Le Quotidien du 2 novembre 2022 : Concurrence

[Brèves] Action en réparation du préjudice découlant de pratiques anticoncurrentielles : charge de la preuve de la répercussion du surcoût

Réf. : Cass. com., 19 octobre 2022, n° 21-19.197, FS-B N° Lexbase : A01968QC

Lecture: 6 min

N3071BZR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Action en réparation du préjudice découlant de pratiques anticoncurrentielles : charge de la preuve de la répercussion du surcoût. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/89258830-breves-action-en-reparation-du-prejudice-decoulant-de-pratiques-anticoncurrentielles-charge-de-la-pr
Copier

par Vincent Téchené

le 28 Octobre 2022

► Pour le faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur, le 11 mars 2017, de l’article L. 481-4 du Code de commerce, issu de la transposition de la Directive n° 2014/104, du 26 novembre 2014, la preuve de l'existence du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle incombe au demandeur à la réparation, celui-ci devant alors, en application de la jurisprudence antérieure à cette réforme, établir qu'il n'a pas répercuté le surcoût né d'une entente sur ses propres clients.

Faits et procédure. Le 23 janvier 2017, se fondant sur une décision de la cour d'appel de Paris du 27 octobre 2016 rejetant le recours formé contre la décision, n° 14-D-19, du 18 décembre 2014 (Aut. conc., décision n° 14-D-19, 18 décembre 2014 N° Lexbase : X3014APC) par laquelle l'Autorité de la concurrence a dit qu’un fournisseur avait enfreint les dispositions de 101 § 1 TFUE N° Lexbase : L2398IPI et de l'article L. 420-1 du Code de commerce N° Lexbase : L6583AIN, en participant, entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006, à une entente unique, complexe et continue sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène, qui visait à maintenir ses marges par une concertation sur les prix de ces produits pratiqués à l'égard de la grande distribution, un groupe de la grande distribution (les distributeurs) a assigné le fournisseur en réparation du préjudice découlant de ces pratiques.

La cour d’appel de Paris ayant retenu que la réalité du préjudice des distributeurs n'est pas démontrée et, en conséquence, rejeté leurs demandes en paiement de dommages et intérêts, ils ont formé un pourvoi en cassation.

Décision. En premier lieu, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qu'une Directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre (v. ne ce sens,  CJCE, 26 février 1986, aff. C-152/84, point 48 N° Lexbase : A7241AHN ; CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-91/92, point 20 N° Lexbase : A0083AWY ; CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01 à C-403/01, point 108 N° Lexbase : A5431DDI ; CJUE, 19 janvier 2010, aff. C-555/07, point 46 N° Lexbase : A3442EQK).

En l’espèce, le litige opposant les sociétés d’un groupe de la grande distribution  à un fournisseur, les premières ne pouvaient invoquer contre le second les dispositions d'une Directive, aurait-elle rempli les conditions de l'effet direct, de sorte que les dispositions de la Directive n° 2014/104/UE, du 26 novembre 2014 N° Lexbase : L9861I4Y, n'étaient pas applicables au litige.

En deuxième lieu, la Haute juridiction rappelle que, toujours selon la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 22 juin 2022, aff. C-267/20, point 77 N° Lexbase : A168178R), si dans un litige entre particuliers tel que celui en cause, la juridiction nationale est tenue, le cas échéant, d'interpréter le droit national, dès l'expiration du délai de transposition d'une Directive non transposée, de façon à rendre la situation en cause immédiatement compatible avec les dispositions de cette Directive, elle ne peut toutefois procéder à une interprétation contra legem du droit national.

Or, la Cour relève que l'article 13 de la Directive n° 2014/104, du 26 novembre 2014, énonce que « les États membres veillent à ce que le défendeur dans une action en dommages et intérêts puisse invoquer, comme moyen de défense contre une demande de dommages et intérêts, le fait que le demandeur a répercuté, en tout ou en partie, le surcoût résultant de l'infraction au droit de la concurrence. La charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la production d'informations par le demandeur ou par des tiers ».

Cette disposition, qui devait être transposée avant le 31 décembre 2016, l'a été en droit national à l'article L. 481-4 du Code de commerce N° Lexbase : L2251LDQ, entré en vigueur le 11 mars 2017 (v. ordonnance n° 2017-303, du 9 mars 2017, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles N° Lexbase : L2117LDR), lequel dispose : « L'acheteur direct ou indirect, qu'il s'agisse de biens ou de services, est réputé n'avoir pas répercuté le surcoût sur ses contractants directs, sauf la preuve contraire d'une telle répercussion totale ou partielle apportée par le défendeur, auteur de la pratique anticoncurrentielle. »

Or, pour les faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions, la Cour de cassation juge que la preuve de l'existence du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle incombe au demandeur à la réparation et que celui-ci doit, eu égard aux pratiques habituelles en matière commerciale, établir qu'il n'a pas répercuté le surcoût né d'une entente sur ses propres clients (Cass. com., 15 juin 2010, n° 09-15.816, F-D N° Lexbase : A1019E37 ; Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-18-495, F-D N° Lexbase : A7046ILK).

En l’espèce, la cour d’appel a retenu que les faits générateurs de l'action en responsabilité étaient antérieurs à l'entrée en vigueur de l'article L. 481-4 du Code de commerce et que les dispositions de l'article 13 de la Directive étaient incompatibles avec le droit national en vigueur à la date de transposition de celle-ci. Dès lors, pour la Haute juridiction, les juges d’appel en ont déduit à bon droit, qu'ils ne pouvaient interpréter les règles de preuve applicables à l'action dont elle était saisie à la lumière de ce dernier texte, serait-il invocable. Il appartenait dès lors aux distributeurs, conformément aux règles en vigueur à la date de ces faits, de prouver qu'ils n'avaient pas répercuté sur les consommateurs le surcoût occasionné par les pratiques illicites de leurs fournisseurs.

La Cour de cassation termine en approuvant la cour d’appel d’avoir retenu que les distributeurs ne rapportaient pas la preuve du préjudice causé par l'entente sanctionnée. Pour ce faire, elle a relevé que ces derniers demandaient l'indemnisation de leur manque à gagner uniquement au titre des marges arrières sur lesquelles l'entente avait porté. Or, dans le contexte légal et réglementaire, les sociétés du groupe de la grande distribution étaient demeurées libres de réaliser une marge avant sur les produits objets de l'entente sanctionnée. Toutefois, celles-ci, qui ne produisaient aucun élément tiré de leur comptabilité ni aucune pièce permettant de vérifier qu'elles n'avaient pas réalisé de marge commerciale, ne rapportaient pas la preuve qu'elles n'avaient pas répercuté sur les consommateurs le surcoût généré par la concertation prohibée sur les prix incluant celle sur les marges arrières.

Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

newsid:483071

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.