Réf. : T. confl., 8 juillet 2013, n° 3919 (N° Lexbase : A8360KIH)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 12 Septembre 2013
Résumé
Sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle sur la légalité de l'autorisation administrative afférente à sa mise en retraite, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître des conclusions présentées par un salarié contre son ancien employeur, en ce qu'elles tendent à l'indemnisation des conséquences dommageables des manquements imputés à celle-ci dans l'application du plan de sauvegarde de l'emploi adopté dans la société. |
Observations
I - La séparation des autorités administratives et judiciaires
Principe. Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, il est fait interdiction aux tribunaux judiciaires de connaître des actes d'administration. Appliqué à la question qui nous intéresse ici, cette exigence fait obstacle à ce que la juridiction prud'homale porte le regard sur l'autorisation de licencier ou, en l'occurrence et nous y reviendrons plus tard, de mise à la retraite d'un salarié protégé délivrée par cette autorité administrative qu'est l'inspecteur du travail. C'est ce que rappelle en l'espèce le Tribunal des conflits, en affirmant que "la juridiction judiciaire ne peut, sans méconnaître le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, contrôler les appréciations portées par l'autorité administrative lorsqu'elle autorise un employeur à rompre le contrat de travail qui le lie à un salarié protégé".
Il résulte de cela que le juge judiciaire ne saurait se prononcer sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement, qu'il ait été autorisé ou non par l'administration (1), ou sur le respect des règles (légales et conventionnelles) de procédure qui devaient être suivies avant la saisine de l'inspecteur et dont ce dernier devait contrôler l'observation (2). Dans tous les cas, il s'agit, au fond, de déterminer ce qui a été nécessairement pris en compte par l'autorité administrative au moment de prendre sa décision. Sur ces éléments, le juge judiciaire ne peut revenir.
Exceptions. Ainsi que le précise le Tribunal des conflits dans l'arrêt rapporté, la juridiction judiciaire demeure compétente "pour connaître, le cas échéant après appréciation par le juge administratif de la légalité de l'autorisation délivrée, de conclusions à fin d'indemnisation présentées par le salarié contre son ancien employeur et fondées sur un manquement de ce dernier à ses obligations nées du contrat de travail, qui, antérieur à la rupture, n'a pas été nécessairement pris en considération par l'autorité administrative lors de la procédure d'autorisation". Pleinement justifiée, cette exception au principe précédemment décrit est également retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation, même si elle est moins clairement formulée (3).
Là encore, tout dépend des éléments qui ont été pris en compte par l'inspecteur du travail pour arrêter sa décision. Par exemple, si l'autorisation de licenciement accordée par l'autorité administrative ne prive pas le salarié protégé du droit d'obtenir réparation des préjudices résultant, pour la période antérieure à son licenciement, des manquements de l'employeur à ses obligations, notamment à son obligation de sécurité de résultat, elle ne lui permet plus toutefois de contester pour ce motif la validité ou la cause de la rupture de son contrat de travail.
II - La mise en oeuvre du principe
L'affaire. En l'espèce, par décisions non frappées de recours, l'inspecteur du travail puis le ministre du Travail avaient autorisé un employeur à mettre à la retraite M. A., salarié protégé, en application des dispositions de l'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS) et de l'accord de branche conclu dans le secteur des assurances le 14 octobre 2004 et étendu le 29 juin 2005. Mis à la retraite en 2009, le salarié avait alors saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui aurait causé le comportement fautif de son employeur durant l'exécution du contrat de travail. A cet égard, il avait fait valoir que son employeur l'aurait privé du bénéfice du dispositif de départ volontaire mis en place dans l'entreprise en application du plan de sauvegarde de l'emploi signé en juillet 2008.
Par jugement du 2 novembre 2011, le conseil de prud'hommes de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence dont l'avait saisi le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, et a sursis à statuer. Sur appel de la société employeur, la cour d'appel de Paris a rejeté, par un arrêt du 20 septembre 2012 (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 20 septembre 2012, n° S 11/12172 N° Lexbase : A1267IT4), le déclinatoire de compétence dont l'avait saisie le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, et sursis à statuer. Le préfet a élevé le conflit par un arrêté du 17 octobre 2012.
Le Tribunal des conflits décide d'annuler cet arrêté. Après avoir rappelé les termes de l'article L. 1237-5 du Code du travail, il souligne, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, que "si la juridiction judiciaire ne peut, sans méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, contrôler les appréciations portées par l'autorité administrative lorsqu'elle autorise un employeur à rompre le contrat de travail qui le lie à un salarié protégé, elle n'en demeure pas moins compétente pour connaître, le cas échéant après appréciation par le juge administratif de la légalité de l'autorisation ainsi délivrée, de conclusions à fin d'indemnisation présentées par le salarié contre son ancien employeur et fondées sur un manquement de ce dernier à ses obligations nées du contrat de travail, qui, antérieur à la rupture, n'a pas été nécessairement pris en considération par l'autorité administrative lors de la procédure d'autorisation". Le Tribunal des conflits affirme, en conséquence, que "sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle sur la légalité de l'autorisation administrative afférente à sa mise en retraite, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître des conclusions présentées par M. A. contre son ancien employeur, en ce qu'elles tendent à l'indemnisation des conséquences dommageables des manquements imputés à celle-ci dans l'application du plan de sauvegarde de l'emploi adopté dans la société".
Une solution justifiée. Au même titre que son licenciement, la mise à la retraite d'un salarié protégé ne peut intervenir sans l'aval de l'inspecteur du travail. En l'espèce, il apparaît qu'une telle autorisation avait bien été sollicitée et obtenue par l'employeur.
Saisie d'une telle demande, il appartenait à l'autorité administrative de vérifier que les conditions requises par l'article L. 1237-5 du Code du travail pour qu'un salarié puisse être mis à la retraite étaient remplies. Par suite, et conformément à ce qui a été énoncé précédemment, le salarié ne pouvait contester cette mise à la retraite devant le juge judiciaire en arguant par exemple qu'il n'avait pas atteint l'âge requis ou qu'il n'avait pas cotisé suffisamment. Ces éléments ont, en effet, été nécessairement pris en compte par l'autorité administrative lors de la procédure d'autorisation. Mais tel n'était pas l'objet de la demande du salarié. Celui-ci se plaignait de n'avoir pu bénéficier des mesures de départ volontaire prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi (4). Or, et à l'évidence, il y a là une question qui n'a rien à voir avec la décision de l'inspecteur du travail et qui, de ce fait, ne peut aboutir à un contrôle de celle-ci par le juge judiciaire. On en vient d'ailleurs à se demander ce qui avait pu motiver la décision du préfet de la région Ile-de-France.
Il est à remarquer que le Tribunal des conflits admet la compétence du juge judiciaire, sous la réserve d'une éventuelle question préjudicielle sur la légalité de l'autorisation administrative relative à la mise à la retraite du salarié. On peut comprendre ici que, si une telle question est posée, le juge judiciaire doit nécessairement surseoir à statuer. Telle n'est sans doute pas l'interprétation à retenir. A notre sens, le Tribunal des conflits entend ainsi renvoyer à l'hypothèse dans laquelle le juge judiciaire ne pourrait statuer sur la demande du salarié sans que la légalité de l'acte administratif soit d'abord examinée.
(1) V., à titre d'ex., au sein d'une jurisprudence abondante, Cass. soc. 7 juin 2005, n° 02-47.374, F-D (N° Lexbase : A6427DIU) : JCP éd. S, 2005, 1158, note P. Morvan.
(2) Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-40.071, publié (N° Lexbase : A5232DCR), Bull. civ. V, n° 159.
(3) V. notamment, Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-18.417, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9352HZE), Dr. soc., 2012, p. 103, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 10-20.584, FP-D (N° Lexbase : A5532IYK).
(4) Il faut ici rappeler que les stipulations du plan de sauvegarde de l'emploi engagent l'employeur, qui doit en faire bénéficier ses salariés : Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-42.645, inédit (N° Lexbase : A6433DDM).
Décision
T. confl., 8 juillet 2013, n° 3919 (N° Lexbase : A8360KIH) Texte concerné : C. trav., art. 1237-5 (N° Lexbase : L3091INS) Mots-clés : salarié protégé, mise à la retraite, plan de sauvegarde de l'emploi, application, contestation par le salarié, compétence du juge judiciaire Liens base : (N° Lexbase : E9336ESL) |
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