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N9063BZP
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par Eliaz Le Moulec, Professeur agrégé à l’Université de Franche-Comté
Le 15 Mai 2024
Mots-clés : rançongiciel • extorsion • atteintes aux STAD • cryptologie •concours de qualifications
À l’époque où la Chambre criminelle interdisait encore, sauf exceptions, les cumuls de qualifications, nous nous étions questionnés sur LA qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel. Nous avions alors conclu que la qualification d’extorsion devait l’emporter sur toutes les autres. Or, depuis un arrêt très remarqué du 15 décembre 2021, la Haute Juridiction a inversé principe et exception : désormais, le juge a la possibilité de cumuler les qualifications en concours. Appliqué au cas particulier de l’utilisation d’un rançongiciel, le principe nouveau permet donc de retenir à la fois la qualification d’extorsion et les différentes qualifications d’atteintes aux STAD. Cette solution n’est pas remise en cause par l’application de la circonstance aggravante générale de cryptologie qui, de notre point de vue, ne saurait absorber les qualifications d’atteintes aux STAD.
I. Retour sur les qualifications envisageables
A. L’extorsion
B. Les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD)
C. Le sabotage
II. Les qualifications applicables
A. Le passé : l’interdiction du cumul de qualifications
B. Le présent : la possibilité du cumul de qualifications
1) Le revirement de jurisprudence
2) Le cumul de toutes les qualifications envisageables
3) Les effets du cumul
III. Les difficultés découlant de la circonstance aggravante de cryptologie
A. La circonstance aggravante de cryptologie absorbe-t-elle les qualifications d’atteintes aux STAD ?
B. La circonstance aggravante de cryptologie peut-elle être retenue plusieurs fois ?
***
[1] E. Le Moulec, Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, Lexbase Pénal, février 2021 N° Lexbase : N6367BYH.
[2] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864 N° Lexbase : A83502RP : G. Beaussonie, note, D. 2022, p. 154 ; Ch.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément , note, AJ pénal, 2022 ; N. Catelan, note, JCP G, 2022, 132 ; O. Décima, obs., Dr. pén., 2022, étude 4 ; Ph. Conte, obs., ibid., comm. 23 ; S. Detraz, note, Gaz. Pal., 22 février 2022, p. 49 ; R. Parizot, note, Gaz. Pal., 1er février 2022, p. 21 ; X. Pin, note, RSC, 2022, p. 311 ; J.-C. Saint-Pau, Cumul des qualifications d’usage de faux et d’escroquerie. Évolution de la règle ne bis in idem, Lexbase pénal, janvier 2022 N° Lexbase : N0178BZM.
[3] N. Catelan, Concours de qualifications : feu le principe d’unicité de qualification !, JCP G, 2022, act. 132.
[4] V. le rapport : ANSSI, Panorama de la cybermenace, 2023 [en ligne]. V. également le rapport de Cybermalveillance.gouv.fr pour l’année 2023, publié le 5 mars 2024 [en ligne] : « avec 2 782 demandes d’assistance, les attaques par rançongiciel ont atteint un niveau record depuis quatre ans, tous publics confondus (+ 12 %) ».
[5] L’ANSSI note cependant une tendance au rançonnage reposant exclusivement sur l’exfiltration de données (ibid., p. 22).
[6] Pour davantage de détails sur le phénomène, v. Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 1 et s.
[7] Comme dans notre précédente étude, nous nous limiterons à qualifier l’utilisation même du rançongiciel et non les comportements qui y sont liés plus ou moins étroitement, comme la confection du rançongiciel, la « vente » de celui-ci ou l’utilisation des données exfiltrées.
[8] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 7.
[9] La qualification voisine de chantage (C. pén., art. 312-10 N° Lexbase : L1879AMK) ne pourra être retenue que dans le cas particulier où l’utilisateur du rançongiciel menacerait sa victime d’utiliser une partie des données appréhendées afin de jeter le discrédit sur elle ou de faire engager une procédure à son encontre (par exemple pour non-conformité au RGPD), ce qui est notamment le mode de faire des « ransomhack ».
[10] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 10.
[11] Toutefois, celle-ci devra peut-être être écartée dans certains types d’attaques, lorsque l’agent opère sans avoir besoin de pénétrer dans le système pour y déposer le rançongiciel, par exemple en cas d’attaques par « phishing » ou au « point d’eau ». En effet, il est possible de considérer que l’article 323-1 ne s’applique que lorsque l’agent a lui-même accédé au système.
[12] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 10.
[13] Dans son rapport pour l’année 2023, l’ANSSI a noté une tendance au rançonnage reposant exclusivement sur l’exfiltration de données (op. cit., p. 22).
[14] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 12.
[15] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 15 et s.
[16] La doctrine critique notamment l’imprécision de la notion de valeur protégée, ainsi que son caractère extra-légal. V. not. O. Décima, S. Detraz et E. Verny, Droit pénal général, LGDJ, coll. Cours, 5e éd., 2022, n° 297. Rappr. : E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ, coll. Manuel, 2e éd., 2023, n° 2.
[17] V. par ex. Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3230SCM : N. Catelan, note, JCP G, 2017, 16 ; O. Décima, obs., Rev. pénit., 2016, p. 935 ; G. Beaussonie, ibid, p. 941 ; Ph. Conte, obs., Dr. pén., 2016, comm. 4 ; Cass. crim., 25 octobre 2017, n° 16-84.133, F-D N° Lexbase : A1390WXR : Ph. Conte, obs., Dr. Pénal 2018, comm. 1 ; Cass. crim., 14 novembre 2019, n° 18-83.122, F-P+B+I [LXB=2147ZY8] : P.-J. Delage, note, D. 2020, p. 204.
[18] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 20. Y compris lorsque la qualification de sabotage était applicable (ibid., note 43).
[19] Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864 N° Lexbase : A17417GL : G. Beaussonie, note, D. 2022, p. 154 ; Ch.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément, note, AJ pénal, 2022 ; N. Catelan, note, JCP G, 2022, 132 ; O. Décima, obs. Dr. pén. 2022, étude 4 ; ibid., comm. 23, obs. Ph. Conte ; S. Detraz, note, Gaz. Pal. 22 févr. 2022, p. 49 ; R. Parizot, note, Gaz. Pal. 1er février 2022, p. 21 ; X. Pin, note, RSC 2022, p. 311; J.-C. Saint-Pau, Cumul des qualifications d’ usage de faux et d’escroquerie. Évolution de la règle ne bis in idem, Lexbase pénal, janvier 2022 N° Lexbase : N0178BZM.
[20] La construction grammaticale des § 28 à 30 constitue peut-être l’acmé de ce souci pédagogique, quand la Cour explique que « L'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, […] aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes (§ 28). Dans la première, […] (§ 29). Dans la seconde […] (§ 30) ».
[21] Qu’il nous soit permis d’utiliser cette expression pour rendre compte de la soudaineté de cette solution nouvelle qui adopte une vision minimaliste de la règle non bis in idem, quand la jurisprudence des dernières années procédait au contraire à une interprétation plutôt énergique de cette règle (v. supra n° 14 in fine).
[22] Il serait tentant, à la lecture de l’arrêt, de dénombrer, non pas deux, mais trois hypothèses où le cumul de qualifications est interdit. La Chambre criminelle précise en effet que cette interdiction s’applique également « à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre ». Mais il s’agit alors d’une hypothèse où il n’y a même pas de concours de qualifications, puisque si l’une est envisageable, c’est que l’autre ne l’est pas. À titre d’exemple, si un fait peut être qualifié de meurtre, c’est qu’il ne peut l’être d’homicide non-intentionnel. L’impossibilité de cumuler les deux qualifications ne tient donc pas fondamentalement à l’interdiction de ce cumul. Elle est plutôt la conséquence logique de l’inexistence même d’un concours entre les deux qualifications, puisque l’une d’elle est inapplicable aux faits.
[23] Cass. crim., 15 décembre 2021, préc., § 27.
[24] O. Décima, Requiem pour ne bis in idem, Dr. pén., 2022, étude 4.
[25] N. Catelan, Concours de qualifications : feu le principe d’unicité de qualification !, JCP G, 2022, note 132.
[26] À ce propos, on lira entre autres, l’analyse d’Olivier Décima qui stigmatise la fragilité des motifs du cumul de qualifications autant qu’il s’inquiète de ses effets. Pour notre part, bornons-nous à dire qu’au moins un aspect précis de la solution nouvelle nous inspire un certain scepticisme : tel qu’il est rédigé, l’arrêt du 15 décembre 2021 autorise les cumuls de qualifications, mais ne les impose pas, laissant à chaque magistrat la possibilité de ne retenir qu’une seule qualification ou plutôt d’en cumuler plusieurs ou encore la totalité. Cela risque d’entraîner des différences de traitement entre les justiciables, selon la propension à cumuler du magistrat auquel ils ont affaire. Le risque est aussi celui d’une instrumentalisation de la qualification pénale, le juge retenant une qualification s’il souhaite prononcer l’une des peines attachées à celle-ci.
[27] V. cependant la remarque faite à la note n° 11.
[28] Sauf dans l’hypothèse mentionnée supra n° 10.
[29] V. note sous n° 9.
[30] Soutiendra-t-on le contraire s’agissant du chantage et de l’extorsion ? En effet, l’article 312-10 du Code pénal incrimine une modalité particulière de contrainte morale crapuleuse, contrainte envisagée de manière plus générale par l’article 312-1 (v. not. à ce sujet notre Pour un renouvellement du système répressif dit des atteintes juridiques aux biens, LGDJ, coll. Bibliothèque des sciences criminelles, tome 70, 2021, n° 976 et s.). Il faut toutefois persister à penser que les conditions de l’exception ne sont pas satisfaites puisque, dans l’hypothèse d’un « ransomhack », le logiciel peut réaliser les deux infractions par des actions distinctes : il extorque en exigeant une rançon en échange de la clé de déchiffrement ; il commet un chantage en menaçant d’utiliser une partie des données appréhendées afin de jeter le discrédit sur la victime. Puisqu’il y a deux menaces, il peut y avoir deux qualifications.
[31] Dès lors que l’on considère que le chiffrement consiste à modifier des données, ce qui est désormais notre opinion : v. supra n° 8 in fine.
[32] V., notamment en ce sens, la note explicative relative aux arrêts n° 1387 et 1390 du 15 décembre 2021, p. 6.
[33] Cet exemple est tiré de l’arrêt du 15 décembre 2021 lui-même : « il résulte des articles 313-1 et 441-1 du Code pénal qu’aucune de ces infractions n’est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’une des autres. En effet, l’article 313-1, qui incrimine l’escroquerie, vise les manœuvres frauduleuses et non spécifiquement le faux ou l’usage de faux comme élément constitutif de ce délit ». Cet exemple permet pourtant de constater facilement le caractère assez superficiel de cette conception, puisqu’il aurait alors suffi que l’article 313-1 vise, aux côtés de « l’usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité », celui d’un faux document, pour que le cumul soit alors interdit. En ce sens, v. O. Décima, op. cit., n° 11.
[34] Exigence qui est d’ailleurs bien illustrée par des arrêts postérieurs où le cumul est admis en raison d’une diversité de faits : Cass. crim., 15 février 2022, n° 20-86.019 N° Lexbase : A60357NT : Ph. Conte, obs., Dr. pén., 2022, comm. 62. ; Cass. crim., 13 décembre 2023, n° 22-81.985 N° Lexbase : A525918B : Dr. pén., 2024, comm. 23.
[35] V. cependant la remarque faite à la note n° 11.
[36] Sauf dans l’hypothèse mentionnée supra n° 10.
[37] V. note sous n° 9.
[38] V., sur cet aspect de la solution et la rupture d’égalité à laquelle cette liberté peut conduire : O. Décima, Requiem pour ne bis in idem, Dr. pén., 2022, étude 4, n° 8 et s.
[39] Puisqu’il y a alors plusieurs infractions qui ne sont pas séparées par la condamnation définitive de l’une d’entre elles. D’ailleurs, comment pourraient-elles l’être puisqu’elles ont lieu au même moment ?
[40] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 20.
[41] V. infra n° 27 et surtout n° 30 et s.
[42] Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 21.
[43] S’agissant de l’extorsion, cette circonstance aggravante est prévue par l’article 312-6 du Code pénal N° Lexbase : L1936AMN. En ce qui concerne les atteintes aux STAD, c’est l’article 323-4-1 du même code N° Lexbase : L6509MG8 qui prévoit cette circonstance aggravante, dans des termes plus larges qu’autrefois depuis la LOPSI 2023. En effet, l’ancienne rédaction de l’article n’envisageait la circonstance de bande organisée que si le système était un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l' État. Dans notre précédente étude, nous avions critiqué cette restriction (Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 11) ; la LOPSI 2023 l’a supprimée.
[44] Partageant ce constat, v. M. Quéméner, Cyberattaques et santé publique : l’hôpital de Rouen cible d’un rançongiciel, Dalloz IP/IT 2019, 648, in fine.
[45] Par exemple, lorsque l’infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement, la circonstance de cryptologie porte le quantum de cette peine à sept ans ; lorsque l’infraction est punie de sept ans d’emprisonnement, le quantum est porté à dix ans.
[46] Ce qui est l’hypothèse classique, bien que l’ANSSI semble avoir relevé une tendance de certains rançonneurs à seulement exfiltrer des données (v. Panorama de la cybermenace 2023, p. 22 [en ligne]). Dans ce cas, la circonstance aggravante sera écartée, ce qui épargnera bien des difficultés…
[47] Cette définition est donnée par l’article 29 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : C15764ZE, auquel renvoie l’article 132-79 du Code pénal N° Lexbase : L9877GQU.
[48] C. Guéry, Bref retour sur l'utilisation d'un moyen de cryptologie au travers d'une circonstance aggravante générale oubliée, Dr. pén., 2023, Étude n° 11.
[49] Il est vrai que dans notre précédente étude, nous avions soutenu que cette circonstance aggravante devait être écartée (Cybercriminalité : la qualification pénale de l’utilisation d’un rançongiciel, op. cit., n° 8 et 11). Mais nous nous fondions alors sur une interprétation très rigoureuse de non bis in idem qui n’est, à l’évidence, plus d’actualité depuis l’arrêt du 15 février 2021.
[50] V. supra n° 22.
[51] On pourrait être tenté d’objecter que si l’on ne tombe pas dans la première exception, nous sommes en revanche dans la seconde puisque la circonstance aggravante de cryptologie serait alors une hypothèse « spéciale » de l’infraction « générale » de modification de données. Mais outre que l’arrêt du 15 décembre 2021 n’envisage le rapport spécial-général qu’entre infractions, remarquons que la circonstance aggravante de cryptologie n’est pas nécessairement englobée par la modification frauduleuse de données d’un STAD. Donnons un seul exemple pour le montrer : voici un escroc qui, afin de masquer son activité aux forces de police, chiffre les données des appareils qu’il utilise. Les éléments de la circonstance aggravante son réunis, mais pas ceux du délit de l’article 323-3, puisque la modification de données n’est ici, en elle-même, pas frauduleuse.
[52] Dans le cas où la qualification de sabotage pourrait être retenue en plus des autres (v. supra n° 11), les peines seraient plus élevées (en tout cas, en l’absence de bande organisée) : quinze ans de détention criminelle et 225 000 euros d'amende. Remarquons que la circonstance aggravante de cryptologie ne devrait pas pouvoir s’appliquer au sabotage puisque l’article 132-79 du Code pénal fait référence aux crimes punis de réclusion criminelle, non de détention criminelle.
[53] V. not. O. Décima, Requiem pour ne bis in idem, Dr. pén., 2022, étude 4.
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Réf. : Cass. crim., 22 mai 2024, n° 20-83.180, FS-B N° Lexbase : A72515CK
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N9349BZB
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par Pauline Le Guen
Le 23 Mai 2024
► La Cour de cassation confirme la possibilité de déclarer la société absorbante responsable pénalement des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.
Rappel des faits et de la procédure. Le tribunal correctionnel a condamné une SCI et deux SARL, ainsi que leur gérant, pour différentes infractions au droit de l’urbanisme, en lien avec l’exploitation d’un camping. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision. Quelques mois plus tard, les deux SARL ont procédé à une fusion-absorption.
En cause d’appel. La cour d’appel a condamné les sociétés à des peines d’amende et a ordonné la remise en état des lieux. Les sociétés et leur gérant se sont alors pourvus en cassation.
Moyens du pourvoi. Les requérants faisaient valoir plusieurs moyens. Dans un premier temps, il était reproché à la cour d’appel d’avoir déclaré la société absorbante (SARL) coupable des infractions et de l’avoir condamnée pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération, alors que cela n’est possible que dans deux hypothèses : quand l’opération, réalisée après le 25 novembre 2020, concerne des sociétés anonymes et entre dans le champ de la Directive (CE) n° 78/855, du Conseil, du 9 octobre 1978 N° Lexbase : L9347AUQ, ou lorsqu’elle a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale, constituant alors une fraude. Les sociétés étant des SARL et la cour d’appel ne constatant aucune fraude, elle n’aurait pas justifié sa décision.
Par ailleurs, il était fait grief à l’arrêt de déclarer le gérant des sociétés ainsi que la société absorbante, coupables des infractions et de les condamner in solidum à la mise en conformité de l’implantation des résidences mobiles de loisirs avec le permis d’aménager, alors que les faits d’extension non autorisée étaient prescrits, de sorte que les résidences qui s’y trouvaient ne pouvaient être regardées comme irrégulièrement installées.
Enfin, ils reprochaient à la cour d’appel d’avoir ordonné à l’égard de la SCI, in solidum avec le gérant et la société absorbante, la mise en conformité de l’implantation des résidences ainsi que le retrait des différents objets constatés sur place, alors que la SCI était uniquement propriétaire des parcelles litigieuses, sans les exploiter et donc sans en être bénéficiaire.
Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi. Sur le premier moyen, elle souligne que si c’est à tort que la cour d’appel a retenu que la SARL entrait dans le champ d’application de la Directive relative à la fusion des sociétés anonymes, la censure n’était pas encourue dès lors qu’il était constaté qu’il y avait eu opération de fusion, entrainant la dissolution de la société absorbée, et que les faits poursuivis étaient caractérisés. Dès lors, la cour d’appel pouvait déclarer la société absorbante coupable des faits commis par la société absorbée.
Sur le second moyen, elle indique que la prescription de l’infraction d’extension du camping n’entrainait pas celle de l’infraction d’installation de résidences en dehors des emplacements autorisés, toujours punissables.
Enfin, sur le troisième moyen, elle fait valoir que la SCI était propriétaire de la moitié des terrains sur lesquels les autres prévenus réalisaient des opérations litigieuses, de sorte qu’elle était bénéficiaire de l’occupation du sol et des travaux irréguliers et pouvait donc être condamnée.
Pour aller plus loin :
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Réf. : CE, sect., 13 mai 2024, trois arrêts publiés au recueil Lebon, n° 474652 N° Lexbase : A35795B8, n° 472155 N° Lexbase : A35775B4 et n° 474507 N° Lexbase : A35785B7
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N9312BZW
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par Yann Le Foll
Le 02 Août 2024
► En subventionnant une association humanitaire menant une activité de sauvetage en mer de migrants, les collectivités territoriales ne doivent pas prendre parti dans un conflit de nature politique et toujours s’assurer que leurs subventions financent uniquement des activités réellement humanitaires.
Rappel. Aux termes de l’article L. 1115-1 du Code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige N° Lexbase : L4750L73 : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire. / À cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. Ces conventions précisent l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers […] ».
Faits. La requête initiale tendait à l’annulation de la délibération du 30 juillet 2020, par laquelle le conseil municipal de Montpellier a décidé d’attribuer une subvention de 15 000 euros à l’association SOS Méditerranée France.
Position CE (arrêt n° 474652). Si l’activité de cette association est bien susceptible de relever d’une action internationale à caractère humanitaire au sens de l’article L. 1115-1 du Code général des collectivités, ses responsables ont toutefois pris publiquement des positions, critiquant tant le refus opposé par certains États membres au débarquement des personnes qu’elle a secourues, que les orientations de l’Union européenne incitant à privilégier le débarquement des personnes secourues en Libye, pays de départ des embarcations. Ils ont, plus généralement, plaidé pour une politique de sauvetage en mer plus volontariste et mieux coordonnée de la part de l’Union européenne et de ses États membres.
En outre, il ressort des pièces du dossier que la délibération en litige ne précise pas la destination de la subvention de 15 000 euros qu’elle accorde à l’association. En outre, si la convention signée par la commune de Montpellier et l’association pour encadrer l’utilisation de cette subvention stipule à son article 5 que l’association s’engage à utiliser la subvention conformément à l’objet défini à l’article 1er, ce dernier se borne à stipuler que la subvention a été sollicitée pour le fonctionnement de l’association, et à rappeler, sans autre précision, l’ensemble des buts énumérés par l’article 1er de ces statuts.
Ni cette convention, en l’absence de stipulations réservant exclusivement l’utilisation de la subvention allouée à l’action de sauvetage en mer de l’association, à l’exclusion du financement des autres activités à caractère politique conduites par cette association, ni aucun autre élément du dossier ne suffisent à établir que la commune se serait assurée, par les conditions qu’elle aurait posées et des engagements appropriés qu’elle aurait demandé à l’association de prendre, que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire qu’elle entendait soutenir.
Décision. La délibération attaquée est donc annulée.
Position CE inverse (arrêts n° 472155 et 474507). La subvention accordée par le conseil de Paris est exclusivement destinée à financer l'affrètement d'un nouveau navire, en vue de permettre à l'association de reprendre ses activités de secours en mer. En outre, la convention conclue entre la Ville de Paris et l'association, en application de cette délibération, stipule que l'utilisation de la subvention à d'autres fins entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées, et que la Ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s'assurer du respect de ces obligations. La destination de ce soutien est donc suffisamment encadrée et répond à l’ensemble des conditions de fond et de forme exigées par la loi (n° 472155).
Dans la dernière affaire, la Haute juridiction a estimé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la commission permanente du conseil départemental de l’Hérault aurait, en prenant la délibération litigieuse, entendu s’associer aux prises de position publiques de l’association bénéficiaire. Elle a ainsi rejeté la demande d'annulation d'attribution de la subvention à la même association (n° 474507).
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Réf. : Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-22.641, F-B N° Lexbase : A61015A9
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N9317BZ4
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par Charlotte Moronval
Le 27 Mai 2024
► Le transfert du contrat de travail impose la signature d’une convention tripartite entre le salarié et ses employeurs successifs organisant la poursuite du même contrat de travail.
Faits. À la suite d’un accident du travail, un salarié, travaillant au sein d’une société X, est placé en arrêt de travail.
Durant cet arrêt, le salarié et cette société X signent une « convention de rupture de contrat d'un commun accord », puis le salarié signe un contrat à durée indéterminée avec la nouvelle société Y.
Finalement licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, il saisit la juridiction prud’homale pour faire constater la nullité de la rupture d'un commun accord intervenue pendant son accident du travail.
Il fait valoir qu'aucune convention tripartite n'a été signée entre lui-même et les deux employeurs successifs, dès lors qu'il avait signé deux documents distincts, et que cette rupture du contrat de travail pendant la période de suspension du contrat de travail, illicite vu qu'elle ne comptait pas parmi les modes légaux de rupture du contrat à durée indéterminée, s'analysait en un licenciement intervenu pendant la période de suspension du contrat de travail hors des cas prévus par la loi.
Procédure. Pour rejeter la demande d'annulation de la convention de rupture, la cour d'appel (CA Grenoble, 6 septembre 2022, n° 20/00800 N° Lexbase : A33538IZ), après avoir constaté que le salarié avait signé avec la société X, au cours de son arrêt de travail, une « convention de rupture de contrat d'un commun accord », précisant que les parties convenaient qu'il prenait ses fonctions auprès de la société Y à compter du même jour « aux mêmes conditions ou plus avantageuses qu'au moment présent de la rupture » puis signé un CDI avec cette société, en déduit que la société X, la société Y et le salarié ont conclu une convention tripartite n'ayant pas pour but de mettre définitivement un terme à son contrat de travail mais ayant pour objet de garantir la poursuite de la relation de travail, alors que le restaurant dans lequel le salarié était affecté allait être vendu.
Solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt.
En statuant comme elle l’a fait, alors qu'il résultait de ses constatations qu'aucune convention tripartite n'avait été signée entre le salarié et ses employeurs successifs organisant la poursuite du même contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016 et l'article L. 1231-1 du Code du travail N° Lexbase : L8654IAR.
Pour aller plus loin :
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N9298BZE
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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA
Le 15 Mai 2024
Mots-clés : avis de contrôle • contrôle URSSAF • procédure contradictoire • mise en demeure • contrainte
La revue Lexbase Social vous propose de retrouver, tous les deux mois, le panorama d’actualités jurisprudentielles de François Taquet, Professeur et avocat, en matière de cotisations sociales et plus spécialement relatif au contentieux du recouvrement.
Sommaire
I. Avis de contrôle
1. CA Aix-en-Provence, 19 avril 2024, n° 22/04202, 22/04204, 22/05148 et 21/05168
II. Déroulement du contrôle
2. CA Bordeaux, 14 mars 2024, n° 21/05930
3. CA Paris, 6-13, 8 mars 2024, n° 19/09142
4. CA Nancy, 12 mars 2024, n° 23/01989
III. Mise en demeure
5. TJ de Lyon, 7 mars 2024, n° 19/03342
6. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509
7. CA Aix-en-Provence, 19 mars 2024, n° 22/14749
8. TJ Bobigny, 10 avril 2024, n° 23/00620
9. CA Bastia, 17 avril 2024, n° 19/00341
10. TJ Lille, 16 janvier 2024, n° 22/01682
IV. Commission de recours amiable
11. CA Rennes, 10 avril 2024, n° 22/00433
V. Délais de paiement
12. CA Besançon, 5 mars 2024, n° 23/00066
VI. Contrainte et opposition à contrainte
13. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509
14. TJ de Marseille, 8 avril 2024, n° 23/02800
VII. Travail dissimulé
15. CA Amiens, 18 avril 2024, n° 22/04976
I. Avis de contrôle
1. CA Aix-en-Provence, 19 avril 2024, n° 22/04202 N° Lexbase : A018729S, 22/04204 N° Lexbase : A023029E, 22/05148 N° Lexbase : A0171299 et 21/05168 N° Lexbase : A018029K : un avis de contrôle daté du 7 mars 2016, avait été expédié le 15 mars 2016 au siège de la cotisante par lettre recommandée avec avis de réception, en précisant que les inspecteurs se présenteraient le 4 avril 2016 vers 9 heures 30 dans l'entreprise afin de procéder à un contrôle de cotisations. Par lettre recommandée adressée le 5 avril 2016, les inspecteurs du recouvrement se sont présentés le 6 avril 2016 vers 9 heures 30, sans avoir obtenu l'accord préalable de la personne morale contrôlée quant à la rectification de la date correspondant au point de départ des opérations de contrôle. L'URSSAF ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, d'avoir informé la cotisante, dans un délai suffisant, compatible avec son droit d'assistance, du report au 6 avril 2016 du contrôle ayant fait l'objet d'un avis régulièrement délivré fixant la date de début du contrôle au 4 avril 2016. Il en résulte que les droits de la défense de la cotisante n'ont pas été respectés. L'atteinte qui y a ainsi été portée a pour conséquence la nullité des opérations de contrôle, du redressement et de la mise en demeure subséquente.
Tout contrôle commence par un avis de contrôle (sauf en cas de travail dissimulé) envoyé au moins trente jours avant la première visite de l’agent chargé du contrôle (CSS, art. R. 243-59, I N° Lexbase : L4373MHG). Il s’agit d’une formalité substantielle en l’absence de laquelle la procédure de contrôle serait empreinte de nullité [1]. En cas de litige, c’est à l’URSSAF à apporter la preuve de l’envoi de ce document [2]. En cas de non-respect de la date de première visite, il incombe à l’inspecteur d’en informer le cotisant « en temps utile et par tout moyen approprié… et de rapporter la preuve de la réception de l’information en cas de recours contentieux ». En un mot, l’inspecteur doit informer le cotisant de la nouvelle date, sans obligation de renvoyer un avis de passage avec les mentions obligatoires [3]. En l’absence de cette information, la procédure de contrôle et le redressement sont nuls.
II. Déroulement du contrôle
2. CA Bordeaux, 14 mars 2024, n° 21/05930 N° Lexbase : A52382WW : un avis de contrôle avait été adressé le 15 décembre 2014 à la société pour un contrôle devant commencer le 3 février 2015. Le même jour (soit le 15 décembre 2014), l'Urssaf avait également adressé à la société un courrier distinct, mentionnant comme objet « Réunion d'ouverture », par lequel le responsable du département « inspection du recouvrement », annonçait une première rencontre fixée 28 janvier 2015, dont il était précisé qu'elle était « préalable à l'intervention » et qu'elle avait pour objet la présentation des deux inspecteurs du recouvrement en charge de la vérification. Le signataire de ce courrier ajoutait : « La méthodologie du contrôle vous sera exposée ainsi que le déroulement des opérations et les modalités d'intervention ». Or, il en ressortait que les membres de la société avaient été interrogés sur les pratiques de l'entreprise en matière de frais professionnels et pour le remboursement des kilomètres effectués pour son compte par les salariés avec leurs véhicules personnels. En interrogeant les cadres de la société en charge des ressources humaines sur plusieurs éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l'entreprise, les agents de l’URSSAF avaient engagé les opérations de contrôle, qui n'avaient pourtant été annoncées qu'à compter du 3 février suivant, dès le 28 janvier 2015. Il en résulte que, incorrectement informée de la nature de ce rendez-vous du 28 janvier 2015, la société n'avait pu organiser sa défense utilement, cela en violation du respect du contradictoire. L'irrégularité de la procédure entraînait l'annulation de l'ensemble des mises en demeure et des redressements notifiés.
Faut-il rappeler qu’avant l’heure, ce n’est pas l’heure ! Certes, une réunion de présentation des inspecteurs aux interlocuteurs de la société en charge du contrôle eut été possible. Le problème en l’espèce, est que les salariés de l’entreprise attestaient que la conversation avait dérivé sur les éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l'entreprise. La sanction était ici prévisible : la nullité du contrôle…
3. CA Paris, 6-13, 8 mars 2024, n° 19/09142 N° Lexbase : A48372UP : les dispositions de l'article L. 243-13 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2554MGP (limitation de la durée du contrôle dans les TPE) ont été instituées dans l'intérêt des entreprises à faible effectif pour limiter les charges de gestion inhérentes à un contrôle de l'assiette de leurs cotisations et contributions sociales. Le calcul de l’effectif de vingt salariés s’apprécie au moment du contrôle.
Concernant les entreprises de moins de vingt salariés, le contrôle est alors limité à trois mois (renouvelables) avec des exceptions. Toutefois, à quel moment faut-il apprécier cet effectif ? Sur la période contrôlée ou au temps du contrôle ? La réponse de la cour d’appel de Paris est ici très claire. C’est au moment du contrôle qu’il convient de prendre en compte l’effectif, sachant que ces dispositions « ont été instituées dans l'intérêt des entreprises à faible effectif pour limiter les charges de gestion inhérentes à un contrôle de l'assiette de leurs cotisations et contributions sociales « (V. dans le même sens : CA Paris, 6-13, 25 juin 2021, n° 17/07085 N° Lexbase : A09554XN).
4. CA Nancy, 12 mars 2024, n° 23/01989 N° Lexbase : A81032UN : dans le cadre d’un contrôle par échantillonnage, l'URSSAF n'apparaît pas avoir informé la société à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, correspondant à la troisième phase, des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillonnage et des régularisations envisagées et avoir invité la société à faire part de ses remarques afin que les régularisations soient, le cas échéant, rectifiées. En conséquence la société est fondée à solliciter l'annulation du chef de redressement correspondant.
On sait que depuis le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 N° Lexbase : L9947HUX, à côté de la procédure de contrôle sur place coexistent deux autres types de contrôles :
▪ le contrôle sur pièces, dès lors que l’entreprise concernée occupe moins de onze salariés au 31 décembre de l'année qui précède celle de l'avis de contrôle (CSS, art. R. 243-59-3 N° Lexbase : L9077LSY). Ce type de vérification qui ne nécessite pas l’accord du cotisant, peut être opéré dans les locaux des organismes à partir des éléments dont dispose l’organisme et de ceux demandés à l’intéressé ;
▪ le contrôle par échantillonnage et extrapolation prévu par l’article R. 243-59-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4375MHI. Selon ce dernier article, le recours à la méthode d'échantillonnage et d'extrapolation est possible, dans le cadre d’un contrôle de cotisations, sauf opposition écrite de l'employeur dans les quinze jours avant le début de la vérification. Ce contrôle comporte quatre phases et est considéré comme compliqué, imprécis, et source de contentieux. D’ailleurs, force est de constater que maintes décisions rendues par les juridictions du fond se sont révélées défavorables aux URSSAF, essentiellement pour non-respect de la procédure contradictoire [4].
Justement, il était reproché ici à l’URSSAF de ne pas avoir informé la société à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, correspondant à la troisième phase, des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillonnage et des régularisations envisagées.
Cette décision n’est pas sans rappeler de précédents arrêts où l’URSSAF ne justifiait pas de la communication à l'employeur des résultats de l'étude exhaustive de l'échantillon à l'issue de la phase 3, ni de ce que le cotisant avait été invité à présenter ses remarques sur ce point. Dans ces conditions, le principe du contradictoire n'avait pas été respecté, ce qui entraînait la nullité de la procédure de redressement [5].
III. Mise en demeure
5. TJ de Lyon, 7 mars 2024, n° 19/03342 N° Lexbase : A85792TW : contrairement à la contrainte, la mise en demeure préalable n'est pas de nature contentieuse et n'est donc pas soumise aux règles de notification des actes de procédure civile. La validité d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée n'est pas soumise à sa réception effective ou à la signature de l'accusé de réception par le cotisant. Il est constant que le défaut de réception par son destinataire d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception n'affecte ni la validité de celle-ci, ni la validité des actes de poursuite subséquents.
Rappelons que dès lors que l’URSSAF justifie de l’envoi de la mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception, le défaut de réception effective par le cotisant de cette mise en demeure n’est pas susceptible d’affecter ni la validité de celle-ci, ni la validité de la procédure de redressement [6].
6. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 N° Lexbase : A30392WH : lorsque l'employeur ou le travailleur indépendant a répondu aux observations avant la fin du délai imparti, la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l'objet du redressement ne peut intervenir avant l'expiration de ce délai et avant qu'il ait été répondu par l'inspecteur du recouvrement aux observations de l'employeur ou du travailleur indépendant. Une mise en demeure adressée à la société avant l'expiration du délai de trente jours imparti à celle-ci pour répondre à la lettre d'observations ou avant qu'il ait été répondu par l'inspecteur du recouvrement aux observations du cotisant, est entachée de nullité, de sorte qu'elle ne peut fonder l'action en recouvrement des cotisations litigieuses par l'URSSAF.
On peut, légitimement s’interroger sur les conséquences du non-respect du délai de réponse de trente jours (éventuellement renouvelables) par l’URSSAF. Dans un arrêt du 2 juillet 1984, la Chambre sociale a, logiquement, décidé que la mise en demeure adressée à un employeur moins de trente jours (éventuellement renouvelables) après les observations de l’organisme était nulle [7]. De même, la mise en demeure ne peut intervenir avant qu’il ait été répondu par l’inspecteur du recouvrement aux observations de l’employeur. Faute de respecter cette obligation, la mise en demeure serait nulle [8].
7. CA Aix-en-Provence, 19 mars 2024, n° 22/14749 N° Lexbase : A62412W3 : l'annulation d'une mise en demeure remplacée par une autre pour régulariser la procédure de recouvrement à la suite du redressement notifié par lettre d'observations ne suppose pas que le redressement lui-même est infondé.
Une URSSAF peut-elle régulariser une mise en demeure nulle par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure cette fois ? La réponse ne semble guère évidente et a donné lieu à peu de jurisprudence. Toutefois, la jurisprudence a répondu positivement à cette interrogation, et ce d’autant que la mise en demeure ne constitue pas un acte de procédure (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.384, F-P+B N° Lexbase : A8348WLR - une URSSAF peut régulariser une mise en demeure nulle (pour non-respect de la procédure contradictoire) par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure : CA Amiens, 8 avril 2021, n° 18/04145 N° Lexbase : A83304NT – CA Rennes, 17 avril 2024, n° 20/00527 N° Lexbase : A4365288).
8. TJ Bobigny, 10 avril 2024, n° 23/00620 N° Lexbase : A060428U : les montants réclamés au titre du redressement ne portent pas exclusivement sur des cotisations du régime général, mais également sur la CSG/CRDS, le versement mobilité et la contribution au dialogue social alors que la mise en demeure ne comporte aucune référence à ces différentes contributions obligatoires. Dès lors, la mise en demeure sur laquelle se fonde l’URSSAF et qui n’informe pas suffisamment le cotisant sur la nature des cotisations réclamées sera annulée de même que les redressements y afférents.
Cet arrêt est à verser au dossier du contenu de la mise en demeure. Suivant l’arrêt dit « Deperne », « la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation; qu’à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (Cass. soc., 19 mars 1992, n° 88-11.682 N° Lexbase : A1077AA7). On notera cette position très ferme de la Chambre sociale suivant laquelle ce formalisme doit être respecté « à peine de nullité », « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 a inscrit dans l’article R. 244-1, alinéa 1 du Code de la Sécurité sociale, les obligations de l’arrêt « Deperne ».
Qui plus est, la nature de l’obligation renvoie à ses caractéristiques. Bien qu’aucune définition ne soit donnée de cette notion, on pourrait considérer qu’il s’agit de la « nature des dettes du cotisant » [9].
On notera que selon l’article L. 244-2, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6932LN3, « le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé… ».
Or, dans bien des cas, et pour des raisons de simplicité la mise en demeure se contente d’indiquer à la rubrique « Nature des cotisations » la mention « régime général », (ledit régime général étant défini à l’article L. 200-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4703MHN et couvrant un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie), ce qui se révèle bien souvent une inexactitude dès lors que :
▪ le redressement porte pour partie sur la CSG (mentionnée dans les observations p. 6, 10, 12 et 13). Pourtant, la CSG ne constitue pas une cotisation mais un impôt (la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 N° Lexbase : L1670I8D est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt : Cons. const., décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 N° Lexbase : A8228ACQ, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 N° Lexbase : A1162AIU – V. TJ de Lille qui a justement annulé une mise en demeure qui indiquait porter sur des cotisations alors que tel n’était pas le cas : TJ de Lille, 12 juillet 2022, n° 20/01497 N° Lexbase : A59038ML).
▪ le redressement comporte des sommes relatives à la contribution d'assurance chômage et l’AGS qui ne font partie du « Régine général » tel que défini à l’article L. 200-1 du Code de la Sécurité sociale. Certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d'assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 N° Lexbase : L1205IGQ). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement de ces sommes qui, elles, n’ont strictement rien à voir avec le régime général de la Sécurité sociale puisqu’elles ne le financent aucunement [10] ;
▪ la lettre d’observations évoque des « contributions » FNAL. Rappelons ainsi que la contribution FNAL, est recouvrée par l’URSSAF, mais constitue un impôt (Cons. const., décision n° 2014-706 DC, du 18 décembre 2014 N° Lexbase : A7888M7B) ;
▪ le redressement évoque du versement mobilité (CGCT, art. D. 2333-97 N° Lexbase : L5616LXB). Or, ce versement qui vise les entreprises d’au moins onze salariés, est destiné au financement des transports en commun (CGCT, art. L. 2333-68 N° Lexbase : L3968LUI et D. 2333-86 N° Lexbase : L5614LX9). Pratiquement, il constitue un impôt entrant dans la catégorie des impositions de toutes natures [11]. Toutefois, si ce versement constitue un impôt, il résulte de l'article L. 2333-69 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4724I74 que les organismes de recouvrement sont seuls compétents pour procéder aux opérations d'assiette et de recouvrement des dites sommes (CGCT, art. D. 2333-92 N° Lexbase : L5615LXA ; V. Cass. civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-12.510, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2360WIA ; et logiquement, la restitution des sommes indûment versées par l'employeur incombe aux mêmes organismes de recouvrement : Cass. civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-12.551, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6828WHD). Certes, dès lors qu’un redressement concerne le versement mobilité, la mise en demeure peut se limiter la mention « cotisations de Sécurité sociale et versement destiné au financement des services de mobilité ». Encore faut-il que cette mention apparaisse. Et en l’absence de ces précisions minima, il est clair que la mise en demeure serait nulle [12].
Soulignons également que le fait que le cartouche de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations ne serait ici strictement d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est inexacte, imprécis… L’URSSAF, sauf à sombrer dans l’absurdité ne saurait donc se targuer d’un renvoi à la lettre d’observations alors que c’est la mention même de la « nature » des sommes réclamées qui est fausse.
Malgré ces arguments de poids, il semble que certaines décisions nient l’évidence [13]. À tort selon nous.
9. CA Bastia, 17 avril 2024, n° 19/00341 N° Lexbase : A458328A : la mise en demeure doit inviter l'employeur ou le travailleur indépendant « à régulariser sa situation dans le mois », la mention de ce délai étant prévu à peine de nullité du moyen de recouvrement. Dans la situation en litige, la mise en demeure ne portant aucune mention du délai pendant lequel la société était invitée à procéder au paiement des sommes qui lui étaient réclamées, la personne morale redressée est bien fondée à invoquer la nullité de la procédure de redressement suivie à son encontre par L'URSSAF depuis la lettre d'observation établie.
V. dans le même sens : Cass. civ. 2, 31 mai 2005, n° 03-30.658, FS-D N° Lexbase : A5126DIP ; Cass. civ. 2, 19 décembre 2019, n° 18-23.623, F-P+B+I N° Lexbase : A1285Z9H ; Cass. civ. 2, 12 mars 2020, n° 18-20.008, F-D N° Lexbase : A76713IX ; Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-22.978, F-D N° Lexbase : A88414B3, 19-23.973 N° Lexbase : A89304BD ; CA Paris, 6-12, 9 septembre 2022, n° 19/06829 N° Lexbase : A80882B8 ; CA Paris, 6-12, 23 septembre 2022, n° 17/11824 N° Lexbase : A90388LC. Peu importe en la matière une simple référence à l’article L. 244-2 N° Lexbase : L6932LN3 : CA Toulouse, 29 avril 2022, n° 19/05496 N° Lexbase : A81387UX – CA Paris, 6-13, 9 décembre 2022, n° 19/10114 N° Lexbase : A61328Z7.
10. TJ Lille, 16 janvier 2024, n° 22/01682 N° Lexbase : A788827B : l'erreur de quelques euros (5 euros avec la somme mentionnée dans la lettre d'observations, par l'effet d'un écart de 2,06 euros pour l'année 2016, de 1,09 euros pour 2017 et 1,03 euros pour 2019 et d'écarts de centimes d'euros manifestement liés à un arrondi à l'unité de la somme due pour 2018, 2020 et 2021) sur le montant dû n'est pas de nature à induire le cotisant en erreur sur la cause, la nature et l'étendue de son obligation.
Certes, cinq euros peuvent paraître minimes (V. dans le même sens CA Rouen, 5 avril 2024, n° 21/04373 N° Lexbase : A100524Y pour 1 euro de différence ou CA Amiens, 27 mars 2023, n° 21/05089, 21 euros de différence en défaveur de la société, entre la lettre d’observations et la mise en demeure – CA Toulouse, 14 juin 2023, n° 21/00325 N° Lexbase : A333193R : la mise en demeure est valide même en cas de différence infime entre le montant de la somme réclamée dans la mise en demeure et le montant de celle figurant dans la lettre d'observations). Il n’empêche que suivant l’article L. 244-2, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale « le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé ». En l’espèce, peut-on considérer que le montant soit précis ? Sauf à retirer le sens des mots, précis veut dire « exact » selon la définition du Larousse. Or, ici, force est de constater que ce montant n’est pas exact. Qui plus est, admettre un tel raisonnement ne revient-il pas à cautionner la notion « d’enrichissement sans cause » pour les organismes de recouvrement !
IV. Commission de recours amiable
11. CA Rennes, 10 avril 2024, n° 22/00433 N° Lexbase : A711424A : l'article L. 231-1 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1842KNK qui dispose que « le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation » et à l'article R. 142-1-A du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4549LUZ dans sa rédaction issue du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 N° Lexbase : L6292LMY. Toutefois l'article D. 231-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L2032KNL limite à une liste publiée sur un site internet relevant du Premier ministre les procédures pour lesquelles le silence gardé vaut acceptation et selon l'article R. 142-6 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L1323LK9 dans sa version applicable (du 13 janvier 2011 au 1er janvier 2019) lorsque la décision du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai d'un mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée. Il en résulte qu'en tout état de cause, le silence de la commission de recours amiable ne vaut pas acceptation du recours, comme soutenu à tort par l'appelant, mais décision implicite de rejet.
Jurisprudence constante : le cotisant ne peut se prévaloir d'une décision implicite d'acceptation de sa demande à raison du silence gardé par la commission de recours amiable de la caisse, le renvoi opéré par l'article R. 142-1-A au Code des relations du public avec l'administration ne pouvant remettre en cause les dispositions particulières de l'article R. 142-6 du Code de Sécurité sociale qui présentent un caractère dérogatoire au principe général de silence valant acceptation de l'article L. 213-1 du CRPA [14].
V. Délais de paiement
12. CA Besançon, 5 mars 2024, n° 23/00066 N° Lexbase : A51102W8 : s’agissant des délais de paiement, les dispositions de l'article 1343-5 du Code civil N° Lexbase : L0688KZI sont inapplicables au litige. L'octroi de délais de paiement relève en effet de la compétence exclusive du directeur de la caisse et non du tribunal, comme le confirme l'article R. 133-9-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8086L3U.
Jurisprudence constante. C’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’octroi de délais de paiement relevait de la seule compétence de l’URSSAF : CA Paris, 6-12, 4 mai 2018, n° 15/01681 N° Lexbase : A3508XMU ; CA Bordeaux, 3 mai 2018, n° 16/05916 N° Lexbase : A2281XMG ; CA Orléans, 16 juillet 2019, n° 17/03712 N° Lexbase : A5628ZKN ; CA Chambéry, 17 octobre 2019, n° 18/02500 N° Lexbase : A4985ZR3 ; CA Chambéry, 14 novembre 2019, n° 19/00385 N° Lexbase : A3490ZYW ; CA Versailles, 12 décembre 2019, n° 17/04778 N° Lexbase : A9149Z7Y ; CA Bordeaux, 12 novembre 2020, n° 18/00827 N° Lexbase : A503834D ; CA Basse-Terre, 23 novembre 2020, n° 18/00879 N° Lexbase : A4831373 ; CA Aix-en-Provence, 19 novembre 2021, n° 20/05001 N° Lexbase : A35137C4 ; CA Metz, 27 février 2023, n° 21/01658 N° Lexbase : A24909HP.
VI. Contrainte et opposition à contrainte
13. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 N° Lexbase : A30392WH : le cotisant peut former une opposition à contrainte alors même qu'il n'a formé aucun recours contre la mise en demeure devant la commission de recours amiable de l'Urssaf dans le mois suivant la notification de la mise en demeure en application de l'article R. 142-18 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4553LU8. Seule une décision de la commission de recours amiable devenue définitive ne peut être remise en cause par voie d'opposition à contrainte. En outre, il résulte des articles R. 133-3 N° Lexbase : L6987MD7, R. 142-1 N° Lexbase : L1326LKC et R. 142-18 du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte.
Rappelons trois points fondamentaux :
▪ il résulte de la combinaison des articles R. 133-3 et R. 142-1 du Code de la Sécurité sociale, que les organismes de recouvrement du régime général conservent la possibilité de décerner une contrainte nonobstant la saisine de la commission de recours amiable (CA Versailles, 19 décembre 2019, n° 18/00795 N° Lexbase : A8122Z8C) ;
▪ dès lors, la décision de la commission est devenue définitive, sa contestation en justice, pour quelque motif que ce soit, est irrecevable (CA Paris, 6 décembre 2019, n° 15/00788) ;
▪ le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte (Cass. soc., 22 septembre 2022, n° 21-10.105, FS-B N° Lexbase : A25408KB et n° 21-11.862, FS-B N° Lexbase : A25488KL).
14. TJ de Marseille, 8 avril 2024, n° 23/02800 N° Lexbase : A258824M : l’opposition à contrainte demeure recevable si la lettre a été adressée dans le délai de quinze jours, même si elle est reçue postérieurement. En conséquence, le respect du délai impératif de quinze jours ouvert au cotisant est apprécié au regard de la date d'expédition de la lettre d'opposition, le cachet de [X] faisant foi.
Jurisprudence constante : Comm. 1° instance Metz, 19 janvier 1962, Sté S c. CAF de Moselle ; CA Aix-en-Provence, 2 février 2018, n°17/08174 N° Lexbase : A5009XCI.
VII. Travail dissimulé
15. CA Amiens, 18 avril 2024, n° 22/04976 N° Lexbase : A5551284 : s’il procède du constat d'un travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement effectué par l'URSSAF a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur, laquelle est requise pour caractériser l'infraction pénale.
Jurisprudence constante : CA Paris, 6-13, 17 mars 2023, n° 18/02689 N° Lexbase : A52739KI.
[1] Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-18.152, F-P+B N° Lexbase : A6354D99 ; CA Paris, 6-13, 30 novembre 2018, n° 16/02489 N° Lexbase : A6717YN4 et n° 16/02494 N° Lexbase : A6909YN9.
[2] CA Paris, 6-12, 21 décembre 2017, n° 15/11353 N° Lexbase : A7015W8C, 15/11357 N° Lexbase : A6291W8I et 15/11361 N° Lexbase : A6622W8R.
[3] Cass. civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-13.409, F-P+B N° Lexbase : A2114XHR ; CA Limoges, 22 mai 2018, n° 17/01051 N° Lexbase : A8335XNZ.
[4] V. Cass. civ. 2, 19 juin 2014, n° 13-19150, F-P+B N° Lexbase : A5813MRQ ; V. également : CA Bordeaux, 26 juin 2014, n° 12/04648 N° Lexbase : A9821MR8 – CA Riom, 8 juillet 2014, n° 12/01955 N° Lexbase : A2148MU4 – CA Rennes, 28 janvier 2015, n° 13/07753 N° Lexbase : A4610NAY – CA Agen, 10 février 2015, n° 13/01547 N° Lexbase : A2666NBD – CA Bourges, 29 mai 2015, n° 14/00076 N° Lexbase : A8068NIN – CA Poitiers, 17 juin 2015, n° 14/03089 N° Lexbase : A2350NLM.
[5] CA Lyon, 19 septembre 2023, n° 21/04623 N° Lexbase : A91921HW ; CA Rouen, 11 décembre 2019, n° 18/00071 N° Lexbase : A7815Z7L ; CA Bordeaux, 26 octobre 2023, n° 21/01718 N° Lexbase : A67071QH.
[6] CA Aix-en-Provence, 31 mai 2011, n° 10/00375 N° Lexbase : A0540HT8, 13 septembre 2019, n° 18/10408 N° Lexbase : A4172ZNT – CA Toulouse, 13 septembre 2019, n° 18/01743 N° Lexbase : A4397ZN8 – CA Grenoble, 10 septembre 2019, n° 17/05686 N° Lexbase : A8687ZMP – CA Rennes, 27 novembre 2019, n° 17/06797 N° Lexbase : A7719Z3B – CA Basse-Terre, 9 décembre 2019, n° 18/00832 N° Lexbase : A6279Z7P ; Cass. civ. 2, 24 janvier 2019, n° 17-28.437, F-D N° Lexbase : A3178YUA.
[7] Bull. civ. V., n° 281, V. dans le même sens : Cass. soc., 2 juin 1994, Commune de Steenvorde c. URSSAF de Lille, inédit N° Lexbase : A3458CLN ; Cass. soc., 16 juin 1994, URSSAF de Melun c. SNECMA, inédit N° Lexbase : A3891AAD. V. dans le même sens : CA Caen, 10 avril 2015, n° 12/03512 N° Lexbase : A5393NGT ; CA Aix-en-Provence, 14 mai 2013, n° 11/13873 N° Lexbase : A2187KDD ; CA Amiens, 12 février 2014, n° 13/02605 N° Lexbase : A0923MEW.
[8] CA Amiens, 12 février 2014, n° 13/02605 ; CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n° 13/01122 ; CA Aix-en-Provence, 26 octobre 2016, n° 15/12218 ; CA Aix-en-Provence, 31 août 2017, n° 16/18325. La mise en demeure délivrée, alors même qu’aucune réponse n’avait été apportée aux observations de M. A., au mépris des dispositions de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, est nulle et de nul effet : CA Agen, 13 février 2018, n° 16/00779.
[9] D. Rigaud, Droit et pratique du contrôle URSSAF, Éd Liaisons, 2003, p. 166.
[10] CA Aix-en-Provence, 9 décembre 2022, n° 21/08307 N° Lexbase : A60488ZZ ; TJ de Besançon, 13 juin 2022, n° 21/00191 N° Lexbase : A59018MI.
[11] Cons. const., décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991 N° Lexbase : A8241AC9 ; T. confl., 7 décembre 1998, n° 3123 N° Lexbase : A3484WAB ; Cass. soc., 10 décembre 1998, n° 97-13.628 N° Lexbase : A3417AB8.
[12] Cass. civ. 2, 14 février 2019, n° 18-10.238, F-D N° Lexbase : A3330YXM ; CA Nancy, 2 mai 2023, n° 22/00011 N° Lexbase : A09149TZ ; CA Saint-Denis de la Réunion, 4 mai 2023, n° 22/00912 N° Lexbase : A95479U7 ; CA Nancy, 13 février 2024, n° 23/01055 N° Lexbase : A92112M4.
[13] V. Cass. civ. 2, 6 avril 2023, n° 21-18.645, F-D N° Lexbase : A62119ND ; CA Grenoble, 30 novembre 2023, n° 22/01598 N° Lexbase : A560717S.
[14] CA Nancy, 10 mai 2022, n° 21/02909 N° Lexbase : A47377WD – CA Dijon, 16 mars 2023, n° 21/00801 N° Lexbase : A82799KT et 22/00012 N° Lexbase : A82459KL.
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par Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’institut de criminologie et de droit pénal de l’université Panthéon-Assas
Le 19 Juillet 2024
Mots-clés : droit pénal fiscal • infractions • procédure • visites domiciliaires • répression
La présente chronique traite des décisions rendues par le juge pénal en matière de droit fiscal ainsi que par le juge des libertés et de la détention statuant en matière de visites et de saisies (LPF, art. L. 16 B) sous la plume de Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’Institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Panthéon-Assas.
Sommaire :
I. Les infractions du droit pénal fiscal
A. Éléments constitutifs des délits fiscaux
B. Répression des délits fiscaux
II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal
A. L’action publique en droit pénal fiscal
B. L’action civile en droit pénal fiscal
I. Les infractions du droit pénal fiscal
A. Éléments constitutifs des délits fiscaux
1°) Élément matériel des délits fiscaux
Il convient de rappeler qu’afin de mettre un terme à des discordances existant entre le régime de TVA appliqué aux immeubles en France et le droit de l’Union européenne, l'article 16 de la loi n° 2010-237, du 9 mars 2010, portant loi de finances rectificative pour 2010 N° Lexbase : L6232IGW a procédé à la mise en conformité du droit interne. Il en est résulté une redéfinition du champ d'application de la TVA en matière immobilière.
Ce nouveau régime établit des règles d’application de la TVA différenciées, selon que celui qui réalise la livraison de l'immeuble est ou non assujetti à la TVA agissant en tant que telle. L’article 2, 1, a de la Directive « TVA »( Directive (CE) n° 2006/112 du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ), et les articles 256 N° Lexbase : L5704MAI et 257 N° Lexbase : L7636MD8 du Code général des impôts prévoient que la vente d'un immeuble n'entre ainsi dans le champ de la TVA que lorsqu'elle est effectuée par un assujetti agissant en tant que tel.
Aux termes de l'article 256 de ce Code : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens [...] effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel [...] ». Selon l'article 256 A du même Code : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / [...] Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services [...] ».
Par ailleurs, l’article 257 du même code prévoit que « sont soumises à la TVA les opérations concourant à la production et à la livraison d’immeubles […]
2° Comme immeubles neufs [...] les immeubles bâtis achevés depuis 5 ans au plus, qui résultent:
Les principes ci-dessus rappelés permettent de mieux cerner l’angle d’attaque des demandeurs au pourvoi, condamnés du chef de fraude fiscale.
Ils ont fait valoir devant la Haute juridiction que l’opération immobilière litigieuse n’était pas soumise à la TVA car les opérations immobilières ne le sont, par application de l’article 256 du Code général des impôts, qu’à la condition que la personne les réalisant ait la qualité d’assujetti, ce qui n’est pas le cas, selon eux, de la SCI qu’ils ont constituée. Ils ont invoqué le bénéfice de la présomption simple de non-assujettissement et l’absence de caractérisation par les juges de démarches actives de commercialisation foncière qui mobilisent des moyens similaires à ceux déployés par un producteur un commerçant ou un prestataire de services, qui permettent seuls de la renverser.
S’agissant de la qualité d’assujetti, au sens de l'article 256 A du Code général des impôts N° Lexbase : L3557IAY, une distinction doit être faite entre :
À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne juge que « seuls les paiements qui constituent la contrepartie d’une opération ou d’une activité économique entrent dans le champ d’application de la TVA » et que « tel n’est pas le cas de paiements qui résultent de la simple propriété du bien » (CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08, § 29, Skatteverket c/ AB SKF N° Lexbase : A5614EMU. Mais elle a ultérieurement précisé que si « le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne saurait, en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique », « tel n’est cependant pas le cas lorsque l’intéressé entreprend des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services », par exemple, s’agissant de la vente de terrains, la réalisation de travaux de viabilisation et la mise en oeuvre de moyens de commercialisation avérés (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180/10 et C-181/10, § 36, 39 et 40, Jaroslaw Slaby c/ Minister Finansów N° Lexbase : A7298HXL ; CJUE, 9 juillet 2015, aff. C-331/14, Petar Kezic s.p. Trgovina Prizma N° Lexbase : A7910NMW).
Pour sa part, le Conseil d’État se livre à une analyse globale de l’opération qui lui est soumise pour apprécier l’existence ou non d’une activité économique relevant de la TVA (CE 3° et 8° ch.-r., 9 juin 2020, n° 432596, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A15483NN).
Lire en ce sens les conclusions de la Rapporteure publique, K. Ciavaldini dans cette affaire, Lexbase fiscal, juin 2020, n° 829 N° Lexbase : N3801BYG. |
Au cas présent, l’arrêt attaqué, après avoir appelé les dispositions de l’article 257 du Code général des impôts qui excluent de l’exonération de TVA les opérations concourant à la production ou à livraison d’immeubles neufs, a énonce que :
En l’état de ces énonciations, les juges du fond en ont justement déduit, selon la chambre criminelle, qu’en procédant ainsi, la SCI s’est livrée à une activité de promotion construction immobilière assujettie à la TVA et qu’elle aurait due par conséquent, souscrire des relevés mensuels mentionnant le montant des opérations réalisées et le détail des opérations taxables.
Dans cette affaire, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières faisait grief à l’arrêt attaqué d’avoir relaxé les prévenus du chef d’achats de marchandises à une personne inconnue (CGI, art. 539 N° Lexbase : L7391HLC) en application du principe ne bis in idem, alors que le fait d’acheter des marchandises à une personne inconnue et le fait d’omettre une mention sur le livre de police (CGI, art. 537 N° Lexbase : L5024IC3) ne sont pas matériellement identiques et que les textes les réprimant tendent à la protection d’intérêts distincts.
Il est patent en effet que la cour d’appel a prononcé la relaxe du chef d’achats de marchandises à une personne inconnue, après avoir retenu que le défaut de renseignement sur le registre de police de l’identité des personnes ayant vendu les métaux précieux caractérise le délit d’achat à une personne inconnue. Elle en conclut que la qualification spéciale d’achat de marchandises à une personne inconnue incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par la qualification générale de tenue non conforme du registre de police.
Cette motivation est critiquable au regard du tout récent critère d’application du principe ne bis in idem, dégagé par la Haute juridiction
En effet, depuis un arrêt de principe, rendu en formation plénière, la chambre criminelle juge qu’ « outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : Dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue. Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale » (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL).
Ainsi, en cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem interdit le cumul de qualifications pour la déclaration de culpabilité lorsque les infractions retenues répriment tout d’abord des faits identiques (Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B), et dans certains cas. L'interdiction du cumul de qualifications implique ainsi désormais que soient remplies deux conditions cumulatives, l'une tenant à l'identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l'autre à leur définition légale. Le cumul est autorisé lorsqu'une seule de ces conditions n'est pas remplie (Cass. crim., 9 juin 2022, n° 21-80.237, FS-B N° Lexbase : A793074H).
Au cas présent, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’identité des faits, condition minimale nécessaire à l’application du principe ne bis in idem.
Or, comme le relève l’administration des douanes dans son mémoire, les faits sont matériellement distincts. Le délit de tenue non conforme du registre de police est caractérisé par le fait de ne pas indiquer au registre l’identité et l’adresse des personnes ayant vendu l’or et les métaux précieux ainsi que la nature, le nombre, le poids, le titre, la date d'entrée et de sortie et l'origine de ces matières (CGI, art. 56 J quindecies, annexe IV N° Lexbase : L3654IGG). En revanche, le délit d’achat de marchandises à une personne inconnue est caractérisé par une opération juridique d’achat conclue avec un tiers, laquelle est d’ailleurs nécessairement antérieure à la tenue non conforme du registre. Si la tenue non conforme du registre peut permettre de prouver l’achat de marchandises à une personne inconnue, elle n’est pas un élément constitutif de l’achat qui intervient préalablement.
En conséquence, c’est bien à tort que la cour d’appel a retenu l’application du principe ne bis in idem et en a tiré pour conséquence la relaxe du chef d’achat de marchandises à une personne inconnue.
La chambre criminelle juge que les déclarations de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment sont fondées sur des faits dissociables, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs placés sur les comptes détenus auprès d’une banque, ouverts au nom de sociétés-écrans, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de ces comptes (Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.969, F-D N° Lexbase : A23237ER).
Par conséquent, aucune condamnation du chef de fraude fiscale ne peut résulter de la caractérisation par le juge répressif de la seule infraction sous-jacente de fraude fiscale.
Au cas présent, le demandeur au pourvoi faisait grief à l’arrêt de n’avoir relevé que des faits caractérisant une fraude fiscale à son encontre, sans relever un élément matériel et un élément intentionnel distinct caractérisant le blanchiment de fraude fiscale.
En effet, lorsqu’est évoquée la dissimulation des sommes normalement sujettes à l’impôt, les juges du fond font référence, non à l’opération de dissimulation incriminée par l’article 324-1 du Code pénal N° Lexbase : L1789AM9, mais à celle envisagée par l’article 1741 du Code général des impôts N° Lexbase : L1203ML7, de sorte que l’arrêt n’a caractérisé que la fraude fiscale, et non son blanchiment.
L’arrêt d’appel est donc ici cassé pour défaut de motifs propres à caractériser le délit de blanchiment de fraude fiscale.
2°) Élément moral des délits fiscaux
Dans cette affaire, le pourvoi du procureur général de la cour d’appel vient reprocher à l’arrêt attaqué d’avoir statué par des motifs contradictoires et insuffisants tant sur l’absence d’intention coupable du prévenu que sur l’existence de la délégation consentie au comptable.
1° Sur le premier point, l’article 1741 du Code général des impôts exige au titre du délit de fraude fiscale que le contribuable ait volontairement omis de faire sa déclaration ou ait dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt. L’omission ou la dissimulation doit avoir été commise « volontairement » (Cass. crim., 6 décembre 2017, n° 16-85.307, F-D N° Lexbase : A1208W7U). Mais, comme souvent en droit pénal des affaires, l’élément moral se réduit à une Peau de chagrin. En effet, la chambre criminelle juge de longue date que « l’élément intentionnel résulte de la conscience de l’inexactitude des déclarations faites à l’administration » (Cass. crim., 12 janvier 1981 : Bull. crim. 1981, n° 14 ; Cass. crim., 2 juillet 1998 : Bull. crim. 1998, n° 213 ; Cass. crim., 23 mars 2016, n° 15-80.953 : Dr. fisc. 2016, chron. 321, R. Salomon).
Dans la présente affaire, les juges d’appel ne pouvaient dire non caractérisé l’élément moral du délit après avoir relevé que le prévenu, qui avait perçu une rémunération totale de 708 000 euros, au titre de son activité professionnelle sur l’année 2016, avait porté sur sa déclaration de revenus la seule somme de 257 879 euros, la différence de 450 121 euros résultant d'une dissimulation d'honoraires directement perçus sur son compte personnel.
2° Sur le second point du pourvoi, il convient de rappeler qu’en dehors des hypothèses où s'applique une présomption légale de responsabilité pénale, la jurisprudence considère que les la participation personnelle des dirigeants de sociétés, s’étant soustraites à l'impôt est présumée, de sorte que, seule, l’établissement d'une délégation de pouvoir de leur part leur permet en pratique d’échapper à la répression.
Le représentant légal peut donc invoquer une délégation de pouvoirs consentie expressément en matière fiscale, à condition qu’elle précise, à peine de nullité, les matières confiées par le chef d’entreprise au délégataire, lequel doit être investi de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour mener à bien cette délégation (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-83.655, publié N° Lexbase : A1523ATL ; Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598 N° Lexbase : A1522ATK : Bull. crim. 1993, n° 112 ; D. 1994, p. 156 ; Cass. crim., 10 avril 2013, n° 12-81.699, F-D, Dr. fisc. 2013, chron. 374, R. Salomon N° Lexbase : A1511KDC ; Cass. crim., 19 juin 2013, n° 12-83.684, F-D, Dr. fisc. 2013, chron. 491, R. Salomon N° Lexbase : A1351KKA ; Cass. crim., 2 avril 2014, n° 13-82.269, F-D N° Lexbase : A6190MI4) et doit en outre avoir accepté cette délégation (Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-87.590, F-P+F N° Lexbase : A5678DW9 : Bull. crim. 2007, n° 138 ; Dr. fisc. 2007, n° 37, étude 824, R. Salomon ; RJF, 12/2007, n° 1487).
Au cas présent, l’arrêt attaqué est une nouvelle fois cassé pour avoir retenu l’existence d’une délégation donnée par le prévenu à son comptable, sans rechercher l’étendue et la validité de celle-ci et sans vérifier si le délégataire bénéficiait de la compétence, de l‘autorité et des moyens de l’exercer.
B. Répression des délits fiscaux
Dans cette affaire, les demandeurs au pourvoi, condamnés pour blanchiment de fraude fiscale, reprochaient à l’arrêt d’appel d’avoir prononcé à leur encontre une condamnation à des dommages et intérêts au profit de l’État, sans quantifier aussi précisément que possible le préjudice subi par celui-ci.
Les conclusions déposées par l’État français devant le juge pénal faisaient état du montant des sommes blanchies mais ne détaillaient pas le coût des recherches spécifiques induites par le blanchiment.
Au cas présent, pour condamner solidairement les deux co-prévenus, à payer à l'État français, partie civile, la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt attaqué énonce que, si les prévenus discutent le montant des dommages et intérêts sollicité, au motif qu'il serait arbitraire comme insuffisamment justifié selon eux, il convient de rappeler que le préjudice découlant des infractions sources commises par les sociétés fiscalement défaillantes est difficilement quantifiable à l'euro près, dans la mesure où le blanchiment a précisément pour objet de dissimuler des fonds et de rendre leurs mouvements occultes aux fins d'alimenter une économie souterraine et d'échapper à l'impôt.
Les juges retiennent que les volumes financiers blanchis par les sociétés de bâtiment défaillantes fiscalement sont considérables
Ils ajoutent que, pour autant, il leur appartient de prendre en considération le fait que le blanchiment reproché aux deux prévenus n'est pas de l'auto blanchiment en ce qu'aucune fraude fiscale de leur propre chef ne leur est reprochée, raison pour laquelle la cour réduira à la somme de 50 000 euros le montant des dommages et intérêts sollicités par l'État français.
Or, la jurisprudence de la chambre criminelle, pour accorder des dommages-intérêts, ne distingue pas entre blanchiment des fonds d’autrui ou auto blanchiment. Mais le préjudice indemnisable est celui imposé par la complexification des recherches causée par la dissimulation.
En l’état de ces précédentes énonciations, la Haute juridiction censure l’arrêt attaqué, aux motifs d’une part que les juges d’appel n'ont pas caractérisé le lien de causalité existant entre le délit de blanchiment et le préjudice de l'État français, qui ne peut inclure le préjudice issu de la fraude fiscale imputée aux sociétés dont les fonds ont été blanchis, d’autre part, ces juges ne pouvaient, sans mieux s'en expliquer, fixer à 50 000 euros le montant des dommages et intérêts prononcés.
II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal
A. L’action publique en droit pénal fiscal
Cet arrêt publié apporte des précisions essentielles sur divers points de droit pénal et de procédure pénale applicables au droit fiscal. La première concerne le champ d’application du principe du cumul des sanctions pénales et administratives (1), la deuxième traite de la question de la prescription de l’action publique (2) et la dernière est relative au cumul idéal d’infractions (3).
1) Sur le champ d’application du principe ne bis in idem en droit pénal fiscal
Le Conseil constitutionnel a – par deux décisions du 24 juin 2016 (Cons. const., décision n° 2016-545 QPC N° Lexbase : A0909RU9 et n° 2016-546 QPC N° Lexbase : A0910RUA, du 24 juin 2016 : Dr. fisc. 2016, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, chron. 439, R. Salomon), suivies par plusieurs arrêts de principe, rendus, le 11 septembre 2019, par la chambre criminelle (Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC, n° 18-81.144 N° Lexbase : A9086ZMH et n° 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, n° 18-81.980 N° Lexbase : A9083ZMD et n° 18-82.430 N° Lexbase : A9084ZME, P+B+I+R : Dr. fisc. 2019, comm. 420, obs. M. Stoclet ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon ; Dr. pén. 2019, comm. 187, obs. J.-H. Robert et n° 193, obs. V. Peltier) – jugé qu’était possible le cumul des pénalités fiscales à caractère répressif et des sanctions pénales de la fraude fiscale. Mais ils ont posé trois réserves d’interprétation à cette possibilité de cumul. Tout d’abord, en application du principe de légalité des peines, est exclue toute condamnation pénale à l’encontre d’un contribuable, déchargé de l’impôt par une décision définitive du juge de l’impôt pour un « motif de fond ». Ensuite, en application du principe de nécessité des peines, les sanctions pénales, prévues aux articles 1741 et suivants du Code général des impôts, ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt, cette particulière gravité pouvant, selon le Conseil constitutionnel, « résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ». Enfin, en vertu du principe de proportionnalité des peines, « le total des sanctions pénales et administratives prononcées ne doit pas excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues »
La Cour de Luxembourg, saisie d’une question préjudicielle de la chambre criminelle par un arrêt du 21 octobre 2020 (Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-81.929, FS-P+B+I N° Lexbase : A31923YU), a ajouté une exigence supplémentaire : le juge répressif, qui envisage d’appliquer une sanction pénale, de quelque nature qu’elle soit, doit vérifier que le cumul de cette peine avec les sanctions administratives pécuniaires déjà prononcées n’excède pas la gravité des faits (CJUE, 5 mai 2022, aff. C-570/20, BV N° Lexbase : A11807WM), cette solution ayant été déclinée depuis lors par la Cour de cassation.
Cette dernière a ainsi jugé, en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, impôt entrant dans le champ de l'Union européenne, et en conséquence soumis à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, l'obligation pour le juge pénal, d'une part, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel de sanctions fiscales et s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier qu'il était raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, d'autre part, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise (Cass. crim., 22 mars 2023, n° 19-80.689, FS-B N° Lexbase : A06949KW et n° 19-81.929, FS-B N° Lexbase : A06869KM).
Au cas présent, le demandeur au pourvoi, s’appuie sur l’arrêt précité du 5 octobre 2022, rendu par la Cour de justice, faisant valoir que les principes qu’il pose doivent également s’appliquer aux impôts directs, comme ici l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune, sauf à méconnaître le principe d’égalité devant la loi.
Mais ce moyen ne peut prospérer car si la chambre criminelle a décidé, par son arrêt précité du 21 octobre 2020, de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle sur la question du cumul des sanctions pénales et fiscales, c’est parce que « les dispositions législatives telles que celles applicables à la cause constituent une mise en oeuvre du droit de l’Union et doivent par conséquent respecter le principe ne bis in idem garanti par l’article 50 de la Charte. En l’espèce, si le demandeur, qui a fait l’objet de pénalités fiscales définitives de nature pénale, a été poursuivi et condamné pénalement pour une fraude aux impôts directs, il l’a également été pour une fraude à la TVA » et qu’il convient dès lors « de confronter la réglementation nationale aux exigences issues du droit de l’Union ». La saisine de la Cour de justice ne repose donc que sur le fait que les dispositions sur la TVA constituent une mise en oeuvre du droit de l’Union, ce qui n’est pas le cas de celles sur l’impôt sur le revenu ou de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Cette position est d’ailleurs confortée par un arrêt du 8 avril 2021, par lequel la Cour de cassation a considéré que le renvoi à la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle concernant la compatibilité avec le droit de l'Union du cumul des poursuites et des sanctions pénales et fiscales portant sur de mêmes faits (Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-81.929, préc.) ne saurait justifier, dans une affaire concernant une fraude à l’impôt sur le revenu, qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision de cette juridiction dès lors que l'imposition sur le revenu n'entre pas dans le champ d'application du droit de l'Union (Cass. crim., 8 avril 2021, n° 19-87.905, F-P+I N° Lexbase : A65534NZ).
C’est donc manifestement en considération de ces éléments que la chambre criminelle, dans son arrêt du 13 décembre 2023, déclare inopérant le moyen aux motifs que ces exigences supplémentaires posées par la Cour de Luxembourg ne s'imposent pas lorsque le prévenu est poursuivi uniquement pour des faits de fraude fiscale concernant des impôts qui ne sont pas soumis au droit de l'Union, car, dans cette hypothèse, l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, dont elles découlent, n'est pas applicable.
2) Sur la prescription de l’action publique en droit pénal fiscal.
La chambre criminelle, par ce même arrêt, a été conduite à se prononcer sur la mise en oeuvre du délai « butoir » de 12 ans à compter de la commission des faits délictueux, instauré par la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, en matière de prescription des infractions occultes ou dissimulées N° Lexbase : L0288LDZ. Rappelons qu’il a été introduit par cette loi pour éviter que les règles de report du point de départ de la prescription des infractions occultes ou dissimulées au jour où cette dissimulation prend fin ne conduisent à leur imprescriptibilité de fait.
Le demandeur, qui a vu écartée par les juges d’appel sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action publique, a soutenu que le délai butoir de douze ans, instauré par l’article 9-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6211LLM pour les délits occultes ou dissimulés, est applicable aux enquêtes en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, dans la mesure où l’action publique n’a pas été mise en mouvement ni exercée, faute de saisine d’un juge du siège – juge d’instruction ou juridiction de jugement - avant l’entrée en vigueur de la loi, l’existence d’actes d’instruction ou d’investigation, ne pouvant par définition, constituer l’exercice de l’action publique qui n’avait pas été mise en mouvement.
Par son arrêt du 13 décembre 2023, la chambre criminelle a dû préciser la notion de mise en mouvement ou d’exercice de l’action publique : doit-elle supposer, comme le soutient le demandeur au pourvoi, la saisine d’un magistrat instructeur ou d’une juridiction de jugement par le parquet ? Ou doit-on, comme l’a fait la cour d’appel, considérer que le ministère public « avait déjà exercé l’action publique en faisant effectuer des actes d’instruction ou d’investigation au cours de l’enquête préliminaire » ?
La Haute juridiction énonce qu’il se déduit des articles 9-1 du code de procédure pénale, 112-2, 4°, du Code pénal N° Lexbase : L0454DZT et 4 de la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, entrée en vigueur le 1er mars de la même année, que lorsque la prescription d'une infraction occulte ou dissimulée a été régulièrement interrompue avant cette date en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, l'institution par cette loi d'un délai de prescription maximum de douze années révolues à compter du jour ou le délit a été commis ne saurait avoir pour effet d'emporter la prescription de l'action publique, quand bien même le premier acte interruptif de prescription serait intervenu plus de douze ans après la date de commission des faits et l'infraction n'aurait pas donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique.
Elle juge que si c'est à tort que la cour d'appel a considéré que le ministère public avait exercé l'action publique en faisant effectuer des actes d'enquête ou d'investigation, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que les actes d'enquête réalisés, même plus de douze ans après la commission des faits, ont régulièrement interrompu la prescription antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017.
3) Sur le cumul idéal d’infractions de fraude fiscale (CGI, art. 1741) et de blanchiment.(C. pén., art. 324-1)
Devant les juges du fond, le prévenu, se prévalant du principe ne bis in idem, a soutenu qu’il ne pouvait être poursuivi du chef de ces deux infractions, qui sanctionnent selon lui les mêmes faits.
Mais un tel moyen était également voué à l’échec depuis que, par un arrêt du 15 décembre 2021, la chambre a fait évoluer sa jurisprudence relative au cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL ; JCP G, 2022, 132, note N. Catelan ; Dr. pén., mars 2022, dossier 3, note P. Conte ; D. 2022, p.154, note G. Beaussonie ; RSC 2022, p. 323, note X. Pin ; AJ Pén., janv. 2022, p.34, obs. C.-H. Boeringer).
Il résulte de cet arrêt de principe que deux conditions cumulatives sont nécessaires pour que joue l’interdiction de cumul résultant de l’application du principe ne bis in idem, l’une tient aux faits poursuivis, l’autre aux qualifications retenues :
Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, le cumul de qualification est autorisé.
Au cas présent, dans le parfait sillage de ces principes, la Haute juridiction approuve les juges d’appel d’avoir prononcé une double déclaration de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment. Elle considère qu’il s’agit de faits distincts, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs détenus à l'étranger, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, notamment réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de comptes bancaires à l'étranger.
On notera que cette solution s’inscrit dans la logique d’un précédent arrêt de la chambre concernant le cumul de poursuites et de condamnations des chefs de fraude fiscale et d’omission d’écritures en comptabilité (Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B ; JCP E 2023, 1058, chron. R. Salomon; Dr. pén. n° 9, 2023, chron. S. Detraz; Gaz.Pal., n° 30, sept. 2022, p. 16, note L. Saenko).
B. L’action civile en droit pénal fiscal
Par un arrêt du 17 décembre 2014 , la chambre criminelle a, pour la première fois, reconnu clairement la possibilité pour l'État de se constituer partie civile, dans les conditions de droit commun, en vue de demander réparation de son préjudice à l'occasion de poursuites exercées du chef de blanchiment de fraude fiscale (Cass. crim., 17 décembre 2014, n° 14-86.560, FS-D N° Lexbase : A8300M8W).
En effet, le préjudice résultant pour l'État du délit de blanchiment est distinct de celui résultant du délit d'origine de fraude fiscale, d’autant plus que ce préjudice initial est quant à lui réparé au moyen des pénalités fiscales et ne permet donc pas au juge répressif d’allouer des dommages-intérêts à l’administration fiscale. En effet, l’article L. 232 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L2500HZM a prévu des règles spécifiques applicables à l’intervention de l’administration fiscale, qui se substituent au droit commun, et qui, en application du principe specialia generalibus derogant, font obstacle à ce que l’État ou l’administration puissent agir sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9908IQZ (Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-83.052, F-D N° Lexbase : A44369NM : Dr. pén. 2023, chron. 9, n° 11, S. Détraz; JCP E 2023, chron. 1229, R. Salomon).
Par son arrêt ici commenté, la chambre criminelle ne remet pas en cause la recevabilité de la constitution de partie civile de l’État, mais la cantonne au préjudice matériel.
Elle juge qu’encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui condamne le prévenu à payer à l'État français la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral lié aux faits de blanchiment, en raison, d'une part, du discrédit jeté par l'auteur de ce délit sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment, en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif applicable en France et en affaiblissant l'autorité de l'État dans l'opinion publique, d'autre part, de l'atteinte portée à l'égalité fiscale entre citoyens de situation comparable et à l'ordre public économique, notamment par la mise en place de nombreux mécanismes de dissimulation de recettes et de transfert de fonds
À vrai dire, cette solution inédite existait déjà en germe dans un arrêt du 30 juin 2021, par lequel la chambre criminelle avait déjà censuré un arrêt de cour d'appel qui avait condamné les prévenus à payer à l'État la somme d'un million d'euros. Elle ne remettait pas en cause l'existence d'un préjudice pour l'État « qui par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l'administration fiscale, des sommes sujettes à l'impôt, recherche rendue complexe en raison des opérations de blanchiment ». Elle avait cassé néanmoins la motivation de la cour d'appel en ce qu'elle avait retenu que « la dissimulation des biens et des droits éludés a nécessairement engendré pour l'État des frais financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l'habitude et de l'importance de la fraude, entraînant la mise en oeuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l'absence de rentrée des recettes fiscales dues » (Cass. crim., 8 avril 2016, n° 16-80.657 N° Lexbase : A26384YD : Procédures 2021, comm. 269, obs. A.-S. Chavent-Leclère).
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Réf. : Cass. com., 4 avril 2024, n° 22-13.047, F-D N° Lexbase : A370423L
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par Marie-Claire Sgarra
Le 15 Mai 2024
► La Chambre commerciale est venue rappeler, dans un arrêt du 4 avril 2024, que les droits d’enregistrement régulièrement perçus ne sont pas sujets à restitution quand bien même une vente serait annulée.
Faits. Une société s'est portée adjudicataire d'un immeuble à Woippy, propriété de l'État. L'immeuble a été détruit partiellement par un incendie le même jour. Le 12 janvier 2018, les parties sont convenues de la résolution de la vente par un accord transactionnel.
Procédure. Le 18 janvier 2018, la société a demandé à l'administration fiscale la restitution de la somme payée au titre des droits d'enregistrement, ce qui lui a été refusé. Elle a alors assigné aux mêmes fins cette dernière.
Principe (CGI, art. 1961 N° Lexbase : L1091KZG). Les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ne sont pas sujets à restitution dès l'instant qu'ils ont été régulièrement perçus sur les actes ou contrats ultérieurement révoqués ou résolus.
En cause d’appel, pour condamner l'administration fiscale à reverser à la société les droits d'enregistrement afférents à l'immeuble dont celle-ci s'était portée adjudicataire, l'arrêt retient que le défaut de paiement du prix aurait justifié la résolution judiciaire de la vente.
Solution de la Chambre commerciale. En statuant ainsi, alors que les droits d'enregistrement ne sont pas sujets à restitution dès l'instant qu'ils ont été régulièrement perçus sur les actes ou contrats résolus en cas de défaut de paiement du prix, la cour d'appel a violé le texte de l’article 1961 du Code général des impôts susvisé.
La résolution de l'adjudication étant motivée par le non-paiement du prix par l'adjudicataire et n'ayant pas, au surplus, été prononcée par une décision de justice devenue irrévocable, il en résulte que les droits d'enregistrement régulièrement perçus ne sont pas sujets à restitution, conformément à l'article 1961 du Code général des impôts.
La demande de la société est rejetée.
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N9277BZM
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Le 02 Août 2024
Mots clés : référés • procédure administrative • urgence • suspension • libertés
Depuis la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, le justiciable peut saisir le juge d'une demande tendant à ce que celui-ci prenne en urgence des mesures provisoires permettant que ses droits ou libertés soient préservés d'une action excessive des pouvoirs publics. Cette procédure recouvre également le domaine des contrats administratifs (référés contractuel et précontractuel) et a fini par concerner un champ de plus en plus large du contentieux administratif, de la protection de l'environnement au secret des affaires, en passant par l'intégrité du domaine public aux droits des détenus. Toutefois, il peut s'avérer d'un maniement subtil nécessitant les éclairages d'un spécialiste de la matière. Lexbase Public a donc interrogé Manuel Gros, Professeur émérite à l’Université de Lille, Doyen honoraire, Avocat associé au barreau de Lille*.
Lexbase : Comment savoir quel type de référé administratif utiliser et à quel moment ?
Manuel Gros : L'intitulé de la question laisse entendre qu'elle ne concerne que la position de requérant en matière de référé, c'est-à-dire le plus souvent celle des particuliers à l'encontre d'une décision ou d'un comportement de l'administration. Or, l’administration peut également engager une procédure de référé administratif (en expertise, en expulsion d’occupants sans titre du domaine public, le préfet contre une décision d’une collectivité locale…). On ne traitera donc que des référés à l’initiative des administrés.
On rappellera que le référé est une procédure incidente, accessoire, c'est-à-dire qu'elle suppose une procédure principale sur laquelle elle se greffe. Toutefois, comme en matière judiciaire où l'institution du référé a précédé de près de deux siècles celle du référé administratif, certaines pratiques ont inversé la règle, en déterminant en réalité la solution finale du litige à partir de l'ordonnance de référé, alors que le jugement de fond n'aurait pas encore été rendu. Ainsi, par exemple, le référé expertise, quand il conduit à une expertise totalement négative sur le principe de la responsabilité par exemple, met souvent un terme, sauf contre-expertise, toujours possible mais rarissime, à l'engagement de responsabilité de l'administration. C’est fréquent par exemple en matière de responsabilité hospitalière ou encore en matière de dommages de travaux publics.
De la sorte, le choix du type de référé administratif dépendra nécessairement du type de procédure au fond.
Ainsi, l’on distinguera les référés «du recours pour excès de pouvoir » dont les types majeurs sont le référé liberté (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT) et le référé suspension (CJA, art. L. 521-1 N° Lexbase : L3057ALS) de ceux du « recours de plein contentieux » (on rappellera que le plein contentieux se définit en réalité par défaut ; tout ce qui n'est pas recours pour excès de pouvoir étant un recours de plein contentieux, mais que le terme « plein » contentieux évoque la plénitude des pouvoirs du juge, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les référés qui en relèvent) comme le référé provision, propre au contentieux indemnitaire qui permet, « même en l'absence d'une demande au fond, (d’)accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable » (CJA, art. R. 541-1 N° Lexbase : L2548AQG) On notera que l’absence d’exigence de requête au fond préliminaire est une particularité de ce référé provision.
Certains référés peuvent concerner toutefois les deux grandes catégories de recours ; ainsi, le référé « instruction » (souvent appelé référé expertise ) permet au « juge des référés (...) sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, (de) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction » (CJA, art. R. 532-1 N° Lexbase : L9211MHM) ; ou encore le référé « mesures utiles » dans lequel « en cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative » (CJA, art. L 521-3 N° Lexbase : L3059ALU).
Enfin, certaines matières techniques, comme le droit de la commande publique et les réglementations qui en sont proches connaissent des référés administratifs particuliers, souvent techniques comme le référé précontractuel (CJA, art. L. 551-1 N° Lexbase : L3270KG9 et suivants) et le référé contractuel (CJA, art. L. 551-13 N° Lexbase : L1581IEB et suivants).
On signalera aussi, parce qu'une partie du contentieux fiscal, notamment le contentieux de l'assiette des impôts directs et des taxes assimilées relève de la juridiction administrative, le référé fiscal.
Ainsi, le choix du référé administratif dépendra le plus souvent du type de recours principal envisagé et parfois de la spécificité de la matière concerné par le litige.
En d'autres termes, à l'exception des référés visant à la seule désignation d'un expert ou à la prise d'une mesure utile, lorsque le justiciable conteste la légalité d'une décision, il sera pertinent de recourir au référé suspension ou référé-liberté, alors que s'il cherche la condamnation financière de l'administration, ce sera le référé provision qui lui sera utile, encore s'il s'agit de contester la désignation d'une entreprise concurrente dans un marché public ,c'est le référé précontractuel qui s'imposera…
S'agissant des délais, la réponse variera selon la nature du référé concerné, mais en dehors du référé précontractuel et du référé contractuel qui obéissent à des règles très précises et très techniques, la règle et qu'il n'y a pas de délai précis prescrit par les textes ou la jurisprudence en matière de référé. La seule réserve serait que s’agissant des référés d'urgence (qualifiés comme tel par le Code de justice administrative) qui suppose la réalisation de la condition d'urgence, il va de soi qu'une saisine trop tardive serait rejetée par le juge des référés qui considérerait que la condition de l'urgence n'est pas ou plus remplie.
Lexbase : Quels sont les plus utilisés (ou utiles) pour les praticiens ?
Manuel Gros : On note en effet de grandes différences d'utilisation mais aussi d'efficacité entre les différents types de référés.
Ainsi, par exemple, le référé « instruction » (CJA, art. R. 532-1) qui permet au juge des référés « sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, (de) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction » est d'utilisation quasi systématique en matière de responsabilité médicale, de dommages de travaux publics au sens large incluant la responsabilité des constructions d'ouvrages publics, et d'une manière générale chaque fois que la solution de fond d'une instance dépendra d'une évaluation technique contradictoire. Extrêmement utilisé, il est aussi d'une efficacité redoutable puisque souvent c'est le résultat de l'expertise obtenue par référé qui conditionnera la solution de fond.
Dans le même esprit, les référés de l'excès de pouvoir, procédures accessoires à une demande d'annulation d'une décision administrative, sont aujourd'hui, compte tenu des délais d'instance et du caractère exécutoire des décisions administratives, qu'on appelle aussi le privilège du préalable de l'administration, très souvent indispensables, comme préalable à l'éventuel succès d'une action en annulation. Il conviendra toutefois de distinguer très nettement la procédure classique de référé suspension (CJA, art. L. 521-1) de la procédure plus récente du référé liberté (CJA, art. L 521-2).
En effet, le référé suspension, héritier direct de l'ancienne procédure de demande de sursis à exécution des années 1990, rebaptisé et codifié par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives N° Lexbase : L0703AIU, à l’article L 521-1 du Code de justice administrative, est aujourd'hui utilisé régulièrement, avec des résultats réels par les praticiens, et malgré des conditions difficiles d'obtention (« lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision »), permet d'empêcher l'exécution inexorable d'une décision administrative (« le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets »). De nombreuses constructions illégales ont de cette manière pu être évitées, à l'inverse des démolitions illicites par l'administration n'ont pas eu lieu. Plus généralement, l’effet « brutal » de l'exécution des décisions administratives, lorsqu'elles sont illicites et qu'il y a urgence, est ainsi combattu. Le bilan global de cette procédure (récente puisque d'origine jurisprudentielle en 1988) est donc remarquable.
En revanche, la « pépite » du référé-liberté, créé par la même loi du 30 juin 2000, si elle séduit toujours les théoriciens du droit, les universitaires ou tout simplement les défenseurs des droits de l'homme et des libertés fondamentales, présente un bilan pratique beaucoup plus nuancé. Il est en effet très séduisant, puisque l'article L 521-2 du Code de justice administrative permet au juge des référés « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence » d’ « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Et le texte ajoute que « le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Le (petit) monde du droit public s'est légitimement enthousiasmé de cette faculté pour le juge, moins de 48 heures après une décision, de pouvoir empêcher une atteinte manifeste est grave à une liberté fondamentale. Et c'est vrai que quelques décisions très médiatisées, en matière culturelle (spectacles ou publications), sociétale et /ou religieuse, de droit des réfugiés, ont pu légitimer la satisfaction de ses créateurs. Mais la réalité pratique du terrain, l'extrême difficulté parfois de rattacher le dossier à une liberté fondamentale (catégorie très limitée), ou de caractériser l'atteinte manifeste et grave à la fois, réduit considérablement les résultats statistiques positifs de cette procédure. Sur une carrière, si un avocat publiciste (pour les avocats non-publicistes les pièges de ces procédures spéciales sont souvent dissuasifs) peut recourir plusieurs centaines de fois au référé-suspension, il comptera (sauf spécialités particulières, par exemple en droit des étrangers) sur les doigts de sa main le recours au référé-liberté. Plus encore, si ce même avocat publiciste pourra compter les succès en référé suspension par dizaine, il ne pourra pas faire ce même bilan en référé liberté. En résumé, un peu comme la célèbre question prioritaire de constitutionnalité de l’article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L5160IBQ, créée en 2008 et appliquée depuis 2010, le référé liberté est une arme procédurale merveilleuse mais d'usage difficile et rare.
On sera encore plus circonspect sur le référé provision, inspiré d'une pratique judiciaire courante, et qui a révélé, comme son prédécesseur judiciaire, ses limites à raison de son succès. Très employé à l'origine de sa création (en 1988 par le décret n° 88-907 du 2 septembre 1988, puis modifié par le décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000 N° Lexbase : L1856A4I duquel sont issus les articles R. 541-1 à R. 541-6 du Code de justice administrative), la quantité de référé provision « en stock » donne des délais de délivrance d'une ordonnance de provision en nombreux mois sinon années, ce qui le prive de son objet même (provision). Au surplus, la condition de fond (« lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ») limite naturellement à des évidences non contestables, qui conduisent souvent aujourd'hui, avec le développement des procédures de transaction et de médiation, à un mode plus rapide de solution non juridictionnelle du litige.
Enfin, parmi les référés « techniques du droit de la commande publique », le référé précontractuel (CJA, art. L. 551-1 à L. 551-4) est incontestablement la procédure la plus utilisée pour les problèmes d’attribution des marchés publics et procédures assimilées. Rapide, efficace, elle a quasiment remplacé les procédures au fond et rangé le référé contractuel (après la signature) et les procédures indemnitaires au fond au rang des exceptions. Encore faut-il qu’elle soit ouverte à la « commande publique » concernée ; on citera à titre d’exemple les C.O.T (convention d'occupation temporaire du domaine public) qui y échappent. Nombre de pouvoirs adjudicateurs aujourd'hui requalifient un certain nombre de leurs contrats en C.O.T. et échappent dès lors à cette procédure efficace. En tous les cas, la technicité à la fois procédurale et sur le fond des dossiers de ces référés en limite l'usage aux praticiens avertis.
Lexbase : Comment le rédiger efficacement pour influencer l'action de l'administration ?
Manuel Gros : L'intitulé de la question pourrait être discuté : le référé administratif ne vise pas qu'à influencer l'action de l'administration puisque par définition, notamment pour les référés dits d'urgence, c'est le juge administratif lui-même qu'il faudra influencer dans la prise d'une ordonnance.
Il est vrai que certains types de référé permettent d'influencer l'administration. Ainsi, le référé expertise, si l'expertise obtenue révèle la responsabilité de l'administration, peut influencer cette dernière dans le sens d'une solution transactionnelle. De même l'exercice du référé précontractuel conduit parfois l'administration pouvoir adjudicateur à, finalement, devant les risques, déclarer l'attribution du marché sans suite, ce qui redonne une chance à l'entreprise ayant contesté son éviction. Parfois même, la délivrance d'une ordonnance de référé (dans le cadre du référé-suspension ou du référé-liberté) peut conduire l'administration à revoir sa position.
En tous les cas, qu'il s'agisse d'influencer le comportement de l'administration ou d'inciter le juge à prendre une ordonnance favorable, les règles de rédaction efficaces seront souvent les mêmes.
Elles seront liées à la nature du référé concerné, et cette nature conditionnera une prévalence de l'écrit ou au contraire un caractère essentiel à l'oralité de l'audience.
Précisons que les référés « de l’excès de pouvoir » seront plutôt sous le règne de l’oralité.
Ainsi, le contenu juridique du référé liberté (CJA, art. L. 521-2) et du référé suspension (CJA, art. L. 521-1) se prête assez bien à l’oralité, comme mettant en cause soit des concepts de libertés fondamentales et d’atteinte manifeste (référé liberté), soit des questions de « doute sérieux sur la légalité » (référé suspension), et il est assez naturel de débattre de ces questions sans avoir nécessairement un énorme support écrit.
Un argument de forme ajoute à cette naturelle oralité des référés de l’excès de pouvoir : la production obligatoire de la requête au fond, laquelle contient nécessairement de longues explications écrites sur le doute sérieux quant à la légalité (référé suspension) ou sur le caractère manifeste de l’atteinte à une liberté fondamentale (référé liberté).
Dans ces conditions, en ajoutant le débat nécessaire et préalable sur l’urgence, on pourra considérer que la qualité rédactionnelle écrite, toujours souhaitable, n’est sans doute pas l’élément moteur des référés « de l’excès de pouvoir ».
En revanche, par exemple, les référés « de la commande publique » nécessitent un support écrit très structuré, et s’ils justifient et relèvent aussi d’une audience importante, nécessitent eux un support écrit très circonstancié. La matière de la commande publique est par définition extrêmement technique, quel que soit le domaine d’intervention du marché public ou de la délégation de service public en cause (droits et techniques de construction, cahier des charges, document technique du marché, mode de calcul comptable des prix…), et tous ces éléments sont indispensables à la solution du litige par le juge des référés, notamment sur la question du respect de la concurrence entre les candidats. De la sorte, un référé « du contrat » ne saurait se passer de tableaux, de chiffres, de documents techniques… Il en résulte que, tant en requête qu’en défense, les premières écritures de ce type de référé sont régulièrement très volumineuses (20,30 voire 50 pages de développement et d’annexes), car elles constituent la base technique indispensable servant de support à l’audience.
En tous les cas, en revanche, la façon de rédiger pourra être conditionnée par la spécificité de la question de la clôture de l’instruction en référé administratif.
On sait que pour les procédures au fond, il y a toujours une clôture d'instruction, fixée par le juge ou à défaut de fixation expresse par rapport à la date de l'audience (trois jours francs avant, voir CJA, art. R. 613-2 N° Lexbase : L2822LP9). Tel n'est pas le cas en matière de référé.
Un certain flou, pour ne pas dire un flou certain dans les pratiques procédurales et dans la combinaison des textes et de la jurisprudence ont des effets collatéraux sur la rédaction d’un référé en fonction de la question essentielle, en référé, de la date précise de la clôture de l’instruction et par voie de conséquence de la possibilité ou non de développer des moyens nouveaux à l’audience et après cette dernière.
C’est en effet qu’en théorie, au titre de l’article R. 522-8 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2535AQX, en référé, la clôture de l’instruction intervient à la fin de l’audience et qu’il est donc, toujours en théorie, possible de soulever des moyens nouveaux à l’audience. On sait aussi que pour tous les référés, le juge peut différer la clôture de l’instruction.
La seule combinaison de ces deux éléments donne une dimension « tactique » essentielle au contenu rédactionnel des premières écritures (requête ou mémoire en défense). En effet, il est possible pour le rédacteur de focaliser le débat écrit sur une partie seulement des questions juridiques de l’audience.
Un effet « pervers » de cette possibilité a très vite été parfaitement cerné par les praticiens avertis. Par exemple, le requérant conteste la passation d’un contrat sur la base de trois moyens qu’il développe abondamment par écrit, et sur lesquels le défendeur répond point par point dans son mémoire en défense, mais à l’audience le requérant renvoie sans autre commentaire aux moyens développés à l’écrit et en soulève trois nouveaux oralement. Naturellement, il prendra le soin que ces trois derniers soulevés à l’audience soient substantiels (irrecevabilité de l’offre de l’attributaire, inégalité de concurrence…).
En théorie, le défendeur aura à répondre immédiatement, à la demande du juge des référés, à l’audience. La même technique d’audience peut être envisagée pour le défendeur, qui soulèvera les moyens de défense importants uniquement lors de l’audience. On mesure sans peine les conséquences regrettables de cette relative dénaturation des règles procédurales.
C’est la raison pour laquelle la jurisprudence a apporté, selon les différents types de référés, des réponses un peu distinctes.
En référé suspension (et liberté) il y a une marge de manœuvre sur l’obligation ou la faculté de différer la clôture d’instruction pour le juge. C’est une liberté absolue jusqu’à la fin de l’audience, à raison du texte même de l’article R. 522-8 du Code de justice administrative, selon lequel « L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. », mais c’est une liberté conditionnelle au-delà de l’audience , car se pose la question de savoir si après l’audience, il est possible « d’ajouter » de la rédaction . La réponse est positive et soit juste après l’audience soit jusqu’au différé de clôture, l’on peut produire, d’ailleurs formellement sous la forme expresse d’une note en délibéré ou pas. C’est au seul juge d’apprécier, selon une jurisprudence de principe très explicite [1]. Cela profite plutôt selon nous à la défense (l’administration), car la réponse dans un délai de quelques jours, après l’audience, est possible, mais la réponse rapide à cette réponse elle-même, si cette dernière est volumineuse et invérifiable (exemple la production en note en délibéré d’un énorme rapport administratif sur un agent suspendu, communiqué certes au requérant, mais sur lequel il aura une capacité de réponse par retour nécessairement limitée) est parfois difficile en pratique.
Pour les référés en matière contractuelle, la pratique des avocats spécialistes a en revanche été à l’origine de l’obligation jurisprudentielle d’une régularisation par consignation dans un mémoire écrit avant toutes observations orales. La multiplication des « moyens de dernière minute à l’audience » et leurs conséquences a conduit à une limitation des effets pervers de la clôture d’instruction à l’audience.
La jurisprudence a donc imposé un mémoire écrit en cas de moyen nouveau à l’audience [2], car compte tenu de la nature des demandes présentées par la voie du référé précontractuel et de la nécessité d'assurer une décision rapide, si des moyens nouveaux peuvent être présentés oralement au cours de l'audience, ils doivent être consignés dans un mémoire écrit transmis au juge, lequel ne peut les accueillir sans avoir mis à même les autres parties d'y répondre. Il doit alors différer la clôture de l'instruction afin de permettre la poursuite du débat contradictoire, sans être pour autant tenu de tenir une nouvelle audience.
Si cette jurisprudence a limité le choix tactique, elle n’a elle ne fait que le limiter : ainsi, l’hypothèse d’une première requête « molle », suivie d’un mémoire complémentaire « dur », communiqué juste avant l’audience, avec une obligation de réponse dans les quelques jours, favorise selon nous cette fois le requérant, car la réponse « technique » en très peu de temps, est plus difficile qu’en référé de l’excès de pouvoir.
Lexbase : Certains référés encore peu utilisés sont-ils amenés à prendre plus d'ampleur à l'avenir ?
Manuel Gros : Comme il a été dit, la plupart des référés administratifs sont régulièrement utilisés par les praticiens, ne serait-ce que parce que l'instruction des dossiers au fond, surtout en première instance, est très longue, et qu'il est de bonne pratique, comme en matière judiciaire, de tenter de réduire le temps de l'instance.
Cette projection pourrait concerner donc essentiellement cette procédure particulière du référé-liberté dont on mesure le caractère essentiel dans notre État de droit mais dont nous avons vu qu'il était d'usage restreint à raison même de la définition de la notion de liberté fondamentale, mais aussi de la qualification retenue par le juge de ce qu'est une atteinte manifeste et grave.
C'est donc sans doute dans l'élargissement du champ d'application de cet article L 521-2 du Code de justice administrative et dans l'assouplissement par le juge de la qualification d'atteinte manifeste et grave à une liberté fondamentale que se trouveront peut-être des évolutions pour l'avenir. On prendra, par exemple, le domaine toujours d'actualité de la protection de l'environnement. Le Conseil d'État a ainsi admis les possibilités de recourir au référé-liberté dans le cadre de la protection de l'environnement.
Par une ordonnance du 20 septembre 2022 [3], le Conseil d’État a en effet jugé que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présentait le caractère d’une « liberté fondamentale ».
Or, jusqu’ici, le Conseil d’État n’avait pas reconnu cette qualité à l’article premier de la Charte de l’environnement de 2004 adossée à la Constitution par la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 (loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, relative à la Charte de l'environnement N° Lexbase : O4198ARW) en tant que « liberté fondamentale ». Cela n'était pas évident, car si le Conseil d'État a par le passé reconnu comme liberté fondamentale par exemple la liberté d’opinion, le droit à une vie familiale normale, la liberté d’entreprendre ou encore le libre exercice des mandats par les élus locaux, le caractère très général du « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » aurait pu, comme cela a été le cas dans d'autres procédures de référé liberté, l'inciter à rejeter le recours à cette procédure. Il est vrai aussi que le concept lui-même « d’environnement équilibré », même si sa liaison directe à son caractère « respectueux de la santé » le précise un peu est très flou et subjectif. Pour certaines organisations syndicales par exemple, un environnement équilibré est celui qui permet aux cheminées d'usine de… fumer, lesquelles lorsqu'elles fument, c'est-à-dire qu'elles fonctionnent, permettent selon les maires des villes de donner de l'emploi à leurs habitants… alors que l'opinion inverse, du côté des associations, peut être soutenue. Le droit de l'environnement on le sait, connaît des concepts à géométrie très variable. Ainsi, le « développement durable », pour les pays en voie de développement, c'est de développer l'activité industrielle, et pour certaines fractions des pays riches c'est au contraire la décroissance raisonnable ! C’est donc de l'évolution de nos priorités politiques et sociales et culturelles que dépendra sans doute l'épanouissement ou non de ce type de procédures de référé liberté « élargi ». Dès lors, comme le craignent souvent les spécialistes du droit de l'environnement, c'est l'avenir géopolitique, pacifique ou guerrier, en croissance économique ou en crise, en quiétude spirituelle ou non, qui déterminera par exemple l'avenir de la protection de l’environnement en général et du référé-liberté en matière environnementale en particulier.
Pour conclure, je dirais que l’état des procédures des référés administratifs est un observatoire exceptionnel de l'évolution de nos sociétés de droit, car elles révèlent les priorités en matière contentieuse : exécution ou suspension des décisions administratives, équilibre entre liberté fondamentale et droits de l'homme d'une part et prérogatives de l'administration de l'autre, transparence des procédures de commande publique…
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] CE, 19 novembre 2008, n° 314257 N° Lexbase : A3196EBY.
[2] CE, 19 avril 2013, n° 365617 N° Lexbase : A4191KC9, confirmé par CE, 28 mai 2014, n° 375941 N° Lexbase : A6382MP3, Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 235, obs. M. Ubaud-Bergeron.
[3] CE, 20 septembre 2022, n° 451129 N° Lexbase : A67548IY.
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Réf. : Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-19.625, F-B N° Lexbase : A885829X
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 21 Mai 2024
► La demande tendant à obtenir la résolution d'un contrat présente par nature un caractère indéterminé, de sorte que le jugement statuant sur une telle demande n'est jamais rendu en dernier ressort, mais est susceptible d'appel.
En l’espèce, le liquidateur d’une société a formé un pourvoi à l’encontre d’un jugement rendu par un tribunal de commerce, dans une action l’opposant à un demandeur sollicitant à titre principal la résolution d’un contrat de transport, et par voie de conséquence, la restitution de son véhicule.
La Cour de cassation, énonçant la solution précitée sous le visa des articles 40 N° Lexbase : L1192H4W et 605 N° Lexbase : L6762H7L du Code de procédure civile énonce que le jugement attaqué, improprement qualifié en dernier ressort, était susceptible d’appel. Elle déclare le pourvoi irrecevable.
Pour aller plus loin : v. X.P. Vuitton, ÉTUDE : Le pourvoi en cassation, Les décisions susceptibles de pourvoi, in Procédure civile (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E85507AW. |
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Réf. : Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole N° Lexbase : L1795MMG
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par Adélaïde Léon
Le 15 Mai 2024
► Sur le plan pénal, la loi publiée au Journal officiel du 23 avril 2024 est venue adapter aux règles européennes les dispositions relatives au mandat d’arrêt européen, le droit à l’assistance d’un avocat en garde à vue et l’échange d’informations entre services répressifs des États membres.
S’agissant de la garde à vue. Dans le prolongement de la loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023 N° Lexbase : L2962MKW, les articles 63-2 N° Lexbase : L2087MMA et 63-3 N° Lexbase : L2089MMC du Code de procédure pénale sont modifiés pour permettre à la personne gardée à vue de prévenir « toute personne de son choix » et non plus simplement un membre de sa famille, la personne avec laquelle elle habite ou son employeur.
La loi vient également renforcer le droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et « à tout moment au cours de celle-ci ». L’article 63-4-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2092MMG précise désormais que lorsque le gardé à vue demande que l’avocat assiste à ses auditions et confrontations, il ne peut être entendu sur les faits sans la présence de cet avocat sauf renonciation express de la part. Il est également inscrit dans le code que l’avocat devra se présenter sans « retard indu ».
La loi du 22 avril 2024 prévoit par ailleurs que si l’une des situations suivantes se présente, l’OPJ ou l’APJ ou l’assistant d’enquête sous son contrôle saisit sans délai et par tous moyens le Bâtonnier aux fins de désignation d'un avocat commis d'office :
Est toutefois créé un nouvel article 63-4-2-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2093MMH qui prévoit la possibilité, pour le procureur de la République, à la demande de l’OPJ, de procéder à des auditions ou confrontations urgentes lorsque ces mesures sont indispensables soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne.
La décision du procureur devra être écrire et motivée.
En cas de mise en œuvre de cette procédure, le gardé à vue doit immédiatement être informé de l’arrivée de son avocat. Si une audition ou une confrontation est en cours, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s'entretenir avec son avocat et afin que celui-ci prenne connaissance des procès-verbaux.
La loi du 22 avril 2024 modifie également les raisons susceptibles de justifier le report de la présence de l’avocat (C. proc. pén., art. 63-4-2). L’objectif de permettre « le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves » est ainsi remplacé par celui d’éviter « une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale ».
Les dispositions de l’article 32 de la loi affectant la garde à vue sont applicables à compter du 1er juillet 2024.
S’agissant du mandat d’arrêt européen. Les articles 695-43 et 695-45 du Code de procédure pénale sont modifiés.
Les « cas spécifiques » dans lesquels la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen n’a pu être rendue dans le délai de soixante jours ou le délai dérogatoire de quatre-vingt-dix jours deviennent un « titre exceptionnel » et la référence à la cassation est supprimée dans deux premiers alinéas.
Enfin la faculté de la chambre de l’instruction d’accepter le transfèrement temporaire en vertu de l’article 695-45 n’est plus conditionnée au consentement de la personne recherchée.
S’agissant de l’échange d’information entre services répressifs des États membres. Le Code de procédure pénale est notamment modifié pour y inscrire le point de contact unique permettant l’échange d’informations entre États membres. La liste limitative des motifs de refus de réponses aux demandes d’information est également inscrite dans le code (C. proc. pén., art. 695-9-41 N° Lexbase : L2058MM8).
Pour aller plus loin : C. Lanta de Bérard, La garde à vue et les auditions, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E46203C4. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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par Laura Chevreau - Docteure en droit et Timothy James - Doctorant à l’Institut Droit et Santé UMR_S 1145 de l’Université de Paris
Le 15 Mai 2024
Mots-clés : responsabilité médicale • faute technique • faute d'humanise • faute d'humanisme • infections nosocomiales • produit défectueux • réparation • responsabilité du produteur
Lexbase Droit privé vous propose de retrouver, cette semaine, le panorama de droit des accidents médicaux de Laura Chevreau, Docteure en Droit privé, membre associée de l’Institut Droit et Santé, Inserm UMR_S 1145, Faculté de droit, d’économie et de gestion, Université Paris Cité, chargée d’enseignement à l’Université Paris Cité et juriste coordinatrice des comités de protection des personnes et Timothy James, A.T.E.R et Doctorant à l’Institut Droit et Santé, Inserm UMR_S 1145, Faculté de droit, d’économie et de gestion, Université Paris Cité, membre du Réseau doctoral en santé publique animé par l’EHESP.
I. Responsabilité médicale
A. Conditions
1) Faute médicale
- CE, 5e ch., 2 janvier 2024, n° 469655, inédit au recueil Lebon
- CA Bordeaux, 22 février 2024, n° 20/00256
- Cass. civ. 1, 28 févrrier 2024, n° 22-23.888, F-D
- CE, 5e-6e ch. réunies, 13 février 2024, n° 460187, mentionné dans les tables du recueil Lebon
- CA Grenoble, 26 mars 2024, n° 22/0313
- Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 22-22.619, F-D
- CE, 5e ch., 9 février 2024, n° 471441, inédit au recueil Lebon
- CAA Douai, 26 mars 2024, n° 22DA02530
- Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-20.786, F-D
- CE, 5e ch., 2 janvier 2024, n° 466788, inédit au recueil Lebon
- Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 22-10.358, F-D
- Cass. civ. 1, 15 février 2024, n° 21-18.138, F-B
II. Responsabilité du producteur
- CA Amiens, 11 janvier 2024, n°22/04386
I. Responsabilité médicale
A. Conditions
1) Faute médicale
Pour rappel, si l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH ne précise pas quel sens il convient de donner à la faute, il est acquis depuis l’arrêt « Mercier » du 20 mai 1936 (Cass. civ. 1, 20-05-1936, Dr Nicolas c/ Mercier N° Lexbase : A7395AHD) que le professionnel ou l’établissement de santé peut voir sa responsabilité engagée lorsqu’il commet un manquement à ses obligations. Traditionnellement, on retient que la responsabilité du professionnel de santé peut être engagée lorsqu’il n’a pas adopté un comportement conforme aux données avérées de la science à la date du soin. Par ailleurs, un établissement de santé peut également voir sa responsabilité engagée, notamment s’il commet une faute concourant à une désorganisation du service. Toutefois, quand bien même le professionnel de santé ou l’établissement commet une faute, il est essentiel que celle-ci soit en lien de causalité direct avec le dommage subi par la victime. La jurisprudence de ces derniers mois développée ci-après rappelle l’ensemble de ces éléments.
• En l’absence de lien de causalité entre la faute retenue à l’encontre d’un établissement de santé et le dommage subi par l’enfant, aucune responsabilité n’est encourue par l’établissement (CE, 5e ch., 2 janvier 2024, n° 469655, Inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A73882BA).
L’affaire. Au cours d’un accouchement, une sage-femme n’étant pas en mesure d’effectuer une manœuvre de Mac Roberts préconisée en première intention dans le cas où le nouveau-né présenterait une dystocie des épaules, a dû réaliser une manœuvre de Letellier, recommandée en seconde intention. À la naissance, l’enfant présente une paralysie du bras droit. Les parents de l’enfant ont alors sollicité auprès du tribunal administratif l’indemnisation des préjudices subis par leur enfant. Leur demande a été rejetée tant par le tribunal que par la cour d’appel. Selon la cour d’appel, si le fait que la sage-femme ne savait pas pratiquer la manœuvre de Mac Roberts constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement de santé, aucun lien de causalité entre celle-ci et le dommage subi par l’enfant ne peut être établi. Dans cet arrêt, le Conseil d’État approuve la solution retenue par les juges de la cour d’appel au motif que la généralisation de la manœuvre de Mac Roberts, recommandée en première intention, n’a, selon le rapport d’expertise, pas permis de diminuer le nombre de traumatismes du plexus brachial en cas de dystocie des épaules.
Le cadre juridique. Cet arrêt rappelle les principes fondamentaux de la responsabilité civile à savoir le fait que cette responsabilité n’est encourue que dans les cas où la faute commise est en lien de causalité direct et certain avec le préjudice subi par la victime. Or, en l’espèce, si une faute pouvait bien être retenue à l’encontre de l’établissement de santé au regard de l’absence de praticien en mesure d’effectuer la manœuvre recommandée en première intention lorsqu’un enfant présente à l’accouchement une dystocie des épaules, cette faute n’est pas en lien de causalité direct avec la paralysie du bras de l’enfant dans la mesure où rien ne permet d’établir que la réalisation de la manœuvre de première intention aurait permis d’éviter la survenue du dommage. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a ainsi effectué une juste application de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique.
Le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de statuer sur une affaire similaire en retenant la responsabilité de l’établissement de santé. Ce fut le cas par exemple avec un arrêt du 6 mai 2021 [1]. Néanmoins, en l’espèce, les faits n’étaient pas identiques dans la mesure où une manœuvre de rotation paradoxale contre-indiquée avait été réalisée par la sage-femme, manœuvre susceptible de provoquer un arrachement des racines du plexus brachial sans qu’il ne soit possible de déterminer si la lésion était liée à ce geste ou préexistante. Un lien de causalité direct avait ainsi pu être déterminé entre la faute commise et le dommage subi par l’enfant.
L. C.
• La responsabilité contractuelle du professionnel ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat est engagée en l’absence de démonstration de l’existence d’une cause étrangère (CA Bordeaux, ch. 01, 22 février 2024, n° 20/00256 N° Lexbase : A08952RL).
L’affaire. Une patiente a subi au cours de plusieurs années de nombreuses scléroses des varices au niveau des jambes et scléroses anales pour traitement des hémorroïdes. Plusieurs années après, celle-ci a présenté des signes d’asthénie inhabituelle et a dû réduire son temps d’activité professionnelle. Par ailleurs, un diagnostic positif au virus de l’Hépatite C est établi. Parallèlement, le médecin ayant réalisé les scléroses a été radié de l’Ordre des médecins pour avoir pratiqué des séances de scléroses de varices dans des conditions d’asepsie et d’hygiène ne garantissant pas la sécurité des patients, notamment en n’utilisant pas de matériel jetable. L’ouverture d’une information judiciaire a permis d’établir qu’une centaine de patients avait subi une contamination au virus de l’hépatite C. La patiente a alors intenté une action devant le TGI aux fins d’établir la responsabilité du médecin dans sa contamination au virus de l’hépatite C, responsabilité qui a été établie par ledit tribunal en raison de l’existence de présomptions graves, précises et concordantes. Un appel a été interjeté. Après avoir rappelé que les présomptions ne constituent pas la preuve, mais un élément de vraisemblance que l’on retire d’un événement déterminé lorsque la preuve est trop difficile à établir, la cour d’appel confirme le jugement rendu par les juges du fond en appréciant les présomptions retenues par ces derniers, lesquelles n’ont pas été réfutées par la démonstration d’une cause étrangère. La faute commise par le professionnel de santé, en ne respectant pas les conditions d’asepsie et d’hygiène, est donc considérée comme en lien direct avec la contamination de la patiente au virus de l’Hépatite C dans la mesure où il n’est pas établi que celle-ci aurait été exposée à un risque au moins aussi important de contracter le virus au cours des séances d’acupunctures qu’elle a pu effectuer.
Le cadre juridique. Les faits étant antérieurs à la loi du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA, la loi distinguait alors la responsabilité délictuelle de la responsabilité contractuelle des professionnels de santé. En l’espèce, la responsabilité du médecin a été retenue sur le fondement de l’ancien article 1147 du Code civil N° Lexbase : L0866KZ4, soit sur le fondement de la responsabilité contractuelle de celui-ci. Pour rappel, l’article 1147, dans sa rédaction antérieure à la réforme du 10 février 2016, précisait que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
À l’époque des faits, une obligation de sécurité de résultat pesait sur les professionnels et établissements de santé et le devoir d’asepsie constituait une obligation dont il n’était possible de se dégager qu’en rapportant l’existence d’une cause étrangère. La preuve du lien de causalité, dont la charge imputait au patient, pouvait être apportée par tout moyen et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes. Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 relative à l’obligation de sécurité de résultat des professionnels de santé.
L. C.
• L’absence de continuité de service obstétrical constitue une faute de l’établissement de soin susceptible d’engager sa responsabilité dès lors qu’elle a contribué à une désorganisation du service ne permettant pas une bonne prise en charge des patients (Cass. civ. 1, 28 février 2024, n° 22-23.888, F-D N° Lexbase : A77132R4).
L’affaire. Une patiente a été admise au sein d’une clinique en vue de son accouchement. Au cours de sa prise en charge, la sage-femme de la patiente a sollicité plusieurs gynécologues-obstétriciens et une césarienne a dû être pratiquée en urgence. L’enfant est né avec de graves lésions prédictives de séquelles neurologiques profondes. Les parents de l’enfant ont alors intenté une action en responsabilité à l’encontre de la clinique, laquelle a été retenue par la cour d’appel, au motif d’une désorganisation du service. Selon la cour d’appel, la réalisation tardive de la césarienne serait à l’origine d’une perte de chance de 90 % d’éviter la rupture utérine ayant occasionné le dommage subi par l’enfant. La clinique se pourvoit en cassation afin de contester la mise en cause de sa responsabilité pour cause de désorganisation du service en arguant du fait que seule la responsabilité du professionnel de santé devrait être retenue, l’absence de continuité de service obstétrical avant que la césarienne ne devienne nécessaire n’étant pas en lien de causalité avec le dommage subi par l’enfant à la naissance. La Cour de cassation approuve néanmoins la décision prise par les juges du fond au motif que l’absence de continuité de service a entraîné une prise en charge défaillante de la patiente et n’a pas permis d’opérer un suivi rigoureux de son état de santé permettant de faire les bons choix. La clinique a donc commis une faute en lien direct avec le dommage subi par l’enfant.
Le cadre juridique. L’article D. 6124-44 du Code de la santé publique N° Lexbase : L7189HBU précise que « Quel que soit le nombre de naissances constatées dans un établissement de santé, celui-ci organise la continuité obstétricale et chirurgicale des soins tous les jours de l'année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans l'unité d'obstétrique ». Ainsi, l’ensemble des établissements de soins doivent assurer une continuité de service obstétrical et chirurgical et le non-respect de cette obligation constitue une faute. Cet arrêt s’inscrit donc dans la stricte application de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, lequel précise en son alinéa 1er « que hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ».
L. C.
• Le retard dans la communication des éléments du dossier médical du patient décédé permettant d’établir les circonstances de la mort constitue une faute de l’établissement de santé (CE 5e-6e ch. réunies, 13 février 2024, n° 460187, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A29112MR : AJDA, 2024, p. 294).
L’affaire. Une patiente atteinte d'une démence fronto-temporale associée à une maladie du motoneurone, a été hospitalisée au sein d’un établissement de soins à la suite de l’aggravation de son état de santé et de difficultés à se nourrir. L’établissement a alors procuré à la patiente une alimentation entérale par gastrostomie. Ayant eu plusieurs épisodes de régurgitations, un examen radiologique a été effectué à la suite duquel la patiente est décédée. Les ayants droit de la patiente ont alors intenté une action en responsabilité, laquelle a été rejetée par le tribunal administratif puis par la cour d’appel. Un premier pourvoi en cassation a été formé à l’encontre de cet arrêt ayant accueilli partiellement les conclusions du pourvoi. La cour administrative d’appel statuant sur renvoi n’a pas retenu la responsabilité de l’établissement de soin. Dans cet arrêt, le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne retenant pas la faute de l’établissement, lequel n’a pas mis en œuvre de manière immédiate une assistance nutritionnelle. Par ailleurs, il retient un manquement de l’établissement à son obligation d’information. En effet, celui-ci a tardé à communiquer aux ayants droit de la patiente les éléments permettant d’établir les causes de la mort de celle-ci, ce qui est directement à l’origine, pour ces derniers, d’un préjudice moral.
Le cadre juridique. La possibilité, pour un patient, d’obtenir la communication des informations médicales le concernant constitue un droit du patient résultant de la généralisation de la démocratie sanitaire [2]. Celui-ci est édicté à l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1607LZK, lequel précise que « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé, par des établissements de santé [...] qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers ». Si par principe cela ne concerne que les patients, les ayants droit de ces derniers peuvent obtenir communication de certaines informations médicales concernant le défunt dès lors que cela leur permet par exemple de connaître les causes de la mort de celui-ci [3].
En effet, l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4479L7Z précise que « Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ».
En l’espèce, c’est sur ce fondement que la responsabilité de l’établissement de soins a pu être retenue, celui-ci ayant tardé à communiquer ces éléments aux ayants droit, commettant ainsi une faute d’humanisme à l’origine pour ces derniers d’un préjudice moral. Seule l’opposition formulée par le patient avant son décès à ce que les éléments de son dossier médical soient communiqués à ses ayants droit peut justifier un refus de l’établissement de soins dans la communication de ces éléments [4].
L. C.
• Ne constitue pas une cause étrangère de nature à exonérer l’établissement de santé du fait d’une infection nosocomiale le simple fait pour le patient d’être pris en charge par pansements infirmiers à son domicile (CA Grenoble, 26 mars 2024, n°22/03131 N° Lexbase : A35372YN).
L’affaire. Hospitalisé du 1er août 2017 au 3 août 2017 pour la pose d’une prothèse totale de hanche gauche, le patient doit faire l’objet d’une seconde intervention afin de remplacer la prothèse en raison de multiples luxations. L’opération intervient le 6 septembre 2017 ; un prélèvement microbiologique est pratiqué et le test s’avère négatif. Le 11 septembre, une thrombose péronière est diagnostiquée et nécessite l’évacuation d’un hématome, mais aucun prélèvement n’est réalisé. Le patient est renvoyé chez lui avec des pansements à faire par un infirmier. En raison d’un écoulement persistant, une chirurgie de reprise est préconisée et les prélèvements pratiqués rapportent une infection au staphylocoque doré. L’infection nécessite finalement un remplacement de la prothèse le 25 janvier 2018. La Commission de conciliation et d’indemnisation est saisie par le patient afin d’obtenir réparation de son préjudice au titre des infections nosocomiales. L’expertise qualifie le lien de causalité entre l’infection et le dommage, mais conclut à une infection associée aux soins. Du fait d’un déficit fonctionnel permanent de 10 %, la Commission se déclare incompétente à rendre un avis au titre de l’article L.1142-8 du Code de la santé publique N° Lexbase : L6465IGK. La victime assigne l'établissement de santé et son assureur devant le tribunal judiciaire qui déboute le requérant de ses demandes. Un appel est interjeté. Pour réformer le jugement, les juges d’appel retiennent sur le fondement de l’expertise de la CCI que l’infection s’est développée dans l’année de la pose de la prothèse après son remplacement du 6 septembre et avant l’intervention du 4 octobre où les prélèvements sont revenus positifs. Or, dès lors que l’établissement ne démontre pas une cause étrangère à cette infection, notamment en démontrant qu’elle pourrait être liée aux soins infirmiers effectués pour le changement des pansements, sa responsabilité de plein droit doit être retenue.
Le cadre juridique. Voilà une nouvelle affaire qui démontre la difficulté pour les établissements de santé d’échapper à leur responsabilité de plein droit du fait des infections nosocomiales. Entendu très largement par la jurisprudence, on note à cet égard que le juge judiciaire n’hésite pas à faire référence à la célèbre formule du Conseil d’État [5] qui définit l’infection nosocomiale comme l’infection survenue « au cours ou au décours de la prise en charge du patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » [6]. À cet égard, le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins estime qu’il y a lieu de présumer qu’une infection présente un caractère nosocomial lorsqu’elle survient dans les trente jours suivant l’intervention ou lorsqu’il s’agit de la mise en place d’une prothèse dans l’année suivant cette intervention [7]. À cet égard, le caractère endogène de l’infection n’exclut pas la qualification d’infection nosocomiale [8]. Dès lors que l’infection est rattachée à une prise en charge du patient dans un établissement de santé, seule la preuve d’une cause étrangère est de nature à exonérer le responsable de sa responsabilité. Cette cause étrangère pourrait alors être démontrée par la preuve que la prise en charge des pansements du patient à son domicile par un infirmier n’était pas conforme aux règles d'asepsie. Or, rapporter une telle preuve constitue-t-il réellement une cause étrangère ou n’apparaît-il pas comme une simple négation du caractère nosocomial de l’infection qui est alors simplement liée aux soins ? [9] Quoi qu’il en soit, ainsi que le relève Madame la Professeure Hocquet-Berg, « Le fait du tiers présentant les caractères de la force majeure paraît une cause d'exonération plus théorique que réelle » [10]. Ainsi, le seul fait que la prise en charge postopératoire et notamment que les soins de pansement sont réalisés par un infirmier à domicile ne suffit pas à faire tomber la présomption de responsabilité ; la démonstration d’une violation grave ou renouvelée des règles d'asepsie est nécessaire [11]. On notera enfin que les juges, tout en ayant repris le rapport commandé par le CCI, s’en éloignent alors même que les experts qualifiaient l’infection d’infection associée aux soins et non d’infection nosocomiale.
T. J.
• Conduit à une cassation pour dénaturation, la décision des juges du fond qui ne répondent pas aux conclusions se fondant sur des arrêts antérieurs de la Cour de cassation retenant la responsabilité de l’organisme notifié dans l’affaire des prothèses mammaires PIP (Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 22-22.619, F-D N° Lexbase : A95932I7).
L’affaire. À l’occasion d’un litige opposant des femmes s’étant vues implantées des prothèses mammaires PIP à l’organisme notifiée TRLP (anciennement TÜV) et sa filiale française TRF, les requérantes, déboutées de leurs demandes à l’encontre des celles-ci, forment un pourvoi contre l’arrêt. Il est reproché à l’arrêt d’avoir dénaturé les conclusions des victimes en estimant que « la référence sommaire à des décisions de la Cour de cassation et à un numéro de pourvoi, selon une interprétation qui, au demeurant, apparaît en partie contestable, ne constitue pas l'allégation d'un fait ou d'un moyen en l'absence de tout autre développement et ne saurait obliger la cour à une quelconque recherche ». La Cour de cassation censure l’arrêt dès lors qu’il revenait aux juges du fond de répondre au moyen tenant à savoir « si des contrôles des documents comptables auraient permis de déceler que le gel utilisé n'était pas le gel autorisé dès lors que les quantités achetées de gel Nusil ne permettaient pas la fabrication de l'ensemble des implants commercialisés et si les sociétés TRLP et TRF auraient dû procéder à des contrôles inopinés qui auraient révélé la défectuosité du processus de production de la société PIP ».
Le cadre juridique. La démarche proposée semble dessiner une voie incontestablement vertueuse pour inciter les juridictions inférieures à se conformer scrupuleusement à la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, cette dernière, usant de ses prérogatives, invalide la décision contestée au motif d'une dénaturation manifeste de ses précédents arrêts. Ce cas d’ouverture à cassation paraît quelque peu atypique en l’espèce puisqu’il sanctionne la méconnaissance du sens clair et précis de sa jurisprudence antérieure. Fondée sur l’idée de réprimer toute interprétation fallacieuse ou tout manquement à la fidélité au sens d’un acte écrit pourtant clair et précis par les juges du fond [12], la dénaturation érige un garde-fou contre les éventuels excès d'interprétation susceptibles de s'immiscer dans l'appréciation souveraine des actes.
Les arrêts dont il était question reconnaissaient l’existence d’une obligation à la charge des organismes notifiés d’effectuer des contrôles inopinés sur place ou sur pièces lorsqu’il existait des éléments suffisants suggérant un défaut de conformité des produits de santé à la réglementation en vigueur [13] ; constituant une solution qui tirait les conséquences induites par la décision de la CJUE [14] à l’occasion de laquelle les juges européens, après avoir rappelé qu’au regard de la finalité des missions des organismes notifiés « vis[ant] à protéger les destinataires finaux des dispositifs » [15], ont jugé que si l’organisme notifié n’était pas tenu, de manière générale, de faire des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant, il en allait autrement lorsque des indices suggéraient une absence de conformité. Dès lors, cette carence était susceptible de constituer un manquement fautif de nature à engager la responsabilité de l’organisme. Il semble donc que le dessein de cette censure soit, en proclamant l'invalidité de la décision pour erreur d'interprétation de ses arrêts antérieurs, pour la Cour de cassation de sanctionner toute tentative des juges du fond de s’écarter de sa jurisprudence en recherchant d’autres éléments de nature à écarter la responsabilité de l’organisme notifié de sorte qu’il en résulterait un traitement différencié [16].
T. J.
• Pour écarter la responsabilité de la puissance publique en matière de vaccination dans le cadre d’une menace sanitaire, le juge doit démontrer la vraisemblance du lien causal avec le dommage au regard de la date d’apparition des symptômes (CE 5 ch., 9 février 2024, n° 471441 N° Lexbase : A44062LR).
L’affaire. En l’espèce, imputant à cette vaccination contre le virus H1N1 intervenue en 2009 dans le cadre de la campagne de vaccination organisée par le ministre de la Santé et des Sports sur le fondement de l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L0765MMB une narcolepsie-cataplexie qui lui fut diagnostiquée en 2016, une patiente assigne en indemnisation l’ONIAM au titre de l’article L. 3131-4 de ce même code N° Lexbase : L9616HZ8. Le Conseil d’État se trouve alors saisi par la patiente afin que soit prononcée l'annulation de l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Paris rejetant les prétentions de la victime. Pour faire droit à cette demande, les juges du droit relèvent que tout en estimant qu’il n’était pas exclu que le vaccin puisse être la cause de la pathologie, la cour administrative d’appel commet une dénaturation en refusant l’indemnisation alors même qu’elle retenait que la patiente datait l’apparition d’une fatigue anormale et des douleurs musculaires quelques mois après la vaccination, dans un délai correspondant à celui admis par la communauté scientifique pour retenir le lien de causalité entre le vaccin et la pathologie. Ainsi, l’établissement de l’imputation s’apprécie au jour de l’apparition des symptômes et non du jour de l’établissement du diagnostic.
Le cadre juridique. La solution du Conseil d’État ne surprendra guère. Désormais bien établi, le juge administratif applique scrupuleusement son principe tenant davantage de méthode qu’il avait eu l’occasion de ciseler à l’occasion de deux arrêts rendus le 29 septembre 2021 [17]. Contrairement aux affaires de 2021 qui concernaient une vaccination professionnelle obligatoire pour lesquelles l’État est responsable des dommages au titre de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8, la mise en jeu de la responsabilité publique à travers l’ONIAM intervient dans cette affaire en raison des dommages causés par les mesures d’urgence réalisées en cas de menace sanitaire grave. Il incombe alors à la victime de démontrer que la vaccination imposée dans le cadre de cette crise est bien la cause du dommage que la victime souhaite se voir indemniser. Ainsi, lorsque le juge administratif se trouve saisi d’un litige concernant l’établissement d’un lien de causalité entre une vaccination et un dommage qui lui serait imputé, il lui revient tout d’abord, pour écarter toute responsabilité de l’État, d’établir qu’au regard du dernier état des connaissances scientifiques qui lui sont soumises, il n’existe aucune probabilité pour que ce lien puisse exister. Autrement dit, seule la preuve scientifique démontrant qu’un tel lien ne peut exister, et non pas que son existence fût seulement très improbable offre une irresponsabilité à l’État. Dès lors qu’il existe une probabilité même faible, que ce lien puisse exister et quand bien même il ne serait pas scientifiquement démontré, il appartient au juge de retenir l’existence d’un tel lien si, au regard des circonstances de l’espèce, l’apparition de l’affection, sa manifestation ou son aggravation ne peuvent être vues que comme résultant de cette vaccination à l’exclusion de toute autre cause.
T. J.
• La circonstance que, dans le dernier état de ces connaissances, il ne serait pas avéré que le lien de causalité soit exclu ou très peu probable n'est, à elle seule, pas suffisante pour présumer de l'existence du lien de causalité entre des vaccinations non obligatoires et une myofasciite à macrophages (CAA Douai, 26 mars 2024, n° 22DA02530
L’affaire. L’espèce est l’occasion d’aborder de nouveau la délicate question de la responsabilité médicale liée aux effets secondaires de la vaccination. À la suite d’une vaccination le 19 janvier 2005 dans un établissement public de santé contre plusieurs maladies en vue d'un voyage au Sénégal, un homme a développé de sévères symptômes, incluant des douleurs dorsales et une péricardite aiguë, diagnostiquée lors d'une hospitalisation du 26 janvier au 7 février 2005. Son état de santé se dégrade progressivement, manifestant une asthénie chronique, des douleurs musculaires et des troubles cognitifs. Une biopsie en 2009 révèle des lésions de myofasciite à macrophages que l’homme impute à ses vaccinations. En 2015, il saisit la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qui conclut à l'absence de lien de causalité entre les symptômes et les vaccins. Après avoir fait appel du jugement du tribunal administratif de Rouen datant du 20 octobre 2022, qui avait rejeté sa requête qui avait rejeté ses demandes à l’encontre de l’établissement de santé et de l’ONIAM, les juges administratifs confirment leur décision. En effet, ces derniers relèvent tout d’abord que si les établissements publics de santé sont responsables de plein droit de la défaillance des produits qu’ils utilisent, il revient à la victime de rapporter la preuve du défaut du produit ainsi que celle du lien de causalité entre le défaut et le dommage. Or, cette preuve ne peut résulter du seul fait que le dernier état des connaissances scientifiques ne peut exclure ce lien. Il est nécessaire de démontrer en l’espèce un faisceau d’indices suffisamment grave, précis et concordant pour admettre une présomption du lien de causalité ; une preuve que ne rapporte pas en l’espèce la victime. Les deux collèges d’experts estiment à cet égard que les nombreux antécédents chirurgicaux ou médicaux peuvent également avoir un lien avec le tableau clinique de sorte qu’il était impossible pour les experts d’établir que les vaccins étaient bien à l’origine du dommage. Il résulte de ces éléments qu’en l’absence de lien de causalité entre la vaccination et la dégradation de l’état de santé du patient, l’engagement de la responsabilité de l’établissement de santé ne peut être retenu, tout comme l’indemnisation du dommage au titre de la solidarité nationale sur le fondement des accidents médicaux non fautifs.
Le cadre juridique. Ne pouvant bénéficier du régime de responsabilité de plein droit en matière de vaccination obligatoire prévue à l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8, la victime est alors contrainte de rechercher la responsabilité de l’établissement de santé, lequel est responsable de plein droit en cas de défaillance d’un produit de santé qu’il utilise [18]. Est-ce à dire que la victime d’une vaccination non obligatoire serait moins bien protégée qu’une victime d’une vaccination obligatoire ? On sait à cet égard que le Conseil d’État impose aux juges du fond, en matière de vaccination obligatoire de rechercher si au regard du dernier état des connaissances scientifiques, un tel lien peut possiblement exister [19]. Autrement dit, en présence d’une preuve selon laquelle le lien ne pourrait être probable ou exister, le juge ne pourrait retenir le lien de causalité. À l’inverse, à partir du moment où il existe une probabilité même faible que ce lien puisse exister, il incombe aux juges de vérifier en l’espèce si des éléments permettent de démontrer un tel lien eu égard notamment au délai entre la vaccination et l’apparition des symptômes de la pathologie ou encore au regard des antécédents de l’intéressé. Or, si le juge dispose d’une plus grande latitude dans sa façon d’admettre une telle présomption que le juge civil [20], il ressort qu’en matière de lien de causalité entre les adjuvants aluminiques contenus dans un vaccin et le diagnostic d’une myofasciite à macrophages, le juge refuse de l’admettre, même en matière de vaccination obligatoire [21] estimant qu’au regard des conclusions de l’Académie nationale de médicale, il n’existe aucune probabilité suffisante d’un lien de causalité. Si en l’espèce la cour d’appel ne reprend pas le principe dégagé par le Conseil d’État, les juges relèvent néanmoins que l’état de la science ne permet pas d’établir un tel lien. Par ailleurs, la victime échoue également à démontrer que le vaccin est la cause de son dommage. En effet, la coexistence d’autres causes pouvant expliquer le tableau clinique du patient conduit à rendre incertain tout lien avec la vaccination. Aussi, qu’il soit question d’une vaccination obligatoire ou non, le juge semble bien déterminé à refuser l’admission d’un lien de causalité entre les adjuvants aluminiques et l’apparition de lésions histologiques de myofasciite à macrophages.
T. J.
• Le préjudice moral subi par le patient en raison de l’ablation d’un organe sain peut être indemnisé distinctement dès lors que celui-ci n’était pas inclus dans l’indemnisation relative au déficit fonctionnel permanent ou aux souffrances endurées (Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-20.786, non publié au bulletin N° Lexbase : A8669179 : RCA, 2024, comm. 56, obs. S. Hocquet-Berg).
L’affaire. À la suite du diagnostic d'une subluxation rotulienne, un patient a subi une décompression de la rotule sous arthroscopie. Au cours de l’opération, le chirurgien a décidé de procéder au retrait de la bourse prérotulienne. Une dizaine de jours après, une autre opération chirurgicale a été nécessaire du fait de l’apparition d’un hématome postopératoire. En raison de douleurs persistantes, le patient a assigné le chirurgien en responsabilité et indemnisation. La cour d’appel a reconnu la responsabilité du chirurgien et a notamment retenu à son encontre une faute consistant dans l’ablation réalisée. Selon la cour d’appel, cette ablation qui n’était pas utile et qui a directement conduit aux complications postopératoires est également la source d’un préjudice moral pour le patient découlant de l’ablation d’un organe sain. L’assureur ayant formé le pourvoi en cassation reproche à la cour d’appel de l’avoir condamné à verser au patient la somme de 1 000 euros au titre du préjudice moral subi en raison de l’ablation illégitime d’un corps sain. Selon l’assureur, ce poste de préjudice est inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice de déficit fonctionnel permanent et ne peut faire l’objet d’une indemnisation dédiée. La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi au motif que les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et des souffrances endurées n’incluaient pas ce préjudice.
Le cadre juridique. Dans cet arrêt, la responsabilité contractuelle du chirurgien est engagée sur le fondement de l’ancien article 1147 du Code civil. Pour rappel, avant la loi du 4 mars 2002, il était nécessaire de distinguer le type de responsabilité applicable selon que l’origine était délictuelle ou contractuelle.
L. C.
• Doit motiver sa décision la juridiction qui décide de s’écarter d’un rapport d’expertise obtenue au cours d’une procédure devant une Commission de conciliation et d’indemnisation (CE, 5e ch., 2 janvier 2024, n° 466788, Inédit au recueil Lebon
L’affaire. Dans cette affaire, une patiente ayant été admise dans un établissement public de santé a accouché par césarienne d'un enfant en état de mort apparente. L'enfant, après réanimation, souffre désormais d'une infirmité cérébrale motrice, le rendant totalement dépendant. La Commission de conciliation et d’indemnisation est saisie par les parents et une expertise est ordonnée. Sur la foi de cette expertise, la CCI identifie une faute de la part de l’établissement et reconnaît une perte de chance pour l'enfant d'éviter son dommage à hauteur de 80 %. Les parents engagent alors une action en responsabilité contre l’établissement devant le tribunal administratif qui confirme le taux de perte de chance à 80%. En cause d’appel, la condamnation est réitérée, mais la Cour administrative d'appel réduit le taux de perte de chance de 80 % à 50 %. Les parents se pourvoient en cassation auprès du Conseil d’État. Pour prononcer l’annulation de l’arrêt, les juges administratifs rappellent que si la juridiction du fond n’est pas « liée par les conclusions des experts quant au taux de perte de chance retenu, elle ne pouvait, sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, s'abstenir d'indiquer les motifs l'ayant conduite à retenir un taux différent ».
Le cadre juridique. En raison de la gratuité de la procédure devant la CCI, il peut être intéressant pour le requérant d’opter pour cette procédure dans l’intérêt de bénéficier d’une expertise gratuite [22] afin de déterminer les actions en responsabilité s’offrant à lui, mais également afin de connaître l'étendue de son dommage. Cette expertise conduite dans le respect du contradictoire et répondant à des exigences de qualité peuvent alors servir à fonder une action devant les juridictions. Or, le juge demeure libre d’ordonner une nouvelle expertise [23] ou s’estimer suffisamment éclairé par celle ordonnée à l’occasion de la procédure CCI. Quoi qu’il en soit, même si le juge n’est pas tenu par les conclusions de l’expert indépendamment de l’origine de l’expertise, celui-ci est contraint de motiver sa décision lorsqu’il décide de s’éloigner substantiellement du rapport.
T. J.
• Dans le cas d’une limitation du droit à l’indemnisation de la victime liée à l’évaluation d’une perte de chance, le tiers payeur ne peut exercer son recours que sur le reliquat (Cass. civ. 2, 15 février 2024, n° 21-18.138, F-B N° Lexbase : A31102M7).
L’affaire. À la suite de deux interventions chirurgicales, une patiente a présenté des complications et conservé des séquelles. En raison de l'échec de la procédure amiable, celle-ci a assigné le chirurgien en responsabilité et indemnisation et mis en cause la caisse régionale d’assurance maladie. En effet, le chirurgien ayant été reconnu responsable d’une faute dans le traitement de la patiente à l’origine pour celle-ci d’une perte de chance de 60 % d’éviter la survenue du dommage, la caisse régionale d’assurance maladie qui a sollicité le remboursement de ses débours et notamment de la pension d’invalidité. À l’égard du poste de préjudice de déficit fonctionnel permanent, la caisse d’assurance maladie reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande d'imputation du solde de sa créance sur les postes de préjudices liés à l'incidence professionnelle et au préjudice fonctionnel permanent. L’assureur a donc formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle que « les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, que dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, qu'elle résulte d'un partage de responsabilité ou de la réparation de la seule perte de chance, la victime peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée, de sorte que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ».
Le cadre juridique. La Cour de cassation fait dans cet arrêt application de deux articles. D’une part, l’article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8870LHY qui précise notamment que « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel ». D’autre part, la Cour s’appuie sur l’article 1346-3 du Code civil N° Lexbase : L0696KZS qui indique que « La subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu'il n'a été payé qu'en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n'a reçu qu'un paiement partiel ».
L. C.
• Constitue une réclamation une assignation en référé en vue de la désignation d’un expert aux fins de déterminer les responsables des dommages dont le tiers lésé se prétend victime (Cass. civ. 2, 15 février 2024, n° 21-18.138, F-B N° Lexbase : A31102M7 : D. actualité, 29 février 2024, obs. E. Petitprez ; JCP G, 2024, act. 252) :
L’affaire. Les faits remontent à septembre 2004, lorsqu'un retard fautif dans la prise en charge de l'accouchement par un gynécologue-obstétricien libéral a eu pour conséquence la naissance d’un enfant en état de mort apparente qui conduit à ce que l’enfant souffre aujourd’hui d’un lourd handicap. Les parents assignent alors le professionnel de santé en janvier 2007 ; une expertise est ordonnée par le juge des référés en février 2008. L’assignation au fond à l’encontre du médecin intervient en février 2012. En première instance, la responsabilité du gynécologue obstétricien est retenue pour un manquement qui a conduit à la perte d’une chance d’éviter les séquelles résultant de sa naissance à hauteur de 70 %. L’assureur est alors tenu de garantir le médecin à hauteur du plafond conventionnel fixé à trois millions d’euros. Un appel est interjeté par le professionnel de santé qui demande l’intervention du Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral (FADPS/FGDPS). En appel, la responsabilité du médecin est confirmée, mais les juges estiment que l’assureur est tenu de garantir son assuré dans la limite du plafond de huit millions d’euros. L’assureur se pourvoit en cassation estimant qu’en retenant que l’assignation en référé de janvier 2007 n’était pas une réclamation alors même que cette assignation tendait à déterminer les responsabilités dans l’origine des séquelles de l’enfant et à évaluer leur gravité, la cour d’appel avait violé les articles L. 1142-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L5392IR7, l’article L. 251-2 du Code des assurances N° Lexbase : L8886DNG et l’article R. 1142-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L5629IRW dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011. Les arguments de l’assureur sont suivis par la Cour de cassation qui, après avoir énoncé que la réclamation se caractérise par toute « demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d'un dommage ou ses ayants droit, et adressée à l'assuré ou à son assureur », retient que l’assignation en janvier 2007 constituait une réclamation au sens de l’article L. 251-2 du Code des assurances. Dès lors, l’arrêt de la cour d’appel encourt la cassation.
Le cadre juridique. Pour comprendre dans quelle mesure la détermination de la date de la réclamation constituait un enjeu en l’espèce, il convient de préciser qu’est intervenu le 29 décembre 2011 le décret n° 2011-2030 N° Lexbase : L5083IRP modifiant l’article R. 1142-4 du Code de la santé publique. Il résulte de cette modification une élévation des plafonds d’indemnisation dans les contrats d’assurance de responsabilité médicale souscrits par les professionnels de santé exerçant à titre libéral passant de trois millions d’euros par sinistre et 10 millions par année d’assurance à, respectivement, huit millions d’euros et quinze millions d’euros applicables aux contrats conclus, renouvelés ou modifiés à compter du 1er janvier 2012. L’intérêt pour le responsable (et la victime) est alors perceptible puisque la date à laquelle la réclamation est intervenue déterminera l’étendue de la couverture assurantielle. En cassant l’arrêt de la cour d’appel, les juges du droit estiment dès lors que c’est l’état du contrat avant son renouvellement et le rehaussement des plafonds qui déterminent les conditions dans lesquelles l’assureur est tenu d'indemniser la victime. Mais, ce choix implique également une conséquence. En effet, dans la foulée de l’augmentation des plafonds, la loi n° 2011-1997 du 28 décembre 2011 N° Lexbase : L5012IR3 a institué le fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé [24] dont l’objectif était d’assurer un relais aux professionnels libéraux en cas d’épuisement de la garantie. Or, l’une des insuffisances de ce nouveau dispositif est son absence de rétroactivité ; le FADPS n’a vocation à intervenir que dans les sinistres donc la réclamation est intervenue soit « à compter du 1er janvier 2012 en cas d'expiration du délai de validité de la couverture du contrat d'assurance mentionné au même article L. 251-2, soit mettant en jeu un contrat d'assurance conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012 » [25]. De fait, en fixant la réclamation à 2007, le professionnel de santé se trouve privé du bénéfice du FADPS.
Aussi, déterminer la date à laquelle est intervenue la réclamation constitue donc un enjeu non seulement afin de déterminer les plafonds applicables, les droits du professionnel au FADPS, mais encore afin de déterminer si une garantie subséquente est susceptible de jouer. Cette importance donnée à la réclamation résulte du choix du législateur d’imposer la base réclamation comme élément désignant l’assureur tenu d’intervenir en garantie. Pourtant, aussi centrale que soit sa détermination, le législateur n’a pas pris la peine d’apporter une définition lors du vote de la loi du 30 décembre 2002 N° Lexbase : L9372A8M. C’est à l’occasion de généralisation par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 N° Lexbase : O0817A3N qu’est apporté un début de réponse dans ce qu’on pourrait appeler le droit commun. Ainsi l’article L. 251-2 du Code des assurances dispose-t-il que constitue « une réclamation toute demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d'un dommage ou ses ayants droit, et adressée à l'assuré ou à son assureur ». L’accent est alors mis sur la finalité de la demande adressée à l’assuré ou à l’assureur qui doit tendre à obtenir une réparation du dommage subi et il semble que la Cour préfère ne retenir qu’une seule définition de la réclamation malgré le fait qu’il lui serait possible d'automatiser cette notion dans le cadre de l’assurance obligatoire en responsabilité médicale. Constitue donc une réclamation au sens du Code des assurances, une demande préalable d’indemnisation adressée à une CCI [26]. De même, la Cour de cassation avait eu l'occasion de juger « qu'en matière d'assurance de responsabilité, l'assignation en référé délivrée à l'assuré par le tiers lésé, en vue de la désignation d'un expert aux fins de constater et d'évaluer le dommage, constitue la réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l'assureur » [27]. Le maintien de cette solution en l’espèce sous un attendu différent est donc à saluer malgré l’effet délétère de celle-ci pour l’assuré. En effet, pour refuser de retenir l’assignation en référé intervenue en 2007 comme date de la réclamation, la cour d’appel relevait que l’assignation avait pour finalité l’organisation d’une expertise en vue de la détermination des responsables des dommages et non une action en réparation. Autrement dit, à s’en tenir à la position des juges du fond, tous les actes préparatoires à l’action en réparation ne constitueraient pas une réclamation. Or, dès lors que la désignation de l’expert avait justement pour finalité de déterminer les responsables et d’évaluer les préjudices subis, elle constituait par la même occasion une réclamation.
II. Responsabilité du producteur
• Est caractérisé le défaut de sécurité d’une prothèse dès lors qu’il n’existe aucune cause susceptible d’expliquer la rupture ou le dommage (CA Amiens, 11 janvier 2024, n° 22/04386 N° Lexbase : A34002EN).
L’affaire. En mai 2017, un patient subit une intervention chirurgicale consistant en la pose de prothèses costales gauches. Quelques mois plus tard, le patient doit faire l’objet d’une nouvelle intervention afin que soit retiré le matériel d'ostéosynthèse costal fracturé ; lequel est remplacé par une plaque Vicryl. Le patient assigne le producteur de la prothèse en responsabilité sur le fondement du régime des produits défectueux des articles 1245 N° Lexbase : L0945KZZ et suivants du Code civil. Par un arrêt confirmatif, la cour d’appel retient la responsabilité du producteur. En effet, les juges du fond relèvent que le rapport d’expertise pointe la fracture précoce de la prothèse, laquelle ne se trouve pas expliquée par d’autres causes. Aussi, malgré l’absence d’expertise sur le produit défectueux lui-même et en l’absence de preuve démontrant que la victime aurait effectué un travail physique ou porté des charges lourdes ainsi que l’absence de preuve rendant vraisemblable l’existence d’une erreur médicale lors de la pose de la prothèse, les juges ont pu caractériser le défaut et le lien de causalité nécessaires à l’engagement de la responsabilité du producteur.
Le cadre juridique [28]. S’il revient à la victime d’apporter la preuve du défaut du produit, du dommage et du lien de causalité selon l’article 1245-8 du Code civil N° Lexbase : L0628KZB, le juge a admis la possibilité de recourir à des présomptions du fait de l’homme afin de faciliter cette preuve. Aussi, la Cour de cassation [29], avec l’aval de la Cour de justice de l’Union européenne [30], a admis la possibilité pour le juge de rapporter le défaut et le lien de causalité avec le dommage à partir d'un faisceau d’indices graves, précis et concordants. Il incombe dès lors à la victime d’une part de démontrer que le produit est vraisemblablement à l'origine du dommage et dans un même temps, d’exclure toute autre cause qui pourrait également expliquer le dommage. Par ailleurs, entendu comme l’atteinte à la sécurité que le grand public était en droit d’attendre d’un produit, le juge européen a également eu l’occasion de préciser qu’en matière de santé, les attentes légitimes pouvaient être recherchées auprès des personnes directement concernées par la sécurité du produit en question [31] ; autrement dit les attentes des patients.
T. J.
[1] CE 5e-6 ch.-r., 6 mai 2021, n° 428154 N° Lexbase : A31894RK.
[2] A. Laude, B. Mathieu et D. Tabuteau, Droit de la santé, 3e éd., PUF, 2012, p. 368 et s..
[3] Sur la communication du dossier médical au patient, aux tiers et notamment aux ayants droit, v. not. Alt-Maes, Les proches du malade à l'épreuve du secret médical, Mél. Mémeteau, LEH, 2015, vol. 1, p. 245 ; S. Mercier, La transmission du dossier au patient ou à ses ayants droit, RGDM, 2014, n° 53, p. 57 ; G. Nicolas, L'accès au dossier hospitalier par le patient et sa famille : les cas particuliers (patients mineurs, majeurs protégés, patients décédés), RGDM, 2010, no 37, p. 185 ; O. Dupuy, Le droit à l'information des personnes relevant de l'entourage du patient, Revue Droit & Santé, 2006, no10, p. 173.
[4] CE 1e-4e ch. réunies, 21 septembre 2020, n° 427435, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A43203UK : Lebon, 15 mai 2021 ; AJDA, 2020, p. 1759, obs. L. Zaoui ; RDSS, 2020, p. 1149, note F. Dieu.
[5] La Cour de cassation reprend à son compte la définition donnée par le Conseil d’État, Cass. civ. 1, 6 avril 2022, n° 20-18.513, F-B N° Lexbase : A32187SY : RCA, 2022, comm. 174, note S. Hocquet-Berg.
[6] CE Contentieux, 23 mars 2018, n° 402237, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8527XHB : JCP A, 2018, 2207, note Ch. Paillard ; AJDA, 2018, p. 653 ; AJDA, 2018, p. 1230, concl. L. Marion ; D., 2018, p. 674, obs. M.-C. de Montecler ; D., 2018, p. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; D., 2019, p. 38, obs. Ph. Brun, O. Gout et Ch. Quézel-Ambrunaz ; RDSS, 2018, p. 727, obs. D. Cristol ; RTD civ., 2018, p. 688, obs. P. Jourdain.
[7] Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins, Définition des infections associées aux soins, mai 2007, p. 3.
[8] Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-17.491, FS-P+B N° Lexbase : A9651DNR : RCA, 2006, étude 20, par N. Chekli ; Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-10.812, FS-P+B N° Lexbase : A7882DWT ; Cass. civ. 1, 18 février 2009, n° 08-15.979, FS-P+B N° Lexbase : A2732EDK.
[9] Voir, CA Bordeaux, 16 décembre 2009, n° 08/02947 N° Lexbase : A4301E3P.
[10] S. Hocquet-Berg, Fasc. 440-55 : SANTÉ. – Responsabilité médicale sans faute. Infection nosocomiale, JCl Civil Code, 2023, n° 54.
[11] Par exemple s’agissant du comportement fautif du patient, consistant à ne pas avoir respecté les recommandations médicales après l'hospitalisation, Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 99-17.672 N° Lexbase : A1104AT3 : JCP G, 2001, IV, 1972 ; RCA, 2001, comm. 195 ; RTD civ., 2001, p. 596, obs. P. Jourdain ; CC, 2001, p. 195, note L. Leveneur ; v. également, CA Bordeaux, 22 juin 2011, n° 10/2601 N° Lexbase : A8166HUY. Dans ce dernier cas, les juges ont toutefois estimé que les agissements du patient faisaient perdre le caractère nosocomial de l’infection.
[12] La dénaturation est une « erreur des juges du fond qui ont donné à un document de la cause, cependant clair et précis, un sens qu’il n’avait pas », J. Voulet, Le grief de dénaturation devant la Cour de cassation, JCP, 1971, I, 2410, n° 2.
[13] Cass. civ. 1, 10 octobre 2018, n° 15-26.093, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0860YGX : RDSS, 2018, p. 1105, obs. J. Peigné ; JCP G, 2018, 1235, note M. Bacache.
[14] CJUE, 16 février 2017, aff. C-219/15, Elisabeth Schmitt c/ TÜV Rheinland LGA Products GmbH N° Lexbase : A6026TC8 : RDC, 2017, p. 241, note J. Knetsch ; Gaz. Pal., 2017, n°16, p.25, note N. Blanc ; JCP G, 2017, act. 252, obs. D. Berlin ; Europe, 2017, n°4, comm. 143, S. Roset.
[15] CJUE, 16 février 2017, aff. C-219/15, point 60.
[16] Voir en ce sens, Cass. civ. 1, 25 mai 2023, n° 22-11.541, FS-B N° Lexbase : A67079WC : Gaz. Pal., 2023, n° 19, p. 35 ; JCP G, 2023, act. 698 ; D., 2023, p. 1071 ; D. actualités, 9 juin 2023, obs. É. Petitprez ; D., 2023, p. 1977, obs. M. Bacache ; RDSS, 2023, p. 721, note J. Peigné ; Gaz. Pal., 10 octobre 2023, p. 54, obs. D. Tapinos ; JCP G, 2023, n° 1315, obs. C. Bloch ; RTD civ., 2023, p. 899, obs. P. Jourdain. Voir nos observations, Indemnisation des victimes d’accidents médicaux - Panorama des dernières décisions de mars à mai 2023, Lexbase Droit privé, juin 2023, n° 951 N° Lexbase : N6031BZE.
[17] CE, 29 septembre 2021, n° 435323, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A028448Z : AJDA, 2021, p. 1949 ; AJDA, 2022, p. 2111, obs. E. Berthon ; RDSS, 2021, p. 1047, concl. C. Barrois de Sarigny ; L. Chevreau et T. James, Indemnisation des victimes d’accidents médicaux - Panorama de jurisprudence (janvier à octobre 2021), Lexbase Droit privé, novembre 2021, n° 885 N° Lexbase : N9507BYR ; v. aussi, mais sans retenir la formule désormais consacrée, CE 3e-8e s-s-r., 21 novembre 2012, n° 344561, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2637IXX : AJDA, 2013, p. 185, note T. Leleu ; et 2012, 2247 ; AJFP, 2013, 112, et les obs. ; RDSS, 2013. 160, obs. J. Peigné ; et à propos, déjà, de la relation entre vaccination contre le virus de l'hépatite B et la sclérose en plaques, v. CE 4e-5e s-s-r., 9 mars 2007, n° 267635, Mme Schwartz, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5805DUK : AJDA, 2007, p. 861, concl. T. Olson ; D., 2007, p. 2204, obs. E. Pahlawan-Sentilhes, note L. Neyret ; D., 2007, p. 2897, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; RDSS, 2007, p. 543, obs. D. Cristol.
[18] CE, 12 mars 2012, n° 327449, CHU de Besançon, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9481IEU : AJDA, 2012, p. 575 ; ibid., p. 1665, étude H. Belrhali ; D., 2013., p. 40, obs. Ph. Brun et O. Gout ; RFDA, 2012, p. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RDSS, 2012, p. 716, note J. Peigné ; RTD eur., 2012, p. 925, obs. D. Ritleng.
[19] CE, 29 septembre 2021, n° 435323, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A028448Z : AJDA, 2021, p. 1949 ; AJDA, 2022, p. 2111, obs. E. Berthon ; RDSS, 2021, p. 1047, concl. C. Barrois de Sarigny ; L. Chevreau et T. James, Indemnisation des victimes d’accidents médicaux - Panorama de jurisprudence (janvier à octobre 2021), Lexbase Droit privé, novembre 2021, n° 885 N° Lexbase : N9507BYR ; v. aussi, mais sans retenir la formule désormais consacrée, CE, 21 novembre 2012, n° 344561, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2637IXX : AJDA, 2013, p. 185, note T. Leleu ; et 2012, 2247 ; AJFP, 2013, 112, et les obs. ; RDSS, 2013. 160, obs. J. Peigné ; et à propos, déjà, de la relation entre vaccination contre le virus de l'hépatite B et la sclérose en plaques, v. CE, 9 mars 2007, n° 267635, Mme Schwartz, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5805DUK : AJDA, 2007, p. 861, concl. T. Olson ; D., 2007, p. 2204, obs. E. Pahlawan-Sentilhes, note L. Neyret ; D., 2007, p. 2897, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; RDSS, 2007, p. 543, obs. D. Cristol.
[20] CJUE, 21 juin 2017, N. W e.a./ Sanofi Pasteur MSD e.a., aff. C-621/15 N° Lexbase : A1281WKN, AJDA, 2017, p. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D., 2017, p. 1807, note J.-S. Borghetti ; RTD civ.,2017, p. 877, obs. P. Jourdain.
[21] CAA Nantes, 3 février 2023, n° 21NT02721 N° Lexbase : A24629BS : D. actualité, 24 février 2023, obs. J. Peigné. Nos observations, L. Chevreau et T. James, Indemnisation des victimes d’accidents médicaux - Panorama des dernières décisions de décembre 2022 à février 2023, Lexbase Droit privé, juillet 2023, n° 940.
[22] CSP, art. D. 1142-12 N° Lexbase : L0539LPN. Voir toutefois, F. Bibal, Le contradictoire n'est pas respecté devant les CCI, Gaz. Pal., n° 5, 15 février 2022, p. 36.
[23] À cet égard, la demande d’une nouvelle expertise devant le juge n’apparaîtrait pas comme une demande en contre-expertise, mais comme une primo demande d’expertise judiciaire. Les juridictions civiles estiment que l’expertise amiable n’aurait qu’une valeur de « renseignement » car elle ne constituerait pas une « véritable expertise ». Dès lors, il n’y a pas lieu de parler de demande de « contre-expertise » (CA Lyon, 26 novembre 2013, n° 12/04924 N° Lexbase : A1971KQ3 ; CA , 14e, B, Paris, 7 novembre 2008, n° 08/06644 N° Lexbase : A3312EBB ; CA Aix-en-Provence, 16 novembre 2023, n° 22/13928 N° Lexbase : A988513I jugeant que « le fait qu’une expertise médicale ait déjà été réalisée sur dossier médical, en présence du fils de M. B, des médecins mis en cause et des conseils des parties n’exclut pas l’existence d’un intérêt légitime à obtenir une expertise judiciaire avant tout procès, dès lors que ce dernier n’est manifestement pas voué à l’échec, la demande d’expertise judiciaire ne peut davantage s’analyser comme une demande de contre-expertise puisqu’elle est formée avant tout procès ». À l’inverse, les juridictions administratives tiennent pour équivalent les expertises amiables produites lors des procédures devant les CCI de sorte que les demandes en expertise formulées devant le juge administratif n’ont tendance à prospérer qu’autant qu’elles visent à combler les lacunes du rapport existant ou à contredire celui-ci. (CAA Douai, 21 janvier 2013, n° 12DA00942 N° Lexbase : A54417ZK ; CE, 18 décembre 2015, n° 388772, inédit N° Lexbase : A4274N3P). Sur cette question, voir, A. Léger C. Manaouil, D. Montpellier, M.-L. Moquet-Anger et Ph. Pierre, Vingt ans après la loi Kouchner : articulation entre les CCI et les juridictions du contentieux en matière d’expertise de responsabilité médicale, La Revue de Médecine Légale, Vol. 14, Issue 2, juin 2023, 100405.
[24] Pour un état des lieux de ce fonds, L. Morlet-Haïdara, Risque médical - Le fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins (FAPDS) : une réponse aux lacunes de l’assurance de responsabilité civile médicale ?, RCA, 2023, dossier 23.
[25] Loi n° 2011-1997, du 28 décembre 2011, de finances pour 2012, art. 146, IV.
[26] CE 5/6 ch.-r., 29-05-2019, n° 426519, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5851ZIK : RCA, 2019, alerte 17, obs. L. Bloch ; CE, 5 juin 2019, n° 424886, Mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4281ZDW : AJDA, 2019, p.1195, obs. E. Maupin.
[27] Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, n° 08-20.311, F-D N° Lexbase : A1820ENQ : RCA, 2010, comm. 26, H. Groutel.
[28] Pour une étude générale sur la question, L. Friant, La réparation des dommages causés par les produits de santé. Contribution à l’étude des fondements et à la mise en œuvre de la socialisation des risques, PU Savoie Mont Blanc, 2019.
[29] Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 14-18.118, FS-P+B+I N° Lexbase : A0213WWS et n° 15-20.791 N° Lexbase : A0214WWT : D., 2018, p. 490, note J.-S. Borghetti ; LPA, 9 févr. 2018, p. 6, note P.-L. Niel et M. Morin ; JCP G, 2017, 1220, note G. Viney ; RTD civ., 2018, p. 141, obs. P. Jourdain.
[30] CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15, N. W e.a. c/ Sanofi Pasteur MSD e.a. N° Lexbase : A1281WKN : AJDA, 2017, p. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D., 2017, p. 1807, note J.-S. Borghetti ; RTD civ., 2017, p. 877, obs. P. Jourdain.
[31] CJUE, 5 mars 2015, aff. C‑503/13 et C-504/13, Boston Scientific Medizintechnik GmbH contre AOK Sachsen-Anhalt Die Gesundheitskasse et Betriebskrankenkasse RWE N° Lexbase : A6837NC9 : D., 2015, p. 1247, note J.-S. Borghetti ; JCP G, 2015, 543, note L. Grynbaum ; JCP G, 2015, doctr. 1409, n° 4, obs. M. Bacache ; RTD civ., 2015, p. 406, obs. P. Jourdain.
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Réf. : Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-24.394, F-B N° Lexbase : A61075AG
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N9319BZ8
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par Lisa Poinsot
Le 22 Mai 2024
► Le délai de prescription de l’action en paiement des salaires dont le versement doit être repris par l'employeur à partir de l'expiration du délai d'un mois suivant la déclaration d'inaptitude du salarié, après une maladie non professionnelle, court à compter de la date d'exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu'à la rupture du contrat de travail.
Faits et procédure. Licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, une salariée engage une action au fond, après avoir vainement saisi la formation de référé, devant la même juridiction prud’homale pour demander le paiement des salaires d’août 2012 à septembre 2013.
La cour d’appel fait partir le délai de prescription de l’intégralité des rappels de salaires à l’échéance du premier mois auquel ceux-ci étaient dus.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel.
Cette décision permet de soulever deux règles :
La Haute juridiction énonce notamment que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré.
En l’espèce, l’action de la salariée est recevable, car elle a saisi la juridiction prud’homale dans le délai de trois ans suivant la rupture du contrat de travail. Son action porte sur le paiement des salaires des trois dernières années précédant la rupture de son contrat de travail. Le délai de prescription pour demander le paiement du mois d’août 2012 qui n’a pas été payé commence à courir à compter de ce mois, soit à la date d’exigibilité de cette créance salariale.
Pour aller plus loin : V. ÉTUDE : Le paiement du salaire, Le régime de prescription applicable aux salaires, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0951ETE. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 2 mai 2024, n° 22-24.503, FS-B N° Lexbase : A885729W
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N9330BZL
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
Le 16 Mai 2024
Mots-clés : SCI • objet social • statuts • mise à disposition gratuite d'un immeuble • associés
Une cour d'appel énonce à bon droit que lorsque les statuts d'une SCI n'indiquent pas dans l'objet social la faculté de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite des associés, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul et doit être autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts.
1. La présente décision, publiée au Bulletin, intéressera sans doute une partie substantielle des 1,7 million de sociétés civiles immobilières (SCI) constituées en France [1]. Elle traite de la pratique vraisemblablement répandue consistant pour la société à mettre l’un de ses biens, en l’occurrence un immeuble, à la disposition gratuite de ses associés, précisément d’un seul d’entre eux.
2. La situation de l’espèce était la suivante. On se trouvait en présence d’une société constituée en 2001 entre les deux membres d’un couple et dont les cent parts sociales représentant le capital étaient réparties comme suit : 99 parts sociales pour une associée et une seule part pour l’autre. L’associé minoritaire assumait initialement la gérance de la SCI. Celle-ci était propriétaire d’un immeuble de deux étages, dont le rez-de-chaussée était donné à bail commercial depuis 2002 à une société dont le gérant était l’associé minoritaire et gérant de la société bailleresse. Le 15 septembre 2013, postérieurement à la séparation du couple, la SCI, représentée par son gérant, consentait à celui-ci un prêt à usage – à titre gratuit, donc – portant sur les premier et deuxième étages de l'immeuble social. On comprend que les relations se tendaient par la suite entre les deux associés. Une « assemblée générale extraordinaire », selon les termes de l’arrêt [2], se tenait le 16 juin 2014 sur convocation d’un mandataire désigné judiciairement. Au cours de cette assemblée, le gérant précédemment en place était révoqué et remplacé par l’associée majoritaire. Le gérant révoqué assignait alors en remboursement de son compte courant d'associé la SCI, qui ripostait en sollicitant notamment l’annulation de la convention de prêt à usage.
3. Les demandes de la SCI étaient accueillies par la cour d’appel saisie du litige [3], qui prononçait la nullité du contrat de prêt à usage, déclarait l’associé minoritaire occupant sans droit ni titre de la partie habitation de l'immeuble social, fixait une indemnité d'occupation et enfin ordonnait l’expulsion de l’associé, faute de libération des lieux dans un certain délai. L’associé minoritaire formait un pourvoi en cassation, qui est rejeté par la décision commentée.
4. On reviendra d’abord sur l’opération particulière qui était en cause, consistant pour la société à mettre gratuitement un bien social à disposition de tout ou partie de ses associés (I), avant d’identifier les enseignements que l’on peut déduire de l’arrêt commenté (II).
I. La mise à disposition gratuite du bien social au bénéfice d’un ou des associés
A. Une opération sans doute fréquente en pratique
5. Si l’on consulte un ouvrage de référence sur les sociétés civiles, on y lit que « les sociétés civiles du type le plus courant (et pour cela dénommées “sociétés civiles immobilières” tout court) […] ont pour objet de faire construire ou d’acquérir des immeubles en vue de les louer ou de les mettre à la disposition gratuite de leurs associés » [4]. Un éminent auteur fiscaliste a certes pu écrire, dans un article consacré aux sociétés civiles immobilières de droit commun publié il y a trente ans, que « leur objet consiste dans l'acquisition et la gestion d'immeubles, la gestion intervenant généralement sous forme de mise en location » [5]. Mais il nous semble davantage probable que ces sociétés, lorsqu’elles sont constituées entre les membres d’une même famille et lorsqu’elles sont l’instrument de gestion du bien immobilier dans lequel loge ladite famille ou certains de ses membres, mettent le bien à la disposition gratuite des associés sans qu’un contrat de bail soit conclu. Notre collègue Estelle Naudin le confirme lorsqu’elle écrit que la situation où « le logement appartenant à la société civile est gratuitement mis à disposition d'un ou plusieurs associés » est une « hypothèse fréquente en pratique » [6]. D’autres auteurs se prononcent en ce sens [7].
B. Une opération sensible
6. Si elle est sans doute fréquente en pratique, l’opération de mise à disposition gratuite de l’immeuble au bénéfice des associés d’une SCI présente un caractère sensible. Sa conformité à l’intérêt social apparaît discutable et elle suscite une interrogation supplémentaire lorsqu’elle conduit à traiter les associés de manière inégalitaire.
7. L’opération semble a priori contraire à l’intérêt social, puisque la SCI perd temporairement le droit d’utiliser son immeuble ou renonce à une utilisation à son profit et elle le fait sans percevoir de contrepartie. Si l’on se rappelle que la société civile « ne peut pas faire de libéralités puisqu’elle est constituée pour réaliser des bénéfices ou des économies » [8], on s’étonnera qu’elle puisse conclure un prêt à usage au bénéfice d’un associé, alors qu’il s’agit là d’un contrat de bienfaisance [9]. Mais si la société peut permettre à ses associés de réaliser une économie en détenant des biens par son intermédiaire, par rapport à la situation qui verrait les associés détenir directement les biens en question, on peut sans doute retrouver là un mode de réalisation de sa finalité légale.
8. La question de la conformité à l’intérêt social de la société civile n’est pas ignorée du législateur, qui la prend en compte au moins de trois manières distinctes et dans trois codes différents. Code civil : s’agissant des pouvoirs du gérant de la société civile, ceux-ci sont définis par l’article 1848 N° Lexbase : L2045ABD, « dans les rapports entre associés » et à défaut de prévisions statutaires, il est prévu que le gérant peut accomplir « tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société ». Code de commerce : le dispositif de contrôle des conventions réglementées mis en place par l’article L. 612-5 N° Lexbase : L3230ICM dans les personnes morales de droit privé non-commerçantes ayant une activité économique inclut dans son périmètre les conventions conclues avec, notamment, le « mandataire social » de la personne morale concernée et, si la convention n’est pas approuvée, par « l’organe délibérant », les conséquences préjudiciables de la convention, donc contraires à l’intérêt de la société civile (si elle est soumise au dispositif), peuvent être mises à la charge du mandataire social. Code pénal : le gérant de société civile qui viendrait à utiliser un bien social dans son intérêt personnel commettrait le délit d’abus de confiance sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende par l’article 314-1 N° Lexbase : L5515LZB. Comme on le sait, il a été récemment admis par la Cour de cassation que le délit d’abus de confiance pouvait être constitué en cas de détournement d’un bien immobilier [10]. Ajoutons que dans les sociétés civiles soumises à l’impôt sur les sociétés, la qualification d’acte anormal de gestion menace l’opération de mise à disposition du bien social sans contrepartie [11].
9. Le caractère dangereux de la mise à disposition sans contrepartie peut certes être nuancé par le fait que le régime du prêt à usage, tel qu’il est prévu par le Code civil, accorde une certaine protection au prêteur, lui permettant notamment de demander la restitution de son bien avant le terme convenu, dans certaines circonstances [12]. Il demeure que notre gérant minoritaire, traitant avec lui-même, avait choisi de faire naître un contrat de prêt à usage entre la SCI représentée par lui et lui-même. Il aurait pu choisir de conclure un contrat de bail, avec paiement d’un loyer à la charge du locataire, mais il avait plutôt choisi de recourir à un prêt à usage, dont la caractéristique est d’être, aux termes de l’article 1876 du Code civil N° Lexbase : L2093AB7, « essentiellement gratuit ». On ne sait pas si le dispositif de contrôle des conventions réglementées prévu par l’article L. 612-5 du Code de commerce et évoqué précédemment avait été respecté. Ajoutons qu’il aurait également pu, ce qui est sans doute l’hypothèse la plus fréquente en pratique dans les SCI familiales, occuper le bien social sans qu’une convention particulière soit conclue.
10. Au-delà de la question de l’intérêt social, l’opération de mise à disposition gratuite est rendue encore plus sensible dans l’hypothèse où ce ne sont pas tous les associés qui profitent ensemble du bien social, mais une partie seulement ou même un seul d’entre eux comme c’était le cas en l’espèce. La question de la mise à disposition se pose alors en termes d’égalité des associés. Sans que l’on aille formellement jusqu'à parler de clause léonine, le fait qu’un seul associé capte l’intégralité des avantages que la société peut fournir suscite une interrogation forte.
C. Une opération admise sous condition
11. Cette opération particulière consistant à mettre gratuitement le bien social à la disposition de tout ou partie des associés avait déjà été traitée par la Cour de cassation, dans plusieurs décisions. Un arrêt de la troisième chambre civile avait déjà jugé qu’en présence de statuts ne permettant pas que les associés occupent gratuitement l’immeuble social, une telle occupation aurait dû être autorisée par les associés statuant à l’unanimité [13]. Un arrêt postérieur, certes non publié au Bulletin, avait fait preuve de davantage de souplesse en admettant une occupation à titre gratuit du bien social par un associé dans une situation où les juges du fond avaient relevé « qu'aucune disposition des statuts de la société n'interdisait expressément la mise à disposition gratuite des biens immobiliers dont elle était propriétaire » et où ils avaient retenu par une interprétation souveraine qu’aux termes des statuts, « l'objet de la société était notamment la gestion par bail ou autrement du bien désigné et de ceux dont elle pourrait devenir propriétaire, [et] que cette formulation, par sa généralité, autorisait le gérant à consentir toute autre forme d'occupation des biens concernés, y compris à titre gratuit, au profit notamment de tout ou partie de ses membres » [14]. On relèvera encore d’autres arrêts qui ont vu la troisième chambre civile mentionner sans s’en émouvoir que « la mise à disposition gratuite de l'immeuble correspondait à l'objectif qui présidait à la constitution de la SCI » ou que « le seul objet de la SCI » [15] pouvait être « d'assurer à la nouvelle cellule familiale un logement mis à sa disposition à titre gratuit, au travers d'un prêt à usage » [16].
12. Ajoutons que cette exigence prétorienne d’une prévision figurant dans l’objet social a été intégrée par la doctrine notariale qui s’est intéressée à l’opération, en formulant des recommandations pour éviter que la mise à disposition gratuite du bien social au bénéfice d’un associé soit remise en cause. Un auteur écrit ainsi qu’ « afin de prévenir [le] risque de remise en cause par les héritiers et d'interprétation des statuts par le juge, il peut être conseillé à l'associé qui souhaite utiliser le bien de prévoir expressément dans les statuts la faculté de consentir un prêt à usage ». Cet auteur propose la clause suivante, « prévue dans l'objet social ou dans les pouvoirs du gérant » : « la gérance est investie des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société en vue de la réalisation de l'objet social, notamment acquérir, vendre, consentir toute mise à disposition à titre gratuit ou toutes locations de tous biens et droits immobiliers, ainsi que de tous biens et droits pouvant constituer l'accessoire, l'annexe ou le complément des biens et droits immobiliers détenus par la société, effectuer tout emprunt » [17]. On reviendra sur cette clause un peu plus loin.
II. Les enseignements de l’arrêt rendu le 2 mai 2024
13. Si l’on revient à la décision commentée, on retiendra surtout qu’à l’instar des deux arrêts évoqués rendus précédemment par la troisième chambre civile de la Cour de cassation traitant directement de cette question [18], elle l’appréhende sous le seul angle de la conformité aux statuts. La raison en est sans doute que ni la question de la conformité à l’intérêt social ni celle de l’égalité entre associés n’étaient invoquées devant la Cour de cassation, étant précisé que la contrariété à l’intérêt social avait été soulevée devant la cour d’appel, mais ce n’est pas sur cet argument que la nullité de la convention de commodat avait été prononcée, mais seulement sur le défaut de pouvoir du gérant au regard de l’étendue de l’objet social statutaire [19]. Il avait été jugé qu’ « aucune règle n'interdit à une SCI de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite de ses associés » mais que « si les statuts de la SCI n'indiquent pas dans l'objet social la faculté d'une mise à disposition gratuite au profit des associés, celle-ci doit être autorisée en assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts » et que « le gérant seul ne peut décider de cette occupation gratuite ». Parce que l’objet social ne précisait pas que les biens de la SCI pouvaient être mis gratuitement à la disposition des associés, la cour d’appel avait jugé qu’était requise une décision de ces derniers, prise aux conditions de majorité requise par les statuts pour modifier l'objet social.
14. Devant la Cour de cassation, le gérant et associé minoritaire, qui, en sa qualité de mandataire social, s’était consenti à lui-même un prêt à usage – sans contrepartie donc – plaidait que la cour d’appel aurait dû rechercher si la société ne pouvait conclure un tel contrat alors même que cela n’était pas mentionné expressément dans ses statuts, mais son pourvoi, fondé sur un défaut de base légale au regard des articles 1848, 1849 N° Lexbase : L2046ABE et 1852 N° Lexbase : L2049ABI du Code civil, est rejeté. La réponse de la Cour n’est fondée, ainsi qu’on l’a dit, que sur la répartition des pouvoirs entre gérant et associés au regard de la conformité de l’opération à l’objet social statutaire. La cour d’appel se voit approuvée d’avoir jugé que « lorsque les statuts d'une SCI n'indiquent pas dans l'objet social la faculté de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite des associés, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul et doit être autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts ». Parce que l’objet social statutaire de la SCI en cause ne précisait pas expressément que les biens sociaux pourraient être mis gratuitement à la disposition des associés, la cour d'appel est approuvée (il est jugé qu’elle « a légalement justifié sa décision ») d’avoir statué comme elle l’a fait.
15. La lecture de l’arrêt invite à deux conclusions. La première est que la mise à disposition gratuite de l’immeuble social au bénéfice d’un associé est en principe possible, abstraction faite des problématiques de conformité à l’intérêt social et de respect de l’égalité entre associés. Le second enseignement est que cette opération, bien qu’admissible, est néanmoins suffisamment sensible pour devoir être prévue expressément par les statuts, en leur clause relative à l’objet social, ou bien être autorisée par les associés dans les conditions requises pour la modification des statuts.
16. L’utilisation de l’objet social statutaire faite par l’arrêt appelle une tentative d’explication. L’article 1849 du Code civil dispose certes que « le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social », mais il indique clairement que cette règle vaut « dans les rapports avec les tiers ». Or, ici, il n’était aucunement question des rapports avec les tiers, en dépit du fait que le pourvoi en cassation invoquait un défaut de base légale notamment au regard de l’article 1849. Mais si l’on se tourne vers l’article 1848 du Code civil, qui édicte les règles applicables « dans les rapports entre associés », on pourrait trouver un chemin nous rapprochant de l’objet social statutaire. Dans la sphère interne des rapports entre associés d’une société civile, il est prévu que « le gérant peut accomplir tous les actes de gestion que demande l'intérêt de la société », mais ce n’est qu'une règle supplétive, car le dernier alinéa de l’article 1848 précise que ceci vaut « à défaut de dispositions des statuts sur le mode d'administration ». Tant l’article 1848 que l’article 1849 doivent en outre être lus en conjonction avec l’article 1852, qui dispose quant à lui que « les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés ». On peut donc suggérer l’explication suivante : si les statuts incluent dans l’objet social la mise à disposition gratuite du bien au bénéfice d’un ou plusieurs associés, alors le gérant doit pouvoir accomplir l’acte car l’on est en présence de l’organisation statutaire particulière visée par le dernier alinéa de l’article 1848 du Code civil. Si ce n’est pas le cas, l’acte dépasse alors les pouvoirs du gérant, mais cette organisation particulière peut être « rattrapée » par une décision des associés prise aux conditions de modification des statuts.
17. Sur ce dernier point, il est intéressant de disposer d’une décision supplémentaire venant conforter la thèse selon laquelle il est possible aux associés de prendre, à la majorité requise pour la modification des statuts, un acte qui déroge ponctuellement auxdits statuts [20].
18. On terminera ce commentaire en s’interrogeant sur les termes et sur la localisation de l’habilitation donnée au gérant à mettre un bien social gratuitement à la disposition des associés. S’agissant de la localisation, la Cour de cassation semble ici attacher de l’importance, en approuvant l’arrêt d’appel, au fait que l’habilitation ait été donnée « dans l’objet social ». Certes, si l’on considère que l’article 1848 explique la référence à l’objet social, on pourrait admettre que l’habilitation soit donnée dans la clause relative au pouvoir du gérant. Mais il nous semble préférable, au vu de la référence opérée formellement à l’objet social, de déférer à cette exigence. Quant à la rédaction retenue, il vaut certainement mieux être explicite et mentionner la mise à disposition à titre gratuit au profit des associés, si c’est ce qui est souhaité, puisque l’arrêt apparaît attacher aussi de l’importance à cela. La référence opérée par la clause proposée par un auteur et évoquée précédemment [21] au fait de « consentir toute mise à disposition à titre gratuit » gagnerait donc à être complétée, pour une plus grande sécurité.
[1] Le chiffre exact donné par l’Observatoire statistique du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce est de 1 701 727 SCI au 5 mai 2024.
[2] Rappelons que l’organisation légale de la société civile prévue par le Code civil n’emploie pas l’expression d’ « assemblée générale extraordinaire », empruntée au droit de la SA.
[3] CA Nîmes, 25 août 2022, n° 19/02893 N° Lexbase : A54068GC.
[4] Mémento Sociétés civiles, EFL, 2023, n° 29000.
[5] M. Cozian, Du bon usage des sociétés civiles immobilières, D., 1994, chr., p. 199, sp. n° 5.
[6] E. Naudin, note sous Cass. civ. 3, 11 février 2014, n° 13-11.197, F-D N° Lexbase : A3727MER, Rev. Sociétés, 2014, p. 449, sp. n° 1.
[7] V. ainsi J.-B. Barbièri, L’organisation de la jouissance de l’immeuble de la SCI, Droit & Patrimoine, mars 2024, n° 344, p. 38.
[8] Mémento Sociétés civiles, op. cit., n° 6020.
[9] A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, LGDJ, 14ème éd., 2021, n° 420.
[10] Cass. crim., 13 mars 2024, n° 22-83.689, FS-B N° Lexbase : A05102UG.
[11] V. J.-B. Barbièri, op. cit., sp. p. 39 et les décisions citées.
[12] C. civ., art. 1889 N° Lexbase : L2106ABM.
[13] Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-11.833, FS-P+B N° Lexbase : A0289DWM, RJDA, 2008, n° 53 ; D., 2007, AJ, p. 1345, obs. A. Lienhard ; D., 2008, pan., p. 381, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 1022, note B. Saintourens ; Rev. sociétés, 2007, p. 839, note C. Malecki.
[14] Cass. civ. 3, 11 février 2014, n° 13-11.197, F-D N° Lexbase : A3727MER, Rev. sociétés, 2014, p. 449, note E. Naudin.
[15] Cass. civ. 3, 26 novembre 2015, n° 14-12.678, F-D N° Lexbase : A0690NY9.
[16] Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-12.475, F-D N° Lexbase : A1637RCM, AJDI, 2016, p. 537, obs. S. Porcheron ; JCP N, 2016, 1226, note M. Storck.
[17] V. ainsi M. Régereau, SCI : la mise à disposition du bien au profit d’un associé, AJDI, 2020, p. 23.
[18] Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-11.833 – Cass. civ. 3, 11 février 2014, n° 13-11.197, préc.
[19] CA Nîmes, 25 août 2022, n° 19/02893, préc.
[20] Sur ce point, v. B. Dondero, La décision dérogatoire aux statuts, une souplesse admise ?, Bull. Joly Sociétés, septembre 2023, p. 1.
[21] M. Régereau, op. cit.
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Réf. : Cass. civ. 2, 2 mai 2024, n° 21-22.541, FS-B N° Lexbase : A884729K
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N9295BZB
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 15 Mai 2024
► Il résulte de la combinaison des articles R. 3252-1, R. 3252-12, R. 3252-13 et R. 3252-15 du Code du travail que, le débiteur devant être informé, avant l'audience de conciliation, de l'objet de la demande et de l'état des sommes réclamées, le créancier ne peut substituer un autre titre exécutoire à celui qu'il a joint à sa requête.
Faits et procédure. Dans cette affaire, un jugement rendu le 26 janvier 2015, rectifié le 29 janvier 2015, a condamné une défenderesse à payer au demandeur une certaine somme correspondant au solde du prix d’un compromis de vente et à une autre somme au titre de son préjudice lié à la perte de chance. En octobre 2015, le créancier a sollicité, par requête, la saisie des rémunérations de la débitrice sur le fondement du jugement rectifié et d’une ordonnance du 12 août 2015 rendue par le premier président d’une cour d’appel refusant de suspendre l’exécution provisoire. En avril 2016, par procès-verbal de non-conciliation, un juge d’un tribunal d’instance a constaté que la défenderesse soulevait une contestation portant sur la créance sollicitée. Par un arrêt rendu le 23 mai 2017, le jugement rectifié a été reformé, et statuant à nouveau, la réitération devant notaire de la vente dans les conditions du compromis a été ordonnée en fixant notamment des conditions de consignation. Par ailleurs, la débitrice a été condamnée au titre de dommages et intérêts en indemnisation d’un préjudicie de jouissance à verser au créancier une certaine somme. Par jugement du 28 février 2019, un tribunal d’instance a statué sur la demande tendant à la saisie des rémunérations, et fixé la créance pour un certain montant. La défenderesse a interjeté appel à l’encontre de cette décision. La cour d’appel l’a déboutée de ses demandes.
Pourvoi. Le demandeur fait grief à l'arrêt (CA Aix-en-Provence, 1er avril 2021, n° 19/07973 N° Lexbase : A11024N7) d'avoir autorisé la saisie de ses rémunérations à hauteur d’une certaine somme.
L’intéressée fait valoir que la cour d’appel a violé les articles R. 3252-12 N° Lexbase : L9204LT3, R. 3252-13 N° Lexbase : L9204LT3 du Code du travail et 542 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7230LEI. Elle soutient que le créancier ne peut substituer un titre exécutoire à celui qu'il a joint à sa requête en saisie des rémunérations.
En l’espèce, l’arrêt retient pour autoriser la saisie des rémunérations de la défenderesse que si, en principe, le créancier ne peut substituer un titre exécutoire à un autre dans le cadre d'une saisie des rémunérations. L’arrêt énoncé, il doit être admis qu’en l'espèce et du fait, compte tenu de l'exécution provisoire assortissant le jugement du 26 janvier 2015, et, de l'évolution du litige, que le fait pour le créancier de modifier son décompte, pour tenir compte de l'arrêt intervenu en mai 2017, constitue une actualisation de sa créance, recevable et au demeurant dans l'intérêt de la débitrice, sans qu’il soit nécessaire de déposer une nouvelle requête.
Solution. Énonçant la solution susvisée au visa des articles R. 3252-1 N° Lexbase : L8965H9W, R. 3252-12, R. 3252-13 et R. 3252-15 du Code du travail, la Cour de cassation, censure le raisonnement de la cour d’appel. Elle casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
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