Le Quotidien du 16 décembre 2022 : Bancaire

[Brèves] Précisions sur l’interdiction temporaire d’activité infligée par l’ACPR

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 9 décembre 2022, n° 456582, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A12038Y9

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[Brèves] Précisions sur l’interdiction temporaire d’activité infligée par l’ACPR. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/90641859-0
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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 15 Décembre 2022

► D’abord, concernant l’interdiction temporaire d’activité infligée par l’ACPR, si la société requérante fait valoir que la décision a en réalité pour but d’évincer du marché les établissements d'émission et de gestion de monnaie électronique de taille modeste, elle doit apporter des éléments pour étayer ses allégations ; à défaut, le moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir doit être écarté ;

Ensuite, concernant la publication de la décision de l’ACPR, il apparaît que celle-ci visait à informer les clients, actuels ou potentiels, de la société de ce que leurs fonds risquaient de ne plus être protégés à compter de la date de résiliation du contrat d'assurance instituant la garantie financière exigée par l'article L. 526-32 du Code monétaire et financier ; le détournement de pouvoir allégué à ce titre n’est donc pas davantage établi ;

Enfin, concernant la continuation de l’activité sous le régime dérogatoire de l’article L. 525-5 du Code monétaire et financier, qui est subordonnée à l’autorisation de l’ACPR, la société s’étant bornée à indiquer son intention de déposer postérieurement une demande d’autorisation, les moyens soulevés sur ce point ne peuvent qu’être écartés.

Si le contentieux des décisions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relève de la compétence de la juridiction administrative en raison du statut d’autorité administrative de l’ACPR, les pouvoirs du juge administratif varient toutefois selon la nature du recours juridictionnel exercé. En effet, si les décisions prononcées par la commission des sanctions peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction (C. mon. fin., art. L. 612-16, III N° Lexbase : L7992KG4 ; v. récemment, CE, 9° ch., 20 octobre 2022, n° 449164 N° Lexbase : A21528QR), les autres décisions de l’ACPR ne peuvent être attaquées que par la voie du recours pour excès de pouvoir (v. récemment, CE, 9° ch., 27 octobre 2022, n° 455735 N° Lexbase : A22248RS). La différence est importante puisque le juge du plein contentieux peut être saisi de demandes en annulation ou réformation, alors que le juge de l’excès de pouvoir ne peut pas substituer sa propre décision à celle de l’autorité administrative.

Cette seconde solution se retrouve dans l’arrêt sélectionné.

Faits et procédure. En l’espèce, à la suite d’un contrôle réalisé entre le 30 avril et le 11 mai 2021, le collège de supervision de l’ACPR avait, par une décision du 15 juin 2021, prononcé à l’encontre de la société Wari Pay (agréée comme établissement de monnaie électronique), sur le fondement de l'article L. 612-33 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9813L49, une interdiction temporaire de poursuivre son activité démission et de gestion de monnaie électronique faute de bénéficier, depuis le 11 juillet 2021, de la garantie financière destinée à protéger les fonds qu’elle collecte, jusqu’à ce qu’elle justifie de nouveau d’un dispositif de protection des fonds conforme aux règles prudentielles applicables. L’ACPR avait également décidé, sur le fondement du IV de l’article L. 612-1 du même code N° Lexbase : L6751L78, de porter à la connaissance du public le contenu de cette mesure, à sa date de prise d'effet.

La société Wari Pay demandait alors au Conseil d’État :

  • d’annuler la décision du 15 juin 2021 par laquelle l’ACPR lui avait interdit d’exercer à titre temporaire son activité d'émission et de gestion de monnaie électronique et avait décidé de publier cette décision ;
  • d’annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle l'ACPR avait rejeté son recours gracieux ainsi que sa demande de poursuivre, dans les conditions prévues à l'article L. 525-5 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7521LB8, l'activité d'émission et de gestion de monnaie ;
  • d’enjoindre à l'ACPR de publier la décision du Conseil d'État sur le site internet de l’autorité, dans l'hypothèse où il serait fait droit à ses conclusions ;
  • de mettre à la charge de l'État la somme de 7 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.

Décision. Le Conseil d’État s’est donc prononcé sur les divers moyens.

  • Sur l’interdiction temporaire d’activité

Concernant la mesure d’interdiction d’exercer à titre temporaire qui avait été infligée à la société, la décision étudiée se veut assez précise.

D’abord, si la requérante soutenait que son produit « Ticket Premium » ne constituait pas une monnaie électronique au sens du I de l'article L. 315-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L1154IWN, le Conseil d’État considère le contraire.

Selon la décision, il ressort en effet des pièces du dossier que la société, qui dispose d’un agrément en qualité d’établissement de monnaie électronique, propose à ses clients d’acquérir, par tout moyen habituel, dans un point de vente de son réseau, essentiellement composé de buralistes, un ticket qui comporte un code électronique PIN qu’elle émet et auquel est associée une ligne de valeur monétaire qui peut être soit consommée en ligne auprès des sites marchands, notamment de jeux et de paris en ligne, acceptant ce mode de paiement, soit remboursée sous conditions à hauteur de la créance détenue sur la société. Il suit de là que le produit « Ticket Premium » commercialisé par la requérante constitue une monnaie électronique au sens du I de l'article L. 315-1 du Code monétaire et financier.

Ensuite, si la société Wari Pay soutenait qu’elle ne collectait aucun fonds du public au sens de l'article L. 526-32 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L2566IXC, le Conseil d’État considère qu’il ressort des pièces du dossier que, quand bien même les fonds des clients ne sont effectivement pas collectés directement par elle, ils le sont pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d’un réseau de distribution mandaté à cet effet conformément à l'article L. 525-8 du même code N° Lexbase : L1093IWE.

En outre, si la société Wari Pay soutenait que l’ACPR avait méconnu les dispositions de l’article L. 612-33 du Code monétaire et financier en estimant que les intérêts de ses clients étaient susceptibles d'être compromis, il ressort des pièces du dossier qu’à supposer même que l’encours à couvrir corresponde aux seuls tickets non encore consommés, sans être périmés, la société Wari Pay ne justifiait plus, à compter du 11 juillet 2021, de la garantie des fonds qu’elle collectait exigée par les dispositions de l'article L. 526-32 du Code monétaire et financier.

Enfin, si la société requérante faisait valoir que la décision avait en réalité pour but d’évincer du marché les établissements d'émission et de gestion de monnaie électronique de taille modeste, la décision observe qu’elle n’apportait aucun élément pour étayer ses allégations. Le moyen tiré de l’existence d'un détournement de pouvoir doit dès lors être écarté.

  • Sur la publication

Ici, le Conseil d’État observe qu’il ressort des pièces du dossier que la publication de la décision attaquée portant interdiction temporaire de l’activité d’émission et de gestion de monnaie électronique, prise sur le fondement du IV de l'article L. 612-1 du Code monétaire et financier visait à informer les clients, actuels ou potentiels, de la société Wari Pay de ce que leurs fonds risquaient de ne plus être protégés à compter du 11 juillet 2021, date de résiliation du contrat d'assurance instituant la garantie financière exigée par l'article L. 526-32 du même code.

En conséquence, le moyen tiré de l’absence de base légale de la décision de publication et celui tiré de son caractère disproportionné doivent être écartés.

  • Sur la continuation de l’activité sous le régime de l’article L. 525-5 du Code monétaire et financier

Il résulte de l’article L. 525-5 du Code monétaire et financier une dérogation au droit applicable aux établissements de monnaie électronique. En effet : « Par exception à l'article L. 525-3 N° Lexbase : L1082IWY, une entreprise peut émettre et gérer de la monnaie électronique en vue de l'acquisition de biens ou de services, uniquement dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens ou de services, à la condition que la capacité maximale de chargement du support électronique mis à la disposition des détenteurs de monnaie électronique à des fins de paiement n'excède pas un montant fixé par décret ». Dès lors, pour la partie de son activité qui répond aux conditions précitées, l’entreprise n’est pas soumise aux règles applicables aux émetteurs de monnaie électronique.

Or, pour le Conseil d’État, il découle du droit applicable que l’exercice, par un émetteur de monnaie électronique au sens de l'article L. 525-1 du Code monétaire et financier, d’une activité nouvelle d’émission et de gestion de monnaie électronique selon le régime dérogatoire prévu à l'article L. 525-5 du même code, quelle que soit la valeur totale de cette monnaie électronique en circulation, doit faire l’objet d'une notification préalable à l’ACPR afin que celle-ci puisse notamment s'assurer que les conditions d'exercice de cette nouvelle activité ne portent pas atteinte au respect par cet émetteur des obligations qui lui sont imposées par ailleurs pour l'exercice de l’activité d'émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle il a obtenu son agrément.

En outre, et toujours selon le droit applicable, lorsqu’un émetteur de monnaie électronique fait l’objet d’une interdiction temporaire d'exercer son activité d'émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle il a obtenu son agrément et souhaite la poursuivre sous le régime dérogatoire de l’article L. 525-5 du Code monétaire et financier, il doit, sauf à renoncer à l'agrément dont il bénéficie, en faire la demande à l’ACPR afin que celle-ci apprécie si cette activité peut être exercée, durant la période d'interdiction temporaire, dans les conditions prévues par cet article.

Or, la requérante soutenait que l’ACPR avait omis de répondre, dans sa décision du 7 juillet 2021, à sa demande de poursuivre, dans les conditions prévues à l'article L. 525-5 du Code monétaire et financier, son activité d’émission et de gestion de monnaie électronique et qu’en tout état de cause, dès lors que l’exercice sous ce régime dérogatoire n’est subordonné qu’à une simple notification préalable et non à une autorisation de l’autorité de régulation et qu’en l'espèce, cette activité satisfaisait aux conditions prévues par l'article L. 525-5 du même code, l'ACPR ne pouvait légalement maintenir la mesure d’interdiction d’exercice de son activité d’émission et de gestion de monnaie électronique.

Cependant, pour le Conseil d’État, durant la période d'interdiction temporaire d’exercice de l’activité d’émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle la société avait obtenu son agrément, la poursuite de cette activité sous le régime dérogatoire de l'article L. 525-5 du Code monétaire et financier était subordonnée à l’autorisation de l’ACPR. Or, il ressort des pièces du dossier que la société, à l’appui de son recours gracieux du 29 juin 2021, s’était bornée à indiquer son intention de déposer postérieurement une demande d'autorisation.

Ainsi, la société Wari Pay n’est pas fondée, pour le Conseil d’État, à demander l'annulation des décisions litigieuses des 15 juin et 7 juillet 2021.

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