Le Quotidien du 27 mars 2023 : Actualité judiciaire

[A la une] Corruption en Afrique : la CRPC avortée qui va compliquer la défense de Vincent Bolloré

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par Vincent Vantighem

le 24 Mars 2023

Il a tout fait pour y échapper. Mais Vincent Bolloré devrait bien avoir droit à un procès pénal pour corruption. La cour d’appel de Paris a annulé, mardi 21 mars, une partie des pièces de la procédure qui le vise dans le cadre de l’attribution contestée de la gestion du port de Lomé, au Togo. Mais elle a, dans le même temps, confirmé sa mise en examen, alors qu’il réclamait son placement sous le statut beaucoup plus favorable de témoin assisté qui aurait pu lui éviter l’infamie d’un passage devant le tribunal correctionnel.

Il y va désormais tout droit. Dans cette affaire, le milliardaire français est soupçonné par la justice d’avoir utilisé les activités de deux de ses filiales pour décrocher frauduleusement la gestion des ports de Lomé au Togo et de Conakry en Guinée. Comment ? En utilisant sa kyrielle de filiales. Surtout deux d’entre elles selon le principe des vases communicants. Ou comment je te reprends d’une main ce que je t’ai donné de l’autre. En tout cas, c’est ce que la justice pense.

D’après les éléments recueillis par les magistrats, Vincent Bolloré aurait demandé à Jean-Philippe Dirent, alors directeur international d’Euro RSCG, l’une de ses pépites, de gérer, en sous-évaluant la facture, la communication de Faure Gnassingbé lors de sa campagne présidentielle victorieuse de 2010 au Togo. Celui-ci est un ami de longue date de Vincent Bolloré. Le « tykoon » français aurait également fait embaucher un demi-frère du Président dans une de ses structures. En contrepartie, il aurait obtenu divers avantages, parmi lesquels la concession des ports sur lesquels il lorgnait depuis longtemps… Si le port de Conakry, en Guinée, semble avoir connu la même mésaventure, il a été « sorti » de la procédure en 2019, pour cause de prescription.

Reste donc le cas du Togo. Et sur la base d’un signalement Tracfin qui a mis en évidence des flux financiers suspects, les juges ont conclu à « l’existence d’un pacte de corruption » entre Vincent Bolloré et Faure Gnassingbé. Un pacte « organisé par les plus hautes autorités du groupe » et démontré, selon eux, par « des échanges de courriers ».

Cachez cette CRPC que je ne saurais voir

L’histoire est connue depuis quelque temps déjà. Car, dans cette affaire, ce ne sont pas tant les faits qui posent question que la procédure qui en a découlé. Conscient du risque juridique pour lui, Vincent Bolloré avait décidé, à l’origine, de recourir à la justice négociée dans cette affaire. Fin 2020, début 2021, il s’était donc mis à discuter avec le parquet national financier pour obtenir une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Le dispositif, devenu célèbre depuis, permet à un justiciable de « négocier » une peine avec le parquet en avouant ses torts, une amende de 375 000 euros en l’occurrence. Et d’éviter ainsi un passage à la barre du tribunal correctionnel.

Encore faut-il que ce dispositif, une fois établi, soit validé par un juge du siège, par nature indépendant. Et en février 2021, alors que tout était prêt, patatras : la juge Isabelle Prévost-Desprez a pris tout le monde de court, en décidant de ne pas homologuer la décision négociée entre le parquet et Vincent Bolloré. Pour elle, la comparution du milliardaire devant un tribunal était « nécessaire »…

Le cas est bien prévu par les textes, mais il pose un problème d’ordre presque philosophique. Comment Vincent Bolloré va-t-il se défendre des accusations de corruption devant un tribunal correctionnel alors que chacun sait qu’il avait reconnu les faits au préalable lors de cette fameuse CRPC qui n’est pas allée à son terme. C’est sur la base de cette question légitime que ses avocats avaient saisi la cour d’appel de Paris, en réclamant l’annulation de sa mise en examen et de la procédure le visant.

Mardi 21 mars, la cour d’appel a donc tranché, ne donnant ni tort ni raison au patron français. Elle a décidé d’effacer, de la procédure, toutes les pièces qui faisaient référence à cette comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais elle l’a maintenu en examen pour « corruption d’agent public étranger ».

Une satisfaction pour les parties civiles, un casse-tête pour les juges

« C’est une première étape fondamentale pour la défense de Vincent Bolloré qui entend poursuivre dans cette voie », a commenté son avocate Céline Astolfe. Si la cour d’appel a fait le choix d’effacer, comme le lui permet la procédure, ce plaider-coupable (CRPC), le fort écho [qui en a été donné] ne permet pas à Vincent Bolloré d’être jugé de manière équitable… »

Car tout le problème réside dans le bruit médiatique qui avait été donné à cette affaire quand Isabelle Prévost-Desprez a rejeté la négociation qui avait eu lieu. Avec une question sur toutes les lèvres : comment les juges qui vont être amenés à juger cette affaire vont-ils faire pour enlever de leur esprit le fait que Vincent Bolloré a, un jour, reconnu les faits qu’il risque de contester devant eux…

Du côté des parties civiles, on n’a que faire de ces soubresauts procéduraux. « C’est une grande satisfaction de savoir que Vincent Bolloré va comparaître devant un tribunal indépendant et impartial pour être jugé pour corruption », a sobrement relevé Jérôme Karsenti, avocat des associations Anticor et Sherpa.

Même son de cloche du côté d’Alexis Ihou, avocat des candidats malheureux à l’élection présidentielle togolaise de 2010 et qui ont pâti, à leurs yeux, de ce pacte de corruption. Saluant une « première victoire qui ouvre la voie à un procès devant lequel le président Faure Gnassingbé est impliqué », il a indiqué que ses clients faisaient, désormais, « confiance à la justice française ».

La procédure va donc suivre son cours jusqu’à un éventuel procès qui risque de faire parler de lui. En attendant, Vincent Bolloré continue d’étendre son empire. En abandonnant, notamment, ses activités en Afrique pour se recentrer sur le monde des médias. Ironie de l’histoire, le jour même où la cour d’appel rendait sa décision, son groupe communiquait ses résultats : un bénéfice net de 3,4 milliards d’euros en 2022…

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