Jurisprudence : CE 4/5 SSR, 08-04-2013, n° 341697, mentionné aux tables du recueil Lebon



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 341697

M. A... B...

M. Régis Fraisse, rapporteur

Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public

Lecture du 8 avril 2013

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies


Vu l'ordonnance n° 10MA01843 du 30 juin 2010, enregistrée le 19 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par M. A... B... ;

Vu le pourvoi, enregistré le 12 mai 2010 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, et le mémoire complémentaire, enregistré le 11 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B..., demeurant ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n°s 0802684, 0802687, 0804545 du 12 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation des arrêtés des 10 janvier, 8 février et 12 mars 2008 du recteur de l'académie de Nice le plaçant, puis le maintenant en congé d'office à titre conservatoire ainsi que des décisions implicites rejetant ses recours gracieux contre les deux premiers de ces arrêtés, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de procéder à la reconstitution de sa carrière sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, enfin, à titre subsidiaire, à la désignation d'un expert médical afin de dire si son état de santé était de nature à justifier son placement en congé d'office ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Régis Fraisse, Conseiller d'Etat,

- les observations de Me Balat, avocat de M.B...,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de M. B... ;

1. Considérant qu'il ressort des énonciations du jugement attaqué que M. B..., attaché d'administration de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, exerçait les fonctions d'intendant au collège La Sine à Vence (Alpes-Maritimes) ; qu'à la suite d'un rapport du chef d'établissement faisant état de difficultés dans l'exercice de ses fonctions, le recteur de l'académie de Nice a engagé à son endroit une procédure de placement en congé de longue maladie ; qu'à cet effet, il a saisi le comité médical départemental et chargé le médecin de prévention du rectorat d'examiner M. B... ; qu'au vu de l'avis émis par ce médecin le 9 janvier 2008, selon lequel l'état de santé de l'intéressé justifiait " sa mise en congé d'office pour une durée d'un mois, par mesure conservatoire, dans l'attente [de l'avis] du comité médical départemental sur l'octroi éventuel d'un congé de longue maladie d'office ", le recteur a, par arrêté du 10 janvier 2008, placé M. B...en congé d'office pour un mois du 14 janvier au 13 février 2008 ; que, par arrêtés des 8 février et 12 mars 2008, il a prolongé d'office ce congé du 14 février au 13 avril 2008 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que l'avis du comité médical départemental du 8 avril 2008 statuant sur la demande de placement en congé de longue maladie de M. B..., qui était " défavorable à l'attribution d'un congé de longue durée d'office " et ajoutait que la situation de M. B... était " à résoudre par voie administrative ", a été produit au dossier par le recteur de l'académie de Nice, le 29 janvier 2010, à la suite d'un supplément d'instruction ordonné par le magistrat rapporteur ; qu'en fondant sa décision sur cet élément nouveau, fût-ce pour l'écarter, sans le communiquer à la partie adverse, comme il aurait dû, en principe, l'être, le tribunal administratif a méconnu le caractère contradictoire de la procédure ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les demandes présentées devant le tribunal administratif :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 24 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " (...) en cas de maladie dûment constatée et mettant le fonctionnaire dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, celui-ci est de droit mis en congé de maladie " ; que l'article 34 du même décret dispose : " Lorsqu'un chef de service estime, au vu d'une attestation médicale ou sur le rapport des supérieurs hiérarchiques, que l'état de santé d'un fonctionnaire pourrait justifier qu'il lui soit fait application des dispositions de l'article 34 (3° ou 4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, il peut provoquer l'examen médical de l'intéressé dans les conditions prévues aux alinéas 3 et suivants de l'article 35 ci- dessous (...) " ;

5. Considérant que ces dispositions ne subordonnent pas la mise en congé de maladie à une demande du fonctionnaire et ne sauraient donc par elles-mêmes faire obstacle à ce qu'un fonctionnaire soit placé d'office dans la position dont s'agit dès lors que sa maladie a été dûment constatée et qu'elle le met dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions ; qu'ainsi, lorsque l'administration a engagé une procédure de mise en congé de longue maladie conformément à l'article 34 du décret du 14 mars 1986, elle peut, à titre conservatoire et dans l'attente de l'avis du comité médical sur la mise en congé de longue maladie, placer l'agent concerné en congé d'office lorsque la maladie de l'agent a été dûment constatée et le met dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions ;

En ce qui concerne le placement en congé d'office à titre conservatoire pour une durée d'un mois :

6. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté attaqué du 10 janvier 2008, plaçant M. B... en congé d'office à titre conservatoire, ne figure pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il est dépourvu de motivation doit être écarté ;

7. Considérant, en second lieu, que, par l'avis du 9 janvier 2008, le médecin de prévention du rectorat a estimé que l'état de santé de M. B... justifiait sa mise en congé pour une durée maximale d'un mois ; qu'il s'ensuit que le recteur de l'académie de Nice n'a, en plaçant M. B... en congé d'office pour cette durée, ni méconnu les dispositions l'article 34 du décret du 14 mars 1986, ni commis d'erreur de fait, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne le maintien en congé d'office à titre conservatoire pour une durée de deux mois :

8. Considérant qu'en maintenant M. B... en congé d'office du 14 février au 13 mars 2008 puis du 14 mars au 13 avril 2008, sans nouvel avis médical, le recteur de l'académie de Nice a, en revanche, méconnu les dispositions du décret du 14 mars 1986 ; que, par suite, M. B... est fondé à demander, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de ses demandes, l'annulation des arrêtés des 8 février et 12 mars 2008 ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux du 3 avril 2008 ;

En ce qui concerne les conclusions à fins d'injonction :

9. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. B..., qui a conservé un plein traitement au cours des deux mois durant lesquels il a été maintenu en congé d'office, ait subi un préjudice de carrière imputable à l'illégalité entachant les décisions litigieuses ; que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de " reconstituer sa carrière " ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre des frais non compris dans les dépens que celui-ci a exposés devant le tribunal administratif de Nice et le Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 mars 2010 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du recteur de l'académie de Nice des 8 février et 12 mars 2008 maintenant M. B... en congé d'office, à titre conservatoire, du 14 février au 13 mars 2008 puis du 14 mars au 13 avril 2008 et la décision implicite par laquelle le recteur d'académie a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressé contre la décision du 8 février 2008 sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Nice est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'éducation nationale.

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