Le Quotidien du 10 mars 2023 : Bancaire

[Brèves] Clause abusive et prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise

Réf. : Cass. civ. 1, 1er mars 2023, n° 21-20.260, F-B N° Lexbase : A17899GD

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N4571BZC

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[Brèves] Clause abusive et prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/93797702-breves-clause-abusive-et-prets-consentis-en-francs-suisses-et-remboursables-dans-la-meme-devise
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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 09 Mars 2023

► Ayant relevé que les clauses relatives à l’objet des contrats étaient parfaitement claires, s’agissant de prêts consentis en francs suisses et remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu’il n’existait aucun risque de change, une cour d’appel en déduit exactement que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif.

L’année 2022 a été particulièrement remarquée concernant les prêts en devise. Plusieurs décisions notables ont ainsi été rendues, à leur égard, par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 30 mars 2022, n° 19-17.996, FS-B N° Lexbase : A64737R8, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2022, n° 712 N° Lexbase : N1010BZG ; v. également, Cass. civ. 1, 30 mars 2022, six arrêts, n° 19-20.574, F-D N° Lexbase : A06207SR ; n° 19-18.998, FS-D N° Lexbase : A06697SL ; n° 19-22.074, F-D N° Lexbase : A07067SX ; n° 19-18.997, FS-D N° Lexbase : A07137S9 ; n° 19-12.947, F-D N° Lexbase : A07567SS ; n° 19-20.717, F-D N° Lexbase : A08087SQ ; Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, FS-B N° Lexbase : A08927UL, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1425BZS ;  Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-16.316, FS-B  N° Lexbase : A08787U3, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1304BZC ; Cass. civ. 1, 7 septembre 2022, n° 20-20.826, F-B N° Lexbase : A18858HB, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, septembre 2022, n° 727 N° Lexbase : N2562BZW). Il est vrai qu’une jurisprudence récente de la CJUE (CJUE, 10 juin 2021, deux arrêts, aff. C-609/19 N° Lexbase : A00894W9 et aff. C-776/19 à C-782/19  N° Lexbase : A00904WA, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase, Affaires, juin 2021, n° 680 N° Lexbase : N7922BY3) a eu des incidences notables en la matière.

Ce contentieux devrait continuer à donner lieu à des décisions remarquées. Nous en avons d’ores et déjà une illustration avec l’arrêt sélectionné.

Faits et procédure. Les faits étaient très simples. En mars 2008 et juillet 2009, la banque X., un établissement suisse, avait consenti à M. et Mme R., résidents français percevant des revenus en francs suisses, deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses. Cependant, le 10 juillet 2017, les emprunteurs avaient assigné la banque en invoquant le caractère abusif de certaines clauses et un manquement au devoir de mise en garde.

La cour d’appel de Chambéry ne leur ayant pas donné raison par un arrêt du 27 mai 2021 (CA Chambéry, 27 mai 2021, n° 19/01334 N° Lexbase : A08484TL), les époux R. avaient formé un pourvoi en cassation.

Décision. Deux moyens étaient mis en avant.

  • Droit des clauses abusives

En premier lieu, les emprunteurs faisaient grief à l’arrêt des juges du fond d’avoir rejeté leurs demandes tendant à voir déclarer abusives et réputées non écrites les clauses des contrats de prêt relatives au montant des prêts et aux modalités de paiement des échéances. Selon eux, en effet, en se bornant, pour dire que les clauses litigieuses, à savoir celles relatives aux montants des prêts et aux modalités de remboursement des échéances, qui constituaient l’objet principal de ces contrats, étaient parfaitement claires, à considérer qu’elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu’il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l’achat d’un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, sans vérifier si les contrats exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référaient les clauses concernées, de sorte que les emprunteurs pouvaient prévoir, sur la base de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour eux, et ce par référence à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, la cour d’appel aurait violé l’article L. 212-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B.

La Cour de cassation juge cependant le moyen non fondé.

Celle-ci déclare qu’après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l’objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu’il n’existait aucun risque de change, la cour d’appel en avait exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif.

Cette solution ne saurait surprendre. Aux termes de l’article L. 212-1, alinéa 3, du Code de la consommation : « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ». Il revient aux juges du fond de se prononcer sur cette clarté. Or, en l’occurrence, cette dernière avait bien été relevée par les magistrats de la cour d’appel de Chambéry.

  • Devoir de mise en garde

En second lieu, les emprunteurs reprochaient à ce même arrêt d’avoir déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, alors que l’action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime.

La Cour de cassation donne raison aux époux R. Selon elle, il résulte de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC que l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.

Or, pour déclarer prescrite la demande de dommages et intérêts, la cour d’appel de Chambéry avait considéré que les contrats de prêt litigieux avaient été souscrits les 13 mars 2008 et 15 juillet 2009 et que les emprunteurs avaient recherché la responsabilité de la banque par assignation du 10 juillet 2017, soit plus de cinq années plus tard.

Dès lors, en statuant ainsi, la cour d’appel avait violé le texte précité. La Haute juridiction casse et annule la décision des juges du fond, en ce qu’elle avait déclaré irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité formée par M. et Mme R. à l'encontre de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. L’affaire est alors renvoyée devant la cour d'appel de Grenoble qui devra se prononcer sur l’éventuel manquement au devoir de mise en garde.

Cette solution est également convaincante. Elle va dans le sens d’autres décisions dégagées ces dernières années par la Chambre commerciale (Cass. com., 22 janvier 2020, n° 17-20.819, F-D N° Lexbase : A59293CL ; Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-12.693, F-D N° Lexbase : A12194PT) et la première chambre civile (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-18.893, FS-B N° Lexbase : A42197HQ, V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 701 N° Lexbase : N9989BYM) de la Cour de cassation.

Pour aller plus, loin : v. ÉTUDE : Le crédit immobilier, Les prêts en devise, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E8578B4H.

 

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