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par Vincent Vantighem
le 21 Septembre 2022
C’est un sérieux coup de frein pour l’un des géants de la livraison de repas à domicile. La société Deliveroo a été condamnée, jeudi 1er septembre par le tribunal judiciaire de Paris, à régler à l’Urssaf plus de 9,6 millions d’euros d’arriérés de cotisations et contributions sociales, selon un jugement civil de trente-sept pages que Lexbase a pu consulter. Dans les faits, le géant britannique doit verser à l’Urssaf Île-de-France « 6 431 276 euros au titre des cotisations et contributions sociales, outre la somme de 2 489 570 euros au titre des majorations de redressement complémentaire pour infraction au travail dissimulé, et la somme de 756 033 au titre des majorations de retard provisoires ». Soit la bagatelle de 9 676 879 euros au total.
Ce jugement du tribunal judiciaire de Paris est la suite logique de celui rendu, le 19 avril, par le même tribunal mais sur le volet pénal. Renvoyé pour l’infraction de travail dissimulé, Deliveroo avait été condamné à une amende de 375 000 euros. En outre, deux de ses anciens dirigeants avaient écopé d’une peine de douze mois de prison avec sursis, conformément aux réquisitions du parquet dans ce premier procès pénal de « l’ubérisation » N° Lexbase : N1213BZX.
Après des années de recours et d’atermoiements, la justice avait considéré à l’époque que la société Deliveroo devait bien employer les livreurs en tant que salariés et non pas en tant qu’auto-entrepreneurs indépendants, estimant qu’il existait évidemment « un lien de subordination » entre la plateforme qui gérait les commandes de repas et les livreurs à deux-roues chargés d’aller les récupérer et de les livrer. « Le tribunal observe que la question n’est pas celle de savoir si le statut de travailleur indépendant est, ou pas, un statut juridique satisfaisant, mais de constater, qu’en l’espère, il s’est agi pour Deliveroo d’un habillage juridique fictif ne correspondant à la réalité de l’exercice professionnel des livreurs », avait alors détaillé la présidente du tribunal.
Une décision qui ne porte que sur quelques livreurs… pour l’instant
Le 1er septembre, la justice civile est donc venue enfoncer un peu plus le clou. Considérant, sur la base du jugement d’avril, que Deliveroo aurait dû salarier les livreurs, le tribunal a donné raison à l’Urssaf qui réclamait des arriérés de cotisations sociales non versées pour les livreurs en question. Avec pénalités de retard au surplus.
Dans les faits, l’Urssaf avait réclamé des comptes au sujet de 2 286 livreurs en Île-de-France ayant travaillé entre le 1er avril 2015 et le 30 septembre 2016, sans que l’on sache si l’organisme entend aller plus loin en étendant ses demandes à des livreurs d’autres régions et/ou ayant agi sur une autre période. Auquel cas, l’addition serait extrêmement salée pour Deliveroo, principal concurrent de Uber Eats sur ce secteur très concurrentiel.
C’est sans doute la raison pour laquelle la société Deliveroo a immédiatement dénoncé une « procédure ni régulière ni équitable » et indiqué son intention de faire appel du jugement. De leur côté, les juges ont estimé que les demandes de l’Urssaf, de recouvrer les sommes non perçues, étaient « parfaitement justifiées ».
Deliveroo « ne se borne pas à mettre en relation des clients finaux et des restaurants partenaires qui ne sont jamais en contact, mais elle exécute elle-même la livraison des repas préparés par le truchement de livreurs, de sorte que la livraison relève indissociablement de son activité », peut-on lire dans la décision qu’ils ont rendue.
Pour Deliveroo, « l’enquête de l’Urssaf porte sur un modèle ancien »
Comme elle le fait depuis des années, la société britannique a contesté cette analyse. « Cette décision est difficile à comprendre et va à l’encontre de l’ensemble des preuves qui établissent que les livreurs partenaires sont bien des prestataires indépendants, de plusieurs décisions préalablement rendues par les juridictions civiles françaises, a-t-elle indiqué dans un communiqué. L’enquête de l’Urssaf porte sur un modèle ancien qui n’a plus cours aujourd’hui. »
Selon la société, les livreurs bénéficient désormais d’un nouveau modèle fondé « sur un système de connexion libre » qui leur permet de bénéficier encore davantage de « liberté et de flexibilité ». Au passage, le géant de la distribution de repas a tenu à rappeler qu’il participerait prochainement au dialogue social organisé en France pour les travailleurs des plateformes. Entre le 9 et le 16 mai dernier, les livreurs ont, en effet, et pour la première fois en France, pu élire des représentants syndicaux chargés de les représenter et d’améliorer leur protection. Mais le scrutin auquel 120 000 travailleurs pouvaient prendre part n’a pas mobilisé. Seuls un peu plus de 3 000 d’entre eux avaient voté, soit à peine 2,5 %.
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