La lettre juridique n°940 du 30 mars 2023 : Commissaires de justice

[Textes] Le constat métavers

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par Sylvian Dorol - Commissaire de justice associé, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Intervenant à l’ENM - EFB - Legal Logion Officer et Sébastien Racine - Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Intervenant à l’ENM, EFB, Legal Logion Officer

le 06 Septembre 2023

Mots-clés : métavers • constat • NFT • lieux de constatations • réalité virtuelle • internet • achat

L’actualité récente, et notamment l’affaire des sacs Birkin d’Hermès en NFT, met en lumière le contentieux naissant dans le metavers, espace virtuel régulièrement présenté comme le futur internet, ainsi que la nécessité d’y collecter et conserver des preuves. Confronté à cette nouvelle matière, qui peut paraître incompréhensible pour le néophyte, le constat de commissaire de justice doit connaître certaines adaptations pour déployer sa pleine force probante. Ainsi sera-t-il possible d’assister à la naissance du commissaire de justice 3.0.


 

                                                                                                    

Pilule bleue ou rouge ?

C’est le choix offert par Morpheus, installé dans un fauteuil rouge, à Néo, la pilule rouge symbolisant la rébellion, la bleue signifiant le confort…

Extraite de Matrix, cette séquence cinématographique a marqué des générations, au point que son écho résonne encore aujourd’hui lorsque le commissaire de justice est confronté au metavers et à la nécessité d’y collecter des preuves. Cependant, à la différence de la scène filmée, aucun choix n’est offert au commissaire de justice, même s’il est « Néo »phyte en la matière puisqu’une de ses fonctions est de constater les faits litigieux, matériels ou numériques. Il lui appartient donc de se confronter à cette nouvelle problématique, de la même manière que son aïeul l’huissier de justice l’a fait aux balbutiements des contentieux sur Internet en l’an 2000. Avant de s’y confronter, encore faut-il savoir ce qu’est le métavers, à part un mot introuvable dans les dictionnaires juridiques.

Le terme « metavers » désigne un monde virtuel, régulièrement présenté comme le futur Internet. Ce monde virtuel est ancré dans la technologie blockchain, assurant à la fois la sécurisation et la décentralisation des informations et des échanges. Il s’agit d’une réalité virtuelle parallèle, immersive (il faut utiliser un casque de réalité virtuelle pour y accéder pleinement), en trois dimensions, où chacun peut évoluer (à travers un avatar ou un hologramme), y jouer, y travailler, y discuter, y apprendre... Bien que monde virtuel, les interactions y sont cependant bien réelles, d’où l’opportunité d’en constituer des preuves matérielles. Ainsi existe-t-il dans le metavers des contrefaçons de produits de luxe [1], des diffusions de spectacles non autorisées, d’usurpation d’identité, de diffamation, de publicité mensongère…

Le commissaire de justice (ou huissier selon les pays) n’a donc pas le choix puisqu’au final, les faits litigieux qu’il aura à constater dans le metavers sont à peu près les mêmes que ceux qu’il constate sur internet. Pour autant, et parce que le support est nouveau, il apparaît opportun que l’officier public et ministériel s’interroge avant de prêter son ministère sur la manière de rapporter la preuve de fait metavers litigieux.

Ainsi, la question n’est pas de déterminer s’il est envisageable de réaliser un constat dans le métavers, mais de savoir quels types d’actes y seront établis et selon quelles méthodologies. Ces interrogations en suscitant d’autres, dont la possibilité ou non pour le commissaire/huissier de justice d’utiliser un avatar identifié pour se connecter au metavers, une réflexion profonde sur la preuve dans le metavers est nécessaire.

Ainsi, la réflexion sur la réalisation d’un constat dans le métavers ne doit pas se limiter en l’analyse d’un simple nouveau lieu de constat (I) puisque le métavers est un nouveau monde régi par ses propres règles nécessitant une adaptation des pratiques actuelles (II).

I. Le constat métavers en théorie

Des définitions précédentes, il apparaît évident que le métavers doit être placé dans la catégorie des lieux virtuels. En revanche, il ne découle pas directement de celles-ci la qualification de lieu privé ou public de ce monde.

L’interrogation est pourtant primordiale dans le cadre de la collecte de la preuve, car il est nécessaire de déterminer si le monde virtuel est un lieu privé, un domicile, un lieu public ou un lieu mixte puisque le caractère public ou non conditionne l’accès ou non au metavers pour l’huissier.

C’est donc à la lumière de la théorie du lieu de constatation dit virtuel [2] que la qualification des Métavers doit être réalisée (A), tout en évoquant les modalités pratiques d’accès, notamment la nécessité de recourir à un tiers selon la méthode du constat d’achat aujourd’hui pratiquée (B).

A. Lieu virtuel « augmenté  » 

Initialement pensée et développée à l’occasion de la réalisation des constats sur les sites internet, cette théorie s’est fondée, par analogie, sur les analyses et conclusions tirées de la pratique ancienne des constats dans les lieux réels. En effet, outre des définitions techniques de ce que sont un blog, un site internet, ou encore un réseau social, la qualification juridique en tant que lieu privé ou non n’est pas textuellement établie.

C’est ainsi que des règles initialement applicables aux lieux physiques ont trouvé application dans l’écosystème juridique d’internet, générant une dichotomie lieux publics/lieux privés.

Dans le cas du lieu virtuel public, identifiant les « sites internet », doctrine et jurisprudence fixent deux critères cumulatifs : la publicité sur internet et sa libre accessibilité. Dans la pratique, l’utilisation fréquente d’un moteur de recherche prouve la publicité du site objet des constatations, même si cela ne couvre pas le deepweb [3]. Concernant la libre accessibilité, elle se résume à la possibilité de naviguer anonymement sur ledit site, et ce malgré l’existence d’un filtrage parfois en vigueur sur certains sites (eu égard à l’âge, la qualité ou la localisation géographique).

À ce jour, un commissaire de justice peut procéder à un constat sur un site internet, et ce indifféremment de la localisation géographique de celui-ci, ou des serveurs l’ hébergeant. Le critère retenu par la jurisprudence est bien celui de l’accessibilité depuis le territoire nationale. D’autres éléments peuvent être appréciés par le juge pour déterminer que ce site est accessible depuis la France, notamment la langue, l’extension, ou la mention d’une livraison possible en France.

Dans le cas du lieu virtuel privé, l’accès à son contenu n’est pas simplement filtré, mais sélectionné par une inscription préalable, à l’aide d’un identifiant ou d’un mot de passe. Le commissaire de justice s’en trouve limité dans sa mission, à l’instar de ce qui est prévu pour les lieux privés physiques, puisqu’il lui appartient de se présenter et exposer l’objet de sa mission conformément à ses règles déontologiques [4]. Ce qui est librement accessible reste à sa portée, le reste ne lui est pas accessible sauf accord expresse de l’administrateur du site internet, ou recours à l’assistance d’un tiers [5].

Appliquée au métavers, la théorie classique de lieu virtuel peut paraître insuffisante de prime abord puisque, par définition, ce n’est pas un simple lieu, mais un « monde » virtuel. Il est donc difficile d’assimiler un métavers à un site internet, tant le premier dépasse le second sur les plans fonctionnels et techniques. En effet, l’utilisation de métavers tels que Roblox, Minecraft, The Sandox ou encore Discord, est très éloignée de la navigation internet traditionnelle. En effet, l’aspect immersif du metavers et le fait que l’utilisateur navigue dans certains d’entre eux à l’aide d’un avatar, plaident pour décrire la navigation dans les métavers comme nouvelle. De plus, pour les exemples évoqués, il est nécessaire de s’inscrire avant d’accéder au contenu...

Il apparaît en réalité que les métavers sont plus à apprécier comme des sites internet augmentés à mi-chemin entre les jeux vidéo et le réseau social. Par voie de conséquence, il semble prudent d’envisager les métavers comme des lieux privés virtuels, à minima.

B. Un lieu virtuel contrôlé

Bien souvent, l’accès au metavers (Roblox, Minecraft, The Sandox, Discord) est soumis à une authentification préalable (compte utilisateur) et nécessite la création d’un avatar. L’indication de la seule adresse IP, obligatoire concernant les constats dressés sur internet, est donc insuffisante. Deux solutions sont envisageables : l’une vise à ce que le commissaire de justice s’identifie directement (soit avec son identité professionnelle soit avec une identité d’emprunt), l’autre se fonde sur le recours à un tiers comme en constat d’achat.

La première solution est l’identification directe. Elle semble imprudente eu égard tout d’abord à la définition de constatations matérielles, expression qui doit s’entendre comme « toute situation personnellement constatée par l’huissier de justice au moyen de ses sens, et qu’il n’a pas provoquée par une opération intellectuelle de nature à troubler sa qualité de tiers neutre, indépendant et impartial » [6]. Pour ce motif, il a été jugé que l’ouverture d’un compte [7] ou la création d’un profil constitue une démarche active du commissaire de justice.

De plus, la déontologie du commissaire de justice lui commande d’exposer sa mission au début des constatations dans un lieu privé, ce pourquoi il est juridiquement difficilement défendable qu’il puisse accéder à des pages Internet privées à la faveur d’un traitement automatique des données, lequel est incapable de distinguer l’internaute lambda de l’officier public et ministériel [8].

C’est pourquoi la deuxième solution, qui consiste à recourir à un tiers, est à privilégier. En effet, pour accéder à un lieu virtuel privé, il est admis par la jurisprudence que le commissaire de justice puisse recourir à l’assistance d’un tiers, qui pourra personnellement accéder à lieu privé virtuel. Outre le choix du tiers, qui doit être fait de manière restrictive eu égard du lien qu’il pourrait entretenir avec les parties ou le commissaire de justice [9], les constatations seront réalisées selon une méthodologie dite « par-dessus l’épaule ». Concrètement, le tiers procède à son identification et à la navigation sur l’ordinateur, alors que le commissaire constate ce qu’il voit à l’écran en distinguant dans son procès-verbal les manipulations réalisées avec l’assistance du tiers et celle effectuées par lui personnellement. Cette technique ressemble à s’y méprendre à une stratégie de cheval de Troie en ce qu’elle s’analyse davantage à une ruse qu’à un stratagème déloyal.

Pour conforter cette opinion, il convient d’évoquer une décision du 2 juillet 2007 rendue par le tribunal de grande instance de Paris au sujet de l’affaire Second Life [10]. Pour mémoire, Second Life était déjà un embryon de metavers (les joueurs y évoluaient avec des avatars) et un huissier de justice y avait effectué des constatations en utilisant un avatar dont l’apparence était celle d’une jeune enfant. Dans ce jugement iconique, les juges avaient écarté le procès-verbal de constat, non en raison du fait que l’huissier avait utilisé un avatar, mais en ce que cet avatar correspondait à une personne fictive, créé de toute pièce et était donc le fruit d’un stratagème. Il serait possible d’extrapoler en imaginant qu’elle aurait été la solution si l’huissier avait utilisé un « vrai » avatar correspondant à sa véritable identité, mais ce serait faire preuve d’imprudence et imprévision.

Le recours à un tiers pour constater dans les métavers semble s’imposer, même si cette solution n’est pas sans inconvénients. Se pose notamment la question de la confidentialité de la procédure (le tiers est nécessairement mis au courant du litige mais n'est légalement soumis à aucun secret professionnel-en pratique la signature d’un accord de confidentialité peut suffire), ainsi que de la réactivité en cas d’urgence manifeste à procéder aux constatations (puisqu’il faut trouver un tiers disponible sur le champ).

Les précédents développements démontrent que la question de l’identité numérique est centrale dans le metavers, avec l’idéal d’une identité numérique unique pour chaque individu, par opposition à la multitude d’identité dite numériques actuelles correspondant à chaque compte créé sur chaque plateforme. Cependant, s’il existe une signature numérique professionnelle pour les commissaires de justice dans le cadre de l’exercice de leur fonction (notamment en matière de saisie-attribution dématérialisée), ce n’est pas à proprement parler une identité numérique… Cela, ajouté à l’obligation d’exposer préalablement la mission, éloigne l’espoir de l’utilisation d’un avatar numérique du commissaire de justice. La solution serait la modification des textes pourque le commissaire de justice soit dispensé de cette formalité, voire puisse utiliser un avatar dédié, comme aujourd’hui les textes permettent à certains agents d’utiliser des identités d’emprunts [11].

Il faut retenir de ce qui précède qu’il est possible de dresser constat dans les metavers. Cette interrogation résolue, vient le moment de se pencher sur la méthode à utiliser.

II. Le constat métavers en pratique

La proximité du metavers avec internet amène à envisager un rapprochement du cadre prétorien des constats internet, avec celui fait dans les métavers (A), même si le cas du constat d’achat nécessite des développements particuliers (B).

A. Le constat métavers : un constat internet « augmenté »

Le constat internet aujourd’hui nécessite la connexion au web via un outil technologique dédié pour accéder à un contenu virtuel, ce à des fins probatoires. Cette interprétation du constat internet s’applique naturellement au constat dans un métavers, puisque seul le lieu des constatations diffère. Ainsi, le protocole des constats sur internet doit être respecté (1), même si la spécificité du métavers nécessite le recours à de nouveaux moyens technologiques (2).

1) Un protocole prétorien opportun

La réalisation d’un constat internet, et de manière plus générale d’un constat informatique, nécessite au préalable de préciser l’environnement technique des constatations. En effet, cette pratique vise à s’assurer que le commissaire de justice constatant avait la maitrise matérielle des constatations.

Pour figer l’environnement des constatations deux voies sont traditionnellement évoquées :  la norme AFNOR NFZ67-147 et le protocole prétorien (ou jurisprudentiel).

La norme AFNOR, non sanctionnée par la jurisprudence, étant devenue obsolète au fil des années, et notamment avec l’apparition des constats sur les smartphones, et les applications, n’a pas vocation à s’appliquer dans le métavers.

Quant au protocole prétorien [12], son cadre souple constitue une base de constat dans le metavers. Ce protocole, respecté par le commissaire de justice en guise de prérequis, est prévu à peine de sanction [13] et consiste notamment à une description du matériel informatique et des logiciels utilisés (la vérification de l’heure et la date de son matériel ; la mention de son adresse IP et du détail de sa connexion Internet. Il convient également mentionner l’absence de serveur proxy, et de procéder au vidage du cache, des cookies, de l’historique et des fichiers temporaires de son ordinateur). Ce protocole souffre de quelques observations s’il doit être appliqué au metavers.

Dans le cas du métavers, il doit être précisé que le nettoyage du navigateur n’aura pas d’impact sur les constatations, puisque le métavers en tant que monde virtuel est intrinsèquement persistant, que l’utilisateur soit connecté ou non, et que le contenu est techniquement mis à jour même en son absence.

Par ailleurs, l’accès au métavers se faisant généralement par un logiciel tiers, et non par navigateur, il semble préférable d’identifier en détail le logiciel d’accès, en relevant notamment le nom de l’éditeur, ou encore le numéro de version.

Enfin, le recours à l’assistance d’un tiers entrainera l’identification de ce dernier, ainsi que la mention de sa qualité de tiers indépendant, et éventuellement des spécifications concernant son avatar.

2) Un protocole prétorien adapté

L’immersion dans le métavers nécessite de dépasser le matériel traditionnellement requis dans le cadre de la navigation sur l’internet.

Là où un écran, un ordinateur, un clavier et une souris suffisent pour naviguer sur des pages internet, de nouveaux modes de navigation apparaissent (smartphone, tablettes…). L’utilisation d’un casque VR (ou de réalité virtuelle) doit semble-t-il être appréciée au même titre que le smartphone, avec notamment la présence de magasin d’application et d’un système d’exploitation propre. Il faut néanmoins préciser que le casque VR peut voir son utilisation être simplement optionnelle, lorsqu’il s’agit de l’utiliser en lieu et place d’un ordinateur, ou alors être obligatoire lorsque le métavers n’est pas compatible avec les ordinateurs (comme Horizon Worlds).

Une problématique apparaît néanmoins lorsque l’accès au métavers se fait uniquement par un casque VR. Dans la mesure où il est préconisé le recours à un tiers indépendant pour assister le commissaire de justice, cela signifie que c’est ce dernier qui porte le casque et s’immerge dans le monde virtuel. Dans cette hypothèse, pour que le commissaire de justice puisse procéder à des constatations, il doit être prévu dans le protocole un retour vidéo depuis le casque (soit filaire, soit par live streaming). Cette particularité entraine, comme en constat d’achat, une adaptation du protocole prétorien et une rédaction laissant apparaître de manière distincte les actions du tiers et celles du commissaire de justice.

B. Le constat d’achat dans le métavers

Un constat sur le métavers peut donc être réalisé à la lumière de nos connaissances et pratiques actuelles, à l’exception notable du constat d’achat qui soulève deux nouvelles problématiques.

D’abord, le caractère immersif de l’expérience utilisateur dans le métavers, et notamment lorsque la navigation se fait par l’utilisation d’un casque VR, interroge quant à l’étendue acceptable des constatations (1). Puis, le cas d’un achat de NFT[14] est à envisager spécifiquement compte tenu de sa nature particulière (2).

1) Méthode

L’expérience immersive du metavers permet à l’utilisateur de pénétrer dans une boutique virtuelle et s’y comporter de la même manière que dans un magasin physique, avec les mêmes codes et limites. Ainsi est-il possible d’acheter un vêtement de marque pour son avatar sous forme de NFT, ou un produit bien réel dans un boutique virtuelle dans le métavers, comme il est possible aujourd’hui de faire ses achats sur internet. De la même manière que dans la vie réelle, l’avatar va se rendre dans un lieu en le faisant déplacer à l’aide de son casque VR et des manettes qui y sont connectés, pousser la porte de la boutique virtuelle et peut-être même rencontrer un avatar « vendeur ». Il pourra alors regarder les produits en vente, la publicité éventuelle, les prix, les promotions, et peut être même assisté à un discours commercial du vendeur.

Un problème pratique se pose. En effet, dans le monde physique, lorsque le constat d’achat est réalisé par le commissaire de justice, ce dernier se contente à rester sur la voie publique[15], pendant que le tiers acheteur pénètre dans le magasin et en ressort quelques minutes plus tard avec le produit objet des constatations. Procéder à un décalque de cette méthode dans le metavers obligerait donc le commissaire de justice à user de son propre avatar, avec toutes les réserves émises précédemment.

Mais, puisque la jurisprudence a écarté la possibilité pour le tiers acheteur d’effectuer des photographies dans le magasin physique pour ensuite remettre les clichés à l’huissier de justice[16], il pourrait être critiquable que le commissaire de justice « accompagne », à l’aide du retour vidéo du casque VR, l’avatar du tiers acheteur dans le magasin virtuel… Une solution intermédiaire, relevant du bricolage juridique, serait alors que le commissaire de justice suspende ses constatations lorsque l’avatar du tiers pénètre dans l’établissement virtuel, puis les reprenne quand il en ressort.

2) Cas du NFT

L’achat réalisé, deux possibilités s’offrent au commissaire de justice selon qu’il s’agit d’une marchandise physique ou d’un NFT.

Dans le cas d’une marchandise physique, le commissaire de justice peut bien évidemment dresser un constat de réception du produit, contenant des photographies et y apposer des scellés.

Dans le cas où la marchandise achetée est un NFT, la tâche du commissaire de justice s’en trouve plus ardue puisque chacune des étapes du processus du traditionnel constat d’achat est impactée. En effet, en amont de l’achat, le tiers acheteur doit disposer d’un Wallet[17] alimenté en cryptomonnaie. En aval de l’achat, le NFT est rattaché au Wallet du tiers acheteur et se pose alors la question des constatations portant sur ce NFT. La description du NFT acheté se fait par capture écran avec la précision du « certificat » rattaché au NFT (qui s’assimile à une étiquette apposée sur un produit manufacturé). Enfin, le tiers acheteur doit remettre le NFT au commissaire de justice, qui dispose donc d’un Wallet, lequel est idéalement un support de stockage physique (de type LEDGER) afin de rendre transportable le NFT et d’y apposer un scellé. Cette méthode, qui peut sembler lourde à première lecture mais qui ne l’est pas en pratique, présente l’avantage de matérialiser le NFT sans le limiter à sa représentation graphique.

La preuve dans le metavers est donc possible, et le commissaire de justice peut y tenir la même place qu’il a dans le monde physique. Pourtant, afin de protéger les droits des justiciables dans les metavers, il apparaît opportun que le monde juridique, et notamment celui de la saisie-contrefaçon, se penche sur le contentieux croissant des NFT [18] avant que les premiers jugements en la matière soient perçus comme des signes d’insécurité juridique, comme ce fut le cas au début des années 2000 concernant la preuve sur internet.


[1] Il est possible de penser notamment à l’affaire des sacs Birkin d’Hermès, S. Touzani, NFT : même en « virtuel », personne ne peut copier les Birkin d'Hermès, LesEchos, 9 février 2023 [en ligne].

[2] S.Dorol , Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 3ème éd. 2022, avec le concours de J.-L. Bourdiec, P. Gielen, X. Louise-Alexandrine et S.Racine.

[3] Il s’agit de l’ensemble des pages internet non référencées par les moteurs de recherche.

[4] Art. 41 du Règlement Déontologique National des huissiers de justice du 5 décembre 2018

[5] S.Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 3ème éd. 2022, avec le concours de J.-L. Bourdiec, P. Gielen, X. Louise-Alexandrine et S.Racine- Chapitre : Le lieu du constat.

[6] S. Dorol : JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, Fasc. 30, V° Les constats, n° 4.

[7] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B N° Lexbase : A7370MHG, obs. R. Perrot, Procédures 2014, n° 1018 , comm. 133, p. 12.

[8] S. Dorol, La loyauté dans les constats Internet : rappel de mise en œuvre : Gaz. Pal. 2015, n° 318, p. 16, note ss CA Paris, 7 octobre 2015, n° 11/03744 N° Lexbase : A9044SA9.

[9] S.Dorol et S.Racine, La preuve de l’indépendance du tiers acheteur, Propr. Industr., 2020, ét.13, p.24.

[10] TGI paris, 2 juillet 2007, UDAF de l'Ardèche et autre / Linden Research et autres.

[11] C. proc. pén. art. 28-1 N° Lexbase : L0748IKW.

[12] S.Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 3ème éd. 2022, avec le concours de J.-L. Bourdiec, P. Gielen, X. Louise-Alexandrine et S.Racine, Chapitre : Le constat sur internet

[13] De la nullité à la dévaluation de la force probante

[14] Un NFT (de l’anglais non-fungible token) ou jeton non fongible est une donnée valorisée composée d'un type de jeton cryptographique qui représente un objet (souvent numérique), auquel est rattachée une identité numérique (reliée à au moins un propriétaire) – source : wikipédia [en ligne].

[15] V. Vigneau, Les constats d’achats, Procédures 2008, étude 10.

[16] TGI Paris, 12 juillet 2013 : PIBD 2013, III, p. 1480.

[17] Portefeuille électronique pour crypto-monnaie.

[18] La presse rapporte que 80 % des NFT sur OpenSea sont des faux, alors que c’est une des principales plateformes de ventes !

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