La lettre juridique n°921 du 20 octobre 2022 : Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Amendement sur l’abandon de poste - Questions à Loïc Lewandowski, Avocat associé, HOGO Avocats

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par Lexbase Social

le 19 Octobre 2022

Mots-clés : abandon de poste • démission • salarié • entreprise • droit du travail • contrat de travail

Dans le cadre des débats sur le projet de loi sur le marché du travail, un amendement a été déposé et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.  Celui-ci prévoit que le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut alors saisir le conseil de prud’hommes.

Décryptage avec Loïc Lewandowski, Avocat associé au cabinet HOGO Avocats.

Cette interview est à écouter également en podcast sur Lexradio ici.


Lexbase Social : Tout d’abord, l’abandon de poste, qu’est-ce que c’est ?

L’abandon de poste est une situation dans laquelle un salarié ne se présente plus à son poste de travail, sans autorisation de l'employeur. L’abandon de poste est une non-présence continue au poste de travail, à distinguer de l’absence injustifiée. Il s’agit d’une situation d'absence continue dans laquelle l'employeur va être amené à demander au salarié de justifier son absence au poste.

Lexbase Social : Comment l’employeur doit-il réagir face à un abandon de poste ?

La réaction traditionnelle d’un employeur face à un abandon de poste est de demander, dans un premier temps, au salarié, de justifier de sa situation. En effet, en pratique, il peut arriver un élément de fait dans la vie personnelle du salarié ou alors des motifs impérieux qui pourraient expliquer que le salarié ne soit plus à son poste et qu'il n'ait pas encore eu l'opportunité de justifier de son absence. Ensuite, dans un objectif de sécurisation de la procédure, l’employeur peut envoyer une mise en demeure au salarié, voire deux. Si ces deux mises en demeure restent sans réponse, l’employeur peut alors engager l'ouverture d'une procédure de licenciement disciplinaire. C’est l’absence du salarié à l’intégralité de ces sollicitations qui permet de qualifier, en définitive, l’abandon de poste.

À noter également que cette procédure peut varier en fonction du tissu conventionnel dont relève l'entreprise. En effet, il peut y avoir des accords d'entreprise ou des conventions collectives de branche imposant des garanties de procédures particulières. On peut citer, par exemple, un nombre de mises en demeure à respecter ou encore un délai minimal à observer. Il faut également être attentif au règlement intérieur, puisque le but du règlement intérieur est justement d'encadrer tout le processus disciplinaire et donc, potentiellement, de se positionner sur la question de l’abandon de poste. Il est vrai qu’il est assez rare, aujourd’hui, d’observer dans un règlement intérieur des dispositions dédiées à l’abandon de poste. Elles sont généralement rattachées à la procédure disciplinaire et à la faute grave plus spécifiquement. Il est cependant possible pour un règlement intérieur de prévoir des garanties de procédures dérogatoires, notamment dans le cas spécifique de l’abandon de poste.

Lexbase Social : Que contient précisément l’amendement, adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi sur le marché du travail, visant à créer une présomption simple de démission en cas d'abandon de poste ? Quelle est sa finalité ?

La finalité, qui n'est pas du tout masquée, est de dire que ces salariés ont finalement une action positive sur le fait de ne plus se présenter à leur poste. Autrement dit, ils témoignent d’une intention de ne plus venir travailler. Ils ne sont plus dans une situation où il y a une privation volontaire d’emploi. Ce sont eux qui sont à l’initiative de cet abandon de poste. En conséquence, le but est de suspendre le versement des allocations de retour à l'emploi pour les salariés qui sont licenciés pour abandon de poste.

Quand on rentre un petit peu plus dans le détail du texte, on retient plusieurs points particuliers qui méritent d'être soulevés :

1° Le premier est la mention de la présomption de démission, qui apparait comme un bouleversement de l'équilibre juridique travailliste. Il n’a jamais existé par le passé de présomption de démission. C'est même l'inverse. On a toujours interdit, ou en tout cas prohibé, la notion de présomption automatique de démission. On peut prendre l'exemple de la prise d'acte à l’initiative du salarié qui existe depuis longtemps et dans laquelle il n’existe pas de présomption de démission pour le salarié qui ne se présente plus à son poste.

2° Le deuxième point important est le fait que le législateur fait un lien automatique entre la démission et l’absence de versement des allocations de retour à l'emploi. Or, il existe aujourd'hui des démissions qui permettent le bénéfice de ces allocations.

À ce propos, il faut rappeler que la question des allocations de retour à l'emploi est, en principe, une prérogative de la réglementation Unédic. C'est elle qui détermine si les allocations de retour à l’emploi sont versées, en fonction du cas de rupture.

3° Troisième point à mentionner, le texte fait référence à une procédure accélérée dans l’hypothèse où le salarié souhaite contester la présomption de démission. L'affaire est alors directement portée devant le bureau de jugement qui doit se prononcer sur la nature de la rupture dans le délai d'un mois.

Actuellement entre les mains du Sénat, le texte a fait l’objet de petites transformations. Tout d'abord, il est proposé l'ajout d'un nouvel article dans le Code du travail qui viendrait préciser que le licenciement pour abandon de poste n'est pas assimilable à une privation d’emploi involontaire. Ensuite, il est également prévu de simplifier davantage la procédure, en prévoyant que la mise en demeure restée sans réponse ferait finalement office de notification de licenciement. C'est-à-dire que la rupture du contrat de travail serait consommée dès l'absence de réponse à la première mise en demeure. À noter que c’est l’employeur qui portera la responsabilité de déclencher la rupture du contrat de travail.

Lexbase Social : Quelles sont les conséquences pratiques de l’adoption de cet amendement et les difficultés d’application que vous pouvez d’ores et déjà identifier ?

Effectivement, ce texte soulève plusieurs questions et incohérences.

1° D’un point de vue un peu plus théorique d’abord, la notion de présomption de démission vient bouleverser toute la construction juridique autour de la rupture unilatérale du contrat de travail. Jamais, dans le Code du travail, on a eu la possibilité de présumer d'une démission.

Il faut également noter que l'abandon de poste a toujours été observé sous l'angle de la faute grave. Dès lors, est-ce que cela n’aboutit pas à une nouvelle structure des motifs de rupture du contrat de travail pour motif personnel ? En effet, dans le cadre du licenciement pour motif personnel, le motif est disciplinaire ou non. Dans le motif disciplinaire, on a trois catégories de fautes : la faute simple, la faute grave et la faute lourde. Avec ce texte, un nouvel item viendrait se créer, propre au régime de l’abandon de poste. Est-ce que l'abandon de poste coexisterait alors avec les trois autres types de fautes ou, au contraire, est-ce que l'abandon de poste deviendrait un régime dérogatoire dans la faute grave ? Est-ce que, finalement, cela ne reviendrait pas à diviser la faute grave en deux : d’un côté l’abandon de poste, avec son propre régime et, de l’autre côté, la faute grave de droit commun qui elle, ouvre le droit aux allocations de retour à l’emploi ?

Ensuite, une autre interrogation repose sur le préavis à exécuter en cas de démission par le salarié. Si, demain, on vient faire présumer le statut de démissionnaire au salarié en abandon de poste, le salarié sera redevable d’un préavis alors que dans le cadre de l’abandon de poste, il n’y a pas de préavis.

Et puis, autre sujet important : la question du chômage. On peut imaginer que la réglementation Unédic vienne à être mise à jour et qu’elle prévoit que la présomption de démission ouvre droit aux allocations de retour à l’emploi pendant une durée de 30 jours, par exemple. Il y aura forcément à un moment donné une mise en cohérence qui sera faite entre la réglementation Unédic et le régime travailliste.

Enfin, en cas de mise en place de l’abandon de poste comme présomption de démission, il faut aussi relever une future reconstruction des outils et services informatiques. En pratique, je pense au paramétrage des logiciels et à la DSN. Pôle Emploi va également devoir mettre à jour l’intégralité de ses services pour créer ce régime particulier de l’abandon de poste.

2° D’un point de vue très opérationnel maintenant, les employeurs vont devoir opérer des modifications dans la gestion des abandons de poste ainsi qu’une mise à jour du règlement intérieur afin de s’adapter à ce nouveau régime de l’abandon de poste.

Autre difficulté à souligner : le cas où un salarié ne se présente plus à son poste de travail. Comme expliqué précédemment, l’employeur lui envoie alors une mise en demeure. À réception de celle-ci, le salarié se présente à son travail, mais il ne revient pas travailler le lendemain. Il n’agit pas ici d’un abandon de poste, mais d’absences injustifiées qui relèvent de la faute grave. Or, c’est un motif qui aujourd’hui, dans le texte, n’est pas assimilable à une présomption de démission.

Il ne faut pas oublier qu’en pratique, certains abandons de poste ont lieu parce que les salariés ne veulent tout simplement plus venir travailler. Mais il existe également des abandons de poste liés à de mauvaises conditions de travail ou encore à des difficultés relationnelles. De nombreux cas existent concernant l'origine et l'initiative de l'abandon de poste et, à la fin, c’est à l’employeur que revient la tâche de présumer que le salarié est démissionnaire. C’est lui qui doit porter la responsabilité et prendre le risque devant le conseil de prud’hommes s’il y a un débat contentieux.

Selon moi, ce n’est pas à l’employeur de porter la responsabilité du droit au chômage de ses salariés. Dans ces conditions, pourquoi la rupture conventionnelle à l’initiative du salarié permettrait une meilleure indemnisation chômage que dans le cas, justement, de l'abandon de poste ou le salarié a quitté son poste parce qu’il était dans un environnement toxique par exemple et qu’il ne supportait plus de venir au travail la boule au ventre.

Enfin, je trouve cela étrange que nous n’ayons pas de lecture de la volumétrie de cette situation dans les ruptures du contrat de travail. Quand on regarde les relevés Insee de l’année dernière, qui listent statistiquement le nombre de ruptures du contrat de travail en pourcentage, les ruptures pour motif personnel sont particulièrement dérogatoires. Plus de 50 % des ruptures en France sont des démissions. L’abandon de poste n’est lui-même qu’une petite quote-part de la faible quote-part de la rupture pour motif personnel. Nous sommes donc en train de bouleverser l’équilibre de la rupture unilatérale du contrat de travail pour créer ce nouveau régime de la présomption de démission alors que nous n’avons pas de données sur la volumétrie. À aucun moment les parlementaires n’ont abordé cette question.

Voilà pourquoi j’ai des doutes sur le fait qu’en l’état, le texte puisse passer le contrôle constitutionnel. Il y a trop de failles dans le dispositif tel qu'il est réfléchi et tel qu'il est conçu.

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