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par Vincent Vantighem
le 19 Avril 2023
C’est là qu’il a prononcé sa dernière plaidoirie. Une plaidoirie en défense d’un avocat. Comme une façon de résumer toute sa carrière. Toute sa vie. Décédé le 10 avril, Hervé Temime était logiquement dans les esprits, mardi 18 avril, lorsque la onzième chambre du tribunal judiciaire de Paris a rendu son jugement dans l’affaire impliquant Maître Xavier Noguéras et Maître Joseph Cohen-Sabban. Pour l’occasion, c’est d’ailleurs la défense qui a pu brièvement prendre la parole en premier pour lui rendre hommage. « À sa mesure, chacun souffre de son absence, a attaqué Matthieu Chirez. C’est dur, mais c’est beau, car Hervé Temime a, ici même, dans ce que je crois être sa dernière plaidoirie, pris la défense d’un avocat et a plaidé pour défendre notre métier. De cela, je lui dis merci. » Tout comme le tribunal qui a prononcé quelques mots et proposé une minute de silence avant de lui rendre le plus beau des hommages : une relaxe.
Les magistrats ont, en effet, décidé de relaxer Xavier Noguéras et Joseph Cohen-Sabban du chef de complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Dans cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et tendu un peu plus les relations entre les magistrats et les avocats, les deux hommes étaient poursuivis pour avoir transmis à la justice, à leur insu, un faux document en faveur du Britannique Robert Dawes qu’ils défendaient alors aux assises.
L’histoire avait, en effet, débuté lors du procès de ce narcotrafiquant, accusé d’avoir importé 1,3 tonne de cocaïne à bord d’un vol Air France reliant Caracas (Venezuela) à Paris en 2013. Pour une valeur estimée de 50 millions d’euros. Dès le début de son procès, ses avocats Xavier Noguéras et Joseph Cohen-Sabban avaient tenté de dynamiter la procédure en produisant une ordonnance de la justice espagnole présentant comme illégale une écoute téléphonique particulièrement accablante pour leur client. Mais rapidement, la cour d’assises avait dénoncé un faux et avait condamné Robert Dawes à vingt-deux ans de réclusion criminelle.
Des réquisitions très lourdes
L’affaire aurait pu s’arrêter là si le parquet de Paris n’avait pas décidé d’ouvrir une enquête pour déterminer si les deux avocats n’avaient pas tenté « sciemment » d’entourlouper la cour d’assises, en essayant de faire passer des vessies pour des lanternes ou plutôt un faux document pour une ordonnance de la justice espagnole. Voilà comment Xavier Noguéras et Joseph Cohen-Sabban se sont retrouvés jugés pendant deux semaines en janvier, dans une ambiance rendue électrique par la présence quotidienne de nombreux avocats dans le prétoire.
Au final, le tribunal a décidé de ne pas suivre les réquisitions très lourdes du parquet qui avaient été réclamées à l’audience. Les deux robes noires de renom ont été relaxées du chef de complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Ils ont, en revanche, été reconnus coupables de violation du secret professionnel et tous les deux condamnés à une amende de 15 000 euros et à une interdiction d’exercer de trois ans entièrement assortie du sursis.
Qu’importe ce dernier point pour les défenseurs des avocats : le jugement a été accueilli par un immense soulagement dans un prétoire rempli pour l’occasion de tout le ban et l’arrière-ban du barreau parisien. Pour le tribunal, Xavier Noguéras et Joseph Cohen-Sabban ont commis de « graves négligences » et ont manqué à leur « devoir de professionnalisme ». Mais ils n’ont pas tenté de manipuler la cour d’assises en faveur de leur client.
Et c’est tout ce qu’ils retiendront désormais, sauf si le parquet décide de faire appel de leur relaxe. On s’en souvient : cristallisant les rancœurs, le parquet de Paris avait requis une peine de trois ans de prison, dont un an avec sursis à l’encontre de Joseph Cohen-Sabban et de deux ans de prison, dont un avec sursis à l’encontre de Xavier Noguéras. Le tout assorti d’une interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant cinq ans.
Une analyse qu’Hervé Temime avait vivement combattue lors de sa plaidoirie. Avec la force qui le caractérisait et la conviction à laquelle le tribunal semble avoir rendu hommage, à travers cette relaxe.
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