Réf. : Cass. civ. 3, 4 avril 2024, n° 22-21.132, FS-B N° Lexbase : A63292ZG
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N9074BZ4
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 18 Avril 2024
► En application du principe de réparation intégrale, la victime doit être indemnisée sans perte ni profit ; en matière extracontractuelle, le juge du fond ne peut apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage.
La solution est maintenant depuis longtemps établie : la demande en démolition d’un ouvrage s’apprécie par application du principe de proportionnalité au regard du dommage. Autrement dit, une demande tendant à la démolition et à la reconstruction d’ouvrages qui se heurterait au principe de proportionnalité des réparations au regard de l’absence de conséquence dommageable des non-conformités constatées devra être rejetée (pour exemple, Cass. civ. 3, 17 novembre 2021, n° 20-17.218, FS-B N° Lexbase : A94677BA). Cette solution s’applique à toutes les demandes en démolition, peu importe le fondement juridique.
Mais son application nécessite de se prévaloir des bons fondements, en fonction de la situation contractuelle ou extracontractuelle. En matière contractuelle, la référence à la jurisprudence antérieure ainsi qu’à l’article 1221 du Code civil N° Lexbase : L1985LKQ conduit à mesurer la sanction au regard de l’atteinte. En droit de la construction, cela paraît essentiel tant les coûts de la démolition reconstruction peuvent être importants. La solution semble un peu plus nuancée en matière extra-contractuelle.
L’arrêt rapporté en est une illustration à propos du non-respect des prescriptions du permis de construire.
En l’espèce, une voisine assigne son voisin, après expertise judiciaire, aux fins d’obtenir la mise en conformité de sa maison avec les règles de hauteur prévues dans le plan local d’urbanisme (PLU) ainsi que de ses plantations avec les règles de distance.
Dans un arrêt rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 3, 5 novembre 2020, n° 19-10.101, F-D N° Lexbase : A928533B), la cour d’appel de Saint-Denis condamne le voisin à réduire la hauteur de son faîtage et de l’égout à partir du sol naturel, outre au paiement de dommages et intérêts.
Il forme un pourvoi en cassation en exposant, notamment, que les sanctions seraient disproportionnées. La réduction de la hauteur du faîtage de soixante-dix centimètres implique des travaux d’un montant très important.
Le pourvoi est cependant rejeté. La Haute juridiction rappelle que la démolition doit être proportionnée au préjudice subi. L’appréciation de ce critère de proportionnalité relève, toutefois, de la libre appréciation des juges du fond. Les conseillers ont, au cas présent, justement énoncé que la demande de démolition ne pouvait prospérer qu’à condition d’établir que la construction édifiée en violation des prescriptions du permis de construire avait causé un préjudice direct au voisin. La solution a donc été motivée et le contrôle de la Cour de cassation se limite à un contrôle de motivation.
La solution reste très sévère, surtout lorsque le voisin est prescrit à se retourner contre les constructeurs d’époque. Il se heurte ainsi à supporter seul le coût de travaux importants sans recours. Il y a beaucoup de précédents en ce sens (pour exemple, Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-21.078, F-D N° Lexbase : A89454LU).
Il reste, en effet, à rappeler que cette non-conformité peut caractériser un vice de nature décennale sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ.
Pour exemple, lorsque l’erreur d’implantation altimétrique entraîne un risque d’inondation (Cass. civ. 3, 8 avril 1998, n° 96-12.119, inédit au bulletin N° Lexbase : A6788CP4). Tel n’est, toutefois, pas le cas lorsque la non-conformité n’est pas de gravité décennale (pour exemple, à propos d’un plancher dix centimètres moins haut que le niveau de la voirie, Cass. civ. 3, 6 mai 2009, n° 08-14.505, FS-P+B N° Lexbase : A7581EGU).
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Réf. : Cass. soc., 3 avril 2024, n° 22-16.937, F-B N° Lexbase : A34982ZL
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N9024BZA
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par Lisa Poinsot
Le 18 Avril 2024
► Un engagement unilatéral à durée déterminée cesse de produire effet au terme fixé sans que l’employeur soit tenu de procéder à l’information des salariés concernés et des représentants du personnel.
Faits et procédure. Un syndicat saisit le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir principalement qu’il soit fait interdiction à la société de mettre en œuvre son projet d’évolution de l’organisation d’un de ses sites, s’estimant insuffisamment informés sur le sujet.
La cour d’appel (CA Versailles, 31 mars 2022, n° 21/04483 N° Lexbase : A75557RA) constate l’application reconduite d’un bulletin ressources humaines intitulé « méthode de conduite du changement : alerte sociale » qui prévoit que « pour tous les projets impactant l’organisation et le fonctionnement des services, […] Un délai de deux années entières doit impérativement s’écouler entre deux projets consécutifs ».
Elle retient que cet engagement est général, constant et fixe, puisqu’il est appliqué de façon ininterrompue a minima depuis plusieurs années. Il peut donc être qualifié d’usage, auquel il ne peut être mis fin qu’après information des représentants du personnel, information des salariés concernés de manière individuelle et après un délai de prévenance.
Puisqu’aucune de ces formalités n’a été respectée par la société, cette dernière reste tenue de son engagement unilatéral de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations.
La décision de la cour d’appel qui ordonne la suspension de la mise en œuvre du projet de réorganisation d’un des sites de la société fait l’objet d’un pourvoi par cette dernière.
Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement des articles 1103 N° Lexbase : L0822KZH et 1104 N° Lexbase : L0821KZG du Code civil.
La Cour de cassation s’est penchée sur l’une des conditions pour mettre fin à un engagement unilatéral.
Pour rappel, pour mettre fin à un engagement unilatéral, l’employeur doit :
Sur cette dernière condition, un délai de cinq semaines a été jugé trop court s’agissant d’une prime accordée aux salariés (Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-20.763, F-D N° Lexbase : A2896Z7E). L’employeur peut également fixer un terme mettant ainsi fin à l’engagement unilatéralement pris.
Dans l’arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation a apporté une précision quant à l'obligation d’information du CSE et des salariés concernés.
La Haute juridiction relève, en l’espèce, que l’obligation de respecter un délai de deux années entre deux projets concernant l’organisation et le fonctionnement des services est prévue par le bulletin ressources humaines, successivement reconduit puis ayant pris fin à son terme préalablement déterminé, de sorte que la société peut mettre en œuvre par la suite un projet de réorganisation.
Ainsi, un engagement unilatéral à durée déterminée ne se transforme pas en usage.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La modification du contrat de travail, La dénonciation d’un usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur et l’absence de modification du contrat de travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E8951ESC. |
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Réf. : Douanes, actualité, 8 avril 2024
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N9041BZU
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par Marie-Claire Sgarra
Le 18 Avril 2024
► De nouvelles règles en matière d’achats transfrontaliers de tabacs sont désormais applicables.
Afin d’apprécier si les tabacs achetés par un particulier dans un autre État membre de l’Union européenne sont destinés à ses besoins propres de consommation ou bien à des fins commerciales, le décret n° 2024-276, du 27 mars 2024, fixant les éléments caractérisant le déplacement de produits soumis à accise par un particulier pour ses besoins propres N° Lexbase : L9536MLR autorise la douane à prendre en compte les critères suivants :
Si, à l’appui de ces critères, la douane démontre que le tabac a été acheté dans un autre État membre de l’Union européenne à des fins commerciales, le paiement de l’accise et de la TVA sera immédiatement exigé. Dans ce cas, le contrôle pourra donner lieu à l’application d’une amende et à la saisie du tabac.
Le critère relatif à la quantité de tabacs transportés peut être retenu par la douane pour démontrer le caractère commercial du transport au-delà des seuils suivants :
Ces quantités ne sont pas cumulables et s'entendent par personne âgée de plus de 18 ans. Elles sont appréciées par passager au sein d'un même véhicule.
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Réf. : Trib. UE, 17 avril 2024, aff. T-255/23 N° Lexbase : A114127E
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N9070BZX
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par Vincent Téchené
Le 24 Avril 2024
► Le nom Pablo Escobar ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne. En effet, même si ce dernier n’a jamais été condamné par un tribunal colombien, américain ou européen, mais avait accepté d’être volontairement reclus, dans le cadre d’un accord passé avec le gouvernement colombien de l’époque, il n’était pas moins perçu comme un symbole offensant d’une criminalité organisée à l’origine de nombreuses souffrances.
Faits et procédure. Le 30 septembre 2021, la société Escobar Inc., établie au Puerto Rico (États-Unis), a demandé à l’EUIPO l’enregistrement du signe verbal « Pablo Escobar » en tant que marque de l’Union européenne pour un vaste éventail de produits et services.
Le ressortissant colombien dénommé Pablo Escobar, né le 1er décembre 1949 et décédé le 2 décembre 1993, est présumé être un baron de la drogue et un narcoterroriste ayant fondé le cartel de Medellín (Colombie), dont il était l’unique chef.
L’EUIPO a refusé l’enregistrement, au motif que la marque était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il s’est basé sur la perception du public espagnol, car celui-ci connaît le mieux Pablo Escobar en raison des liens entre l’Espagne et la Colombie. La société Escobar attaque ce refus devant le Tribunal de l’Union européenne.
Décision. Le Tribunal confirme le refus d’enregistrement de la marque « Pablo Escobar ». Selon le Tribunal, l’EUIPO pouvait se fonder, dans son appréciation, sur la perception des Espagnols raisonnables, ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance et partageant les valeurs indivisibles et universelles sur lesquelles est fondée l’Union (la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité, ainsi que les principes de démocratie et d’État de droit et le droit à la vie et à l’intégrité physique). L’EUIPO a estimé correctement que ces personnes associeraient le nom de Pablo Escobar au trafic de drogue et au narcoterrorisme ainsi qu’aux crimes et aux souffrances qui en découlaient, plutôt qu’à ses bonnes actions éventuelles en faveur des pauvres en Colombie.
La marque serait donc perçue comme contraire aux valeurs et aux normes morales fondamentales prévalant au sein de la société espagnole. Le Tribunal ajoute que le droit fondamental de Pablo Escobar à la présomption d’innocence n’a pas été violé, car même s’il n’a jamais été pénalement condamné, il est publiquement perçu, en Espagne, comme un symbole d’une criminalité organisée, responsable de nombreux crimes.
C’est donc sans remettre en cause le droit fondamental de Pablo Escobar à la présomption d’innocence que la Chambre de recours a pu constater, dans la décision attaquée, que les conditions d’application de l’article 7 § 1, sous f), du Règlement sur la marque de l’UE (Règlement (UE) n° 2017/1001, du 14 juin 2017, N° Lexbase : L0640LGS) étaient, en l’espèce, réunies.
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newsid:489070
Réf. : CAA Toulouse, 3e ch., 2 avril 2024, n° 22TL21470 N° Lexbase : A36132ZT
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N9016BZX
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par Yann Le Foll
Le 18 Avril 2024
► Est retenue la responsabilité sans faute de l’État à l’occasion de la fermeture d’un hypermarché pour empêcher l’intrusion de manifestants.
Rappel. Aux termes de l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L9763LPB : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ». L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.
Faits. À l'occasion d'une manifestation qui s'est tenue contre la réforme du baccalauréat et de l'enseignement supérieur, un groupe composé de trois cents lycéens a rejoint, le 4 décembre 2018 au matin, des « gilets jaunes » qui participaient au blocage du carrefour giratoire menant à la zone où se situe le centre commercial exploité par la société Gaillac distribution. Puis, un groupe de soixante-dix lycéens, accompagnés de quelques « gilets jaunes » a quitté ce rond-point pour prendre la direction de ce centre commercial. Ce groupe doit être regardé comme ayant constitué un rassemblement au sens de l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.
Position CAA. Il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux de gendarmerie, qu'alors que la tentative d'intrusion dans l'hypermarché, qui a contraint son directeur à en fermer les portes, s'est produite à 10 heures 20 minutes, les forces de l'ordre n'ont été présentes sur le site qu'à 14 heures pour sécuriser la sortie des clients par la porte n° 3. Par suite, le préjudice dont se prévalent les appelantes procède de faits commis à force ouverte au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.
Décision. La responsabilité sans faute de l'État sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure doit être regardée comme engagée à raison des préjudices qui ont résulté pour les sociétés Gaillac Distribution et Allianz IARD des agissements de lycéens et de « gilets jaunes » le 4 décembre 2018 (v. dans le même sens, TA Toulouse, 21 avril 2022, n° 1904438 N° Lexbase : A60037UU et n° 1904448 N° Lexbase : A60047UW).
À ce sujet. Lire S. Banel et C. Delesalle, Condamnation de l’État du fait des dégradations commises par des attroupements et rassemblements : l’application du régime de responsabilité sans faute dans le cadre des manifestations des « Gilets jaunes » à Toulouse, Lexbase Public, juin 2022, n° 909 N° Lexbase : N1736BZC. |
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