La lettre juridique n°539 du 12 septembre 2013 : Éditorial

Changement de résidence de l'un des parents : "couvrez ce sein que je ne saurais voir"*

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Changement de résidence de l'un des parents : "couvrez ce sein que je ne saurais voir"*. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/9392087-changement-de-residence-de-lun-des-parents-i-couvrez-ce-sein-que-je-ne-saurais-voir-i-
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"L'île [de Sein] peut être assurément regardée comme étant un lieu de vie relativement hostile pour les enfants". Que n'avait-il pas dit, ce magistrat montpelliérain, rejetant ainsi, en août dernier, la demande, formulée par une mère divorcée, d'aller s'installer sur l'île bretonne ancrée au large de la pointe du Raz ?

La formulation, sans ambages, manque, elle, assurément de subtilité ; alors qu'il eut suffi de préciser simplement que l'installation de la mère et ses enfants à Sein rendrait les trajets des enfants vers Montpellier, où vit leur père, extrêmement difficiles en raison de l'insularité et des marées. Or, selon l'article 373-2 du Code civil, "chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent". C'est pourquoi le même article dispose que "tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une information préalable et en temps utile de l'autre parent". Aussi, "en cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant. Le juge répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant". Sauf que l'intérêt de l'enfant peut, tout simplement, être de ne pas déménager dans un lieu trop distant et difficile d'accès de celui dans lequel réside son autre parent.

La solution n'est évidemment pas nouvelle en soi. On pourrait s'étonner de cette restriction à la liberté nouvellement conquise du conjoint divorcé, mais l'exercice conjoint de l'autorité parentale, malgré la séparation, n'est pas un vain acquis de l'enfant. L'article 373-2 du Code civil est parfaitement explicite : "la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale". Et, plus largement, on comprendra que cette séparation doit revêtir le moins d'incidence néfaste sur la vie quotidienne de l'enfant en quête d'une nouvelle stabilité -d'où les tentatives de développer la garde alternée, bien que l'organisation majoritaire demeure la garde associée à un droit de visite-. C'est ainsi qu'en 2012 la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion rejeta l'installation d'une mère brésilienne et de ses enfants, dans son pays d'origine, trop éloigné du domicile du père réunionnais. Le motif invoqué n'était pas, pour le coup, l'hostilité du pays, bien que ses principales agglomérations soient considérées comme les plus dangereuses du monde ; mais, le magistrat rappelait (sic) le choix originel de la mère d'élever ses enfants sur l'île de la Réunion et le besoin de stabilité de l'enfant. Une décision de la cour d'appel de Nîmes, rendue en 2011, statuait d'ailleurs dans le même sens (étrangement le Brésil était, là aussi, de la partie).

Mais que l'on ne s'y méprenne pas. Il est tout à fait permis au parent séparé de s'installer dans un autre pays ou dans un lieu éloigné de celui où réside son ex-conjoint malgré les difficultés d'exercice du droit de visite. La cour d'appel de Montpellier, justement, avait en 2006 accordé à une mère le droit de s'installer aux Baléares (encore une île), alors que le père résidait à Perpignan. La cour a, toutefois, revu les conditions d'exercice du droit de visite et la participation de la mère aux coûts des trajets engendrés par cet éloignement.

Non, la seule originalité du jugement montpelliérain d'août dernier réside dans la motivation orchestrée par le magistrat. Taxer un territoire de la République (Une et Indivisible) d'hostile pour les enfants en raison de l'insularité, du climat, des marées, etc. n'était pas du meilleur goût ; non seulement au regard de la continuité territoriale que s'efforce d'assurer l'Etat et la région de Bretagne, mais également au regard de l'image touristique que se forge cette petite île de 140 habitants à l'année, dont six enfants sont inscrits en primaire et sept au collège. Compagnon de la Libération -les pêcheurs de l'île de Sein ayant été les premiers français à rejoindre le Général de Gaulle à Londres après l'appel du 18 juin-, l'île ne s'attendait certainement pas à connaître pareil camouflet.

"Par de pareils objets, les âmes sont blessées"*.

La "pilule" est d'autant plus difficile à faire passer que la loi du 29 juillet 1881 prévoit que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Et, même si les faits diffamatoires étrangers à la cause pourront donner ouverture soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers, la motivation de la décision d'un magistrat, ni le moyen développé par l'avocat du père, ne peuvent être considérés comme "étrangers à la cause", bien au contraire. Le maire de l'île, tout courroucé qu'il soit, ne pourra donc pas engager d'action sur ce terrain-ci. Tout au plus peut-il y avoir rectification du jugement ; mais là encore ce sont les motifs mêmes de la décision qui seraient en cause et non une simple erreur matérielle.

L'île de Sein n'est assurément pas "l'île aux enfants", mais quand on pense que l'une de ses probables étymologies est "l'île aux fées"... On aurait pu penser que le magistrat eut été sensible aux charmes enchanteurs des lieux...

* Molière, in Tartuffe

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