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par Max Boiron Bertrand, Avocat au barreau de Lyon
le 07 Décembre 2022
Mots clés : servitudes d’utilité publique • utilisation du sol • patrimoine • protection des sites • monuments historiques
Les servitudes d’utilité publique liées aux monuments historiques et sites patrimoniaux, ainsi que les plans de prévention des risques naturels prévisibles, sont les plus fréquentes. Lorsqu'elles sont annexées au plan local d'urbanisme (PLU) ou publiées sur le portail national de l'urbanisme, elles sont opposables aux demandes d'autorisation d'occupation du sol. En outre, le régime législatif propre à chaque servitude d’utilité publique pourra ainsi prévoir les conditions dans lesquelles l’instauration d’une telle servitude peut ouvrir droit à indemnisation.
Les servitudes d’utilité publique sont prévues par de nombreuses législations (Code de l’environnement, Code minier, Code de l’énergie, etc) qu’il est intéressant d’identifier en amont (I.). Divers effets sont attachés à l’instauration de servitudes d’utilité publique, que ce soit vis-à-vis des normes d’urbanisme, des autorisations d’urbanisme, ou de l’indemnisation à laquelle elles peuvent donner droit (II.). Parmi l’ensemble des servitudes d’urbanisme, une catégorie mérite une attention particulière dans la mesure où on la retrouve très couramment : il s’agira des servitudes de protection et de mise en valeur du patrimoine (III.).
I. Présentation
A. Introduction et définition
De manière classique, une servitude est présentée comme une charge qui est instituée sur un fond servant au profit d’un fond dominant. Les servitudes les plus courantes comme les servitudes de passage, servitude de non-constructibilité, etc. relèvent du droit privé. Toutefois, il existe aussi des servitudes de droit public que sont les servitudes d’utilité publique et les servitudes d’urbanisme. Dans ce cas, il existe bien un fonds servant qui subit l’existence d’une charge, mais cette dernière n’est pas instituée au profit d’un fonds dominant. Elle sert des considérations urbanistiques ou l’utilité publique.
Comme leur nom l’indique, les servitudes d’utilité publique sont instituées dans un but d’utilité publique. Elles concernent principalement la sauvegarde du patrimoine, la protection de l’environnement et la préservation des risques. Elles sont en grande partie prévues par des législations distinctes du droit de l’urbanisme. Dans une certaine mesure, elles constituent une exception au principe d’indépendance des législations. En effet, bien que relevant de législations extérieures au droit de l’urbanisme, des passerelles entre ces servitudes et le droit de l’urbanisme ont été aménagées par le Code de l’urbanisme, de sorte qu’elles puissent notamment être opposables aux demandes d’autorisation.
B. Champ matériel
Les servitudes d’utilité publique qui ont une incidence sur l’utilisation et l’occupation du sol doivent en principe figurer en annexe au PLU existant. Elles sont classées en quatre catégories qui sont distinguées par une annexe du Code de l’urbanisme :
Parmi l’ensemble de ces servitudes, celles liées aux monuments historiques et sites patrimoniaux, ainsi que les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont celles que l’on rencontre le plus souvent. Ces servitudes relevant de législations spécifiques, leurs modalités d’institution sont variées. Une fois instituées, elles peuvent avoir des effets vis-à-vis des règles d’urbanisme et vis-à-vis des autorisations d’urbanisme.
II. Les effets attachés aux servitudes d’utilité publiques
A. Les liens avec les règles d’urbanisme
Les rapports entre servitudes d’utilité publique et règles d’urbanisme ont évolué avec le temps. Par application du principe d’indépendance des législations, on pourrait penser que ces servitudes ne sont pas opposables à l’autorité réglementaire en charge de l’édiction de normes d’urbanisme.
Initialement, une telle approche était clairement exclue par le Code de l’urbanisme lui-même. Son article L. 123-1 prévoyait que les plans d’occupation des sols devaient respecter les servitudes d’utilité publique qui avaient été instituées.
Tel n’est plus le cas depuis 2000 et la refonte de la législation de l’urbanisme issue de la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU) (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 N° Lexbase : L9087ARY). Les servitudes d’utilité publique ne font plus partie des normes que les plans locaux d’urbanisme doivent respecter. Cette « nouvelle » rédaction renforce ainsi le principe d’indépendance des législations, et conforte l’existence de législations parallèles. Il doit toutefois être précisé que les règles d’urbanisme contenues dans les documents locaux d’urbanisme de type PLU n’ont pas vocation à ignorer totalement l’existence des servitudes d’utilité publiques : un terrain ne pourra pas être classé en zone librement constructible alors qu’il est par ailleurs grevé de plusieurs servitudes d’utilité publiques liées, notamment, à l’existence d’un risque naturel particulier et la nécessité de protéger un espace forestier par exemple.
B. Les liens entre servitudes d’utilité publique et utilisation du sol
Les servitudes d’utilité publique ont généralement une incidence sur la constructibilité du terrain qui les supporte. C’est la raison pour laquelle l’étude du lien entre ces servitudes et les autorisations d’urbanisme est pertinente. Mais les servitudes d’utilité publique peuvent avoir un effet qui dépasse largement le champ des autorisations d’urbanisme.
Comme en ce qui concerne les rapports entre servitudes d’utilité publique et normes d’urbanisme, on pourrait estimer que ces règles extérieures au droit de l’urbanisme ne sont pas opposables aux demandes d’autorisation de type permis de construire. Il n’en est rien, et le Code de l’urbanisme le prévoit expressément.
Tout d’abord, les travaux qui font l’objet d’une demande de permis ou d’une déclaration préalable doivent être conformes aux « dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols » (C. urb., art. L. 421-6 N° Lexbase : L2609K9I), ce qui ne restreint pas uniquement les normes de référence aux règles d’urbanisme. Ensuite – et surtout – l’article L. 152-7 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3199LSB indique clairement que les servitudes d’utilité publiques annexées au PLU ou publiées sur le portail national de l'urbanisme sont opposables aux demandes d'autorisation d'occupation du sol.
En principe, toute nouvelle servitude doit être annexée au PLU. Si le maire ne réalise pas l’annexion en temps utile, le préfet doit le mettre en demeure d’y procéder sous trois mois – faute de quoi le représentant de l’État pourra d’office annexer la servitude d’utilité publique au PLU pour la rendre opposable aux demandes d’autorisation – [1].
Ces servitudes ont un champ matériel différent de celui des autorisations d’urbanisme. Il est parfois plus vaste. D’une part, parce que tous les travaux ne sont pas soumis à autorisation d’urbanisme : par exemple, l’implantation de clôtures peut échapper à tout régime d’autorisation ou de déclaration. Toutefois, même dans ce cas, ces travaux devront être conformes aux règles fixées par les servitudes d’utilité publique : un plan de prévention des risques d’inondation pourra bien souvent interdire la construction de clôtures qui entravent le libre écoulement des eaux. D’autre part, parce que les servitudes d’utilité publique n’ont pas nécessairement un objet urbanistique. Elles peuvent aussi encadrer les techniques de construction des bâtiments en imposant la réalisation de certains types de fondations par exemple.
Le non-respect d’une servitude d’utilité publique constitue un délit qui est souvent puni des sanctions pénales posées par l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6810L7D pour les infractions aux règles d’urbanisme. Il s’agit de la technique de « pénalité par référence » (le fait est incriminé de manière autonome mais la pénalité est définie par référence aux peines prévues par l’article susvisé).
C. L'indemnisation
Rappelons que le Code de l’urbanisme prévoit que, par principe, les servitudes d’urbanisme n’ouvrent pas droit à indemnisation (C. urb., art. L. 105-1 N° Lexbase : L2237KIP). Or, les servitudes d’utilité publiques ne sont en principe pas instituées en application des dispositions du Code de l’urbanisme : le principe de non-indemnisation ne devrait donc pas trouver à s’appliquer en ce qui les concerne.
Le régime législatif propre à chaque servitude d’utilité publique pourra ainsi prévoir les conditions dans lesquelles l’instauration d’une telle servitude peut ouvrir droit à indemnisation. Par exemple, le Code de l’énergie (à ses articles L. 323-3 N° Lexbase : L3323KG8 et suivants) autorise l'instauration de servitudes pour la distribution d'énergie électrique (appui pour des supports et ancrages sur les bâtiments, servitude de passage des conducteurs aériens d'électricité au-dessus de la propriété privée, servitudes de canalisations souterraines et supports aériens sur des terrains non bâtis et non clôturés). Cette législation donne compétence au juge judiciaire pour les questions de l'indemnisation des propriétaires affectés par ces servitudes (C. énergie, art. L. 323-7).
Il revient au propriétaire d’un terrain grevé d’une servitude d’utilité publique de rechercher si le régime législatif afférent prévoit une indemnisation. Si aucun texte ne le prévoit, la jurisprudence considère bien souvent [2] que les servitudes d’utilité publique n’ouvrent pas droit à indemnisation.
III. Focus sur la protection et la mise en valeur du patrimoine
Les auteurs des PLU disposent de certains outils qui leur permettent d’assurer la protection et la mise en valeur du patrimoine. À leur échelle, ils peuvent même assurer la protection de certains éléments de patrimoine qu’ils ont identifié au préalable. Cette démarche urbanistique locale ne vient que compléter un arsenal déjà bien établi, dans lequel on retrouve notamment la protection des sites et des monuments historiques.
Les servitudes d’utilité publique qui sont probablement les plus connues concernent la protection des monuments historiques et des sites.
La protection associée à ce régime ne concerne pas uniquement les monuments inscrits ou classés : elle concerne leurs abords. Avant, l’inscription ou le classement d’un monument historique impliquait l’application d’une protection spécifique dans un périmètre de 500 mètres autour du monument. Désormais, ce périmètre peut être défini de manière plus fine – bien souvent toutefois on applique le périmètre de 500 mètres faute de définition spécifique. Les abords des monuments historiques font ainsi l’objet d’une protection renforcée. Dans un périmètre donné (rayon de 500 mètres ou périmètre défini), sont soumis à autorisation préalable les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non, qui est visible depuis le monument protégé, si on voit le monument historique depuis l’immeuble objet des travaux ou si on voit ces deux immeubles en même temps (condition de visibilité ou covisibilité). Le cas échéant, le permis de construire vaut autorisation préalable prévue par le Code du patrimoine.
De manière pratique, lorsque l’administration est saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme concernant un immeuble qui se situe dans le périmètre de protection, elle saisit l’Architecte des Bâtiments de France pour avis. Ce dernier déterminera alors si la condition de visibilité ou de covisibilité est remplie. Si l’immeuble objet des travaux est visible en même temps que le monument historique ou depuis ce dernier, ou que le monument historique est visible depuis l’immeuble objet du projet, alors l’Architecte des Bâtiments de France devra donner son accord à la réalisation des travaux. Sinon, il rendra un avis simple. Son accord ou son avis peuvent être assortis de recommandations ou de prescriptions.
[1] Elles doivent aussi être mentionnées dans le cas d’une demande de certificat d’urbanisme.
[2] Toutefois concernant les plans de prévention des risques naturels, le Conseil d’État a jugé que « le législateur a entendu faire supporter par le propriétaire concerné l'intégralité du préjudice résultant de l'inconstructibilité de son terrain nu résultant des risques naturels le menaçant, sauf dans le cas où ce propriétaire supporterait une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi » (CE, 29 décembre 2004, 257804, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2308DGL).
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