Le Quotidien du 14 octobre 2022 : Contrat de travail

[Questions à...] Pénurie d’essence et droit du travail - Questions à Sabrina Kemel, Avocat associé et Maximilien Champy, Avocat collaborateur du cabinet FTMS Avocats

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[Questions à...] Pénurie d’essence et droit du travail - Questions à Sabrina Kemel, Avocat associé et Maximilien Champy, Avocat collaborateur du cabinet FTMS Avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88883043-questions-a-penurie-dessence-et-droit-du-travail-questions-a-sabrina-kemel-avocat-associe-et-maximil
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par Lexbase Social

le 13 Octobre 2022

Mots-clés : carburant • salarié • entreprise • droit du travail • contrat de travail

La pénurie d’essence actuelle pose de véritables problématiques quant à l’exécution de la relation de travail entre salarié et employeur qu’elle perturbe sans – pour le moment – la suspendre, hormis certains secteurs particulièrement sensibles.

Dans ce cadre, on peut s’interroger sur les réponses et les outils du droit du travail.


Lexbase Social : La situation dans laquelle le salarié n’a pas la possibilité de faire le plein d’essence et ne peut pas prendre les transports en commun pour se rendre sur son lieu de travail peut-elle être qualifiée de force majeure ?

La force majeure est dans le cas présent difficilement mobilisable. En effet, l’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH définit la force majeure comme un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». En d’autres termes, l'événement doit être imprévisible, extérieur et irrésistible.

L’ensemble des conditions visées doit être rempli afin qu’une partie puisse s’exonérer de son engagement sur le fondement de la force majeure.

Or, la pénurie avait été annoncée si bien qu’elle était prévisible. Par ailleurs, sauf dans certaines hypothèses (exemple : accès à la pompe très réduit, voire impossible, notamment en zone rurale), le caractère irrésistible n’est pour l’instant pas non plus rencontré dans la mesure où de nombreuses stations sont encore ouvertes.

Dans le cadre du Covid-19, la question de la force majeure s’était posée pour justifier la résolution d’un contrat (commercial, contrat de bail, etc.). Elle avait alors été retenue par la Cour de cassation, car les conditions prévues à l’article 1218 du Code civil étaient réunies.

Mais en droit du travail, la force majeure est assez peu utilisée, car il existe des règles spécifiques à la matière. En l’absence d’exécution du salarié de son obligation de fournir une prestation de travail, l’employeur est délié de son obligation de verser le salaire, peu important que la force majeure soit caractérisée.

Lexbase Social : Le salarié peut-il être sanctionné en cas d’impossibilité de se rendre sur son lieu de travail en raison de la pénurie d’essence ?

Sauf dans le cas d’un salarié qui serait de mauvaise foi, ce qui permettrait de caractériser une faute dans l’exécution de la relation contractuelle, il est déconseillé de sanctionner des salariés sur ce motif pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, agir ainsi nuirait certainement au climat social au sein de l’entreprise.

Ensuite, une sanction disciplinaire ne peut, en effet, être prononcée qu’en cas de faute (ou négligence fautive) du salarié. Selon la jurisprudence, celle-ci doit alors résulter d'un fait avéré, imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat ou des relations de travail.

Si le retard ou l’absence sont par principe des fautes, le fait qu’elles soient directement causées par une pénurie leur retire tout caractère fautif sauf si le salarié est de mauvaise foi et utilise la pénurie d’essence pour ne pas venir travailler. Mais qu’aurait-il à y gagner ?

Bien entendu, il est important de justifier de son absence en apportant des preuves à son employeur (photos des pompes à essence, de la jauge, etc.) et d’avertir son employeur le plus rapidement possible.

À titre d’exemple, pour un salarié vivant en région parisienne, il sera compliqué de justifier de son absence compte tenu du réseau francilien de transports en commun.

Lexbase Social : Son impossibilité de se rendre sur son lieu de travail peut-elle constituer une absence autorisée non rémunérée ?

Si le salarié justifie de son absence (v. supra) et compte tenu de la situation, l’employeur le placera en absence autorisée non rémunérée.

Mais d’autres solutions peuvent être envisagées pour pallier l’impossibilité de se déplacer : mise en place du télétravail, pose des JRTT ou des congés payés dans les conditions légales et conventionnelles.

La communication reste le maître mot : employeurs et salariés sont confrontés aux mêmes difficultés. Nombreux sont les employeurs qui voient leur chiffre d’affaires diminuer et les salariés qui se retrouvent sans rémunération. L’objectif est de trouver des solutions qui puissent servir aux deux parties.

Lexbase social : L’employeur peut-il adapter le poste de travail temporairement ? Quelles solutions peut-il mettre en place ?

Pour ceux qui le peuvent, la première solution à laquelle on pense est le télétravail. Le Code du travail laisse une grande flexibilité sur ce point puisque l’article L. 1222-9 du Code du travail N° Lexbase : L2077MA8 dispose qu’« en l'absence d'accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen ».

Pour les autres, les recours de l’employeur sont limités compte tenu du caractère imprévisible des absences (un salarié absence le mardi ne le sera pas forcément le jeudi).

Mais l’employeur pourrait :

  • avoir recours à l’intérim ou aux contrats à durée déterminée, le motif invoqué sera alors celui du remplacement ;
  • mettre en place des moyens de transports collectifs (navette par exemple) sous réserve d’avoir pu s’approvisionner en essence ;
  • demander à des salariés de l’entreprise d’effectuer les tâches des salariés absents de façon ponctuelle.

On peut s’interroger sur la possibilité pour l’employeur d’imposer le rattrapage des heures perdues.

Le Code du travail conditionne cette faculté à une « interruption collective de travail » en cas de « force majeure » (C. trav., art. L. 3121-50 N° Lexbase : L6863K93) dont on a vu qu’elle avait peu de chance, à ce stade, d’être retenue.

Lexbase Social : La pénurie d’essence peut-elle justifier la mise en place du régime juridique de l’activité partielle ?

Oui, à la condition que l’entreprise soit contrainte de fermer tout ou partie de son établissement.

L’article R. 5122-1 du Code du travail N° Lexbase : L2435IXH précise que l'employeur peut placer ses salariés en activité partielle lorsqu’il est contraint de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour des « difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie » et plus largement « pour toute autre circonstance de caractère exceptionnel ».

Sauf cas spécifiques, le recours à l’activité partielle n’est pas encore d’actualité pour les entreprises au sens large puisque la plupart peuvent encore assurer leur activité.

L’activité partielle pourra, en revanche, être nécessaire dans certaines industries touchées par les pénuries (entreprises de transport ou encore du BTP par exemple).

Quant au recours à l’activité partielle de longue durée (APLD), il doit être exclu, car il concerne les situations de réduction « durable » d’activité.

Lexbase Social : En cas d’impossibilité d’adaptation du poste, la pénurie d’essence peut-elle être une cause de suspension du contrat de travail ?

La suspension du contrat de travail résulte d’un texte (maladie, congés payés, congé maternité, grève, etc.) ou par accord entre le salarié et l’employeur (dispense d’activité autorisée). 

Aucun cas de suspension automatique du contrat de travail n’est prévu dans le cas de pénuries d’essence.

La force majeure pourrait permettre une suspension, mais on ne voit pas l’intérêt pour l’employeur de suspendre un contrat de travail dès lors que le salarié n’est pas payé.

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