Le Quotidien du 22 septembre 2022 : Droit international privé

[Brèves] Demandes de retour des femmes et enfants retenus en Syrie : la France n’a pas entouré son examen de garanties appropriées contre l’arbitraire

Réf. : CEDH, 14 septembre 2022, Req. 24384/19, H.F. et autres c/ France N° Lexbase : A85488H3

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N2669BZU

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[Brèves] Demandes de retour des femmes et enfants retenus en Syrie : la France n’a pas entouré son examen de garanties appropriées contre l’arbitraire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88284785-breves-demandes-de-retour-des-femmes-et-enfants-retenus-en-syrie-la-france-na-pas-entoure-son-examen
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par Adélaïde Léon

le 21 Septembre 2022

► Faute de décisions formelles de refus et de contrôle juridictionnel, l’examen, par la France, de demandes de rapatriement formulées par des ressortissants français au nom de leurs proches n’a pas été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire. La CEDH conclut à la violation de l’article 3, § 2 du Protocole n° 4 (droit  d’entrer).

Rappels de la procédure. Deux couples de ressortissants français ont vu les autorités françaises refuser le rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants nés sur place, tous retenus dans les camps du nord-est de la Syrie administrés par les Forces démocratiques syriennes.

Les couples se sont adressés à plusieurs reprises au président de la République et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères pour demander le rapatriement de leurs proches mais aucune de ces autorités exécutives ne leur a répondu expressément. S’agissant des procédures engagées devant les juridictions internes, ces dernières ont décliné leur compétence au motif qu’elles étaient saisies de demandes relatives à des actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France.

Les intéressés ont introduit des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’Homme le 6 mai 2019 et le 7 octobre 2020.

Moyens des requêtes. Les requérants soutenaient que le refus de la France de rapatrier leurs enfants et petits-enfants exposait ces derniers à des traitements inhumains et dégradants, lesquels sont contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) N° Lexbase : L4764AQI.

Ils estimaient par ailleurs que ce refus méconnaissait leur droit d’entrer sur le territoire dont ils sont ressortissants (Protocole n° 4, art. 3, § 2) ainsi que le respect de leur vie familiale (CESDH, art. 8) et qu’ils avaient été privés de tout recours interne effectif pour contester le refus de rapatriement.

Décision.

Sur la question de savoir si les proches des requérants relevaient de la juridiction de la France à l’égard des griefs tirés des articles 3 de la CESDH et 3, § 2 du Protocole n° 4.

Selon la CEDH, le seul refus des autorités françaises de rapatrier les filles et petits-enfants des requérants ne peut être considéré comme ayant pour résultat de les placer dans le champ d’application de la juridiction de la France s’agissant des traitements subis dans les camps syriens. Dès lors, les requérants ne peuvent être considérés comme relevant de la juridiction de la France s’agissant du grief tiré de l’article 3 de la CESDH.

S’agissant du grief tiré de l’article 3, § 2 du Protocole n° 4, la Cour considère que certaines circonstances tenant à la situation du ressortissant qui prétend entrer sur le territoire de son État peuvent faire naître l’existence d’un lien juridictionnel avec cet État. Plus précisément, doivent être pris en considération, outre le lien de rattachement juridique entre l’État et ses ressortissants, les circonstances particulières liées à la situation des camps syriens. En l’espère, les requérants avaient effectué plusieurs demandes officielles de retour et d’assistance auprès des autorités nationales, ces requêtes étaient fondées sur des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques dans un contexte dans lequel l’intégrité physique de leurs enfants et petits-enfants était menacée. Enfin, il était établi que les intéressés ne pouvaient quitter les camps dans lesquels ils se trouvaient sans l’assistance des autorités françaises.

Dans ces conditions, la CEDH a estimé que la juridiction de la France était établie au titre de la violation alléguée de l’article 3, § 2 du Protocole n° 4.

Sur la violation alléguée de l’article 3, § 2 du Protocole n° 4 et les obligations en découlant.

La Cour rappelle que la Convention et ses protocoles soient interprétés et appliqués d’une manière qui en rend les garanties concrètes et effectives et « non pas théoriques et illusoires ». La Cour constate qu’aucune obligation de droit international conventionnel ou coutumier ne contraint les États à rapatrier leurs ressortissants. Les citoyens français retenus dans les camps du nord-est de la Syrie ne sont donc pas par principe fondés à réclamer le bénéfice d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrer sur le territoire national (Protocole n° 4, art. 3, § 2).

Toutefois, en vertu de la règle d’interprétation qui est la sienne, la Cour reconnaît que ce droit peut mettre à la charge des États certaines obligations positives à l’égard de leurs ressortissants afin de rendre l’exercice de leur droit d’entrer concret et effectif. La CEDH note qu’il se dégage des travaux préparatoires du Protocole n° 4 que l’objet du droit d’entrer est d’interdire l’exil des nationaux. À la lumière de cette constatation, elle considère que l’article 3, §2 peut faire naître une obligation positive à la charge de l’État lorsque, eu égard aux particularités d’un cas donné, le refus de cet État d’entreprendre toute démarche conduirait le national concerné à se retrouver dans une situation comparable, de facto, à celle d’un exilé. La Cour précise que cette exigence doit toutefois recevoir une interprétation étroite et n’obliger l’État concerné qu’en présence de circonstances exceptionnelles « par exemple lorsque des éléments extraterritoriaux menacent directement l’intégrité physique et la vie d’un enfant placé dans une situation de grande vulnérabilité ».

La CEDH précise que dans l’examen du respect de l’obligation de l’État français de garantir l’exercice effectif du droit d’entrer sur son territoire en présence de circonstances exceptionnelles, le contrôle se limitera à l’existence d’une protection effective contre l’arbitraire.

  • S’agissant des circonstances. Constatant l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité physique et à la vie des proches des requérants, en particulier celles de leurs petits-enfants, la Cour conclut à l’existence de circonstances exceptionnelles.
  • S’agissant de la prévention contre l’arbitraire. La Cour juge que l’examen des demandes de retour effectuées par les requérants au nom de leurs proches n’a pas été entouré de garanties appropriées contre l’arbitraire. En l’absence de toute décision formalisée de la part des autorités compétentes du refus de faire droit aux demandes des requérants, l’immunité juridictionnelle qui leur a été opposée les a privés de toute possibilité de contester utilement les motifs retenus par ces autorités et ainsi de vérifier qu’ils ne reposaient sur aucun arbitraire.

Dès lors, la Cour juge que ni les modalités de l’examen des demandes de retour sur le territoire national effectué par l’exécutif ni le contrôle juridictionnel de la décision prise par ce dernier n’ont permis de vérifier l’absence d’arbitraire. La CEDH conclut à la violation de l’article 3, § 2 du Protocole n° 4 et considère qu’il revient au Gouvernement français de reprendre l’examen des demandes dans les plus brefs délais en l’entourant de garanties contre l’arbitraire.

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