Jurisprudence : CE 2/7 SSR., 30-04-2004, n° 252135





CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

252135

PREFET DE POLICE
c/ M. Aich

Mme Artaud-Macari, Rapporteur
Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement

Séance du 31 mars 2004

Lecture du 30 avril 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux


Vu la requête, enregistrée le 29 novembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 10 octobre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 mars 2002 décidant la reconduite à la frontière de M. Hassan Aich ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. Aich devant le tribunal administratif de Paris ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Artaud-Macari, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention en défense de l'association "Collectif des accidentés du travail, retraités et handicapés pour l'égalité des droits" (C.A.T.R.E.D.) :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : "L'intervention est formée par mémoire distinct" ; que l'intervention de l'association "Collectif des accidentés du travail, retraités et handicapés pour l'égalité des droits" (C.A.T.R.E.D.) n'a pas été présentée par mémoire distinct du mémoire en défense de M. Aich ; que, dès lors, elle n'est pas recevable ;

Sur les conclusions de la requête du PREFET DE POLICE :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants (.) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai d'un mois à compter de la date de la notification du refus ou du retrait" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Aich, de nationalité marocaine, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 18 janvier 2002, de la décision du 15 janvier 2002 par laquelle le PREFET DE POLICE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a invité à quitter le territoire français ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application des dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Aich, entré régulièrement en France le 18 avril 2001, vit depuis cette date chez son frère ; que l'intéressé, atteint d'une grave insuffisance rénale chronique, est inscrit sur la liste des receveurs de greffe d'organes en vue d'une transplantation de rein au centre hospitalier universitaire de Tenon à Paris ; que, si le PREFET DE POLICE soutient qu'il pourrait bénéficier d'un traitement par dialyse au Maroc, il ne pourrait pas en tout état de cause y bénéficier d'une opération de transplantation rénale ; qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des expertises médicales qu'il en résulterait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; qu'ainsi, eu égard à l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, l'arrêté du 5 mars 2002 décidant la reconduite à la frontière de M. Aich est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences dudit arrêté sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. Aich :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (.) prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (.) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé" ; que le III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : "Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, (.) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas" ;

Considérant qu'à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative pour fixer le délai dans lequel la situation de l'intéressé doit être réexaminée, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prescrire au PREFET DE POLICE de se prononcer sur la situation de M. Aich dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 450 euros au titre des frais exposés par M. Aich et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention du "Collectif des accidentés du travail, retraités et handicapés pour l'égalité des droits" (C.A.T.R.E.D.) n'est pas admise.

Article 2 : La requête du PREFET DE POLICE est rejetée.

Article 3 : Le PREFET DE POLICE examinera à nouveau la demande de titre de séjour de M. Aich dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 450 euros à M. Aich en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. Aich est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à M. Hassan Aich, à l'association "Collectif des accidentés du travail, retraités et handicapés pour l'égalité des droits" (C.A.T.R.E.D.) et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Délibéré dans la séance du 31 mars 2004 où siégeaient : M. Robineau, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Delarue, M. Honorat, Présidents de sous-section ; M. Balmary, M. Pochard, M. Peylet, Mme Imbert-Quaretta, Conseillers d'Etat ; Mme Artaud-Macari, Conseiller d'Etat-rapporteur et Mme Ducarouge, Conseiller d'Etat.

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