Réf. : Cass. crim., 29 mars 2023, n° 22-83.911, F-B N° Lexbase : A39239LU
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par Adélaïde Léon
le 26 Avril 2023
► Ne peuvent se prévaloir de l’état de nécessité les militants écologistes s’étant emparés de bidons appartenant à des magasins pour les enduire de peinture afin d’alerter sur les dangers du glyphosate, rendant les produits concernés impropres à la vente en raison de la persistance de traces de peinture. De nombreux moyens d’action, politiques, militants, institutionnels existant dans tout État démocratique leur étaient accessibles.
Rappel des faits et de la procédure. Les 27 septembre 2016 et 1er mars 2017, un groupe de militants écologistes a fait irruption dans trois magasins de jardinage.
Ils se sont emparés de bidons de produits vendus par ces magasins pour les disposer sur une bâche et les enduire de peinture afin d’alerter sur les dangers du glyphosate contenu dans ces produits, vendus, selon eux, dans des conditions contraires à la réglementation.
Les intéressés ont fait l’objet d’une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel du chef de destruction, dégradation ou détérioration grave du bien d’autrui, en réunion.
Après une relaxe prononcée par le tribunal, le ministère public a fait appel de ce jugement.
En cause d’appel. La cour d’appel a condamné chacun des prévenus à 300 euros d’amende avec sursis pour dégradations aggravées.
Pour dire établi le délit de destruction, dégradation ou détérioration grave du bien d’autrui les juges ont relevé que les prévenus s’étaient emparés de bâches, de pots et de bombes de peinture dont ils ont badigeonné de produits désherbants rendant ainsi les produits concernés impropres à la vente en raison de la persistance de traces de peinture, même après leur nettoyage.
La juridiction d’appel a par ailleurs rejeté le fait justificatif tiré de l’état de nécessité invoqué par les prévenus. Selon les juges, les prévenus, qui avaient accès à de nombreux moyens d’action, politiques, militants, institutionnels existant dans tout État démocratique, ne démontraient pas en quoi leurs actes constitueraient un acte nécessaire et le seul moyen indispensable à la sauvegarde des personnes.
Les intéressés ont formé des pourvois contre l’arrêt d’appel.
Moyens du pourvoi.
S’agissant de l’état de nécessité. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté l’état de nécessité déclaré par les prévenus sans rechercher si, d’une part, face au danger actuel connu de longue date par les pouvoirs publics, l’inaction persistante de ceux-ci n’était par de nature à justifier les actions poursuivies et si, d’autre part, la preuve de la nécessité des infractions ne se déduisait pas des grandes avancées que ces actions avaient permises en Europe et en France.
Les prévenus affirmaient que « l’état de nécessité doit être interprété en contemplation du devoir qui incombe à toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Or, ils relevaient que la cour d’appel avait elle-même constaté que le caractère nocif de l’exposition aux pesticides, tel que le glyphosate peut être considéré comme un danger actuel ou en tout cas comme un péril imminent pour les personnes et que des articles scientifiques produits et les témoignages recueillis le confirment. Dès lors, en affirmant que les prévenus ne démontraient pas en quoi leurs actions constituaient un acte nécessaire et le seul moyen indispensable à la sauvegarde des personnes alors que, face à un danger actuel qu’elle constatait elle-même pour l’ensemble de la population et face à l’inaction persistante des pouvoirs publics, toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, la cour d’appel avait, selon les prévenus, violé l’article 122-7 du Code pénal N° Lexbase : L2248AM9 (tel qu’interprété à la lumière des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement).
S’agissant de l’infraction. Les pourvois soutenaient que le délit de destruction ou détérioration d’un objet mobilier suppose une altération de la substance de ce bien. Dès lors, ce délit ne peut être constitué que si le produit est rendu impropre à sa destination. Or, tel n’est pas le cas lorsque ledit objet est seulement couvert d’une inscription à la peinture délébile. Les prévenus font à ce titre valoir que la substance des produits n’avait pas été altérée et que l’un des magasins avait nettoyé les bisons utilisés et les avaient remis à la vente.
Décision. La Chambre criminelle rejette les pourvois.
La Haute juridiction affirme que la cour d’appel avait souverainement estimé, en répondant à l’ensemble des chefs péremptoires des conclusions des prévenus, qu’il n’était pas démontré que la commission d’une infraction était le seul moyen d’éviter un péril actuel ou imminent.
La Chambre criminelle estime que la cour d’appel a également justifié sa décision s’agissant de l’infraction retenue puisqu’elle a constaté que les prévenus avaient rendu les produits impropres à la vente en raison de la persistance de traces de peinture même après nettoyage et que les responsables des trois magasins avaient estimé leur préjudice aux sommes de 2 168,14 euros, 2 038,17 euros et 4 268,79 euros. Par son appréciation souveraine, elle avait donc valablement jugé que les faits constituaient des dégradation ou détérioration à caractère délictuel.
Contexte. Cet arrêt peut être rapproché de deux autres affaires dans lesquelles la Chambre criminelle a également refusé de reconnaître l’état de nécessité face à des actions ayant pour objet de dénoncer l’inaction climatique des pouvoirs publics ou d’alerter sur les dangers d’infrastructure pour la santé humaine.
L’intrusion dans une centrale nucléaire aux fins de dénoncer sa vulnérabilité - Cass. crim., 15 juin 2021, n° 20-83.749, F-B N° Lexbase : A00954WG : un danger qu’aucune mesure actuelle ne permettrait de prévenir ne peut être assimilé à un danger actuel ou imminent susceptible d’écarter la responsabilité pénale d’un individu au motif qu’il répond, selon l’article 122-7 du Code pénal, à un état de nécessité, a fortiori si l’infraction commise n’est pas de nature à remédier au danger avancé.
Décrochage d’un portrait présidentiel pour dénoncer l’inaction climatique du Président de la République - Cass. crim., 22 septembre 2021, n° 20-80.489 N° Lexbase : A134647Y et n° 20-85.434 N° Lexbase : A134747Z, FS-B : par ces deux arrêts, la Cour de cassation confirme que l’état de nécessité ne peut être invoqué pour justifier le décrochage de portraits présidentiels poursuivi sous la qualification de vol. Mais elle laisse la porte ouverte à la justification de tels faits sur le fondement de la liberté d’expression garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH).
On regrettera que la motivation de la cour d’appel n'envisage pas que ces détériorations, intrusions, décrochages, puissent constituer la traduction de l’insuffisance – voir de l’inefficacité – des moyens d’action « politiques, militants, institutionnels » auxquels elle renvoie.
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