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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
le 20 Juin 2013
En droit de la fonction publique, la consécration des principes généraux du droit permet au Conseil d'Etat de renforcer la situation de personnels auxquels le droit écrit n'apporte pas une protection suffisante, notamment sur le plan des droits sociaux. Depuis 2002, la jurisprudence administrative reconnaît l'existence d'un principe général du droit visant à permettre le reclassement d'un agent public déclaré physiquement inapte pour l'occupation de son emploi. Cette évolution résulte de l'arrêt du 2 décembre 2002 "CCI de Meurthe et Moselle" (1). Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a fait, pour la première fois, application du principe général du droit "dont s'inspirent tant les dispositions du Code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi, que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires". Selon ce principe, "lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, son licenciement".
Le principe ci-dessus rappelé est d'application générale et il avait déjà été mis en oeuvre pour un agent contractuel de droit public, pour lequel aucune règle ne prévoyait une recherche de reclassement préalablement à un licenciement pour inaptitude physique (2). Conformément à la théorie générale des principes généraux du droit, une loi peut toujours faire échec à la règle mise en lumière par la jurisprudence administrative. Ainsi, selon l'article 36 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L1655IEZ), un adjoint de sécurité devenu inapte physiquement à occuper l'emploi dans lequel il est affecté ne peut être reclassé que dans un emploi correspondant aux missions des adjoints de sécurité auprès des fonctionnaires des services actifs de la police nationale et pour la durée du contrat restant à courir (3). Au plan procédural, on rappellera que le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe par une décision de l'administration licenciant un de ses agents est relatif à la légalité interne de cette décision (4).
L'intérêt majeur de l'arrêt du 17 mai 2013 est relatif à la demande de reclassement qui sera présentée par l'agent. Tout d'abord, la décision rappelle que le reclassement de l'agent doit résulter d'une demande de sa part, afin d'interdire à l'employeur d'imposer un reclassement qui ne correspondrait pas au souhait formulé par l'agent (5). De ce point de vue, il incombe à l'administration, lorsque la reprise des fonctions apparaît définitivement impossible en raison de l'état de santé de l'agent, d'inviter celui-ci à présenter, s'il le souhaite, une demande de reclassement (6). Ensuite, la décision commentée vient apporter une précision sur la teneur de la demande de reclassement. Les dispositions du Code du travail, mais également celles applicables aux fonctionnaires, n'imposent nullement que la demande présentée par l'agent précise la nature des emplois sur lesquels il sollicite son reclassement. Ainsi, le Conseil d'Etat indique qu'il pèse sur l'employeur une obligation de rechercher le reclassement de l'agent inapte. Cette obligation est objective et ne saurait être diminuée par le caractère incomplet ou insuffisant de la demande de l'agent. Dès lors qu'invité à le faire, l'agent inapte sollicite son reclassement, l'employeur doit mettre en oeuvre cette obligation de moyens ; ce n'est que si le reclassement est impossible que le licenciement pourra être prononcé.
Le Conseil d'Etat vient de trancher une difficulté touchant à la gestion du personnel, liée au transfert à une collectivité territoriale d'une compétence jusqu'à lors exercée par l'Etat. L'article 109 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), crée un droit d'option au profit des fonctionnaires de l'Etat travaillant dans le cadre d'une mission de service public objet d'un transfert de compétences. Le I de cet article précise que ces personnels peuvent opter soit pour le statut de fonctionnaire territorial, soit pour le maintien du statut de fonctionnaire de l'Etat. Le II du même article précise, quant à lui, que les fonctionnaires de l'Etat ayant opté pour le maintien de leur statut sont placés en position de détachement auprès de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales dont relève désormais leur service. Ce détachement est, par exception, aux règles habituelles (article 45 du titre II du statut général des fonctionnaires de l'Etat), prévu sans limitation de durée.
Un fonctionnaire de l'Etat, chef d'équipe d'exploitation des routes, ayant été placé en position de détachement, dans les conditions ci-dessus rappelées, auprès du conseil général du Cantal, a sollicité une prolongation d'activité pour une durée de deux ans renouvelable à compter du 11 janvier 2010, sur le fondement des dispositions de l'article 93 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8), modifiant l'article 1-3 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984, relative à la limite d'âge des fonctionnaires (N° Lexbase : L1097G87). Cette demande ayant été rejetée par deux courriers émanant du président du conseil général, l'agent a contesté ce refus. Le tribunal avait fait droit à la requête, mais la cour administrative d'appel (7) avait reformé ce jugement et rejeté le recours.
Le Conseil d'Etat censure l'arrêt d'appel pour erreur de droit, en ce qu'il a estimé que le président du conseil général se trouvait dans une situation de compétence liée lors de l'examen de la nouvelle demande, en 2009, en raison de l'existence d'une décision antérieure du préfet. L'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 modifiée prévoit que les fonctionnaires appartenant à des corps ou des cadres d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans, sont, sur leur demande, lorsqu'ils atteignent cette limite d'âge, maintenus en activité jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans, sous réserve de leur aptitude physique. Or, le décret n° 2009-1744 du 30 décembre 2009 (N° Lexbase : L1899IGG), pris pour l'application de ces dispositions met en place un système transitoire (art. 8) pour les demandes présentées par les fonctionnaires dont la limite d'âge intervient avant le 1er juillet 2010. Se fondant sur cette disposition, le Conseil d'Etat considère qu'un fonctionnaire qui, avant l'entrée en vigueur du décret du 30 décembre 2009, a atteint la limite d'âge de son corps et s'est vu refuser pour ce motif une prolongation d'activité, est en droit de présenter une nouvelle demande tendant au bénéfice des dispositions de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984, à la condition de présenter sa demande au plus tard le 1er mars 2010. L'arrêt d'appel ne pouvait donc opposer au requérant une situation de compétence liée dans laquelle se serait trouvé le président du conseil général du Cantal, la décision de ce dernier se bornant à appliquer l'arrêté en date du 9 octobre 2008 par lequel le préfet du Cantal a admis le requérant à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 11 janvier 2010.
Après avoir censuré le raisonnement des juges du fond, le Conseil d'Etat va évoquer l'affaire au fond. Ce faisant, il va faire droit aux arguments de la requête et rejeter le recours diligenté par le département du Cantal à l'encontre du jugement de première instance.
La décision du président du conseil général est annulée en raison de l'incompétence de son auteur pour statuer sur une demande de maintien en activité présentée, sur le fondement de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984, par un fonctionnaire de l'Etat placé en situation de détachement. Selon l'arrêt, il appartenait à l'administration d'origine du fonctionnaire de se prononcer sur une telle demande. La solution repose sur la nature même de la position du détachement. En application de l'article 45 du titre II du statut général des fonctionnaires, "le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite". Ainsi, le fonctionnaire détaché ne coupe pas le lien qui l'unit à son corps d'origine. Il demeure membre de ce corps pour ce qui concerne la "carrière". La décision de prolongation d'activité n'est pas propre à l'emploi de détachement mais relève de l'administration d'origine, notamment parce que la survenance de la limite d'âge dans ce corps induit la mise en retraite de l'agent (8). La particularité de l'espèce résultait du fait que l'agent avait été placé en position de détachement sans limitation de durée. Cette caractéristique ne change, selon le Conseil d'Etat, rien à l'identité de l'autorité compétente pour se prononcer sur une demande de prolongation d'activité.
L'un des grands principes de la fonction publique consiste à réserver aux fonctionnaires titulaires les emplois permanents des services publics administratifs (voir, pour les services publics locaux, article 3-1 et suivants de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX). Ce n'est donc que par dérogation que des agents contractuels de droit public peuvent être recrutés. Les contrats qui leur seront proposés seront le plus souvent à durée déterminée, même si la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique (N° Lexbase : L3774ISL), autorise désormais un recours plus large au contrat à durée indéterminée.
Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 26 avril 2013, le requérant avait été embauché par une communauté d'agglomération pour occuper un poste de chargé de mission, en vue d'assurer le passage au très haut-débit. La relation de travail s'est traduite par la signature de deux contrats de trois ans, conclus en 2003 et 2006. Par une décision du 21 octobre 2008, confirmée sur recours gracieux le 23 décembre 2008, la présidente de la communauté d'agglomération a indiqué à l'agent que son contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 31 janvier 2009. Le tribunal administratif de Pau a annulé ce refus et condamné l'établissement public à verser 8 000 euros de dommages-intérêts à l'agent, en raison de l'absence d'entretien préalable. Ce jugement a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux (9), à l'encontre duquel un pourvoi a été dirigé.
Le Conseil d'Etat censure l'arrêt d'appel, faute pour ce dernier d'avoir fait une juste application de la jurisprudence "Danthony" (10). Selon cette importante décision, il existe un principe juridique "selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie".
Dans l'affaire qu'il a eu à juger le 26 avril 2013, le Conseil d'Etat a confronté ce principe à l'exigence de recevoir, lors d'un entretien préalable, l'agent public contractuel dont le contrat risque de ne pas être renouvelé. Cette obligation procédurale est imposée par l'article 38 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 (N° Lexbase : L1035G8T), qui fixe les conditions d'emploi des agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Selon ce texte, l'employeur doit informer l'agent de son intention de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée arrivant à échéance ; en outre, lorsque ce contrat est susceptible d'être reconduit pour une durée indéterminée, en application de l'article 3-3 du titre II du statut général des fonctionnaires, la notification de la décision doit être précédée d'un entretien.
L'arrêt commenté consacre le caractère informatif de cet entretien. Il considère, en effet, que "l'accomplissement de cette formalité, s'il est l'occasion pour l'agent d'interroger son employeur sur les raisons justifiant la décision de ne pas renouveler son contrat et, le cas échéant, de lui exposer celles qui pourraient justifier une décision contraire, ne constitue pas pour l'agent, eu égard à la situation juridique de fin de contrat sans droit au renouvellement de celui-ci [...] une garantie dont la privation serait de nature par elle-même à entraîner l'annulation de la décision de non renouvellement". La nullité de la décision de refus de renouvellement ne pourra donc être prononcée que si le juge administratif constate que l'absence d'entretien a été susceptible d'exercer, une influence sur le sens de la décision (l'arrêt de la cour administrative d'appel est annulé en ce qu'il n'a pas procédé à une telle recherche).
Le Conseil d'Etat confirme le caractère précaire de la situation de l'agent public contractuel recruté en contrat à durée déterminée. En l'absence d'un droit à la stabilité de l'emploi (tout au moins durant les six premières années), le refus de renouvellement relève pleinement du pouvoir de la collectivité publique employeur, sauf circonstances particulières, et n'induit donc pas une formalisme excessif. Une telle solution n'est pas fondamentalement nouvelle. Il a déjà été jugé que le non-respect de l'obligation d'organiser un entretien préalable n'entraîne pas, en lui-même, l'annulation de la décision refusant le non-renouvellement (11) ; cependant il était susceptible d'engager la responsabilité de l'administration (12), ce qui ne sera plus le cas désormais, en tout cas de manière systématique.
L'arrêt prend également soin de noter que le fait que le refus puisse, éventuellement, être pris en considération de la personne ne justifie pas que l'entretien préalable soit considéré comme une véritable garantie pour l'agent. En revanche, il en va autrement lorsque la décision refusant de reconduire le contrat repose sur un motif disciplinaire. Dans ce cas, l'entretien préalable ne pourra pas être éludé car il s'agirait d'une atteinte au principe des droits de la défense (13).
(1) CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9513AZD), AJDA, 2002, p. 997 et p. 1294, concl. D. Piveteau, note M.-Ch. de Montecler, JCP éd. A, 2002, 1114, note D. Jean-Pierre, AJFP, novembre 2002, p. 41, Dr. adm., 2002, comm. 200, note D.P.
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4266DUK).
(3) CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2011, n° 328049, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0258HWH).
(4) CE 4° et 5° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 299665, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8836EBU).
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2006, n° 272433, mentionné aux tables du Lebon (N° Lexbase : A3547DQG).
(7) CAA Lyon, 3ème ch., 4 octobre 2011, n° 10LY02162, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7136KGE).
(8) CE, S., 3 février 1956, de Fontbonne, n° 8035, Rec. 45 ; CE 1° et 6° s-s-r., 26 octobre 2005, n° 260756, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1403DLK).
(9) CAA Bordeaux, 6ème ch., 8 novembre 2011, n° 10BX01913, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7135KGD).
(10) CE, S., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M).
(11) CE 7° et 10° s-s-r., 12 février 1993, n° 109722, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8449AMU).
(12) CE 3° et 5° s-s-r., 28 avril 1999, n° 87046, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1954AQG), Rec., p. 766.
(13) CE 3° et 5° s-s-r., 14 mars 1997, n° 154693, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8907ADA).
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