La lettre juridique n°951 du 29 juin 2023 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Dutreil et holding animatrice : remise en cause du dispositif confirmée par la Cour de cassation en cas d’animation insuffisamment préparée avant une donation

Réf. : Cass. com., 11 mai 2023, n° 21-16.924, F-D N° Lexbase : A34069UP

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N6033BZH

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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA

le 27 Juin 2023

Mots-clés : patrimoine • donation • pacte Dutreil • holding animatrice

La Cour de cassation rappelle que l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit prévue par l'article 787 B du CGI dans le cadre d'une donation-partage de titres d'une société holding animatrice de son groupe, nécessite que la preuve de l’animation effective soit rapportée au jour de la donation.


 

I. L’exposé du litige et de la procédure

En l'espèce, une société holding dénommée Natyce, est immatriculée le 10 juin 2011. Une donation-partage est consentie par une associée à son petit-fils, mineur au moment de la donation, aux termes d’un acte en date du 27 juin 2011. La donation a porté sur 498 actions pour une valeur globale de 480 000 euros. Le dispositif prévu à l’article 787 B du CGI N° Lexbase : L8080MHQ est revendiqué sur les titres donnés.

La constitution de cette société holding Natyce était intervenue dans un contexte de réorganisation des activités hôtelières de la société Cybe dont la donatrice était également associée. La société Natyce avait acquis, le 15 juin 2011, une participation majoritaire d’une filiale hôtelière de la société Cybe en vue de son animation. Une convention dénommée « convention d'animation stratégique, de management de gestion et d'animation commerciale » est alors signée le même jour.

Le 26 mars 2014, l’administration fiscale a remis en cause l’application du dispositif Dutreil, au motif que la société holding Natyce n'avait pas la qualité d'animatrice de son groupe, en notifiant à la représentante légale de l’enfant mineur, une proposition de rectification des droits de mutation dus. L’administration fiscale est assignée devant le TGI de Clermont-Ferrand en décharge des rappels d'imposition réclamés, après le rejet d’une réclamation contentieuse. Débouté en première instance, le donataire interjette appel du jugement rendu le 30 avril 2019.

Les juges de la cour d’appel de Riom relèvent que selon l’extrait k bis de la société Natyce, la date de son début d'exploitation a été fixée au 1er juin 2011. Ils relèvent en outre qu’aucun acte n'a été accompli au nom ou par la société Natyce avant la date de conclusion de la convention, mais par la société Cybe. D’ailleurs, les juges soulignent que cette convention « ne fait mention d'aucune situation préexistante qu'elle aurait vocation à régulariser » et que la société Natyce « ne produit aucune comptabilité ni aucun acte matériel qui aurait révélé l'existence de services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers ou immobiliers qu'elle aurait accomplis au nom de la société en formation », ou « […] justifiant une volonté d'organiser l'animation du groupe ».

La cour conclue que « la concomitance de la transmission et de la constitution de la SAS NATYCE holding animatrice ne permet pas de rapporter la preuve que la société holding exerçait une activité éligible antérieurement à la réalisation de la donation, fait générateur de l'imposition. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le bénéfice de l'avantage fiscal et que le tribunal a rejeté la demande […] »

Le donataire, devenu majeur, a alors formé un pourvoi contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2021 par la juridiction d'appel (CA Riom, 26 janvier 2021, n° 19/01183, Confirmation N° Lexbase : A60844DP).

Devant la chambre commerciale de la Cour de cassation, il est fait état de courriers, courriels, mémos internes, devis, contrats, à l’appui de la démonstration selon laquelle la société Natyce avait initié l’animation de ses deux futures filiales hôtelières dès 2010 en réalité « en donnant des directives […], en supervisant les opérations de modernisation des locaux de ces hôtels, en définissant la stratégie commerciale, en contactant des prestataires et fournisseurs et en assurant le suivi des comptes […] », de sorte que cette société était effectivement animatrice au jour de la donation et qu’il ne résulte nullement des dispositions du texte légal, une condition qui tient au respect d’une certaine durée pour caractériser l’animation avant la donation.

La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

II. La motivation de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle en premier lieu la définition d’une société holding animatrice : « Est assimilée à une telle société la société holding qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, cette activité d'animation de son groupe par la société holding s'appréciant au jour du fait générateur de l'imposition. »

Cette définition est rappelée régulièrement par la chambre commerciale depuis son arrêt du 14 octobre 2020 (Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-17.955, FS-P+B N° Lexbase : A95613XE).

La Cour rappelle que la condition qui tient à l’activité éligible doit être respectée au jour de la donation ; et que s’agissant des sociétés holding animatrices, « l'animation effective du groupe doit être préparée suffisamment en amont de l'acte pour permettre l'accumulation des actes et des faits sur la période considérée afin de pouvoir démontrer l'effectivité et la réalité du schéma présenté pour revendiquer l'application du régime de faveur au jour de la donation ».

La Cour constate que la société Natyce n'avait aucune filiale avant le 15 juin 2011 et qu’elle n’est donc devenue une société holding qu'à compter de cette date.

Malgré la conclusion d’une convention d’animation, la Cour précise qu’« aucune preuve n'est rapportée au 27 juin 2011, jour de la donation-partage, d'une animation effective de cette société par la société Natyce ».

III. La portée de cet arrêt

La Cour de cassation rappelle une fois de plus que l’animation stratégique ne s’improvise pas à quelques jours d’une donation.

Cette décision intervient dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie. Rappelons à cet égard l’arrêt de cette même chambre du 15 mars 2023 rendu en matière d’ISF pour l’exonération de l’outil professionnel. Au cas d’espèce, l’animation était documentée par une convention d’animation et des rapports de gestion sans précision sur les orientations stratégiques. Les emails produits pour justifier le rôle effectif d’animation étaient lacunaires et ne concernaient pas toute la période d’appréciation de l’animation (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-10.244, F-D [A71229IM]).

Dans une autre affaire, la Cour de cassation souligne qu’une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut pas être qualifiée de société holding animatrice (Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-22.397, FS-P+R N° Lexbase : A01484KP). La portée de l’arrêt du 11 mai 2023 n’est pas très éloignée au sens où avant la prise de participation dans la filiale hôtelière, la société Natyce n’était pas une société holding. Rappelons qu’elle est devenue une société holding le 15 juin 2011, douze jours avant la donation.

D’autres arrêts illustrent la nécessité de caractériser effectivement l’animation au jour de la transmission (notamment : Cass. com., 23 juin 2021 n°19-16.351 F-D N° Lexbase : A40864XM ; Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-31.233, F-D N° Lexbase : A49123K7 ; Cass. com., 24 octobre 2018, nº 17-15.023, F-D N° Lexbase : A5406YI3).

Nous soulignons que les diligences préparatoires ou d’animation réalisées par la société Natyce avant l’acquisition de sa filiale, durant sa période de constitution, ne sont pas prises en compte pour l’appréciation du caractère animateur, y compris pour les engagements repris par la société lors de son immatriculation.

Cet arrêt confirme que l’animation par une société holding de son groupe doit être effective sur une durée significative, laquelle ne peut donc aucunement inclure les périodes durant lesquelles elle n’est pas une société « holding », quand bien même elle serait en mesure de justifier de diligences antérieures d’animation.

L’animation doit être « préparée suffisamment en amont » avant une donation, comme le rappelle la Cour de cassation. Tel n’est donc pas le cas d’une société holding immatriculée quelques jours avant une donation. Il en sera de même pour celle qui devient une société holding animatrice de son groupe à une date proche de la transmission.

IV. La grille de lecture de l’animation s’affine au gré des jurisprudences et des évolutions législatives

Nous retiendrons en synthèse à cet égard, que sur une durée suffisamment longue avant la date de la transmission bénéficiant du dispositif Dutreil et durant toute la période d’engagement collectif et individuel de conservation des titres :

  • La société holding doit exercer le contrôle de ses filiales animées (ou de sa filiale animée),
  • La société holding doit participer à la conduite du groupe, ce qui suppose :
    • Une formalisation de l’animation stratégique (exemples : convention d’animation dûment enregistrée, mention de l’animation dans l’objet social de la société holding, mandat social de la société holding au sein des filiales lorsque cela est possible, procès-verbaux d’assemblées et rapports de gestion précisant les orientations stratégiques, conventions d’assistance intragroupe, etc),
    • Une effectivité de l’animation nécessitant pour la société holding :
      • de disposer du savoir-faire nécessaire pour assister les filiales, du personnel dédié à sa direction stratégique et à la réalisation de prestations de services le cas échéant (phases de conception et d’ajustement du plan de développement stratégique),
      • de pouvoir justifier des modalités d’exécution par ces filiales des orientations stratégiques arrêtées, ce qui suppose de communiquer périodiquement aux filiales le plan de développement stratégique défini pour l’animation du groupe (phases de diffusion du plan de développement stratégique),
      • de contrôler la bonne exécution du plan. Les filiales animées devront fournir régulièrement à la société holding tout document de nature à justifier de la mise en œuvre du plan stratégique (phases de contrôle du plan de développement stratégique).

En conclusion, revendiquer le caractère animateur d’une société holding dépend largement de la capacité à produire une documentation établissant l'exercice effectif de l’animation sur une période suffisante. L’arrêt du 11 mai 2023 nous incite une fois de plus à préparer l’animation en amont, étape indispensable pour revendiquer sereinement le dispositif Dutreil lors d’une transmission à titre gratuit des titres d’une société holding animatrice.

Dans les situations où il semble difficile de caractériser l’animation compte tenu notamment des contraintes qu’elle peut représenter, il pourrait être envisagé alternativement d’appliquer le dispositif Dutreil directement sur les titres des filiales éligibles. Cela supposerait que la société holding établisse des engagements de conservation sur chacune des filiales éligibles pour l’exonération partielle de droits lors de la transmission des titres de la société holding, toutes conditions devant être réunies par ailleurs. Bien évidemment, l’assiette des droits de mutation à titre gratuit bénéficiant de l’exonération serait rapportée à la seule valeur des titres faisant l’objet des engagements. L’économie fiscale en résultant serait donc moins élevée selon cette hypothèse alternative. Lorsque l’animation est caractérisée, l’exonération s’applique même sur la valeur des actifs patrimoniaux de la société holding, pourvu qu’elle exerce de manière prépondérante l’animation et éventuellement d’autres activités éligibles.

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