Réf. : Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-23.554, F-B N° Lexbase : A45318WQ
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par Vincent Téchené
le 08 Décembre 2022
► Nonobstant toute clause contraire du contrat, le nantissement de compte-titres est valable et opposable aux tiers par le seul effet de la déclaration prévue par l’article L. 211-20, I du Code monétaire et financier, sans qu’aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise ;
Par ailleurs, viole l’article 2314 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021), l’arrêt d’appel qui ne recherche pas si le créancier, en s’abstenant d’exercer son droit de gage sur le compte-titres à la date de la défaillance de la débitrice principale n’avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier.
Faits et procédure. Une banque a consenti à une société un prêt in fine, destiné à financer partiellement l'acquisition d’actions d’une autre société (la cible). Ce prêt était garanti par le nantissement des titres, objet du prêt, et par la cession de toutes les créances nées ou à naître au titre d'une promesse d'achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires portant sur les actions de la société cible que l’emprunteuse détiendrait. Par ailleurs, une personne s'est rendue caution envers la banque du remboursement du prêt.
La société emprunteuse ayant été condamnée à payer la banque, cette dernière a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du Code civil N° Lexbase : L1373HIP, en soutenant que la banque avait laissé perdre ses autres garanties, dont elle aurait pu bénéficier par subrogation.
La cour d’appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 22 octobre 2020, n° 17/13038 N° Lexbase : A53413YH) ayant condamné la caution à payer, elle s’est pourvue en cassation.
Décision. En premier lieu, la Cour de cassation rappelle que, selon l'article L. 211-20, I du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5543ICB, le nantissement d'un compte-titres est réalisé, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte, comportant les énonciations fixées par l'article D. 211-10 de ce code N° Lexbase : L6671LNE.
Elle estime alors qu’il résulte de ces dispositions que, nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration, sans qu'aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise.
Dès lors, elle approuve l’arrêt d’appel en ce qu’il a notamment retenu que la délivrance d'une attestation de nantissement, qui constitue une simple faculté offerte au créancier gagiste, ne constitue pas une condition de validité du nantissement.
Par conséquent, en l’espèce, le nantissement était opposable aux tiers, y compris la société cible, émettrice des titres nantis et teneur du compte-titres, dès lors que les titres nantis étaient bien inscrits au compte-titres.
En second lieu, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 2314 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D.
Aux termes de ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
Or, pour condamner la caution, l'arrêt d’appel a retenu que celle-ci a eu nécessairement connaissance des conditions stipulées dans l'acte de prêt, et notamment de l'obligation de maintien de la valeur des actions nanties, laquelle n'a pas été respectée eu égard à la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l'objet la société émettrice des titres nantis. Il retient encore que l'engagement de préservation de la valeur des actions à la hauteur du prêt souscrit incombe à l'emprunteur, titulaire de ces actions, qui les offre en garantie du prêt souscrit, et non à la banque. Il n’appartenait donc pas, selon la cour d’appel, à la débitrice principale, titulaire des actions nanties, de veiller à la préservation de leur valeur et de surveiller toutes modifications éventuelles. En outre, il n'est nullement établi que la banque a eu connaissance des difficultés économiques de la société émettrice des titres nantis et de la perte de valeur des actions, dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle était la banque teneuse des comptes de cette société. Ainsi, la cour d’appel en déduit-elle que la caution ne peut se prévaloir du non-respect par la banque d'un éventuel devoir de vigilance de nature à justifier l'application de l'article 2314 du Code civil.
Mais la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle retient qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte-titres à la date de la défaillance de la débitrice principale, alors que la caution prétendait qu'à cette date, la valeur des actions nanties était très supérieure au montant du capital fixé dans l'acte de prêt, le créancier n'avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier par subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Observations. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L0366L83, modifié par l’ordonnance de réforme de 2021, entrée en application le 1er janvier 2022, prévoit désormais que le nantissement d'un compte-titres est constitué, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte. Cette déclaration suffit à rendre la sûreté opposable aux tiers, aucune notification n’étant exigée à ce titre.
Avant cette précision bienvenue, la jurisprudence avait déjà retenu que « la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire du compte » (Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12.559, F-P+B N° Lexbase : A8517XTM).
Quant au bénéfice de subrogation, il est repris par le nouvel article 2314 du Code civil N° Lexbase : L0178L84 (ici, la numérotation demeure inchangée). La formulation du texte est modernisée. Une nouveauté intéressante et importante mérite néanmoins d’être mise en avant : la caution ne peut plus reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté (C. civ., art. 2314, al. 3), condamnant ainsi la jurisprudence antérieure (Cass. com., 8 mars 2017, n° 14-29.819, F-D N° Lexbase : A4600T3R).
La solution rendue par l’arrêt du 30 novembre est donc pleinement reconductible sous l’empire des nouveaux textes.
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