DDADUE 4 » : dispositions relatives au droit bancaire, monétaire et financier (art. 6 à 12), Lexbase Affaires, avril 2024, n° 793 N° Lexbase : N9110BZG) a habilité le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour adapter les dispositions du Code monétaire et financier et, le cas échéant, d'autres codes ou lois pour assurer, à l'entrée en application du Règlement « MiCA », leur cohérence et leur conformité à ce Règlement et à définir les compétences de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour l'application dudit Règlement.
En ce sens, l'ordonnance adapte le régime des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), introduit par la loi n° 2019-486, du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK, qui sera mis en extinction à la fin de la période transitoire prévue pour les PSAN déjà autorisés avant la date d'entrée en vigueur du Règlement « MiCA », c'est-à-dire au 1er juillet 2026.
L'ordonnance adapte également le cadre applicable en matière de démarchage, de quasi-démarchage, de publicité, de parrainage et d'influence commerciale pour tirer les conséquences du Règlement « MiCA ». Plus largement, l'ordonnance modifie plusieurs codes (Code des douanes, Code général des impôts, Code de procédure pénale) pour adapter leur terminologie à l'entrée en application du Règlement « MiCA ».
Par ailleurs, il est créé un titre II bis au sein du livre II du Code monétaire et financier dédié au régime juridique des actifs numériques. Les dispositions de ce nouveau titre II bis clarifient la nature juridique des actifs numériques, ainsi que leur régime de transfert de propriété.
L'ordonnance procède à la répartition des compétences entre l'AMF et l'ACPR en matière d'agrément et de supervision des prestataires de services sur crypto-actifs, des émetteurs de jetons de monnaie électronique et de jetons se référant à un ou des crypto-actifs, ainsi qu'en matière de surveillance des abus de marché portant sur des crypto-actifs.
Elle limite également les cas dans lesquels une banque pourrait refuser l'ouverture d'un compte à des PSAN ou à un émetteur de jetons se référant à un ou des actifs. Un délai minimal de préavis de deux mois est, en outre, prévu en cas de résiliation de la convention de compte de dépôt à l'initiative de l'établissement de crédit, afin de donner suffisamment de visibilité aux acteurs en cas de cessation anticipée de la relation d'affaires.
Enfin, l'ordonnance prévoit que le régime applicable à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), aujourd'hui enregistrée en tant que PSAN en France, sera précisé ultérieurement par voie réglementaire.
Les dispositions de l'ordonnance entreront en application à compter du 30 décembre 2024, sauf pour les dispositions relatives aux jetons de monnaie électronique et aux jetons se référant à un ou des actifs qui sont entrées en application dès le 18 octobre. Les dispositions de l'ordonnance mettant définitivement un terme au régime national PSAN entreront également en application à partir du 1er juillet 2026, à l'issue de la période transitoire prévue pour les PSAN déjà autorisés avant la date d'entrée en vigueur du Règlement « MiCA ».
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490702
Réf. : Cass. com., 2 octobre 2024, n° 23-18.665, F-B N° Lexbase : A778157C
Lecture: 9 min
N0719B3Z
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice
Le 23 Octobre 2024
Mots-clés : Fixation des créances au passif • adoption du plan • appel d’une instance en cours lors du jugement d’ouverture • obligation d’intimer le mandataire judiciaire (oui) • maintien en fonction du mandataire judiciaire pour terminer les opérations de vérification des créances
Le lien d'indivisibilité existant entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire en matière d'admission des créances trouve à s'appliquer à l'instance qui était en cours lors du jugement d'ouverture et qui, après avoir avait été régulièrement reprise, était susceptible d'affecter le passif de cette société. Si le mandataire judiciaire, qui reste en fonction après l’adoption du plan de redressement pour terminer les opérations de vérification des créances, n’est pas intimé à l’instance d’appel, l’appel est irrecevable.
On sait que les instances qui opposent le débiteur à ses créanciers, en matière de vérification des créances, sont indivisibles entre toutes les parties à la vérification des créances. Par conséquent, si le créancier interjette appel d’une ordonnance du juge-commissaire, qui rejette totalement ou partiellement sa créance, il doit impérativement intimer le mandataire judiciaire, en période d’observation, ou le liquidateur en liquidation judiciaire [1]. Il doit également intimer l’administrateur judiciaire qui aurait reçu la « mission 3 », c’est-à-dire celle d’administrer l’entreprise, puisqu’il représente alors le débiteur.
Cette obligation d’intimer, en cause d’appel, toutes les parties nécessaires à la vérification des créances s’impose à toutes les parties, de sorte que si l’appel émane du débiteur, il doit intimer, outre le créancier, le mandataire judiciaire ou le liquidateur [2]. Si l’appel émane du mandataire judiciaire, il doit intimer, outre le créancier, le débiteur [3] La solution s’impose identiquement au liquidateur, nonobstant le dessaisissement, en raison du droit propre du débiteur à participer aux opérations de fixation de ses créances au passif.
Mais que décider si l’instance en cause n’est pas une instance en vérification des créances, mais une instance, qui était en cours au jour du jugement d’ouverture, alors qu’un plan de redressement est adopté ? C’est à cette question que répond le présent arrêt.
En l’espèce, le 17 mai 2016, M. [U] et la société Financière de l'étoile qu'il dirige ont assigné M. [P] et la société Concorde patrimoine afin de les voir condamner à leur payer diverses sommes.
La société Concorde patrimoine ayant été mise en liquidation judiciaire le 10 octobre 2018, la société MJS Partners en sa qualité de liquidateur de la société Concorde patrimoine a été attraite dans l'instance en cause, après déclaration par M. [U] et la société Financière de l'étoile de leurs créances au passif de la société Concorde patrimoine.
Le 6 novembre 2020, la société Financière de l'étoile a été mise en redressement judiciaire. M. [K], nommé mandataire judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance. Le 7 novembre 2020, M. [P] a déclaré sa créance au passif de la société Financière de l'étoile.
Par un jugement du 6 octobre 2021, le tribunal a fixé au passif de la procédure collective de la société Concorde patrimoine diverses sommes dues à M. [U] et à la société Financière de l'étoile, a condamné in solidum M. [P] avec la liquidation judiciaire de la société Concorde patrimoine et a rejeté les demandes reconventionnelles de M. [P].
Le 8 novembre 2021, M. [P] a interjeté appel de ce jugement, demandant son infirmation et, reconventionnellement, la fixation au passif de la société Financière de l'étoile, de diverses sommes au titre de dommages-intérêts.
Le 29 juin 2022, au cours de l'instance d'appel, le plan de redressement de la société Financière de l'étoile a été arrêté, M. [K] étant nommé commissaire à l'exécution du plan.
Par une ordonnance du 1er décembre 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'appel interjeté par M. [P].
Cependant, sur déféré, l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er décembre 2022 a été rapportée, et l’appel de M. P a été déclaré irrecevable [4]. Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation.
La cour d’appel pouvait-elle déclarer irrecevable l’appel formé par la personne condamnée in solidum à verser diverses sommes à une société, dès lors que cette personne n’avait pas intimé le mandataire judiciaire de son créancier alors que ce dernier avait obtenu un plan de redressement ?
La Cour de cassation estime que la cour d’appel a, à juste titre, déclaré l’appel irrecevable et, en conséquence, elle va rejeter le pourvoi.
Pour bien comprendre les données du problème, diverses règles doivent être rappelées.
Tout d’abord, comme cela était le cas en l’espèce, lorsqu’une instance tendant à la condamnation au paiement du débiteur est en cours au jour du jugement d’ouverture, ce jugement a pour effet de l’interrompre. Elle peut être reprise, après déclaration de créance au passif du débiteur et mise en cause des organes de la procédure collective. Il s’agit là de la règle posée à l’article L. 622-22 du Code de commerce N° Lexbase : L7289IZY, texte qui régit ce que le droit des entreprises en difficulté dénomme les « instances en cours arrêtées par l’effet du jugement d’ouverture ». L’instance ne tendra plus qu’à la fixation de la créance au passif. Par conséquent, la décision rendue après reprise d’instance se substituera purement et simplement à celle qu’aurait rendue le juge-commissaire sur la créance déclarée, après vérification de la créance.
Ces deux cheminements procéduraux différents, que sont la vérification des créances, d’une part, la reprise de l’instance pour faire fixer la créance au passif, d’autre part, produisent les mêmes effets : fixer les droits du créancier au passif du débiteur sous procédure collective sans lui délivrer un titre exécutoire. Il est donc logique que, eu égard à leurs effets identiques, une partie du régime applicable soit commun aux deux modes de fixation de la créance au passif.
La mission générale du mandataire judiciaire, celle qui consiste à défendre l’intérêt collectif des créanciers, prend fin après l’adoption du plan. C’est pourquoi le Code de commerce décide que cette mission sera alors assurée par le commissaire à l’exécution du plan.
Cependant, si la mission générale du mandataire judiciaire prend fin, cet organe ne cesse pas pour autant d’être encore en fonction, avec une mission réduite : celle de terminer les opérations de vérification des créances. En ce sens, l’article L. 626-24, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L3300IC9 dispose que « Le mandataire judiciaire demeure en fonction pendant le temps nécessaire à la vérification et à l'établissement définitif de l'état des créances ».
L’expression « vérification des créances » s’entend de la mission d’instruction préparatoire aux décisions que va rendre le juge-commissaire sur les créances déclarées. Mais, en visant également « l’établissement définitif de l’état des créances », le législateur se montre beaucoup plus large. Le mandataire judiciaire doit intervenir dans toutes les instances qui vont conduire à constituer l’état des créances. Il en est ainsi des instances engagées contre le débiteur avant le jugement d’ouverture, tendant à sa condamnation au paiement d’une somme d’argent, et qui vont être reprises après ledit jugement, pour aboutir à la fixation de créances au passif.
Par conséquent, de la même façon que le mandataire judiciaire doit intervenir dans les opérations de vérification des créances stricto sensu, il doit être présent dans les instances tendant à la fixation des créances au passif après reprise d’instance.
Cette participation obligatoire du mandataire judiciaire à ces deux types d’instances – vérification des créances et reprise d’instance pour faire fixer les créances au passif – conduit à l’intimer obligatoirement en cause d’appel de l’une ou de l’autre de ces décisions.
S’applique alors le principe d’indivisibilité du lien d’instance, lorsque l’instance a pour objet soit l’admission ou le rejet de la créance au passif après vérification des créances, soit le combat d’une décision statuant sur la fixation du passif après reprise d’instance.
Cette indivisibilité du lien d’instance, qui oblige la présence de toutes les parties nécessaires à la vérification des créances, s’explique : ces personnes sont des parties. Elles ne pourront attaquer la décision par le biais d’une réclamation contre l’état des créances, si la créance est admise après vérification, par le biais d’une tierce-opposition, si la créance est fixée au passif après reprise d’instance. Il faut donc qu’elles soient là pour pouvoir exprimer leur point de vue sur la décision à prendre, puisque toutes se verront imposer la décision. Une créance ne peut pas être admise au passif ou fixée au passif à l’égard du débiteur et ne pas l’être à l’égard du mandataire judiciaire. De même, une créance ne peut être admise au passif ou fixée au passif à l’égard du mandataire judiciaire sans l’être à l’égard du débiteur.
On comprend donc la nécessité de la présence à ces instances de toutes les parties nécessaires à la fixation des droits du créancier au passif.
Et cette règle, qui vaut tant pour le domaine de la vérification des créances, que pour celui de la fixation au passif après reprise d’instance, joue non seulement en période d’observation et en liquidation judiciaire, mais encore après adoption du plan. Le fait que le débiteur soit redevenu in bonis n’y change rien. Fondamentalement, il ne s’agit plus d’une action en paiement contre un débiteur. Il est dans un premier temps question de savoir si et à quelle hauteur la créance détenue sur le débiteur sera opposable à la procédure collective. Il est dans un second temps question de savoir quel passif devra être réglé dans le plan, un créancier soumis à la discipline collective ne pouvant être payé que dans le cadre du plan, et selon ses modalités, une fois sa créance reconnue.
[1] Cass. com., 24 janvier 2018, n° 16-21.229, F-D N° Lexbase : A8620XBU.
[2] Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-13.257, F-P+B N° Lexbase : A5548NSB.
[3] Cass. com., 13 septembre 2016, n° 14-28.304, F-D N° Lexbase : A2409R3M – Cass. com., 22 février 2017, n° 15-20.585, F-D N° Lexbase : A2447TPC.
[4] CA Douai, 4 mai 2023, n° 22/05814 N° Lexbase : A85889TA.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490719
Lecture: 9 min
N0701B3D
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Julian Crochet d'Anglade, Avocat à la Cour - Docteur en droit fiscal - Associé du Cabinet EXPANSI
Le 19 Octobre 2024
Mots-clés : IA • crédit d’impôt recherche • innovation technologique • cryptoactifs
L'adoption du Règlement (UE) n° 2024/1689, connu sous le nom d'AI Act, représente un jalon fondamental dans la régulation de I'intelligence artificielle (IA) au sein de I'Union européenne. Ce texte vise à harmoniser les règles relatives à la mise sur le marché, l'utilisation et la commercialisation des systèmes d'IA tout en assurant la protection des droits fondamentaux, la sécurité et en stimulant l'innovation technologique. Le législateur européen en adoptant ce Règlement, entend garantir la confiance dans l'IA tout en protégeant les valeurs européennes telles que la dignité humaine et la démocratie. En France, l'impact de ce Règlement ne se limite pas aux aspects technologiques et éthiques mais engendre également des répercussions fiscales importantes. Dès lors, il est impératif d'examiner l'interaction entre ce cadre réglementaire européen et le droit fiscal français afin de favoriser une adaptation efficace des entreprises et des contribuables à ce nouveau paradigme.
I. Interaction entre l'AI Act et les dispositifs fiscaux existants
Le cadre fiscal actuel en France dispose de plusieurs mécanismes d'incitation à l'innovation, notamment le crédit d'impôt recherche (CIR), destiné à soutenir les entreprises dans leurs activités de recherche et développement (R&D). L’AI Act, en imposant de nouvelles obligations de conformité technologique, engage les entreprises à des dépenses considérables dans la mise en oeuvre de systèmes d'évaluation, d'audit et de certification. Dès lors, il est crucial d'examiner comment ces dispositifs fiscaux peuvent être adaptés pour accompagner les entreprises dans cette transition technologique.
A. Crédit d'impôt recherche (CIR)
Le CIR constitue I'un des dispositifs fiscaux les plus emblématiques de la politique de soutien à l'innovation en France. En vertu de ce dispositif, les entreprises peuvent déduire de leur impôt une partie des dépenses liées à des activités de R&D, incluant le développement de nouveaux produits ou technologies. L'AI Act impose aux entreprises d'effectuer des audits techniques et de produire une documentation complète sur leurs systèmes d'IA, particulièrement ceux classés comme « à haut risque ». Ces activités, bien que relevant d'une démarche de conformité, sont souvent liées à des processus d'innovation nécessitant des ressources significatives en termes de recherche et développement.
Proposition d’évolution. Il conviendrait d'élargir I éligibilité au CIR pour y inclure les dépenses liées à la mise en conformité avec les exigences de l'AI Act. Cela permettrait aux entreprises d'intégrer les coûts liés à la certification des systèmes IA aux audits de sécurité et à la mise en place de processus de documentation technique dans le cadre de leurs projets de R&D. Une telle le mesure contribuerait à encourager les entreprises à investir dans des technologies innovantes tout en respectant les normes imposées par le nouveau cadre réglementaire européen. |
B. Suramortissement des investissements technologiques
Outre le CIR, le mécanisme de suramortissement constitue un autre levier fiscal pour encourager les entreprises à investir dans des technologies de pointe. En effet, la mise en conformité avec les exigences de l'AI Act impose souvent l'acquisition de nouvelles infrastructures technologiques, telles que des systèmes de calcul intensif ou des outils d'évaluation des risques. Le suramortissement permettrait aux entreprises d'amortir de manière accélérée ces investissements, réduisant ainsi leur base imposable à court terme.
Proposition d'évolution. Il est proposé d'introduire un suramortissement pour les investissements dans des infrastructures conformes aux normes de l'AI Act. Cela permettrait aux entreprises de réduire leur impôt sur les sociétés tout en renforçant leur capacité à respecter les normes de sécurité et de transparence fixées par le règlement. Ce mécanisme pourrait s'appliquer tant aux grandes entreprises qu'aux PME innovantes. afin de soutenir l'adoption rapide de ces nouvelles technologies. |
II. Fiscalité des crypto-actifs et propriété intellectuelle liés à l'IA
L'essor des cryptoactifs et l'utilisation de l'IA dans la gestion de ces actifs numériques posent des questions inédites sur le plan fiscal. Par ailleurs, les règles relatives à la propriété intellectuelle dans le cadre du développement de systèmes d'IA nécessitent une adaptation pour tenir compte des spécificités de ces nouveaux outils technologiques. L'AI Act, en introduisant des obiigations de transparence et de sécurité. aura un impact direct sur ces secteurs.
A. Cryptoactifs et l'AI Act
Les systèmes d'IA sont largement utilisés dans le domaine des cryptoactifs pour automatiser des stratégies d'investissement et optimiser les transactions. Toutefois, l'Al Act impose des règles de transparence et de sécurité renforcées. notamment pour les systèmes à haut risque. Ces nouvelles exigences pourraient contraindre les plateformes de cryptoactifs à revoir leurs infrastructures technologiques et à engager des dépenses supplémentaires pour garantir leur conformité.
Proposition d'évolution. Afin de promouvoir l'adoption des systèmes IA conformes aux normes européennes, il pourrait être envisagé de réduire la fiscalité applicable aux plus-values des transactions effectuées sur des plateformes utilisant des systèmes certifiés conformes à l'AI Act. Une telle mesure inciterait les acteurs du marché des crypto-actifs à adopter des technologies transparentes et sécurisées. |
B. Propriété intellectuelle des systèmes IA
Les algorithmes et autres innovations technologiques développés dans le cadre des systèmes d'IA constituent des actifs de propriété intellectuel le essentiels pour les entreprises. Le cadre de l'AI Act impose des exigences accrues en matière de documentation et de transparence des systèmes d'IA ce qui engendre des coûts supplémentaires pour les entreprises, notamment en matière de gestion de la propriété intellectuelle.
Proposition d'évolution. Le législateur pourrait envisager d'adapter le régime d'amortissement des droits de propriété intellectuel le pour les systèmes IA en intégrant les coûts de mise en conformité dans le calcul de la valeur amortissable des actifs, De plus, une réduction des taux d'imposition sur la cession de droits de propriété intellectuelle liés à l'IA pourrait encourager les entreprises à innover tout en respectant les obligations imposées par l'AI Act. |
III. TVA et services basés sur I 'IA
L'intelligence artificielle modifie également la manière dont sont fournis les services numériques à travers l'Europe, Les systèmes d'IA notamment ceux classés comme « à haut risque », seront soumis à des obligations de certification et de transparence qui pourraient influencer leur traitement fiscal, notamment en matière de TVA. Il est donc essentiel d'analyser comment le régime de TVA actuel pourrait s'adapter aux nouvel les exigences de l'AI Act.
Le régime de TVA applicable aux services d'IA pourrait être révisé pour encourager l'utilisation de systèmes conformes aux normes européennes. En effet, l'AI Act impose aux opérateurs de s'assurer que leurs systèmes sont transparents et sûrs. ce qui pourrait justifier l'introduction de taux de TVA réduits pour les services certifiés.
Proposition d'évolution. Introduire un taux réduit de TVA pour les services d'IA conformes à l'AI Act. Cela permettrait de promouvoir l'adoption de systèmes éthiques et responsables, tout en offrant aux entreprises un incitatif fiscal pour se conformer aux nouvelles normes. Cette mesure pourrait également renforcer la compétitivité des entreprises européennes face à la concurrence internationale. |
IV. Incitations fiscales pour la mise en conformité avec l'AI Act
Afin de faciliter I’adoption des normes de I Al Act, il serait judicieux de mettre en place des incitations fiscales spécifiques pour encourager les entreprises à se conformer rapidement aux nouvelles exigences. Cela pourrait prendre la forme de labels fiscaux ou de crédits d impôt ciblés.
Un label fiscal destiné aux entreprises conformes aux exigences de l'AI Act pourrait constituer un puissant levier d'incitation. Ce label garantirait aux entreprises des réductions fiscales. récompensant ainsi leurs efforts en matière de conformité et de transparence.
Proposition d'évolution. Instituer un label fiscal pour les entreprises certifiées conformes aux exigences de l'AI Act leur permettant de bénéficier de réductions d impôt sur les sociétés ou de crédits d'impôt. Ce label encouragerait les entreprises à adopter rapidement les nouvelles normes et à promouvoir une IA éthique et responsable au sein de l'Union européenne. |
V. Fiscalité des particuliers et revenus issus de l'IA
L'utilisation croissante de l'IA par les particuliers, notamment via des robo-advisors et d'autres outils automatisés, pose également des questions en matière de fiscalité. L'AI Act impose des obligations de transparence qui faciliteront le suivi des revenus générés par ces systèmes, mais il est essentiel de simplifier les processus de déclaration pour ne pas alourdir la charge administrative des contribuables.
Les systèmes d'IA utilisés par les particuliers pour générer des revenus, que ce soit par le biais d'investissements automatisés ou de création de contenus, posent des enjeux fiscaux inédits, notamment en matière de transparence et de traçabilité des revenus. L'AI Act impose aux opérateurs de ces systèmes des obligations de documentation et de transparence accrues, facilitant ainsi le suivi des flux financiers par les administrations fiscales. Toutefois, pour ne pas décourager l'usage de ces technologies par les particuliers, il est nécessaire de simplifier les processus déclaratifs et d'éviter une surcharge administrative.
Proposition d'évolution. Mettre en place un mécanisme de déclaration automatisée des revenus générés par les systèmes d'IA. Les plateformes fournissant ces services pourraient être tenues de communiquer directement aux autorités fiscales les montants perçus par leurs utilisateurs, à l'image des déclarations préremplies existantes pour les revenus salariaux. Cela permettrait de garantir la transparence tout en simplifiant les démarches pour les particuliers. Ce mécanisme pourrait également s'accompagner d'un cadre fiscal spécifique pour les revenus issus des systèmes d'IA tenant compte de la nature automatisée et parfois irrégulière de ces gains. |
Conclusion
L'adoption de l'AI Act au niveau européen impose un nouveau cadre juridique exigeant pour les systèmes d'intelligence artificielle, visant à garantir leur sécurité, leur transparence et leur conformité aux droits fondamentaux. Ce cadre n'est pas sans conséquences pour la fiscalité en France, tant pour les entreprises que pour les particuliers. L'interaction entre l'AI Act et le droit fiscal français exige une adaptation proactive non seulement pour faciliter la mise en conformité des acteurs économiques mais aussi pour promouvoir une adoption rapide et responsable de l'IA.
Les propositions avancées dans cet article visent à aligner la fiscalité sur les nouvelles exigences de l'AI Act. en mettant en place des incitations fiscales adaptées aux besoins des entreprises et en simplifiant la gestion fiscale pour les particuliers/ L'élargissement du crédit d'impôt recherche, l'introduction de suramortissements technologiques, la création d'un label fiscal pour les entreprises conformes et la mise en place de mécanismes de déclaration automatique des revenus générés par l'IA sont autant de mesures susceptibles de garantir la compétitivité de la France dans le domaine de l'intelligence artificielle.
L'avenir de la fiscalité liée à l'IA passe nécessairement par une collaboration étroite entre les autorités fiscales, les entreprises et les instances européennes afin de bâtir un cadre fiscal favorable à l'innovation tout en respectant les valeurs de transparence et de sécurité qui sont au coeur de l'AI Act.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490701
Lecture: 6 min
N0746B3Z
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Géa, Professeur à la Faculté de droit de Nancy, Université de Lorraine
Le 23 Octobre 2024
Le 1000e numéro de la revue Lexbase Social mérite bien un petit voyage, en d’autres contrées - afin de se ressourcer, mais aussi de réactiver cette faculté d’étonnement dont Paul Amselek souligna, jadis, le caractère indispensable pour qui entend penser le droit. À cette fin, est-il, sans jeu de mots, plus merveilleuse destination - pour des juslaboristes - que le pays des sources du droit du travail ? Les pays, devrait-on dire, car notre regard ne se décentre vraiment que si l’on scrute, à côté des sources supranationales, ce qui se joue au sein même des systèmes juridiques nationaux, sans compter les horizons sur lesquels ouvre cette métaphore - par-delà les rives des sources dites formelles, pour peu que l’on appréhende les sources du droit au prisme d’une série de tensions dialectiques (fondationnel/factuel, forces/formes, processus/produit) [1].
Ce voyage pourrait commencer par des pays de constitution écrite et plus particulièrement ceux dans lesquels la Constitution érige le travail en référence cardinale - à l’instar de l’Italie, définie comme une République (démocratique) « fondée sur le travail », ou des pays d’Amérique latine, qui consacrent d’importants volets de leur constitution à la protection du travail (tels le Brésil, la Colombie, le Salvador ou le Pérou, par exemple), suivant ainsi la voie qu’inaugura, en 1917, la Constitution mexicaine. Faisant escale au Brésil, le juriste français en viendra à se demander si la Consolidation des Lois du Travail (Consolidação das Leis do Trabalho - CLT) constitue un authentique Code du travail. Des pays ne possédant pas un tel code, il en traversera, en tout état de cause, en Europe (en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas…) ou ailleurs (par exemple, en Chine, où le projet d’élaborer un Code du travail est actuellement à l’étude, semble-t-il). Traversant les pays de l’Europe de l’Est, notre travailliste se trouvera en prise avec une histoire, celle des anciennes démocraties populaires qui, toutes, de la Bulgarie à la Pologne, se dotèrent d’un tel code, s’inspirant ainsi du Code du travail dont l’Union soviétique, devenue U.R.S.S., s’était doté, ce, pour la première fois en 1918. Au gré des régimes (de sources) qu’il explorera, notre explorateur côtoiera des modèles où la loi, en tant que figure générique (et au travers de configurations variées), reste la source dominante du droit du travail - de l’Europe à l’Afrique du Sud, mais avec de notables exceptions, telles que l’Angleterre, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou bien encore l’Australie -, celle qui en façonne l’identité, la physionomie, même si une dynamique de retrait par rapport à la négociation collective s’est déployée, dans nombre de pays, au cours des deux dernières décennies, du moins en Europe. Le contraste n’apparaîtra pas moins saisissant lorsque, quittant ces terres, le périple se poursuivra dans des pays où l’ordre conventionnel, avec son agencement propre, comme en témoigne le modèle danois, occupe une place prépondérante, mais où, par ailleurs, le contrat de travail constitue une source importante, comme la coutume - une caractéristique partagée par d’autres pays scandinaves (la Suède, la Norvège…). Au gré de son voyage, le juriste français ne tardera pas à découvrir que l’idée d’une hiérarchie des normes en droit du travail, si elle connaît, ici ou là, des traductions officielles (la Belgique incarnant, à cet égard, l’exemple le plus éclatant), manque bien souvent de pertinence, de même qu’il observera que la notion de dérogation se trouve mobilisée, tant lorsqu’il s’agit de lui prêter un caractère in pejus qu’in melius et que celle-ci paraît, dans les langages nationaux, englober également ce qu’en France, l’on préfère placer sous la bannière de la supplétivité - ce qui relativise quelque peu, convenons-en, certaines grilles de lecture. Le champ des conventions ou accords collectifs de travail donnera à voir une pluralité de conceptions, et ce, autant qu’il est de systèmes de relations professionnelles - sachant qu’il arrive qu’un niveau de négociation soit écarté par la loi (comme le niveau de la profession, en Russie). Mais, au contact des réalités, le regard naïf que pourrait favoriser une approche exclusivement adossée à l’examen du cadre légal étatique, cèdera la place à des appréciations plus nuancées. Une escale en Hongrie révèlera que les facultés dérogatoires instaurées par le législateur n’ont pas, semble-t-il, produit les effets escomptés, cependant qu’ont prospéré des formes alternatives de dérégulation, notamment par le truchement des contrats de travail. Le rôle de ces contrats pourra ensuite être approfondi, une fois arrivé aux États-Unis, en scrutant de plus près les sources contractuelles relatives au travail ou à l’emploi qui s’appliquent en l’absence de convention collective, mais sans oublier que, dans les cas où une convention se trouve négociée, celle-ci s’érige - en raison, notamment, de son contenu minutieusement détaillé - en source (du droit) cardinale. C’est un système complexe de sources, avec de multiples strates, que l’on découvrira en Chine, du moins si l’on veut bien projeter le regard au-delà des règlementations centrales pour saisir les interventions de multiples organes ou acteurs, y compris au niveau local. Ailleurs et tout particulièrement dans les pays de l’Europe du Nord, le voyageur décèlera que le pouvoir de direction de l’employeur y est pensé comme une source du droit du travail, de même qu’il mesurera, en Grande-Bretagne, que le soft law et, avec lui, les normes informelles (guides pratiques, etc.) sont reçus comme telle, sans que cela suscite des haut-le-cœur ! Si la reconnaissance de la jurisprudence comme source du droit (du travail) reste controversée dans certains pays, le juriste français retrouvera ses repères en constatant que cette hypothèse est largement admise - avec des exemples emblématiques, par-delà les pays de common law, ce que confirmera un passage par le Brésil [2].
De ce voyage, le juslaboriste français reviendra avec un regard peut-être un peu différent sur les sources du droit du travail. Ses déambulations l’auront conduit à percevoir l’influence de facteurs d’ordres divers (idéologiques et politiques, économiques et sociaux, mais également culturels et sociétaux) et que les présentations sous la forme d’inventaires ou de classifications, aussi utiles et incontournables soient-elles, n’offrent qu’une vision incomplète de ces sources [3]. Il se délectera avec d’autant plus de plaisir de ces eaux, limpides ou troubles, qui affleurent sans cesse à la surface de notre droit du travail, et que saisit cette revue.
[1] À ce sujet, v. : F. Ost, Penser le droit aujourd’hui. L’exemple de la théorie des sources, in L. Lalonde, S. Bernatchez (dir.), La norme juridique « reformatée ». Perspectives québécoises des notions de force normative et de sources revisitées, Les Éditions Revue de droit, Université de Sherbrooke, 2016, p. 28 et s..
[2] Parmi bien d’autres illustrations possibles, les exemples qui précèdent sont tirés de développements, assortis des explications et références nécessaires, dans notre rubrique du Répertoire de droit du travail (éd. Dalloz), consacrée aux « Sources du droit du travail » (à paraître).
[3] La perspective systémique méritant, selon nous, d’être complétée par une perspective pragmatique.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490746
Réf. : CE, 3e-8e ch.-r., 9 octobre 2024, n° 472257, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A456659Y
Lecture: 2 min
N0695B37
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Claire Sgarra
Le 23 Octobre 2024
► Les sommes prélevées par un prestataire de services à des clients n’honorant pas leur réservation (« no show ») doivent être assujetties à la TVA; telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 9 octobre 2024.
Les faits. Vérification de comptabilité d’une société. L’administration fiscale estime que les sommes que cette société, qui exerce une activité d'hôtellerie, prélevait sur le compte bancaire de ses clients ne se présentant pas à la date convenue sans avoir annulée dans les délais leur réservation (sommes qualifiées de « no shows ») devaient être assujetties à la TVA, et a, en conséquence, mis à sa charge des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que les majorations correspondantes.
Procédure. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. La cour administrative d’appel de Paris rejette l’appel formé contre ce jugement (CAA Paris, 20 janvier 2023, n° 21PA05850 N° Lexbase : A637189T).
Aux termes de l'article 17.4 des conditions générales de vente appliquées par la société : « En cas de no show (réservation non annulée - client non présent) d'une réservation garantie par carte bancaire, l'hôtel débitera le client, à titre d'indemnité forfaitaire, du montant de la première nuit sur la carte bancaire qui a été donnée en garantie de réservation et les éventuelles nuits supplémentaires de la réservation seront annulées sans frais[...] ».
En appel, la cour relève que les sommes prélevées par l'hôtelier en application de ces stipulations constituaient la contre-valeur de la prestation d'hébergement que le client s'était engagé à régler de manière ferme à la signature du contrat, qu'il en fasse usage ou non, à hauteur d'un engagement minimal d'une nuitée. En en déduisant que ces sommes représentaient la contrepartie d'une prestation de service individualisable et devaient donc être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.
Le pourvoi de la société est rejeté.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490695
Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 1er octobre 2024, n° 477859, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A810957H
Lecture: 9 min
N0715B3U
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Olivier Savignat, Avocat associé, Valians avocats et Gustave Barthélémy, juriste
Le 23 Octobre 2024
Mots clés : Urbanisme et aménagement du territoire • règles de procédure contentieuse spéciales • introduction de l'instance • obligation de notification du recours
Dans un arrêt rendu le 1er octobre 2024, le Conseil d’État a jugé que l’obligation prévue à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme de notifier son recours au bénéficiaire et à l’auteur de la décision d’urbanisme contestée s’étendait également au requérant formant un appel ou un pourvoi incident à l’encontre d’une décision juridictionnelle ne lui ayant pas donné entière satisfaction.
Parmi les règles contentieuses spécifiques énumérées au livre sixième du Code de l’urbanisme, on trouve l’article R. 600-1 N° Lexbase : L9492LPA, lequel dispose qu’en cas de « recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation ».
Cette obligation, bien connue des praticiens du droit de l’urbanisme, doit également être respectée « en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code ».
Notons, au demeurant, que cette obligation vaut également pour les recours gracieux et que la notification doit, en tout état de cause, être réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs suivant la saisine de l’autorité compétente ou de la juridiction. La seule preuve du dépôt de la lettre recommandée suffit à démontrer que le requérant a procédé à la notification idoine [1].
Cette formalité, introduite par loi n° 94-112 du 9 février 1994, portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction N° Lexbase : L8040HHA, « vise, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours contentieux dirigé contre elle » [2]. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, « une telle information doit notamment éviter qu’il [le bénéficiaire] ne commence des travaux, faute d’avoir averti au préalable de la précarité de l’autorisation qu’il détient ».
Au cas d’espèce, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait été saisi, en première et dernière instance, d’un recours formé par des voisins à l’encontre d’un permis de construire délivré en vue de la démolition d’une annexe et de la construction d’un nouveau bâtiment destiné à l’habitation.
À ce stade de la procédure, aucun hiatus de notification n’était à signaler, de sorte que la requête n’a pas été rejetée comme irrecevable. Au contraire, le juge administratif a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des articles UD 11 et UD 12 du plan local d’urbanisme et, faisant application de l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme, a invité le pétitionnaire à régulariser son projet dans un délai de six mois.
Le projet en cause étant situé en « zone tendue » et portant sur la construction d’un bâtiment comportant plus de deux logements, le jugement du tribunal ne pouvait être critiqué que par un pourvoi en cassation, en application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2592MDD.
Ce jugement ne donnant satisfaction à aucune des parties, deux pourvois ont été formés. D’une part, la commune de Saint-Cloud, autorité ayant délivré l’autorisation querellée, a saisi – par erreur – la cour administrative d’appel de Versailles, laquelle a renvoyé l’affaire devant le Conseil d'État. D’autre part, un des requérants a formé un pourvoi incident, concluant à l’annulation totale du permis de construire.
Par un arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a fait droit au pourvoi formé par la commune, et a rejeté comme irrecevable le pourvoi incident, au motif que le requérant ne justifiait pas avoir notifié ledit pourvoi dans les conditions prévues à l’article R. 600-1 du Code de justice administrative.
Cette décision est l’occasion de revenir, en premier lieu et de manière générale, sur l’obligation de notification en appel et en cassation (I) et de s’intéresser, en second lieu, à la solution de l’arrêt commenté, traitant le cas particulier du recours incident formé contre une annulation partielle (II).
I. Propos général sur l’obligation de notification en appel et en cassation
Comme exposé liminairement, aux termes de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, le requérant n’est pas seulement tenu de notifier son recours en première instance, mais doit également procéder à cette formalité lorsqu’il forme un appel ou un pourvoi.
Dans un avis contentieux rendu deux ans après l’entrée en vigueur des dispositions précitées, le Conseil d’État a ainsi rappelé que le législateur avait « entendu prolonger l’obligation faite à l’auteur d’un recours contentieux » lorsque celui-ci « ou, le cas échéant, un intervenant en demande ayant qualité de partie à l’instance, décide d’interjeter appel du jugement de première instance » ne lui ayant pas donné satisfaction [3]. Cette solution a été logiquement étendue au pourvoi en cassation [4].
En somme donc, le requérant doit nécessairement réitérer en appel et, le cas échéant, en cassation, la formalité dont il s’est pourtant déjà acquitté en première instance, avec toujours comme objectif d’informer le plus rapidement possible le pétitionnaire de ce que ses droits à construire sont à nouveau menacés, ainsi que le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions.
À défaut, la sanction est nécessairement l’irrecevabilité, au besoin soulevée d’office par le juge, après que le requérant a été invité à démontrer l’accomplissement de la formalité par une invitation à régulariser de la juridiction ou par une fin de non-recevoir opposée par le défendeur [5]. Si une régularisation est possible, elle doit intervenir avant la clôture de l’instruction de la première instance [6], et doit consister en la production d’une pièce démontrant que le recours a bien été notifié dans les quinze jours suivant la saisine du juge. La communication de la requête par le juge aux parties n’est pas de nature à régulariser ce manquement [7].
En revanche, la solution est différente lorsque l’appel ou le pourvoi est formé non pas contre une décision rejetant le recours, mais au contraire annulant, au moins partiellement, l’autorisation querellée. C’est notamment ce qu’a considéré le Conseil d’État dans son avis précité :
« En revanche, l'article L. 600-3 [aujourd’hui, R. 600-1] précité du Code de l'urbanisme n'impose pas à l'auteur de la décision litigieuse ou au bénéficiaire de l'autorisation, ni d'ailleurs à aucune autre personne ayant qualité pour faire appel d'un jugement annulant, au moins partiellement, un document d'urbanisme ou une décision valant autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le Code de l'urbanisme, de notifier l'appel dirigé contre un tel jugement. »
La logique étant qu’il n’y a pas lieu d’exiger du titulaire ou de l’auteur de l’autorisation annulée qu’il procède à une formalité instituée à son bénéfice.
Dès lors, la fin de non-recevoir opposée au bénéficiaire de l’autorisation tirée de ce qu’il n’aurait pas notifié l’appel interjeté contre une décision juridictionnelle prononçant son annulation ne saurait prospérer [8]. Il en va de même pour l’auteur de la décision [9].
II. Le cas particulier du recours incident
Au regard de l’état du droit ci-avant exposé, l’affaire commentée présentait deux particularités. En effet, en plus d’un pourvoi formé par l’autorité ayant délivré l’autorisation, le Conseil d’État avait été saisi d’un pourvoi incident du requérant de première instance. D’autre part, la décision juridictionnelle contestée n’annulait que partiellement l’autorisation dont s’agit et allouait au pétitionnaire un délai de 6 mois pour en proposer la régularisation.
Pour mémoire, le pourvoi incident, tout comme l’appel incident, permet notamment à un requérant n’ayant pas obtenu intégralement satisfaction en dernière instance, de contester la décision en se greffant à l’appel principal formé par le défendeur [10].
Bien qu’intrinsèquement lié au sort du pourvoi principal [11], le pourvoi incident peut être critiqué pour ses vices propres, et sa recevabilité est ainsi contestable indépendamment de celle du pourvoi principal.
Au cas d’espèce, le pourvoi principal formé par la ville de Saint-Cloud – laquelle n’était pas tenue de le notifier – était parfaitement recevable. La question se posait néanmoins différemment s’agissant du pourvoi incident introduit par un requérant fâché de ne pas avoir obtenu du tribunal administratif l’annulation intégrale du permis de construire.
En effet, comme souligné par le rapporteur public, « le jugement attaqué n’ayant fait droit que partiellement au recours présenté en première instance, une majeure partie du permis avait gagné son brevet de légalité à son issue ». Or, « le pourvoi incident vient de nouveau menacer l’étendue des droits à construire puisqu’il vise à obtenir, non pas une annulation partielle du permis, mais son annulation totale ».
Dans ces conditions, suivant l’analyse du commissaire du Gouvernement posée dans le cadre de l’avis du Conseil d’État précité [12], et consacrant la solution déjà retenue par certaines juridictions d’appel [13], il conclut à l’irrecevabilité du pourvoi incident, le requérant ne justifiant pas de sa notification aux concernés.
Et le Conseil d’État de juger, en conséquence, que « l'auteur d'un recours contentieux contre une décision d'urbanisme (…), y compris présenté par la voie d'un appel incident ou d'un pourvoi incident, est tenu de notifier une copie du recours tant à l'auteur de l'acte ou de la décision qu'il attaque qu'à son bénéficiaire ».
À noter que la Haute juridiction administrative a donc refusé d’étendre la tolérance dont elle avait fait preuve s’agissant des recours dirigés contre un permis modificatif produit dans le cadre de l’instance dirigée contre le permis initial [14]. Le rapporteur public assume une solution « emprunte d’une certaine rigidité », mais ayant pour objet de « garantir en toute hypothèse la bonne information du titulaire du permis et sa sécurité juridique », en cohérence avec l’esprit de l’article R. 600-1.
[1] CE, 15 mai 2013, n° 352308 N° Lexbase : A5378KDK.
[2] CE, Sect., 13 mars 2015, n° 358677, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6895NDQ.
[3] CE, avis, 26 juillet 1996, n° 180373, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0655APX.
[4] CE, 20 février 2002, n° 208100, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1729AYP.
[5] CE, avis, 6 mai 1996, n° 178473, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9422ANB ; CE, 20 février 2002, n° 208100, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.
[6] CE, 19 décembre 2008, n° 297716, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8832EBQ ; sur l’impossibilité de régulariser pour la première fois en appel : CE, 27 octobre 2008, n° 301600, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1010EBZ.
[7] CE, 6 mai 1996, n° 178473, publié au recueil Lebon, préc.
[8] CE, 6 décembre 2013, n° 354703, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8510KQA.
[9] CE, 18 octobre 2006, n° 264292, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9519DRY.
[10] V. par ex. CE, 1er juillet 1977, n° 97476 N° Lexbase : A1244B79 ; CE, 30 novembre 1994, n° 138725, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3675ASW.
[11] V. pour une irrecevabilité du pourvoi principal entraînant l’irrecevabilité du pourvoi incident : CE, 28 juin 1991, n° 77921, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0962AIH.
[12] J.-C. Bonichot, concl. sur CE, 26 juillet 1996, n° 180373, préc.
[13] CAA Marseille, 19 mars 2010, n° 08MA00506 N° Lexbase : A8777EWY.
[14] CE, 28 mai 2021, n° 437429, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A48594T7.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490715