Réf. : Cass. civ. 1, 26 juin 2013, n° 11-25.946, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6859KHI)
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N7944BTE
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP
le 11 Juillet 2013
Le donateur désigne un tiers pour gérer les biens qu'il donne à l'enfant en précisant ses pouvoirs. Ce faisant, il porte atteinte aux prérogatives du représentant légal, ce qui évidemment peut susciter un certain mécontentement de la part de ce dernier qui doit supporter l'intervention d'un tiers dans la gestion des biens de son enfant mineur.
L'arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2013 s'inscrit dans cette hypothèse. En l'espèce, la mère d'un enfant mineur, prématurément décédée, avait institué, par testament du 31 décembre 2009, son fils légataire universel de ses biens et désigné son père, et à défaut sa soeur, administrateur des biens ainsi légués à son fils mineur. Pour empêcher la gestion que le père de l'enfant voulait faire des biens en question, les grands-parents maternels de l'enfant avaient contesté en justice sa qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire.
De manière surprenante, la cour d'appel, pour réputer non écrites les dispositions testamentaires prises par la mère le 4 juin 2010 instituant un administrateur des biens de son fils, retient que "cette désignation est contraire à l'intérêt de l'enfant", s'attirant les foudres de la Cour de cassation qui casse l'arrêt pour violation de la loi.
Cette décision permet de rappeler que l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil offre une prérogative discrétionnaire à l'auteur d'une libéralité en faveur d'un mineur (I), dont les modalités méritent par ailleurs d'être précisées (II).
I - Un droit inconditionnel de l'auteur de la libéralité
Silence du texte. La formule de l'article 389-3, alinéa 3, ne conditionne pas l'exclusion de l'administration légale à l'intérêt de l'enfant. Certains auteurs avaient pourtant estimé qu'une telle exclusion devait être conforme aux intérêts de l'enfant, considérant que ce critère doit seul justifier l'exclusion expresse du disposant et non une vengeance posthume ou une volonté de nuire ; selon cette analyse, le juge pourrait déclarer une clause ayant cet objet non écrite s'il l'estimait contraire à l'intérêt de l'enfant, par exemple si la gestion par un tiers des biens donnés ou légués s'avère manifestement contraire aux principes d'une bonne gestion (1). Cette conception peut évidemment être confortée par l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) selon lequel, dans toute décision concernant un enfant, son intérêt supérieur doit primer.
Exclusion de l'intérêt de l'enfant. C'est cette analyse qu'avait reprise la cour d'appel dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Les juges du fond ont considéré que l'exclusion de l'administration légale était contraire à l'intérêt de l'enfant, sans préciser si cette contrariété était générale ou spécifique à l'affaire concernée. La Cour de cassation rejette en tout état de cause fermement cette solution en affirmant que la cour d'appel a violé la loi en ajoutant au texte de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil. Ce faisant, la Haute Cour s'en tient à une approche littérale du texte qui privilégie la liberté de l'auteur de la libéralité de subordonner celle-ci à toute condition qu'il juge nécessaire. Toutefois, cette solution n'est pas sans susciter quelques interrogations quant à sa compatibilité avec l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Critique. L'exclusion de toute référence à l'intérêt de l'enfant pour une décision qui le concerne forcément paraît excessive. Même si le texte de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil ne vise pas ce critère, on ne peut l'écarter totalement dès lors que la décision concerne l'enfant et que la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant constitue un principe supra-législatif, qui plus est d'applicabilité directe en droit positif depuis 2005. Une solution intermédiaire pourrait être de considérer que, en principe, l'exclusion de l'administration légale sur les biens transmis gratuitement au mineur est conforme à son intérêt -elle permet en effet à un enfant d'obtenir des biens qu'il n'aurait peut-être pas reçus si son parent avait conservé son droit d'administration légale sur ceux-ci-, mais que le juge peut écarter cette exclusion lorsque celle-ci est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant apprécié in concreto. Une telle contrariété pourrait relever de l'incompétence manifeste de la personne désignée pour gérer les biens donnés au mineur ou du risque de conflits que cette gestion pourrait susciter avec les représentants légaux du mineur. Il semble que l'arrêt du 26 juin 2013 ne s'inscrit pas dans cette analyse et qu'elle fait primer la volonté du disposant sur l'intérêt supérieur de l'enfant ! D'autant que, dans cette affaire, le donateur était la mère du mineur...
II - Les modalités du transfert de l'administration légale à un tiers
Domaine de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil. La Cour de cassation avait, dans un arrêt ancien (2), limité l'exclusion de l'administration légale aux biens relevant de la quotité disponible. Toutefois il était de plus en plus admis, par analogie de la règle posée à propos de la clause d'exclusion de communauté (3), que le tiers désigné peut recevoir mission de gérer non seulement la quotité disponible, sphère normale de liberté du testateur ou du donateur, mais aussi la réserve héréditaire, qui normalement lui échappe (4). Une telle solution paraissait plutôt opportune, "il est parfois de l'intérêt de l'enfant de voir son patrimoine administré par un tiers, loin des conflits conjugaux et du risque de mauvaise gestion du patrimoine par un administrateur légal incompétent" (5). Dans un arrêt du 6 mars 2013 (6), la Cour de cassation a clairement affirmé que l'article 389-3 du Code civil est une disposition générale qui ne comporte aucune exception pour la réserve héréditaire. La clause peut ainsi aboutir à priver l'administrateur légal de ses pouvoirs sur l'ensemble des biens du mineur, comme c'était le cas dans l'espèce jugée par la Cour de cassation le 26 juin 2013.
Pouvoirs du tiers administrateur. L'article 389-3, alinéa 3, du Code civil dispose que les pouvoirs du tiers administrateur sont précisés dans la donation ou le testament. L'auteur de la libéralité peut en effet limiter les pouvoirs du représentant légal à la seule administration des biens et conditionner les actes de disposition à l'intervention d'un tiers. A l'inverse, l'auteur de la libéralité peut souhaiter que le tiers administrateur ait davantage de pouvoirs que ceux que lui conférerait la loi. En effet, le texte prévoit qu'à défaut de précision dans la libéralité, le tiers administrateur se voit conférer les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire. Il bénéficie ainsi seulement de pouvoirs d'administration, à l'exclusion de pouvoirs de disposition. L'auteur de la libéralité peut donc permettre que l'administrateur spécial reçoive des pouvoirs plus larges que ceux d'un administrateur légal ou d'un tuteur (7), et même, selon la lettre du texte, soit dispensé de tout contrôle ou autorisation du juge des tutelles ; en pareil cas, celui-ci n'engagera pas sa responsabilité (8). En l'espèce, la donatrice pouvait conférer à son propre père davantage de pouvoirs sur les biens légués que ceux que le père de l'enfant avait sur les autres biens du mineur. Les pouvoirs conférés à l'auteur de la libéralité peuvent donc être extrêmement étendus, fait d'autant plus remarquable que le régime de l'administration légale et de la tutelle est d'ordre public.
Exclusion de la jouissance légale. L'article 387 du Code civil exclut de la jouissance légale dont bénéficient les parents sur les revenus des biens du mineur, les biens qui lui ont été donnés ou légués sous la condition expresse que les père et mère n'en jouiront pas (9). Même si l'arrêt ne le précise pas, on peut penser que la clause qui écartait l'administration légale du père sur les biens légués contenait également une exclusion de la jouissance légale comme c'est souvent le cas en pratique. L'objectif poursuivi par la mère de l'enfant était en effet certainement que le père de celui-ci, dont elle était séparé, ne s'enrichisse pas de quelle que manière que ce soit, en profitant des biens qu'elle a laissé à leur enfant commun. On peut cependant s'interroger sur le fait de savoir si la clause d'exclusion de l'administration légale n'emporte pas exclusion automatique de la jouissance légale. En effet, l'article 387 du Code civil vise une condition expresse. Gérard Cornu (10) considérait cependant que si l'administration légale était écartée, le droit de jouissance se trouve, lui-même indirectement exclus à la base : l'absence de gestion du bien par les parents implique que les revenus de celui-ci ne sont pas perçus par eux mais le tiers chargé de les administrer. Si cette analyse paraît tout à fait logique et opportune, il convient de se méfier de l'interprétation littérale que la Cour de cassation pourrait faire de l'article 389-3, alinéa 3, et conseiller aux donataires d'exclure expressément à la fois l'administration et la jouissance légale, d'autant que l'exclusion doit être expresse mais n'exige pas de formule sacramentelle. Il suffit que l'intention du disposant d'affranchir les biens donnes ou légués de l'administration légale du ou des titulaires de l'autorité parentale soit non équivoque et certaine (11).
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