La lettre juridique n°539 du 12 septembre 2013 : Sociétés

[Jurisprudence] Le sort de la décision collective d'exclusion pour laquelle l'associé exclu est privé du droit de vote

Réf. : Cass. com., 9 juillet 2013, deux arrêts, n° 11- 27.235, FS-P+B (N° Lexbase : A8650KI9) et n° 12-21.238, FS-P+B (N° Lexbase : A8660KIL)

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 12 Septembre 2013

Par deux décisions du 9 juillet 2013, importantes et bien articulées, la Cour de cassation perfectionne la position qui est la sienne à propos de la décision d'exclusion d'un associé d'une société par actions simplifiée. La Haute juridiction y réaffirme les exigences requises lorsqu'une telle décision relève de la compétence de la collectivité des associés. S'appuyant sur le droit de tout associé de participer aux décisions collectives et de voter que lui reconnaît l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), la Chambre commerciale confirme que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi. En conséquence, doit être annulée la décision d'exclusion prise par la collectivité des associés alors que l'associé concerné a été écarté du vote par l'effet d'une stipulation statutaire. Enfin, se trouve clairement écartée la possibilité pour le juge de se substituer aux organes de la société en ordonnant la modification de la clause statutaire contraire aux dispositions impératives imposant le droit pour l'associé visé par l'exclusion de prendre part au vote. Si chacune de ces trois propositions mérite d'être examinée en ce qu'elle contribue à fixer le cadre juridique de l'exclusion de l'associé de SAS, l'ensemble des enseignements retirés des arrêts ici rapportés devrait peut-être conduire en pratique à préférer un mode d'exclusion d'un associé qui ne suppose pas une décision collective des associés.

I - L'associé visé par l'exclusion doit participer à la décision et voter

On sait depuis un arrêt du 23 octobre 2007 (Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-16.537, FS-P+B+I N° Lexbase : A8236DYP, D., 2007, AJ, p. 2726, obs. A. Lienhard ; D., 2008, Jur. p. 47, note Y. Paclot ; D., 2009, Pan., p. 323, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Rev. Sociétés, 2007, p. 814, note P. Le Cannu ; RTDCom., 2007, p. 791, obs. P. Le Cannu et B. Dondero) que, puisque tout associé a le droit de participer aux décisions collectives, il ne peut être privé du droit de participer à la délibération des associés destinée à se prononcer sur son exclusion.

Par l'arrêt n° 11-27.235, la Cour de cassation reprend la même position, venant ainsi renforcer cette vision de l'interprétation de l'article 1844 du Code civil. S'agissant de ce texte, la décision commentée confirme qu'au-delà d'une simple "participation de l'associé à la décision collective", il s'agit bien de lui reconnaître le droit de voter, ce qui est évidemment une conception bien plus rigoureuse de la lettre de cet article du Code civil qui ne fait état, dans son alinéa premier, que du droit de "participer" aux décisions collectives. On constate donc que coexistent deux interprétations de cet alinéa. Lorsqu'il s'agit de déterminer la répartition du droit de vote entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, la Cour de cassation admet la dissociation entre "participer" et "voter", puisque le nu-propriétaire peut être totalement privé du droit de vote alors même qu'il doit conserver le droit de participer aux décisions collectives (Cass. civ. 2, 13 juillet 2005, n° 02-15.904, FS-P+B N° Lexbase : A9112DIC ; Bull. Joly, 2006, p. 217, note P. Le Cannu). En revanche, lorsqu'il s'agit de se prononcer sur une décision relative à l'exclusion d'un associé, il n'est plus question de dissocier le droit reconnu à tout associé par l'article 1844 du Code civil : il doit tout à la fois pouvoir participer à la décision et voter. Dans l'hypothèse où l'exclusion devrait viser un associé nu-propriétaire, il faut sans doute imaginer que la conception unitaire de l'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil l'emportera sur la vision dualiste et que, même si le nu-propriétaire est valablement privé du droit de vote en général, il récupère ce droit lorsqu'il s'agit de se prononcer sur son exclusion de la société.

II - La décision collective ayant prononcé l'exclusion doit être annulée

Le raisonnement de la Cour de cassation se poursuit fort logiquement. Après avoir rappelé que les statuts ne peuvent déroger aux dispositions de l'article 1844 selon lesquelles tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, une décision d'exclusion prise sans que l'associé visé ne prenne part au vote doit être annulée.

Dans l'affaire ayant donné lieu aux arrêts ici rapportés, une clause des statuts prévoyait en effet que "l'associé dont l'exclusion est susceptible d'être prononcée ne participe pas au vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul de la majorité". La clause était aussi habile que dangereuse. Habile en ce qu'elle prenait le soin de faire abstraction des actions détenues par l'associé visé par la décision d'exclusion, évitant ainsi que les conditions de quorum et de majorité requises pour l'adoption d'une décision collective ne soient, le cas échéant, hors d'atteinte, compte tenu des droits détenus par ledit associé. Dangereuse, la clause l'était aussi puisqu'elle pouvait aboutir à ce que des associés minoritaires puissent évincer de la société l'associé majoritaire, réalisant ainsi une sorte de mutinerie, passant le capitaine par-dessus bord et s'appropriant la conduite du navire.

Dès lors que l'exclusion est intervenue sur le fondement d'une clause statutaire contraire à une disposition légale impérative, la délibération des associés ayant prononcé cette exclusion doit être annulée. Il s'agit là d'une stricte application de l'article 1844-10 du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS), dont l'alinéa trois, indique que la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition du titre du Code civil dans lequel figure justement l'article 1844. On peut relever que la Cour de cassation prend le soin de préciser qu'une telle clause doit être "pour le tout réputée non écrite". Il n'est pas très évident d'identifier avec assurance ce que la Cour de cassation entend par cette formule. Si l'on comprend que le mode de décision, écartant du vote l'associé visé, est dans la ligne de mire de la Haute juridiction puisqu'il s'agit d'une violation de la conception qu'elle retient de l'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil, il est plus douteux que soit aussi visée la partie de la clause qui identifie les causes d'exclusion. En l'espèce, la clause statutaire permettait l'exclusion en cas d'exercice par un associé d'une activité concurrente à celle de la société, ce qui paraît être un motif légitime d'exclusion. La question peut dès lors se poser de savoir ce qu'il adviendrait d'une décision d'exclusion, prise en considération d'un tel comportement de l'associé, mais à laquelle l'associé visait aurait participé, nonobstant la privation de droit de vote comprise dans la clause statutaire. Si la clause est invalidée pour le tout parce qu'elle comporte une privation du droit de vote, faut-il juger que la décision d'exclusion l'est aussi alors même qu'elle repose sur un cas d'exclusion légitime et que l'associé n'a pas été privé de son droit de vote ? On voit bien que le thème des conditions de validité des décisions relatives à l'exclusion d'un associé n'est pas encore totalement saturé.

III - Le juge ne peut ordonner la modification des statuts pour modifier la clause écartant l'associé du vote relatif à son exclusion

Dès lors qu'il est établi, sur le terrain jurisprudentiel, qu'une stipulation statutaire écartant du vote de l'exclusion l'associé visé par une telle décision est invalidée comme contraire à l'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil, les associés doivent réagir et procéder à la correction nécessaire des statuts afin de se mettre en conformité avec le droit positif.

En l'espèce, postérieurement à l'assignation en annulation de la décision de l'assemblée générale ayant prononcé l'exclusion contestée, les associés de la SAS, réunis en assemblée générale extraordinaire, avaient adopté à la majorité une résolution supprimant la stipulation statutaire selon laquelle l'associé dont l'exclusion est susceptible d'être prononcée ne participe pas au vote. L'associé visé par l'exclusion a alors demandé en justice qu'il soit constaté que cette résolution n'avait pas été valablement adoptée, faute d'avoir été votée à l'unanimité, règle pourtant prévue pour toute résolution relative à ce sujet. Les juges du fond ayant fait droit à cette demande, le pourvoi entendait voir juger que le juge pouvait lui-même sauver ladite décision en considérant qu'il lui fallait corriger la stipulation statutaire invalidée.

La position adoptée par la Chambre commerciale, dans l'arrêt n° 12-21.238, complète utilement la construction jurisprudentielle en précisant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de se substituer aux organes de la société en ordonnant une modification d'une clause statutaire au motif que celle-ci serait contraire aux dispositions légales impératives applicables. Le message est on ne peut plus clair et devra être pris en compte par la pratique. L'irrégularité qui affecte la clause statutaire privant de droit de vote l'associé visé par la décision d'exclusion demeure tant que les associés eux-mêmes, en application des règles légales et statutaires applicables, n'ont pas procédé à la correction requise. Si, comme en l'espèce, une telle correction ne peut être réalisée que par un vote unanime des associés, il n'y a pas de solutions alternatives et le juge ne dispose du pouvoir de procéder, proprio motu, à la modification qui serait nécessaire, même pour ramener les statuts dans le giron de la légalité.

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