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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
le 12 Septembre 2013
Un acte d'enquête est un acte encadré, en ce sens qu'il s'inscrit dans un cadre normatif : l'enquête. Plus encore, c'est un acte exceptionnel, parce que le cadre dans lequel il s'inscrit est, au moins potentiellement, restrictif des libertés de tous et de chacun. On comprend, alors, toute l'importance d'une telle qualification : si l'enquêteur agit dans ce cadre, son action est nécessairement limitée ; s'il agit en dehors de ce cadre, son action est plus libre.
Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, "la notification d'une convocation en justice ne constitue pas un acte d'enquête", les dispositions de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD) ne lui étant donc pas applicables. En conséquence, "l'officier ou agent de police judiciaire chargé, sur instructions du procureur de la République, de notifier une convocation en justice à un prévenu doit, de sa propre initiative, faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de cet acte à la personne de son destinataire" ; jusqu'à, comme c'était le cas en l'espèce, adresser seul des réquisitions à la caisse d'allocations familiales pour obtenir d'elle l'adresse de la personne à convoquer.
Cette solution doit être approuvée : d'une part, une convocation en justice est plus un acte de poursuite que d'enquête ; d'autre part, les officiers et agents de police judiciaire se voient ainsi dotés d'un pouvoir qui, par ailleurs, a déjà été reconnu aux huissiers de justice (1).
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
II - La liberté du juge d'instruction dans l'appréciation du degré de suspicion
Par deux décisions, en date des 11 et 25 juin 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'intéresse aux pouvoirs du juge d'instruction dans l'appréciation des éléments de preuve recueillis contre un individu et des décisions qui peuvent en découler.
L'affaire concernée par le premier de ces deux arrêts est la suivante : le 10 novembre 2008, les deux occupants d'une cabine d'ascenseur qui s'était bloquée dans sa course ont été gravement blessés lors de l'intervention effectuée sur cette cabine par un technicien de maintenance salarié par une société. Au cours de l'information ouverte contre personne non dénommée, du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, ladite société, qui avait conçu et livré l'ascenseur, a fait l'objet, le 18 janvier 2012, d'un interrogatoire de première comparution, à l'issue duquel elle a bénéficié du statut de témoin assisté, avant d'être mise en examen du chef susvisé, par courrier recommandé avec avis de réception du 2 mai 2012. Le 8 juin 2012, la société a saisi la chambre de l'instruction d'une requête aux fins d'annulation de cette mise en examen, notamment au motif qu'elle considérait qu'aucun élément nouveau apparu depuis le placement sous le statut de témoin assisté ne justifiait son passage vers celui de mis en examen. La Cour de cassation rejette ce pourvoi en rappelant que "la mise en examen d'un témoin assisté peut être décidée à tout moment de la procédure par le juge d'instruction, la loi n'imposant pas d'autre condition que l'existence, à l'encontre de la personne concernée, [d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la société, comme auteur ou comme complice, à la commission de l'infraction], quel que soit le moment de leur apparition". La solution s'imposait.
Dans la seconde affaire, le demandeur au pourvoi reproche à l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 21 mars 2013, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises de la Moselle sous l'accusation de meurtres aggravés, d'avoir porté atteinte au principe de la présomption d'innocence en affirmant qu'il avait "vraisemblablement commis les meurtres objets de la procédure et vraisemblablement tué les deux victimes concernées", portant ainsi un jugement sur sa culpabilité. La réponse de la Chambre criminelle ne surprend pas : elle rejette le pourvoi, estimant que c'est sans méconnaître la présomption d'innocence que la chambre de l'instruction a relevé l'existence de charges qu'elle a estimé suffisantes contre le mis en examen pour ordonner son renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de meurtres aggravés. La terminologie retenue par la juridiction du fond, qui retient l'expression de "vraisemblance" de commission d'une infraction, appelle toutefois à la réflexion.
En effet, la vraisemblance est communément définie comme une "apparence de vérité" (2), littéralement, comme ce qui semble être vrai. N'est donc pas vraisemblable ce qui est certain ou, à l'inverse, ce qui est invraisemblable, c'est-à-dire ce qui semble être contraire à la vérité. Or, pendant la phase de recherche probatoire, en l'espèce, pendant celle de l'instruction préparatoire, ni la culpabilité, ni l'innocence ne sont certaines. Au contraire, le procès correspond à une avancée, dans la probabilité, vers l'une ou l'autre de ces deux issues. "La phase préliminaire du procès pénal (à tout prendre : tout le procès pénal) n'est jamais qu'une suite d'approximations progressivement vérifiées" (3).
Les deux décisions des 11 et 25 juin 2013 illustrent le fait que le vocabulaire employé par le législateur, pour justifier l'évolution des règles de procédure applicables à un individu, est révélateur d'une progression liée au renforcement des soupçons, conditionnant ici les pouvoirs du juge d'instruction. Un auteur emploie avec justesse l'expression de "paliers de la vraisemblance" (4) pour en parler. Le premier niveau est logiquement constitué par l'absence de soupçon de commission d'une infraction. Ensuite, existent les indices ou les raisons plausibles de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre une infraction. Au niveau de soupçon supérieur, le législateur prévoit l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation d'une personne à la commission d'une infraction. Ils correspondent notamment à la suspicion minimale autorisant la mise en examen par le juge d'instruction (5). Enfin, le Code de procédure pénale évoque les charges. Ainsi, le suspect a, en vertu de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, le droit d'être informé des "charges retenues" contre lui, et le procureur de la République qui souhaite, par dérogation au secret de l'instruction, rendre publics des éléments tirés de la procédure, peut le faire sous réserve de ne pas porter d'appréciation sur "le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause" (6). Les charges semblent alors se confondre avec les indices, puisqu'elles peuvent exister dès l'ouverture d'une enquête et perdurer sous l'empire d'une information judiciaire ; elles revêtent une certaine généralité.
Le niveau le plus élevé de vraisemblance de culpabilité, soit le dernier avant la certitude résultant du jugement, est enfin atteint lorsque les charges sont telles qu'elles justifient le renvoi devant une juridiction de jugement. En effet, le législateur réserve au juge d'instruction l'examen des charges existant à l'encontre du mis en examen (7). A partir du moment où les charges sont suffisantes, le suspect change de nom, il devient prévenu ou accusé. Le fait de réserver ce vocable aux phases les plus sérieuses du procès pénal est le reflet de sa correspondance avec un très haut degré de vraisemblance de culpabilité. C'est lui qui était concerné par la seconde des deux décisions examinées et qui justifie l'emploi de l'expression "vraisemblance" de commission d'une infraction, puisque c'est bien de cela dont il s'agit dans le cadre d'un examen des charges. En effet, à ce stade, pas de certitude. La preuve, de la culpabilité ou de l'innocence du mis en cause, ne surgira qu'à l'issue du procès. Jusque là, elle n'est que l'objet de la recherche probatoire. "Les charges ne sont pas des preuves [...]. Est preuve, non ce qui est convaincant, mais ce qui a convaincu et, bien plus, a convaincu le juge" (8). Ce panel des expressions indiquant les différentes strates de suspicion rappelle qu'il faut donc parler, par préférence, d'élément de preuve plutôt que de preuve, la première de ces expressions signifiant simplement que l'élément en question peut servir à prouver l'innocence ou la culpabilité. Seule la juridiction de jugement est apte à les convertir en preuve, ce vers quoi, dans les deux décisions des 11 et 25 juin 2013, le juge d'instruction n'avait pas prétendu tendre, dès lors qu'il s'était limité à une appréciation des éléments de preuve relevant de sa compétence.
Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
III - Le devoir d'information de l'enquêteur à l'égard du magistrat
Deux modalités principales sont envisageables lorsqu'il s'agit, pour un magistrat, de contrôler la recherche probatoire menée par la police judiciaire : l'information ou l'autorisation. Le devoir d'information consiste à renseigner le magistrat concerné, à lui donner connaissance d'un acte en cours ou à venir. Le magistrat peut alors laisser faire, interdire ou interrompre la mesure coercitive selon qu'elle a débuté ou non. Exiger de l'enquêteur l'obtention d'une autorisation est plus rigoureux puisque, à défaut ou dans l'attente de l'accord, l'enquêteur ne peut pas agir, à peine d'irrégularité. Cette modalité de contrôle est réservée aux actes d'investigation les plus coercitifs, comme la prolongation d'une garde à vue au-delà des 24 premières heures. L'autorisation précède l'action policière, qu'elle conditionne, alors que l'information, qui intervient le plus souvent a priori, peut également être attendue a posteriori.
Dans l'affaire jugée le 25 juin 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l'un des points litigieux et le seul qui ait donné lieu à cassation, portait sur le degré de précision de l'information qu'un enquêteur doit délivrer au procureur de la République lorsque cette obligation est prescrite par la loi, en l'espèce par la combinaison des articles 62-2 (N° Lexbase : L9627IPA) et 63, alinéa 2 (N° Lexbase : L9743IPK), du Code de procédure pénale, à l'occasion d'un placement en garde à vue.
Le pourvoi était formé par deux individus, faisant l'objet d'une information judiciaire du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, contre un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 février 2013, qui avait rejeté leur demande d'annulation de pièces de la procédure. Cette juridiction avait estimé que l'absence de mention, dans le procès-verbal relatant l'information donnée au procureur de la République de leur placement en garde à vue, des motifs justifiant cette mesure, n'emportait pas une telle annulation. Selon la chambre de l'instruction, il se déduisait de la pièce en cause qu'en rendant compte à ce magistrat des investigations ayant abouti à l'interpellation des intéressés, l'officier de police judiciaire l'avait nécessairement informé de la qualification des faits notifiée à ceux-ci. En outre, le procureur de la République avait prescrit à l'officier de police judiciaire de poursuivre l'enquête et de différer l'avis aux familles sollicité par les mis en cause, ce dont il se déduisait encore qu'il avait été avisé des motifs de la garde à vue et qu'il en avait exercé dès le début un contrôle effectif. En conséquence, la chambre de l'instruction estimait qu'il n'avait pas été porté atteinte aux droits des requérants.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, au visa des articles 62-2 et 63, alinéa 2, du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9584IPN), a au contraire jugé "qu'il résulte de ces textes que lorsque l'officier de police judiciaire informe le procureur de la République d'un placement en garde à vue, il doit lui donner connaissance des motifs de ce placement et en faire mention dans le procès-verbal ; [...] le défaut d'accomplissement de ces formalités fait nécessairement grief à la personne concernée". Elle a ajouté que les éléments retenus par la chambre de l'instruction pour motiver le rejet de la demande d'annulation "étaient insuffisants à établir que le procureur de la République avait reçu l'information prescrite par la loi et nécessaire à l'exercice de ses prérogatives". Que penser de cette analyse ?
L'information occupe une place centrale dans la phase de la recherche probatoire et le devoir de rendre compte est la principale charge des enquêteurs à l'égard du parquet. En effet, elle est propre à garantir l'effectivité du contrôle judiciaire sur la mission de police judiciaire.
Or, s'agissant précisément de la décision de placement en garde à vue en cause en l'espèce, ce contrôle doit être efficace puisqu'il est le seul contrôle existant de l'opportunité d'une telle mesure. En effet, le 4 janvier 2005, la Cour de cassation a décidé que la décision de placement en garde à vue "relève d'une faculté que l'officier de police judiciaire tient de la loi et qu'il exerce [...] sous le seul contrôle du procureur de la République ou, le cas échéant, du juge d'instruction", refusant tout droit de regard à la chambre de l'instruction et aux juridictions de jugement (9). Cette décision, rendue sous l'empire de l'ancienne rédaction des articles relatifs à la garde à vue, n'a pas, depuis, fait l'objet d'un revirement. Au contraire, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 rappelle au premier alinéa de l'article 63 que le placement en garde à vue dans le cadre d'une enquête de flagrance peut être opéré d'office -ou sur instruction du procureur de la République-.
La rédaction issue de la nouvelle loi apporte des indications intéressantes et attendues sur le devoir d'information dont il est question, puisqu'elle précise que l'officier de police judiciaire informe le procureur de la République, "par tout moyen" -mention préalablement inexistante- et elle détaille le contenu de l'information qu'il doit délivrer, soit le placement en garde à vue lui-même, les motifs justifiant ce placement et la qualification des faits qu'il a notifiée au gardé à vue. La loi ne précise pas expressément qu'il doit en faire mention dans le procès-verbal, mais c'est pourtant bien ce que déduit la Chambre criminelle de la formulation de cette exigence dans le présent arrêt, ledit procès-verbal étant le seul moyen d'opérer un véritable contrôle du respect des exigences légales. En pratique, il est vrai qu'il ne peut se déduire d'une information relative aux investigations ayant abouti à l'interpellation de mis en cause, la nécessaire information de la qualification juridique précise des faits notifiés à l'intéressé, sans méconnaître les contraintes de la permanence téléphonique du Parquet. Le magistrat de permanence donne des orientations, après avoir procédé à des vérifications, sans forcément entrer dans un tel détail faute de temps. L'article 63, alinéa 2, dispose que le Procureur de la République peut modifier la qualification retenue et notifiée par l'enquêteur, qui doit alors faire l'objet d'une nouvelle notification à l'intéressé, montrant l'importance de cette information. Elle est destinée à se conformer aux exigences de l'article 6-3, a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) en vertu duquel tout accusé a droit à "être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui".
Enfin, il faut constater que, par cette décision, la Chambre criminelle porte à un haut niveau son exigence relativement au devoir d'information de l'enquêteur en cause en l'espèce dès lors qu'elle juge que le défaut d'accomplissement des formalités en cause "fait nécessairement grief à la personne concernée". Par l'emploi de cette formule, elle classe cette cause de nullité parmi les nullités assimilées aux nullités d'ordre public, c'est-à-dire parmi celles qui, nécessitant un grief pour emporter l'annulation, n'en nécessite toutefois pas la démonstration, la Cour de cassation considérant que le grief est présumé.
Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
IV - L'article 6-1 du Code de procédure pénale
Bien qu'il ne marque pas l'achèvement de l'interminable affaire dite "des fadettes", l'arrêt rendu le 25 juin 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne manque pas d'intérêt. Il apporte effectivement une précision utile à l'interprétation d'une disposition peu connue du Code de procédure pénale : l'article 6-1 (N° Lexbase : L9880IQY), en vertu duquel "lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire impliquerait la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie. Le délai de prescription de l'action publique court à compter de cette décision". Pour le dire plus clairement, cette disposition "instaure un obstacle à l'action publique si les agissements délictueux reprochés à une personne concourrant à la procédure constituent, à la fois, l'un des éléments d'une infraction, criminelle ou délictuelle, et une irrégularité procédurale, tant que cette dernière n'aura pas été constatée définitivement par la juridiction répressive saisie de l'affaire au cours de laquelle elle a eu lieu" (10).
Rappelons rapidement le contexte : un journal notoire publie un article dans lequel sont relatées l'audition d'une milliardaire non moins notoire, ainsi que la perquisition effectuée à son domicile, ces actes s'étant déroulés dans le cadre d'une procédure engagée du chef d'abus de faiblesse de ladite milliardaire. En réaction, celle-ci engage à son tour une procédure du chef de violation du secret professionnel et du secret de l'instruction. Les enquêteurs alors saisis procèdent, sur requête du procureur de la République, à des réquisitions téléphoniques, qui leur permettent d'identifier les numéros des appels émis et reçus par certains journalistes. Ces réquisitions font cependant l'objet d'une annulation, durant l'instruction consécutivement ouverte. Un premier pourvoi formé contre la décision rendue par la chambre de l'instruction à cet égard est rejeté par la Cour de cassation le 6 décembre 2011 (11).
Parallèlement, les journalistes "écoutés" engagent une procédure à l'encontre du procureur "écouteur", des chefs de collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique, violation du secret professionnel et recel. Mis en examen avec son adjointe, le procureur présente néanmoins, dans ce nouveau cadre, différentes requêtes en nullité. Il soutient essentiellement, qu'en l'espèce, une information ne pouvait être ouverte sans qu'il soit contrevenu à l'article 6-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9880IQY), les infractions dénoncées supposant la commission d'une irrégularité de procédure définitivement constatée par la juridiction répressive saisie. Soulignons ici, car c'est fondamental, que la procédure qui allait mener à l'annulation des réquisitions téléphoniques n'était pas encore achevée, bref qu'il n'existait pas encore, sur ce point précis, de décision définitive.
La chambre de l'instruction fait droit aux requêtes des mis en examen, au terme du raisonnement suivant : l'atteinte à la protection des sources, telle que dénoncée par les parties civiles, impliquait bien la violation d'une disposition de procédure pénale au sens de l'article 6-1 du Code de procédure pénale. Toutefois, à la date de mise en mouvement de l'action publique, aucune décision définitive n'avait encore constaté le caractère illégal des réquisitions du procureur de la République (c'est ce que nous avons précisé juste avant). Et la circonstance que, postérieurement à l'engagement des poursuites, ce caractère illégal ait été définitivement reconnu (par l'arrêt rendu le 6 décembre 2011), n'a pas eu pour effet de valider a posteriori la plainte avec constitution de partie civile. Au surplus, précisent encore les juges du fond, un recours en indemnisation est ouvert devant le juge civil à quiconque aurait été mis dans l'incapacité de poursuivre l'annulation de l'acte à l'origine du délit ou crime prétendument commis.
Ce raisonnement est finalement conforté par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi formé par les parties civiles. "D'une part, [selon elle], les délits dénoncés impliquant la violation de dispositions de procédure pénale, l'action publique ne pouvait être engagée qu'après la constatation définitive du caractère illégal des actes accomplis" ; "d'autre part, les demandeurs disposaient d'un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4746AQT)".
Cette motivation est sans aucun doute trop lapidaire, mais elle n'est pas pour autant lacunaire. Les auteurs du pourvoi prétendaient notamment que ce n'était qu'incidemment que les infractions commises par le procureur avaient participé à la procédure. Il est vrai que l'arrêt qui prononce l'annulation des actes requis par le procureur ne se réfère pas à la commission d'infractions par ce dernier. Pour autant, les juges du fond n'étaient alors pas saisis pour effectuer un tel constat, qui échappait donc à leur office. Il n'appartenait qu'aux juges saisis de ces infractions, puis de la fin de non-recevoir que constitue l'article 6-1, de déterminer une causalité qu'il paraît, en l'occurrence, très difficile de dénier : le comportement infractionnel et l'irrespect des règles de procédure ne sont ici que les deux faces d'une même pièce.
Plus pertinemment, les auteurs du pourvoi mettaient également en avant le caractère en principe rétroactif d'une annulation, celui-ci étant cependant neutralisé par les termes mêmes de l'article 6-1 du Code de procédure pénale. La démonstration du caractère illégal des actes accomplis représente, en effet, la condition préalable de la mise en oeuvre de l'action publique dans la situation précisée par le texte. Aussi les journalistes auraient-ils dû attendre, avant d'agir, l'issue du premier procès. La sanction est radicale, puisque seul importe le moment de leur action qui, parce qu'il n'a pas été le bon, les empêche de la "régulariser" ou encore d'agir de nouveau, en raison de l'autorité de la chose jugée.
En définitive, la seule chose qui peut être discutée n'est pas tant la bonne application de l'article 6-1 du Code de procédure pénale en l'espèce, que l'opportunité de sa rédaction actuelle. Si, en l'état, cet article remplit bien son rôle de protection du bon déroulement des procédures et des personnes y concourant, il paraît bien déséquilibré et le paraît d'autant plus à l'heure où la Chambre criminelle marque de nets reculs dans l'ouverture de la qualité à agir en annulation d'un acte (12).
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
(1) Voir C. proc. civ. exécution, art. L. 152-1 (N° Lexbase : L5827IRA). Ce pouvoir leur a été reconnu par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU).
(2) Le grand Robert de la langue française.
(3) C. Lombois, De la compassion territoriale, Rev. sc. crim., 1995, p. 399, spéc. p. 402.
(4) C. Guéry, Les paliers de la vraisemblance pendant l'instruction préparatoire, JCP éd. G, 1998, I, 140.
(5) C. proc. pén., art. 80-1, al. 1er (N° Lexbase : L3711IGK) (en deçà, il est loisible à ce magistrat de recourir au statut de témoin assisté : C. proc. pén., art. 154-2, al. 2 (N° Lexbase : L5552DYB) ; C. proc. pén., art. 113-8, al. 1er (N° Lexbase : L3293IQZ) pour la mise en examen du témoin assisté.
(6) C. proc. pén., art. 11, al. 3 (N° Lexbase : L7022A4T).
(7) C. proc. pén., art. 176 (N° Lexbase : L3709IGH).
(8) C. Lombois, La présomption d'innocence, Pouvoirs, 1990, n° 55, p. 81, spéc. p. 89.
(9) Cass. crim., 4 janvier 2005, n° 04-84.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A0950DGB), Bull. crim., n° 3.
(10) Voir M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse Toulouse 1-Capitole, 2010, n° 85.
(11) Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 11-83.970, FS-P+B (N° Lexbase : A1902H49).
(12) Voir M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, préc., n° 86 ; et nos obs. in Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9).
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