Le Quotidien du 2 octobre 2024

Le Quotidien

Avocats/Responsabilité

[Brèves] Action en responsabilité civile professionnelle engagée contre un avocat au Conseil : non-lieu à renvoi d'une QPC

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1104 QPC, du 26 septembre 2024 N° Lexbase : A9918544

Lecture: 3 min

N0480B38

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par Marie Le Guerroué

Le 01 Octobre 2024

► Les dispositions du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, auxquelles le requérant reprochait de subordonner les actions en responsabilité civile professionnelle engagées contre un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation à l’avis préalable du conseil de l’Ordre, et d’instituer un privilège de juridiction pour ces actions devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, ne revêtent pas le caractère d’une disposition législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution ; il n’y a donc pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Procédure. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 juillet 2024 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, qui réunit sous la dénomination d’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’Ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l’Ordre N° Lexbase : Z79016T4.

Le requérant reproche aux dispositions renvoyées de subordonner les actions en responsabilité civile professionnelle engagées contre un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation à l’avis préalable du conseil de l’Ordre, et d’instituer un privilège de juridiction pour ces actions devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance du « droit de libre accès à la justice », du droit à un procès équitable, du droit à un recours effectif consacré par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4746AQT et du « principe de dualité des juridictions figurant au nombre des principes fondamentaux reconnu par les lois de la République ». Il ajoute que, en l’absence de codification des « dispositions monarchiques » de l’ordonnance du 10 septembre 1817, le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi serait également méconnu.

Décision du Conseil constitutionnel. Aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative. Les dispositions du deuxième alinéa de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 sont issues du décret du 11 janvier 2002. Elles ne revêtent donc pas le caractère d’une disposition législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Il n’y a donc pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution.

newsid:490480

Droit des étrangers

[Brèves] Validité de l’expulsion du territoire d’un imam ayant tenu des propos discriminatoires et violents

Réf. : CE référé, 17 septembre 2024, n° 497226, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A85735ZK

Lecture: 2 min

N0393B3X

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par Yann Le Foll

Le 25 Septembre 2024

► Est justifiée l’expulsion du territoire d’un imam ayant tenu des propos discriminatoires et violents envers la communauté juive et ayant fait l’apologie d’actes de terrorisme.

Faits. Par un arrêté du 4 août 2024, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer a prononcé, en application de l'article L. 631-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L4108MLQ, l'expulsion du territoire français en urgence absolue d’une personne de nationalité nigérienne, président de la mosquée Al Farouk de Pessac (Gironde).

Position CE. L’intéressé, au lendemain des attaques lancées depuis Gaza contre le territoire israélien le 7 octobre 2023 et dans les jours qui ont suivi, a diffusé sur Facebook, sur son compte personnel et sur celui de l'association « Rassemblement des musulmans de Pessac », des messages légitimant ces actes. 

Le 31 juillet 2024, à la suite du décès d'Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, il a publié un message saluant sa mémoire et a relayé des messages lui rendant hommage ainsi que des messages vidéo enregistrés de son vivant par celui-ci et appelant à l'action en des termes particulièrement belliqueux. 

En diffusant ainsi au lendemain des assassinats et prises d'otages de grande ampleur perpétrés contre la population civile israélienne des messages justifiant ces actes, puis exprimant dans ses propres publications ou dans celles qu'il a relayées en les prenant à son compte son soutien au chef du Hamas, organisation à l'origine de ces actes, classée comme terroriste par l'Union européenne, l’intéressé doit être regardé comme ne s'étant pas borné, ainsi qu'il le soutient, à exprimer des prises de position à caractère politique, mais comme ayant explicitement et délibérément fait l'apologie de ces actes. 

Il résulte également de l'instruction que les prises de position émanant de l'intéressé ou relayées par lui bénéficient d'une résonance particulière, compte tenu de son activisme sur les réseaux sociaux et de l'autorité que lui confèrent ses responsabilités communautaires et associatives. 

Elles sont ainsi susceptibles d'inciter au passage à l'acte des personnes prenant connaissance de tels messages, sur lesquelles il peut exercer son influence. 

Décision. Un tel comportement est susceptible de fonder l'expulsion de l’intéressé du territoire français en vertu des dispositions de l'article L. 631-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (pour une décision identique, voit TA Paris, 4 mars 2024, n° 2404728 N° Lexbase : A77142R7).

newsid:490393

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Représentant d’une société à l’égard de l’administration fiscale après la clôture de la liquidation

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 19 juillet 2024, n° 488164, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A27775SN

Lecture: 5 min

N0355B3K

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par Marie-Claire Sgarra

Le 25 Septembre 2024

Le Conseil d’État a précisé dans un arrêt du 19 juillet 2024, les règles de représentation d’une société auprès de l’administration fiscale à la clôture de sa liquidation.

Les faits. Une SCI, dont M. B. était associé à hauteur de 48 % du capital et gérant puis liquidateur, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces de ses déclarations postérieurement à la clôture de sa liquidation. À l'issue de cette procédure, l'administration a notifié à M. B., en sa qualité de liquidateur, une proposition de rectification des revenus fonciers de la SCI au titre des années 2011 et 2012. M. B. a été assujetti à des cotisations supplémentaires d’IR à proportion de ses parts sociales dans la SCI.

Procédure. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. B. tendant à la décharge de ces impositions et n'a pas admis l'intervention à l'instance de son conseil. La cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les appels formés par l'un et l'autre contre ce jugement.

Il résulte des articles 1844-7 N° Lexbase : L7356IZH et 1844-8 N° Lexbase : L2028ABQ du Code civil que si une société, même non commerciale, prend fin par la dissolution anticipée décidée par les associés, sa personnalité morale subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de cette dernière. Jusqu’à la date d’enregistrement de la clôture de la liquidation au registre du commerce et des sociétés (RCS), le liquidateur a qualité pour représenter la société.

En revanche, postérieurement à cet enregistrement, sauf décision qui aurait été prise par les associés conformément aux statuts de la société et qui aurait prolongé le mandat du liquidateur au-delà de cette date, seul un mandataire spécialement désigné par la juridiction judiciaire, à la demande de l’administration ou des anciens associés de la société, dispose de la qualité de représentant de cette société. C’est, par suite, avec celui-ci que les opérations de contrôle doivent se dérouler et à lui que, dès lors, toute nouvelle pièce de la procédure doit être adressée.

Ces dispositions ne font pas obstacle, durant la période courant de la date d’enregistrement de la clôture de la liquidation de la société au RCS à la date de désignation d’un mandataire spécialement désigné, à la poursuite des opérations de contrôle, à l’exclusion de la notification de nouvelles pièces de procédure, avec toute personne pouvant être regardée, dans les circonstances particulières de chaque espèce, comme mandataire.

Solution. En l’espère, la société ayant été liquidée puis radiée du RCS. L’administration a notifié à son liquidateur une proposition de rectification des revenus fonciers de la société. La requérante soutient que, faute pour l’administration, après la publication de la clôture de la liquidation, d’avoir sollicité la désignation d’un mandataire ad hoc, la société liquidée puis radiée du RCS, dépourvue de mandataire social et de représentant, n’avait pu être rendue régulièrement destinataire de la proposition de rectification.

La cour a écarté ce moyen en se fondant sur la circonstance que l’intéressé n’avait versé à l’instance aucune pièce de nature à démontrer qu’en l’absence de désignation d’un mandataire par les associés, l’administration aurait été tenue de solliciter une telle désignation.

En statuant ainsi, alors qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le liquidateur avait la qualité de mandataire ad hoc, ni que l’administration, à qui il revenait, dès lors qu’elle entendait notifier à la société alors liquidée une proposition de rectification de ses bases d’imposition, de s’assurer de la qualité du destinataire de cet acte de procédure pour représenter la société, avait effectué une telle diligence, la cour, à qui il incombait au besoin de mettre en œuvre ses pouvoirs d’instruction pour procéder à cette vérification, a commis une erreur de droit.

L’arrêt de la CAA de Lyon est annulé.

Précisions.

Sur la conséquence de la clôture de la liquidation sur la procédure de contrôle fiscal et la question de la notification de nouvelles pièces à un mandataire (CE 3° et 8° ch.-r., 3 octobre 2016, n° 389051, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7855R4P).

Jusqu'à la date d'enregistrement de la clôture de la liquidation au registre du commerce et des sociétés, le liquidateur a qualité pour représenter la société. En revanche, postérieurement à cet enregistrement, sauf décision qui aurait été prise par les associés conformément aux statuts de la société et qui aurait prolongé le mandat du liquidateur au-delà de cette date, seul un mandataire spécialement désigné par la juridiction judiciaire, à la demande de l'administration ou des anciens associés de la société, dispose de la qualité de représentant de cette société. C'est, par suite, avec celui-ci que les opérations de contrôle doivent se dérouler et à lui que, dès lors, toute nouvelle pièce de la procédure doit être adressée.

 

newsid:490355

(N)TIC

[Brèves] Exception de recevabilité d’une preuve illicite : l’hypothèse de la clé USB personnelle du salarié

Réf. : Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-13.992, FS-B N° Lexbase : A2979544

Lecture: 9 min

N0477B33

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par Fanny Gabroy, Professeure de droit privé à l’Université CY Cergy Paris Université

Le 02 Octobre 2024

► La Cour de cassation poursuit son œuvre quant à l’exception de recevabilité des preuves illicites et déloyales : par cet arrêt du 25 septembre 2024, elle offre une nouvelle illustration à propos de la production du contenu de la clé USB personnelle d’une salariée, destiné à prouver la faute grave commise par cette dernière.

Cette question, relative à la recevabilité d’une preuve illicite, poursuivant une jurisprudence entamée il y a quelques années par la Cour de cassation, justifie très certainement que la décision soit promise aux honneurs du Bulletin.

Faits et procédure. Licenciée pour faute grave le 27 septembre 2017, après trente-sept ans d’ancienneté, pour avoir copié des documents appartenant à l’entreprise sur ses clés USB, une salariée saisit la juridiction prud’homale pour obtenir la condamnation de l’employeur au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel (CA Lyon, 25 janvier 2023, n° 19/06601 N° Lexbase : A89979AH) la déboute de ses demandes, estimant que le licenciement était bel et bien justifié par une faute grave dont la preuve était apportée par la copie du contenu des clés USB de ladite salariée.

Moyen du pourvoi. La salariée invoquait au soutien de son pourvoi le caractère illicite de la preuve servant de fondement au licenciement, en l’occurrence le caractère personnel des clés USB dont le contenu avait été consulté et copié par l’employeur. L’argument reprenait une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation à propos de la consultation des outils informatiques par l’employeur.

Consultation des correspondances et fichiers par l’employeur. Rappelons en effet que la vie privée du salarié implique un droit au secret qui se poursuit sur le lieu de travail. Sur ce fondement, la Cour de cassation énonce, depuis l’arrêt « Nikon », que les employeurs ne peuvent « prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur » (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, publié au bulletin N° Lexbase : A1200AWD). Lorsque l’employeur consulte un outil professionnel mis à la disposition du salarié, s’applique une présomption de professionnalité des communications et documents, que le salarié peut renverser en signalant expressément leur caractère personnel (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, F-P+B N° Lexbase : A9621DRR). En revanche, lorsque l’outil est personnel au salarié, l’employeur n’est pas autorisé à en prendre connaissance. Dans l’interstice entre ces deux solutions, la Cour de cassation a développé une jurisprudence considérant qu’un outil personnel, connecté à un outil professionnel, est présumé être utilisé à des fins professionnelles. Tel est le cas d’une clé USB, connectée à l’ordinateur de la société (Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B N° Lexbase : A0485I8H).

C’est sûrement en écho à cette dernière solution que le pourvoi tentait de faire admettre que la clé USB personnelle n’était pas connectée à un poste informatique de l’entreprise au moment où l’employeur en avait consulté le contenu. Mais le raisonnement, tendant à faire déclarer cette preuve illicite, était-il suffisant à l’heure où la Cour de cassation admet la recevabilité des preuves illicites ?

Exception de recevabilité des preuves illicites. En raison de la découverte du droit à la preuve par la Cour européenne des droits de l’Homme, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation a été amenée à faire évoluer sa jurisprudence. Alors qu’auparavant, toute preuve illicite ou déloyale était automatiquement irrecevable, il appartient désormais aux juges du fond d’opérer un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits et intérêts antinomiques en présence.

Initiée en 2012 par la première chambre civile à propos d’une preuve illicite, en ce qu’elle portait atteinte à la vie privée d’une des parties (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.177, F-P+B+I N° Lexbase : A1166IIZ), la solution fut reprise par la Chambre sociale à partir de 2016 (Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2511SG4 ; par la suite, par ex., Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8 ; Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5510379 ; Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, F-B N° Lexbase : A135947H). L’exception de recevabilité d’une preuve illicite, invoquée par celui qui se prévaut de son droit à la preuve, impose aux juges d’opérer un contrôle de proportionnalité entre ledit droit et le droit à la vie personnelle. En décembre 2023, l’assemblée plénière a finalement décidé d’étendre l’exception de recevabilité aux preuves déloyales (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648, publié au bulletin N° Lexbase : A27172AU). Depuis, les illustrations se sont multipliées (par ex. Cass. soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474, F-B N° Lexbase : A35522EB ; Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-23.073, F-B N° Lexbase : A19252MA ; Cass. soc., 14 février 2024, n° 21-19.802, F-D N° Lexbase : A04232NY ; Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-14.900, F-B N° Lexbase : A22185PT).

Réponse de la Cour de cassation. C’est finalement sans grande surprise qu’après avoir rappelé que « l'accès par l'employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l'ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié », la Cour de cassation précise qu’il « résulte des articles 6 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Application du contrôle de proportionnalité. Dans le cadre des preuves illicites, le contrôle de proportionnalité implique le respect par les juges du fond d’une méthode en trois temps, dictée par la Chambre sociale pour la première fois dans trois arrêts rendus le 8 mars 2023 (Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802 N° Lexbase : A92179GH et n° 20-21.848 N° Lexbase : A08979HP, FS-B et n° 21-20.797, FS-D  N° Lexbase : A39049H3). D’abord, le juge doit relever la légitimité du contrôle opéré par l’employeur. Ensuite, il doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Le moyen de preuve doit ainsi être « indispensable ». Enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle du salarié au regard du but poursuivi.

En l’espèce. Pour approuver la motivation des juges du fond, la Chambre sociale relève que l’employeur avait agi pour préserver la confidentialité des affaires de l’entreprise. De plus, des raisons concrètes justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB de la salariée. En l’occurrence, plusieurs témoignages de collègues attestaient avoir vu la salariée imprimer des documents à partir de l’ordinateur d’une collègue absente, puis ranger lesdits documents dans un sac plastique. En outre, la Chambre sociale note que les données ont été extraites des clés USB par un expert, en présence d’un commissaire de justice, et que seules les données professionnelles ont été transmises à l’employeur (à l’exclusion des données personnelles). De tout cela, la Chambre sociale en déduit que « la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi », justifiant sa recevabilité.

Quid du caractère indispensable ? À l’étude, il nous semble toutefois qu’un critère soit passé sous silence par la Chambre sociale, celui du caractère indispensable… La motivation des juges du fond, du moins telle que reprise par la Cour de cassation, n’explique pas, à notre sens, en quoi la production était indispensable au droit à la preuve de l’employeur. Seuls sont démontrés le caractère légitime du contrôle, ainsi que la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée de la salariée. Mais, encore fallait-il que cette preuve soit indispensable pour établir la faute commise par la salariée, à savoir la copie de données. Peut-être que, pour la Chambre sociale, le caractère indispensable s’infère des faits reprochés, mais la précision aurait été bienvenue. Nous sommes d’autant plus déçus de cette imprécision que le caractère indispensable semble - pour l’heure - le plus délicat à appréhender. Le juge doit-il exiger une impossibilité totale de se procurer une preuve licite ou loyale ? Ou doit-il se contenter du constat qu’au jour où il statue, la partie n’a entre les mains pas d’autres preuves ? Ou peut-il encore se suffire du constat que la partie ne lui a pas soumis d’autres preuves, peu importe celles dont elle dispose réellement ? Espérons que les prochaines décisions nous apportent davantage d’éclaircissements.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit du travail et nouvelles technologies, Le contrôle du travail par les NTIC, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1365Y9G.

 

newsid:490477

Procédure pénale

[Brèves] Géolocalisation : la simple référence aux « nécessités de l’enquête » ne suffit pas à motiver l’autorisation des opérations

Réf. : Cass. crim., 1er octobre 2024, n° 24-80.363, F-B N° Lexbase : A419057C

Lecture: 3 min

N0482B3A

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par Pauline Le Guen

Le 02 Octobre 2024

► Pour être autorisées, les opérations de géolocalisation doivent être motivées par référence aux éléments de fait et de droit justifiant leur nécessité, de sorte que le magistrat les autorisant doit préciser la finalité de ces mesures par une motivation concrète et circonstanciée, la simple référence aux « nécessités de l’enquête » étant insuffisante.

Rappel des faits et de la procédure. Un individu est mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs. Un de ses co-mis en examen saisit la chambre de l’instruction d’une requête en annulation des opérations de géolocalisation. L’intéressé présente également au greffe de la juridiction des conclusions aux mêmes fins.  

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a rejeté la demande d’annulation des opérations. L’individu s’est alors pourvu en cassation. 

Moyens du pourvoi. L’arrêt est critiqué en ce qu’il rejette la demande d’annulation des opérations de géolocalisation litigieuses, alors qu’est nulle, faute de motivation circonstanciée en fait et en droit, l’autorisation d’une telle mesure se bornant à renvoyer à la demande dont le magistrat a été saisi, ou à faire simplement référence aux « nécessités de l’enquête », comme c’était le cas en l’espèce et comme l’avait elle-même constaté la chambre de l’instruction. En estimant cette motivation suffisante, elle aurait ainsi violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire N° Lexbase : L1305MAL, 230-32 N° Lexbase : L7402LPT, 230-33 N° Lexbase : L7401LPS, 591 N° Lexbase : L3975AZA et 593 N° Lexbase : L3977AZC du Code de procédure pénale. 

Décision. La Cour de cassation rappelle, au visa de l’article 230-33, alinéa 5, du Code de procédure pénale, que la décision du procureur autorisant une mesure de géolocalisation doit être motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de cette mesure. Le magistrat doit alors préciser la finalité de ces mesures, par une motivation concrète se rapportant aux circonstances de l’affaire. L’absence d’une telle motivation, en ce qu’elle interdit tout contrôle réel et effectif des mesures, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée. 

Dès lors, en se bornant à autoriser les opérations de géolocalisation en faisant référence aux « nécessités de l’enquête », sans préciser leur finalité ni se rapporter aux circonstances de l’espèce, le procureur a insuffisamment motivé son autorisation et la cassation doit par conséquent être prononcée.

Pour aller plus loin : J.-Y. Maréchal, ÉTUDE : Les actes de l'instruction, La géolocalisation, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E326803G

 

 

 

 

newsid:490482

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Inaptitude et indemnité spéciale de licenciement : la décision de reconnaissance de l’accident du travail de la CPAM s’impose au juge prud’homal

Réf. : Cass. soc., 18 septembre 2024, n° 22-22.782, F-B N° Lexbase : A97395ZQ

Lecture: 2 min

N0424B34

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par Laïla Bedja

Le 25 Septembre 2024

► Lorsqu'un accident du travail ou une maladie professionnelle a été reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie par une décision non remise en cause, cette décision s'impose au juge prud'homal auquel il revient alors de se prononcer sur le lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l'inaptitude et sur la connaissance par l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie.

Faits et procédure. À la suite d’un accident du travail, un salarié a été déclaré inapte à son poste de travail le 20 février 2018 et licencié le 4 mai 2018, après autorisation de l’inspecteur du travail, pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Il a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Cour d’appel. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de l’indemnité spéciale de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis, la cour d’appel a retenu que ce dernier n’apporte aucun témoignage ni aucun document médical permettant d’accréditer la thèse d’une lésion brutale et soudaine et que faute de témoin direct et de constatations matérielles, un doute existe sur la réalité de l’accident du travail qui ne sera pas reconnu (CA Paris, 6-4, 31 août 2022, n° 19/11009 N° Lexbase : A97758G7).

Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.

Décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule la solution rendue par les juges du fond. En déboutant le salarié, alors que la CPAM avait reconnu l’existence d’un accident du travail survenu le 7 novembre 2017, dont se prévalait le salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 1226-10 N° Lexbase : L8707LGL et L. 1226-14 N° Lexbase : L1033H97 du Code du travail.

newsid:490424

Sociétés

[Brèves] Cession d’actions : faut-il obligatoirement un ordre de mouvement ?

Réf. : Cass. com., 18 septembre 2024, n° 22-18.436, FS-B N° Lexbase : A97445ZW

Lecture: 2 min

N0412B3N

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par Perrine Cathalo

Le 25 Septembre 2024

Un formulaire Cerfa n° 2759, signé par le cédant et comportant toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres de la société et le compte d'actionnaire du cessionnaire, peut valoir ordre de mouvement.

Faits et procédure. Le 2 février 2017, une société de droit suisse et une personne physique ont signé un formulaire Cerfa déclarant à l'administration fiscale la cession, par la première à la seconde, de la totalité des actions composant le capital d’une SAS dont le cessionnaire était le dirigeant.

Cette cession a été transcrite sur le registre des mouvements de titres de la SAS et sur le compte d'actionnaire du cessionnaire.

Contestant avoir cédé ses actions, le cédant a révoqué le cessionnaire de son mandat de président lors de l'assemblée générale de la SAS du 7 décembre 2017, puis l'a assigné aux fins de voir juger qu'aucune cession n'était intervenue et que la révocation de son mandat de président était régulière.

Par une décision en date du 10 mai 2022, la cour d’appel (CA Paris, 5-8, 10 mai 2022, n° 19/20565 N° Lexbase : A46977WU) a notamment jugé que le transfert de propriété était bien intervenu et que l'inscription par le cessionnaire de la cession dans le registre des mouvements de titres de la SAS et de son compte d'actionnaire était régulière aux motifs que le formulaire Cerfa du 2 février 2017 valait ordre de mouvement.

Le cédant a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Chambre commerciale rejette le pourvoi.

Selon elle, le formulaire Cerfa n° 2759, signé par le cédant et comportant toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres et le compte d’actionnaire, peut valoir ordre de mouvement, notamment dans la mesure où aucun texte législatif ou réglementaire ne régit la forme et le contenu de ce document.  

Par ailleurs, la Cour constate que la cession litigieuse a fait l'objet d'une inscription au registre des mouvements de titres tenu par la SAS, coté et paraphé par le greffe du tribunal de commerce le 31 juillet 2017 ainsi qu'au compte d'actionnaire du cessionnaire, comme l’exige l’article L. 228-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5239LQ4.

Pour en savoir plus : v. B. Dondero, Lexbase Affaires n° 308, à paraître le 3 octobre 2024.

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