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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Etonnamment, les thématiques les plus médiatiques y font figures d'absentes : il en va ainsi du "mariage pour tous" pourtant omniprésent sur les ondes et les bancs parlementaires. C'est que, nous explique cette précieuse étude, les questions écrites, contrairement aux questions orales, sont "totalement libres, déconnectées du temps médiatique et du jeu politique", d'abord, et sont l'expression d'interrogations privilégiées des groupes parlementaires minoritaires, ensuite ; ces derniers ne bénéficiant pas du même temps de parole lors des sessions de questions orales des mercredi (à l'Assemblée nationale) et jeudi (au Sénat). Mais, on y retrouve de manière écrasante trois thématiques d'envergure : la santé (4 981 questions/réponses), l'organisation de l'Etat (4 802 questions/réponses) et l'entreprise ou plus globalement la politique économique et industrielle (3 599 questions/réponses). Encore que l'on apprendra que, en ce qui concerne l'organisation de l'Etat, un quart des questions ont été posées par un même député et sur une thématique unique : les "comités Théodule".
On peut, dès lors, s'étonner que d'autres domaines, pourtant afférents à des préoccupations majeures de la société française, figurent en moins bonne position dans la liste des sujets de ces réponses ministérielles. Il en va ainsi notamment de la fiscalité avec 2 303 questions/réponses (6,80 % de l'ensemble des réponses ministérielles de l'année en cause), ou des problématiques liées au travail et à l'emploi (1 307 questions/réponses soit 3,86 % de l'ensemble), ou encore de l'immigration et de la nationalité avec 544 questions/réponses (1,60 % de l'ensemble). Les parlementaires leur auront préféré des questions sur les médicaments, les politiques de santé ou les personnes handicapées.
Mais, finalement, rien que de très logique à cela. On sait depuis longtemps, déjà, que "les réponses aux questions écrites posées par les députés et les sénateurs ont pour objet d'informer ceux-ci de l'action conduite par le Gouvernement. Cet objet même fait obstacle à ce que ces réponses puissent s'insérer dans la hiérarchie des normes de droit et, dès lors, se substituer aux décisions réglementaires ou individuelles prises par les autorités administratives compétentes". En clair : elles n'ont que peu de valeur juridique et l'on ne peut s'en prévaloir que contre l'administration elle-même. C'est une réponse ministérielle qui le dit (rép. min. publiée dans le JO Sénat du 28 août 1997, p. 2198, notamment) ! Et, cette dernière de citer un arrêt du Conseil d'Etat du 20 avril 1956, "Sieur Lucard", aux termes duquel : "Les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des décisions faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative". Ce qui explique donc que les parlementaires ne s'aventurent guère sur des thématiques complexes, demandent assez peu souvent à une administration, par le truchement de son ministre, de prendre position, et encore moins sur un cas singulier, pour ne pas dire personnel.
Alors, reste la question du droit fiscal. Car contrairement aux autres domaines juridiques, la loi reconnaît une valeur doctrinale aux réponses ministérielles en la matière. L'article L. 80 A du Livre des procédures fiscales compte ces réponses ministérielles parmi l'ensemble de la doctrine (instructions, rescrits, circulaires) opposable à l'administration des impôts elle-même. On pourrait donc s'attendre à un meilleur traitement de la thématique fiscale par les parlementaires. Mais, d'abord, le juge n'est pas lié par la position de l'administration et peut parfaitement prendre une position contraire qu'il estimerait plus conforme aux termes de la loi ou de la réglementation ; ensuite, depuis la publication du BOfip, en septembre 2012, et la consolidation de la doctrine administrative en matière fiscale et douanière, les réponses ministérielles présentent d'autant moins d'intérêt que l'administration publie régulièrement sa position sur l'ensemble des régimes fiscaux, ce de manière plus réactive que d'antan, et qu'elle a pu ainsi purger grandement sa doctrine de nombre de réponses ministérielles passées qui lui semblaient trop inconfortables, montrant ainsi sa défiance envers une doctrine trop temporelle pour ne pas dire conjoncturelle, au grè de l'opinion d'un ministre de tel ou tel bord politique ; enfin, on ne s'étonnera pas que les principaux groupes parlementaires évitent de mettre en difficulté le Gouvernement sur une thématique aussi délicate, le millefeuille fiscal étant le produit de leurs "cuisines" respectives...
Non, il est bien loin le temps où les manuels juridiques étaient parsemés de références à ces réponses ministérielles ; maintenant, il convient essentiellement de trouver la "pépite" : cette réponse qui aura échappé à son administration et qui l'engagera plus sur un plan politique (comme en matière d'environnement ou de politique sociale et familiale) que sur un plan juridique. Mais en droit, la réponse ministérielle n'a décidément plus les honneurs de la hiérarchie des normes de Kelsen, même en matière fiscale, surtout depuis que le rescrit individuel tend à se développer et qu'il n'est plus nécessaire d'alpaguer son député ou son sénateur pour obtenir une réponse opposable de l'administration fiscale.
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Réf. : Cass. civ. 2, 7 novembre 2013, n° 12-25.334, F-P+B (N° Lexbase : A2189KPR)
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Le 14 Novembre 2013
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N9210BTB
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 14 Novembre 2013
Dès lors, ont été retenus seulement quelques thèmes -il a été jugé inutile de revenir sur les fondamentaux du décret "Magendie" (décret n° 2009-1524, du 9 décembre 2009 N° Lexbase : L0292IGW) et de la procédure ; non plus de rappeler ses délais et ses sanctions-. Aussi, Emmanuel Jullien propose-t-il de faire un focus sur un certain nombre de difficultés et, surtout, sur les éclairages nouveaux de la jurisprudence qui permettent de voir cette procédure sous un jour meilleur. En premier lieu, cette conférence abordera le thème du RPVA et de la notification des actes, non pas pour examiner les aspects matériels de cette communication, mais pour étudier la portée de ce vecteur de communication, et savoir ce que l'on peut exactement transmettre, notifier, déposer par cette voie nouvelle. Sera examiné, ensuite, le domaine des nouvelles dispositions des articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) et 911 (N° Lexbase : L0351IT8) du Code de procédure civile : ce sont ces dispositions qui prévoient ces délais et ces sanctions, et qui ne s'appliquent pas à l'ensemble des procédures. Très rapidement, ensuite, le conférencier propose de revenir sur l'assignation aux intimés qui pose quelques difficultés et quelques problèmes. Puis, seront abordés deux thèmes, plus longuement, parce qu'ils sont au coeur du métier d'avocat et des difficultés que ces derniers rencontrent : ce sont toutes les difficultés liées aux conclusions et celles liées, ensuite, à la communication des pièces. Enfin, le Président Chauvin dira quelques mots de l'instruction matérielle des dossiers et de la plaidoirie interactive à laquelle il est particulièrement attaché.
I - Le RPVA et la notification des actes
C'est donc Monsieur Bencimon qui évoque, en premier lieu, la question du RPVA au regard notamment des problèmes qui s'attachent à la notification des actes et des conclusions principalement.
A - Les textes
Il rappelle, tout d'abord, que les textes qui régissent la matière sont situés au sein du Code de procédure civile, au livre 1er, titre 21, plus précisément aux articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4) à 748-7 de ce code et à l'article 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL) s'agissant de la procédure devant les cours d'appel. L'autre texte auquel il convient de s'attacher est l'arrêté du 30 mars 2011 (NOR : JUST1108798A N° Lexbase : L9025IPX), qui fixe et compile les différents arrêtés publiés -notamment celui du 18 avril 2013- qui a ouvert la possibilité, devant certaines cours d'appel, de déposer et de notifier des conclusions auprès de la juridiction et entre auxiliaires de justice. Depuis le 1er janvier 2013, un dernier arrêté du 20 décembre 2012 est entré en application le 1er janvier 2013 (NOR : JUST1242096A N° Lexbase : L8133IUR). Il résulte de cet arrêté que devant les cours d'appel tous les actes de procédure doivent être déposés par la voie électronique et notamment, les conclusions.
B - Les pratiques
Maurice Bencimon soulève alors une première question : "ces actes de procédures (les conclusions principalement) peuvent-ils être échangés sans condition entre avocat via le RPVA ?" Le conférencier rappelle que la position parisienne répond par l'affirmative, position assez largement partagée. La cour d'appel de Versailles avait anticipé, depuis longtemps, sur le fait que les avocats échangeaient via le RPVA, s'agissant des actes et documents qui pouvaient être adressés devant elle. Mais que prévoient les textes ?
Les textes disposent que l'avocat a l'obligation de déposer les actes au greffe de la cour via le RPVA mais que la notification entre avocats via le RPVA reste une possibilité. Entre avocats, la notification sur support papier par l'intermédiaire des huissiers audienciers est donc toujours possible. En conséquence, pour Monsieur Bencimon, on peut retenir que, devant la cour d'appel de Paris, depuis le 1er janvier 2013, on échange principalement par le RPVA entre confrères mais que l'on peut signifier ses actes également sur support papier quand on le souhaite. En revanche, le dépôt des actes devant la cour d'appel doit être effectué via le RPVA -devant la cour d'appel de Paris, si les avocats veulent déposer des actes sur support papier au greffe de la cour, ces actes leur seront retournés, sous réserve évidemment qu'ils ne soient pas en mesure d'invoquer, notamment, la fameuse "cause étrangère" : l'impossibilité d'émettre du fait d'un dysfonctionnement du RPVA- (C. pr. civ., art. 748-7 N° Lexbase : L0423IGR et 930-1).
La notification des actes entre avocats, rappelle Monsieur "BAPA", est donc une possibilité ; les dispositions des articles 671 (N° Lexbase : L6854H7Y) et 673 (N° Lexbase : L6856H73) du Code de procédure civile n'ont pas été abrogées. Cependant, il faut déterminer quelles sont les conditions de la notification des actes de procédure entre avocats au regard principalement des dispositions de l'article 748-2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0375IGY). Il résulte de ce texte que les actes de procédure peuvent être échangés par la communication électronique et qu'il convient alors que le destinataire de l'acte ait donné son accord exprès pour recevoir les actes par cette voie de communication. L'interprétation de cette disposition pose une difficulté. Deux arrêts doivent être principalement cités qui ont retenu une interprétation totalement contraire des dispositions de l'article 748-2 du Code de procédure civile. Le premier, rendu par la cour d'appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 5 mars 2012, n° 11/4968 N° Lexbase : A9217IDQ) a jugé que le seul fait d'avoir adhéré au RPVA fait présumer l'accord express du destinataire pour recevoir les actes de procédure -la présomption exprès d'un accord peut paraître curieuse comme forme d'expression, mais il est vrai que si l'on s'en tient à la seule lecture du texte, il peut sembler compliqué de trouver une meilleure formule-. Mais, la cour d'appel de Toulouse a rendu un arrêt, le 4 décembre 2012 (CA Toulouse, 4 décembre 2012, n° 12/04955 N° Lexbase : A1243IYP), qui a jugé en sens totalement contraire. Pour les magistrats toulousains, en l'état actuel du droit, le recours au RPVA ne peut se faire, s'agissant de la notification entre avocats, de leurs conclusions, qu'en cas d'accord exprès et non tacite de l'avocat destinataire, étant relevé que cet accord ne peut, en aucun cas, être tacite ou se présumer et qu'il ne peut, dès lors, résulter de la seule inscription de l'avocat destinataire à e-barreau ou de l'adhésion de ce dernier au RPVA. Il est difficile d'être plus en contradiction avec la décision de la cour d'appel de Bordeaux. Un pourvoi en cassation a été formé à l'encontre de l'arrêt de Bordeaux, sur lequel le conférencier reviendra infra.
Quelle est la thèse qu'il convient de retenir ? Devant la cour d'appel de Paris, c'est la "thèse de Bordeaux" qui doit être retenue. En effet, précise Maurice Bencimon, si on devait s'en tenir à l'arrêt de Toulouse, on provoquerait un "tsunami judiciaire", dans la mesure où les échanges sont, depuis le 1er janvier 2011, légion et que jamais l'auxiliaire de justice n'a eu à donner son accord afin de recevoir des documents des greffes, pas plus que de son confrère. Le conférencier pense que la solution portée par l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux doit être retenue principalement car elle ne remet pas en cause le principe du contradictoire. Dans tous les cas où il a été soutenu que la notification faite par le RPVA était irrégulière, le fondement de ces incidents a rarement été l'article 748-2 du Code de procédure civile. Le plus souvent, il est soutenu que la nullité de l'acte résulte du fait que les arrêtés autorisant cette forme de notification n'auraient pas été publiés. A cela, on peut répondre qu'il est parfaitement démontrable et démontré que, quelles que soient l'autorisation et la possibilité qu'il y avait de notifier les actes en question, l'acte avait bel et bien été notifié et les défendeurs à l'incident pouvaient en justifier par l'avis de remise reçu du contradicteur et qu'en conséquence le contradictoire était parfaitement respecté. Au-delà, le principe d'égalité, principe auquel il ne peut être porté atteinte, consacré par les textes et des conventions internationales, ne pourrait pas être respecté si la notification par le RPVA n'était pas possible entre avocats. En effet, l'avocat inscrit au barreau du siège d'une cour d'appel aurait un avantage certain sur celui qui, pourtant dans le même ressort, exercerait son activité au sein d'un barreau éloigné de ce siège. Le RPVA permet de gommer l'éloignement géographique. Et, au-delà de l'auxiliaire de justice, c'est le justiciable qui se trouverait dans une situation défavorable. Or, cela est condamné par les dispositions de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (N° Lexbase : L6814BHT). En outre, pour Maurice Bencimon, il faut toujours faire primer l'esprit du texte sur sa lettre.
Ainsi, comme évoqué supra, la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.086, F-D N° Lexbase : A5224KDT) a statué sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux. On s'attendait à avoir une réponse sur les dispositions de l'article 748-2, mais il faudra attendre : la Cour de cassation a certainement compris qu'il y avait là une difficulté à laquelle il était difficile de répondre au regard du texte s'il devait être appliqué au pied de la lettre. Elle a rejeté le pourvoi et jugé que l'acte était entaché d'irrégularité, mais qu'il convenait, comme chaque fois qu'une nullité de forme était invoquée que le demandeur justifie d'un grief. Pour Monsieur "BAPA", cela paraît d'ailleurs être une bonne solution, et cela a toujours été la thèse au BAPA, qui soutient que, certes l'acte était irrégulier -on ne peut pas nier l'évidence- mais que la sanction de cette nullité ne pouvait être qu'un vice de forme, vice de forme qui impose à celui qui l'invoque de justifier d'un grief. Les décisions qui ont sanctionné cette forme de notification ont jugé que l'acte notifié par le RPVA était inexistant. Cependant, la théorie de l'inexistence de l'acte est condamnée depuis un arrêt de la Cour de cassation de chambre mixte du 7 juillet 2006 (Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, P+B+R+I N° Lexbase : A4252DQK). L'acte existe, il est incontestable qu'il a été notifié ; refuser de "voir" cet acte parce qu'on n'admet pas ce mode de transmission et invoquer sa nullité ne peut être sanctionné que par l'existence d'un grief. De plus, la démarche consistant à refuser l'existence d'un acte que l'on a pourtant bel et bien reçu ne peut être que condamnée déontologiquement. Le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a pris une résolution le 12 décembre 2012 qui modifie l'article P 43 du règlement intérieur qui dispose "Devant les juridictions quand la communication par la voie électronique est possible, l'avocat inscrit au RPVA consent expressément à son utilisation dans tous les échanges de courriers et actes de procédure avec l'avocat inscrit au RPVA".
En guise de synthèse, Emmanuel Jullien formule, dès lors, trois observations. D'abord, dans certains cas, la communication par le RPVA est obligatoire : il s'agit de tous les cas où existe un flux vers le greffe de la cour. Ensuite, si la communication est possible, elle est indiscutable : c'est le cas des conclusions. Il y a des textes particuliers dans le détail desquels les conférenciers ne vont pas entrer, mais qui permettent de considérer que, même sans accord exprès de l'autre partie, la recevabilité des conclusions n'est pas discutable par une notification entre avocats. Enfin, il y a une troisième catégorie de communications, à la marge au regard de la pratique quotidienne, celles où la notification entre avocats est discutable ; l'arrêt de la Cour de cassation estime, ainsi, que les notifications entre avocats sont nulles, mais qu'il faut prouver un grief. Cette jurisprudence ne s'applique qu'à des cas marginaux et principalement à la signification de l'arrêt de la cour entre avocats. Emmanuel Jullien partage donc les positions de Monsieur Bencimon : les avocats ne prennent pas de risque inconsidéré en notifiant tous les actes par la voie du RPVA.
Et ce dernier de préciser que la Cour de cassation va répondre certainement à cette question puisqu'elle a été saisie d'un avis et que sa position devrait être connue début septembre [NDLR : la Cour de cassation, dans un avis rendu le 9 septembre 2013, s'est prononcée sur les conséquences pour l'avocat de son adhésion au RPVA (Cass. avis, 9 septembre 2013, n° 15012P N° Lexbase : A8866KKL). Trois questions étaient posées à la Haute juridiction :
- l'envoi par la voie électronique de conclusions à l'avocat de l'autre partie constitue-t-il une notification directe régulière des dites conclusions au sens de l'article 673 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6856H73) en l'absence de consentement exprès du destinataire à l'utilisation de ce mode de communication ?
- l'adhésion au RPVA de l'avocat destinataire ou la signature d'une convention entre la juridiction et l'Ordre des avocats peuvent-elles pallier l'absence de consentement exprès prévu par l'article 748-2 du Code de procédure civile ?
- l'obligation édictée par l'article 930-1 du Code de procédure civile en vigueur depuis le 1er janvier 2013 constitue-t-elle une disposition spéciale imposant l'usage de ce mode de communication au sens de l'article 748-2 du même code ?
Pour la Cour suprême, l'adhésion d'un avocat au réseau privé virtuel avocat (RPVA) emporte nécessairement consentement de sa part à recevoir la notification d'actes de procédure par la voie électronique].
Sur la question du RPVA et de la communication des actes, le président Chauvin a souhaité évoquer les déférés qui sont formés à l'encontre des ordonnances qui prononcent une caducité de la déclaration d'appel ou une irrecevabilité de conclusions. Jusqu'à présent, les déférés prenaient la forme d'une requête adressée au président de la chambre qui fixait une date d'audience. Désormais, le déféré doit être remis au greffe de la cour, qui procède à un enregistrement et qui distribue ensuite le dossier à la chambre ; le président de la chambre fixe alors la date d'audience. Pascal Chauvin insiste particulièrement sur ce point parce qu'il a pu observer un certain flottement dans les pratiques.
II - Le domaine des dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile
Les conférenciers ont souhaité, en deuxième lieu, circonscrire le domaine des dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile, qui sont des dispositions qui "irritent" les avocats, qui les emprisonnent, qui suppriment l'office du juge, qui prévoient les délais de trois, deux et un mois (trois mois pour l'appelant, deux mois pour l'intimé et un mois pour notifier les conclusions) et, surtout, les sanctions, caducité, irrecevabilité, selon les mots de Maître Emmanuel Jullien.
A - Les procédures exclues (C. pr. civ., art. 905)
La question qui se posait, mais qui est résolue, était de savoir si, lorsque la matière est du domaine des dispositions de l'article 905 (N° Lexbase : L0374IGX) -cet article qui prévoit que, en certaines matières, ordonnances de référés, ordonnances de mise en état ou affaires urgentes, le Président peut fixer des dates-, il y avait coexistence entre l'office du juge et les dispositions légales. En d'autres termes, lorsque le juge fixe un délai plus important que celui prévu par la loi, est-ce que les avocats sont néanmoins obligés de respecter, sous la peine des sanctions que les textes édictent, les dispositions des articles 908 et 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) du Code de procédure civile ? Les avis étaient partagés, il y a eu des décisions dans les deux sens, mais maintenant la question est clarifiée.
B - La jurisprudence
Le Président Chauvin rappelle qu'effectivement une décision et un avis récents ont été rendus en la matière (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.119, F-P+B N° Lexbase : A5179KD8 ; Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15011P N° Lexbase : A2155KHB). Dans la décision du 16 mai 2013, la deuxième chambre civile a estimé que "l'arrêt d'appel retient exactement que les dispositions de l'article 908 du Code de procédure civile n'ont pas vocation à s'appliquer aux procédures fixées en application de l'article 905 s'agissant de l'appel d'une ordonnance de référé". Et, dans l'avis du 3 juin 2013, la formation des avis a décidé que "les dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code".
Pour Pascal Chauvin, il existe une petite singularité puisque la formation des avis de la Cour de cassation s'est prononcée alors que la deuxième chambre civile, compétente en matière de procédure civile, avait tranché la question quinze jours auparavant. Il rappelle qu'une demande d'avis est soumise à trois conditions : il faut qu'il s'agisse d'une question de droit nouvelle, posant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Jusqu'alors, la Cour de cassation a toujours considéré que, dès lors qu'une chambre s'était prononcée, il n'y avait pas lieu à avis. Mais le conseiller rapporteur -qui d'ailleurs était le même devant la deuxième chambre civile et devant la formation des avis-, a justifié la recevabilité de l'avis par le fait que, dans l'affaire ayant donné lieu à la demande d'avis, alors qu'il s'agissait d'un appel d'une ordonnance de référé, la cour avait renvoyé l'affaire à la mise en état, après que le président avait fixé l'audience à bref délai, en application de l'article 905, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire jugée par la deuxième chambre civile, où la cour d'appel, statuant sur appel d'une ordonnance de référé, avait jugé que l'article 908 ne s'appliquait pas à une procédure fixée en application de l'article 905.
L'hypothèse est la suivante : l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée, ce qui laisse au président de la chambre un pouvoir d'appréciation, ou l'appel est relatif à une ordonnance de référé ou à une ordonnance du juge de la mise en état, ce qui ne laisse au président aucune marge d'appréciation ; le président, d'office ou à la demande d'une partie, fixe à bref délai l'audience à laquelle l'affaire sera appelée ; au jour indiqué, il est alors procédé "selon les modalités prévues aux articles 760 (N° Lexbase : L6979H7M) à 762 du Code de procédure civile". Lorsque l'affaire est appelée, le président va la renvoyer à l'audience de la cour ou la renvoyer à la mise en état. C'est dans cette dernière hypothèse que l'on pouvait se demander si les articles 908 et 911 étaient ou non applicables (la plupart du temps, on applique l'article 905 sans renvoi à la mise en état). En l'occurrence, la Cour de cassation a pris parti en décidant que l'article 905 exclut les articles 908 à 911 du Code de procédure civile. La majorité, pour ne pas dire l'unanimité de la doctrine, était en ce sens ; c'était aussi en ce sens que s'était prononcée la majorité des cours d'appel. Première justification : à partir du moment où l'on emprunte le "circuit court", l'article 905 du Code de procédure civile, on échappe à la mise en état et donc à son formalisme et à ses délais. Deuxième justification : s'agissant de délais "couperets", il faut se rappeler que le conseiller de la mise en état est seul compétent jusqu'à son dessaisissement -le dessaisissement intervenant à l'ouverture des débats devant la formation de jugement-, soit pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, soit pour prononcer l'irrecevabilité des conclusions ; on est donc "enfermé" par la compétence exclusive du conseiller de la mise en état. Enfin, troisième justification : les délais instaurés par le décret de 2009 (trois mois/deux mois) apparaissent inutiles pour ce type d'affaires qui relèvent du circuit court, de sorte qu'il aurait été contre-productif de soumettre à ces délais assez stricts des procédures qui, par nature, sont censées être urgentes. Aussi, l'application de l'article 905 exclut-elle celle des articles 908 et 911 du Code de procédure civile. Si l'on revient au cas de figure où le président, lorsqu'il a fait application de l'article 905, renvoie à la mise en état, la formation des avis de la Cour de cassation, par sa formule générale, décide que les articles 908 et 911 sont exclus. Donc, dès lors qu'une affaire a été orientée par le président de la chambre vers le circuit court, les articles 908 à 905 du Code de procédure civile sont exclus, quand bien même le président, lorsqu'il appelle l'affaire la première fois à une audience, la renvoie à la mise en état.
Pour Emmanuel Jullien, c'est une exclusion très importante ; il faut être conscient que devant certaines cours, c'est un moyen d'adapter des règles à leur finalité. Devant les cours où l'on n'arrive pas à fixer dans des délais raisonnables, on emploie, de façon quasiment systématique, l'article 905 du Code de procédure civile, notamment pour les ordonnances de non-conciliation ; et c'est le cas devant certaines chambres de la cour d'appel de Paris. Mais, on peut imaginer que cette méthode, ce choix, soit étendu et les avocats échapperont, dans ces hypothèses nombreuses, aux couperets dénoncés trop souvent par ailleurs.
III - L'assignation de l'intimé
Les conférenciers proposent ensuite d'examiner l'assignation de l'intimé.
A - La disparition de l'article 908 du Code de procédure civile
Pour Emmanuel Jullien, c'est une provocation de parler d'assignation parce que nulle part dans les nouveaux textes on ne trouve ce terme. Il existait, auparavant, un article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0942H4N) qui prévoyait précisément l'obligation normale, pour l'appelant, d'assigner l'intimé. Or, la "disparition" de l'assignation pose question parce que, bien évidemment, la procédure d'appel n'échappe pas aux principes directeurs du procès.
B - L'assignation et les principes directeurs du procès
En ce qui concerne l'assignation, d'une part, l'article 14 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1131H4N) précise que "nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé" et, d'autre part, l'article 56 du même code (N° Lexbase : L8420IRB), relatif à l'assignation au sens large, précise que cette assignation doit mentionner l'objet de la demande avec un exposé en fait et en droit et l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.
L'article 908 ancien ne reprenait pas ces dispositions, mais la pratique avait admis, et la jurisprudence considérait, qu'il ne pouvait pas y avoir d'assignation valable de l'intimé sans dénonciation des conclusions, c'est-à-dire l'objet de la demande, les conclusions devant comporter également l'indication des pièces qui viennent à l'appui des prétentions.
Or, dans la procédure nouvelle, ce qui est prévu, c'est la notification de la déclaration d'appel ; l'appelant doit nécessairement notifier sa déclaration d'appel dans le mois de l'avis qui lui est donné par le greffe. Cette notification de la déclaration d'appel intervient à un moment où, dans la plupart des cas, l'appelant n'a pas conclu, en sorte qu'elle sera incomplète au regard des principes directeurs du procès ; et elle ne pourra, en aucun cas, valoir à elle-seule assignation au sens de ces mêmes dispositions.
Il convient, dès lors, de s'en rappeler au moment de la notification des conclusions et de notifier impérativement la déclaration d'appel avec les conclusions lorsqu'il n'y aura pas eu notification préalable de la déclaration d'appel, ou, mieux encore, une assignation avec notification de la déclaration d'appel et des conclusions visant l'ensemble des textes et leurs sanctions.
Mais, à ce stade, il convient d'examiner la sanction de l'absence de notification de la déclaration d'appel, qui doit être faite dans le mois de l'avis délivré par le greffe.
C - La notification de la déclaration d'appel (C. pr. civ., art. 902)
Monsieur Bencimon rappelle que la sanction est inscrite à l'article 902 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0377IT7) : c'est la caducité de la déclaration d'appel. L'avocat est averti par l'avis adressé par le greffe, via le RPVA, que "telle partie n'a pas constitué dans le délai d'un mois ou la déclaration d'appel a été retournée au greffe" ; cet avis peut être adressé très rapidement, par conséquent, pour Monsieur "BAPA", il convient d'être particulièrement vigilant et de surveiller sa boîte de réception du RPVA journellement, matin midi et soir, et pas seulement une fois par mois. C'est par la voie du RPVA que l'avocat sera avisé de l'avis prévu à l'article 902 du Code de procédure civile : "en cas de retour au greffe de la lettre de notification ou lorsque l'intimé n'a pas constitué avocat dans un délai d'un mois à compter de l'envoi de la lettre de notification, le greffier en avise l'avocat de l'appelant, afin que celui-ci, par voie de signification de la déclaration d'appel, en informe l'intimé".
La sanction : "à peine de caducité de la déclaration d'appel, la signification doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe". Le texte ne fait pas référence à l'assignation mais à la signification. Pour Maurice Bencimon, il est évident que l'on doit retenir les explications données par Maître Jullien : en réalité, le terme d'assignation conviendrait beaucoup mieux, il se trouve que le texte vise la signification et que par conséquent, on doit s'en tenir à cette rédaction.
Il peut arriver que l'avocat ne trouve pas trace de l'avis adressé par le greffe par l'intermédiaire du RPVA. Dans ce cas, il peut interroger le BAPA, qui a la possibilité, par l'intermédiaire du Conseil national des barreaux, de tracer les avis.
La difficulté d'application essentielle est de déterminer si le juge a le pouvoir de relever d'office cette caducité. Maurice Bencimon fait observer que, contrairement aux dispositions des articles 908 à 910 du Code de procédure civile, qui donnent le pouvoir au juge de relever d'office la caducité de l'appel ou l'irrecevabilité des conclusions quand elles sont signifiées tardivement, l'article 902 du Code de procédure civile ne dispose pas que le juge peut relever d'office le moyen. Un certain nombre de décisions a été rendue en la matière -et, notamment, trois décisions peuvent être citées- : l'une, rendue par la cour d'appel de Paris, a retenu que le juge n'avait pas le pouvoir de relever d'office le moyen (CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 21 juin 2013, n° 13/07186). La cour a jugé "que ce texte ne prévoit pas, au contraire des articles 908 et 909 du Code de procédure civile qui énoncent que sont relevées d'office la caducité de la déclaration d'appel lorsque l'appelant n'a pas conclu dans le délai de trois mois à compter de cette déclaration et l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé qui n'a pas conclu dans les deux mois de la notification, que la caducité est relevée d'office ; que dès lors il n'y a pas lieu de prononcer d'office une telle sanction ; que l'ordonnance susvisée sera en conséquence infirmée". Dans une autre décision, rendue par la cour d'appel de Poitiers le 28 mai 2013 (CA Poitiers, 28 mai 2013, n° 12/03896 N° Lexbase : A0213KEM), il est précisé que "la signification de cet acte n'a pas été effectuée dans le mois de l'avis qui lui a été adressé par le greffe, étant par ailleurs observé que l'article 914, en disposant que les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité après dessaisissement du magistrat chargé de la mise en état, admet implicitement mais nécessairement que les parties disposent d'un droit propre à invoquer la caducité de la déclaration d'appel". Enfin, une ultime décision, également intéressante, rendue par la cour d'appel de Bordeaux le 15 février 2012 (CA Bordeaux, 15 février 2012, n° 11/05730 N° Lexbase : A5314ICS), a jugé dans le même sens, en précisant que les dispositions de l'article 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0165IPS), qui prescrivent le recueil des observations écrites de toutes les parties, et pas seulement de la partie appelante à laquelle le greffe a adressé l'avis, n'impliquent pas davantage que le magistrat peut relever d'office le moyen tiré de la caducité de la déclaration d'appel.
Avant que le Président Chauvin ne donne la solution, Emmanuel Jullien a souhaité adresser quelques mots, d'une façon générale, sur le relevé d'office. Rappel historique tout d'abord : dans la rédaction de 1975, l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) prévoyait que le juge peut relever d'office les moyens de pur droit, quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties. Cet article 12, dans sa rédaction originaire, était complété à l'article 16 (N° Lexbase : L1133H4Q) par l'indication que le juge, lorsqu'il relevait un moyen d'office, n'était pas obligé de provoquer les explications des parties. Cette disposition de l'article 12 a été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat (CE, 12 octobre 1979, n° 1875, n° 1905 et n° 1948 à 1951 N° Lexbase : A1703AKB) qui a considéré, au regard des règles du contradictoire et du procès équitable, qu'elle ne méritait pas d'être maintenue. L'article 16, dans sa rédaction actuelle (N° Lexbase : L1133H4Q), précise lui, maintenant, après plusieurs modifications, intervenues la première en 1976 et la dernière en 1981, que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. Il semble quand même, sur le plan général, s'inférer de cette disposition que le juge peut toujours soulever un moyen d'office, à la condition expresse de provoquer les explications des parties.
En fait, il existe toujours, d'une façon générale, et sans s'arrêter pour le moment à l'article 902 (N° Lexbase : L0377IT7), sur le relevé d'office, trois cas de figure : le premier cas, c'est celui où il fait interdiction au juge de soulever un moyen d'office ; on le trouve, notamment en matière d'exception d'incompétence, la cour d'appel n'ayant pas la possibilité, dit le texte, de soulever le moyen d'office de son incompétence, sauf certains cas énumérés. Là, c'est donc une interdiction. Le deuxième cas, c'est celui où il est fait obligation au juge de soulever le moyen d'office ; il pourrait sans doute être cassé pour ne pas l'avoir fait. Rentrent dans cette catégorie, puisqu'on parle de la procédure d'appel, les dispositions qui prescrivent au juge de relever d'office les moyens dans le cadre des dispositions des articles 908, 909 et 911 du Code de procédure civile. Le troisième cas est celui où les textes sont muets : le juge peut-il néanmoins soulever un moyen de droit d'office ? Certains ne le pensent pas et excluent cette troisième voie.
Pour Emmanuel Jullien, la lecture de l'article 16 du Code de procédure civile paraît contredire, malheureusement, cette thèse ; le juge peut toujours soulever un moyen d'office, surtout quand il est de pur droit, ce qui est le cas de l'article 902 précédemment évoqué, mais à la condition bien entendu, rajoutée en 1981 dans l'article 16, de provoquer les explications des parties. Donc, ces explications générales rapportées à l'article 902 font craindre sur la pérennité des décisions rapportées supra et non approuvées des différentes cours sur l'interdiction qui serait faite aux juges de soulever les dispositions de l'article 902.
Pour Pascal Chauvin, à la lumière de l'arrêt rendu le 27 juin 2013 par la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-20.529, FS-P+B N° Lexbase : A2974KIY), le décret du 9 décembre 2009 a prévu trois catégories d'obligations. Des obligations sanctionnées : elles concernent le respect des délais pour conclure ; des obligations dépourvues de sanction (par exemple, l'obligation de communiquer les pièces simultanément à la notification des conclusions ou encore l'obligation impartie aux avocats de déposer leur dossier de pièces quinze jours avant l'audience des plaidoiries) ; enfin, cette obligation qui se situe à mi-chemin, celle de l'article 902, selon lequel, "à peine de caducité de la déclaration d'appel", "la signification doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe". Or, cette sanction a été ajoutée par le décret de 2010 (décret n° 2010-434 du 29 avril 2010 N° Lexbase : L0190IHI) au décret de 2009, mais curieusement le pouvoir réglementaire n'a pas prévu que la sanction doit être relevée d'office (s'agit-il d'un oubli ?). Pour le Président Chauvin, la sanction existe et le juge "peut" prononcer cette caducité de la déclaration d'appel, mais il n'est pas tenu de le faire. S'il n'envisage pas de prononcer la sanction, qui va pouvoir lui demander ? Ce ne peut être que l'intimé défaillant qui devra alors avoir recours à un avocat pour demander la caducité de la déclaration d'appel. Or, si certaines cours d'appel estiment qu'il faut relever d'office la caducité, d'autres sont d'un avis contraire : cela aboutit à une incohérence de la jurisprudence. Au sein même de la cour d'appel de Paris, des chambres relèvent d'office la caducité, tandis que d'autres s'en abstiennent ; au sein d'une chambre, doit s'appliquer une politique générale ; il n'est pas concevable de relever d'office la caducité dans certaines affaires et non dans d'autres. Dans la mesure où le texte est en retrait par rapport aux articles 908, 909 et 910 du Code de procédure civile, Pascal Chauvin est d'avis de ne pas relever d'office la caducité. Ce d'autant que la sanction est redoutable : la caducité de la déclaration d'appel est prononcée parce que l'avocat n'a pas signifié la déclaration d'appel à un intimé défaillant, donc qui a priori ne s'intéresse pas au litige !
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2013, la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 8 mars 2012, n° 11/20977 N° Lexbase : A1079IEP) avait précisément relevé d'office la caducité de la déclaration d'appel, mais elle n'avait pas invité les parties à faire valoir leurs observations. Le moyen de cassation invoquant la violation de l'article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel : "en statuant ainsi sans avoir au préalable invité les parties à porter leurs observations sur ce moyen qu'elle avait relevé d'office, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du Code de procédure civile". Le Président Chauvin observe que la Cour de cassation n'a pas sanctionné la cour d'appel pour avoir relevé d'office le moyen tiré de la caducité, alors que, si elle l'avait voulu, elle aurait pu le faire, en relevant elle-même d'office le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 902. Doit-on en déduire qu'elle a ainsi considéré que le juge d'appel a le pouvoir de relever d'office la caducité de la déclaration d'appel ? C'est fort probable, mais une telle interprétation demande à être confirmée.
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Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-15.953, F-P+B (N° Lexbase : A2104KPM)
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Le 16 Novembre 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-21.123, F-D (N° Lexbase : A4769KNX)
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par Jérôme Casey, Avocat associé au barreau de paris, Mulon & Casey Associés, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux
Le 14 Novembre 2013
Sur la question relative à la CESDH proprement dite, on laissera à des auteurs autrement plus chevronnés en droit de cette belle matière le soin de disserter à l'infini sur le point de savoir si une procédure de divorce entamée en 1997 et terminée en 2004 est trop longue, et de même de savoir si une procédure de liquidation débutée en 2005 et ayant donné lieu à un deuxième procès-verbal de difficultés en 2009, est au-delà du raisonnable. Pour notre part, vu l'acharnement procédural du demandeur, nous ne pouvons qu'approuver la position de la Cour de cassation, laquelle a fait sienne la position des conseillers d'appel, qui, en résumé, opposaient sa propre turpitude procédurale au demandeur pour lui refuser toute indemnisation. Sept ans pour un divorce ayant mobilisé tous les degrés de juridiction possibles, cela ne semble pas excessif. De même, quatre années, avec changement de notaire imposé, ne constituent pas une durée anormale pour la liquidation, très contestée, du régime matrimonial (surtout que les juges du fond ont bien noté que le notaire avait respecté l'ancien délai de un an et six mois pour le partage judiciaire). De sorte que, chaque procédure prise isolément n'atteignait sans doute pas le niveau requis pour encourir les foudres de la CEDH. Prises isolément, oui... Mais prises ensemble ? Cela fait alors 11 ans, ce qui commence certainement à faire un peu beaucoup.
C'est cette seconde approche que la Cour de cassation refuse, en répondant au premier moyen que "la procédure tendant au prononcé du divorce et celle relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux n'ayant pas le même objet, la cour d'appel a à bon droit procédé à un examen séparé des deux procédures pour apprécier le caractère raisonnable des délais de jugement". L'honneur est sauf, parce qu'il s'agit de deux procédures distinctes par leur objet.
A priori, nul n'en disconviendra. D'abord le divorce, puis la procédure de liquidation partage. Chacune possède un objet bien différencié, c'est indéniable, et chacune commence par une assignation spécifique. Quoique... Est-ce si sûr ? Tout d'un coup le doute assaille l'annotateur, et l'évidence se dissipe dans les brumes d'une récente querelle doctrinalo-judiciaire : les deux procédures sont-elles si distinctes que cela ? Pour ceux de nos lecteurs qui auraient raté les épisodes précédents, il faut rappeler qu'un débat assez vif s'est instauré entre une partie de la doctrine et la Cour de cassation sur la façon d'articuler la procédure de divorce et celle du partage judiciaire. Une première opinion soutenait qu'il existait deux temps biens distincts, ce qui conduisait le juge du divorce à se dessaisir une fois le divorce prononcé, les parties étant renvoyées à s'entendre à l'amiable sur la liquidation, l'assignation en partage (nouvelle instance) n'intervenant qu'en l'absence de tout accord. Une seconde opinion soutenait, au contraire, qu'il était vain d'obliger à une phase amiable des parties qui n'étaient pas parvenues à s'entendre en présence d'un notaire "255, 10" (cf. C. civ., art. 255, 10° N° Lexbase : L2818DZE), et que mieux valait alors (précisément pour ne pas allonger inutilement les délais) considérer qu'il existe un "continuum" entre les deux procédures, avec pour conséquence que le juge du divorce peut désigner un notaire, et que la phase de partage judiciaire démarre alors sans autre formalité (et sans assignation spécifique).
On sait que la Cour de cassation a consacré la seconde opinion par trois arrêts fort remarqués du 7 novembre 2012 (1), et que cette jurisprudence fut réitérée en 2013 (2). Quels que soient les regrets que nous avons pu en concevoir à titre personnel, nous nous étions résigné à vivre avec ces arrêts (et ceux qui leur suivraient), convaincus que la première chambre civile ne changerait pas sa jurisprudence de sitôt. Pour tout dire, nous en étions même arrivé à nous dire que le temps montrerait les avantages d'une solution que nous peinions à comprendre et qu'il fallait faire confiance à la sagesse de nos Hauts magistrats qui n'avaient de toute évidence pas pris leur décision sans y réfléchir soigneusement. Mais cela, c'était jusqu'à la découverte de l'arrêt ici commenté. Car enfin, si la théorie du "continuum" possède quelque sens et quelque logique, c'est bien parce qu'elle postule que les deux procédures ne sont pas si distinctes que cela l'une de l'autre. En mettant de côté les critiques qu'une telle affirmation peut susciter, on est bien obligé d'admettre qu'il existe un lien entre les deux procédures. C'est bien pour cela que la thèse des auteurs qui soutenaient qu'il existait deux temps, deux procédures, a été condamnée. Le juge du divorce ne se dessaisit pas forcément. Il peut rester saisi, nommer un notaire et faire basculer l'ensemble en procédure de partage judiciaire.
Soit. Mais alors, comment concilier cela avec le motif du présent arrêt, lequel affirme précisément que les deux procédures ont un objet différent ? Nous avons beau retourner ce motif dans tous les sens, rien n'y fait : il affirme bien l'existence de deux procédures distinctes pour justifier l'absence de caractère déraisonnable des délais de jugement. La contradiction entre les deux jurisprudences nous semble irréductible. Certes, on dira probablement que l'arrêt du 7 novembre 2012 consacre un "continuum" sans affirmer clairement que c'est une seule et même procédure. Mais l'argument nous paraît verbeux : en condamnant la thèse de la dualité de procédures, la Cour de cassation n'a pu vouloir dire autre chose que cela. D'où le heurt direct avec le présent arrêt.
On peut aussi répondre que la décision commentée a été rendue sur le droit de la CEDH, et pas du tout sur les questions de procédures ayant conduit à l'arrêt du 7 novembre 2012. C'est vrai. Mais cela ne change rien au fond du problème : soit il y a deux procédures, soit il y en a une seule.
Il faudra donc attendre la suite de ce feuilleton pour savoir ce qu'il en est. Toutefois, nous voudrions faire observer, pour finir, que cette ambigüité pourrait bien finir par aider le demandeur de la présente affaire, ce qui serait un comble. En effet, la France passera certainement pour passablement hypocrite lorsqu'elle affirme qu'il y a deux procédures distinctes ici, pour éviter de condamner l'Etat français, alors qu'elle dit le contraire ailleurs... A moins, bien sûr, que cet arrêt marque un début d'abandon, tout en douceur, de la jurisprudence du 7 novembre 2012... Après tout, c'est de saison, il est permis de croire au Père Noël....
(1) Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, 3 arrêts, n° 12-17.394, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4319IWU), n° 11-10.449, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4311IWL), n° 11-17.377, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4313IWN). Parmi une doctrine fournie, v., E. Buat-Menard, Pouvoirs liquidatifs du juge du divorce : suite ou fin de l'imbroglio procédural ? AJF, 2012, p. 607 ; A. Depondt, Divorce et partage, une même instance ?, AJF, 2013, 87 ; J. Combret et N. Baillon-Wirtz, Liquidation et partage après divorce : une réforme urgente s'impose, JCP éd. N, 2013, 1036 ; nos obs., Articulation de divorce et de la procédure de liquidation-partage : la Cour de cassation se fait législateur, Gaz. Pal., 23-24 novembre 2012, p. 17 ; M. Nicod, La désignation du notaire liquidateur par le juge du divorce, sol. Not. 2/13, Doc. 53 ; S. Ferré-André, Du divorce au partage il n'y avait qu'un pas, où comment la Cour de cassation l'a mal franchi, Rev. Procédures, mai 2013, Etudes 6 ; il est au demeurant fort instructif de lire ce qu'en disait l'Avocat général, v. P. Chevalier, Gaz. Pal., 5 et 6 décembre 2012, p. 5.
(2) Cass. civ. 1, 12 juin 2013, n° 12-18.211, F-D (N° Lexbase : A5719KGW) ; Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-18.512, F-P+B (N° Lexbase : A1658KLY).
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Réf. : CJUE, 7 novembre 2013, aff. C-199/12 (N° Lexbase : A1423KPE)
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Le 20 Novembre 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 6 novembre 2013, n° 12-25.239, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9834KNK)
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Le 14 Novembre 2013
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Réf. : Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-20.263, FS-P+B (N° Lexbase : A2097KPD)
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N9379BTK
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Le 19 Novembre 2013
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N9343BT9
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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 14 Novembre 2013
En droit fiscal, les provisions, réglementées ou non, "constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements rendent probables" (CGI, art. 39, 5° N° Lexbase : L3894IAH), peuvent être déduites du résultat imposable à certaines conditions. Les conditions de précision et de probabilité dans leur réalisation et dans leur montant sont régulièrement rappelées par la jurisprudence (CE 8° et 9° s-s-r., 13 mars 1996, n° 129631, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8058ANR), ainsi que celle relative aux événements survenus pendant l'exercice et en cours à sa clôture (CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 1995, n° 93LY01690, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3391BGP). Un seul élément est certain dans le cadre d'une provision : son objet. Son exercice, qui peut être partiel, car c'est une faculté pour l'entreprise (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3351DET ; CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236707, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3352DEU), doit également répondre à des conditions de forme, c'est-à-dire être effectivement constaté dans les écritures comptables de l'entreprise avant l'expiration du délai de déclaration des résultats de l'exercice (CE Section, 4 mars 1983, n° 33788, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1946AMZ) et être porté sur le relevé spécial des provisions, ce qui ne signifie pas que la cause de la provision doit y être précisée (CE 7° 8° 9° s-s-r., 29 avril 1969, n° 74863, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9704B8W).
Au cas particulier, à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a réintégré, au titre de l'exercice clos en 1999, des provisions constituées au titre de sommes que la société guadeloupéenne contrôlée aurait dû payer au Fonds national pour l'emploi à la suite de conventions signées en 1997 avec le ministère du Travail. Le régime de l'allocation spéciale du Fonds national de l'emploi (FNE), créé par la loi n° 63-1240 du 18 décembre 1963 et qui a été abrogé à compter du 1er janvier 2012, permettait le versement d'une allocation jusqu'à l'âge légal de départ à la retraite du salarié ayant fait l'objet d'une procédure de licenciement. Selon l'administration fiscale, le paiement des sommes dues au FNE aurait dû être effectif aux dates mentionnées dans ces conventions même si ces versements devaient être effectués après appel des fonds par le directeur départemental du travail. L'administration fiscale soulignait que la société contribuable était dans l'incapacité de démontrer que les sommes considérées n'avaient pas été versées et qu'elles étaient toujours exigibles à la clôture de l'exercice 1999. En appel (CAA Versailles, 3ème ch., 14 juin 2011, n° 10VE02616, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9186HW7), la juridiction versaillaise constatera que la créance était bien liquide et exigible, certaine dans son principe et que les conventions comportaient les éléments de calcul permettant de déterminer les montants devant être versés. Cependant, selon la cour administrative d'appel de Versailles, la loi fiscale interdit la déduction des provisions pour indemnités de licenciement pour motif économique (dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : CGI, art. 39-1-5° N° Lexbase : L1213HLI) à compter des exercices clos depuis le 15 octobre 1997. Précisons que, selon la doctrine administrative, l'impossibilité de déduire une provision ne concerne que les licenciements pour cause économique, qu'ils soient individuels ou collectifs (instruction du 20 mars 1998, BOI 4 E-1-98, n° 11 ; BOI-BIC-PROV-30-20-10-20, n° 190 N° Lexbase : X4039AL8), ce qui exclut par conséquent le licenciement pour motif personnel ou le licenciement à l'issue d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. En revanche, les provisions constituées en vue de licenciements prononcés lors d'une procédure de sauvegarde entrent dans le champ d'application de l'article 39-1-5° du CGI.
De plus, l'instruction de 1998 applicable aux faits de l'espèce (instruction du 20 mars 1998, BOI 4 E-1-98, n° 16 N° Lexbase : X0986AAR), et reprise depuis lors dans la doctrine administrative la plus récente (BOFiP-Impôts, BOI-BIC-PROV-30-20-10-20, 3 décembre 2012, § 240), dresse une liste des sommes dont le versement n'est pas concerné par les dispositions précitées dès lors qu'elles ne sont pas directement liées au licenciement pour motif économique : on y retrouve la part des contributions mises à la charge des entreprises dans le cadre de conventions passées avec le Fonds national de l'emploi. On appréciera également le caractère particulièrement byzantin de cette réglementation permettant de faire le départ entre ce qui est déductible et ce qui ne l'est pas : c'est assurément une source d'insécurité juridique pour les opérateurs économiques. Par la décision du 1er octobre 2013, le Conseil d'Etat censure le raisonnement adopté par la juridiction d'appel au motif que les contributions mises à la charge de la contribuable, à la suite de la signature de la convention d'allocation spéciale du FNE, ne constituaient pas des allocations versées en raison du départ en retraite ou préretraite de son personnel ou de ses mandataires sociaux. Par conséquent, la provision constituée à ce titre ne relevait pas du champ d'application de l'article 39-1-5° du CGI rappelant, à nouveau, le caractère strict de l'exception à la règle générale de déduction des provisions régulièrement constituées.
Le développement des échanges internationaux a incité les Etats à conclure, notamment, des conventions fiscales bilatérales afin d'éliminer les situations de double imposition et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale au moyen d'échanges de renseignements et d'une assistance au recouvrement. Enfin, l'insertion d'une clause de non-discrimination permet de protéger les nationaux, ou les entreprises qu'ils contrôlent, contre les discriminations fiscales dans l'autre Etat contractant. Les conventions fiscales bilatérales édictent les modalités pour éviter la double imposition (l'exonération ou le crédit d'impôt étranger), ainsi que la répartition du droit d'imposer.
Traditionnellement, s'agissant des revenus des non-résidents provenant de leurs biens immobiliers, le droit d'imposer est réservé au lieu de situation de l'immeuble même en l'absence d'établissement stable -ce qui se comprend aisément- (CE 9° et 8° s-s-r., 30 mai 1980, n° 12790, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5903AIH) et on se reportera à une récente jurisprudence quant aux conséquences de revenus de droits immobiliers inscrits à l'actif d'une succursale italienne immatriculée en France constitutive d'un établissement stable (CE 3° et 8° s-s-r., 5 avril 2013, n° 349741, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6573KB3). Cependant, la lecture attentive de chaque convention s'impose, notamment quant à la qualification de revenus immobiliers perçus par des entreprises. Au cas particulier, toute la question était de déterminer ce qu'il fallait entendre par la mention "revenus de biens immobiliers" insérée à l'article 5 de la Convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L5161IEU). Quelques lignes sont consacrées par la doctrine administrative à cette notion dans un cadre bilatéral (D. adm. 4 H 1422 n° 32, 1er mars 1995 ; BOI-INT-DG-20-20-40, 12 septembre 2012, § 10 et s. N° Lexbase : X4627ALX) et la jurisprudence publiée relative aux litiges entre l'administration fiscale et les contribuables sur ce point reste assez rare (v. par exemple : CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296471, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1243EKA).
Les faits de l'espèce concernent une société française, dont l'objet est la location d'immeubles à des filiales d'un groupe intégré dont elle fait partie, et qui a acquis un immeuble à Londres financé par une augmentation de capital, un contrat d'échange de devises et un emprunt à long terme qui ont généré des produits financiers tenant en des gains de change et des écarts de conversion positifs. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que ces produits financiers devaient être réintégrés dans la base imposable de la société française. Au visa des articles 209 (N° Lexbase : L0159IWS) et 38 (N° Lexbase : L5678IXL) du CGI, ainsi que de l'article 5 de la Convention fiscale franco-britannique, le Conseil d'Etat approuve la juridiction d'appel (CAA Versailles, 6ème ch., 9 juin 2011, n° 10VE01416, inédit au recueil Lebon) d'avoir considéré que les produits en litige ne pouvaient pas être considérés comme des revenus immobiliers car ils ne provenaient pas de l'exploitation de cet immeuble. La solution semble logique dès lors que les produits litigieux étaient la conséquence d'opérations ne portant pas sur l'immeuble en tant que tel mais sur son financement.
La sous-capitalisation entre entreprises liées fait l'objet d'une attention particulière des Etats membres de l'Union européenne dès lors qu'elle entraîne une érosion de la base imposable de la société emprunteuse, du fait de la déduction des intérêts, au profit d'une société prêteuse située dans un autre Etat de l'UE. Les Etats redoutent, par conséquent, que le bénéfice d'une société ne soit pas imposé dans l'Etat où il aurait été généré (1). La France, toujours en pointe pour la mise en place d'une législation fiscale d'exception, limite la déduction des intérêts versés par une société liée soumise à l'IS en cas de sous-capitalisation (2) (CGI, art. 212 N° Lexbase : L5196IRU ; BOI-IS-BASE-35-20, 29 mars 2013 N° Lexbase : X4067AL9 -disposition réécrite par la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET), sous l'influence du droit communautaire tel qu'interprété par le Conseil d'Etat dans sa décision "Coréal Gestion" (CE Section, 30 décembre 2003, n° 249047, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6490DAM) et de la violation de la clause de non-discrimination insérée dans les conventions fiscales bilatérales, notamment celle conclue entre la France et l'Autriche (N° Lexbase : L6665BHC ; CE Section, 30 décembre 2003, n° 233894, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6487DAI). L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne concerne une société portugaise de location de véhicules automobiles -dont le capital est détenu, selon les années en litige, par une ou plusieurs sociétés situées dans un Etat de l'Union européenne- qui a souscrit un contrat de prêt auprès de l'une d'entre elles. Après avoir tenté -en vain- de démontrer auprès du directeur général des impôts que, pour chacune des années en cause entre 2004 et 2007, le niveau d'endettement de la société portugaise emprunteuse était conforme au principe de pleine concurrence -ce qui signifie que les conditions de cet emprunt étaient équivalentes à celles qui auraient été conclues avec une entreprise indépendante- la contribuable a porté l'affaire devant les juridictions internes compétentes.
Saisi par les juges portugais à titre préjudiciel (3), l'organe judiciaire de l'Union européenne censure la législation portugaise, qui vise la notion sibylline de "relations spéciales" entre les entreprises considérées, au regard de la liberté de circulation des capitaux (4) (TFUE, art. 63 (5) N° Lexbase : L2713IP8 ; anc. art. 56 du Traité ; v. pour un exemple de la violation de la liberté de circulation des capitaux et la modification législative française en conséquence : CJUE, 10 mai 2012, aff. C-338/11 N° Lexbase : A9035IKT ; loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ). En effet, la législation portugaise dissuade les entreprises résidentes de s'endetter auprès d'une entreprise avec laquelle elles entretiennent des "relations spéciales" : il s'agit là d'une restriction à la libre circulation des capitaux qui ne peut être justifiée que des raisons impérieuses d'intérêt général et sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif en mettant à la charge du contribuable des contraintes administratives excessives (v. par exemple : CJUE, 13 novembre 2012, aff. C-35/11 N° Lexbase : A7338IWP ; CJUE, 29 novembre 2011, aff. C-371/10 N° Lexbase : A0292H39 ; CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-250/08 N° Lexbase : A4927H3U). Au cas particulier, la Cour considère que la loi portugaise discutée va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif. En effet, si la liberté de circulation des capitaux cède devant un montage purement artificiel dépourvu de réalité économique dans le seul but d'éluder l'impôt (v. parmi l'importante jurisprudence rendue sur ce point : CJUE, 20 juin 2013, aff. C-653/11 N° Lexbase : A7918KGD ; CJCE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7 ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96 N° Lexbase : A0410AW4), la législation en cause vise des comportements de contribuables qui n'ont rien d'artificiel.
De plus, le mode de calcul de l'excès d'endettement et la notion particulièrement large des "relations spéciales" employée dans le texte portugais, qui englobe notamment des sociétés qui ne sont pas liées sur le plan capitalistique, entraînent une qualification systématique d'endettement excessif : la rédaction du texte examiné ne permet par conséquent pas de déterminer au préalable, et avec une précision suffisante, son champ d'application ; ce qui est une entorse au principe de sécurité juridique. La Cour reprend la motivation qu'elle avait déjà énoncée dans plusieurs décisions antérieures (v. notamment : CJUE, 5 juillet 2012, aff. C-318/10 N° Lexbase : A3542IQA ; CJCE, 21 juin 1988, aff. C-257/86 N° Lexbase : A8404AUS), en réaffirmant cette exigence de sécurité juridique, d'autant que les conséquences, issues de la loi soumise à sa censure, peuvent être défavorables aux intérêts des contribuables. Cette sécurité juridique, soeur jumelle de la loyauté et de la confiance légitime, assure la persistance d'un système fiscal dans une société démocratique qui repose sur le très fragile consentement à l'impôt. L'Histoire ne nous démentira pas.
(1) § 33 de l'arrêt du 3 octobre 2013 commenté.
(2) "II.-1. Lorsque le montant des intérêts servis par une entreprise à l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 et déductibles conformément au I excède simultanément au titre d'un même exercice les trois limites suivantes : a) Le produit correspondant au montant desdits intérêts multiplié par le rapport existant entre une fois et demie le montant des capitaux propres, apprécié au choix de l'entreprise à l'ouverture ou à la clôture de l'exercice et le montant moyen des sommes laissées ou mises à disposition par l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 au cours de l'exercice, b) 25 % du résultat courant avant impôts préalablement majoré desdits intérêts, des amortissements pris en compte pour la détermination de ce même résultat et de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l'issue du contrat, c) Le montant des intérêts servis à cette entreprise par des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39, la fraction des intérêts excédant la plus élevée de ces limites ne peut être déduite au titre de cet exercice, sauf si cette fraction est inférieure à 150 000 euros".
(3) "Les articles 63 [TFUE] (N° Lexbase : L2713IP8) et 65 [TFUE] (N° Lexbase : L2715IPA) (ex-articles 56 [CE] et 58 [CE]) s'opposent-ils à une législation nationale comme l'article 61 du CIRC [...] qui, dans une situation où un assujetti résidant au Portugal est endetté auprès d'une entité d'un pays tiers avec laquelle il entretient des relations spéciales au sens de l'article 58, paragraphe 4, du CIRC, n'admet pas que les intérêts supportés et payés par cet assujetti sur la fraction de l'endettement considérée comme excessive au sens de l'article 61, paragraphe 3, du CIRC soient déductibles en tant que charge dans les mêmes circonstances que les intérêts supportés et payés par un assujetti résidant au Portugal, dont l'excès d'endettement est constitué vis-à-vis d'une entité résidant au Portugal avec laquelle il entretient des relations spéciales ?", § 12 de l'arrêt du 3 octobre 2013.
(4) "L'article 56 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un Etat membre qui ne permet pas de déduire en tant que charge, aux fins de la détermination du bénéfice imposable, les intérêts afférents à la partie d'un endettement qualifiée d'excessive versés par une société résidente à une société prêteuse établie dans un pays tiers avec laquelle elle entretient des relations spéciales, mais permet la déduction de tels intérêts versés à une société prêteuse résidente avec laquelle la société emprunteuse entretient de telles relations, lorsque, en cas d'absence de participation de la société prêteuse établie dans un pays tiers au capital de la société emprunteuse résidente, cette réglementation présume néanmoins que tout l'endettement de cette dernière participe d'un montage visant à éluder l'impôt normalement dû ou lorsque ladite réglementation ne permet pas de déterminer au préalable et avec une précision suffisante son champ d'application", § 46 de l'arrêt du 3 octobre 2013.
(5) "Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. 2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
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Réf. : CJUE, 7 novembre 2013, aff. C-322/11 (N° Lexbase : A1411KPX)
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Le 15 Novembre 2013
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Réf. : TGI Paris, 17ème ch., 6 novembre 2013, n° 11/07970 (N° Lexbase : A0966KPH)
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Le 14 Novembre 2013
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Réf. : Cass. soc., 29 octobre 2013, n° 12-22.447, FS-P+B (N° Lexbase : A8165KNQ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 15 Novembre 2013
Résumé
En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d'un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur. |
I - Nullité du licenciement prononcé en violation de la liberté fondamentale d'agir en justice
Origines. La Cour de cassation a engagé, à partir de l'arrêt "Clavaud" rendu en 1988 (2) et plus encore après l'arrêt "Hugues" de 2001 (3), un mouvement visant à rendre plus effective la protection des droits fondamentaux du travailleur en annulant toute rupture du contrat de travail prononcée en violation de ses droits essentiels, et ce alors que le législateur n'aurait pas explicitement prévu dans ce cas la nullité de la mesure.
La Cour de cassation s'est montrée pendant une grande décennie économe de l'application de cette possibilité d'annulation exorbitante du droit commun, écartant de nombreuses hypothèses (4) pour n'en retenir qu'une, celle d'une atteinte à la "liberté fondamentale de la défense" et du droit de produire des écrits en justice (5).
Le refus d'annuler les mesures de rétorsion à l'égard de salariés, qui avaient le mauvais goût de saisir le juge pour faire trancher leur différend professionnel, a été critiqué car ces mesures portent clairement atteinte au droit au juge fondé par la Cour européenne des droits de l'Homme sur l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).
Ces critiques ont porté leur fruit et l'année 2013 a vu la Haute juridiction assurer la protection effective de ce droit fondamental en revenant sur son refus d'annuler la rupture du CDD du salarié qui a saisi le juge d'une demande de requalification (6), puis en annulant le licenciement disciplinaire d'un salarié qui refusait un arrangement contraire à une décision du Conseil de Prud'hommes frappée d'appel (7).
Il faudra désormais ajouter ce nouvel arrêt en date du 29 octobre 2013, qui confirme les termes de la précédente décision en date du 28 mars 2006.
L'affaire. Un salarié avait été licencié pour avoir rédigé une attestation prétendument mensongère destinée à être produite dans le cadre d'un litige prud'homal concernant un autre salarié, et d'avoir informé de cette démarche des collègues de travail.
La juridiction d'appel avait refusé d'annuler ce licenciement après avoir relevé que, contrairement aux allégations du salarié, le licenciement reposait non pas sur une atteinte à sa liberté de témoigner, mais sur le fait qu'il avait rédigé une fausse attestation et informé ses collègues de travail de son intention de témoigner en faveur d'un autre salarié, donnant ainsi une publicité à son opposition envers sa direction.
Cet arrêt est cassé au visa des articles 6 et 10 (N° Lexbase : L4743AQQ) de la CESDH, la Haute juridiction affirmant, dans un attendu de principe, "qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d'un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur".
1 - Une confirmation justifiée
Une confirmation. Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation assure ainsi la liberté de témoigner en justice du salarié, puisqu'en 2006 la Haute juridiction avait adopté une solution similaire dans l'arrêt "Agboton" (8). Il s'agissait déjà à l'époque, d'un salarié licencié en raison de la teneur d'attestations produites dans une instance opposant l'employeur à un collègue licencié, les écrits ayant été considérés comme "injurieux". La cour d'appel de Paris avait également refusé d'annuler le licenciement, et son arrêt avait été cassé au visa des articles 41 de la loi du 29 juillet 1881 et L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) devenu l'article L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P). C'est cette fois-ci, c'est la cour d'appel de Riom qui essuie les foudres de la Cour de cassation, et ce au double visa des articles 6 (droit au juge) et 10 (liberté d'expression) de la CESDH.
Cette solution appelle plusieurs remarques.
Un visa inédit. La première remarque concerne le visa de la censure et le rattachement direct de la solution au droit européen des droits de l'Homme.
En quelques jours, la Cour de cassation a donc, au visa de l'article 6 § 1de la CESDH, consacré deux solutions originales après avoir annulé le licenciement d'un salarié en raison d'un atteinte à l'égalité des armes (9), sans aucun relais dans le droit national, et singulièrement sans visa de l'article L. 1121-1 du Code du travail qui apparaissait auparavant (10). Voilà qui démontre, s'il en était encore besoin, à quel point la CESDH a pénétré profondément le droit national, et à quel point le juge national est devenu le garant de l'application de la Convention au quotidien.
Le double visa des articles 6 et 10 de la Convention est inédit dans la jurisprudence de la Chambre sociale, mais est apparu dans deux décisions de deux autres chambres de la Cour de cassation dans des affaires finalement comparables puisqu'elles concernaient la protection de la liberté de témoigner en justice.
En 2003, tout d'abord, la Chambre criminelle avait jugé que "le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du chef de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces d'une information en cours de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires" (11).
En 2008, ensuite, la première chambre civile avait visé ces deux textes, ainsi que l'article 183 du décret du 27 novembre 1991, pour protéger un avocat accusé d'avoir manqué à son obligation de confraternité, la Cour de cassation ayant retenu que "la teneur des conclusions incriminées n'excédait pas la mesure appropriée aux nécessités de l'exercice des droits de la défense à l'occasion d'un recours tendant à l'annulation d'un jugement et fondé sur la contestation de l'impartialité de la juridiction dont cette décision émanait" (12).
Une configuration litigieuse particulière. La deuxième remarque porte sur la singularité de la situation par rapport à la décision rendue le 9 octobre concernant l'égalité des armes.
Dans cette précédente affaire, en effet, comme dans d'autres (13), le visa de l'article 6 § 1 protégeait le salarié en litige avec son employeur. Ici, il s'agit d'un salarié ayant témoigné dans un différend opposant son employeur à un collègue, ce qui explique que la Cour ait fait référence à la "liberté fondamentale de témoigner", "garantie d'une bonne justice". L'affirmation permet donc de généraliser la protection du droit de témoigner en justice, qui n'avait été jusque là reconnue que dans quatre cas très limités (14), à tel point d'ailleurs qu'on pourrait se demander si, au titre des droits fondamentaux du salarié, il ne serait pas utile de créer dans le Code du travail un article nouveau protégeant la liberté fondamentale de témoigner du salarié, soit distinctement, soit en ajoutant un nouveau motif discriminatoire à l'article L. 1132-1 (N° Lexbase : L8834ITD).
L'exception de mauvaise foi. La troisième remarque porte sur la limite que constitue la "mauvaise foi" et qui avait déjà été retenue s'agissant du salarié qui dénonce des faits de harcèlement (15).
Cette précision est parfaitement justifiée et apparaît d'ailleurs dans le texte qui protège depuis 2007 les salariés qui dénoncent ou témoignent de faits de corruption (16) et dans l'article 3 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), qui protège d'une manière générale la "personne ayant témoigné de bonne foi d'un agissement discriminatoire ou l'ayant relaté" (17).
Cette précision est légitime, non seulement pour des raisons de bon sens, mais aussi par application du principe selon lequel "la fraude corrompt toute chose" et dont la Cour de cassation n'hésite pas à faire application pour empêcher une personne de mauvaise foi de tirer profit d'une situation qu'elle a frauduleusement provoquée (18).
(1) Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-17.882, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6852KMQ)), v. nos obs. Nullité du licenciement en raison de la violation par l'employeur du principe de l'égalité des armes, Lexbase Hebdo n° 545 du 24 octobre 2013 édition sociale (N° Lexbase : N9072BT8).
(2) Cass. soc., 28 avril 1988, JCP éd. E, 1988, obs. B. Teyssié ; Dr. soc., 1988, p. 428, concl. H. Ecoutin, note G. Couturier ; Dr. ouvrier 1988, p. 133, note G. Couturier ; D., 1988, p. 249, concl. H. Ecoutin, note A. Jeammaud et M. Le Friand ; D., 1988, pp. 63-70 concl. Jean-Maurice Verdier ; D., 1988, p. 437, obs. E. Wagner ; RPDS,1988, p. 184, note G. Lyon-Caen ; RPDS, 1988, p. 218, note M. Cohen ; Cons. prud'h. Montluçon, 24 novembre 1986, Dr. ouvr., 1986, p. 203, note G. Lyon-Caen ; Dr. ouvrier 1987, p. 1, note M. Henry ; CA Riom, 2 mars 1987, D., 1987, p. 427, note E. Wagner ; Dr. ouvr., 1987, p. 100 , note G. Lyon-Caen).
(3) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-45.735 F-D (N° Lexbase : A0149ATP); Dr. soc., 2001, p. 1117, obs. C. Roy- Loustaunau ; Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.978, F-D (N° Lexbase : A8553DIM) ; Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-46.027, F-D (N° Lexbase : A1730DNE).
(4) Pas de nullité en cas de saisine du juge d'une demande de requalification de CDD en CDI : Cass. soc., 13 mars 2001 préc. - Pas de liberté fondamentale de se vêtir librement : Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A6668CK8), Dr. soc., 2003, p. 808, chron. P. Waquet ; JCP, éd. G, 2003, note D. Corrignan-Carsin. P. Lokiec, Tenue correcte exigée. Des limites à la liberté de se vêtir à sa guise ; Dr. soc., 2004, p. 132. Pas de nullité pour une violation du principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état : Cass. soc., 31 mars 2004, 01-46.960, FS-P+B (N° Lexbase : A7474DBG), Dr. soc., 2004, p. 666, v. nos obs. Pas le droit de saisir le juge d'une demande en rétablissement de l'égalité salariale : Cass. soc., 20 février 2008, n° FS-P (N° Lexbase : A0557D7R) Dr. soc., 2008, p. 530.
(5) Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-41.695, FS-P+B (N° Lexbase : A8616DNG).
(6) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-11.740, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6281I7R), v. les obs. de B. Gauriau La protection du droit d'agir en justice à l'épreuve du droit de la rupture anticipée du CDD, Lexbase Hebdo n° 519 du 14 mars 2013 édition sociale (N° Lexbase : N6134BTD) ; Procédures, 1er avril 2013, p. 21, note A. Bugada ; Dr. soc., 2013 p. 415, chron. J. Mouly ; JCP éd. S, 2006, n° 19, p. 24, obs. PY Verkindt.
(7) Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-17.882, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6852KMQ), v. nos obs. Nullité du licenciement en raison de la violation par l'employeur du principe de l'égalité des armes, Lexbase Hebdo n° 545 du 24 octobre 2013 édition sociale (N° Lexbase : N9072BT8).
(8) Arrêt Agboton, préc..
(9) Cass. soc., 9 octobre 2013, préc..
(10) Elle a également censuré, au visa de l'article 6 § 1, une décision dans laquelle le président avait accusé l'employeur d'avoir "réinventé le servage", la Haute juridiction estimant que la cour d'appel avait statué en "des termes injurieux et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité" : Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 12-16.840, F-D (N° Lexbase : A4684KNS).
(11) Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-86.696, F-P+F+I (N° Lexbase : A1988A7R). Confirmation de Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85.237, F-P+F+I (N° Lexbase : A8855AYM) : un journaliste ne peut être poursuivi pour recel alors qu'il a produit en justice des pièces couvertes par le secret de l'instruction, dès lors que cette production a été rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense (Rev. science crim., 2002, p. 619, note J. Francillon et p. 881, note J.-F. Renucci ; D., 2002, p. 2453).
(12) Cass. civ. 1, 3 juillet 2008, n° 07-15.493, F-D (N° Lexbase : A4898D9B).
(13) Salarié ayant saisi le juge d'une demande en requalification d'un CDD, ou de rétablissement de l'égalité salariale (Cass. soc., 20 février 2008, préc.).
(14) C. trav., art. L. 1132-3 (N° Lexbase : L0678H9Y), C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM), C. trav., art. L. 1153-2 (N° Lexbase : L8842ITN) et C. trav., art. L. 1161-1 (N° Lexbase : L0763H97).
(15) Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH), v. nos obs., Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(16) C. trav., art. L. 1161-1 (N° Lexbase : L0763H97).
(17) La même réserve existe pour les salariés "lanceurs d'alerte" dans la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013, relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (N° Lexbase : L6336IWL) (C. trav., art. L. 4133-1 N° Lexbase : L6380IW9 et art. L. 4133-2 N° Lexbase : L6381IWA).
(18) Ainsi le salarié qui refuse de signer son CDD ou son contrat de mission pour espérer en obtenir ultérieurement la requalification : Cass. soc., 24 mars 2010, n° 08-45.552, FS-P+B (N° Lexbase : A1563EUG), RDT, 2010, p. 366 ; v. nos obs. La fraude (du salarié) corrompt toute chose, Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7275BNR). Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-12.091, FS-P+B (N° Lexbase : A3741IEB), v. les obs. de G. Auzero, Le salarié ayant délibérément refusé de signer un CDD de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse ne peut obtenir sa requalification en CDI, Lexbase Hebdo n° 478 du 22 mars 2012 édition sociale (N° Lexbase : N0880BTR) ; s'agissant du bénéfice du statut de conjoint salarié, écarté en cas de fraude : Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 02-45.866, F-P+B (N° Lexbase : A4698DEQ), v. les obs. S. Martin-Cuenot, La fraude corrompt tout : application au conjoint du chef d'entreprise salarié -Lexbase Hebdo n° 149 du 6 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4165ABU).
Décision
Cass. soc., 29 octobre 2013, n° 12-22.447, FS-P+B (N° Lexbase : A8165KNQ). Cassation partielle (CA Riom, 4ème ch. soc, 15 mai 2012, n° 10/03299 N° Lexbase : A6825ILD). Textes visés : CESDH, art. 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 10 (N° Lexbase : L4743AQQ) de la CESDH. Mots clef : licenciement, nullité, liberté fondamentale de témoigner. Liens base : (N° Lexbase : E9237ESW). |
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Réf. : Cass. crim., 6 novembre 2013, n°13-83.798, F-P+B (N° Lexbase : A2227KP8)
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N9401BTD
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Le 20 Novembre 2013
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Réf. : Cass. crim., 6 novembre 2013, n° 12-87.130, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9814KNS)
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N9321BTE
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Le 14 Novembre 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 12-25.941, F-P+B+I (N° Lexbase : A1768KMG)
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N9295BTG
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par Carine Bernault, Professeur à l'Université de Nantes
Le 14 Novembre 2013
I - Rencontre fortuite et réminiscence : l'élément intentionnel de la contrefaçon
Il convient, tout d'abord, de revenir sur le principe qui veut donc, désormais, que la contrefaçon puisse être écartée si le défendeur "démontre que les similitudes existant entre les deux oeuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d'une source d'inspiration commune". Il ne s'agit pas là d'une solution nouvelle puisqu'elle avait déjà été posée, dans les mêmes termes, dans une décision du 16 mai 2006 (2). Il faut toutefois étudier le rapport entre les deux cas de figure envisagés.
Pour présenter l'hypothèse des rencontres fortuites, on fait souvent référence au hasard (3). Les similitudes entre les oeuvres résulteraient donc d'un concours de circonstances. Les "réminiscences issues d'une source d'inspiration commune", en revanche, ne sont pas réellement le fruit du hasard. Elles s'expliquent par le fait que les deux créations s'inspirant d'un même "fonds commun", par exemple d'un même folklore, elles vont presque inévitablement se ressembler alors même que l'auteur de l'oeuvre seconde n'a pas voulu copier l'oeuvre première.
Dans les deux cas, cela revient à dire que la contrefaçon est réalisée de manière involontaire. Donc pour résumer, les juges rappellent ici que le défendeur peut échapper à la condamnation pour contrefaçon s'il démontre que celle-ci a été commise de manière inconsciente. Cela recoupe alors la contrefaçon réalisée par hasard (rencontre fortuite) et celle qui s'explique par une inspiration commune (réminiscences) (4). La standardisation des oeuvres déjà constatée dans certains secteurs peut laisser penser que ces hypothèses seront de plus en plus fréquentes (5).
Il s'agit donc de ne pas condamner "le contrefacteur malgré lui" (6), ce qui peut se recommander d'une certaine logique. Ainsi, en matière pénale, on a rappelé que les juges ont adopté une présomption de mauvaise foi à l'encontre du contrefacteur. Il s'agit d'une présomption simple qui peut succomber devant la preuve contraire. Dès lors, l'existence de rencontres fortuites ou de réminiscences permettrait au contrefacteur d'échapper à la condamnation en démontrant sa bonne foi.
En revanche, en matière civile, la bonne foi du contrefacteur est indifférente (7). La Cour rappelle d'ailleurs implicitement ce principe en affirmant que "la contrefaçon de cette oeuvre résulte de sa seule reproduction " (8). Pourtant, la position adoptée ici par les juges paraît peu compatible avec ce principe. En effet, comment expliquer que le contrefacteur puisse échapper à la condamnation pour contrefaçon en démontrant que celle-ci a été commise de manière inconsciente (rencontres fortuites ou réminiscences) alors même que sa bonne ou mauvaise foi devrait être indifférente ? Peut-être faut-il alors amender le principe bien connu pour dire que la bonne foi est indifférente, sauf en cas de rencontre fortuite ou de réminiscence due à une inspiration commune (9) ?
En tout cas, contrairement à ce que pourrait laisser croire cet arrêt, il nous semble que la question de la création indépendante, liée à la preuve de l'accès à l'oeuvre contrefaite, doit être clairement distinguée de celle des rencontres fortuites et réminiscences puisque ce n'est plus l'élément intentionnel mais bien l'élément matériel de la contrefaçon qui est en jeu.
II - Création indépendante : l'élément matériel de la contrefaçon
Pour la Cour de cassation, il appartient au défendeur de prouver qu'il n'a pas pu accéder à l'oeuvre supposée contrefaite par ses soins. Cette fois-ci, on ne se situe plus sur le terrain de la bonne ou mauvaise foi du défendeur mais bien sur celui de la définition même de l'acte matériel de contrefaçon.
Il ne peut y avoir sanction au titre de la contrefaçon que si un emprunt a été fait à l'oeuvre contrefaite. Or, si le demandeur n'a pas pu accéder à cette oeuvre, soit parce qu'il en ignorait réellement l'existence, soit parce qu'elle lui était inaccessible, alors cet emprunt est inexistant et un élément constitutif de la définition de la contrefaçon fait défaut.
Il est totalement légitime que la charge de cette preuve pèse sur le défendeur. Pourtant, tel n'a pas toujours été le cas. Les juges ont parfois considéré qu'il appartenait au demandeur de prouver que son "adversaire" avait bien eu accès à son oeuvre (10), ce qui explique sans doute la position des juges du fond en l'espèce. La solution consacrée ici est beaucoup plus orthodoxe dans la mesure où, comme le prévoit l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle visé par la Cour, une oeuvre est protégée "du seul de fait de sa création".
La charge de la preuve est ainsi répartie entre les "adversaires". Le demandeur à l'action en contrefaçon doit prouver que son oeuvre a été créée avant celle du défendeur. Ensuite, il appartient à ce dernier de démontrer qu'il n'avait pas pu y accéder avant l'élaboration de sa propre création. Cela revient donc à démontrer qu'il a créé son oeuvre de manière totalement indépendante. Reste, il faut le reconnaitre, qu'il sera souvent difficile pour le défendeur de prouver qu'il n'a pas accédé à l'oeuvre supposée contrefaite. Le nombre d'oeuvres accessibles sur internet, et donc potentiellement depuis le monde entier, ne cesse de croitre. Par ailleurs, si l'oeuvre première a bel et bien été exploitée sur le territoire où vivait le défendeur au moment où il a créé l'oeuvre seconde, il lui sera sans doute difficile d'échapper à la condamnation pour contrefaçon (11). Enfin, plus l'oeuvre première aura rencontré un large succès, plus il sera difficile de prétendre ne pas y avoir accédée.
Pour conclure, il nous paraît donc discutable d'établir un lien entre cette question de la création indépendante et celles des rencontres fortuites ou des réminiscences. Dans le premier cas de figure, l'auteur ignore l'existence et le "contenu" de l'oeuvre préexistante, alors que dans les hypothèses suivantes, il en connaît l'existence mais s'en est inspiré de manière inconsciente. Très concrètement, le défendeur devra donc démontrer qu'il n'a pas eu accès à l'oeuvre dans le premier cas, alors qu'il devra prouver qu'il n'était pas conscient de se livrer à un acte de contrefaçon dans les autres hypothèses. Ce sont bien là deux situations différentes.
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N9326BTL
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par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Le 14 Novembre 2013
La première concerne le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 N° Lexbase : A3984KIE). Dans la suite de la décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 (N° Lexbase : A2619IUK) à propos des services d'instruction et du collège de l'Autorité de la concurrence, cette décision met en lumière le rôle joué par le contentieux constitutionnel en matière de régulation sectorielle. Il revient notamment au Conseil constitutionnel de s'assurer que les fonctions de poursuite et d'instruction sont effectivement séparées du pouvoir de sanction au sein d'une autorité administrative indépendante exerçant un tel pouvoir. Si une séparation organique (qui existe par exemple à l'AMF et à l'HADOPI) n'est pas nécessairement imposée par la Constitution, une séparation fonctionnelle doit au moins établir des garanties qui permettent de s'assurer de l'indépendance des fonctions.
La seconde censure à mentionner, prise sur la base d'un moyen soulevé d'office, concernent les dispositions qui soustraient les entreprises publiques à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 N° Lexbase : A1823KKQ). Le législateur a commis une incompétence négative en ne fixant pas la liste des entreprises publiques concernées et en se bornant à renvoyer au décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui seraient soumises à cette obligation. Au coeur de cette affaire, se trouvait la question de savoir si la notion d'entreprise publique est, ou non, suffisamment établie et précise, thème récurrent du droit public économique. Si la référence au critère du capital s'impose en matière de nationalisations et privatisations ou de participation de l'Etat dans l'économie, un tel critère est moins évident, en particulier, lorsqu'il s'agit de déterminer les règles qui s'appliquent au personnel des entreprises publiques. Le Conseil constitutionnel a repris à son compte les imprécisions affectant le champ d'application de la notion d'entreprise publique, en particulier en droit du travail.
I - Champ d'application
A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1 - Notion de "disposition législative"
Lorsqu'il est saisi de dispositions législatives partiellement modifiées par une ordonnance non ratifiée et que ces modifications ne sont pas séparables des autres dispositions, il revient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur celles de ces dispositions qui revêtent une nature législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), en prenant en compte l'ensemble des dispositions qui lui sont renvoyées. C'est ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 précitée. Il s'agit d'une solution inédite car jusqu'alors, dans les cas soumis au Conseil, les dispositions non législatives étaient séparables des autres. Le Conseil constitutionnel ne fait toujours porter son contrôle que sur les dispositions législatives mais, en cas d'inséparabilité, il prend en considération (en les citant) les dispositions non législatives insérées dans l'article examiné afin d'apprécier la conformité des dispositions contestées. Des dispositions non législatives peuvent, ainsi, ne pas être séparables, pas tant formellement que fonctionnellement, des dispositions législatives ! On peut approuver cette extension logique.
Autre solution importante à retenir : il n'est pas possible de soulever en QPC l'inconstitutionnalité d'un texte de loi dans son ensemble. La QPC n'est pas un "procès à la loi" en général. La notion de "disposition législative" requiert précisément que les questions soient ciblées, qu'elles aient pour objet la (ou les) disposition(s) législative(s) pertinente(s). C'est en ce sens que la validité de la saisine du Conseil constitutionnel portant sur l'ensemble d'une loi a été rejetée dans la décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 (N° Lexbase : A1193KKE) qui fera date. Pour la première fois, le Conseil était saisi de l'intégralité d'une loi (loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004, relative à l'octroi de mer N° Lexbase : L8976D7L), composée d'un nombre important de dispositions (54 articles), et au surplus à l'appui d'une argumentation consistant à invoquer des principes constitutionnels très variés (quasiment tout le bloc de constitutionnalité). Aucune distinction n'avait été faite par la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi, celui-ci ne pouvant être interprété comme ayant limité le renvoi. Le Conseil constitutionnel a donc prononcé un non-lieu à statuer, jugeant qu'il n'était pas valablement saisi.
Il ne pouvait en être autrement compte tenu des exigences constitutionnelles et organiques relatives à la QPC (seules la (ou les) disposition(s) applicable(s) au litige peu(ven)t faire l'objet d'une QPC), des brefs délais pour renvoyer et pour juger (il convient que l'objet et l'étendue de la QPC ne soit pas disproportionnés au regard des exigences du débat contradictoire entre les parties), des conséquences et de la portée des décisions QPC (elles se prononcent au regard de l'ensemble des droits et libertés), ou encore de la nécessité de garantir la cohérence et l'équilibre de la procédure, et même plus largement la bonne administration de la justice et la prise en compte des motifs de sécurité juridique. En l'espèce, il ne suffisait pas que les sociétés requérantes soient redevables de l'octroi de mer pour qu'elles puissent en contester l'ensemble du régime juridique ! Le Conseil constitutionnel sanctionne ainsi une sorte d'abus de droit à l'accès au juge constitutionnel, et rappelle le juge du renvoi à sa mission. On notera tout de même, à cet égard, que cette solution conduit le Conseil constitutionnel à modérer sa jurisprudence selon laquelle il se refuse à contrôler l'applicabilité au litige des dispositions contestées (1).
2 - Statut de l'interprétation de la loi
Le Conseil constitutionnel juge de façon constante qu'une QPC peut porter sur l'interprétation de la loi par une juridiction, dans la mesure où "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition" (2). Ainsi, dans l'esprit de la doctrine du "droit vivant", le justiciable ne s'est pas vu reconnaître le droit de contester une norme dans une abstraction théorique qui serait distincte de l'application qui est susceptible d'en être faite dans le litige où il est partie : le requérant qui pose une QPC a le droit que soit examinée la constitutionnalité d'une disposition législative telle qu'elle est appliquée, c'est-à-dire compte tenu de la portée effective que lui confère une interprétation jurisprudentielle constante. C'est ainsi que, dans l'affaire relative à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise dans les entreprises publiques, le Conseil constitutionnel a estimé que le contrôle de constitutionnalité des dispositions contestées portait sur l'article L. 442-9 du Code du travail, (N° Lexbase : L8807G7C) compte tenu de la portée que la Cour de cassation a conférée à ces dispositions (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 précitée). Les décisions de la Cour de cassation sont ainsi dûment mentionnées aux visas.
Cette affaire offre une nouvelle facette de l'interprétation en tant qu'objet de la QPC. Deux éléments méritent d'être spécifiquement soulignés. D'une part, il convient de rappeler que le Conseil d'Etat a prudemment renvoyé cette question (qui mettait en cause la position de son homologue du Quai de l'horloge...) en raison du caractère de nouveauté. A ses yeux, le moyen tiré de ce que la loi telle qu'interprétée par le juge compétent, compte tenu notamment des effets dans le temps de cette interprétation, porte atteinte aux droits et libertés garantis pas la Constitution, était nouveau (3). D'autre part, si l'interprétation autonome donnée par la Cour de cassation était contestée, ce n'était pas sur le fond, mais en raison de son caractère rétroactif et de sa tardiveté, l'un et l'autre ayant induit, selon le requérant, une discrimination entre les entreprises concernées et une atteinte excessive et injustifiée à des situations légalement acquises. Plus qu'une modification de jurisprudence, c'est l'évolution brutale de la définition de la notion d'entreprise publique qui était contestée, ainsi que l'effet rétroactif d'un arrêt dont la Cour de cassation n'avait pas jugé bon de limiter les effets dans le temps. S'il n'est pas suivi en l'espèce, le raisonnement est parfaitement valable.
La prise en compte d'une jurisprudence constante conduit le Conseil constitutionnel à examiner la disposition telle qu'interprétée par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, laquelle interprétation est susceptible de constituer un changement des circonstances depuis une précédente décision constitutionnelle. On sait que le Conseil constitutionnel a déjà jugé que l'interprétation donnée dans la décision de renvoi peut constituer une jurisprudence constante, alors même qu'aucune autre décision antérieure ne confirme cette interprétation (4). Le Conseil a fait une nouvelle application de cette position dans la décision n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4337KL9), laquelle met bien en lumière l'enjeu essentiel : la détermination du caractère constant de la jurisprudence. Un tel caractère empêche le Conseil constitutionnel de dissocier la disposition contestée de l'interprétation formulée par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat dans la décision de renvoi. Le juge constitutionnel n'est certes pas totalement démuni car il dispose de l'outil de la conformité sous réserve, mais il ne lui appartient pas d'écarter l'interprétation mise en avant dans la décision de renvoi, notamment pour juger, comme l'y invitait le gouvernement dans l'affaire n° 2013-340 QPC, que la bonne interprétation à donner des dispositions en cause conduit à écarter le grief.
3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution
La circonstance que le Conseil constitutionnel se soit déjà prononcé, dans une décision de déclassement (décision "L") sur le caractère législatif de dispositions, n'implique nullement que celles-ci aient été déclarées conformes à la Constitution (Cons. const., décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013, précitée). Rappelons que, dans de telles décisions, il appartient seulement au Conseil constitutionnel d'apprécier si les dispositions qui lui sont soumises relèvent du domaine législatif ou du domaine réglementaire.
Une décision relative aux changements de circonstances retient l'attention. A propos de l'ARCEP, de façon assez classique, le Conseil constitutionnel a considéré que les modifications introduites postérieurement à la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications (N° Lexbase : L7801GT4), dans la rédaction de l'article L. 36-11 ([LXB=L4977IUU)]), et notamment celles issues de lois n° 2004-669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (N° Lexbase : L9189D7H), et n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), interdisaient de considérer que les dispositions contestées avaient déjà été jugées conformes à la Constitution dans sa décision n° 96-378 DC du 23 juillet 1996 (N° Lexbase : A8344ACZ). Tout au plus peut-on relever que, dans la démarche qui est celle du Conseil, la circonstance que les modifications législatives puissent apporter, ou non, des garanties supplémentaires au dispositif critiqué est sans influence (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013). Plus original, le Conseil constitutionnel accepte ici de considérer, dans la suite du Conseil d'Etat, que l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est un changement de circonstance de droit.
Il a clairement jugé que constituait un changement des circonstances de droit sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 dans laquelle il a jugé "que, lorsqu'elles prononcent des sanctions ayant le caractère d'une punition, les autorités administratives indépendantes doivent respecter notamment le principe d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789". Faisant preuve de réalisme, le Conseil écarte l'argumentaire consistant à considérer que les précisions apportées par cette jurisprudence récente seraient déjà contenues implicitement dans la jurisprudence en 1996. Il reste que l'interprétation de la jurisprudence, au prisme du changement de circonstance de droit, n'est pas toujours chose aisée. La "nouvelle" jurisprudence ici en question n'est pas à proprement parler constitutive ou créatrice, en ce sens qu'elle ne constitue pas vraiment un nouveau pan du bloc de constitutionnalité. Elle concerne le même principe (celui d'impartialité), déjà affirmé vis-à-vis des mêmes sujets (les autorités administratives indépendantes). Un changement de circonstance de droit peut donc résulter non pas, au sens strict, de l'édiction d'une norme nouvelle mais de son interprétation nouvelle, voire même de l'explicitation d'une norme préexistante. Le principe est bon, l'exercice s'avère parfois délicat : il consiste à faire la part avec ce qui n'est que la révélation de ce que la Constitution contenait déjà.
Autre solution à mentionner, notamment dans l'articulation des contrôles a priori et a posteriori de constitutionnalité de la loi : une déclaration d'inconstitutionnalité prononcée, en application de sa jurisprudence "néo-calédonienne", sur le fondement de l'article 61 de la Constitution (N° Lexbase : L0890AHG) rend la disposition législative inapplicable, mais ne la fait pas pour autant disparaître de l'ordre juridique. Dès lors, une QPC qui, seule, peut permettre l'abrogation de la disposition à défaut d'intervention du législateur, n'est pas "entièrement dépourvue d'objet". C'est ce qu'a jugé le Conseil d'Etat à propos de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2620HIU), au regard de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, sur la loi relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : A4712KGM). Le Conseil d'Etat a considéré qu'une telle QPC présente nécessairement, eu égard à la déclaration de contrariété prononcée par le Conseil constitutionnel, un caractère sérieux. Il ajoute, de façon surabondante, que la circonstance que la QPC porte sur une disposition déclarée inconstitutionnelle après sa promulgation, confère à cette question un caractère nouveau (CE 1° s-s., 25 juillet 2013, n° 366345, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1194KKG). Nous verrons, dans notre prochaine chronique, que le Conseil constitutionnel a estimé, au contraire, que l'autorité de ses décisions fait obstacle à ce qu'il soit de nouveau saisi afin d'examiner la conformité de telles dispositions (Cons. const., décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 N° Lexbase : A0316KNZ).
4 - Applicabilité d'une disposition législative au litige
L'applicabilité au litige dont l'auteur de la QPC doit se prévaloir pour que celle-ci soit recevable est un lien effectif et concret entre la procédure à laquelle il est partie et une disposition législative. Il ne suffit pas davantage, pour poser valablement une QPC, de faire "feu de tout bois" constitutionnel en invoquant l'ensemble du bloc de constitutionnalité (voir la décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 précitée et nos observations).
B - Normes constitutionnelles invocables
1 - Notion de "droits et libertés que la Constitution garantit"
Plusieurs décisions méritent l'attention en raison de leurs apports, avérés ou potentiels, sur la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel s'est penché pour la première fois sur l'atteinte aux situations légalement acquises qui pourrait résulter de la rétroactivité d'une interprétation jurisprudentielle. Toutefois, constatant qu'il n'y avait pas en l'espèce de situation légalement acquise, le Conseil ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si, et à quelles conditions, une jurisprudence pourrait, par ses effets rétroactifs, porter atteinte à une situation légalement acquise (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013).
Pour la première fois de façon nette, quoi que cela s'inscrive dans sa jurisprudence antérieure qui laisse au législateur un large rôle en matière de droit du travail en général, le Conseil constitutionnel a posé que le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de l'entreprise. La participation des travailleurs prévue par ce texte constitutionnel n'impose donc pas un dispositif d'association aux organes de direction de l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013 N° Lexbase : A1192KKD).
Pour la première fois encore, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la liberté d'expression des syndicats dans l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-345 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8224KL8), en résolvant une difficulté quant à la norme de référence applicable. Il n'a pas exercé son contrôle au regard de l'article 11 de la Déclaration de 1789 (droit d'expression général) (N° Lexbase : L1358A98) mais au regard du sixième alinéa du Préambule de 1946 (5), ainsi que de son huitième alinéa (6). La référence au huitième alinéa est ici double. D'une part, le principe de participation est étroitement lié à la liberté syndicale comme une norme matérielle garantissant aux salariés le droit d'être entendus et représentés dans l'entreprise. D'autre part, le principe de participation constitue une norme constitutionnelle d'habilitation en vertu de laquelle le législateur peut confier aux partenaires sociaux "le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte" (7).
Par ailleurs, deux utiles précisions ont été apportées à la qualification de sanction ayant caractère d'une punition dans le cadre du champ application de l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P).
D'une part, dans la décision n° 2013-332 QPC du 12 juillet 2013 (N° Lexbase : A6634KIK), concernant la sanction des irrégularités commises par un organisme collecteur de fonds au titre du "1 % logement", s'est posée la question de savoir si la présence de sanctions de nature différente dans un même article de loi, prononcées par la même autorité à l'issue de la même procédure, ne devait pas conduire à attraire la totalité des sanctions dans le champ de l'article 8 de la Déclaration de 1789. S'agissant de sanctions administratives, le Conseil a répondu par la négative à cette question.
D'autre part, dans l'affaire n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 (N° Lexbase : A8221KL3), concernant la majoration de la redevance d'occupation du domaine public fluvial pour stationnement sans autorisation, le Conseil était confronté à un dispositif qui présente un objet double. Ces deux aspects ont été jugés dissociables : en ce qu'il prévoit l'acquittement d'une "indemnité d'occupation égale à la redevance", il s'agit d'un dispositif à caractère de réparation de l'occupation sans droit ni titre du domaine public ; en ce qu'il prévoit l'acquittement d'une majoration de 100 % de la redevance due pour un stationnement régulier, il s'agit d'un dispositif de sanction. Dans cette même affaire, le Conseil constitutionnel tranche, par voie de réserve d'interprétation et sur la base d'un contrôle réduit, le problème du cumul des sanctions, en l'espèce avec la répression au titre des contraventions de grande voirie : "lorsque deux sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues [...] il appartient donc aux autorités administratives compétentes de veiller au respect de cette exigence" (8).
2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC
A l'occasion de l'examen d'un grief tiré de l'absence de plafonnement en loi de finances de la garantie de l'Etat, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du 5° du paragraphe II de l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001 5° n'instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Ces dispositions prévoient que, dans la seconde partie, la loi de finances de l'année "autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime". Leur méconnaissance ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC (Cons. const., décision n° 2013-344 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8223KL7).
II - Procédure devant le Conseil constitutionnel
A - Organisation de la contradiction
1 - Procédure écrite, notification et production
Dans sa décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a soulevé d'office un moyen d'irrecevabilité soulevant la question de savoir si une QPC peut viser non une disposition législative, mais l'ensemble d'un régime juridique (cf. supra nos observations). Il a communiqué cette question aux parties (avant leurs secondes observations) afin qu'elles puissent faire valoir leurs observations dans le cadre de l'instruction. De fait, les parties ont disposé de quatorze jours avant l'audience pour se prononcer sur cette question de principe. Celle-ci n'a, toutefois, pas été évoquée par la partie requérante lors de l'audience publique.
De façon plus classique, le Conseil a soulevé d'office, par deux fois, le moyen tiré de l'incompétence négative du législateur. D'une part, dans la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, s'agissant de dispositions qui ne définissaient pas la notion d'entreprise publique au point d'affecter la liberté d'entreprendre et le droit de propriété. D'autre part, dans la décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, s'agissant du pouvoir de fixer les modalités selon lesquelles le taux prévu par les dispositions contestées est déterminé et rendu public. Pour ces deux décisions, conformément à sa bonne pratique, le Conseil a soumis aux parties ledit grief. Mais on ne peut que souligner, qu'on l'approuve ou non au regard de l'impératif des délais brefs qui contraignent l'office du juge, les conditions minimales dans lesquelles les parties ont été en mesure d'y répondre : dans la première affaire, elles ont été informées trois jours seulement avant l'audience publique, ce qui ne rend possible qu'une réponse orale ; dans la seconde, elles l'ont été cinq jours avant.
2 - Interventions devant le Conseil constitutionnel
Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut relever, à cet égard, les nombreuses interventions de sociétés privées dans l'affaire n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 concernant la loi relative à l'octroi de mer, l'intervention de personnes physiques dont les biens font l'objet d'une procédure d'expropriation avec déclaration d'urgence dans l'affaire n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013 concernant la prise de possession d'un bien exproprié selon la procédure d'urgence, ou encore trois interventions (un groupement, une fédération et une société privée officiant toutes dans le domaine des assurance) dans l'affaire n° 2013-344 QPC du 27 septembre 2013 à propos de la garantie de l'Etat à la caisse centrale de réassurance, pour les risques résultant de catastrophes naturelles.
B - Modalités de contrôle
1 - Etendue de l'examen du Conseil constitutionnel
Ainsi qu'il le fait désormais régulièrement, le Conseil constitutionnel a mis plusieurs fois en oeuvre son pouvoir de détermination du champ de la saisine, que ce soit pour préciser la version applicable de la loi à examiner (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, ou pour cibler les dispositions effectivement contestées au sein d'un article (Cons. const., décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013).
A l'inverse, lorsque le renvoi ne correspond pas à un dispositif homogène, isolable des autres dispositions du même article, le Conseil constitutionnel examine les dispositions contestées dans toute leur portée, sans se limiter à certains des alinéas de cet article bien qu'ils correspondent à la situation envisagée par les parties (Cons. const., décision n° 2013-332 QPC du 12 juillet 2013).
S'agissant du champ de son contrôle, le Conseil constitutionnel a écarté comme inopérants les griefs soulevés par les sociétés requérantes dans la décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013, parce qu'ils tendaient à mettre en cause des dispositions du Code de l'expropriation dont il n'était pas saisi. Au cas présent, le premier alinéa de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9), qui faisait seul l'objet de la QPC renvoyée, ne traite que des conséquences attachées à l'ordonnance d'expropriation rendue par le juge et de ses effets, mais ne régit pas la procédure et les voies de recours, dont les modalités étaient pourtant effectivement contestées, ceux-ci relevant particulièrement des articles L. 12-5 (N° Lexbase : L2914HLI) et L. 13-2 (N° Lexbase : L2918HLN) qui n'étaient pas renvoyés .
2 - Réserves d'interprétation
Dans sa décision n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013, concernant l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite, le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation consistant à juger que le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 80 duodecies ne saurait varier selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction. La décision précise qu'"en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction". Il s'agit là d'une réserve directive qui répond précisément au litige. Cela montre la faculté de concrétisation du contrôle qu'offre le recours aux réserves. Cela illustre aussi qu'une décision de conformité sous réserve peut tout à fait donner satisfaction au requérant.
On rappellera ici que, dans sa décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 précitée, le Conseil constitutionnel tranche, au moyen d'une importante réserve d'interprétation, le problème du cumul des sanctions, en l'espèce avec la répression au titre des contraventions de grande voirie, assimilable à la sanction pénale (cf. supra).
C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel
Dans la décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision. Au nom de la rétroactivité procédurale, le Conseil a ajouté qu'elle serait applicable à toutes les procédures en cours devant l'ARCEP, ainsi qu'à toutes les instances non définitivement jugées à cette date. Dans le dispositif de censure, au regard de la situation particulière des dispositions examinées (cf. supra nos observations), le Conseil a précisé, par ailleurs, que la déclaration d'inconstitutionnalité porte sur les douze premiers alinéas de l'article L. 36-11, à l'exception des mots et phrases insérés dans l'article par une ordonnance qui ne sont pas de nature législative et que le Conseil n'a donc pas compétence pour censurer. Le sort de ces dispositions est toutefois jeté, qu'elles soient rendues inapplicables, ou que l'autorité de chose interprétée de la décision du Conseil constitutionnel les prive d'effet.
Dans la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a également jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision. Il a également fixé les autres effets dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité, en vue surtout de ménager, en l'espèce, la jurisprudence la Chambre sociale de la Cour de cassation (qu'il a refusé de remettre directement en cause). Le Conseil a entendu empêcher tant la poursuite que le développement de contentieux sur le fondement de l'imprécision de la loi et de sa censure, en restreignant sensiblement la rétroactivité procédurale et en protégeant les situations légalement acquises. Dans un premier temps, il a précisé que les salariés des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques ne peuvent demander, y compris dans les instances en cours, qu'un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur. Dans un second temps, le Conseil ajoute que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces dispositions donnent lieu à répétition. Cette position n'est pas exempte d'une certaine complexité.
La modulation dans le temps des effets de la décision trouve une application très fine à l'occasion de l'abrogation de dispositions relatives à la détermination du taux d'intérêt majorant les sommes indûment perçues à l'occasion d'un changement d'exploitant agricole (Cons. const., décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, précitée). On peut observer la combinaison de plusieurs effets et leur éventuelle interaction. Primo, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l'effet de sa décision d'abrogation au 1er janvier 2014 afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité. Deusio, pour préserver l'effet utile de sa décision à la solution des instances en cours, en particulier celle à l'occasion de laquelle la QPC a été soulevée, le Conseil précise qu'il appartiendra au législateur, lorsqu'il prendra de nouvelles dispositions, de les déclarer applicables à ces instances en cours. Tertio, dans l'intervalle, les juridictions devront surseoir à statuer dès lors que l'issue du litige dépend des dispositions déclarées inconstitutionnelles.
Ce régime transitoire est utilement précisé dans le commentaire officiel qui s'assimile à un mode d'emploi (10): sont concernés les litiges, au fond ou en référé, dans lesquels une partie demande la restitution des sommes indûment versées à l'occasion de la conclusion d'un bail rural, comme dans l'affaire qui a donné lieu à la QPC ; sont concernés également les litiges portés devant le juge de l'exécution afin qu'il liquide les intérêts alloués par une précédente décision indiquant seulement que les sommes "produisent intérêt au taux pratiqué par la Caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme" en application de l'article L. 411-74 censuré. C'est d'ailleurs en prenant en compte que ces dispositions ont pour effet de faire produire des intérêts, y compris pendant cette période de sursis, que le délai fixé par le Conseil au législateur est particulièrement bref.
(1) Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2012 (N° Lexbase : A6283EXY).
(2) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR), décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 10 juin 2013, n° 366880, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3851KGQ).
(4) Cons. const., décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011 (N° Lexbase : A7830HYN).
(5) "Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix".
(6) "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".
(7) Cons. const., décision n° 2005-523 DC du 29 juillet 2005 (N° Lexbase : A1644DK4).
(8) Cons. const., décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 (N° Lexbase : A8221KL3), considérant n° 8.
(9) Rappr. Cons. const., décision n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A6090KDW).
(10), Sur la question, lire nos obs., Les effets dans le temps des décisions QPC. Le Conseil constitutionnel, "maître du temps" ? Le législateur, bouche du Conseil constitutionnel ?, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 40, pp. 63-83.
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 6 novembre 2013, n° 354931, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0935KPC)
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Le 19 Novembre 2013
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