Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1009 QPC, du 22 septembre 2022 N° Lexbase : A98038IW
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N3504BZS
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par Adèle Chikouche, Juriste
le 21 Décembre 2022
Mots-clés : TVA • autoliquidation • amende • Conseil constitutionnel • CGI
Le 22 juin 2022, le Conseil d’État a transmis une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur l’article 1788 A du Code général des Impôts, plus précisément en son premier alinéa du 4 de l’article 1788 précité, afin que les Sages en confirment ou infirment, la compatibilité de ces dispositions aux droits et libertés fondamentaux.
Le 22 septembre 2022, l’expertise des Sages de la Rue Montpensier les a conduits à traiter une question prioritaire de constitutionnalité, conformément à l’article 61-1 de la Constitution.
Ladite question portait sur la conformité des dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts aux textes protégés constitutionnellement, rédigées comme suit :
« Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible ».
L’étude de cette décision appelle à traiter de la conformité de ce texte au principe de proportionnalité des peines (I) avant de rappeler que les dispositions contestées poursuivent l’objectif à valeur cons-titutionnelle de lutte contre la fraude fiscale (II).
Il sera toutefois rappelé ci-après, à titre liminaire, l’arsenal juridique querellé par les requérants.
Les fondements querellés
L’article 283 du CGI N° Lexbase : L8936MCX prévoit que la TVA due au titre d’une livraison de bien ou prestation de services, doit être acquittée par la personne qui réalise l’opération.
Toutefois, certaines dérogations existent et mettent à la charge de l’acquéreur, du destinataire ou du preneur, le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée.
Ces dérogations portent sur les livraisons de biens ou prestations de services mentionnés à l’article 259 A du même Code N° Lexbase : L7015LZT.
Y sont notamment recensées ;
Toutefois, cette dérogation instaurée par l’article 283 CGI porte la création d’une obligation de décla-ration de la TVA incombant au redevable.
S’il y manque, la lettre de l’article 1788 A du Code général des impôts N° Lexbase : L5786MAK dispose que le redevable s’expose au recouvrement d’une amende de 5 % du montant de cette taxe.
En effet, aux termes du 4 de l’article 1788 A du CGI, lorsqu'au titre d'une opération donnée le rede-vable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exi-gible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287 du CGI N° Lexbase : L5718MAZ, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l’application d’une amende égale à 5 % de la somme déductible.
Lorsque, dans ces situations, la TVA due n'a pas été déclarée, elle ne fait pas l’objet d’un rappel si les conditions de fond du droit à déduction sont remplies, mais entraîne l’application d’une amende égale à 5 % du montant de la taxe que le redevable est en droit de déduire.
Lorsque le redevable est un redevable partiel de la taxe, l’amende de 5 % ne porte que sur la partie du montant de la taxe effectivement déductible.
En droit, l'amende est applicable du seul fait du défaut de mention de la taxe sur la déclaration afférente à la période au titre de laquelle cette taxe est devenue exigible.
Néanmoins, par souci d'une application mesurée de la loi fiscale, cette amende ne sera pas appliquée à un contribuable qui, avant toute action de la part de l'administration, comme par exemple l'envoi d'un avis de vérification, constate qu'il a omis de déclarer une opération auto liquidée et dé-pose spontanément une déclaration rectificative au titre de la période concernée (décision de res-crit, no 2009/9, du 17 février 2009).
Critiquant notamment l’absence de plafonnement du montant de l’amende prévue, et ju-geant la question sérieuse et nouvelle, le Conseil d’État a renvoyé ladite question prioritaire de constitutionnalité aux Sages.
Il sera ainsi rappelé que la décision rendue par les Sages s’ancre dans un courant jurispru-dentiel constant du conseil constitutionnel, dont la motivation repose sur une conformité de l’amende au principe de proportionnalité des peines (I).
Par ailleurs, les Sages confirmeront que les dispositions objets de la question prioritaire de constitutionnalité ont été introduites par le législateur en vue de se conformer à l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale (II).
C’est donc à l’aune de ce principe constitutionnel et objectif à valeur constitutionnelle que les Sages ont rendu la présente décision.
I. Une amende conforme au principe de proportionnalité des peines
La matière fiscale occupe une place importante dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis l’entrée en vigueur du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, issu de la loi organique n° 2009-1523, du 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS, entrée en vigueur le 1er mars 2010.
Pour illustrer cela, le Conseil constitutionnel avait indiqué ; « Entre le 1er mars 2010 et le 31 décembre 2019, la matière fiscale représente 22 % des décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel, soit 158 décisions dont 83 de conformité, 33 de conformité sous-réserve, 8 de non-conformité partielle, 29 de non-conformité totale, 1 de non-conformité de date à date et 4 de non-lieu à statuer ».
Le juge constitutionnel a affirmé que les sanctions fiscales ayant le caractère de punition sont sou-mises à l'ensemble des principes constitutionnels (Cons. const., décision n° 97-395 DC, du 30 dé-cembre 1997 N° Lexbase : A8445ACR).
Cela s’explique notamment par le fait que les sanctions fiscales ont été progressivement assimilées à des sanctions pénales en droit interne et ce, en cohérence avec les décisions rendues par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Dans la plupart de ses décisions affectant la matière fiscale, le Conseil constitutionnel rappelle l'étendue de son contrôle, précisant :
« Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législa-teur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ».
Les griefs invoqués devant les Sages à l'encontre des sanctions fiscales s'articulent principalement autour des principes de nécessité et de proportionnalité des peines, du principe de légalité des délits et des peines, ainsi que celui d'individualisation des peines pour contester l'adéquation entre la sanction et l'infraction ou encore le cumul des sanctions et des poursuites.
Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité trouve sa motivation dans les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lequel est le plus fréquem-ment invoqué à l'appui des recours constitutionnels en matière fiscale.
L’article 8 de la Déclaration précitée dispose :
« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
À l’aune de cet article, les Sages rendent leur décision après s’être interrogés sur l’absence de dis-proportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue (Cons. const., décision n° 2016-745 DC, du 26 janvier 2017, Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté A5410TAM]).
Pour ce faire, l’appréciation du Conseil repose sur l’étude de la proportionnalité des sanctions fis-cales à l’aune du taux et de l’assiette.
Il sera notamment contrôlé que la sanction, reposant notamment sur un taux, ne revêt pas un carac-tère manifestement hors de proportion avec la gravité des faits réprimés.
Dans la décision d’espèce, le Conseil d’État a transmis la question aux Sages, jugeant notamment que celle-ci revêtait un caractère sérieux.
La société requérante arguait que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnali-té des peines, protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel dispose :
« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
Les requérants invoquaient notamment l'absence de plafonnement du montant de l'amende, laquelle contreviendrait au principe de proportionnalité des peines.
Ils reprochaient également aux dispositions querellées, de sanctionner le manquement à une simple obligation déclarative, par une amende proportionnelle à taux fixe, dont l’assiette serait sans lien avec la nature de l’infraction et trouverait à être prononcée alors même que le contribuable n’aurait pas éludé l’impôt.
Les Sages avaient déjà rappelé que le législateur avait à bon droit, instauré des pénalités fiscales, en application de l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. (Cons. const. 9 juin 2017, décision n° 2017-636 QPC, du 9 juin 2017 N° Lexbase : A7250WGM ; Cons. const., décision n° 2019-779 DC, du 10 mai 2019, Loi organique relative au renforcement de l'orga-nisation des juridictions N° Lexbase : A5080Y4W).
Ces sanctions permettent d’assurer le bon fonctionnement du système fiscal, lequel repose sur la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites par les contribuables. (Cons. const., décision n° 2016-565 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0910RUA).
Les Sages avaient ainsi jugés conformes, des dispositions punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque man-quement au respect de l'obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition. (Cons. const., décision n° 2017-636 QPC, du 9 juin 2017 N° Lexbase : A7250WGM).
Sur ce point, dans la décision d’espèce, les Sages rappellent que l’article litigieux trouve à s’appliquer aux peines prononcées par les juridictions répressives mais également, à toute sanction revêtant le caractère d’une punition.
Les termes de la décision étudiée prévoient qu’il incombe ainsi au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.
Une telle décision est donc parfaitement conforme au courant jurisprudentiel du Conseil constitu-tionnel, tel qu’il le sera motivé ci-après.
Par ailleurs, les Sages fondent leur décision, rappelant l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
II. Une amende conforme à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale
Juridiquement, la lutte contre la fraude fiscale a été reconnue et érigée en objectif de valeur consti-tutionnelle en 1999 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 99-424, du 29 décembre 1999 N° Lexbase : A8787ACG).
Selon ce dernier, la lutte contre la fraude fiscale trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont les dispositions de l'article 13 précisent :
« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
L'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales vient légitimer à lui seul l'adoption de règles d'imposition spécifiques.
Parmi ces règles spécifiques, peuvent être recensées, de façon non exhaustive, les règles tendant à la soustraction à l'impôt (Cons. const., décision n° 2017-659 QPC, du 6 octobre 2017, n° 2017 N° Lexbase : A8692WT4), de sanctions visant à réprimer cette dernière (Cons. const., décision n° 99-424 DC, du 29 décembre 1999 N° Lexbase : A8787ACG) ainsi que de procédés de contrôle, d'investigation et de poursuites adéquats (Cons. const., décision n° 2016-741 DC, du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : A1548SPZ).
Toutefois, ces moyens doivent néanmoins être nécessaires et proportionnés eu égard à leur objectif (Cons. const., décision n° 2016-620 QPC, du 30 mars 2017 N° Lexbase : A4587UPL ; Cons. const., décision n° 2016-614 QPC, du 1er mars 2017 N° Lexbase : A3509TPN).
Plus tard, le 29 décembre 2013 (Cons. const., décision n° 2013-685 DC, du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014 N° Lexbase : A9152KSR), les Sages ajoutaient qu’il « appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitution-nellement garanties ».
Dans la décision commentée, les Sages précisent que : « En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en instituant cette amende, le législateur a entendu assurer l’effectivité de cette obligation déclarative pour permettre le suivi et la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée à chaque étape du circuit économique. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ».
Le Conseil constitutionnel, dans l’affaire d’espèce, décide que les dispositions querellées, en l’occurrence, le premier alinéa du 4 de l’article 1788 A du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 N° Lexbase : L3007MAM, est conforme à la Constitution, notamment car le législateur a introduit ces dispositions en vue de poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
Par voie de conséquence, les Membres du Conseil, notamment Monsieur Laurent Fabius, Prési-dent, Madame Jacqueline Gourault, Monsieur Alain Juppé, ont jugé conformes aux droits et libertés garantis par la constitution, le premier alinéa du 4 de l’article 1788 A du CGI.
Propos conclusifs Ainsi, le Conseil Constitutionnel conclut à l’absence de violation du droit au principe de proportionna-lité des peines , dès lors que le législateur, par la codification des dispositions querellées, a entendu poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. Également, les Sages ajoutent que la sanction proportionnelle a la somme que le redevable peut déduire au titre de l’opération non déclarée. Par conséquent, aucune disproportion ne saurait vala-blement être invoquée puisque le taux de 5 % est bien corrélé à la gravité du manquement. Par voie de conséquence, les Sages ont conclu à la conformité des dispositions litigieuses, objet de la Question Prioritaire de Constitutionnalité. Dès l’entrée en vigueur du mécanisme de la QPC, il avait été prédit que ladite question trouverait de nombreuses applications en droit fiscal. Monsieur Marc Guillaume, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel, constatait d’ailleurs que le droit fiscal a été, avec le droit pénal, la matière qui a fourni le plus de QPC. En effet, dans son audition du 21 novembre 2012, Monsieur Jean-Marc Sauve, précisait que l’essentiel des questions prioritaires de constitutionnalité enregistrées au Conseil d'État concernait la matière fiscale, qui représente environ 35 % du total. Monsieur Sauve ajoutait que la place du contentieux fiscal était encore plus déterminante au niveau des cours et des tribunaux administratifs : 64 % des questions prioritaires de constitutionnalité enre-gistrées et 54 % des questions transmises au Conseil d'État portent sur cette matière. À l’aune du courant jurisprudentiel constant, dégagé par le Conseil constitutionnel, avait notamment été jugé que « le législateur ayant entendu réprimer les comportements visant à faire obstacle au contrôle fiscal, il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, et a instauré une sanction dont l'assiette est en lien avec la nature de l'infraction. Le taux de cette majoration n'est pas manifestement disproportionné au regard de la particulière gravité du compor-tement réprimé » (Cons. const., décision n° 2022-988 QPC, du 8 avril 2022 N° Lexbase : A49337SI). Ainsi, pour conclure, la présente décision de conformité ne saurait susciter l’étonnement dès lors qu’elle s’ancre parfaitement dans le courant jurisprudentiel du Conseil Constitutionnel. |
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