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par Vincent Vantighem
le 29 Mars 2023
Visiblement, il est toujours aussi difficile de réclamer des comptes à Twitter… Comme le tribunal judiciaire de Versailles (Yvelines) l’avait fait en mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a relaxé, lundi 27 mars, le réseau social à l’oiseau bleu des chefs de « complicité d’injure » et de « refus de déférer à une demande d’une autorité judiciaire ». C’est sous ce vocable un peu abscons que Twitter était accusé, une fois de plus, de ne pas coopérer avec la justice française.
À l’origine de cette procédure se trouvaient trois victimes de cyberharcèlement. Et non des moindres : Aurélia Gilbert, rescapée de l’attentat contre le Bataclan en 2015, Georges Salines, père d’une des victimes du même attentat, et Nicolas Hénin, journaliste otage en 2013 du groupe État islamique. En 2019 et 2020, ils avaient, tous les trois, été la cible d’une vague de cyberharcèlement sur Twitter après avoir pris position en faveur du rapatriement des enfants de djihadistes français retenus en Syrie. Rien que de très habituel pour ces trois figures militantes…
Sauf que cette fois-là, ils avaient décidé de ne pas laisser passer la haine déversée en 280 caractères par des internautes bien planqués derrière leurs claviers. Ils avaient donc porté plainte. Saisis de ces plaintes, les policiers avaient donc envoyé des réquisitions à Twitter afin de pouvoir remonter jusqu’aux auteurs des messages haineux. Mais le réseau social n’a jamais vraiment fourni d’informations valables, ce qui a contraint la justice a classé les trois plaintes sans suite. Pour tenter de remettre un peu d’humanité sur ce réseau, les trois victimes avaient donc décidé de poursuivre Twitter pour « refus de déférer à une demande d’une autorité judiciaire ». Mais la justice ne les a pas suivis…
Les policiers contraints de remplir une demande en ligne sur Twitter
Car, Twitter n’a donc jamais vraiment collaboré avec les enquêteurs. Dans ce genre de cas, ces derniers sont bien démunis. Sans prendre exemple sur les séries télé, on se dit logiquement que la police dispose de moyens pour enquêter. Qu’il lui suffit de passer un coup de fil au service juridique de Twitter pour découvrir qui se cachent derrière les avatars anonymes déversant leur lot de fiel à longueur de journée. Mais non… Dans les faits, les policiers n’ont pas pu faire autrement que de remplir un… formulaire en ligne préétabli par Twitter pour espérer résoudre leur affaire. Dans les cas d’Aurélia Gilbert et de Nicolas Hénin, leur demande n’a suscité aucune réponse. Rien. Dans le cas de Georges Salines, les policiers de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) ont eu la chance, eux, d’avoir un retour. Mais il s’agissait d’un refus de fournir la moindre information. Justifié par le fait que Twitter ne daigne répondre que dans le cadre de commission rogatoire internationale ou de demande d’entraide pénale internationale… Autrement dit, les « petits problèmes » franco-français les laissent de marbre.
Une fois informés que leurs plaintes pour cyberharcèlement avaient été classées sans suite faute d’aide de Twitter, Aurélia Gilbert, Georges Salines et Nicolas Hénin avaient donc décidé de s’attaquer au monstre d’Internet. Sauf que là aussi, ce n’est pas simple. Les trois victimes avaient fait citer à comparaître Twitter Incorporation (installé à San Francisco, États unis), Twitter International Company (installé à Dublin, Irlande) et Twitter France (installé à Paris). Difficile de s’y retrouver dans cette jungle…
Pour la justice, un « silence » constitue une réponse
Mais la justice leur a donc donné tort. Pour motiver la relaxe, le tribunal judiciaire de Paris a d’abord exclu la responsabilité pénale de Twitter France, cette entité n’ayant pas le statut d’hébergeur collectant les données des usagers. S’agissant de l’entité de San Francisco, elle est uniquement responsable des utilisateurs résidants aux États-Unis. Il ne restait donc que Twitter International Company de Dublin pour répondre aux questions des policiers français. Le tribunal a donc estimé que les réquisitions avaient été adressées « justement ».
Pour autant, le tribunal de Paris a considéré que les réponses ou absences de réponses du réseau social n’avaient rien d’illégal. La justice française a, en effet, estimé par exemple que le « silence » adressé dans le dossier d’Aurélia Gilbert constituait bien une « réponse » de la part de Twitter. Dans le cas d’une réquisition « simple » adressée à l’étranger, la personne visée « reste […] libre d’y répondre », selon la jurisprudence.
Une déception évidente pour les trois plaignants. Qui ont logiquement choisi de réagir directement… sur Twitter. « On s’y attendait, mais ça fait suer quand même », a ainsi posté Aurélia Gilbert en accompagnant son message d’un émoji symbolisant un étron. « Nous avons été victimes de la stratégie “d’optimisation juridique” mise en place par Twitter », a, pour sa part, commenté Georges Salines.
Leur seul motif de satisfaction pour eux réside dans une autre décision judiciaire rendue, elle, jeudi 23 mars. Et elle émane de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire de France. À cette date, celle-ci a, en effet, rejeté le pourvoi de Twitter qui avait été condamné, en appel, à détailler ses moyens pour lutter contre la haine en ligne, à la demande de plusieurs ONG et associations. Reste à savoir si le réseau à l’oiseau bleu déféra, cette fois, à la demande de cette autorité judiciaire…
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