Réf. : Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.476, FS-B N° Lexbase : A06899KQ
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par Jérôme Lasserre-Capdeville
le 29 Mars 2023
► Méconnaît son office et viole l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301, du 14 mars 2016, une cour d’appel qui fait application d’une clause d'un contrat de prêt immobilier autorisant la banque à exiger immédiatement, sans mise en demeure ou sommation préalable de l’emprunteur ni préavis d'une durée raisonnable, la totalité des sommes dues au titre de ce prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause.
Plusieurs décisions rendues ces dernières semaines en matière de crédit immobilier ont eu l’occasion de se prononcer sur le droit des clauses abusives (Cass. civ. 1, 1er février 2023, n° 21-20.168, F-D N° Lexbase : A49829B7 ; Cass. civ. 1, 1er mars 2023, n° 21-20.260, F-B N° Lexbase : A17899GD, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mars 2023, n° 748 N° Lexbase : N4571BZC ; Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044, F-B N° Lexbase : A06929KT, J. Lasserre-Capdeville, mars 2023, n° 751 N° Lexbase : N4838BZ9). Le prêteur se doit, par conséquent, d’être particulièrement vigilant lorsqu’il vient à rédiger une telle convention. La décision sélectionnée en témoigne une nouvelle fois.
Faits et procédure. Le 4 décembre 2009, la société banque X. avait consenti à Mme S. un prêt immobilier en francs suisses, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate. Or, à la suite du défaut de paiement des échéances de ce prêt, la banque avait délivré à l’emprunteuse un commandement aux fins de vente forcée.
Le 17 février 2020, le tribunal de l’exécution forcée en matière immobilière avait ordonné la vente forcée des immeubles garantis, fixé le montant de la créance de la banque et commis un notaire pour précéder à l'adjudication.
Décision. Dans son pourvoi en cassation, l’emprunteuse reprochait aux juges du fond (CA Colmar, 4 mars 2021, n° 20/02575 N° Lexbase : A90374ZQ) d’avoir écarté d’office l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat. Or, selon elle, est abusive la clause d’un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s’autorise, en raison d’un manquement du débiteur à son obligation de rembourser une seule échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme sans mise en demeure préalable et immédiatement, sans préavis d'une durée raisonnable ni mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement. Or, en l’occurrence, il ressortait de l’article 4 des conditions générales du prêt conclu entre madame S et la banque X, « si bon semble à la Banque, toutes les sommes restant dues au titre du prêt en principal, majorées des intérêts échus et non payés deviennent immédiatement exigibles, sans sommation ni mise en demeure et malgré toutes offres et consignations ultérieures en cas de non-paiement d'une échéance à bonne date ». Dès lors, en n’écartant pas d’office l’application d’une telle clause, qui revêtait un caractère abusif, la cour d’appel aurait violé les articles L. 132-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L6478ABK, dans sa rédaction applicable à l'espèce.
La Cour de cassation se montre sensible à cette critique. Sa décision se veut très précise.
D’abord, elle rappelle que, selon l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Ensuite, elle reprend plusieurs solutions dégagées par la Cour de justice de l’Union européenne.
En premier lieu, cette dernière a dit a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d’office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l’appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08 N° Lexbase : A9620EHR).
En second lieu, par un arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14 N° Lexbase : A9995TM7), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la Directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 N° Lexbase : L7468AU7 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt
En dernier lieu, par arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 N° Lexbase : A02078YC, G. Poissonnier, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° N° Lexbase : N3960BZP), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.
Par ailleurs, et toujours dans la même décision du 8 décembre 2022, après avoir relevé que la clause contractuelle en exécution de laquelle la banque avait, dans le cas qui lui était soumis, prononcé la déchéance du terme, n'apparaissait pas relever de la notion d'« objet principal du contrat », ce qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier (points 47 et 48), elle avait dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la Directive n° 93/13 devaient être interprétés en ce sens que, sous réserve de l'applicabilité de l'article 4,§ 2, de cette Directive, ils s’opposaient à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoyait, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’avait pas fait l'objet d’une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.
Ces solutions ont alors une incidence dans l’affaire qui nous occupe.
En effet, pour ordonner la vente forcée de l'immeuble et fixer à une certaine somme la créance de la banque, l’arrêt de la cour d’appel de Colmar avait considéré que la somme réclamée par celle-ci au titre du capital restant dû et des échéances échues impayées était exigible en application de la clause des conditions générales du contrat de prêt qui, en cas de défaillance de l'emprunteur, prévoyait l'exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt.
Dès lors, en statuant ainsi, sans examiner d’office le caractère abusif d'une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d'une durée raisonnable, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.
Observations. La décision ici dégagée est importante. Même si elle s’adresse avant tout au juge, elle témoigne du fait que les banques n’ont pas intérêt à écarter, par l’intermédiaire d’une clause figurant dans les conditions générales du prêt, le recours à une mise en demeure avant le prononcé de la déchéance du terme de la convention (en raison de la défaillance de l’emprunteur), ou encore d’écarter tout délai de préavis raisonnable dans de telles circonstances (sur ce dernier point, v. également, Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044, préc. et les obs. préc.).
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