La lettre juridique n°539 du 12 septembre 2013 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Mise à disposition d'un immeuble par une société au profit de son gérant : application de la TVA, peu importe le caractère onéreux ou gratuit de l'opération

Réf. : CJUE, 18 juillet 2013, aff. C-210/11 et C-211/11 (N° Lexbase : A0850KKP)

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N8426BTA

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

le 12 Septembre 2013

La CJUE vient, à la suite d'une question préjudicielle introduite par la Cour de cassation belge, de juger que les articles 6, § 2, al. 1, a et 13, B, b de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9) doivent être interprétés dans le sens que la mise à disposition, par une société propriétaire d'un immeuble, d'une partie de ce bien au profit de son gérant est soumise à la TVA, qu'elle soit opérée à titre onéreux ou à titre gratuit. Les faits dans les deux affaires portées devant la Cour sont les suivants : deux litiges opposent l'Etat belge à respectivement, Medicom SPRL et à Maison Patrice Alard SPRL, qui sont toutes deux des sociétés de droit belge, au sujet de la déduction de la TVA payée en amont concernant des biens immobiliers utilisés en partie pour des besoins privés des gérants de ces sociétés. S'agissant de la première affaire, il ressort de la décision de renvoi que Medicom est une société dotée de la personnalité juridique et assujettie à la TVA pour une activité d'étude, d'organisation et de conseil en matière de dactylographie, de traduction et d'édition de rapports médicaux pour des firmes pharmaceutiques, ainsi que pour l'exploitation d'une pension pour chevaux. Cette société a fait construire un immeuble où elle exerce son activité et où, par ailleurs, ses gérants résident avec leur famille sans acquitter de loyer. Dans ses déclarations de TVA, Medicom a procédé à la déduction intégrale de la TVA relative aux frais de construction de cet immeuble. Dans le cadre de la procédure d'imposition, les gérants de Medicom ont reconnu qu'ils avaient utilisés les deux tiers de l'immeuble en question pour des besoins privés. L'administration fiscale compétente a alors rejeté la demande de déduction de la TVA et fait signifier une contrainte à Medicom. Dans la seconde affaire, la société Maison Patrice Allard (MPA) a fait construire un immeuble dans lequel elle exerce son activité et où, par ailleurs, son gérant réside avec sa famille sans acquitter de loyer non plus. Dans ses déclarations fiscales, MPA a procédé à la déduction intégrale de la TVA relative aux frais de construction et d'aménagement de l'immeuble. Considérant que la TVA ne pouvait être déduite que partiellement, puisqu'une partie de l'immeuble était affecté au logement du gérant, l'administration fiscale a décerné une contrainte à l'encontre de MPA. Dans les deux litiges, l'administration s'est pourvue en cassation. La Cour de cassation décide de surseoir à statuer et de poser à la CJUE les questions préjudicielles suivantes (rédigées dans les deux affaires en des termes identiques) :

- les articles 6, § 2, al. 1, a et 13, B, b) de la 6ème Directive-TVA doivent-t-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit traitée comme une prestation de service exonérée, en tant qu'affermage ou location d'un bien immeuble au sens dudit article 13, B, b), l'utilisation, pour les besoins privés des gérants, administrateurs ou associés et de leur famille d'une société assujettie dotée de la personnalité juridique, de tout ou partie d'un immeuble faisant partie du patrimoine de cette société et ainsi affecté dans sa totalité à son entreprise, dans le cas ou aucun loyer payable en argent n'est stipulé en contrepartie de cette utilisation, mais ou celle-ci s'analyse en un avantage en nature imposé comme tel dans le cadre de l'impôt sur les revenus auxquels les gérants sont soumis, cette utilisation étant de ce fait considérée fiscalement comme la contrepartie d'une fraction de la prestation de travail effectuée par les gérants, administrateurs ou associés ?

- Ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que cette exonération s'applique dans ladite hypothèse lorsque la société ne prouve pas l'existence d'un lien nécessaire entre l'exploitation de l'entreprise et la mise de tout ou partie de l'immeuble à la disposition des gérants, administrateurs ou associés et, dans ce cas, l'existence d'un lien indirect est-elle suffisante ?

A ces deux questions, la CJUE répond que ces articles s'opposent à ce que la mise disposition d'un bien immeuble, appartenant à une personne morale pour les besoins privés du gérant de celle-ci, sans que soit prévu à la charge des bénéficiaires, à titre de contrepartie de l'utilisation de cet immeuble un loyer payable en espèces, constitue une location d'immeuble exonérée. Le fait qu'une telle mise à disposition soit considérée, au regard de la règlementation nationale relative à l'impôt sur le revenu, comme un avantage en nature découlant de l'exécution par ses bénéficiaires de leur mission statutaire ou de leur contrat d'emploi n'a pas d'incidence à cet égard. De plus, dans ces situations, la circonstance que la mise de tout ou partie de l'immeuble, entièrement affecté à l'entreprise à disposition des gérants, des administrateurs ou des associés, de celle-ci a ou non un lien direct avec l'exploitation de l'entreprise est dépourvue de pertinence pour déterminer si cette mise à disposition relève de l'exonération de TVA.

Cette décision illustre une nouvelle fois la volonté de la Cour de s'appuyer sur une définition communautaire autonome des locations de biens immeubles, dont elle avait déjà indiqué qu'elle était plus large que la notion de location dans différents droits nationaux (notamment, CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97 N° Lexbase : A1931AWG). La CJUE juge que la mise à disposition d'une partie d'un bien immeuble appartenant à une personne morale, pour les besoins privés du gérant de celle-ci, sans que soit prévu à la charge des bénéficiaires à titre de contrepartie de l'utilisation de cet immeuble un loyer payable en espèces ne constitue pas une location d'immeuble exonérée de TVA. Ce faisant, elle ne retient pas la notion de location d'immeubles en l'absence de contrepartie à l'utilisation de l'immeuble, nonobstant la circonstance qu'une telle mise à disposition soit considérée au regard de la règlementation nationale relative à l'impôt sur le revenu comme un avantage en nature découlant de l'exécution par ses bénéficiaires de leur mission statutaire ou de leur contrat d'emploi. Ainsi, les juges de l'Union distinguent la location d'un bien de la prestation de services fournie sur un bien ou à l'aide d'un bien.

I - N'est pas une location d'immeuble exonérée, la mise à disposition du bien immeuble appartenant à une personne morale pour les besoins privés du gérant, même si elle s'opère à titre gratuit

Une location ou une sous-location est, en principe, une prestation de services entrant dans le champ d'application de la TVA, mais l'article 13 B de la 6ème Directive-TVA permet, sous certaines conditions, d'y échapper.

A - La mise à disposition par une société d'un immeuble à titre gratuit ou onéreux pour un besoin privé est assimilable à une prestation de services

Aux termes de l'article 6, § 2, al. 1, a de la 6ème Directive-TVA : "Sont assimilés à des prestations de services effectuées à titre onéreux : a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou plus généralement à des fins étrangères à son entreprise lorsque ce bien a ouvert droit à déduction complète ou partielle de TVA". Aux termes de l'article 13, B, b) de la 6ème Directive-TVA, les Etats membres exonèrent "l'affermage et la location de biens immeubles".

La CJUE a élaboré une définition communautaire autonome de l'exonération des locations de biens immeubles, en retenant une définition plus large que la notion de location dans différents droits nationaux (CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, point 54, précité). C'est en précisant progressivement les éléments caractéristiques d'une location immobilière que la CJUE a abouti à une conception extensive de la notion fiscale de location immobilière. Ainsi, pour qu'il y ait location d'un bien immeuble au sens de l'article 13, B, b) de la 6ème Directive-TVA, il faut que toutes les conditions caractérisant cette opération soient remplies, à savoir que le propriétaire d'un bien immeuble ait cédé au locataire, contre un loyer et pour une durée convenue, le droit d'occuper son bien et d'en exclure d'autres personnes (CJUE, 9 octobre 2001, aff. C-409/98 N° Lexbase : A4484AWY et C-108/99 N° Lexbase : A4483AWX).

La CJUE prend aussi en compte la finalité de l'exonération pour définir une location immobilière comme l'opération consistant à conférer à une personne, pour une durée convenue et contre rémunération, le droit d'occuper un immeuble comme s'il en était propriétaire, et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit. En l'espèce, la mise à disposition par une société propriétaire de l'immeuble d'une partie d'un bien au profit de son gérant ne peut être assimilée à une location. La Cour exclut de la notion de location d'immeubles les contrats caractérisés par l'absence de prise en compte, notamment pour la détermination du prix, de la durée de jouissance du bien immeuble.

B - La construction prétorienne et progressive des conditions de déduction de la TVA pour un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti

Un assujetti a, tout d'abord, la possibilité de choisir d'intégrer ou non à son entreprise la partie d'un bien qui est affectée à son usage privé, dit la Cour de l'Union (CJUE, 4 octobre 1995, aff. C-291/92 N° Lexbase : A7278AHZ et CJUE, 8 mai 2003, aff. C-269/00 N° Lexbase : A9186B4Y). En application des dispositions précitées, un assujetti qui choisit d'affecter la totalité d'un bâtiment à son entreprise et qui utilise, par la suite, une partie de ce bâtiment pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel a, d'une part, le droit de déduire la TVA acquittée en amont sur la totalité des frais de construction dudit bâtiment et, d'autre part, l'obligation de payer la TVA sur le montant des dépenses engagées pour l'exécution de cette utilisation privée.

Lorsqu'un assujetti choisit de traiter des biens d'investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d'entreprise, la TVA due en amont de ces biens est en principe déductible intégralement et immédiatement (CJUE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90 N° Lexbase : A7275AHW). Dès lors, les dispositions des articles 6, § 2, al. 1, a et 11, A, § 1, c de la 6ème Directive-TVA prévoient que, lorsque le bien affecté à l'entreprise a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA acquittée en amont, son utilisation pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel ou à des fins étrangères à son entreprise est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux et taxée sur la base des dépenses engagées pour l'exécution de ladite prestation de service.

La CJUE, dans un arrêt du 29 mars 2012 (aff. C-436/10 N° Lexbase : A8582IGX), est venue préciser la portée de sa jurisprudence "Seeling" (CJUE, 8 mars 2003, précité), qui avait exonéré de la TVA des personnes physiques mettant à la disposition d'un gérant ou d'un associé un bien immeuble affecté en totalité au patrimoine de l'entreprise. La CJUE a ainsi souligné, dans l'arrêt du 29 mars 2012 (précité) que, pour qu'il y ait exonération, encore faut-t-il que l'on soit en présence d'une location d'un bien immeuble au sens de l'article 13, B, b de la 6ème Directive-TVA.

II - Non incidence des circonstances particulières de la mise à disposition

Le fait que la mise à disposition de l'immeuble soit, au regard de la règlementation nationale, regardée comme un avantage en nature, ou que la mise à disposition de l'immeuble n'ait pas de lien direct avec l'exploitation de l'entreprise est inopérant pour déterminer si cette mise à disposition relève de l'exonération de TVA.

A - L'absence du paiement d'un loyer ne saurait être compensée par le fait que le bien mis à disposition constitue un avantage en nature pour son bénéficiaire

La circonstance que la mise à disposition soit considérée, au regard de la règlementation nationale relative à l'impôt sur le revenu, comme un avantage en nature découlant de l'exécution par ses bénéficiaires de leur mission statutaire ou de leur contrat d'emploi n'a pas d'incidence au regard de l'exonération de TVA.

L'article 13, B, b de la 6ème Directive-TVA est une dérogation au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti, et ses termes sont d'interprétation stricte. Cette disposition ne peut notamment pas être appliquée par analogie, au motif que l'utilisation privative à des fins d'habitation d'un bien immeuble attribué à une entreprise s'apparente le plus, sous l'angle de la consommation finale, à une location au sein de cette disposition.

Ainsi, l'absence de paiement d'un loyer ne saurait être compensée par la circonstance que, au titre de l'impôt sur le revenu, cette utilisation privée d'un bien immeuble affecté à l'entreprise est considérée comme constituant un avantage en nature quantifiable et donc, en quelque sorte, comme une fraction de la rémunération à laquelle le bénéficiaire aurait renoncé en contrepartie de la mise à disposition du bien immeuble en question. L'article 13, B, b de la 6ème Directive-TVA ne saurait être appliqué par analogie en assimilant, ainsi que le proposait le Gouvernement belge, l'avantage en nature évalué pour le calcul de l'impôt sur le revenu dû à un loyer.

B - L'existence d'un lien direct avec l'exploitation de l'immeuble mis à disposition est sans incidence sur l'exonération

La rétribution reçue par le prestataire constitue la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire. Dans l'espèce jugée par la CJUE, il n'existe pas de lien direct entre la mise à disposition de l'immeuble et une diminution de salaire des gérants, tout comme il n'est pas établi qu'une fraction du travail effectué par lesdits gérants puisse être considérée comme constituant une contrepartie de la mise à disposition de l'immeuble (CJUE, 16 octobre 1995, aff. C-285/95 N° Lexbase : A9685AUA).

La jurisprudence de la CJUE est venue préciser que c'est l'acquisition d'un bien par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l'application du système de TVA et donc du mécanisme de déduction. L'utilisation qui est faite du bien ne détermine pas l'étendue de la déduction initiale à laquelle l'assujetti a droit, en vertu de l'article 17 de la 6ème Directive-TVA (CJUE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90 N° Lexbase : A7275AHW). Au contraire, lorsqu'un assujetti acquiert un bien exclusivement pour des besoins privés, il agit à titre privé et non pas en tant qu'assujetti au sens de cette Directive (CJUE, 6 mai 1992, aff. C-20/91 N° Lexbase : A9604AUA).

Un assujetti n'a pas l'obligation de prouver que la mise à disposition de ses gérants, administrateurs ou associés de tout ou partie de l'immeuble entièrement affecté à l'entreprise est effectué "pour les besoins de ses opérations taxées", au sens de l'article 17, § 2 de la 6ème Directive-TVA. En effet, dès lors qu'un assujetti a choisi d'affecter la totalité de l'immeuble à son entreprise, il peut, ainsi qu'il ressort de l'article 6, § 2, b de la 6ème Directive-TVA, l'utiliser à des fins étrangères à son entreprise, et ne saurait en conséquence être contraint d'établir que cette utilisation est effectuée pour les besoins de ses opérations taxées.

L'assujetti ne doit donc pas prouver l'existence d'un lien direct entre l'utilisation à des fins privatives de l'immeuble et ses activités économiques taxables. Ainsi, pour les juges de l'UE, la circonstance que tout ou partie de l'immeuble entièrement affecté à l'entreprise à disposition des gérants, des administrateurs ou des associés de celle-ci a, ou non, un lien direct avec l'exploitation de l'entreprise est dépourvu de pertinence pour déterminer si cette mise à disposition relève de l'exonération prévue par les dispositions de l'article 13.

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